2. En tout début septembre 2005 s’est tenu à Sulejówek un stage de
trois jours sur le thème de l’Interculturel, dans les locaux du CODN, grâce au
concours de Marek Zając (les intervenantes étaient Renia Klimek-Kowalska
et une Roumaine dont le nom m’échappe actuellement). Ce stage, riche à tous
points de vue, m’a tellement donné à penser, que je me suis demandé si je
ne lui donnerais pas un prolongement en écrivant un texte simple, sorte de
résumé destiné à mes étudiants, interessés au premier chef par l’interculturel.
L’idée m’est venue ensuite d’improviser quelque chose de plus festif, de plus
drôle, pour être reçu non seulement des étudiants, mais aussi d’un public plus
large, d’où cette piece. C’est bien connu, sans avoir l’air, le comique donne
à réfléchir. Je soumets donc au lecteur ce texte, et à lui de décider s’il est
exploitable ou non.
Jean-Pierre Darcel,
Assistant de Coopération pour le Français au NKJO de Jastrzębie Zdrój
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3. Nombre d’acteurs : 9
Mise en scène : Monika
Costumes, accessoires, décor, éclairage et son : Natalia et Kasia
Script : Sylwia et Justyna
Distribution
Le prêtre : Mateusz
Le père : Łukasz
Le fils : Piotr
La Mère : Adriana
La Fille au pair : Hanna
Ampofra : Marzena
Les deux filles : Magda et Renata
La grand-mère : Iga
Equipe théâtrale des étudiants du Collège de Jastrzębie Zdrój
En haut, de gauche à droite: Marzena Gawłowska, Iga Bałdyga, Kasia Spit,
Magdalena Tetla, Łukasz Rzepecki, Renata Salwiczek, Piotr Charysz, Adrana
Gzyl, Sylwia Kosmala, Monika Machowska
En bas, de gauche à droite : Mateusz Pomykoł, Hanna Mickiewicz, Natalia
Zgnilicka
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4. Acte 1
La scène se passe quelquepart en France dans une famille française. Une
jeune polonaise est reçue dans sa famille d’adoption comme jeune fille au
pair pour une période non définie.
Scène 1
L’intérieur de l’appartement paraît assez vaste. Nous sommes d’abord sur
le palier.
La Fille au pair
Puk, puk, puk !
Le fils de famille, qui arrive lui aussi à l’appartement, sur le palier :
Ah non, on dit toc, toc, toc en français ! Bonjour, moi, c’est Eric, le fils de la
maison !
La Fille au pair :
Je suis ravissante de faire votre connaissance
Le Fils de famille :
Je ne suis pas mal non plus, euh ; non, je veux dire, ravi de te connaître, euh
... euh... (en claquant des doigts)
La Fille au pair : (en lui serrant chaudement la main et en claquant aussi
des doigts) Euh... euh...
Le Fils de famille :
Tu ne me comprends pas. Je voulais te demander quel est ton prénom
La Fille au pair :
Oh, pardon, on m’a dit de faire comme les Français, c’est pour ça. C’est tout
simple, je m’appelle Bożena Brzęczyszczkiewicz.
Le Fils de famille
Ah ! ..... ben... bienvenue. (Il l’embrasse, elle est surpise) Il y a un équivalent
français à ton prénom ?
La Fille au pair
Pas vraiment, mais tu peux m’appeler Divine, c’est la traduction de Bożena.
Le Fils de famille, en la regardant de la tête aux pieds
Divine, peut-être pas, mais Ludivine, cela pourrait aller.
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5. La Fille au pair
Mais je ne m’appelle pas Ludivine, je m’appelle.....
La porte s’ouvre et les parents d’Eric apparaissent sur le seuil :
Les Parents, ensemble et lui tendant la main
Bonjour Mademoiselle !
La Fille au pair (elle crie)
Bonjour.....Non ! pas sur le seuil !
Les parents, effrayés, ont un geste de recul
Le Père :
Pardon ?
La Fille au pair :
Cela ne porte pas malheur, en France ?
