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Mémoire
Pour l’obtention du Master en Sciences Politiques
Spécialité : Amérique Latine
A Sciences Po Grenoble
L’accès au marché des familles
paysannes
Logiques et stratégies de commercialisation des agriculteurs
familiaux de l’Agreste de la Paraíba au Brésil
Marlène Pra
Août 2015
Orientée par :
Eric Sabourin, Chercheur du Cirad et professeur à l’Université de
Brasilia (UnB)
Paulo Petersen, Directeur de l’AS-PTA
Remerciements
Je souhaite remercier en premier lieu Eric et Paulo, mes maîtres de stage, grâce auxquels
j’ai eu l’opportunité de terminer mon master par une expérience qui me tenait beaucoup à
cœur. Mon stage au sein de l’équipe de l’AS-PTA de la Paraíba m’a en effet permis de
développer mon étude à partir des réalités du monde rural de la région Nordeste au Brésil
que je désirais beaucoup pouvoir connaitre et étudier. Je témoigne aussi de l’admiration que
je leur porte, quant à leur savoir et leurs expériences et partage toute la reconnaissance que
j’ai envers Eric pour ses précieuses orientations dans la rédaction de mon mémoire.
Je remercie aussi l’ensemble de l’équipe « accès au marché » de l’AS-PTA : Eliane,
Diogenes, Afrânio et Joviano, dont le soutien et l’accompagnement ont été d’un grand
apport. Je remercie de même l’ensemble des coordinateurs de l’équipe AS-PTA Marcelo,
Luciano et Roberval, pour leur appui et leurs orientations, ainsi que Ramonildes, professeur
de sociologie rurale à l’Université Fédérale de Campina Grande qui a facilité mon arrivée
dans cette ville.
Je tiens également à adresser mes sincères remerciements à l’ensemble du personnel de
l’AS-PTA et du Pôle Syndical de la Borborema (PSB) pour leur amitié, leur bonne humeur et
leur volonté de me faire découvrir les expériences et richesses de la région.
Je remercie par ailleurs l’ensemble des agriculteurs Pedro, Alexandro, Ivanaldo e Eliane,
João, Gonçalo, Moïses, Maria e Arturo, Diego, Nelson, Emilio, Dino, Eduardo et Eliso,
d’avoir répondu avec intérêt et beaucoup de sympathie à mes questions.
Je remercie aussi les différents représentants des institutions publics que j’ai eu l’opportunité
de rencontrer : Milena, Roberto, Noemia, Annie, Soledade, José et Nicole, pour le temps
qu’ils m’ont accordé et les nombreuses informations qu’ils ont accepté de partager.
Je dédie mon mémoire à l’ensemble de ces personnes ainsi qu’à mes parents, eux aussi
agriculteurs, pour leur précieux soutien et l’intérêt qu’ils portent à mes projets.
Résumé
Mots-clés : Agriculture familiale, agro-écologie, accès au marché, logiques et stratégie de
commercialisation.
La présente étude a été réalisée dans la région de l’Agreste de la Paraíba, située dans la
partie Nordeste du Brésil. Elle a pour objet l’analyse de la construction sociale de marché
des familles paysannes. Les logiques et stratégies de commercialisation ont été observées
auprès de douze familles insérées ou en voie d’insertion sur un ou plusieurs circuits : la
vente directe, les marchés d’achats publics et deux circuits longs de commercialisation. La
réflexion porte sur les appuis qui s’avèrent indispensables à la consolidation de ces
stratégies et cherche à évaluer la pérennité de l’activité de commercialisation des familles à
travers une approche socio-économique.
Sigles et Abréviations
ASA Articulation pour le Semi-Aride
AS-PTA Agricultura Familiar e Agroecologia
EMBRAPA Entreprise Brésilienne de Recherche Agronomique
EMATER Entreprise d’Assistance Technique et d’Extension Rurale
FT Fazenda Tamanduá
FRS Fonds Rotatif Solidaire
CONAB Compagnie Nationale d’Approvisionnement
CONTAG Confédération Nationale des Travailleurs de l’Agriculture
COPAF Coopérative de la Paraíba d’Aviculture et d’Agriculture Familiale
CPT Commission Pastorale de la Terre
CUT Centrale Unique des Travailleurs
MAPA Ministère de l’Agriculture de l’Elevage et de l’Approvisionnement
MDA Ministère du Développement Agraire
MDS Ministère du Développement Social
MST Mouvement des Travailleurs Sans-Terre
ONG Organisation non-Gouvernementale
PAA Programme d’Acquisition D’aliments
PATAC Programme d’Application de Technologies Appropriées
PNAE Programme National pour l’Alimentation Scolaire
PRONAF Programme National de Renforcement de l’Agriculture Familiale
PSB Pôle Syndical du Territoire de la Borborema
SEBRAE Service Brésilien d’Appui aux Micro et Petites Entreprises
STR Syndicat des Travailleurs Ruraux
SUDENE Superintendance du Développement du Nordeste
Sommaire
Introduction............................................................................................................... 1
Hypothèses .................................................................................................................... 2
Objectifs du travail de recherche .................................................................................... 2
La théorie de la réciprocité ............................................................................................. 2
Méthodologie.................................................................................................................. 4
Annonce du plan ............................................................................................................ 5
1. L’action paysanne et syndicale à l’origine du modèle de commercialisation
des marchés agro-écologiques............................................................................... 6
1.1 La consolidation de la société civile autour de l’agro-écologie...................................... 6
1.1.1 Retour historique sur les cultures prédominantes de la région............................... 6
1.1.2 Les mobilisations autour du projet de réforme agraire ........................................... 7
1.1.3 Le travail de l’AS-PTA et du Pôle syndical............................................................. 8
1.1.4 Formation de l’Articulation pour le Semi-aride (ASA)............................................. 9
1.1.5 La reconnaissance institutionnelle de l’Agriculture Familiale et l’accès au crédit
rural...............................................................................................................................11
1.2 La création des marchés agro-écologiques sur le territoire de la Borborema ..............12
1.2.1 Définition de l’Agro-écologie.................................................................................12
1.2.2 Apparition et Institutionnalisation des marchés agro-écologiques........................13
1.2.3 La certification OCS..............................................................................................15
1.2.4 L’accès au crédit et mécanismes communautaires et stratégies de production ....16
1.2.5 Les relations de réciprocité au sein du processus de commercialisation des
familles..........................................................................................................................21
1.2.6 Les Limites ...........................................................................................................24
2. Les politiques publiques d’appui pour la commercialisation de la production
agricole familiale .................................................................................................... 28
2.1. Les achats publics : modes de fonctionnement du PAA et du PNAE..........................28
2.1.1 Mise en place et modalités ...................................................................................28
2.1.2 L’implémentation du PAA à l’échelle de notre étude.............................................33
2.1.3 Le fonctionnement du PNAE au niveau des municipes d’Areial et Remígio..........36
2.1.4 Limites et avancées observées dans le déroulement du PNAE ............................38
2.2 Relations sociales au sein du PAA et du PNAE ..........................................................41
2.2.1 Modes d’insertion .................................................................................................41
2.2.2 Gestion de la concurrence et relations de réciprocité ...........................................43
2.2.3 Considérations finales ..........................................................................................44
3. Les circuits longs de commercialisation : une alternative adaptée ?............ 46
3.1. Commercialisation de la production agro-écologique locale par l’intermédiaire de
l’entreprise Fazenda Tamanduá, distributrice de produits biologiques ..............................46
3.1.1 Modes de fonctionnement de l’entreprise Fazenda Tamanduá.............................46
3.1.2 Modes de fonctionnement du circuit et profil des agriculteurs...............................47
3.1.3 Perceptions des agriculteurs sur le circuit.............................................................48
3.1.4 Observations finales.............................................................................................50
3.2 Le projet d’Elevage Avicole Alternatif de la COPAF ...................................................51
3.2.2 Le Projet « Cooperar » .........................................................................................52
3.2.3 L’appui d’une pépinière d’entreprises ...................................................................54
3.2.4 Etude économique de la production avicole « alternative » ..................................55
3.2.5. Analyse de la construction sociale et observations finales...................................58
Considérations finales ........................................................................................... 61
Interviews................................................................................................................ 64
Bibliographie........................................................................................................... 65
Annexes................................................................................................................... 66
1
Introduction
Cette étude propose d’analyser les logiques et stratégies de commercialisation des
familles paysannes sur la période récente, des années 2000 à aujourd’hui. Elle concerne la
microrégion de l’Agreste de la Paraíba, située dans la région du Nordeste du Brésil dans
laquelle s’est déroulé mon stage de fin d’études. L’accès au marché des agriculteurs
familiaux est un fait relativement nouveau. En effet, largement dominée par le modèle
agricole d’exportation, l’agriculture familiale locale n’a réellement obtenu de visibilité dans le
paysage rural qu’à la fin des années 1980, par la lutte pour la terre, puis à partir des années
2000 par l’accès différencié au crédit puis aux marchés. La région de l’Agreste se caractérise
par ailleurs par des conditions agro-écologiques très diverses, lesquelles ont été analysées
par les organisations syndicales dès les années 1980 afin de proposer des systèmes de
production plus durables et respectueux de l’environnement fragile. Ces mouvements de
résistance ont adopté une orientation politique et scientifique fondée sur les principes de
l’agro-écologie, associés à la préservation de la biodiversité et à la souveraineté alimentaire.
Situé dans le Semi-aride, le territoire a connu par ailleurs de fortes sécheresses dans les
années 1990 ayant amené syndicats et organisations locales à se mobiliser pour obtenir un
soutien institutionnel. Les actions articulées par les organisations de la société civile ont de
ce fait permis d’obtenir la formulation de politiques publiques de soutien à l’Agriculture
Familiale tenant compte des spécificités territoriales.
L’objet de notre étude consiste donc à analyser en quoi la position spécifique émanant de
la société civile, c’est-à-dire des agriculteurs, syndicats et organisations locales a pu
constituer un appui ayant permis aux familles paysannes d’avoir accès aux circuits de
commercialisation et de reconstituer leurs propres stratégies d’insertion. Dans quelle mesure
pouvons-nous aussi considérer que les politiques publiques formulées à l’issue de ces
mobilisations ont- eu une influence sur les logiques et pratiques de commercialisation des
familles paysannes ?
2
Hypothèses
Nous partons du présupposé, qu’il existe une construction sociale des marchés que nous
pouvons aussi qualifier de « stratégie d’organisation », motivée par un objectif commun qui
est la vente de produits. Cette stratégie est construite en grand partie, en fonction des
modalités d’entrée dans chacun des circuits. Le degré de contrôle social qui y est exercé par
les familles varie en fonction de ces modalités mais également en fonction de la volonté de
coopération et la capacité d’organisation des familles. Par ailleurs les politiques publiques
peuvent constituer des instruments d’appui à cette construction sociale et seront donc de ce
fait au cœur de notre travail.
Objectifs du travail de recherche
L’objectif général consiste à conduire une étude socio-économique des stratégies de
commercialisation des agriculteurs familiaux à partir de l’analyse de la construction sociale
des marchés. Plus spécifiquement nous chercherons à :
 Comprendre le fonctionnement des différents canaux de commercialisation
(modalités d’accès aux marchés) et, dans la mesure du possible, évaluer leur
pérennité et leur complémentarité.
 Vérifier si, les actions des organisations locales ont influencé la formation de
politiques publiques adaptées aux problématiques de la région, et si par ailleurs, ces
mutations ont eu une influence sur la capacité d’organisation des familles pour la
commercialisation de leur production.
 Caractériser et évaluer les « stratégies » adoptées par les familles (individuelles et
collectives) pour pouvoir commercialiser dans un ou plusieurs circuits.
 Evaluer en quoi les apprentissages de ces expériences de commercialisation
peuvent renforcer l’Agriculture Familiale en particulier les liens entre agriculteurs.
La théorie de la réciprocité
En ethnologie ou anthropologie, la réciprocité a désigné pendant longtemps les prestations
mutuelles de biens et services des communautés indigènes et paysannes. Synonyme de
3
« solidarité » ou de « mutualité » la réciprocité nait des actes réflexifs entre deux personnes
ou deux groupes de personnes, par lesquels se tissent des liens sociaux. Temple (2003) a
renouvelé la théorie de la réciprocité en montrant que son analyse permet en effet d’aller au-
delà du simple don et contre don, dans la mesure où les relations de réciprocité symétriques
engendrent des valeurs affectives et éthiques entre les partenaires (Sabourin, 2014).
Karl Polanyi (1957) distingue la réciprocité comme une forme d’intégration sociale, souvent
associée à la redistribution mais qui se différencie de l’échange. Selon cet auteur ces trois
formes coexistent dans presque tous les systèmes économiques, bien que l’une d’entre elle
prédomine toujours dans un système donné (Sabourin, 2007) :
Polanyi (1957) caractérise la réciprocité comme des « mouvements entre points de
corrélation de groupes sociaux symétriques ». La redistribution correspond à « des
mouvements d’appropriation en direction d’un centre puis de celui-ci vers l’extérieur », tandis
que l’échange désigne « des mouvements de va-et-vient tels que ceux coexistant dans un
système marchand ». Selon l’auteur la réciprocité et la redistribution sont des formes de
transactions économiques qui s’éloignent de l’échange, en raison de leur insertion
(embeddedness) dans des valeurs sociales ou humaines (Sabourin, 2007).
Dominique Temple (2003) différencie également la relation de réciprocité de celle d’échange,
par la valeur éthique que celle-ci produit. L’auteur explique que dans une économie de
réciprocité, il existe une relativisation mutuelle des consciences par la volonté des deux
partenaires de les confronter. En étant capable d’intervertir leur position respective, le don et
le contre/don qu’émettent deux sujets comportent alors aussi un « souci pour l’autre ». De ce
fait, la réciprocité, produit un lien social, se différenciant du simple échange dans lequel n’est
perçu que la valeur monétaire de l’objet (Sabourin, 2007).
Selon Temple, dans le cas où les relations de réciprocité sont équilibrées et symétriques
elles engendrent en sus des valeurs matérielles, des valeurs affectives (amitié) ou éthiques
telles que la confiance, le respect mutuel ou la responsabilité.
« Le don réciproque ne s’enferme pas dans la satisfaction d’un intérêt privé fut il supérieur,
et ne se borne pas à un imaginaire particulier mais s’ouvre sur un sentiment, un état de
grâce, qui lorsqu’il a un visage se nomme l’amitié (Temple, 1997).
4
L’amitié, le « souci pour l’autre » est donc produit selon Temple à partir d’une relation de
face à face qu’il désigne comme étant une relation de réciprocité binaire symétrique. Celle-ci
peut être cependant asymétrique, lorsque le don a pour objet d’engendrer le prestige du
donneur et l’obligation ou la soumission du donataire (Sabourin 2007).
Méthodologie
Notre recherche s’est établie à partir d’une étude locale, réalisée dans l’un des quatre sous-
ensembles naturels de l’Etat de la Paraíba, portant le nom d’Agreste Paraíbano. Les
précipitations y sont faibles, pouvant aller de 400 à 900 mm par an, et font donc de
l’approvisionnement en eau un enjeu majeur pour l’agriculture. L’Agreste se décompose en
plusieurs microrégions ; au nord la partie du Curimataú, dans laquelle les activités
principales sont celles du bétail, de la culture du maïs, des haricots et du manioc. La partie
centrale qui a conservé le nom d’Agreste se caractérise par ses champs de pomme de terre,
de haricots, manioc, maïs, mais aussi par ses productions maraichères. La partie la plus au
sud, le Brejo est quant à elle la zone la plus humide et est par conséquent propice à la
production fruitière (Voir Carte en annexe 1) (Rosanna, 2015). Comme évoqué en
introduction, cette région présente des caractéristiques intéressantes pour notre étude du fait
de sa grande diversité agro-écologique. De fait, elle a d’ores et déjà fait l’objet de plusieurs
diagnostics et tests techniques de ses agrosystèmes1, lesquels ont alors favorisé
l’accompagnement et le développement des activités de l’agriculture paysanne.
La méthode a associé l’analyse de documents (études, rapports) et une série d’entretiens
auprès des acteurs de chaque catégorie de marchés et des agriculteurs familiaux. Les
interviews ont été réalisées auprès des agriculteurs de quatre municipes2, Lagoa Seca,
Remígio, Areial et Esperança, situés dans la microrégion de l’Agreste. Pour réaliser cette
étude, nous avons été à la fois en contact avec des producteurs agro-écologiques et des
producteurs conventionnels étant donné que nous nous intéressons à l’ensemble des
agriculteurs familiaux de la région. Ont également été interrogés divers représentants
d’associations, coopératives d’agriculteurs et des autorités publiques (préfecture, services
publics, par exemple). L’objectif de ce procédé consiste à obtenir deux regards différents sur
1
Réalisés essentiellement par les équipes universitaires, le CIRAD, l’AS-PTA (Sabourin, 2007)
2
Il s’agit l’unité administrative de base au Brésil, équivalente à la municipalité ou à la commune
5
les circuits de commercialisation ; celui des agriculteurs, partant du bas vers le haut, ainsi
que celui des institutions porté du haut vers le bas.
Les différents entretiens avec les agriculteurs ont eu lieu sur leur propriété ou sur les
marchés agro-écologiques, premier circuit ici étudié. Pour évaluer et caractériser leurs
stratégies les questions posées se sont centrées principalement sur l’organisation de leur
travail, leurs circuits de vente, l’accès aux politiques publiques, les liens avec la vie
associative et syndicale ainsi que sur leur apprentissage et leurs projets d’avenir. Il s’agit
plus spécifiquement d’observer d’une part les mutations survenues dans la composition de la
production et par quoi elles se trouvent être motivées. Il convient aussi d’évaluer quels sont
les canaux jugés les plus accessibles, quel investissement social est requit de la part des
familles pour commercialiser à travers ces circuits et enfin de comprendre de quelle façon
les expériences individuelles et collectives (apprentissage et rapport à la nature) influent sur
les décisions prises par les agriculteurs pour la commercialisation de leurs produits.
Les entretiens avec les représentants d’associations, et les préfectures ont permis par
ailleurs de comprendre le fonctionnement des divers marchés ainsi que d’apporter un regard
extérieur sur l’organisation et les attitudes des agriculteurs face à ces marchés.
Nous avons de plus procédé à une typologie des circuits, qui déterminera les trois parties du
mémoire, à savoir la vente directe pour la distribution de produits agro-écologiques, les
modalités d’achats publics et les circuits longs de la grande distribution. Les agriculteurs
interviewés ont été choisis en fonction de leur participation dans tel ou tel circuit. Enfin, la
théorie de la réciprocité sera utilisée pour caractériser les relations sociales qui se forment
dans chaque circuit (construction sociale), et évaluer en quoi celles-ci jouent un rôle pour la
pérennité des échanges marchands. Elles seront aussi un indicateur pour l’évaluation du
degré de contrôle social détenu par les familles dans chaque circuit.
Annonce du plan
La première partie du mémoire effectue un retour sur le contexte économique et historique
de la région, permettant d’expliquer et de comprendre l’apparition des divers mouvements
sociaux. Pour comprendre l’organisation paysanne nous reviendrons également sur la
consolidation des actions de l’AS-PTA, l’ONG locale dans laquelle j’ai effectué mon stage, et
6
les syndicats, qui ont accompagné les agriculteurs depuis les années 1990. A partir de cela,
nous introduirons l’EcoBorborema, l’association des producteurs agro-écologiques qui s’est
implantée à partir du travail de la société civile. Elle nait en effet dans le but de coordonner
les premiers marchés de vente-directe des agriculteurs agro-écologiques de la région avec
lesquels les actions syndicales ont été conduites. Nous étudierons de même la façon dont
s’organisent les agriculteurs pour s’insérer sur ces marchés, au rôle que jouent les politiques
d’accès au crédit rural, et nous pencherons aussi sur les facteurs limitant la pérennité de
cette activité La deuxième partie se consacre entièrement aux deux dispositifs d’achats
publics du gouvernement brésilien : le Programme d’Acquisition d’Aliments (PAA) et le
Programme Nationale d’Alimentation Scolaire (PNAE). Nous nous intéresserons plus
spécifiquement à leurs modalités et à la façon dont ils s’appliquent sur le territoire de notre
étude. La deuxième sous-partie se consacre plus particulièrement aux perceptions des
familles sur ces circuits et aux méthodes d’organisation que ces derniers permettent de
développer. Nous dresserons dans la dernière partie, un panorama de deux circuits longs de
commercialisation, qui contrairement aux cas précédents, promeuvent une activité agricole
de type entrepreneurial. Il s’agit d’un système de vente de produits agro-écologiques sous
forme de produits biologiques coordonné par l’entreprise Fazenda Tamanduá, et d’une
coopérative d’aviculture, s’étant formée dans le but d’insérer les agriculteurs familiaux dans
les réseaux de grande distribution. De même, la construction sociale autour de ces marchés,
leur fonctionnement et leurs limites, seront analysés dans cette dernière partie.
1. L’action paysanne et syndicale à l’origine du modèle de
commercialisation des marchés agro-écologiques.
1.1 La consolidation de la société civile autour de l’agro-écologie
1.1.1 Retour historique sur les cultures prédominantes de la région
La culture de la canne à sucre et du coton ont été les deux cycles économiques
prédominants3 sur le territoire de la Paraíba. Dès le XVIème siècle, la culture de la canne à
sucre a constitué l’essentiel du revenu de la région et reste encore aujourd’hui l’activité
3
Le territoire de l’Agreste a aussi été marqué par les cultures de rente du tabac, du café, le ricin, le sisal, le coton, la pomme de
terre, l’élevage et l’anis (Lucas, 2010).
7
agricole prédominante sur les littoraux atlantiques du Brésil (Annexe 2 : Carte des cultures
agricoles au Brésil). Apparue dès le XVIIIème siècle, l’exploitation du coton s’est plus
généralement intensifiée dans la région à partir du XXème siècle, favorisant alors fortement
l’économie locale. Historiquement ville d’échange, Campina Grande4, a en effet été l’entrepôt
commercial de la région du Nordeste, où, grâce à la voie ferrée inaugurée en 1907, le coton
arrivait des zones de production du Sertão, pour être ensuite acheminée vers João Pessoa
et Recife situés sur la côte. Avant la Seconde Guerre Mondiale, ces marchandises étaient
massivement exportées vers l’Europe, principalement vers l’Angleterre et l’Allemagne pour
répondre aux besoins des industries textiles (Musée d’Histoire, Telegrafo Nacional, 2015
Campina Grande). Les industries locales se développent également à Campina Grande dès
1925, date à laquelle la première entreprise de coton fut fondée par l’industriel Dionisio
Marques de Almeida (Telegrafo Nacional, 2015).
