1. Tunisie: la bombe numérique laissée par Ben Ali
L
’ancien président tunisien, Zine trois fonctions doivent toujours être sépa- autre fournissant les instruments pour né par le tribunal, il s’est pourvu en appel
El-Abidine Ben Ali, avait en partie rées ». C’est un peu comme si une seule déjouer la censure. puis, maintenant, en cassation. Et c’est là
compris l’importance de l’innova- instance concentrait les trois pouvoirs Il propose de laisser le contrôle du que le bât blesse. Tant que l’ATI est régle-
tion technologique et le potentiel que sont l’exécutif, le législatif et le judi- contenu à la discrétion de chaque utilisa- mentée comme aujourd’hui, le juge (ce
de l’économie digitale, et il a laissé un ciaire… comme dans une dictature. teur sans que l’Etat ni une société inter- n’est pas le pire des cas) peut l’obliger à
pays plutôt mieux placé que beaucoup « L’ATI était étroitement liée au palais médiaire n’aient leur mot à dire. Il souhai- censurer. Son successeur, qui devrait être
de ses semblables. Mais le paradoxe du [présidentiel], ajoute Moez Chakchouk te que l’ATI devienne un acteur neutre et nommé prochainement, n’aura pas néces-
dictateur à l’heure numérique, c’est qu’il qui en est l’actuel patron. C’est une agen- qu’on permette aux autres opérateurs sairement le courage de lui tenir tête jus-
ne peut pas tolérer l’innovation sans ce technique super bien équipée et bénéfi- d’être présents dans le capital. Il ne faut qu’au bout.
contrôle et qu’il l’inscrit dans les institu- ciaire. Elle promouvait l’économie digita- pas la détruire comme certains l’ont C’est ainsi un cadeau empoisonné qu’a
tions. Une vraie bombe à retardement. le tout en travaillant avec le régime. Elle demandé au début de la révolution. « Il laissé Ben Ali en offrant aux nouveaux
Fait rare dans le monde (voyager avait un rôle dans l’innovation mais faut la transformer. » dirigeants la tentation de ne pas détruire
tour du monde apprend à ne pas dire « unique » à la légè- contrôlait les médias. » un outil qui marche, mais qui est redouta-
de l’innovation re), l’Agence tunisienne de l’Internet Ce contrôle est en fait une quatrième Outil redoutablement dangereux blement dangereux. La situation risque
(ATI) est la responsable technique des fonction, celle de sécurité du régime Pour Khaled Koubaa, tant que l’outil rapidement de se compliquer car il faut
trois fonctions principales du réseau des dont l’ATI est ainsi investie. « Elle était existe dans ces conditions, il peut être uti- bien comprendre que ce sont moins les
Francis Pisani réseaux : les noms de domaine, les adres-
ses IP et l’IXP, l’Internet Exchange Point
considérée comme le rideau de fer de l’In-
ternet au temps de Ben Ali », ajoute
lisé différemment. Il soutient Moez Chak-
chouk, mais il ajoute (et l’intéressé en est
acteurs directement impliqués que la
structure en place qui pose problème.
(« l’infrastructure physique par laquelle M. Chakchouk. bien conscient) : « La révolution a changé On est en droit de
Journaliste et blogueur, les fournisseurs d’accès à l’Internet échan- Nommé dès les premiers jours de la le PDG mais pas la structure. Il suffit de le se demander ce que
(winch5.blog.lemonde.fr) gent le trafic entre leurs réseaux » pour révolution, il fait tout ce qu’il peut pour virer pour revenir à la censure. C’est extrê- feraient Nicolas Sarko-
(PHOTO : MARC CHAUMEIL) augmenter la bande passante en rédui- limiter les dégâts. Premier point : plus de mement dangereux. » zy, José Luis Rodri- Tunisie
sant les coûts, nous explique Wikipédia). secrets. Il reçoit médias et blogueurs. Il a Le problème est très concret : sommé guez Zapatero ou
Or, m’indique Khaled Koubaa, prési- ouvert une plate-forme gratuite pour les de censurer des sites pornographiques, David Cameron s’ils
dent de l’Internet Society Tunisie, « ces logiciels libres ou open source et une Moez Chackchouk s’y est refusé. Condam- avaient un tel outil. p