Le Père :
Quoi donc ?
La Fille au pair :
De se serrer la main sur le seuil ?
Le Père :
Mais non, mais non, quelle drôle d’idée ! Allez entrez, ne restez pas sur le
palier !
Scène 2
A peine entrée, elle se fait embrasser (4 fois par chacun) violemment par les
parents visiblement ravis : elle l’est moins...
Fille au pair : (s’adressant au père)
Je suis ravissante. C’est donc de vous que je vais m’occuper ?
Père
De moi, non, mais surtout des enfants .
Fille au pair :
Ah bon, parce que l’organisme français m’a bien dit « fille au Père »
Les Parents et Eric rient
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6. Le Père
Mais « au pair » ne signifie pas « au Père de famille », cela vient du latin et
signifie...
La Mère
Bon écoute, tu ne vas pas la fatiguer avec ta culture, elle est morte de fatigue,
la pauvre, après ce long voyage ; la Pologne, c’est très très loin, n’est ce
pas?
La fille au Pair :
Oh oui, 2 heures d’avion avec Wizzair !
La Mère :
Euh, oui, bon. Nous allons passer à table, et après au dodo !(en criant) Les
enfants, venez voir votre nouvelle Jeune fille au pair !
Deux grandes filles de 8-10 ans arrivent saluer la nouvelle et se précipitent
sur elle pour l’embrasser (4 fois) : Bożena soutient le choc courageusement.
Les filles
Bonjour !
Fille 1
Maman, elle est pas blonde aux yeux bleus ! Elle n’a même pas de nattes !
Fille 2
Comment tu t’appelles ?
La fille au pair
Bożena !
La Mère
Alors, Bazona, asseyez-vous !A table tous, nous allons dîner ! Alors au menu,
spécialement pour Barzona , crustacés , beefteck de cheval à la purée de
moules, fromage et pour dessert une bonne petite compote, au sirop d’érable,
bien sûr ! A Bozena Cela vous va –t-il?
La Fille au pair
Oh vous savez, je n’ai pas très faim, mais plutôt très soif. Mais je ne vois pas
la compote, pour boire.
Tous se regardent étonnés
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7. La Mère
Et bien, cela promet... ! Mais la compote ne se boit pas, voyons, c’est un
dessert aux pommes.
La Fille au pair
Ah... oui, bien sûr, excusez-moi.
La Mère
Dîtes, Borzina, votre lecteur de français en Pologne, il n’était pas alsacien,
n’est-ce pas ? parce que vous avez un sacré accent du midi !
Scène 3
On commence à servir du crabe, dont elle ne prend qu’un tout petit morceau,
et écoute les conversations de table, qui se résument à
-c’est excellent,
-succulent,
-rarement mangé quelque chose d’aussi bon,
-d’aussi frais,
-qu’est-ce que c’est bon !
-où as–tu acheté cela,
-mais chez mon poissonnier, Monsieur Boucher
-ta mayonnaise est exquise,
-oui, juste assez d’huile et de sel,
-oh, les enfants, vous allez me faire rougir
(en rajouter encore, car il faut que cela dure, éventuellement avec la
dégustation du vin)
La fille au pair timidement
Vous ne parlez jamais d’autre chose que de manger ?
La Mère
Oh si, parfois. Mais au fait, dîtes-moi, qu’est-ce que vous avez mangé dans
l’avion ? Oh pardon !
Le Père (à Bożena) en même temps que la mère à la fin de sa phrase
Maman, voyons....
A la fille au pair
Un peu de vin blanc ?
La Fille au pair
Non, merci, jamais de vin. Mais je prendrais bien du thé
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8. Le Père (affolé et qui se lève pour se rapprocher d’elle)
Chérie, Barzona est malade, elle veut du thé.
La fille au pair
Non, non, je ne suis pas malade, c’est une boisson habituelle en Pologne
durant la collation.
La Mère
La collation, merci : je vous ai préparé un vrai repas !