La « révolution verte » (1960-1970) lancée par le régime militaire arrivé au pouvoir en 1964,
a contribué à l’enracinement du modèle agricole d’exportation, qui a par conséquent exclu
les petits producteurs du paysage rural. Cette nouvelle politique a en effet subventionné une
agriculture de type entrepreneurial, développée à partir de l’achat d’intrants (semences,
engrais, pesticides, machines) destinés à soutenir les cultures de rente. Dans la région du
Nordeste, les cycles du café, tabac, ricin, sisal, coton, pomme de terre et anis se sont ainsi
succédés, jusqu’aux années 1990.
1.1.2 Les mobilisations autour du projet de réforme agraire
L’opposition à ce modèle n’est apparue qu’avec le retour de la démocratie à partir de 1985,
symboliquement par le premier projet de Réforme agraire, appliqué par la Nouvelle
Constitution en 1988 (Sabourin, 2007). Dans la région du semi-aride, l’occupation des terres
et les négociations n’ont commencé que dans les années 1990 avec l’appui des syndicats,
de la CONTAG5, de l’Eglise Catholique, ou encore du Mouvement des Travailleurs sans
Terres (MST) fondé en 1985 (Sabourin, 2007). Avec le retour de la démocratie, les syndicats
retrouvent en effet leur fonction initiale6, c’est-à-dire celle de la défense des droits des
4
Situé à 130 kms de João Pessoa la capitale de l’Etat, Campina Grande est aujourd’hui une des villes majeures de la Paraíba
et compte un demi-million d’habitants.
5
Contag : Confédération Nationale des travailleurs agricoles créée en 1963
6
Crées durant la dictature militaire, leur rôle a été durant toute cette période limité à faciliter l’accès à l’assistance médicale.
8
travailleurs ruraux. En 1988, la Nouvelle Constitution octroie par exemple aux agriculteurs le
droit à la sécurité sociale, en reconnaissant le « régime d’économie rurale » (Costa Delgado,
2013).
A cette période, la région de l’Agreste était essentiellement dominée par la culture de la
pomme de terre et celle de l’anis, qui ne survivront pas aux sécheresses de 1993 et 1998.
Ces évènements provoqueront l’abandon de terres devenues improductives, détenues par
de grands propriétaires désormais endettés (Rosanna, 2015). Dans les années 1990,
l’occupation des terres de la région est menée essentiellement par les mouvements du MST,
du Département Rural de la Centrale Unique des Travailleurs (CUT), du Comité Pastoral de
la Terre du haut-Sertão (CPT) et parfois, des syndicats de travailleurs ruraux (STR) de
plusieurs municipes. Parmi les familles faisant l’objet de notre étude certaines d’entre elles
ont eu accès à des parcelles suite à la division d’anciennes fazendas en Projets de Réforme
Agraire ou assentamentos. Ces zones, les assentamentos, sont définies comme « des lots
de terres situées sur le domaine foncier public ou sur des terrains expropriés sur lesquels ont
été installées des familles sans terres à des fins d'agriculture » (Eloy, 2009). La redistribution
de ces terres est encore en cours au Brésil, bien qu’à un rythme ralenti.
1.1.3 Le travail de l’AS-PTA et du Pôle syndical
L’action syndicale dans la région de l’Agreste de la Paraíba s’est affirmée elle aussi à partir
des années 1990, à travers la valorisation d’expériences en agro-écologie réalisées sur les
municipes de Remígio, Solânea et Lagoa Seca. Les actions des syndicats de ces trois
municipes ont alors été articulées à celles de l’AS-PTA, par l’intermédiaire de la CUT Rurale
puis des STR et par la suite de la CONTAG, afin de rendre visible et de disséminer ces
expérimentations.
L’AS-PTA arrivée en 1993 dans la Paraíba, est une organisation non gouvernementale
fondée à Rio de Janeiro en 1983, composée d’une équipe de techniciens agronomes,
chargée d’accompagner les agriculteurs agro-écologiques de la région.
9
Le Pôle syndical du territoire de la Borborema7 (PSB), nait en 1996 à partir de l’articulation
des syndicats de cinq municipes, Solânea, Lagoa Seca, Remígio, Esperança et Alagoa
Nova, en lien avec l’AS-PTA. Les expériences déjà implémentées dans les trois premiers
municipes que nous venons de citer, sont alors débattues au sein du réseau. Le débat mène
ensuite à la réalisation de diagnostics participatifs territoriaux devant permettre d’élaborer un
plan de développement régional. De manière plus précise, ces diagnostics ont consisté à
établir un zonage agro-écologique, une typologie des systèmes de production familiale et à
conduire une étude des marchés ruraux (Sabourin, 2007). A partir des résultats, le travail
s’est établi autour de cinq thématiques prioritaires, les semences, l’eau, l’élevage, la santé et
l’alimentation des populations locales (Rosanna, 2015). Les expérimentations sont réalisées
par un ensemble d’agriculteurs-expérimentateurs (A-E), qui réalisent sur leur propre
exploitation les tests qui sont ensuite évalués et débattus. Aujourd’hui, Le Pole Syndical de
la Borborema (PSB) regroupe les syndicats de 15 municipes du territoire de l’Agreste, et
anime plusieurs commissions thématiques afin de favoriser le dialogue et animer les débats
autour des politiques publiques. Il existe une commission pour chaque thème, les semences
par exemple, qui a organisé un réseau de 80 banques de semences natives, ayant déjà
distribué 16.444 kilos de semences à 1691 familles, une commission pour l’eau dans
laquelle est débattue et organisée la construction de citernes à travers les programmes « Un
million de citernes (P1MC) » et « Une terre deux eaux (P1+2) », mais aussi des commissions
spécifiques pour valoriser le travail des femmes, échanger sur les pratiques de santé et
d’alimentation pour les populations locales, l’importance de la jeunesse pour l’agriculture,
mais aussi aborder le thème de l’accès aux marchés (Rosanna, 2015).
1.1.4 Formation de l’Articulation pour le Semi-aride (ASA)
Par leurs mobilisations, les organisations rurales appellent également au déploiement de
moyens techniques et financiers spécifiques pour la région du Semi-aride8. Lors de la
sécheresse de 1993, les organisations de la société civile, le PSB, l’AS-PTA, la CPT ou
7
Le Territoire de la Borborema couvre une superficie de 3.341 km2 et se compose de 21 municipes, à savoir, Algodão de
Jandaíra, Arara, Areial, Campina Grande, Esperança, Pilões, Puxinanã, Queimadas, Remígio, Serra Redonda, Solânea, Alagoa
Nova, Areia, Borborema, Casserengue, Lagoa Seca, Massaranduba, Matinhas, Montadas, São Sebastião de Lagoa de Roça e
Serraria (http://www.territoriosdacidadania.gov.br/)
8
Cette région de 969.589,4 km² s’étend sur neuf états du Brésil ; la Paraíba, Minas Gerais, Sergipe, Alagoas, Bahia,
Pernambouc, Rio Grande do Norte, Piauí et le Ceará et regroupe environ 22 millions de personnes. Les précipitations, faibles,
(200 à 800mm par an), sont aussi inégalement réparties dans le temps et l’espace, et s’évaporent très rapidement. Selon un
recensement démographique de l’IBGE, la situation aurait provoqué un exode rural de 520 000 personnes entre 2000 et 2010
(R.ASSIS, 2012).
10
encore le Programme d’Application de Technologies Appropriés (PATAC) soutiennent
l’action d’occupation de la Superintendance pour le Développement du Nordeste (SUDENE)9
à Recife. Suite à cela, les agriculteurs familiaux obtiennent dans un premier temps le droit de
vente de leur production à l’Entreprise de la Paraíba pour l’approvisionnement et les
Services Agricoles (EMPASA) de Campina Grande (Rosanna, 2015). Par ailleurs, ces
mouvements permettent peu à peu d’aboutir à la formation d’un réseau, par lequel les
organisations proposent des actions d’intervention. Il s’agit de l’Articulation du Semi-Aride,
(ASA) qui se forme dans un premier temps dans l’Etat de la Paraíba en 1993 (ASA-PB) puis
qui regroupera les organisations, communautés et paroisses et ONG10 des neufs états du
Semi-aride pour former l’ASA-Brésil en 1999. A l’issue de la Troisième Conférence des
parties de la Convention pour le Combat contre la désertification et la Sécheresse (COP3)
qui eut lieu à Recife en 1999, le forum de l’ASA propose la mise en place d’un premier
programme phare ; Le Programme « Un Million de Citernes » (P1MC). Le projet prévoir
l’installation de citernes qui puissent capter puis stocker l’eau de pluie, la rendant ainsi
consommable par les familles. Le soutien des bailleurs de fonds internationaux; ActionAid,
l’Union Européenne, le CCFD-Terre Solidaire entre autres, est d’abord obtenu avant que la
proposition ne passe véritablement à l’agenda politique en 2003, lors de l’arrivée au pouvoir
du Parti des Travailleurs (PT) (Rosanna, 2015). La proposition du P1M2 par la société civile
a été inspirée en parti du système de « Fonds Rotatifs Solidaires (FRS) » développé depuis
les années 1980 par les activités communautaires, paroissiales et sociales de la région
(Duque et al. 2010). Le premier FRS dans la Paraíba est apparu dans le municipe de
Soledade en 1993. Le système permet de mettre à disposition de la communauté un capital
de départ destiné à la construction d’un réservoir ou d’une citerne pour une famille, qui, en
effectuant le remboursement du bien acquis, octroiera à son tour les fonds nécessaires pour
la construction de la citerne de son voisin. Ce premier programme a été financé par le
Catholic Relief Service (CRS) et le Programme Mondiale pour l’Alimentation, puis exécuté
par le PATAC, le Syndicat des travailleurs ruraux (STR) et la paroisse locale (Duque et
al.2010). L’expérience a été ensuite disséminée par le réseau de l’ASA et s’est généralisée
au niveau de l’ensemble des communautés de la région. Les FRS sont utilisés pour le
9
La SUDENE est la Superintendance pour le Développement de la Région du Nordeste, fondée en 1959. Son siège est à
Recife, capitale de l’Etat du Pernambouc
10
Elles sont au nombre d’environ 700 aujourd’hui (R.ASSIS, 2012)
11
stockage de l’eau mais aussi pour créer des banques communautaires de stockage de
semences, des entrepôts de stockage pour le fourrage ou bien faire l’acquisition de têtes de
bétail. Ce système est donc de fait une alternative de financement plus adapté aux familles
que ne le sont généralement les lignes de crédit proposées par les banques.
Entre 2003 et 2014, 519.772 citernes ont été installées, bénéficiant à environ 2,25 millions
de personnes (Rosanna, 2014). Le succès du P1M2 a également abouti à la formulation d’un
deuxième programme : le P1+2, par lequel les familles bénéficiaires d’une première citerne
peuvent en obtenir une deuxième pour utiliser l’eau à des fins de production agricole. Depuis
2003, les unités de gestion locale (ONG ou organisations paysannes) membres de l’ASA,
reçoivent donc l’appui du gouvernement fédéral pour pouvoir procéder aux installations.
Celles-ci s’établissent le plus souvent à partir de la formation d’un système de fonds
communautaires (les FRS), qui implique alors la participation active des familles (Sabourin
2007). Ce fonctionnement tend ainsi à éviter les pratiques clientélistes des élus qui préfèrent
offrir les infrastructures afin d’en tirer des bénéfices électoraux immédiats (Diniz, Duqué,
Oliveira, 2003 in. Sabourin, 2007).
1.1.5 La reconnaissance institutionnelle de l’Agriculture Familiale et l’accès au crédit
rural
Les expériences à la base de cette étude ont été recueillies auprès d’une catégorie
d’agriculteurs qui, comme nous l’avons évoqué précédemment, a eu du mal à obtenir la
considération des pouvoirs publics. L’agriculture familiale n’a en effet été appuyée par une
politique différenciée qu’à partir de 1995 avec la mise en place sous le gouvernement
d’Henrique Cardoso du Programme National de Soutien à l’Agriculture Familiale (PRONAF).
Ce programme, largement amplifié sous le régime de Lula Da Silva dans les années 2000,
permet aux agriculteurs familiaux d’être reconnus à travers un régime spécifique, permettant
d’avoir accès à des crédits ruraux à des taux plus raisonnables et différenciés. L’Agriculture
Familiale n’a quant à elle été définie normativement dans le cadre de la Constitution qu’en
2006, par la loi n°11.366. Est alors reconnue comme agriculteur familial toute personne dont
le revenu principal est issu de l’activité économique exercée sur la propriété agricole établie
en milieu rural. La main d’œuvre employée doit être principalement composée par les
membres de la famille, lesquels participent également à la gestion de l’exploitation. Enfin, la
12
loi précise que la superficie de l’exploitation ne doit pas excéder 4 modules fiscaux11 (Selon
les informations recueillies dans l’article 3.de la loi n°11.326 établit par le Président Lula
Ignacio Da Silva publiée le 24 Juin 2006).
L’Organisation Mondiale pour l’Alimentation et l’Agriculture (FAO) a consacré en 2014 un
ensemble d’études à l’Agriculture Familiale, et en émet la définition suivante :
« L’agriculture familiale englobe toutes les activités agricoles reposant sur la famille, en relation avec de
nombreux aspects du développement rural. L’agriculture familiale permet d’organiser la production
agricole, forestière, halieutique, pastorale ou aquacole qui, sous la gestion d’une famille, repose
essentiellement sur de la main-d’œuvre familiale, aussi bien les hommes que les femmes. Dans les pays
en développement comme dans les pays développés, c’est la forme dominante d’exploitation agricole
qui produit l’essentiel de la production vivrière. » (FAO, 2015)
1.2 La création des marchés agro-écologiques sur le territoire de la
Borborema
1.2.1 Définition de l’Agro-écologie
« L’agro-écologie est une technique inspirée des lois de la nature. Elle considère que la pratique agricole
ne doit pas se cantonner à une technique, mais envisager l’ensemble du milieu dans lequel elle s’inscrit
avec une véritable écologie. Elle intègre la dimension de la gestion de l’eau, du reboisement, de la lutte
contre l’érosion, de la biodiversité, du réchauffement climatique, du système économique et social, de la
relation de l’humain avec son environnement » Pierre Rabhi
En tant que discipline scientifique, l’agro-écologie commence à être développée à partir des
années 1970 essentiellement par des chercheurs nord-américains. Elle permet de mettre en
relation les savoirs à la fois des scientifiques et des agriculteurs locaux, soucieux de
défendre un modèle de production opposé au modèle de l’agriculture chimique dédié
principalement à l’export. Michel Altieri définit en effet l’agro-écologie comme étant « la
science de la gestion des ressources naturelles au bénéfice des plus démunis confrontés à
un environnement défavorable » (France Culture, 2012).
Il expose par ailleurs cinq principes sur lesquels elle se fonde, le renouvellement de la
biomasse et l’entretien de la fertilité des sols, la minimisation des pertes en énergie solaire
11
La superficie d’un module fiscal varie selon les régions et est défini par chaque municipalité. Par exemple, dans la région du
Brejo (Etat de la Paraíba) un module fiscal équivaut à 10 hectares tandis que dans la région du Sertão celui-ci représente déjà
100 hectares.
13
en air et en eau, la diversification génétique dans le temps et l’espace, la valorisation des
interactions biologiques et la lutte contre les ennemis de la culture. (Wéry, Doré, 2010)
1.2.2 Apparition et institutionnalisation des marchés agro-écologiques
Au début des années 2000, les syndicats constatent que le nombre d’agriculteurs agro-
écologiques a augmenté de manière significative. A l’occasion de Noël, en 2001, les
agriculteurs du Municipe de Lagoa Seca organisent avec le soutien du Syndicat une
campagne nommée « Um Natal sem Veneno » (« Noël sans poison »). Cette campagne se
présente sous la forme d’un marché agro-écologique et marque une opposition claire à
l’agriculture conventionnelle qui permet l’usage de pesticides. A la suite de l’évènement et au
vu de son succès, les agriculteurs du municipe décident alors de rendre le marché
permanent. A partir de cette initiative, le Pôle syndical décide de constituer un réseau de
marchés agro-écologiques dans les municipes voisins de Lagoa Seca. Cette décision a
permis à plusieurs producteurs de la région de commencer à commercialiser leurs produits
dès 2003 près du Musée du Coton à Campina Grande. Puis les municipes de Massaranduba
en 2005, Esperança et Solânea en 2004, Remígio et Catolê, à Campina Grande en 2006 et
Alagoa Nova en 2008 ont également organisé leurs propres marchés locaux (Carte du
territoire en annexe 1). L’émergence progressive des marchés agro-écologiques a aussi
incité les agriculteurs et les syndicats à débattre autour d’un moyen de consolidation de ce
réseau afin d’en assurer la pérennité (photo en annexe 3). Parallèlement, une association de
producteurs s’est donc formée afin de faciliter l’organisation et les processus de formation
des agriculteurs (Diego.F, 2015).
L’Association des Agriculteurs et Agricultrices Agro-écologiques du Territoire de la
Borborema ; l’EcoBorborema s’est ainsi formée en avril 2005 à Lagoa Seca. Il s’agit d’une
structure associative répondant à la fois aux principes d’économie sociale et solidaire (ESS)
et de commerce équitable.
Paul Singer définit l’ESS comme étant :
« Un ensemble d’expériences collectives de travail, de production, commercialisation et crédit,
organisées selon des principes solidaires sous la forme de coopératives, associations de producteurs,
14
entreprises autogérées, banques communautaires et diverses organisations populaires rurales et
urbaines » (in Sabourin, 2014).
Il s’agit aussi pour Singer d’« un mode de production qui se caractérise par l’égalité. Par
l’égalité de droit, les moyens de production sont propriété collective de ceux qui les utilisent
(…) les activités d’économie sociale et solidaire sont gérées par les propres travailleurs
collectivement de forme entièrement démocratique (…) » (interview à Paul Singer par Paulo
de Salles Oliveira, 2008). Dans le cas de l’EcoBorborema, nous assistons en effet à une
organisation au sein de laquelle les agriculteurs s’autogèrent dans un but commun qui est
celui de commercialiser par la vente directe, la production de l’ensemble des membres. Le
choix de ce circuit constitue en soi une stratégie d’autonomie des producteurs. La vente
directe permet à l’agriculteur de fixer ses propres prix, sans dépendre des conditions des
intermédiaires. La définition que propose Diaz Pedregal (2006) du au commerce équitable :
« Il prétend contribuer au développement durable en offrant de meilleures conditions
commerciales et en garantissant les droits des producteurs et des travailleurs marginalisés,
en particulier dans les pays du Sud 12», correspond de fait aux principes auxquels souhaite
répondre l’EcoBorborema.
Dix ans après sa création cette association rassemble un total de 120 producteurs dispersés
sur 16 municipes du territoire de l’Agreste. La cohésion sociale s’établit grâce à la
participation des membres aux marchés agro-écologiques, mais aussi par les réunions
auxquelles sont tenus de participer les membres. Les réunions permettent de décider
collectivement du fonctionnement des marchés agro-écologiques (stands identiques, port de
tabliers et casquettes, identification des produits non commercialisables etc.) et de définir
l’exercice du contrôle appliqué sur la production commercialisée. L’EcoBorborema élit une
commission chargée de réaliser des visites sur les propriétés afin de garantir la qualité de la
production. Celle-ci se compose de plusieurs agriculteurs membres ainsi que de techniciens
agronomes de l’AS-PTA et du Pôle Syndical.
La période à laquelle se forme l’association de l’EcoBorborema, coïncida avec l’instauration
de la régulation de la culture et commercialisation des produits biologiques par la loi 10.831
12
Ele pretende contribuir ao desenvolvimento sustentável oferecendo melhores condições comerciais e garantindo os direitos
dos produtores e dos trabalhadores marginalizados, em particular nos países do Sul do planeta (DIAZ PEDREGAL, 2006, p.
13, tradução livre do francês)
15
du 23 décembre 2003, entrée en vigueur le 27 décembre 200713 (MAPA, 2015). Cette loi
régit la certification dont bénéficie les producteurs de l’association, et pour laquelle la
commission réalise un contrôle.
1.2.3 La certification OCS
Le système régissant les marchés de l’association de l’EcoBorborema, est la certification
appelée Organisation de Contrôle Social (OCS), insérée dans le décret Nº 6.323 de 2007.
L’OCS est définie dans ce décret national comme étant :
« Un groupe, une association, une coopérative ou un consortium, avec ou sans
personnalité juridique, préalablement enregistré au MAPA, auquel est lié un agriculteur
familial en vente directe, avec un processus organisé de création de crédibilité à partir de
l’interaction entre des personnes ou des organisations, privilégiant la participation, le
compromis, la transparence et la confiance, et reconnu par la société14 » ( in.Cardonnat et al,
2014).
L’agriculteur détenteur de la certification de type OCS peut faire l’usage du label « Produit
biologique pour la vente directe effectuée par des agriculteurs familiaux affiliés et non soumis
à la certification » prévu pour certifier la production des agriculteurs familiaux. L’obtention de
cette certification ne nécessite pas de contrepartie financière de la part des agriculteurs mais
permet d’octroyer une certaine garantie aux consommateurs des produits issus de
l’Agriculture Familiale. Elle ne permet pas de vendre les produits dans les réseaux de
supermarchés, en dehors de l’Etat ou à l’exportation. Dans le cas de l’EcoBorborema, elle
permet aussi d’établir un prix de vente plus élevé, s’agissant de produits agro-écologiques.
De cette manière elle contribue elle aussi à établir un commerce plus juste entre le
producteur et le consommateur.
La certification constitue donc un pas de plus dans le processus de construction sociale
autour des marchés agro-écologiques. Elle réglemente en effet la vente directe par laquelle
des relations directes de proximité s’établissent entre producteurs et consommateurs, au-
delà de l’acte d’échange marchand. Cette situation de face à face peut donc institutionnaliser
13
Bien que la loi n’ait pas motivé la formation de l’association (D.Fernandes, 2015), sa création aurait été indispensable au
maintien des marchés agro-écologiques à partir de l’application de celle-ci en 2007.
16
une relation de réciprocité, par laquelle se produisent, le plus souvent de manière
inconsciente, des valeurs affectives et éthiques, telles que l’amitié, la reconnaissance
mutuelle, le respect, la fidélité (Sabourin, 2014). Il s’agit alors d’un autre degré dans la
construction de relations sociales durables entre producteurs et consommateurs.
