1. Quand il est monté dans la voiture, je n'ai pas fait attention à lui... Si bien
sûr, ça m'a un peu énervée qu'il s'asseye comme ça sur les choux à la crème
que je venais d'acheter, mais bon je ne suis pas regardante, c'est pas pour
ce que je les avais payés (15 francs les quatre à Auchan, juste avant la
fermeture), alors hein, j'allais pas lui faire un flan. Non, c'est lorsque j'ai
démarré et qu’il m’a dit : « Tu conduis pas comme une barge j’espère ? »
Là, j’ai tourné ma tête vers la droite, oui j’ai pensé que les mots venaient de
là, j’habite la France alors j’ai le volant à gauche – j’ai vu des mots sortir
de sa bouche, d’abord un, puis deux, puis trois, tac, vlan, ils s’écrasaient
contre le pare-brise comme des moustiques, ils sentaient mauvais le tabac
froid et le vin chaud – je me suis dit : qui c’est celui-là ?...
Mais comme je suis polie, je lui ai dit :
- Bonjour, comment ça va ?
- Ca te regarde !? qu’il m’a rétorqué...
Bon, comme je me fichais en fait de sa santé et que j’avais dit ça par
politesse, j’ai répondu :
- Non, non, pas du tout.
- Alors roule et ferme-la, j’aime pas les bavardes.
Je voulais lui demander où nous allions, mais comme il avait l’air de s’en
foutre, j’ai tourné à gauche. Je lui ai montré l’école où j’allais quand j’étais
petite, mais sans parler, je lui ai juste touché le coude et j’ai fait un signe de
la main. Il me regardait bizarrement ; je me suis dit qu’il n’avait pas dû
aller à l’école ici.
Au bout de deux heures, nous sommes arrivés à l’entrée d’un joli bois, tout
vert, avec plein d’arbres. J’ai pensé que je n’avais pas décongelé de la
viande pour le soir.
Il m’a dit :
- Arrête-toi là !
- Là ?
- Oui, là !
- En plein milieu du bois ?
- Non, sur le parking derrière le brin de muguet, pauvre tâche !
J’ai donc coupé le contact là en plein milieu. Moi, garée comme une
malpropre !! Je me suis mise à trembler, c’est vrai, j’ai un sens du civisme
très prononcé, je fais toujours de beaux créneaux, et je paie toujours mon
ticket d’horodateur. J’en étais vraiment malade.
- T’as la trouille ?
- Non, c’est pas ça, je sais qu’il n’y a pas de gendarmes dans le coin, mais
j’aime pas faire ça n’importe comment.
- Pourquoi tu parles de flics ?
Sa voix devenait méchante ; lui aussi, il devait s’inquiéter, il devait être un
2. bon citoyen. Alors je me suis reprise, je lui ai tapoté la main.
- C’est pas grave, vous n’en n’avez pas pour longtemps. Et puis, si par
hasard il en arrivait un, je connais quelqu’un qui peut arranger le coup.
- Mais je suis tombé sur une barge ! Quel coup ?
- Ben, pour la prune.
- Quelle prune ? J’ai pas tiré, que je sache !!! T'es une allumée, toi !
Il s'énervait, et moi, méchante fille qui le retenait, on voyait bien pourtant
qu'il ne pouvait plus se retenir...
- Et pourquoi j’ai le cul tout mouillé ?
Il remuait dans tous les sens.
- Oh, c’est rien, ce doit être les choux…
- J’ai pas mangé de choux, qu’est ce que tu baves pauvre cinglée !!! Allez,
fais demi tour, j’en ai marre de toi !
- Ben d’accord, mais vous voulez plus... heu.. Allez-y, va, je vous en prie, je
sais ce que c'est...
- T’es vraiment naze comme meuf, qu’il a gueulé, tu me dis plus rien, t’as
compris !!!
Alors, il est descendu, je l'ai regardé s'éloigner... Avec son petit derrière
mouillé, il me faisait de la peine..
J'ai attendu au moins une heure à côté de la marmelade de choux, je l'ai
même appelé : houhou, Monsieur, houhou... Je trouvais qu'il était quand
même long pour faire pipi, mais peut-être qu'il faisait la grosse commission,
mais même, c'était long... Ca m'ennuyait d'abandonner un homme à la
tombée de la nuit en plein bois, mais comme je n'avais rien décongelé pour
le soir, je me suis résignée à partir... J'étais pas fière de moi, je peux vous le
dire... J'espère qu'il a retrouvé sa route... Je suis trop dure des fois.