Le Père
Ma petite, il va falloir vous franciser un peu. Mais parlons peut-être un peu
de vos obligations. Vous verrez, elles sont peu nombreuses, mais nous tenons,
ma femme et moi à ce qu’elle soient toutes scrupuleusement remplies : vous
devez le matin être prête avant tout le monde pour libérer la salle de bain
au moment où nous nous levons. Vous préparez le petit-déjeuner et faites
la vaisselle dès que nous sommes partis au travail. Ensuite le ménage, les
courses pendant que ma mère vient garder les enfants. Bien sûr la préparation
du repas de midi, la vaisselle et là vous disposez d’une bonne heure pour
vos distractions. L’après-midi est consacré à la lessive et au repassage, tout
en vous occupant des enfants, à la promenade avec eux, à la préparation
du repas du soir, aux devoirs des enfants, à la vaisselle après manger, et
la soirée, petite veinarde, vous la passez chez ma mère qui habite à l’étage
supérieur pour discuter avec elle ou lui faire la lecture. Vous pourrez dire
n’importe quoi, elle est sourde comme un pot. Vous aurez remarqué que vous
n’avez pas à mettre la table, ni à la desservir... nous ne voulons pas en effet
vous exploiter..... cela revient aux enfants, et je suis très ferme là-dessus, ils
doivent aider au soin de la maison.
La Fille au pair :
Jesus Maria, je vois que Monsieur a ses règles. (tout le monde se regarde)
Mais je suis d’accord. J’ai une prière pour vous, j’aurais besoin d’un réveil,
parce que je prends la pilule...... (tout le monde se regarde) pour dormir
(tout le monde paraît rassuré). Vous savez, je suis chaude ici (elle s’éponge
le front) et je suis déjà pleine (elle montre son estomac déjà plein). Puis-je
aller me coucher ?
La mère
Attendez un peu, on commence seulement le repas ! Je suis un peu inquiète,
car vous me paraissez bien jeune pour venir à bout de toutes ces tâches.
Eric
La dernière fille au pair avait 19 balais , et toi ?
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9. La Fille au Pair
Moi, je n’en ai qu’un mais je ne l’ai pas amené, je croyais qu’il était fourni,
et pour les taches, ne vous faites pas de souci, il y a de très bons produits sur
le marché ! Et puis je suis robuste, faîtes moi confiance.
La Mère
Bon, allez, goûtez-moi ce steack de cheval bien saignant et la purée de
moules!
La Fille au pair
Matko Boska, je ne pourrai jamais manger ça !!
La Mère
Allons, appelez moi tout simplement Marie !
La Fille au pair très timidement
Je peux quitter la table maintenant, cela fait plus de 30 minutes que ça
dure...
La Mère
Mais quelle idée .... !!! Il faudra vous habituer, en France on prend le temps
de manger.
(Un petit silence, et sur le ton de la confidence....
Zabena, je suis un peu inquiète
Vous n’allez pas tout le temps faire la diète ... !!!
Parlez-nous un peu de vous.
Vous venez de Jastrzebie Zdroj (prononcer toutes les lettres, mais terminer
par le son « ou »)
D’une famille de mineurs.
Avez-vous eu le bonheur
D’une bonne éducation,
N’avez-vous que ces façons... ?
La Fille au Pair (se levant, d’un air hautain et offusqué, elle se met à parler
en vers de 16 pieds !!!!!)
Sachez, Madame, qu’en Pologne, pendant trois ans j’étudiai
Au Collège de Formation des Maîtres de Français ;
Car ma ville de mineurs, au travail toute consacrée
N’a cessé au fil des ans de créer des instituts,
L’intellect de ses enfants devenant chose sacrée.
Et s’il arrive que l’Or noir, au fond de la mine tue,
L’éducation comme vous dîtes, ou plutôt, mieux, son absence
Serait ressentie chez nous comme un total non sens.
Tous les Pays je crois, et je compte la France ici
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10. N’ont pas toujours, ce me semble, connu un si grand souci.
Et je vous rappelerai, seulement à titre d’exemple
L’embrasement des banlieux, aux soubresauts si amples
Preuve suffisante de l’amour qu’aux étrangers vous portez.