1.2.4 L’accès au crédit et mécanismes communautaires et stratégies de production
La mobilisation des familles pour avoir accès à un appui institutionnel accessible et adapté
s’est révélée être une étape fondamentale de la construction sociale. L’accès aux politiques
publiques ou aux dispositifs d’aide communautaires permet en effet aux agriculteurs de
produire un excédent à la fois pensé et diversifié pour la commercialisation.
Au moyen du crédit PRONAF, la famille de Maria, membre de l’EcoBorborema depuis 2010,
a par exemple entrepris la construction de la maison, avant d’investir dans l’achat de bovins,
l’installation d’une clôture puis la plantation de cactus15 afin d’obtenir du fourrage pour les
animaux. Grâce à une visite organisée par l’AS-PTA et le PSB, dans la ville de Queimadas
cette agricultrice a également connu le fonctionnement de la citerne « calçadão » permettant
de stocker jusqu’à 52.000 litres d’eau (photo en annexe 4). Elle et son mari, décident alors
en 2010 de candidater pour bénéficier de la construction communautaire d’une citerne, grâce
au système de FRS. Ces nouvelles ressources ont alors largement encouragé la famille à
diversifier sa production. Sa composition auparavant limitée à celle du maïs, des haricots et
du manioc s’est en effet élargie par l’intégration de plusieurs fruits et légumes : la coriandre,
les salades, les choux, la betterave, les carottes, les aubergines, les tomates, le fruit de la
passion, le corossol entre autres16 en sus de la culture des plantes médicinales (photo en
annexe 5). En se diversifiant, la famille de Maria a acquis une autonomie lui permettant
d’assurer et de varier ses sources d’alimentation17. Rapidement, Maria a aussi pu produire
suffisamment pour commercialiser une partie de sa production sur le marché agro-
écologique de Remígio, bien que la sécheresse persistante des derniers mois, ait
considérablement restreint son offre sur ce marché.
15
Les cactus, résistants à la sécheresse possèdent une haute valeur nutritive et permettent de nourrir principalement les
bovins (ASPTA, 2013)
16
L’entretien réalisé avec l’agriculture a révélé l’existence d’une production extrêmement diversifiée, hormis durant les périodes
de sécheresse prolongée.
17
Cet aspect est très important pour la famille qui a par le passé connu la pénurie d’aliments
17
Lors du suivi effectué par l’AS-PTA au mois de mai, Maria disposait de sept produits
différents (en faible quantité), dont la totalité a cependant été vendue18 (se référer à l’annexe
6 pour les prix pratiqués, quantités vendues et revenus). L’élevage a aussi son importance
dans la stratégie d’autonomie familiale. Si la production avicole est essentiellement destinée
à la consommation personnelle, l’élevage d’ovins permet à la famille de conserver un
« patrimoine » commercialisable en cas de situation financière difficile. Dans le cas de Maria,
comme dans celui de plusieurs agriculteurs que nous avons pu interroger, l’acquisition
d’ovins de bovins ou de volailles s’effectue le plus souvent par le moyen de FRS. Pour
nourrir ces animaux l’agricultrice utilise la paille du maïs et le fourrage qu’elle produit elle-
même sur sa propriété. La présence du bétail sur la propriété permet en effet aux familles de
disposer du fumier pour les plantations et de conserver le lait pour la consommation de la
famille. Dans un précédent témoignage l’agriculture avait aussi précisé : « Pour moi, les
animaux sont comme un salaire. C’est avec l’argent de la vente des animaux que j’achète
des habits, des chaussures ou le matériel scolaire pour les enfants. C’est un petit coup de
pouce pour acheter des choses pour la maison ou pour nous. » (Maria, 26 mai 2010).
Comme nous l’avons évoqué en introduction, la culture intensive de la pomme de terre entre
les années 1970 et 1980 à entrainer, dans la région, la disparition de cette culture dans les
années 1990. Après dix ans sans production, l’AS-PTA et le PSB accompagnés du
Secrétariat Etatique du Développement Agricole et de la Pisciculture de Lagoa Seca
(SEDAP) décident en 2010-2011 de développer diverses expérimentations autour de cette
culture. Est alors proposé à trois agriculteurs des municipes de Lagoa Seca, Areial et
Montadas de semer trois variétés différentes sur leur propriété pour réaliser un premier test.
A partir de ce don de semences, les trois agriculteurs initient cette nouvelle culture sur leur
propriété et contribuent par ailleurs à la formation de nouveaux stocks de semences,
destinés à être à nouveau distribuer à divers autres agriculteurs ; il s’agit là aussi d’un
fonctionnement de fonds rotatif solidaire (FRS). Ces expériences ont été initiées à partir de
la Commission Territoriale de la Borborema en 2011, et avec le soutien de l’EMPRABA
(Entreprise Brésilienne d’Agronomie). Un réseau s’est ainsi constitué et a permis le partage
de plusieurs expériences concernant, la gestion des sols, le reboisement, la gestion des
18
1kg de salade, 1,5 kg d’épinards, 40 œufs, 2kgs de ciboulette, 6kgs de coriandre, 1,5kg d’Umbu et 2kgs de feuilles de choux
donnant un revenu total de 77 réais (22euros).
18
maladies, l’usage des bio fertilisants, la commercialisation et la conservation et le stockage
de la pomme de terre agro-écologique (AS-PTA, 2014). Moïses et Emilio sont par exemple
deux agriculteurs du municipe d’Areial ayant suivi ces formations en 2013 après avoir été
informés de l’activité do PSB et d l’AS-PTA. Ces deux agriculteurs ont eux aussi pu innover
sur leur propriété et diversifier grâce à l’accès à aux PRONAF B19 et au PRONAF « Semi-
aride ». Dans le cas d’Emilio, le crédit PRONAF a permis d’investir dans l’installation d’une
clôture, l’acquisition de bovins ou encore la construction d’une retenue d’eau. Grâce à la
mise en place par l’ASPTA et le PSB d’un autre FRS l’agriculteur dispose désormais aussi
d’un bio-digesteur et d’une citerne, respectivement depuis 2012 et 2002. Moïses, quant à lui
a pu planter des cactus, acquérir des porcins et volailles grâce aux lignes de crédit PRONAF
et a bénéficié en outre de la construction d’une citerne et de 1000 réais destiné à l’achat
d’ovins, grâce aux financements du gouvernement octroyés dans le cadre du programme
P1+2.
En 2014, 107 familles réparties sur 54 communautés des municipes d’Areial, Esperança,
Lagoa Seca, Lagoa de Roça, Montadas et Massaranduba, été insérées dans le projet. 1.033
caisses de semences avaient été distribuées, représentant une production de 212.716
tonnes et générant un revenu de 270.875 réais soit 77 392 euros20 (AS-PTA, 2014). Ce sont
en grande partie ces bons résultats qui ont incité l’EcoBorborema à former un projet PAA
agro-écologique pour pouvoir écouler les excédents de cette nouvelle production. Moïses et
Emilio, habitués à commercialiser essentiellement par les intermédiaires, y ont été intégrés :
« avec le PAA je peux vendre un sac de pomme de terre à 90 réais alors qu’un intermédiaire
ne me l’achète qu’à 30 réais ». (Moïses, 19 mai 2015). Ces deux agriculteurs
commercialisent essentiellement par le PAA et le PNAE de la Mairie d’Areial depuis 2011,
tandis que les producteurs d’ores et déjà membres de l’EcoBorborema
distribuent également sur les marchés agro-écologiques et traditionnels ou parfois pour des
entreprises locales (Dino, 17 mars 2015).
Si la diversité assure avant tout la sécurité alimentaire des familles, elle constitue aussi une
stratégie économique. Plusieurs des « feirantes » que nous avons rencontrés ont mis en
avant les avantages que présente la culture des « Hortaliças », c’est-à-dire des légumes.
19
PRONAF B et « semi-aride » sont deux modalités du PRONAF. Dans les années 2000 les modalités du PRONAF se sont
développés afin de proposer une offre de crédit plus adapté aux diverses situations des agriculteurs
20
Selon un taux de change de 1euro=3,51 réaux, Banque de France 26 juin 2015
19
Ivanaldo a acquis sa propriété sur le municipe de Remígio en 1989. A ses débuts il pratiquait
l’agriculture conventionnelle, jusqu’à ce qu’il prenne connaissance du travail de l’AS-PTA au
début des années 2000. Les techniciens de l’AS-PTA se sont occupés de la gestion des sols
et du reboisement de la propriété d’Ivanaldo, l’ayant convaincu de basculer vers la
production agro-écologique qu’il a rapidement évalué comme moins coûteuse21. Il intègre
également l’EcoBorborema et commence à commercialiser sa production dès 2006 sur le
marché de Remígio. L’agriculteur nous explique : « J’ai toujours cultivé des légumes car il y
a un marché garanti et un retour direct, c’est-à-dire toute l’année. Quand j’ai commencé à en
produire dans la région, il n’y avait pratiquement aucun agriculteur qui en cultivait.
Aujourd’hui nous devons être une vingtaine » (Ivanaldo, 28 mai 2015). Aujourd’hui Ivanaldo
possède environ 10 hectares divisés en deux terrains. Sa production est extrêmement
diversifiée22, et il projette de participer à la feira de Campina Grande, où les consommateurs
sont plus nombreux. Récemment il s’est installé sur le marché agro-écologique d’Esperança
tandis que sa femme est restée fidèle à celui de Remígio. Selon les relevés de l’AS-PTA,
Ivanaldo et Eliane obtiennent un revenu d’environ 500 réais (142 euros) sur le marché
d’Esperança et de 360 réais grâce à celui de Remígio (données recueillies le 22 mai 2015).
Parmi les 16 types de marchandise commercialisée, les salades, blettes, épinards et
concombres, plus rares sur les étalages, sont généralement écoulés dans leur quasi-totalité
et génèrent alors un revenu plus conséquent (voir tableau en annexe 6). Sur la propriété,
Ivanaldo et sa femme Eliane travaillent tous les deux sur les zones de culture mais
s’occupent principalement de préparer la pulpe, et les plats régionaux typiques ; la pamonha,
la canjica et le Beju, également commercialisés sur les marchés. Pour semer entretenir et
récolter l’ensemble de la production, Ivanaldo et Eliane ont par ailleurs trois employés à plein
temps.
Nous avons également rencontré deux agriculteurs du municipe de Lagoa Seca pratiquant
cette même stratégie. Pedro est un agriculteur faisant parti de l’association depuis ses
débuts, et a participé activement à la lutte syndicale pour la reconnaissance de l’agro-
écologie. Il affirme avec assurance « S’il n’y a pas suffisamment de quantité et de variété
sur l’étalage, le client ne viendra plus » (Pedro, 6 mai 2015) La constance de l’offre est pour
21
Les agro-toxiques utilisés dans l’agriculture conventionnelle étant chers
22
Salades, Coriandre, Radis, Blettes, concombre, aubergines, oignons, carottes, choux, noix de coco, goyave, cerises des
Antilles, épinards, manioc et autres.
20
lui déterminante car elle engendre la confiance avec le consommateur ; cette valeur éthique
assurant ainsi une certaine pérennité pour la commercialisation. Pedro est un agriculteur qui
accorde également une grande importance à la diversification des circuits. Il participe lui-
même à trois marchés agro-écologiques à Campina Grande, Lagoa Seca et João Pessoa,
tandis que sa femme commercialise sur deux autres marchés agro-écologiques à Campina
Grande. Cet agriculteur commercialise aussi à travers le PAA et la Fazenda Tamanduá que
nous étudierons dans le deuxième et troisième chapitre. Diversifier au maximum les circuits
est pour lui une manière d’assurer d’avoir toujours un débouché pour commercialiser sa
production.
Nelson est quant à lui présent sur la feira de Campina Grande ainsi que celle de Lagoa Seca
auxquelles il participe depuis environ cinq ans et qu’il valorise beaucoup. Comme Pedro, il
est conscient qu’il est important de diversifier à la fois l’offre et les débouchés. Nelson se
sent aussi très valorisé en effectuant lui-même la commercialisation de ses produits, et aime
le contact avec ses clients. La réciprocité binaire symétrique (face à face) dont nous parle
Temple permet alors de produire de l’humain (le « mana ») qui engendre à la fois l’amitié et
la fidélité. Nelson témoigne : « Avec mes clients je discute, je suis content de les voir. J’ai
mes clients habituels maintenant, il y’en a certains qui sont venus visiter ma propriété »
(Nelson, 21 mai 2015).
La suppression des intermédiaires, par lesquels il commercialisait l’ensemble de sa
production avant de s’associer, a aussi augmenté considérablement ses revenus. Pedro et
Nelson nous ont indiqué que leur revenu par marché oscille généralement entre 400 et 600
réais (soit 115 et 172 euros23). Cependant la sécheresse des derniers mois a
considérablement réduit l’offre de Nelson qui ne disposait que de quatre produits lors de la
visite du marché du mois de mai (salade, roquette, ciboulette et coriandre) lui octroyant un
revenu de 280 réais (80 euros).
La logique de diversification est dans certains cas combinée à une logique simplement agro-
écologique. Dino, actuel président de l’EcoBorborema, est un producteur installé sur une
23
Calculé à partir du taux de change de 1 euros = 3,51 réaux, de la Banque de France le 26/06/2015 (https://www.banque-
france.fr
21
zone d’assentamentos du municipe d’Esperança depuis 200724. En sachant, que le terrain
qu’il occupe est particulièrement favorable à la production d’agrumes, il y produit depuis son
arrivée oranges et citrons, en sus des cultures traditionnellement produites à savoir, les
haricots, la pomme de terre, le manioc, le maïs et la citrouille. Plus récemment Dino et Celi,
sa femme, ont commencé à investir beaucoup de leur temps dans l’apiculture, dont l’activité
a été motivée par la présence des orangers sur la propriété. En 2009, la famille accède à
une ligne de crédit PRONAF pour faire l’acquisition des installations et bénéficie par ailleurs
d’une citerne par l’intermédiaire du PSB (Dino, 22 mai 2014). L’année précédente Dino avait
également eu recours au PRONAF pour investir dans l’installation d’une clôture, d’un
système d’irrigation et l’achat des plants d’arbres fruitiers. Plus récemment, en 2014, la
famille a acquis une voiture grâce à la modalité du PRONAF « Plus d’Aliments », afin de
pouvoir se rendre plus facilement aux feiras, et a également pu bénéficier de la construction
d’un bio-digesteur25 grâce à un FRS. Grâce à cette innovation, la famille peut désormais
consommer le gaz qu’elle produit elle-même sur sa propriété.
Lors du suivi effectué sur le marché d’Esperança, Dino disposait d’environ de 100 kilos de
produits (quatre variétés d’oranges, fruits de la passion, mangues-roses, pommes de terre
douces et miel). Les deux tiers de sa marchandise ont été vendus, générant un revenu de
174 réais (soit une cinquantaine d’euros). La sécheresse persistante de ce premier semestre
de l’année 2015, ne lui permet pas d’offrir la totalité des produits qu’il cultive habituellement
sur sa propriété. Néanmoins, Dino participe également depuis peu, au projet de revitalisation
de la pomme de terre agro-écologique afin de pouvoir augmenter ses revenus et diversifier
sa production.
1.2.5 Les relations de réciprocité au sein du processus de commercialisation des
familles
Les relations de réciprocité sont comme nous l’avons évoqué dans l’introduction fondées sur
le principe de solidarité. Nous rappelons ainsi que pour Dominique Temple (2004) la
réciprocité se dévoile par « le redoublement de l’action ou de la prestation qui permet de
reconnaitre l’autre et de participer d’une communauté humaine ». Par la définition qu’il
24
Dans le cas de la famille de Dino, le terrain a été divisé en dix à la suite d’une expropriation. Chaque famille possède 6
hectares (AS-PTA, 2014).
25
Le bio digesteur fonctionne à partir du fumier des bovins
22
apporte, l’auteur met l’accent sur la dimension humaine qui la différencie de l’échange
marchand.
« On peut les confondre car l’échange est une relation d’intérêt, mais qui nécessite une réciprocité minimale.
L’échange renverse le mouvement de la réciprocité car au lieu de viser le bien d’autrui, il chercher la satisfaction
de l’intérêt propre » (Temple, 1999).
Dans le cas des agriculteurs du territoire de la Borborema, nous avons pu observer une part
de réciprocité associée aux transactions marchandes, en fonction des relations sociales ou
du statut de l’acheteur. Ainsi, dans les marchés de vente directe, la relation bilatérale de face
à face entre producteur et client engendre des liens sociaux qui peuvent se traduire en
gestes affectifs. Par exemple un prix plus bas est pratiqué auprès de la clientèle fidélisée
(Gonçalo, 20 mai 2015). Les produits destinés à cette clientèle reçoivent aussi une plus
grande attention, en étant par exemple mis de côté jusqu’à l’arrivée du client ou en étant
parfois directement transportés à domicile. Cette attitude témoigne de la reconnaissance du
producteur envers le consommateur, qui à son tour par sa fidélité contribue à la pérennité
sociale et matérielle de la prestation commerciale, même si celle-ci est régulée par l’échange
marchand. « Je garde ma plus belle marchandise pour les clients qui m’en achètent toutes
les semaines, et je leur vends également les bananes à 0,5 centimes moins cher » (Gonçalo,
25 mai 2015). Cette pratique de prix plus modéré s’installe aussi de façon naturelle par
principe de justice. Un agriculteur du marché d’Esperança justifie la baisse des prix en
période de sécheresse : « Il s’agit de faire un geste pour le consommateur, et nous savons
aussi qu’en fin de mois, c’est plus difficile pour tout le monde ».On retrouve associée à la
relation marchande cette préoccupation d’une prestation adaptée à la capacité financière de
l’acheteur. Il y a là une relation de réciprocité engendrant une valeur de justice.
Les marchés agro-écologiques, communément appelées « feiras » en portugais, constituent
aussi un espace où les relations de réciprocité s’établissent également entre les agriculteurs,
« feirantes ». Le troc ou la redistribution de marchandises est en effet une pratique courante
qui permet de répartir la production pour mieux satisfaire la clientèle. Ces pratiques de
répartition des produits comme celle de partage d’un stand (lorsqu’un agriculteur dispose de
peu de produits pour la vente) témoignent de relations de partage qui contribuent au
renforcement de la confiance entre les producteurs. Maria (26 mai 2015), qui participe au
marché de Remígio depuis 2010, raconte par exemple : « Parfois je me mets à vendre les
23
produits d’Anilda avec qui je partage souvent le stand car elle est toujours très occupée et
moi je dispose de peu de produits ». Maria est une agricultrice qui ne nous a pas caché la
grande reconnaissance qu’elle porte à Anilda, agricultrice et trésorière de l’EcoBorborema.
Elle a en effet connu l’association grâce à cette dernière, en commençant à participer aux
activités du syndicat de Remígio en 2010.
Il existe également des relations d’entraide pour le transport de la production au marché, par
le producteur disposant d’un véhicule ou encore le partage de conseils ou de références
techniques. « L’autre jour, Eliane, la femme d’Ivanaldo, m’a conseillé de produire plus de
carottes, de betteraves, et de courgettes car il y’a peu d’agriculteurs qui en vendent et cela
se vend donc mieux. C’est aussi grâce à eux que j’ai connu la feira agro-écologique. » (João,
25 mai 2015). Ces relations produisent le respect mutuel et l’amitié entre leurs prestataires et
renforcent non seulement le processus de construction sociale du marché, mais aussi la
pérennité du dispositif socio-politique et organisationnel mis en place autour de l’association
Ecoborborema. C’est bien en ce sens qu’il faut considérer la place des relations de
réciprocité : elles engendrent un lien social qui contribue à reproduire et maintenir le
dispositif de commercialisation à la fois entre les producteurs et entre producteurs et clients.
La solidarité qui se manifeste entre les agriculteurs correspond selon Eric Sabourin à des
pratiques institutionnalisées qui se trouvent à la base du fonctionnement des communautés
de la région du Nordeste semi-aride. (Sabourin, 2007) Il reprend à ce propos la définition de
Fichter (1967) qui désigne une communauté comme étant « un groupe territorial d’individus
maintenant des relations réciproques et utilisant des ressources communes pour satisfaire
des projets communs ».
La diversification de la stratégie de production grâce à l’organisation collective et aux
politiques sont les conditions par lesquelles les familles se sont situées dans une position
favorable pour anticiper leur stratégie de commercialisation. Les pratiques de réciprocité
favorisent en outre la reproduction sociale et contribueraient donc aussi à l’évolution de cette
stratégie.
24
1.2.6 Les Limites
Les sécheresses prolongées sont incontestablement un des problèmes majeurs pour la
pérennisation de l’activité des marchés agro-écologiques. Bien que disposant de citernes de
stockage, les agriculteurs disposant d’une faible capacité à s’approvisionner en eau lorsque
celles-ci sont vides, cessent dans certains cas de fréquenter les feiras une fois que leur
production devient trop faible. « Lorsque les citernes sont vides, je fais venir un camion-
citerne qui me livre de l’eau. Avec 200 réais, j’obtiens environ 9.000 litres que nous
consommons en un mois à la maison. Nous n’utilisons donc pas cette eau pour
l’agriculture. » (Moïses, 29 mai 2015).
En période de sécheresse, les producteurs qui demeurent présents sur les feiras sont
conscients que la baisse de leur offre dissuade de nombreux clients d’effectuer le
déplacement pour venir s’approvisionner sur leurs étalages. « En ce moment il y’a moins de
clients avec la sécheresse, beaucoup ne viennent plus » (Gonçalo, 20 mai 2015) Au mois de
juillet, lorsqu’arrive enfin la pluie, les agriculteurs restent cependant encore pénalisés par le
peu de passage des consommateurs. Gonçalo explique : « Pour ceux qui viennent, je baisse
encore les prix sinon les clients n’achètent pas car les fruits sont moins beaux et moins
sucrés en raison des précipitations » (Gonçalo, 20 mai 2015).
Lors des sécheresses prolongées, citernes et barrages deviennent insuffisants pour
approvisionner les familles en eau, et empêchent alors celles-ci de maintenir leurs cultures.
Quand les agriculteurs en ont la possibilité, ils entreprennent alors des investissements plus
conséquents pour améliorer leurs infrastructures de stockage en eau. Pedro
témoigne: « J’ai fait construire deux puits il y’a environ 12 ans, et ces trois dernières années
j’ai investi plus de 100.000 réais dans la construction du barrage de deux nouveaux puits et
l’agrandissement des deux précédents. Sur les quatre, il n’y en a plus que trois qui
fonctionnent, et j’ai aussi dû vendre les poules et des bovins pour pouvoir compléter »
(Pedro, 2015). Beaucoup d’agriculteurs ne peuvent cependant pas se permettre de réaliser
ses investissements. Maria, nous expliquait : « Avec la sécheresse, j’ai pris du retard pour le
remboursement le prêt de la maison. Du coup je n’ose pas demander un nouveau prêt ne
serait-ce que pour acquérir une voiture. Cela serait pourtant plus pratique pour que je me
rende au marché le vendredi. » (Maria, 26 mai 2015).
25
Dans le cas des marchés d’Esperança et Lagoa Seca, la localisation du marché semble par
ailleurs désavantageuse pour les producteurs. Ces derniers se trouvent en concurrence
directe avec les feirantes du marché traditionnel, qui a lieu le même jour, le samedi. Ces
deux marchés agro-écologiques sont de plus, situés dans des coins reculés et bénéficient
donc peu du mouvement créé par le marché traditionnel. De fait, nous avons rencontrés sur
le marché traditionnel un producteur de l’EcoBorborema préférant vendre ces produits agro-
écologiques sur ce marché conventionnel plutôt qu’aux côtés de ses collègues : « Je préfère
rester ici, là où mes clients sont habitués à me trouver » indique-t-il. Les producteurs que
nous avons interviewés ont aussi remarqué que beaucoup de consommateurs, peu
informés, privilégient l’achat de la marchandise « présentant bien » aux produits agro-
écologiques souvent plus petits ou moins bien présentés. Lors des réunions, Nelson
Ferreira, président du Syndicat de Lagoa Seca a de ce fait proposé aux agriculteurs, de faire
« un effort marketing » sur le point de vente, en prenant par exemple soin des stands, en
faisant de la communication pour souligner l’importance de consommer des aliments sains,
ou encore en se montrant plus assidus face aux règles de l’EcoBorborema. En effet, peu
d’agriculteurs rendent par exemple visible leur certification OCS sur le point de vente, ce qui
est pourtant obligatoire. Récemment, le marché d’Esperança a donc été déplacé au vendredi
matin, sur la place principale de la ville en face du syndicat des travailleurs ruraux et de
l’Eglise. Cette décision a eu des difficultés à être prise en raison du désaccord de deux
agriculteurs.
En fin d’année 2014, l’équipe désignée pour la réalisation du contrôle des normes OCS a
aussi relevé plusieurs irrégularités en effectuant des visites sur diverses propriétés. Sur un
total de 27 visites faites à Alagoa Nova, Queimadas et Lagoa Seca, douze agriculteurs
n’étaient pas conformes aux normes de production ou de commercialisation. Parmi les cas
les plus alarmants se trouvaient la vente d’aliments OGM (transgéniques) sur le marché, en
l’occurrence de la semoule de maïs composant les plats préparés, l’usage de carbure de
calcium pour une maturation plus rapide des bananes, la vente de volailles et d’œufs non
produits par l’agriculteur certifié et non conformes aux règles de production agro-écologique,
la présence de pesticide pour insectes sur la propriété, ou encore le cas d’un agriculteur
menant une activité de commerce de pesticides en parallèle. Dans un premier temps, les
douze agriculteurs ont été suspendus du Programme d’Acquisition d’Aliments (PAA) de
26
l’EcoBorborema et ont reçu orientations et suggestions pour régulariser leur situation. Seuls
cinq agriculteurs, étant ceux accusés des faits que nous venons de donner en exemple, ont
nié et refusé de s’adapter. Par conséquent, les membres de l’association ont été tenus de
voter le jour de l’Assemblée Générale l’exclusion ou le maintien des cinq producteurs au sein
de l’Eco-Borborema. A l’issue du vote, il a été décidé la suspension de la participation des
cinq agriculteurs au PAA et l’exclusion définitive de trois d’entre eux de l’association. Dino,
qui en est le président, nous a fait part de sa déception quant à l’attitude de plusieurs
membres : « Certains ont des attitudes capitalistes. Ils sont rentrés dans l’association par
opportunisme sans partager les valeurs de notre association et ne viennent même pas aux
réunions » (Dino, 22 mai 2015). Les feiras de Campina Grande auxquelles participaient les
producteurs fautifs, ont un nombre bien plus important de consommateurs et la concurrence
entre agriculteurs y semble plus forte que sur les autres marchés. Nelson raconte par
exemple : « J’étais en colère lorsque j’ai vu qu’un de mes collègues m’avait acheté un
produit pour aller le revendre plus cher ». Cet incident ainsi que ce témoignage enseignent
donc que l’application régulière du contrôle social est bel et bien nécessaire en plus de
détenir un rôle clé pour le maintien de la cohésion du groupe et de ses valeurs.
L’EcoBorborema se définit comme étant « une organisation de principes éducatifs,
d’interaction et de coopérations à l’économie sociale et solidaire (Article 2 du Chap.1 de son
certification d’enregistrement). Elle vise par conséquent à unir les agriculteurs agro-
écologiques du territoire de la Borborema en promouvant des évènements de fraternisation,
des échanges d’expériences entre agriculteurs, mais aussi à garantir un appui technique
spécialisé, en favorisant l’élaboration de projets de développement et coopération ainsi qu’en
renforçant la capacité d’autogestion des membres pour faciliter l’écoulement de leur
production (Chapitre 2 du règlement de l’EcoBoroborema). Elle promeut donc des valeurs
éthiques de solidarité, de coopération qui puissent inspirer la confiance et engendrer la
réciprocité entre les membres. Pour atteindre ces objectifs, il est donc requis que l’ensemble
des membres adhère à ces valeurs en démontrant leur volonté de les promouvoir par leurs
actes et attitudes.
27
Elinor Ostrom (2003) énonce dans ses travaux comment peut se maintenir cette confiance :
« Le thème central de tous ces débats concerne les gains de l’association obtenus lorsque les individus sont
capables de développer la confiance en la réciprocité. Qu’ils viennent d’échanges sur le marché ou des relations
personnelles, ils dépendent de la volonté des individus à prendre des risques en faisant confiance aux autres. Le
fait que ce comportement de confiance soit mutuellement bénéfique et durable dépend de la fiabilité de ceux en
qui la confiance a été placée. » (In.Sabourin, 2012).
Ostrom souligne également l’importance de l’application de sanctions comme principe de
réciprocité en cas de non-respect des normes et valeurs. L’ecoBorborema prévoit dans son
règlement : « L’associé pourra être exclu en cas de non-respect du règlement et lorsqu’il
agira de façon contraire aux intérêts de l’association » (§4 du règlement). « Il s’applique une
peine de suspension à l’associé lorsqu’il manque de participer à trois réunions consécutives
sans justification (§5 du règlement).
Selon Ostrom et Walker (2003) :
« Les participants doivent avoir également un certain niveau de confiance dans la fiabilité des autres et êtres
disposés à mettre en œuvre d’amples stratégies de réciprocité. Si les participants ont peur que les autres
puissent profiter d’eux, personne ne va vouloir engager des actions couteuses, uniquement pour découvrir que
les autres ne pratiquent pas la réciprocité » (in.Sabourin, 2012)
Il revient en effet à l’EcoBorborema d’instaurer un dispositif permettant d’éviter les
irrégularités que nous avons mentionné précédemment. Les sanctions permettent en effet le
respect des valeurs et des principes de fonctionnement qui assure la cohésion sociale du
groupe. Sans ce maintien, l’association et les agriculteurs s’exposent à être discréditée et à
perdre le contrôle détenu sur le circuit.
En dépit des limites ici évoquées, ce canal de vente-directe a été une expérience par
laquelle les familles ont retrouvé confiance en leur capacité à produire, commercialiser et
innover au sein de leur propriété. Les politiques différenciées d’accès au crédit ont en outre
contribué aux déploiements de ces innovations en permettant ainsi aux familles de se
diversifier. Parallèlement, les marchés publics se sont eux aussi récemment ouverts à
l’agriculture paysanne. Par l’instauration de modalités d’accès spécifiques à l’Agriculture
Familiale, les familles ont pu bénéficier d’un canal de commercialisation supplémentaire
donnant lieu à de nouvelles méthodes d’organisation économiques et sociales.
28
2. Les politiques publiques d’appui pour la commercialisation de la
production agricole familiale
2.1. Les achats publics : modes de fonctionnement du PAA et du PNAE
2.1.1 Mise en place et modalités
Régi par la loi n°10.696 du 2 Juillet 2003, le Programme d’Acquisition d’Aliments (PAA) est
un des principaux dispositifs de la stratégie d’éradication de la faim et de la pauvreté « Faim
Zéro » mis en place par Lula dès 2003. Agissant à la fois comme une politique sociale et
agricole, le programme tend à encourager la production agricole familiale en la redistribuant
aux personnes les plus vulnérables au moyen d’un système d’achats publics. Pour accomplir
ces deux objectifs, la production est achetée de façon directe aux agriculteurs locaux
organisés en associations ou coopératives, et se redistribue sous forme de « dons
simultanées 26» aux institutions publiques locales (crèches et écoles, hôpitaux, restaurants
populaires, maisons de retraite). Cette politique d’inclusion économique et sociale tend de
fait à revaloriser l’agriculture familiale aux yeux de la société, et développe par ailleurs un
nouveau modèle de circuit court de commercialisation. Sambuichui souligne par exemple le
caractère responsable de ce système d’achats publics. Ses modalités répondent en effet aux
principes de l’Economie Sociale et Solidaire (ESS) et de l’Ecologie : les échanges qui en
découlent ont également un moindre impact sur l’environnement (réduction de l’usage
d’emballages, réduction du transport) (Sambuichi, 2014).
Le PAA est financé à 90% par le Ministère du Développement Social (MDS) et à 10% par le
Ministère du Développement Agraire (MDA). Le MDA transfert 100% des ressources à la
Compagnie Nationale d’Approvisionnement (CONAB) chargée de la supervision et de
l’exécution du programme. Le MDS alloue quant à lui 50% de son budget à la CONAB, et les
50% restants aux états et municipes détenant également les compétences pour mettre en
place les programmes d’acquisition d’aliments. Les décisions relatives à son application sont
prises par le Groupe Gestionnaire ainsi que le Conseil National pour la Sécurité Alimentaire
26
« Doações simultanêas » en portugais.
29
et Nutritionnelle (CONSEA)27. Ce conseil, rétablit en début de mandat par Lula, émet des
avis et propositions relatifs à l’exécution du PAA ayant une influence directe sur les mesures
prises par la Présidence (Porto, 2014). Ses deux tiers sont composés de représentants de la
Société Civile28 tandis que le tiers restant rassemble des représentants du gouvernement
fédéral. Le Groupe Gestionnaire regroupe quant à lui six ministères ; le Ministère du
Développement Agraire (MDA), le Ministère de l’Agriculture, de l’Elevage et de
l’Approvisionnement (MAPA), Le Ministère des Finances (MF), le Ministère de la Planification
du Budget et de la Gestion (MPOG) ainsi que le Ministère de l’Education (ME). Ce groupe
est alors chargé de définir les prix, variant en fonction des régions, les conditions de vente,
l’état dans lesquels doivent se trouver les dons et leur stockage et établit d’autre part les
critères de priorités pour l’accès au programme (Porto, 2014). Concernant les produits
biologiques ou agro-écologiques, le prix fixé doit être 30% supérieur au prix du même produit
conventionnel.
Bien qu’il existe en réalité cinq modalités de PAA29, nous nous concentrerons dans cette
étude à la modalité « Dons simultanés » par laquelle s’effectuer les PAA des municipes
auxquels s’est délimitée notre recherche. Cette modalité prévoit par l’intermédiaire de la
CONAB, la redistribution immédiate des aliments aux institutions réceptrices pour répondre à
la demande locale. Elle se différencie de la modalité « Formation de stocks » qui ne prévoit
pas la redistribution immédiate des denrées, mais s’apparente aux modalités « Achats-
Directs », « PAA-Lait » et « Achat-Institutionnels ». La modalité « Achats-Direct » est
réservée à l’achat de céréales (qui se fait en fonction de la hausse du prix de ces denrées) et
vise à la fois à former des stocks et à assurer une redistribution simultanée auprès de la
demande locale. Le « PAA-lait » vise par ailleurs à assurer la redistribution du lait des
agriculteurs familiaux de la région du Nordeste et du Minas Gerais, de façon directe auprès
des personnes en situation d’insécurité alimentaire ; l’Etat prenant en charge le processus de
certification pour assurer la qualité du lait. Enfin le PAA « Achats Institutionnels » permet aux
27
Ce Conseil a notamment permis l’approbation de la loi des produits biologiques de 2003, ou la loi de 2009 relatives à la place
de l’Agriculture Familiale dans le PNAE (PORTO, 2014). Il a également eu un rôle majeur dans la mise en place des
programmes P1MC et P1+2.
28
La présidence du conseil est automatiquement assurée par un représentant de la société civile
29
Les cinq modalités de PAA différentes sont les suivantes, Dons simultanés ou Achats-Dons, Achats directs, Formation de
Stocks, PAA lait et Achat Direct de Lait.
30
municipes et Etats de réaliser directement les achats auprès des familles, sans passer par
l’intermédiaire de la CONAB.
Pour simplifier la procédure et accélérer sa mise en place, les achats publics effectués dans
le cadre du PAA sont exemptés de passer par le processus habituel des appels d’offres, régi
par l’article 37 de la Constitution Fédérale Brésilienne. Toutefois les prix d’achats établis ne
peuvent être supérieurs à ceux du marché régional, et prennent pour référence ceux de la
CONAB. Les agriculteurs participants se doivent par ailleurs d’être en possession de leur
Document d’Aptitude au PRONAF (DAP) attestant de leur régime d’agriculteur familiale et
l’association doit également posséder le CNPJ, qui est le Registre National de Personne
Juridique (« Cadastro Nacional das Pessoas Juridicas ») (Sambuichi et al, 2014).
Il existe un montant maximum d’achats fixé par agriculteur. Celui-ci, limité à 2.500
réais/famille/an au début du programme est passé progressivement30 à 8.000 réais en 2014
(Sambuichi et al, 2014). Les agriculteurs souhaitant participer élaborent donc, souvent avec
l’aide d’un technicien du Secrétariat de l’Agriculture, d’une ONG, organisation sociale, ou
encore l’Entreprise d’Assistance Technique et de l’Extension Rurale (EMATER), une
proposition de l’offre dont ils disposent, soumise à l’unité exécutrice (la CONAB ou l’Emater
dans le cas d’un PAA municipal ou étatique). Parallèlement, il convient d’établir un accord
avec une ou plusieurs entités habilitées à gérer les dons ou redistributions d’aliments. A
partir de cela, le gouvernement libère les ressources, que transfère la CONAB à l’association
ou directement le MDS dans le cas des projets exécutés par un les autorités étatiques ou
d’un municipe. Le gouvernement remplit donc uniquement un rôle d’entremetteur entre l’offre
et la demande ; l’organisation et l’unité réceptrice assumant la responsabilité d’acheminer les
dons du lieu de production vers les bénéficiaires locaux.
Ce sont 5,35 milliards de réais qui ont été investi par le gouvernement fédéral entre 2003 et
2013 pour le déroulement et fonctionnement du programme (Porto, 2014). Ces dépenses ont
augmenté au fil des années, passant de 145 millions en 2003 à 838 millions en 2012
(Sambuichi, 2014). Le nombre d’agriculteurs intégrant le PAA a également été en constante
augmentation au fil des années, passant de 42.000 en 2003 à 185.000 en 2012 (Sambuichi,
2014). Son succès et ses expériences ont par ailleurs fortement encouragé et créer les
30
4.000 puis 6.500 réais
31
conditions pour apporter des modifications à la loi du Programme National pour
l’Alimentation Scolaire (PNAE) en 2009.
Le PNAE est également un programme d’achats publics d’aliments par lequel, en passant
par des appels d’offre, le gouvernement fédéral centralise les denrées alimentaires destinées
à être redistribuées, également sous forme de dons, aux institutions publiques scolaires
(Crèches, écoles maternelles, écoles primaires, collèges et centres d’éducation de jeunes et
d’adultes). Son application a eu pour origine la première campagne « Merenda Escolar »
(repas scolaires), s’étant transformée en véritable programme en 1955 par le décret
n°37.106 (Siliprandi, 2013). Celui-ci n’a véritablement inclus l’Agriculture familiale qu’à partir
de 2009, lors de la modification de la Loi n°11.947 de l’article 14. Elle établit depuis lors
qu’Etats et municipes sont tenus de s’approvisionner au moins à 30% auprès de l’Agriculture
Familiale pour l’achat des denrées alimentaires destinées aux crèches et écoles31. Les fonds
gouvernementaux proviennent du Fonds National pour le Développement et l’Education
(FNDE) rattaché au Ministère de l’Education et servent à rétribuer les agriculteurs pour la
marchandise qu’il délivre. Celle-ci est par la suite redistribuée sous forme de dons auprès
des écoles et crèche, soit par la Mairie soit par le Secrétariat de l’Education. Le budget total
alloué au programme est de 1,5 millions de dollars par an, dont 500 millions sont destinés
plus spécifiquement aux achats réalisés auprès de l’Agriculture Familiale. Il prévoit en outre
d’atteindre environ 45 millions d’élèves durant 200 jours de l’année (Siliprandi, 2013). Le
coût minimum d’un repas par élève et par jour est fixé à 0,30 réais et à 1 réal pour les
enfants des crèches. Néanmoins, les municipes et Etats sont tenus de compléter le budget
du FNDE lorsque cela s’avère nécessaire pour répondre aux exigences nutritionnelles
statuées par la loi32. Cette dernière comporte d’autre part des critères supplémentaires
permettant de distinguer les groupes prioritaires dans l’accès au programme. Pour répondre
aux appels d’offre, les projets constitués par les agriculteurs locaux, (c’est-à-dire au niveau
du municipe) doivent être étudiées en priorité, tout comme celles émanant des familles
d’assentados des projets de réforme agraire, des communautés indigènes et
« quilombolas » (noires) ou des descendants d’esclaves. Il existe par ailleurs une prévalence
31
Une nouvelle mesure avait tenté d’inclure la production agricole familiale au programme en 1994. Celle-ci ne resta cependant
en vigueur que peu de temps (Siliprandi, 2013)
32
La loi demande à ce que soient couverts environ 30% des besoins journaliers des enfants. Ce pourcentage varie selon que
l’établissement ait à fournir un, deux ou trois repas par jour (Résolution du 17 Juin 2013, FNDE-Ministère de l’Education
Nationale)
32
pour les groupes formels (associations, coopératives) sur les groupes informels (sous forme
individuelle) ainsi que pour les produits agro-écologiques ou biologiques sur les produits
conventionnels.
La mise en place du PNAE passe par le Secrétariat de l’Education rattaché à la Mairie
locale33 ou par l’EMATER lorsqu’il s’agit d’écoles d’Etat. Ils sont en effet chargés d’établir un
appel d’offre public spécifique pour l’agriculture familiale, spécifiant les denrées, les quantités
et les prix d’achats. Ces prix s’établissent selon une moyenne calculée à partir des prix
pratiqués sur au moins trois marchés locaux (obligation émise par la résolution 26 du 17 Juin
2013, Art. 29). Enfin, la limite de vente par agriculteur est de 20.000 réais (soit environ 7 715
euros) par an (Loi n°11.947 de l’article 14, 2009).
Tout comme le PAA, ces nouvelles mesures tendent à dynamiser la production locale en
garantissant un nouveau marché pour les agriculteurs. Le système d’appel d’offre
traditionnel sur lequel repose le PNAE incite en effet à acheter au prix le plus bas, sans
réellement se soucier de la qualité des produits. Les agriculteurs familiaux, ne possédant
généralement ni l’infrastructure ni les certifications sanitaires leur permettant de concourir
avec les grandes entreprises, sont alors dans l’impossibilité de passer par ce processus.
D’autre part, l’achat direct de produits à l’Agriculture familiale permet d’instaurer un circuit
court de commercialisation, grâce auquel il devient possible de consommer des produits
locaux, frais et plus sains dans les crèches et les écoles.
Le PAA et le PNAE en tant que politique publique introduisent une part de réciprocité dans
un dispositif d’échange marchand. Leurs modalités prévoient en effet une régulation des prix
afin de protéger les agriculteurs locaux de la libre-concurrence du marché d’échange.
L’intervention de l’Etat se justifie donc par la nécessité d’introduire une part de valeurs
éthiques, essentiellement d’équité, afin de pouvoir assurer l’apprentissage de l’accès au
marché des agriculteurs familiaux dans des conditions plus justes (Sabourin 2011).
33
Du nom de « Prefeitura » en portugais.
33
2.1.2 L’implémentation du PAA à l’échelle de notre étude
Pour réaliser une analyse des acquis et des limites du PAA sur le territoire de la Borborema,
nous nous sommes intéressés aux trois PAA de dons simultanés mis en place dans le
municipe de Remígio, puis au PAA régional de l’association de l’Eco-Borborema.
Au sein du municipe de Remígio, trois associations, accompagnées par Milena, coordinatrice
de projets du Secrétariat de l’Agriculture de Remígio, ont en effet établi un projet PAA avec
la CONAB. Il s’agit de l’Association Communautaire du Développement de Caiana
(ACODECA) qui regroupe douze participants, l’Association Communautaire Noire du
Camara (ACONCA), composée aujourd’hui de 18 agriculteurs ainsi que de l’Association
Communautaire de l’Agriculture Familiale de Massaranduba (ACAFAMA) comptant huit
agriculteurs. Ces associations se sont formées entre 2009 et 2010, regroupant à la fois
producteurs conventionnels et agro-écologiques34. Les entités réceptrices de la marchandise
sont Le Service Social du Commerce (SESC), qui redistribue ces aliments sous forme de
dons auprès de 43.000 personnes, le Centre de Référence et d’Assistance Sociale du
municipe de Remígio, dont l’assistance bénéficie à 2.247 personnes, ainsi que les crèches et
Ecoles du municipe. Le SESC est un organe social des entreprises du commerce formé en
1946 redistribuant les surplus d’aliments des supermarchés à des organisations à travers
son programme social Mesa Brasil. Il facilite la logistique du PAA en récupérant les denrées
alimentaires directement au domicile de l’association, de manière régulière (toutes les
semaines, tous les quinze jours ou tous les mois selon les produits disponibles). Cette
organisation reçoit d’autre part les produits du PAA issus des producteurs de
l’EcoBorborema pour effectuer le même service. De même, le SESC récupère les
« surplus » de produits des membres de l’association participants au PAA, généralement à la
fin des marchés agro-écologiques.