Epargnez-vous vos leçons, portez-moi plus d’amitié
Et si mes façons dérangent, ce qu’ au vrai je déplore fort
La cause en est l’ignorance, et elle est des deux bords.
La partie vous est facile, venez donc un peu chez nous,
Vous comprendrez vite alors, l’intérêt d’un profil doux
La Mère et le Père, le Fils (hébétés, ensemble)
Ben ça alors... mais vous parlez en vers !
La fille au pair
Ah bon ? Oh, vous savez, j’ai eu de bons maîtres, le Collège de Jastrzębie a
une excellente réputation (se faisant toute petite ). Excusez-moi d’avoir été
aussi dure, mais vous devez comprendre que ce n’est pas si facile que ça pour
un étranger quand il arrive en France. Si j’osais, je vous proposerais bien de
venir en Pologne, ce serait amusant de voir nos rôles renversés.
Le Père
Ce n’est pas une mauvaise idée, mais on est trop bien en France. Dîtes-moi,
Walesa est bien toujours Président de la République ?
La fille au pair
Ah non, pas vraiment, c’est maintenant Lech Kaczynski, de la PiS
Le Fils qui commence à rire
La PiS ?
Toute la famille française essayant de prononcer « Kaczynski »
La Fille au pair
Si vous n’y arrivez pas, vous pouvez l’appeler Le Canard, c’est la même
chose. Mais dîtes-moi, vous savez que le mur de Berlin est tombé, que Jean-
Paul II est mort, tout de même ?
Tous, sauf Bozena, comme un peu déçus...
Oh, quand même.... !
Scène 4
La fée Ampofra apparaît subitement, habillée des attributs de la France et de
la Pologne. Elle jette d’un coup de baguette magique un engourdissement sur
tous les habitants de la maison. Ils sont figés dans leur dernier geste
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11. Ampofra
Bon, il était temps que j’arrive pour remettre les pendules à l’heure. Je me
présente, Ampofra ! Je suis une fée issue d’un mariage mixte franco-polonais,
c’est pour ça que mes parents m’ont donné ce nom ridicule, Ampofra, pour
AMitié POlono-FRançaise. Oui, je sais... mais on ne choisit pas ses parents!
Vous savez, en ce moment, entre la France et la Pologne, j’ai de quoi faire!
Ah, j’ai oublié de vous dire, je suis une fée bienfaisante , parce qu’il ya deux
sortes de fée, les... ah mais vous savez tout ça. En fait, mon caractère est un
peu facétieux... et j’aime bien faire des blagues. Tenez, par exemple, les mots
de Chirac, au moment de la guerre d’Irak, et bien, c’est moi qui les lui ai
soufflés. Non, sans blague !!! Eh, vous ne pensez tout de même pas qu’il est
assez intelligent pour les avoir trouvés tout seul ? Remarquez, je l’ai regretté
tout de suite, parce que qu’est-ce que j’ai comme boulot, maintenant pour
recoller les morceaux ! Entre des Polonais ultra-susceptibles et des Français
super-arrogants, allez trouver un terrain d’entente, vous ! Alors j’ai renoncé
à agir sur la scène européenne pure, lors des sommets, surtout qu’entre
Kaczyński et Chirac, cela promet d’être amusant : « alors, comme cela, on
ferait mieux de se taire ? » - « Vous, le demi-curé, vous n’avez pas de leçons
à me donner pour la tolérance ! ». Non, je préfère agir dans la sphère privée.
C’est moins spectaculaire, mais plus efficace.
Alors, justement, avec ceux-là, je vais m’amuser un peu, et leur donner une
petite leçon. Je me transforme les Français en Polonais, et la petite Bozena
devient une parfaite petite Française. Même pas la peine de se transporter en
Pologne, cet appartement fera l’affaire, et point de vue décor, on économise
aussi un peu. On va juste un peu le réduire pour faire plus vrai. J’espère ainsi
que le pouvoir de mon orzgut (oui, orzel et kogut, orzgut !) va opérer une
fois de plus et que quand le charme sera rompu, ils se respecteront un peu
mieux...