La mise en place du projet de PAA de l’EcoBorborema s’est faite en vue de créer un
débouché supplémentaire pour les feirantes, et aussi, comme nous l’avons évoqué
précédemment pour écouler les stocks de pomme-de-terre suite au succès du projet de
revitalisation de l’AS-PTA et du PSB. Moïses et Emilio, les deux agriculteurs d’Areial que
nous rencontrés y sont par exemple insérés depuis l’an dernier, et commercialisent en outre
34
Les producteurs agro-écologiques ne bénéficient pas d’un prix d’achat supérieur étant donné que l’association n’est pas
reconnue comme association agro-écologique.
Mémoire_Marlene_Pra_Acces_au_marche_agriculture_familiale2015
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  • 1. Mémoire Pour l’obtention du Master en Sciences Politiques Spécialité : Amérique Latine A Sciences Po Grenoble L’accès au marché des familles paysannes Logiques et stratégies de commercialisation des agriculteurs familiaux de l’Agreste de la Paraíba au Brésil Marlène Pra Août 2015 Orientée par : Eric Sabourin, Chercheur du Cirad et professeur à l’Université de Brasilia (UnB) Paulo Petersen, Directeur de l’AS-PTA
  • 2. Remerciements Je souhaite remercier en premier lieu Eric et Paulo, mes maîtres de stage, grâce auxquels j’ai eu l’opportunité de terminer mon master par une expérience qui me tenait beaucoup à cœur. Mon stage au sein de l’équipe de l’AS-PTA de la Paraíba m’a en effet permis de développer mon étude à partir des réalités du monde rural de la région Nordeste au Brésil que je désirais beaucoup pouvoir connaitre et étudier. Je témoigne aussi de l’admiration que je leur porte, quant à leur savoir et leurs expériences et partage toute la reconnaissance que j’ai envers Eric pour ses précieuses orientations dans la rédaction de mon mémoire. Je remercie aussi l’ensemble de l’équipe « accès au marché » de l’AS-PTA : Eliane, Diogenes, Afrânio et Joviano, dont le soutien et l’accompagnement ont été d’un grand apport. Je remercie de même l’ensemble des coordinateurs de l’équipe AS-PTA Marcelo, Luciano et Roberval, pour leur appui et leurs orientations, ainsi que Ramonildes, professeur de sociologie rurale à l’Université Fédérale de Campina Grande qui a facilité mon arrivée dans cette ville. Je tiens également à adresser mes sincères remerciements à l’ensemble du personnel de l’AS-PTA et du Pôle Syndical de la Borborema (PSB) pour leur amitié, leur bonne humeur et leur volonté de me faire découvrir les expériences et richesses de la région. Je remercie par ailleurs l’ensemble des agriculteurs Pedro, Alexandro, Ivanaldo e Eliane, João, Gonçalo, Moïses, Maria e Arturo, Diego, Nelson, Emilio, Dino, Eduardo et Eliso, d’avoir répondu avec intérêt et beaucoup de sympathie à mes questions. Je remercie aussi les différents représentants des institutions publics que j’ai eu l’opportunité de rencontrer : Milena, Roberto, Noemia, Annie, Soledade, José et Nicole, pour le temps qu’ils m’ont accordé et les nombreuses informations qu’ils ont accepté de partager. Je dédie mon mémoire à l’ensemble de ces personnes ainsi qu’à mes parents, eux aussi agriculteurs, pour leur précieux soutien et l’intérêt qu’ils portent à mes projets.
  • 3. Résumé Mots-clés : Agriculture familiale, agro-écologie, accès au marché, logiques et stratégie de commercialisation. La présente étude a été réalisée dans la région de l’Agreste de la Paraíba, située dans la partie Nordeste du Brésil. Elle a pour objet l’analyse de la construction sociale de marché des familles paysannes. Les logiques et stratégies de commercialisation ont été observées auprès de douze familles insérées ou en voie d’insertion sur un ou plusieurs circuits : la vente directe, les marchés d’achats publics et deux circuits longs de commercialisation. La réflexion porte sur les appuis qui s’avèrent indispensables à la consolidation de ces stratégies et cherche à évaluer la pérennité de l’activité de commercialisation des familles à travers une approche socio-économique.
  • 4. Sigles et Abréviations ASA Articulation pour le Semi-Aride AS-PTA Agricultura Familiar e Agroecologia EMBRAPA Entreprise Brésilienne de Recherche Agronomique EMATER Entreprise d’Assistance Technique et d’Extension Rurale FT Fazenda Tamanduá FRS Fonds Rotatif Solidaire CONAB Compagnie Nationale d’Approvisionnement CONTAG Confédération Nationale des Travailleurs de l’Agriculture COPAF Coopérative de la Paraíba d’Aviculture et d’Agriculture Familiale CPT Commission Pastorale de la Terre CUT Centrale Unique des Travailleurs MAPA Ministère de l’Agriculture de l’Elevage et de l’Approvisionnement MDA Ministère du Développement Agraire MDS Ministère du Développement Social MST Mouvement des Travailleurs Sans-Terre ONG Organisation non-Gouvernementale PAA Programme d’Acquisition D’aliments PATAC Programme d’Application de Technologies Appropriées PNAE Programme National pour l’Alimentation Scolaire PRONAF Programme National de Renforcement de l’Agriculture Familiale PSB Pôle Syndical du Territoire de la Borborema SEBRAE Service Brésilien d’Appui aux Micro et Petites Entreprises STR Syndicat des Travailleurs Ruraux SUDENE Superintendance du Développement du Nordeste
  • 5. Sommaire Introduction............................................................................................................... 1 Hypothèses .................................................................................................................... 2 Objectifs du travail de recherche .................................................................................... 2 La théorie de la réciprocité ............................................................................................. 2 Méthodologie.................................................................................................................. 4 Annonce du plan ............................................................................................................ 5 1. L’action paysanne et syndicale à l’origine du modèle de commercialisation des marchés agro-écologiques............................................................................... 6 1.1 La consolidation de la société civile autour de l’agro-écologie...................................... 6 1.1.1 Retour historique sur les cultures prédominantes de la région............................... 6 1.1.2 Les mobilisations autour du projet de réforme agraire ........................................... 7 1.1.3 Le travail de l’AS-PTA et du Pôle syndical............................................................. 8 1.1.4 Formation de l’Articulation pour le Semi-aride (ASA)............................................. 9 1.1.5 La reconnaissance institutionnelle de l’Agriculture Familiale et l’accès au crédit rural...............................................................................................................................11 1.2 La création des marchés agro-écologiques sur le territoire de la Borborema ..............12 1.2.1 Définition de l’Agro-écologie.................................................................................12 1.2.2 Apparition et Institutionnalisation des marchés agro-écologiques........................13 1.2.3 La certification OCS..............................................................................................15 1.2.4 L’accès au crédit et mécanismes communautaires et stratégies de production ....16 1.2.5 Les relations de réciprocité au sein du processus de commercialisation des familles..........................................................................................................................21 1.2.6 Les Limites ...........................................................................................................24 2. Les politiques publiques d’appui pour la commercialisation de la production agricole familiale .................................................................................................... 28 2.1. Les achats publics : modes de fonctionnement du PAA et du PNAE..........................28 2.1.1 Mise en place et modalités ...................................................................................28 2.1.2 L’implémentation du PAA à l’échelle de notre étude.............................................33 2.1.3 Le fonctionnement du PNAE au niveau des municipes d’Areial et Remígio..........36 2.1.4 Limites et avancées observées dans le déroulement du PNAE ............................38 2.2 Relations sociales au sein du PAA et du PNAE ..........................................................41 2.2.1 Modes d’insertion .................................................................................................41 2.2.2 Gestion de la concurrence et relations de réciprocité ...........................................43 2.2.3 Considérations finales ..........................................................................................44
  • 6. 3. Les circuits longs de commercialisation : une alternative adaptée ?............ 46 3.1. Commercialisation de la production agro-écologique locale par l’intermédiaire de l’entreprise Fazenda Tamanduá, distributrice de produits biologiques ..............................46 3.1.1 Modes de fonctionnement de l’entreprise Fazenda Tamanduá.............................46 3.1.2 Modes de fonctionnement du circuit et profil des agriculteurs...............................47 3.1.3 Perceptions des agriculteurs sur le circuit.............................................................48 3.1.4 Observations finales.............................................................................................50 3.2 Le projet d’Elevage Avicole Alternatif de la COPAF ...................................................51 3.2.2 Le Projet « Cooperar » .........................................................................................52 3.2.3 L’appui d’une pépinière d’entreprises ...................................................................54 3.2.4 Etude économique de la production avicole « alternative » ..................................55 3.2.5. Analyse de la construction sociale et observations finales...................................58 Considérations finales ........................................................................................... 61 Interviews................................................................................................................ 64 Bibliographie........................................................................................................... 65 Annexes................................................................................................................... 66
  • 7. 1 Introduction Cette étude propose d’analyser les logiques et stratégies de commercialisation des familles paysannes sur la période récente, des années 2000 à aujourd’hui. Elle concerne la microrégion de l’Agreste de la Paraíba, située dans la région du Nordeste du Brésil dans laquelle s’est déroulé mon stage de fin d’études. L’accès au marché des agriculteurs familiaux est un fait relativement nouveau. En effet, largement dominée par le modèle agricole d’exportation, l’agriculture familiale locale n’a réellement obtenu de visibilité dans le paysage rural qu’à la fin des années 1980, par la lutte pour la terre, puis à partir des années 2000 par l’accès différencié au crédit puis aux marchés. La région de l’Agreste se caractérise par ailleurs par des conditions agro-écologiques très diverses, lesquelles ont été analysées par les organisations syndicales dès les années 1980 afin de proposer des systèmes de production plus durables et respectueux de l’environnement fragile. Ces mouvements de résistance ont adopté une orientation politique et scientifique fondée sur les principes de l’agro-écologie, associés à la préservation de la biodiversité et à la souveraineté alimentaire. Situé dans le Semi-aride, le territoire a connu par ailleurs de fortes sécheresses dans les années 1990 ayant amené syndicats et organisations locales à se mobiliser pour obtenir un soutien institutionnel. Les actions articulées par les organisations de la société civile ont de ce fait permis d’obtenir la formulation de politiques publiques de soutien à l’Agriculture Familiale tenant compte des spécificités territoriales. L’objet de notre étude consiste donc à analyser en quoi la position spécifique émanant de la société civile, c’est-à-dire des agriculteurs, syndicats et organisations locales a pu constituer un appui ayant permis aux familles paysannes d’avoir accès aux circuits de commercialisation et de reconstituer leurs propres stratégies d’insertion. Dans quelle mesure pouvons-nous aussi considérer que les politiques publiques formulées à l’issue de ces mobilisations ont- eu une influence sur les logiques et pratiques de commercialisation des familles paysannes ?
  • 8. 2 Hypothèses Nous partons du présupposé, qu’il existe une construction sociale des marchés que nous pouvons aussi qualifier de « stratégie d’organisation », motivée par un objectif commun qui est la vente de produits. Cette stratégie est construite en grand partie, en fonction des modalités d’entrée dans chacun des circuits. Le degré de contrôle social qui y est exercé par les familles varie en fonction de ces modalités mais également en fonction de la volonté de coopération et la capacité d’organisation des familles. Par ailleurs les politiques publiques peuvent constituer des instruments d’appui à cette construction sociale et seront donc de ce fait au cœur de notre travail. Objectifs du travail de recherche L’objectif général consiste à conduire une étude socio-économique des stratégies de commercialisation des agriculteurs familiaux à partir de l’analyse de la construction sociale des marchés. Plus spécifiquement nous chercherons à :  Comprendre le fonctionnement des différents canaux de commercialisation (modalités d’accès aux marchés) et, dans la mesure du possible, évaluer leur pérennité et leur complémentarité.  Vérifier si, les actions des organisations locales ont influencé la formation de politiques publiques adaptées aux problématiques de la région, et si par ailleurs, ces mutations ont eu une influence sur la capacité d’organisation des familles pour la commercialisation de leur production.  Caractériser et évaluer les « stratégies » adoptées par les familles (individuelles et collectives) pour pouvoir commercialiser dans un ou plusieurs circuits.  Evaluer en quoi les apprentissages de ces expériences de commercialisation peuvent renforcer l’Agriculture Familiale en particulier les liens entre agriculteurs. La théorie de la réciprocité En ethnologie ou anthropologie, la réciprocité a désigné pendant longtemps les prestations mutuelles de biens et services des communautés indigènes et paysannes. Synonyme de
  • 9. 3 « solidarité » ou de « mutualité » la réciprocité nait des actes réflexifs entre deux personnes ou deux groupes de personnes, par lesquels se tissent des liens sociaux. Temple (2003) a renouvelé la théorie de la réciprocité en montrant que son analyse permet en effet d’aller au- delà du simple don et contre don, dans la mesure où les relations de réciprocité symétriques engendrent des valeurs affectives et éthiques entre les partenaires (Sabourin, 2014). Karl Polanyi (1957) distingue la réciprocité comme une forme d’intégration sociale, souvent associée à la redistribution mais qui se différencie de l’échange. Selon cet auteur ces trois formes coexistent dans presque tous les systèmes économiques, bien que l’une d’entre elle prédomine toujours dans un système donné (Sabourin, 2007) : Polanyi (1957) caractérise la réciprocité comme des « mouvements entre points de corrélation de groupes sociaux symétriques ». La redistribution correspond à « des mouvements d’appropriation en direction d’un centre puis de celui-ci vers l’extérieur », tandis que l’échange désigne « des mouvements de va-et-vient tels que ceux coexistant dans un système marchand ». Selon l’auteur la réciprocité et la redistribution sont des formes de transactions économiques qui s’éloignent de l’échange, en raison de leur insertion (embeddedness) dans des valeurs sociales ou humaines (Sabourin, 2007). Dominique Temple (2003) différencie également la relation de réciprocité de celle d’échange, par la valeur éthique que celle-ci produit. L’auteur explique que dans une économie de réciprocité, il existe une relativisation mutuelle des consciences par la volonté des deux partenaires de les confronter. En étant capable d’intervertir leur position respective, le don et le contre/don qu’émettent deux sujets comportent alors aussi un « souci pour l’autre ». De ce fait, la réciprocité, produit un lien social, se différenciant du simple échange dans lequel n’est perçu que la valeur monétaire de l’objet (Sabourin, 2007). Selon Temple, dans le cas où les relations de réciprocité sont équilibrées et symétriques elles engendrent en sus des valeurs matérielles, des valeurs affectives (amitié) ou éthiques telles que la confiance, le respect mutuel ou la responsabilité. « Le don réciproque ne s’enferme pas dans la satisfaction d’un intérêt privé fut il supérieur, et ne se borne pas à un imaginaire particulier mais s’ouvre sur un sentiment, un état de grâce, qui lorsqu’il a un visage se nomme l’amitié (Temple, 1997).
  • 10. 4 L’amitié, le « souci pour l’autre » est donc produit selon Temple à partir d’une relation de face à face qu’il désigne comme étant une relation de réciprocité binaire symétrique. Celle-ci peut être cependant asymétrique, lorsque le don a pour objet d’engendrer le prestige du donneur et l’obligation ou la soumission du donataire (Sabourin 2007). Méthodologie Notre recherche s’est établie à partir d’une étude locale, réalisée dans l’un des quatre sous- ensembles naturels de l’Etat de la Paraíba, portant le nom d’Agreste Paraíbano. Les précipitations y sont faibles, pouvant aller de 400 à 900 mm par an, et font donc de l’approvisionnement en eau un enjeu majeur pour l’agriculture. L’Agreste se décompose en plusieurs microrégions ; au nord la partie du Curimataú, dans laquelle les activités principales sont celles du bétail, de la culture du maïs, des haricots et du manioc. La partie centrale qui a conservé le nom d’Agreste se caractérise par ses champs de pomme de terre, de haricots, manioc, maïs, mais aussi par ses productions maraichères. La partie la plus au sud, le Brejo est quant à elle la zone la plus humide et est par conséquent propice à la production fruitière (Voir Carte en annexe 1) (Rosanna, 2015). Comme évoqué en introduction, cette région présente des caractéristiques intéressantes pour notre étude du fait de sa grande diversité agro-écologique. De fait, elle a d’ores et déjà fait l’objet de plusieurs diagnostics et tests techniques de ses agrosystèmes1, lesquels ont alors favorisé l’accompagnement et le développement des activités de l’agriculture paysanne. La méthode a associé l’analyse de documents (études, rapports) et une série d’entretiens auprès des acteurs de chaque catégorie de marchés et des agriculteurs familiaux. Les interviews ont été réalisées auprès des agriculteurs de quatre municipes2, Lagoa Seca, Remígio, Areial et Esperança, situés dans la microrégion de l’Agreste. Pour réaliser cette étude, nous avons été à la fois en contact avec des producteurs agro-écologiques et des producteurs conventionnels étant donné que nous nous intéressons à l’ensemble des agriculteurs familiaux de la région. Ont également été interrogés divers représentants d’associations, coopératives d’agriculteurs et des autorités publiques (préfecture, services publics, par exemple). L’objectif de ce procédé consiste à obtenir deux regards différents sur 1 Réalisés essentiellement par les équipes universitaires, le CIRAD, l’AS-PTA (Sabourin, 2007) 2 Il s’agit l’unité administrative de base au Brésil, équivalente à la municipalité ou à la commune
  • 11. 5 les circuits de commercialisation ; celui des agriculteurs, partant du bas vers le haut, ainsi que celui des institutions porté du haut vers le bas. Les différents entretiens avec les agriculteurs ont eu lieu sur leur propriété ou sur les marchés agro-écologiques, premier circuit ici étudié. Pour évaluer et caractériser leurs stratégies les questions posées se sont centrées principalement sur l’organisation de leur travail, leurs circuits de vente, l’accès aux politiques publiques, les liens avec la vie associative et syndicale ainsi que sur leur apprentissage et leurs projets d’avenir. Il s’agit plus spécifiquement d’observer d’une part les mutations survenues dans la composition de la production et par quoi elles se trouvent être motivées. Il convient aussi d’évaluer quels sont les canaux jugés les plus accessibles, quel investissement social est requit de la part des familles pour commercialiser à travers ces circuits et enfin de comprendre de quelle façon les expériences individuelles et collectives (apprentissage et rapport à la nature) influent sur les décisions prises par les agriculteurs pour la commercialisation de leurs produits. Les entretiens avec les représentants d’associations, et les préfectures ont permis par ailleurs de comprendre le fonctionnement des divers marchés ainsi que d’apporter un regard extérieur sur l’organisation et les attitudes des agriculteurs face à ces marchés. Nous avons de plus procédé à une typologie des circuits, qui déterminera les trois parties du mémoire, à savoir la vente directe pour la distribution de produits agro-écologiques, les modalités d’achats publics et les circuits longs de la grande distribution. Les agriculteurs interviewés ont été choisis en fonction de leur participation dans tel ou tel circuit. Enfin, la théorie de la réciprocité sera utilisée pour caractériser les relations sociales qui se forment dans chaque circuit (construction sociale), et évaluer en quoi celles-ci jouent un rôle pour la pérennité des échanges marchands. Elles seront aussi un indicateur pour l’évaluation du degré de contrôle social détenu par les familles dans chaque circuit. Annonce du plan La première partie du mémoire effectue un retour sur le contexte économique et historique de la région, permettant d’expliquer et de comprendre l’apparition des divers mouvements sociaux. Pour comprendre l’organisation paysanne nous reviendrons également sur la consolidation des actions de l’AS-PTA, l’ONG locale dans laquelle j’ai effectué mon stage, et
  • 12. 6 les syndicats, qui ont accompagné les agriculteurs depuis les années 1990. A partir de cela, nous introduirons l’EcoBorborema, l’association des producteurs agro-écologiques qui s’est implantée à partir du travail de la société civile. Elle nait en effet dans le but de coordonner les premiers marchés de vente-directe des agriculteurs agro-écologiques de la région avec lesquels les actions syndicales ont été conduites. Nous étudierons de même la façon dont s’organisent les agriculteurs pour s’insérer sur ces marchés, au rôle que jouent les politiques d’accès au crédit rural, et nous pencherons aussi sur les facteurs limitant la pérennité de cette activité La deuxième partie se consacre entièrement aux deux dispositifs d’achats publics du gouvernement brésilien : le Programme d’Acquisition d’Aliments (PAA) et le Programme Nationale d’Alimentation Scolaire (PNAE). Nous nous intéresserons plus spécifiquement à leurs modalités et à la façon dont ils s’appliquent sur le territoire de notre étude. La deuxième sous-partie se consacre plus particulièrement aux perceptions des familles sur ces circuits et aux méthodes d’organisation que ces derniers permettent de développer. Nous dresserons dans la dernière partie, un panorama de deux circuits longs de commercialisation, qui contrairement aux cas précédents, promeuvent une activité agricole de type entrepreneurial. Il s’agit d’un système de vente de produits agro-écologiques sous forme de produits biologiques coordonné par l’entreprise Fazenda Tamanduá, et d’une coopérative d’aviculture, s’étant formée dans le but d’insérer les agriculteurs familiaux dans les réseaux de grande distribution. De même, la construction sociale autour de ces marchés, leur fonctionnement et leurs limites, seront analysés dans cette dernière partie. 1. L’action paysanne et syndicale à l’origine du modèle de commercialisation des marchés agro-écologiques. 1.1 La consolidation de la société civile autour de l’agro-écologie 1.1.1 Retour historique sur les cultures prédominantes de la région La culture de la canne à sucre et du coton ont été les deux cycles économiques prédominants3 sur le territoire de la Paraíba. Dès le XVIème siècle, la culture de la canne à sucre a constitué l’essentiel du revenu de la région et reste encore aujourd’hui l’activité 3 Le territoire de l’Agreste a aussi été marqué par les cultures de rente du tabac, du café, le ricin, le sisal, le coton, la pomme de terre, l’élevage et l’anis (Lucas, 2010).