La fée se met de côté, et donne un autre coup de baguette magique, qui
transforme totalement la situation. Les Français sont devenus polonais,
Bozena s’est muée en Chantal. Ils se rhabillent en conséquence, les bérets
sont rangés, le vin donne place à la vodka, etc.,
(à inventer)
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12. Acte 2
Scène 1
Les parents, devenus polonais, ouvrent la porte, et la font rentrer sans lui
serrer la main Bienvenue, Mademoiselle, dans notre petit coin de Pologne !
Ils lui tendent la main de très loin, pour l’empêcher d’embrasser sur les
joues. Le garçon, lui, commence à lui baiser la main, puis remonte de plus en
plus haut sur le bras... Elle lui retire la main. Elle entre dans un appartement
minuscule.
Le Père
Vive la France, mais pas Chirac, hein ! Donnez-moi votre pantalon....(elle
a l’air étonnée, mais commence à dégrapher sa ceinture) euh non, votre
manteau ! Là... asseyez-vous. Maintenant vous allez expérimenter ce qu’est
l’hospitalité polonaise, eh, eh, eh !!!
Il donne alors un signal en claquant des doigts, ou autre signal, et tout le
monde se précipite sur la jeune française.
Le Fils
Donnez-nous vos chaussures, tenez des pantoufles pour vous sentir bien, ce
sont celles du grand père qui est mort dedans !
La Mère
Mais je vois que vous êtes enrhumée, je vais vous chercher des petits draps
pour le nez.
La mère sort vers la cuisine.
La demoiselle
Mais ce n’est rien, je suis juste un peu sensible à la climatisation des avions
Le Père (affolé)
Chérie, vite un lait de poule, avec oeuf, aïl, miel et vodka. Tenez, mettez ces
petites gousses d’aïl dans vos narines, vous verrez que dans huit jours, le nez
ne coulera plus !
(elle est obligée d’obtempérer)
La Grand mère, avec une voix chevrotante
Et voilà déjà un bon barszcz brûlant, bien acide et poivré, vous m’en direz des
nouvelles ! allez, buvez ! (elle s’étouffe)
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13. La demoiselle
Mais j’ai déjà mangé dans l’avion !
La Mère
Dans l’avion, cela ne compte pas, ce n’est pas sur le territoire polonais ! (à
sa mère : ) Mais, Maman, tu vas l’étouffer avec ton barszcz, laisse lui goûter
à mes côtelettes de porc au chou, la célèbre schabowy. C’est le plat national
polonais. Et pour boisson, une petite vodka pour couper la faim ? (la bouche
pleine, elle fait signe que non avec véhémence) Non, je plaisante, on vous
apporte un bon thé dont vous devez rêver depuis des heures... (de la tête, elle
laisse comprendre que ce n’était pas son rêve)
Le Fils
Goûtez-moi donc ces harengs marinés à l’huile et au raifort, achetés tout frais
du marché, cela va vous retaper.
Le Père
Et ce bigos maison, rien à voir avec celui des restaurants. Avec cela, vous
tiendrez les – 15° que nous avons ici depuis une semaine.
La grand-mère avec une voix chevrotante
Et un bon petit Makowiec en dessert, je l’ai fait moi-même, cela ne peut pas
se refuser...
Le Fils
Et un alka seltzer pour l’estomac ! (ou autre médicament pour l’estomac). Il
dit très rapidement comme dans la publicité, et en polonais, Przed użyciem
zapoznaj się z treścią ulotki dodanej do opakowania lub skonsultuj się z
lekarzem lub z farmaceutą. (il reprend son souffle quelques instants) Oh
pardon ! Et il dit tout aussi rapidement qu’en polonais : Avant tout usage
consulter la notice ou demander conseil à son médecin ou son pharmacien.
La demoiselle se lève précipitemment pour échapper à toutes ces attentions
et dit en criant:
Merci ! Vraiment merci ! Non (on lui offre à nouveau quelque chose) Non !