  • 13. 7 agricole prédominante sur les littoraux atlantiques du Brésil (Annexe 2 : Carte des cultures agricoles au Brésil). Apparue dès le XVIIIème siècle, l’exploitation du coton s’est plus généralement intensifiée dans la région à partir du XXème siècle, favorisant alors fortement l’économie locale. Historiquement ville d’échange, Campina Grande4, a en effet été l’entrepôt commercial de la région du Nordeste, où, grâce à la voie ferrée inaugurée en 1907, le coton arrivait des zones de production du Sertão, pour être ensuite acheminée vers João Pessoa et Recife situés sur la côte. Avant la Seconde Guerre Mondiale, ces marchandises étaient massivement exportées vers l’Europe, principalement vers l’Angleterre et l’Allemagne pour répondre aux besoins des industries textiles (Musée d’Histoire, Telegrafo Nacional, 2015 Campina Grande). Les industries locales se développent également à Campina Grande dès 1925, date à laquelle la première entreprise de coton fut fondée par l’industriel Dionisio Marques de Almeida (Telegrafo Nacional, 2015). La « révolution verte » (1960-1970) lancée par le régime militaire arrivé au pouvoir en 1964, a contribué à l’enracinement du modèle agricole d’exportation, qui a par conséquent exclu les petits producteurs du paysage rural. Cette nouvelle politique a en effet subventionné une agriculture de type entrepreneurial, développée à partir de l’achat d’intrants (semences, engrais, pesticides, machines) destinés à soutenir les cultures de rente. Dans la région du Nordeste, les cycles du café, tabac, ricin, sisal, coton, pomme de terre et anis se sont ainsi succédés, jusqu’aux années 1990. 1.1.2 Les mobilisations autour du projet de réforme agraire L’opposition à ce modèle n’est apparue qu’avec le retour de la démocratie à partir de 1985, symboliquement par le premier projet de Réforme agraire, appliqué par la Nouvelle Constitution en 1988 (Sabourin, 2007). Dans la région du semi-aride, l’occupation des terres et les négociations n’ont commencé que dans les années 1990 avec l’appui des syndicats, de la CONTAG5, de l’Eglise Catholique, ou encore du Mouvement des Travailleurs sans Terres (MST) fondé en 1985 (Sabourin, 2007). Avec le retour de la démocratie, les syndicats retrouvent en effet leur fonction initiale6, c’est-à-dire celle de la défense des droits des 4 Situé à 130 kms de João Pessoa la capitale de l’Etat, Campina Grande est aujourd’hui une des villes majeures de la Paraíba et compte un demi-million d’habitants. 5 Contag : Confédération Nationale des travailleurs agricoles créée en 1963 6 Crées durant la dictature militaire, leur rôle a été durant toute cette période limité à faciliter l’accès à l’assistance médicale.
  • 14. 8 travailleurs ruraux. En 1988, la Nouvelle Constitution octroie par exemple aux agriculteurs le droit à la sécurité sociale, en reconnaissant le « régime d’économie rurale » (Costa Delgado, 2013). A cette période, la région de l’Agreste était essentiellement dominée par la culture de la pomme de terre et celle de l’anis, qui ne survivront pas aux sécheresses de 1993 et 1998. Ces évènements provoqueront l’abandon de terres devenues improductives, détenues par de grands propriétaires désormais endettés (Rosanna, 2015). Dans les années 1990, l’occupation des terres de la région est menée essentiellement par les mouvements du MST, du Département Rural de la Centrale Unique des Travailleurs (CUT), du Comité Pastoral de la Terre du haut-Sertão (CPT) et parfois, des syndicats de travailleurs ruraux (STR) de plusieurs municipes. Parmi les familles faisant l’objet de notre étude certaines d’entre elles ont eu accès à des parcelles suite à la division d’anciennes fazendas en Projets de Réforme Agraire ou assentamentos. Ces zones, les assentamentos, sont définies comme « des lots de terres situées sur le domaine foncier public ou sur des terrains expropriés sur lesquels ont été installées des familles sans terres à des fins d'agriculture » (Eloy, 2009). La redistribution de ces terres est encore en cours au Brésil, bien qu’à un rythme ralenti. 1.1.3 Le travail de l’AS-PTA et du Pôle syndical L’action syndicale dans la région de l’Agreste de la Paraíba s’est affirmée elle aussi à partir des années 1990, à travers la valorisation d’expériences en agro-écologie réalisées sur les municipes de Remígio, Solânea et Lagoa Seca. Les actions des syndicats de ces trois municipes ont alors été articulées à celles de l’AS-PTA, par l’intermédiaire de la CUT Rurale puis des STR et par la suite de la CONTAG, afin de rendre visible et de disséminer ces expérimentations. L’AS-PTA arrivée en 1993 dans la Paraíba, est une organisation non gouvernementale fondée à Rio de Janeiro en 1983, composée d’une équipe de techniciens agronomes, chargée d’accompagner les agriculteurs agro-écologiques de la région.
  • 15. 9 Le Pôle syndical du territoire de la Borborema7 (PSB), nait en 1996 à partir de l’articulation des syndicats de cinq municipes, Solânea, Lagoa Seca, Remígio, Esperança et Alagoa Nova, en lien avec l’AS-PTA. Les expériences déjà implémentées dans les trois premiers municipes que nous venons de citer, sont alors débattues au sein du réseau. Le débat mène ensuite à la réalisation de diagnostics participatifs territoriaux devant permettre d’élaborer un plan de développement régional. De manière plus précise, ces diagnostics ont consisté à établir un zonage agro-écologique, une typologie des systèmes de production familiale et à conduire une étude des marchés ruraux (Sabourin, 2007). A partir des résultats, le travail s’est établi autour de cinq thématiques prioritaires, les semences, l’eau, l’élevage, la santé et l’alimentation des populations locales (Rosanna, 2015). Les expérimentations sont réalisées par un ensemble d’agriculteurs-expérimentateurs (A-E), qui réalisent sur leur propre exploitation les tests qui sont ensuite évalués et débattus. Aujourd’hui, Le Pole Syndical de la Borborema (PSB) regroupe les syndicats de 15 municipes du territoire de l’Agreste, et anime plusieurs commissions thématiques afin de favoriser le dialogue et animer les débats autour des politiques publiques. Il existe une commission pour chaque thème, les semences par exemple, qui a organisé un réseau de 80 banques de semences natives, ayant déjà distribué 16.444 kilos de semences à 1691 familles, une commission pour l’eau dans laquelle est débattue et organisée la construction de citernes à travers les programmes « Un million de citernes (P1MC) » et « Une terre deux eaux (P1+2) », mais aussi des commissions spécifiques pour valoriser le travail des femmes, échanger sur les pratiques de santé et d’alimentation pour les populations locales, l’importance de la jeunesse pour l’agriculture, mais aussi aborder le thème de l’accès aux marchés (Rosanna, 2015). 1.1.4 Formation de l’Articulation pour le Semi-aride (ASA) Par leurs mobilisations, les organisations rurales appellent également au déploiement de moyens techniques et financiers spécifiques pour la région du Semi-aride8. Lors de la sécheresse de 1993, les organisations de la société civile, le PSB, l’AS-PTA, la CPT ou 7 Le Territoire de la Borborema couvre une superficie de 3.341 km2 et se compose de 21 municipes, à savoir, Algodão de Jandaíra, Arara, Areial, Campina Grande, Esperança, Pilões, Puxinanã, Queimadas, Remígio, Serra Redonda, Solânea, Alagoa Nova, Areia, Borborema, Casserengue, Lagoa Seca, Massaranduba, Matinhas, Montadas, São Sebastião de Lagoa de Roça e Serraria (http://www.territoriosdacidadania.gov.br/) 8 Cette région de 969.589,4 km² s’étend sur neuf états du Brésil ; la Paraíba, Minas Gerais, Sergipe, Alagoas, Bahia, Pernambouc, Rio Grande do Norte, Piauí et le Ceará et regroupe environ 22 millions de personnes. Les précipitations, faibles, (200 à 800mm par an), sont aussi inégalement réparties dans le temps et l’espace, et s’évaporent très rapidement. Selon un recensement démographique de l’IBGE, la situation aurait provoqué un exode rural de 520 000 personnes entre 2000 et 2010 (R.ASSIS, 2012).
  • 16. 10 encore le Programme d’Application de Technologies Appropriés (PATAC) soutiennent l’action d’occupation de la Superintendance pour le Développement du Nordeste (SUDENE)9 à Recife. Suite à cela, les agriculteurs familiaux obtiennent dans un premier temps le droit de vente de leur production à l’Entreprise de la Paraíba pour l’approvisionnement et les Services Agricoles (EMPASA) de Campina Grande (Rosanna, 2015). Par ailleurs, ces mouvements permettent peu à peu d’aboutir à la formation d’un réseau, par lequel les organisations proposent des actions d’intervention. Il s’agit de l’Articulation du Semi-Aride, (ASA) qui se forme dans un premier temps dans l’Etat de la Paraíba en 1993 (ASA-PB) puis qui regroupera les organisations, communautés et paroisses et ONG10 des neufs états du Semi-aride pour former l’ASA-Brésil en 1999. A l’issue de la Troisième Conférence des parties de la Convention pour le Combat contre la désertification et la Sécheresse (COP3) qui eut lieu à Recife en 1999, le forum de l’ASA propose la mise en place d’un premier programme phare ; Le Programme « Un Million de Citernes » (P1MC). Le projet prévoir l’installation de citernes qui puissent capter puis stocker l’eau de pluie, la rendant ainsi consommable par les familles. Le soutien des bailleurs de fonds internationaux; ActionAid, l’Union Européenne, le CCFD-Terre Solidaire entre autres, est d’abord obtenu avant que la proposition ne passe véritablement à l’agenda politique en 2003, lors de l’arrivée au pouvoir du Parti des Travailleurs (PT) (Rosanna, 2015). La proposition du P1M2 par la société civile a été inspirée en parti du système de « Fonds Rotatifs Solidaires (FRS) » développé depuis les années 1980 par les activités communautaires, paroissiales et sociales de la région (Duque et al. 2010). Le premier FRS dans la Paraíba est apparu dans le municipe de Soledade en 1993. Le système permet de mettre à disposition de la communauté un capital de départ destiné à la construction d’un réservoir ou d’une citerne pour une famille, qui, en effectuant le remboursement du bien acquis, octroiera à son tour les fonds nécessaires pour la construction de la citerne de son voisin. Ce premier programme a été financé par le Catholic Relief Service (CRS) et le Programme Mondiale pour l’Alimentation, puis exécuté par le PATAC, le Syndicat des travailleurs ruraux (STR) et la paroisse locale (Duque et al.2010). L’expérience a été ensuite disséminée par le réseau de l’ASA et s’est généralisée au niveau de l’ensemble des communautés de la région. Les FRS sont utilisés pour le 9 La SUDENE est la Superintendance pour le Développement de la Région du Nordeste, fondée en 1959. Son siège est à Recife, capitale de l’Etat du Pernambouc 10 Elles sont au nombre d’environ 700 aujourd’hui (R.ASSIS, 2012)
  • 17. 11 stockage de l’eau mais aussi pour créer des banques communautaires de stockage de semences, des entrepôts de stockage pour le fourrage ou bien faire l’acquisition de têtes de bétail. Ce système est donc de fait une alternative de financement plus adapté aux familles que ne le sont généralement les lignes de crédit proposées par les banques. Entre 2003 et 2014, 519.772 citernes ont été installées, bénéficiant à environ 2,25 millions de personnes (Rosanna, 2014). Le succès du P1M2 a également abouti à la formulation d’un deuxième programme : le P1+2, par lequel les familles bénéficiaires d’une première citerne peuvent en obtenir une deuxième pour utiliser l’eau à des fins de production agricole. Depuis 2003, les unités de gestion locale (ONG ou organisations paysannes) membres de l’ASA, reçoivent donc l’appui du gouvernement fédéral pour pouvoir procéder aux installations. Celles-ci s’établissent le plus souvent à partir de la formation d’un système de fonds communautaires (les FRS), qui implique alors la participation active des familles (Sabourin 2007). Ce fonctionnement tend ainsi à éviter les pratiques clientélistes des élus qui préfèrent offrir les infrastructures afin d’en tirer des bénéfices électoraux immédiats (Diniz, Duqué, Oliveira, 2003 in. Sabourin, 2007). 1.1.5 La reconnaissance institutionnelle de l’Agriculture Familiale et l’accès au crédit rural Les expériences à la base de cette étude ont été recueillies auprès d’une catégorie d’agriculteurs qui, comme nous l’avons évoqué précédemment, a eu du mal à obtenir la considération des pouvoirs publics. L’agriculture familiale n’a en effet été appuyée par une politique différenciée qu’à partir de 1995 avec la mise en place sous le gouvernement d’Henrique Cardoso du Programme National de Soutien à l’Agriculture Familiale (PRONAF). Ce programme, largement amplifié sous le régime de Lula Da Silva dans les années 2000, permet aux agriculteurs familiaux d’être reconnus à travers un régime spécifique, permettant d’avoir accès à des crédits ruraux à des taux plus raisonnables et différenciés. L’Agriculture Familiale n’a quant à elle été définie normativement dans le cadre de la Constitution qu’en 2006, par la loi n°11.366. Est alors reconnue comme agriculteur familial toute personne dont le revenu principal est issu de l’activité économique exercée sur la propriété agricole établie en milieu rural. La main d’œuvre employée doit être principalement composée par les membres de la famille, lesquels participent également à la gestion de l’exploitation. Enfin, la
  • 18. 12 loi précise que la superficie de l’exploitation ne doit pas excéder 4 modules fiscaux11 (Selon les informations recueillies dans l’article 3.de la loi n°11.326 établit par le Président Lula Ignacio Da Silva publiée le 24 Juin 2006). L’Organisation Mondiale pour l’Alimentation et l’Agriculture (FAO) a consacré en 2014 un ensemble d’études à l’Agriculture Familiale, et en émet la définition suivante : « L’agriculture familiale englobe toutes les activités agricoles reposant sur la famille, en relation avec de nombreux aspects du développement rural. L’agriculture familiale permet d’organiser la production agricole, forestière, halieutique, pastorale ou aquacole qui, sous la gestion d’une famille, repose essentiellement sur de la main-d’œuvre familiale, aussi bien les hommes que les femmes. Dans les pays en développement comme dans les pays développés, c’est la forme dominante d’exploitation agricole qui produit l’essentiel de la production vivrière. » (FAO, 2015) 1.2 La création des marchés agro-écologiques sur le territoire de la Borborema 1.2.1 Définition de l’Agro-écologie « L’agro-écologie est une technique inspirée des lois de la nature. Elle considère que la pratique agricole ne doit pas se cantonner à une technique, mais envisager l’ensemble du milieu dans lequel elle s’inscrit avec une véritable écologie. Elle intègre la dimension de la gestion de l’eau, du reboisement, de la lutte contre l’érosion, de la biodiversité, du réchauffement climatique, du système économique et social, de la relation de l’humain avec son environnement » Pierre Rabhi En tant que discipline scientifique, l’agro-écologie commence à être développée à partir des années 1970 essentiellement par des chercheurs nord-américains. Elle permet de mettre en relation les savoirs à la fois des scientifiques et des agriculteurs locaux, soucieux de défendre un modèle de production opposé au modèle de l’agriculture chimique dédié principalement à l’export. Michel Altieri définit en effet l’agro-écologie comme étant « la science de la gestion des ressources naturelles au bénéfice des plus démunis confrontés à un environnement défavorable » (France Culture, 2012). Il expose par ailleurs cinq principes sur lesquels elle se fonde, le renouvellement de la biomasse et l’entretien de la fertilité des sols, la minimisation des pertes en énergie solaire 11 La superficie d’un module fiscal varie selon les régions et est défini par chaque municipalité. Par exemple, dans la région du Brejo (Etat de la Paraíba) un module fiscal équivaut à 10 hectares tandis que dans la région du Sertão celui-ci représente déjà 100 hectares.
  • 19. 13 en air et en eau, la diversification génétique dans le temps et l’espace, la valorisation des interactions biologiques et la lutte contre les ennemis de la culture. (Wéry, Doré, 2010) 1.2.2 Apparition et institutionnalisation des marchés agro-écologiques Au début des années 2000, les syndicats constatent que le nombre d’agriculteurs agro- écologiques a augmenté de manière significative. A l’occasion de Noël, en 2001, les agriculteurs du Municipe de Lagoa Seca organisent avec le soutien du Syndicat une campagne nommée « Um Natal sem Veneno » (« Noël sans poison »). Cette campagne se présente sous la forme d’un marché agro-écologique et marque une opposition claire à l’agriculture conventionnelle qui permet l’usage de pesticides. A la suite de l’évènement et au vu de son succès, les agriculteurs du municipe décident alors de rendre le marché permanent. A partir de cette initiative, le Pôle syndical décide de constituer un réseau de marchés agro-écologiques dans les municipes voisins de Lagoa Seca. Cette décision a permis à plusieurs producteurs de la région de commencer à commercialiser leurs produits dès 2003 près du Musée du Coton à Campina Grande. Puis les municipes de Massaranduba en 2005, Esperança et Solânea en 2004, Remígio et Catolê, à Campina Grande en 2006 et Alagoa Nova en 2008 ont également organisé leurs propres marchés locaux (Carte du territoire en annexe 1). L’émergence progressive des marchés agro-écologiques a aussi incité les agriculteurs et les syndicats à débattre autour d’un moyen de consolidation de ce réseau afin d’en assurer la pérennité (photo en annexe 3). Parallèlement, une association de producteurs s’est donc formée afin de faciliter l’organisation et les processus de formation des agriculteurs (Diego.F, 2015). L’Association des Agriculteurs et Agricultrices Agro-écologiques du Territoire de la Borborema ; l’EcoBorborema s’est ainsi formée en avril 2005 à Lagoa Seca. Il s’agit d’une structure associative répondant à la fois aux principes d’économie sociale et solidaire (ESS) et de commerce équitable. Paul Singer définit l’ESS comme étant : « Un ensemble d’expériences collectives de travail, de production, commercialisation et crédit, organisées selon des principes solidaires sous la forme de coopératives, associations de producteurs,
  • 20. 14 entreprises autogérées, banques communautaires et diverses organisations populaires rurales et urbaines » (in Sabourin, 2014). Il s’agit aussi pour Singer d’« un mode de production qui se caractérise par l’égalité. Par l’égalité de droit, les moyens de production sont propriété collective de ceux qui les utilisent (…) les activités d’économie sociale et solidaire sont gérées par les propres travailleurs collectivement de forme entièrement démocratique (…) » (interview à Paul Singer par Paulo de Salles Oliveira, 2008). Dans le cas de l’EcoBorborema, nous assistons en effet à une organisation au sein de laquelle les agriculteurs s’autogèrent dans un but commun qui est celui de commercialiser par la vente directe, la production de l’ensemble des membres. Le choix de ce circuit constitue en soi une stratégie d’autonomie des producteurs. La vente directe permet à l’agriculteur de fixer ses propres prix, sans dépendre des conditions des intermédiaires. La définition que propose Diaz Pedregal (2006) du au commerce équitable : « Il prétend contribuer au développement durable en offrant de meilleures conditions commerciales et en garantissant les droits des producteurs et des travailleurs marginalisés, en particulier dans les pays du Sud 12», correspond de fait aux principes auxquels souhaite répondre l’EcoBorborema. Dix ans après sa création cette association rassemble un total de 120 producteurs dispersés sur 16 municipes du territoire de l’Agreste. La cohésion sociale s’établit grâce à la participation des membres aux marchés agro-écologiques, mais aussi par les réunions auxquelles sont tenus de participer les membres. Les réunions permettent de décider collectivement du fonctionnement des marchés agro-écologiques (stands identiques, port de tabliers et casquettes, identification des produits non commercialisables etc.) et de définir l’exercice du contrôle appliqué sur la production commercialisée. L’EcoBorborema élit une commission chargée de réaliser des visites sur les propriétés afin de garantir la qualité de la production. Celle-ci se compose de plusieurs agriculteurs membres ainsi que de techniciens agronomes de l’AS-PTA et du Pôle Syndical. La période à laquelle se forme l’association de l’EcoBorborema, coïncida avec l’instauration de la régulation de la culture et commercialisation des produits biologiques par la loi 10.831 12 Ele pretende contribuir ao desenvolvimento sustentável oferecendo melhores condições comerciais e garantindo os direitos dos produtores e dos trabalhadores marginalizados, em particular nos países do Sul do planeta (DIAZ PEDREGAL, 2006, p. 13, tradução livre do francês)
  • 21. 15 du 23 décembre 2003, entrée en vigueur le 27 décembre 200713 (MAPA, 2015). Cette loi régit la certification dont bénéficie les producteurs de l’association, et pour laquelle la commission réalise un contrôle. 1.2.3 La certification OCS Le système régissant les marchés de l’association de l’EcoBorborema, est la certification appelée Organisation de Contrôle Social (OCS), insérée dans le décret Nº 6.323 de 2007. L’OCS est définie dans ce décret national comme étant : « Un groupe, une association, une coopérative ou un consortium, avec ou sans personnalité juridique, préalablement enregistré au MAPA, auquel est lié un agriculteur familial en vente directe, avec un processus organisé de création de crédibilité à partir de l’interaction entre des personnes ou des organisations, privilégiant la participation, le compromis, la transparence et la confiance, et reconnu par la société14 » ( in.Cardonnat et al, 2014). L’agriculteur détenteur de la certification de type OCS peut faire l’usage du label « Produit biologique pour la vente directe effectuée par des agriculteurs familiaux affiliés et non soumis à la certification » prévu pour certifier la production des agriculteurs familiaux. L’obtention de cette certification ne nécessite pas de contrepartie financière de la part des agriculteurs mais permet d’octroyer une certaine garantie aux consommateurs des produits issus de l’Agriculture Familiale. Elle ne permet pas de vendre les produits dans les réseaux de supermarchés, en dehors de l’Etat ou à l’exportation. Dans le cas de l’EcoBorborema, elle permet aussi d’établir un prix de vente plus élevé, s’agissant de produits agro-écologiques. De cette manière elle contribue elle aussi à établir un commerce plus juste entre le producteur et le consommateur. La certification constitue donc un pas de plus dans le processus de construction sociale autour des marchés agro-écologiques. Elle réglemente en effet la vente directe par laquelle des relations directes de proximité s’établissent entre producteurs et consommateurs, au- delà de l’acte d’échange marchand. Cette situation de face à face peut donc institutionnaliser 13 Bien que la loi n’ait pas motivé la formation de l’association (D.Fernandes, 2015), sa création aurait été indispensable au maintien des marchés agro-écologiques à partir de l’application de celle-ci en 2007.