C’était magnifique ! (elle laisse échapper malgré elle un petit rot) et surtout
très léger (tout le monde opine du bonnet), mais je n’en peux plus. J’ai besoin
d’exercice, je vais vous aider à faire la vaisselle !
La Mère faisant un barrage de son corps
Jamais, plutôt me passer sur le corps ! Un hôte chez nous ne travaille pas !
Le Père
Bon, écoutez, si vous êtes rassasiée, c’est le principal, d’autant que vous allez
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14. maintenant chez la voisine, parce qu’ici, c’est trop petit pour vous loger, et je
crois qu’elle vous a préparé quelque chose de bon !
La demoiselle, s’allonge sur le canapé ou s’asseoit sur une chaise dans un
râle
Ah !!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
Scène 2
(duo entre la Mère et la Demoiselle)
La Mère
Votre prénom est vraiment Chan-ta-le (prononcé à la polonaise avec ajout
d’un « e ») et votre nom de la Mothe de Présalé ?
La demoiselle
Oui et non, c’est Chan---tal (avec une coupe entre les deux), et mon nom est
assez courant en France
La Mère (qui regarde si personne ne l’écoute)
Ah, d’accord, Chant---tal. Moi c’est Alicja, mais on m’appelle aussi Ala, mon
mari et quelques amis me disent Alounia, mais en général, c’est Alousia. Et
pour vous, c’est quoi vos petits noms ?
Chantal
Ben, non ; je n’en ai pas, c’est plus simple.
La Mère
Oh, comme c’est triste...Mais, dîtes-moi, Chant---tal, (elle accentue comme
lorsque Chantal l’a reprise la première fois) puisque nous sommes entre
femmes, comment sont les hommes dans votre pays ?
La demoiselle
Vous voulez dire au début ou quand on vit déjà avec ?
La Mère
Oh, les deux !
Chantal
Et bien au début, avant ... la chose...ils sont charmants, cajoleurs, serviables,
ils vous suivent partout, vous collent aux basques, ils sont plutôt romantiques,
vous offrent des fleurs, vous invitent au restaurant ... et puis après la
bagatelle..., les choses changent avec le temps, ils vous laissent plus de loisir,
ils mettent un point d’honneur à ne pas s’immiscer dans les choses du ménage
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15. (elle fait signe de balayer) en vous expliquant que vous avez droit à votre
indépendance, ils mettent dix minutes à vous faire comprendre que votre
plat est bon, mais pour leur faire faire les courses, bernic, c’est la croix et la
bannière. Ils redeviennent très tendres, en général quand ils se sentent des
ardeurs... le soir...Bref, il y a le français d’avant et ...d’après.
La Mère
Ah ben chez nous c’est pareil !. A la différence que les hommes ici nous
baisent la main sans arrêt, ça leur évite peut-être de toucher notre coeur. Et on
nous offre aussi des fleurs pour un oui, pour un non, et c’est plutôt agréable.
Pour la fête des femmes, des profs, des grands-mères, des arrières grands-mères,
des blondes, des brunes, etc... Mais dîtes moi encore une petite chose
(elle regarde pour voir si personne n’arrive) Les français, ils sont comment,
quand.... ?
Chantal
Comment ça, comment quand ...?
La Mère
Je veux dire (elle fait un geste qui exprime « faire l’amour)
Chantal
Ah, vous voulez dire au lit ?
La Mère
Chut, voyons, chut. !!! Oui, comment sont-ils au lit ? Les Français ont une
très bonne réputation en Pologne... du moins à ce point de vue-là....
Chantal
Ben, vous savez, c’est délicat, je n’ai pas fait ça souvent, je ne peux pas
dire...
La Mère
Ah, tant pis, n’en parlons plus ! Ah, on sonne à la porte, je vais voir qui
c’est!
Scène 3
Les deux mêmes, plus le Curé de la paroisse
Le Curé (un peu bedonnant et rougeot)
Niech będzie pochwalony
La Mère
Pochwalony, pochwalony. Je vous présente la correspondante française de
mon fils, Chant---tal.
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16. Le Curé
Une française, ouais, ça ne va pas beaucoup à l’église, ça, pas vrai ? (elle veut
répondre mais n’en pas le temps car le Curé continue) Mais d’un autre côté,
il y a tellement de grands saints français, comme le Curé d’Ars, par exemple,
patron des Curés du monde entier. Il y a peu, j’ai fait une demande pour
être missionnaire en France sur la Côte d’Azur, il y a beaucoup à faire pour
rechristianiser, et puis (il se met à rêver)... on y mange bien.... la hiérarchie est
plus cool...presque pas de confessions (il a un gros soupir de soulagement)...
tout le monde est assis...parce qu’il n’y a que quelques vieilles....
La Mère
Oh, nous allons beaucoup vous regretter !
Le curé
Oh, vous savez, pour l’instant rien n’est décidé. Mais Chère Madame Alicjo,
vous devez vous demander ce que je fais là. Et bien, c’est tout simple : comme
je passais par là par hasard, je me suis permis de monter avec mes enfants de
choeur (ils sont restés dans le couloir), pour une petite visite d’amitié.
La Mère
C’est gentil, Monsieur le Curé !
Le curé
Mais non, c’est normal, voilà tout! Et maintenant que je vous vois, cela me
fait penser que je ne vois plus, justement, votre fils aux offices du dimanche.
(sa voix est de plus en plus énervée) On voit qu’il a terminé sa première
communion...il fait comme tous les autres « Une fois le petit Jésus mangé, au
revoir Monsieur le Curé ». (La prenant familièrement par le cou et devenant
tout miel) Voyez ce que vous pourrez faire pour le ramener en douceur à
l’église, une main de fer dans un gant de velours, je vous fais confiance.
Mais, cela me vient à l’instant à l’esprit, votre mari a bien réussi son doctorat,
n’est-ce pas ?
La Mère
Mais oui !
Le curé
Ce qui fait qu’il peut émarger dans la catégorie supérieure..... (la Mère ne
comprend pas) ...pour le denier du culte ! il faudra penser à rectifier tout cela,
n’est-ce pas ? Mais je vous fais confiance. Bon, la santé va bien, alors je ne
m’attarde pas plus, je ne voudrais pas vous déranger. Au revoir, Madame
Alicjo ! Bóg zaplać ! (en reposant la bière qu’il a bue)
16
17. Chantal
Et bien dîtes donc, il en a du caractère, votre curé.
Rideau ou obscurité
Scène 4
On assiste à une soirée de Wigilia polonaise,un peu déconcertante pour une
Française Les enfants cherchent l’étoile en se chamaillantet déclarent la
voir:
La Mère (se penchant à la fenêtre pour vérifier si l’étoile y est bien)
J’ai vu l’étoile ! on peut commencer !
Chantal
Vous avez vu une étoile, vous, avec ce brouillard ?
Le Père
Mais oui ! Allez, à genoux, tout le monde, je vais lire un passage de la
nativité.
Il lit de façon peu compréhensible, avec des mots qui ressortent bien, comme...
Joseph et Marie,.... porte fermée,.... étable,..... le boeuf et l’âne,..... il est né.
Alors commence le silence et une méditation. Chantal trouve le temps long.
La mère branche alors une radio et l’on entend : «. Pour les personnes
muettes, voici maintenant notre grand succès, la litanie des saints de la
veillée de Noël ». Commence ensuite la litanie des saints : saint.... priez pour
nous, saint un tel.... priez pour nous, et cela dure longtemps. Tous sont abîmés
en prières. Chantal ne tient plus.
La Mère
Je vous invite maintenant à partager avec nous les oplatki, c’est une tradition
en Pologne ! Chantal, toute raide, se lève comme elle peut. On va vous
montrer, Chant---tal, comment nous procédons : repardez bien ! Les blanches
pour les humains, les roses pour les animaux (et elle en garde en main une de
couleur rose, par inadvertance).