  • 22. 16 une relation de réciprocité, par laquelle se produisent, le plus souvent de manière inconsciente, des valeurs affectives et éthiques, telles que l’amitié, la reconnaissance mutuelle, le respect, la fidélité (Sabourin, 2014). Il s’agit alors d’un autre degré dans la construction de relations sociales durables entre producteurs et consommateurs. 1.2.4 L’accès au crédit et mécanismes communautaires et stratégies de production La mobilisation des familles pour avoir accès à un appui institutionnel accessible et adapté s’est révélée être une étape fondamentale de la construction sociale. L’accès aux politiques publiques ou aux dispositifs d’aide communautaires permet en effet aux agriculteurs de produire un excédent à la fois pensé et diversifié pour la commercialisation. Au moyen du crédit PRONAF, la famille de Maria, membre de l’EcoBorborema depuis 2010, a par exemple entrepris la construction de la maison, avant d’investir dans l’achat de bovins, l’installation d’une clôture puis la plantation de cactus15 afin d’obtenir du fourrage pour les animaux. Grâce à une visite organisée par l’AS-PTA et le PSB, dans la ville de Queimadas cette agricultrice a également connu le fonctionnement de la citerne « calçadão » permettant de stocker jusqu’à 52.000 litres d’eau (photo en annexe 4). Elle et son mari, décident alors en 2010 de candidater pour bénéficier de la construction communautaire d’une citerne, grâce au système de FRS. Ces nouvelles ressources ont alors largement encouragé la famille à diversifier sa production. Sa composition auparavant limitée à celle du maïs, des haricots et du manioc s’est en effet élargie par l’intégration de plusieurs fruits et légumes : la coriandre, les salades, les choux, la betterave, les carottes, les aubergines, les tomates, le fruit de la passion, le corossol entre autres16 en sus de la culture des plantes médicinales (photo en annexe 5). En se diversifiant, la famille de Maria a acquis une autonomie lui permettant d’assurer et de varier ses sources d’alimentation17. Rapidement, Maria a aussi pu produire suffisamment pour commercialiser une partie de sa production sur le marché agro- écologique de Remígio, bien que la sécheresse persistante des derniers mois, ait considérablement restreint son offre sur ce marché. 15 Les cactus, résistants à la sécheresse possèdent une haute valeur nutritive et permettent de nourrir principalement les bovins (ASPTA, 2013) 16 L’entretien réalisé avec l’agriculture a révélé l’existence d’une production extrêmement diversifiée, hormis durant les périodes de sécheresse prolongée. 17 Cet aspect est très important pour la famille qui a par le passé connu la pénurie d’aliments
  • 23. 17 Lors du suivi effectué par l’AS-PTA au mois de mai, Maria disposait de sept produits différents (en faible quantité), dont la totalité a cependant été vendue18 (se référer à l’annexe 6 pour les prix pratiqués, quantités vendues et revenus). L’élevage a aussi son importance dans la stratégie d’autonomie familiale. Si la production avicole est essentiellement destinée à la consommation personnelle, l’élevage d’ovins permet à la famille de conserver un « patrimoine » commercialisable en cas de situation financière difficile. Dans le cas de Maria, comme dans celui de plusieurs agriculteurs que nous avons pu interroger, l’acquisition d’ovins de bovins ou de volailles s’effectue le plus souvent par le moyen de FRS. Pour nourrir ces animaux l’agricultrice utilise la paille du maïs et le fourrage qu’elle produit elle- même sur sa propriété. La présence du bétail sur la propriété permet en effet aux familles de disposer du fumier pour les plantations et de conserver le lait pour la consommation de la famille. Dans un précédent témoignage l’agriculture avait aussi précisé : « Pour moi, les animaux sont comme un salaire. C’est avec l’argent de la vente des animaux que j’achète des habits, des chaussures ou le matériel scolaire pour les enfants. C’est un petit coup de pouce pour acheter des choses pour la maison ou pour nous. » (Maria, 26 mai 2010). Comme nous l’avons évoqué en introduction, la culture intensive de la pomme de terre entre les années 1970 et 1980 à entrainer, dans la région, la disparition de cette culture dans les années 1990. Après dix ans sans production, l’AS-PTA et le PSB accompagnés du Secrétariat Etatique du Développement Agricole et de la Pisciculture de Lagoa Seca (SEDAP) décident en 2010-2011 de développer diverses expérimentations autour de cette culture. Est alors proposé à trois agriculteurs des municipes de Lagoa Seca, Areial et Montadas de semer trois variétés différentes sur leur propriété pour réaliser un premier test. A partir de ce don de semences, les trois agriculteurs initient cette nouvelle culture sur leur propriété et contribuent par ailleurs à la formation de nouveaux stocks de semences, destinés à être à nouveau distribuer à divers autres agriculteurs ; il s’agit là aussi d’un fonctionnement de fonds rotatif solidaire (FRS). Ces expériences ont été initiées à partir de la Commission Territoriale de la Borborema en 2011, et avec le soutien de l’EMPRABA (Entreprise Brésilienne d’Agronomie). Un réseau s’est ainsi constitué et a permis le partage de plusieurs expériences concernant, la gestion des sols, le reboisement, la gestion des 18 1kg de salade, 1,5 kg d’épinards, 40 œufs, 2kgs de ciboulette, 6kgs de coriandre, 1,5kg d’Umbu et 2kgs de feuilles de choux donnant un revenu total de 77 réais (22euros).
  • 24. 18 maladies, l’usage des bio fertilisants, la commercialisation et la conservation et le stockage de la pomme de terre agro-écologique (AS-PTA, 2014). Moïses et Emilio sont par exemple deux agriculteurs du municipe d’Areial ayant suivi ces formations en 2013 après avoir été informés de l’activité do PSB et d l’AS-PTA. Ces deux agriculteurs ont eux aussi pu innover sur leur propriété et diversifier grâce à l’accès à aux PRONAF B19 et au PRONAF « Semi- aride ». Dans le cas d’Emilio, le crédit PRONAF a permis d’investir dans l’installation d’une clôture, l’acquisition de bovins ou encore la construction d’une retenue d’eau. Grâce à la mise en place par l’ASPTA et le PSB d’un autre FRS l’agriculteur dispose désormais aussi d’un bio-digesteur et d’une citerne, respectivement depuis 2012 et 2002. Moïses, quant à lui a pu planter des cactus, acquérir des porcins et volailles grâce aux lignes de crédit PRONAF et a bénéficié en outre de la construction d’une citerne et de 1000 réais destiné à l’achat d’ovins, grâce aux financements du gouvernement octroyés dans le cadre du programme P1+2. En 2014, 107 familles réparties sur 54 communautés des municipes d’Areial, Esperança, Lagoa Seca, Lagoa de Roça, Montadas et Massaranduba, été insérées dans le projet. 1.033 caisses de semences avaient été distribuées, représentant une production de 212.716 tonnes et générant un revenu de 270.875 réais soit 77 392 euros20 (AS-PTA, 2014). Ce sont en grande partie ces bons résultats qui ont incité l’EcoBorborema à former un projet PAA agro-écologique pour pouvoir écouler les excédents de cette nouvelle production. Moïses et Emilio, habitués à commercialiser essentiellement par les intermédiaires, y ont été intégrés : « avec le PAA je peux vendre un sac de pomme de terre à 90 réais alors qu’un intermédiaire ne me l’achète qu’à 30 réais ». (Moïses, 19 mai 2015). Ces deux agriculteurs commercialisent essentiellement par le PAA et le PNAE de la Mairie d’Areial depuis 2011, tandis que les producteurs d’ores et déjà membres de l’EcoBorborema distribuent également sur les marchés agro-écologiques et traditionnels ou parfois pour des entreprises locales (Dino, 17 mars 2015). Si la diversité assure avant tout la sécurité alimentaire des familles, elle constitue aussi une stratégie économique. Plusieurs des « feirantes » que nous avons rencontrés ont mis en avant les avantages que présente la culture des « Hortaliças », c’est-à-dire des légumes. 19 PRONAF B et « semi-aride » sont deux modalités du PRONAF. Dans les années 2000 les modalités du PRONAF se sont développés afin de proposer une offre de crédit plus adapté aux diverses situations des agriculteurs 20 Selon un taux de change de 1euro=3,51 réaux, Banque de France 26 juin 2015
  • 25. 19 Ivanaldo a acquis sa propriété sur le municipe de Remígio en 1989. A ses débuts il pratiquait l’agriculture conventionnelle, jusqu’à ce qu’il prenne connaissance du travail de l’AS-PTA au début des années 2000. Les techniciens de l’AS-PTA se sont occupés de la gestion des sols et du reboisement de la propriété d’Ivanaldo, l’ayant convaincu de basculer vers la production agro-écologique qu’il a rapidement évalué comme moins coûteuse21. Il intègre également l’EcoBorborema et commence à commercialiser sa production dès 2006 sur le marché de Remígio. L’agriculteur nous explique : « J’ai toujours cultivé des légumes car il y a un marché garanti et un retour direct, c’est-à-dire toute l’année. Quand j’ai commencé à en produire dans la région, il n’y avait pratiquement aucun agriculteur qui en cultivait. Aujourd’hui nous devons être une vingtaine » (Ivanaldo, 28 mai 2015). Aujourd’hui Ivanaldo possède environ 10 hectares divisés en deux terrains. Sa production est extrêmement diversifiée22, et il projette de participer à la feira de Campina Grande, où les consommateurs sont plus nombreux. Récemment il s’est installé sur le marché agro-écologique d’Esperança tandis que sa femme est restée fidèle à celui de Remígio. Selon les relevés de l’AS-PTA, Ivanaldo et Eliane obtiennent un revenu d’environ 500 réais (142 euros) sur le marché d’Esperança et de 360 réais grâce à celui de Remígio (données recueillies le 22 mai 2015). Parmi les 16 types de marchandise commercialisée, les salades, blettes, épinards et concombres, plus rares sur les étalages, sont généralement écoulés dans leur quasi-totalité et génèrent alors un revenu plus conséquent (voir tableau en annexe 6). Sur la propriété, Ivanaldo et sa femme Eliane travaillent tous les deux sur les zones de culture mais s’occupent principalement de préparer la pulpe, et les plats régionaux typiques ; la pamonha, la canjica et le Beju, également commercialisés sur les marchés. Pour semer entretenir et récolter l’ensemble de la production, Ivanaldo et Eliane ont par ailleurs trois employés à plein temps. Nous avons également rencontré deux agriculteurs du municipe de Lagoa Seca pratiquant cette même stratégie. Pedro est un agriculteur faisant parti de l’association depuis ses débuts, et a participé activement à la lutte syndicale pour la reconnaissance de l’agro- écologie. Il affirme avec assurance « S’il n’y a pas suffisamment de quantité et de variété sur l’étalage, le client ne viendra plus » (Pedro, 6 mai 2015) La constance de l’offre est pour 21 Les agro-toxiques utilisés dans l’agriculture conventionnelle étant chers 22 Salades, Coriandre, Radis, Blettes, concombre, aubergines, oignons, carottes, choux, noix de coco, goyave, cerises des Antilles, épinards, manioc et autres.
  • 26. 20 lui déterminante car elle engendre la confiance avec le consommateur ; cette valeur éthique assurant ainsi une certaine pérennité pour la commercialisation. Pedro est un agriculteur qui accorde également une grande importance à la diversification des circuits. Il participe lui- même à trois marchés agro-écologiques à Campina Grande, Lagoa Seca et João Pessoa, tandis que sa femme commercialise sur deux autres marchés agro-écologiques à Campina Grande. Cet agriculteur commercialise aussi à travers le PAA et la Fazenda Tamanduá que nous étudierons dans le deuxième et troisième chapitre. Diversifier au maximum les circuits est pour lui une manière d’assurer d’avoir toujours un débouché pour commercialiser sa production. Nelson est quant à lui présent sur la feira de Campina Grande ainsi que celle de Lagoa Seca auxquelles il participe depuis environ cinq ans et qu’il valorise beaucoup. Comme Pedro, il est conscient qu’il est important de diversifier à la fois l’offre et les débouchés. Nelson se sent aussi très valorisé en effectuant lui-même la commercialisation de ses produits, et aime le contact avec ses clients. La réciprocité binaire symétrique (face à face) dont nous parle Temple permet alors de produire de l’humain (le « mana ») qui engendre à la fois l’amitié et la fidélité. Nelson témoigne : « Avec mes clients je discute, je suis content de les voir. J’ai mes clients habituels maintenant, il y’en a certains qui sont venus visiter ma propriété » (Nelson, 21 mai 2015). La suppression des intermédiaires, par lesquels il commercialisait l’ensemble de sa production avant de s’associer, a aussi augmenté considérablement ses revenus. Pedro et Nelson nous ont indiqué que leur revenu par marché oscille généralement entre 400 et 600 réais (soit 115 et 172 euros23). Cependant la sécheresse des derniers mois a considérablement réduit l’offre de Nelson qui ne disposait que de quatre produits lors de la visite du marché du mois de mai (salade, roquette, ciboulette et coriandre) lui octroyant un revenu de 280 réais (80 euros). La logique de diversification est dans certains cas combinée à une logique simplement agro- écologique. Dino, actuel président de l’EcoBorborema, est un producteur installé sur une 23 Calculé à partir du taux de change de 1 euros = 3,51 réaux, de la Banque de France le 26/06/2015 (https://www.banque- france.fr
  • 27. 21 zone d’assentamentos du municipe d’Esperança depuis 200724. En sachant, que le terrain qu’il occupe est particulièrement favorable à la production d’agrumes, il y produit depuis son arrivée oranges et citrons, en sus des cultures traditionnellement produites à savoir, les haricots, la pomme de terre, le manioc, le maïs et la citrouille. Plus récemment Dino et Celi, sa femme, ont commencé à investir beaucoup de leur temps dans l’apiculture, dont l’activité a été motivée par la présence des orangers sur la propriété. En 2009, la famille accède à une ligne de crédit PRONAF pour faire l’acquisition des installations et bénéficie par ailleurs d’une citerne par l’intermédiaire du PSB (Dino, 22 mai 2014). L’année précédente Dino avait également eu recours au PRONAF pour investir dans l’installation d’une clôture, d’un système d’irrigation et l’achat des plants d’arbres fruitiers. Plus récemment, en 2014, la famille a acquis une voiture grâce à la modalité du PRONAF « Plus d’Aliments », afin de pouvoir se rendre plus facilement aux feiras, et a également pu bénéficier de la construction d’un bio-digesteur25 grâce à un FRS. Grâce à cette innovation, la famille peut désormais consommer le gaz qu’elle produit elle-même sur sa propriété. Lors du suivi effectué sur le marché d’Esperança, Dino disposait d’environ de 100 kilos de produits (quatre variétés d’oranges, fruits de la passion, mangues-roses, pommes de terre douces et miel). Les deux tiers de sa marchandise ont été vendus, générant un revenu de 174 réais (soit une cinquantaine d’euros). La sécheresse persistante de ce premier semestre de l’année 2015, ne lui permet pas d’offrir la totalité des produits qu’il cultive habituellement sur sa propriété. Néanmoins, Dino participe également depuis peu, au projet de revitalisation de la pomme de terre agro-écologique afin de pouvoir augmenter ses revenus et diversifier sa production. 1.2.5 Les relations de réciprocité au sein du processus de commercialisation des familles Les relations de réciprocité sont comme nous l’avons évoqué dans l’introduction fondées sur le principe de solidarité. Nous rappelons ainsi que pour Dominique Temple (2004) la réciprocité se dévoile par « le redoublement de l’action ou de la prestation qui permet de reconnaitre l’autre et de participer d’une communauté humaine ». Par la définition qu’il 24 Dans le cas de la famille de Dino, le terrain a été divisé en dix à la suite d’une expropriation. Chaque famille possède 6 hectares (AS-PTA, 2014). 25 Le bio digesteur fonctionne à partir du fumier des bovins
  • 28. 22 apporte, l’auteur met l’accent sur la dimension humaine qui la différencie de l’échange marchand. « On peut les confondre car l’échange est une relation d’intérêt, mais qui nécessite une réciprocité minimale. L’échange renverse le mouvement de la réciprocité car au lieu de viser le bien d’autrui, il chercher la satisfaction de l’intérêt propre » (Temple, 1999). Dans le cas des agriculteurs du territoire de la Borborema, nous avons pu observer une part de réciprocité associée aux transactions marchandes, en fonction des relations sociales ou du statut de l’acheteur. Ainsi, dans les marchés de vente directe, la relation bilatérale de face à face entre producteur et client engendre des liens sociaux qui peuvent se traduire en gestes affectifs. Par exemple un prix plus bas est pratiqué auprès de la clientèle fidélisée (Gonçalo, 20 mai 2015). Les produits destinés à cette clientèle reçoivent aussi une plus grande attention, en étant par exemple mis de côté jusqu’à l’arrivée du client ou en étant parfois directement transportés à domicile. Cette attitude témoigne de la reconnaissance du producteur envers le consommateur, qui à son tour par sa fidélité contribue à la pérennité sociale et matérielle de la prestation commerciale, même si celle-ci est régulée par l’échange marchand. « Je garde ma plus belle marchandise pour les clients qui m’en achètent toutes les semaines, et je leur vends également les bananes à 0,5 centimes moins cher » (Gonçalo, 25 mai 2015). Cette pratique de prix plus modéré s’installe aussi de façon naturelle par principe de justice. Un agriculteur du marché d’Esperança justifie la baisse des prix en période de sécheresse : « Il s’agit de faire un geste pour le consommateur, et nous savons aussi qu’en fin de mois, c’est plus difficile pour tout le monde ».On retrouve associée à la relation marchande cette préoccupation d’une prestation adaptée à la capacité financière de l’acheteur. Il y a là une relation de réciprocité engendrant une valeur de justice. Les marchés agro-écologiques, communément appelées « feiras » en portugais, constituent aussi un espace où les relations de réciprocité s’établissent également entre les agriculteurs, « feirantes ». Le troc ou la redistribution de marchandises est en effet une pratique courante qui permet de répartir la production pour mieux satisfaire la clientèle. Ces pratiques de répartition des produits comme celle de partage d’un stand (lorsqu’un agriculteur dispose de peu de produits pour la vente) témoignent de relations de partage qui contribuent au renforcement de la confiance entre les producteurs. Maria (26 mai 2015), qui participe au marché de Remígio depuis 2010, raconte par exemple : « Parfois je me mets à vendre les
  • 29. 23 produits d’Anilda avec qui je partage souvent le stand car elle est toujours très occupée et moi je dispose de peu de produits ». Maria est une agricultrice qui ne nous a pas caché la grande reconnaissance qu’elle porte à Anilda, agricultrice et trésorière de l’EcoBorborema. Elle a en effet connu l’association grâce à cette dernière, en commençant à participer aux activités du syndicat de Remígio en 2010. Il existe également des relations d’entraide pour le transport de la production au marché, par le producteur disposant d’un véhicule ou encore le partage de conseils ou de références techniques. « L’autre jour, Eliane, la femme d’Ivanaldo, m’a conseillé de produire plus de carottes, de betteraves, et de courgettes car il y’a peu d’agriculteurs qui en vendent et cela se vend donc mieux. C’est aussi grâce à eux que j’ai connu la feira agro-écologique. » (João, 25 mai 2015). Ces relations produisent le respect mutuel et l’amitié entre leurs prestataires et renforcent non seulement le processus de construction sociale du marché, mais aussi la pérennité du dispositif socio-politique et organisationnel mis en place autour de l’association Ecoborborema. C’est bien en ce sens qu’il faut considérer la place des relations de réciprocité : elles engendrent un lien social qui contribue à reproduire et maintenir le dispositif de commercialisation à la fois entre les producteurs et entre producteurs et clients. La solidarité qui se manifeste entre les agriculteurs correspond selon Eric Sabourin à des pratiques institutionnalisées qui se trouvent à la base du fonctionnement des communautés de la région du Nordeste semi-aride. (Sabourin, 2007) Il reprend à ce propos la définition de Fichter (1967) qui désigne une communauté comme étant « un groupe territorial d’individus maintenant des relations réciproques et utilisant des ressources communes pour satisfaire des projets communs ». La diversification de la stratégie de production grâce à l’organisation collective et aux politiques sont les conditions par lesquelles les familles se sont situées dans une position favorable pour anticiper leur stratégie de commercialisation. Les pratiques de réciprocité favorisent en outre la reproduction sociale et contribueraient donc aussi à l’évolution de cette stratégie.
  • 30. 24 1.2.6 Les Limites Les sécheresses prolongées sont incontestablement un des problèmes majeurs pour la pérennisation de l’activité des marchés agro-écologiques. Bien que disposant de citernes de stockage, les agriculteurs disposant d’une faible capacité à s’approvisionner en eau lorsque celles-ci sont vides, cessent dans certains cas de fréquenter les feiras une fois que leur production devient trop faible. « Lorsque les citernes sont vides, je fais venir un camion- citerne qui me livre de l’eau. Avec 200 réais, j’obtiens environ 9.000 litres que nous consommons en un mois à la maison. Nous n’utilisons donc pas cette eau pour l’agriculture. » (Moïses, 29 mai 2015). En période de sécheresse, les producteurs qui demeurent présents sur les feiras sont conscients que la baisse de leur offre dissuade de nombreux clients d’effectuer le déplacement pour venir s’approvisionner sur leurs étalages. « En ce moment il y’a moins de clients avec la sécheresse, beaucoup ne viennent plus » (Gonçalo, 20 mai 2015) Au mois de juillet, lorsqu’arrive enfin la pluie, les agriculteurs restent cependant encore pénalisés par le peu de passage des consommateurs. Gonçalo explique : « Pour ceux qui viennent, je baisse encore les prix sinon les clients n’achètent pas car les fruits sont moins beaux et moins sucrés en raison des précipitations » (Gonçalo, 20 mai 2015). Lors des sécheresses prolongées, citernes et barrages deviennent insuffisants pour approvisionner les familles en eau, et empêchent alors celles-ci de maintenir leurs cultures. Quand les agriculteurs en ont la possibilité, ils entreprennent alors des investissements plus conséquents pour améliorer leurs infrastructures de stockage en eau. Pedro témoigne: « J’ai fait construire deux puits il y’a environ 12 ans, et ces trois dernières années j’ai investi plus de 100.000 réais dans la construction du barrage de deux nouveaux puits et l’agrandissement des deux précédents. Sur les quatre, il n’y en a plus que trois qui fonctionnent, et j’ai aussi dû vendre les poules et des bovins pour pouvoir compléter » (Pedro, 2015). Beaucoup d’agriculteurs ne peuvent cependant pas se permettre de réaliser ses investissements. Maria, nous expliquait : « Avec la sécheresse, j’ai pris du retard pour le remboursement le prêt de la maison. Du coup je n’ose pas demander un nouveau prêt ne serait-ce que pour acquérir une voiture. Cela serait pourtant plus pratique pour que je me rende au marché le vendredi. » (Maria, 26 mai 2015).