La fée, par un coup de baguette à l’orzgut, ralentit le mouvement
Scène au ralenti où on insiste sur les sentiments en étant très émus, en faisant
effort pour rompre un petit morceau d’Opłatki . Les uns ont la main sur le
coeur, d’autres embrassent avec frénésie, d’autres déclament, etc... il faut
inventer, mais toujours au ralenti avec une musique adaptée.
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18. La fée rétablit l’ordre normal des choses.
On se met à table, avec le verre qui ne tient pas bien à cause du foin, et on
entend des koledy. On mange en silence et rapidement, très rapidement, dans
une atmosphère de recueillementdurant les pauses. La Mère en profite pour
présenter trois plats traditionnels de Noël : le barszcz, la carpe et les pierogi.
Chantal essaie souvent de dire quelque chose : on lui fait « chut !!! » et elle
attend la fin des koledy. Quand celle-ci arrive enfin...
La Mère
Alors, Chant—al ? Comment trouvez-vous nos traditions de Noël ? et les
Polonais ?
Chantal (regardant le fils de famille)
Pour les Polonais, (en regardant le fils de famille) rien à redire, et pour
les traditions, elles sont un peu étonnantes, pour la première fois, mais
tellement belles. Surtout gardez-les bien ! Chez nous, en ce moment, les gens
s’empiffrent, et attendent leurs cadeaux... Vous savez, j’ai compris une chose,
ce soir : nos coutumes sont très différentes, mais quelle richesse à partager !
Chantal se lève et, subitement prise par l’inspiration : les convivies la
regardent étonnés, quand soudain elle se met à chanter sur le thème de
la chanson de Jacques Brel, « Vesoul » : T’as voulu aller à Vesoul, on est
allé...»
1-Nous avions un de Gaulle, vous aviez Pilsudski
Vous adorez Chirac, et nous Lech Kaczynski
Vous mangez n’importe quand, nous, nous sommes programmés
Pour manger de midi à quatorze heures passées
Mais le tout c’est de manger quand on a une petite faim
Du pain, du vin, du boursin ou du massepain, c’est très bien.
Tous les acteurs, et ensuite le public, chantent en choeur :
Ref Ah j’aime la Pologne,
Et ça m’met en rogne (bis)
Quand on nous cherche la tête
Et qu’on dit qu’on est bêtes
Qu’on est trop amerlocs
Et qu’ on s’méfie d’l’Europe
2-Depuis qu’il dit trois mots l’dimanche en polonais
Vous aimez Benoit XVI blanchi sous le harnais
Nous on a plus d’distance car on est peu croyants
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19. Mais autrefois comme vous, on était pratiquants
Et un passé commun, c’est fait pour nous souder,
Alors n’hésitons pas, et soutenons l’amitié, l’amitié
Ref Ah j’aime la France,
Et ça m’met en transe (bis)
Quand on nous cherche la tête
Et qu’on dit qu’on est bêtes
Qu’on est trop arrogants
Quand on n’est qu’différents
3-Vos hannetons ne bruissent que sur les chrzcinie,
Vos tables ont des problèmes avec les nogami
Nos archiduchesses ont leurs chaussettes sèches
Nos six scies scient toujours nos si jolis cyprès
Vous avez Mickiewicz et nous avons Molière
Vous apprenez l’ français et nous, le polonais, l’polonais
Ref Ah j’aime la Pologne
Et ça m’met en rogne (bis)...... stop !
FINAL
La Fée Ampofra réapparaît et coupe court à tout. Avec un accent du midi
Stop ! Voyez, je vous l’avais dit ! Rien de mieux que la table pour les
rapprocher, ces deux peuples-là. Allez, je vous laisse, avec la bonne parole
de la réconciliation, soyez braves, et oeuvrez bien dans vos collèges, dans
vos classes et vos lycées, voire vos universités et faites des rencontres, faites
des rencontres, et plus tard, si Dieu le veut, ayez de beaux enfants... polono-français,
bien sûr !!!
Sur ce, on entend, comme dans la « Pastorale des santons de Provence », une
musique céleste sur fond de cloches. Rideau ou obscurité.
F I N
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