  • 31. 25 Dans le cas des marchés d’Esperança et Lagoa Seca, la localisation du marché semble par ailleurs désavantageuse pour les producteurs. Ces derniers se trouvent en concurrence directe avec les feirantes du marché traditionnel, qui a lieu le même jour, le samedi. Ces deux marchés agro-écologiques sont de plus, situés dans des coins reculés et bénéficient donc peu du mouvement créé par le marché traditionnel. De fait, nous avons rencontrés sur le marché traditionnel un producteur de l’EcoBorborema préférant vendre ces produits agro- écologiques sur ce marché conventionnel plutôt qu’aux côtés de ses collègues : « Je préfère rester ici, là où mes clients sont habitués à me trouver » indique-t-il. Les producteurs que nous avons interviewés ont aussi remarqué que beaucoup de consommateurs, peu informés, privilégient l’achat de la marchandise « présentant bien » aux produits agro- écologiques souvent plus petits ou moins bien présentés. Lors des réunions, Nelson Ferreira, président du Syndicat de Lagoa Seca a de ce fait proposé aux agriculteurs, de faire « un effort marketing » sur le point de vente, en prenant par exemple soin des stands, en faisant de la communication pour souligner l’importance de consommer des aliments sains, ou encore en se montrant plus assidus face aux règles de l’EcoBorborema. En effet, peu d’agriculteurs rendent par exemple visible leur certification OCS sur le point de vente, ce qui est pourtant obligatoire. Récemment, le marché d’Esperança a donc été déplacé au vendredi matin, sur la place principale de la ville en face du syndicat des travailleurs ruraux et de l’Eglise. Cette décision a eu des difficultés à être prise en raison du désaccord de deux agriculteurs. En fin d’année 2014, l’équipe désignée pour la réalisation du contrôle des normes OCS a aussi relevé plusieurs irrégularités en effectuant des visites sur diverses propriétés. Sur un total de 27 visites faites à Alagoa Nova, Queimadas et Lagoa Seca, douze agriculteurs n’étaient pas conformes aux normes de production ou de commercialisation. Parmi les cas les plus alarmants se trouvaient la vente d’aliments OGM (transgéniques) sur le marché, en l’occurrence de la semoule de maïs composant les plats préparés, l’usage de carbure de calcium pour une maturation plus rapide des bananes, la vente de volailles et d’œufs non produits par l’agriculteur certifié et non conformes aux règles de production agro-écologique, la présence de pesticide pour insectes sur la propriété, ou encore le cas d’un agriculteur menant une activité de commerce de pesticides en parallèle. Dans un premier temps, les douze agriculteurs ont été suspendus du Programme d’Acquisition d’Aliments (PAA) de
  • 32. 26 l’EcoBorborema et ont reçu orientations et suggestions pour régulariser leur situation. Seuls cinq agriculteurs, étant ceux accusés des faits que nous venons de donner en exemple, ont nié et refusé de s’adapter. Par conséquent, les membres de l’association ont été tenus de voter le jour de l’Assemblée Générale l’exclusion ou le maintien des cinq producteurs au sein de l’Eco-Borborema. A l’issue du vote, il a été décidé la suspension de la participation des cinq agriculteurs au PAA et l’exclusion définitive de trois d’entre eux de l’association. Dino, qui en est le président, nous a fait part de sa déception quant à l’attitude de plusieurs membres : « Certains ont des attitudes capitalistes. Ils sont rentrés dans l’association par opportunisme sans partager les valeurs de notre association et ne viennent même pas aux réunions » (Dino, 22 mai 2015). Les feiras de Campina Grande auxquelles participaient les producteurs fautifs, ont un nombre bien plus important de consommateurs et la concurrence entre agriculteurs y semble plus forte que sur les autres marchés. Nelson raconte par exemple : « J’étais en colère lorsque j’ai vu qu’un de mes collègues m’avait acheté un produit pour aller le revendre plus cher ». Cet incident ainsi que ce témoignage enseignent donc que l’application régulière du contrôle social est bel et bien nécessaire en plus de détenir un rôle clé pour le maintien de la cohésion du groupe et de ses valeurs. L’EcoBorborema se définit comme étant « une organisation de principes éducatifs, d’interaction et de coopérations à l’économie sociale et solidaire (Article 2 du Chap.1 de son certification d’enregistrement). Elle vise par conséquent à unir les agriculteurs agro- écologiques du territoire de la Borborema en promouvant des évènements de fraternisation, des échanges d’expériences entre agriculteurs, mais aussi à garantir un appui technique spécialisé, en favorisant l’élaboration de projets de développement et coopération ainsi qu’en renforçant la capacité d’autogestion des membres pour faciliter l’écoulement de leur production (Chapitre 2 du règlement de l’EcoBoroborema). Elle promeut donc des valeurs éthiques de solidarité, de coopération qui puissent inspirer la confiance et engendrer la réciprocité entre les membres. Pour atteindre ces objectifs, il est donc requis que l’ensemble des membres adhère à ces valeurs en démontrant leur volonté de les promouvoir par leurs actes et attitudes.
  • 33. 27 Elinor Ostrom (2003) énonce dans ses travaux comment peut se maintenir cette confiance : « Le thème central de tous ces débats concerne les gains de l’association obtenus lorsque les individus sont capables de développer la confiance en la réciprocité. Qu’ils viennent d’échanges sur le marché ou des relations personnelles, ils dépendent de la volonté des individus à prendre des risques en faisant confiance aux autres. Le fait que ce comportement de confiance soit mutuellement bénéfique et durable dépend de la fiabilité de ceux en qui la confiance a été placée. » (In.Sabourin, 2012). Ostrom souligne également l’importance de l’application de sanctions comme principe de réciprocité en cas de non-respect des normes et valeurs. L’ecoBorborema prévoit dans son règlement : « L’associé pourra être exclu en cas de non-respect du règlement et lorsqu’il agira de façon contraire aux intérêts de l’association » (§4 du règlement). « Il s’applique une peine de suspension à l’associé lorsqu’il manque de participer à trois réunions consécutives sans justification (§5 du règlement). Selon Ostrom et Walker (2003) : « Les participants doivent avoir également un certain niveau de confiance dans la fiabilité des autres et êtres disposés à mettre en œuvre d’amples stratégies de réciprocité. Si les participants ont peur que les autres puissent profiter d’eux, personne ne va vouloir engager des actions couteuses, uniquement pour découvrir que les autres ne pratiquent pas la réciprocité » (in.Sabourin, 2012) Il revient en effet à l’EcoBorborema d’instaurer un dispositif permettant d’éviter les irrégularités que nous avons mentionné précédemment. Les sanctions permettent en effet le respect des valeurs et des principes de fonctionnement qui assure la cohésion sociale du groupe. Sans ce maintien, l’association et les agriculteurs s’exposent à être discréditée et à perdre le contrôle détenu sur le circuit. En dépit des limites ici évoquées, ce canal de vente-directe a été une expérience par laquelle les familles ont retrouvé confiance en leur capacité à produire, commercialiser et innover au sein de leur propriété. Les politiques différenciées d’accès au crédit ont en outre contribué aux déploiements de ces innovations en permettant ainsi aux familles de se diversifier. Parallèlement, les marchés publics se sont eux aussi récemment ouverts à l’agriculture paysanne. Par l’instauration de modalités d’accès spécifiques à l’Agriculture Familiale, les familles ont pu bénéficier d’un canal de commercialisation supplémentaire donnant lieu à de nouvelles méthodes d’organisation économiques et sociales.
  • 34. 28 2. Les politiques publiques d’appui pour la commercialisation de la production agricole familiale 2.1. Les achats publics : modes de fonctionnement du PAA et du PNAE 2.1.1 Mise en place et modalités Régi par la loi n°10.696 du 2 Juillet 2003, le Programme d’Acquisition d’Aliments (PAA) est un des principaux dispositifs de la stratégie d’éradication de la faim et de la pauvreté « Faim Zéro » mis en place par Lula dès 2003. Agissant à la fois comme une politique sociale et agricole, le programme tend à encourager la production agricole familiale en la redistribuant aux personnes les plus vulnérables au moyen d’un système d’achats publics. Pour accomplir ces deux objectifs, la production est achetée de façon directe aux agriculteurs locaux organisés en associations ou coopératives, et se redistribue sous forme de « dons simultanées 26» aux institutions publiques locales (crèches et écoles, hôpitaux, restaurants populaires, maisons de retraite). Cette politique d’inclusion économique et sociale tend de fait à revaloriser l’agriculture familiale aux yeux de la société, et développe par ailleurs un nouveau modèle de circuit court de commercialisation. Sambuichui souligne par exemple le caractère responsable de ce système d’achats publics. Ses modalités répondent en effet aux principes de l’Economie Sociale et Solidaire (ESS) et de l’Ecologie : les échanges qui en découlent ont également un moindre impact sur l’environnement (réduction de l’usage d’emballages, réduction du transport) (Sambuichi, 2014). Le PAA est financé à 90% par le Ministère du Développement Social (MDS) et à 10% par le Ministère du Développement Agraire (MDA). Le MDA transfert 100% des ressources à la Compagnie Nationale d’Approvisionnement (CONAB) chargée de la supervision et de l’exécution du programme. Le MDS alloue quant à lui 50% de son budget à la CONAB, et les 50% restants aux états et municipes détenant également les compétences pour mettre en place les programmes d’acquisition d’aliments. Les décisions relatives à son application sont prises par le Groupe Gestionnaire ainsi que le Conseil National pour la Sécurité Alimentaire 26 « Doações simultanêas » en portugais.
  • 35. 29 et Nutritionnelle (CONSEA)27. Ce conseil, rétablit en début de mandat par Lula, émet des avis et propositions relatifs à l’exécution du PAA ayant une influence directe sur les mesures prises par la Présidence (Porto, 2014). Ses deux tiers sont composés de représentants de la Société Civile28 tandis que le tiers restant rassemble des représentants du gouvernement fédéral. Le Groupe Gestionnaire regroupe quant à lui six ministères ; le Ministère du Développement Agraire (MDA), le Ministère de l’Agriculture, de l’Elevage et de l’Approvisionnement (MAPA), Le Ministère des Finances (MF), le Ministère de la Planification du Budget et de la Gestion (MPOG) ainsi que le Ministère de l’Education (ME). Ce groupe est alors chargé de définir les prix, variant en fonction des régions, les conditions de vente, l’état dans lesquels doivent se trouver les dons et leur stockage et établit d’autre part les critères de priorités pour l’accès au programme (Porto, 2014). Concernant les produits biologiques ou agro-écologiques, le prix fixé doit être 30% supérieur au prix du même produit conventionnel. Bien qu’il existe en réalité cinq modalités de PAA29, nous nous concentrerons dans cette étude à la modalité « Dons simultanés » par laquelle s’effectuer les PAA des municipes auxquels s’est délimitée notre recherche. Cette modalité prévoit par l’intermédiaire de la CONAB, la redistribution immédiate des aliments aux institutions réceptrices pour répondre à la demande locale. Elle se différencie de la modalité « Formation de stocks » qui ne prévoit pas la redistribution immédiate des denrées, mais s’apparente aux modalités « Achats- Directs », « PAA-Lait » et « Achat-Institutionnels ». La modalité « Achats-Direct » est réservée à l’achat de céréales (qui se fait en fonction de la hausse du prix de ces denrées) et vise à la fois à former des stocks et à assurer une redistribution simultanée auprès de la demande locale. Le « PAA-lait » vise par ailleurs à assurer la redistribution du lait des agriculteurs familiaux de la région du Nordeste et du Minas Gerais, de façon directe auprès des personnes en situation d’insécurité alimentaire ; l’Etat prenant en charge le processus de certification pour assurer la qualité du lait. Enfin le PAA « Achats Institutionnels » permet aux 27 Ce Conseil a notamment permis l’approbation de la loi des produits biologiques de 2003, ou la loi de 2009 relatives à la place de l’Agriculture Familiale dans le PNAE (PORTO, 2014). Il a également eu un rôle majeur dans la mise en place des programmes P1MC et P1+2. 28 La présidence du conseil est automatiquement assurée par un représentant de la société civile 29 Les cinq modalités de PAA différentes sont les suivantes, Dons simultanés ou Achats-Dons, Achats directs, Formation de Stocks, PAA lait et Achat Direct de Lait.
  • 36. 30 municipes et Etats de réaliser directement les achats auprès des familles, sans passer par l’intermédiaire de la CONAB. Pour simplifier la procédure et accélérer sa mise en place, les achats publics effectués dans le cadre du PAA sont exemptés de passer par le processus habituel des appels d’offres, régi par l’article 37 de la Constitution Fédérale Brésilienne. Toutefois les prix d’achats établis ne peuvent être supérieurs à ceux du marché régional, et prennent pour référence ceux de la CONAB. Les agriculteurs participants se doivent par ailleurs d’être en possession de leur Document d’Aptitude au PRONAF (DAP) attestant de leur régime d’agriculteur familiale et l’association doit également posséder le CNPJ, qui est le Registre National de Personne Juridique (« Cadastro Nacional das Pessoas Juridicas ») (Sambuichi et al, 2014). Il existe un montant maximum d’achats fixé par agriculteur. Celui-ci, limité à 2.500 réais/famille/an au début du programme est passé progressivement30 à 8.000 réais en 2014 (Sambuichi et al, 2014). Les agriculteurs souhaitant participer élaborent donc, souvent avec l’aide d’un technicien du Secrétariat de l’Agriculture, d’une ONG, organisation sociale, ou encore l’Entreprise d’Assistance Technique et de l’Extension Rurale (EMATER), une proposition de l’offre dont ils disposent, soumise à l’unité exécutrice (la CONAB ou l’Emater dans le cas d’un PAA municipal ou étatique). Parallèlement, il convient d’établir un accord avec une ou plusieurs entités habilitées à gérer les dons ou redistributions d’aliments. A partir de cela, le gouvernement libère les ressources, que transfère la CONAB à l’association ou directement le MDS dans le cas des projets exécutés par un les autorités étatiques ou d’un municipe. Le gouvernement remplit donc uniquement un rôle d’entremetteur entre l’offre et la demande ; l’organisation et l’unité réceptrice assumant la responsabilité d’acheminer les dons du lieu de production vers les bénéficiaires locaux. Ce sont 5,35 milliards de réais qui ont été investi par le gouvernement fédéral entre 2003 et 2013 pour le déroulement et fonctionnement du programme (Porto, 2014). Ces dépenses ont augmenté au fil des années, passant de 145 millions en 2003 à 838 millions en 2012 (Sambuichi, 2014). Le nombre d’agriculteurs intégrant le PAA a également été en constante augmentation au fil des années, passant de 42.000 en 2003 à 185.000 en 2012 (Sambuichi, 2014). Son succès et ses expériences ont par ailleurs fortement encouragé et créer les 30 4.000 puis 6.500 réais
  • 37. 31 conditions pour apporter des modifications à la loi du Programme National pour l’Alimentation Scolaire (PNAE) en 2009. Le PNAE est également un programme d’achats publics d’aliments par lequel, en passant par des appels d’offre, le gouvernement fédéral centralise les denrées alimentaires destinées à être redistribuées, également sous forme de dons, aux institutions publiques scolaires (Crèches, écoles maternelles, écoles primaires, collèges et centres d’éducation de jeunes et d’adultes). Son application a eu pour origine la première campagne « Merenda Escolar » (repas scolaires), s’étant transformée en véritable programme en 1955 par le décret n°37.106 (Siliprandi, 2013). Celui-ci n’a véritablement inclus l’Agriculture familiale qu’à partir de 2009, lors de la modification de la Loi n°11.947 de l’article 14. Elle établit depuis lors qu’Etats et municipes sont tenus de s’approvisionner au moins à 30% auprès de l’Agriculture Familiale pour l’achat des denrées alimentaires destinées aux crèches et écoles31. Les fonds gouvernementaux proviennent du Fonds National pour le Développement et l’Education (FNDE) rattaché au Ministère de l’Education et servent à rétribuer les agriculteurs pour la marchandise qu’il délivre. Celle-ci est par la suite redistribuée sous forme de dons auprès des écoles et crèche, soit par la Mairie soit par le Secrétariat de l’Education. Le budget total alloué au programme est de 1,5 millions de dollars par an, dont 500 millions sont destinés plus spécifiquement aux achats réalisés auprès de l’Agriculture Familiale. Il prévoit en outre d’atteindre environ 45 millions d’élèves durant 200 jours de l’année (Siliprandi, 2013). Le coût minimum d’un repas par élève et par jour est fixé à 0,30 réais et à 1 réal pour les enfants des crèches. Néanmoins, les municipes et Etats sont tenus de compléter le budget du FNDE lorsque cela s’avère nécessaire pour répondre aux exigences nutritionnelles statuées par la loi32. Cette dernière comporte d’autre part des critères supplémentaires permettant de distinguer les groupes prioritaires dans l’accès au programme. Pour répondre aux appels d’offre, les projets constitués par les agriculteurs locaux, (c’est-à-dire au niveau du municipe) doivent être étudiées en priorité, tout comme celles émanant des familles d’assentados des projets de réforme agraire, des communautés indigènes et « quilombolas » (noires) ou des descendants d’esclaves. Il existe par ailleurs une prévalence 31 Une nouvelle mesure avait tenté d’inclure la production agricole familiale au programme en 1994. Celle-ci ne resta cependant en vigueur que peu de temps (Siliprandi, 2013) 32 La loi demande à ce que soient couverts environ 30% des besoins journaliers des enfants. Ce pourcentage varie selon que l’établissement ait à fournir un, deux ou trois repas par jour (Résolution du 17 Juin 2013, FNDE-Ministère de l’Education Nationale)
  • 38. 32 pour les groupes formels (associations, coopératives) sur les groupes informels (sous forme individuelle) ainsi que pour les produits agro-écologiques ou biologiques sur les produits conventionnels. La mise en place du PNAE passe par le Secrétariat de l’Education rattaché à la Mairie locale33 ou par l’EMATER lorsqu’il s’agit d’écoles d’Etat. Ils sont en effet chargés d’établir un appel d’offre public spécifique pour l’agriculture familiale, spécifiant les denrées, les quantités et les prix d’achats. Ces prix s’établissent selon une moyenne calculée à partir des prix pratiqués sur au moins trois marchés locaux (obligation émise par la résolution 26 du 17 Juin 2013, Art. 29). Enfin, la limite de vente par agriculteur est de 20.000 réais (soit environ 7 715 euros) par an (Loi n°11.947 de l’article 14, 2009). Tout comme le PAA, ces nouvelles mesures tendent à dynamiser la production locale en garantissant un nouveau marché pour les agriculteurs. Le système d’appel d’offre traditionnel sur lequel repose le PNAE incite en effet à acheter au prix le plus bas, sans réellement se soucier de la qualité des produits. Les agriculteurs familiaux, ne possédant généralement ni l’infrastructure ni les certifications sanitaires leur permettant de concourir avec les grandes entreprises, sont alors dans l’impossibilité de passer par ce processus. D’autre part, l’achat direct de produits à l’Agriculture familiale permet d’instaurer un circuit court de commercialisation, grâce auquel il devient possible de consommer des produits locaux, frais et plus sains dans les crèches et les écoles. Le PAA et le PNAE en tant que politique publique introduisent une part de réciprocité dans un dispositif d’échange marchand. Leurs modalités prévoient en effet une régulation des prix afin de protéger les agriculteurs locaux de la libre-concurrence du marché d’échange. L’intervention de l’Etat se justifie donc par la nécessité d’introduire une part de valeurs éthiques, essentiellement d’équité, afin de pouvoir assurer l’apprentissage de l’accès au marché des agriculteurs familiaux dans des conditions plus justes (Sabourin 2011). 33 Du nom de « Prefeitura » en portugais.
  • 39. 33 2.1.2 L’implémentation du PAA à l’échelle de notre étude Pour réaliser une analyse des acquis et des limites du PAA sur le territoire de la Borborema, nous nous sommes intéressés aux trois PAA de dons simultanés mis en place dans le municipe de Remígio, puis au PAA régional de l’association de l’Eco-Borborema. Au sein du municipe de Remígio, trois associations, accompagnées par Milena, coordinatrice de projets du Secrétariat de l’Agriculture de Remígio, ont en effet établi un projet PAA avec la CONAB. Il s’agit de l’Association Communautaire du Développement de Caiana (ACODECA) qui regroupe douze participants, l’Association Communautaire Noire du Camara (ACONCA), composée aujourd’hui de 18 agriculteurs ainsi que de l’Association Communautaire de l’Agriculture Familiale de Massaranduba (ACAFAMA) comptant huit agriculteurs. Ces associations se sont formées entre 2009 et 2010, regroupant à la fois producteurs conventionnels et agro-écologiques34. Les entités réceptrices de la marchandise sont Le Service Social du Commerce (SESC), qui redistribue ces aliments sous forme de dons auprès de 43.000 personnes, le Centre de Référence et d’Assistance Sociale du municipe de Remígio, dont l’assistance bénéficie à 2.247 personnes, ainsi que les crèches et Ecoles du municipe. Le SESC est un organe social des entreprises du commerce formé en 1946 redistribuant les surplus d’aliments des supermarchés à des organisations à travers son programme social Mesa Brasil. Il facilite la logistique du PAA en récupérant les denrées alimentaires directement au domicile de l’association, de manière régulière (toutes les semaines, tous les quinze jours ou tous les mois selon les produits disponibles). Cette organisation reçoit d’autre part les produits du PAA issus des producteurs de l’EcoBorborema pour effectuer le même service. De même, le SESC récupère les « surplus » de produits des membres de l’association participants au PAA, généralement à la fin des marchés agro-écologiques. La mise en place du projet de PAA de l’EcoBorborema s’est faite en vue de créer un débouché supplémentaire pour les feirantes, et aussi, comme nous l’avons évoqué précédemment pour écouler les stocks de pomme-de-terre suite au succès du projet de revitalisation de l’AS-PTA et du PSB. Moïses et Emilio, les deux agriculteurs d’Areial que nous rencontrés y sont par exemple insérés depuis l’an dernier, et commercialisent en outre 34 Les producteurs agro-écologiques ne bénéficient pas d’un prix d’achat supérieur étant donné que l’association n’est pas reconnue comme association agro-écologique.