Malgré les faiblesses de la MONUC et les coûts exorbitants qu'elle entraîne, la
recrudescence des violences et l'intensification de la crise humanitaire en RDC depuis l’été 2008, le
Conseil de Sécurité des Nations Unies adopte en novembre de la même année la résolution 1843,
prévoyant le renforcement des effectifs de la MONUC à hauteur de 3000 hommes, ainsi qu'une
extension de son mandat. Le présent article explique ce paradoxe à travers les trois prismes
d'analyse développés par Graham Allison dans Essence of Decision : Explaining the Cuban Missile
Crisis. Les modèles rationnel, organisationnel et de marchandages, se complètent pour éclairer les
intérêts, les processus de décision et de négociation qui président à l'adoption de cette résolution.
Envoi de troupes supplémentaires de la MONUC en RDC - La MONUC, une force en quête de légitimité
1. Alice Conforti, Lucille Garric, Manon Richert, Pauline Vignoud
Envoi de troupes supplémentaires de la
MONUC en RDC
La MONUC, une force en quête de légitimité
1
Cours de Politique Etrangère 5DCI – Yves Buchet de Neuilly – IEP LILLE 2009
2. ABSTRACT :
Malgré les faiblesses de la MONUC et les coûts exorbitants qu'elle entraîne, la
recrudescence des violences et l'intensification de la crise humanitaire en RDC depuis l’été 2008, le
Conseil de Sécurité des Nations Unies adopte en novembre de la même année la résolution 1843,
prévoyant le renforcement des effectifs de la MONUC à hauteur de 3000 hommes, ainsi qu'une
extension de son mandat. Le présent article explique ce paradoxe à travers les trois prismes
d'analyse développés par Graham Allison dans Essence of Decision : Explaining the Cuban Missile
Crisis. Les modèles rationnel, organisationnel et de marchandages, se complètent pour éclairer les
intérêts, les processus de décision et de négociation qui président à l'adoption de cette résolution.
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3. […]
Un processus de décision marqué par les routines internes de l’ONU
L’analyse rationnelle ne se suffisant pas à elle-même, il est nécessaire de mobiliser des
éléments d'interprétation organisationnelle. En effet, la résolution 1843 du 20 novembre 2008 n'est
pas le fruit des réflexions d'un acteur unitaire qui serait l'ONU (à travers son Conseil de Sécurité). La
réalité est bien plus complexe et répond à des mécanismes organisationnels mis en branle, non pas
par un acteur unitaire et rationnel, mais par une chaîne d'acteurs interdépendants intervenant à
chaque étape du processus de réflexion, de décision, de votation et de mise en oeuvre selon des
procédures prédéfinies. Ces acteurs sont donc soumis à des routines internes, mais aussi à des
contraintes d'agenda, d'ordre temporel.
Dans le cas étudié ici, les procédures sont celles de l'ONU, et concernent en premier lieu le
processus décisionnel au sein du Conseil de Sécurité des Nations Unies. Celui-ci est constitué de 5
membres permanents, qui sont la Chine, les Etats-Unis, la Russie, la France, et la Grande-Bretagne, et
de 10 membres élus par l'Assemblée Générale pour un mandat de deux ans. En 2008, ces 10
membres non-permanents étaient : la Belgique, l'Afrique du Sud, le Burkina Faso, le Costa Rica, la
Jamahiriya arabe libyenne, l'Italie, l'Indonésie, le Panama et le Viêt-Nam. La Belgique et l'Afrique du
Sud sont les deux Etats les plus directement concernés par le conflit en RDC : la première, du fait de
la subsistance de liens historiques liés à la colonisation ; la seconde, du fait de son rôle de puissance
régionale en Afrique.
La résolution 1843 était portée en premier lieu par la France et par la Belgique (Annexes VII,
VIII, IX), puis par leurs voisins européens. Elle a ensuite été adoptée à l'unanimité par l'ensemble des
membres du Conseil de Sécurité au titre du chapitre VII de la Charte des Nations Unies et sur
recommandations du Secrétaire Général (Annexes II et III). La résolution adoptée est le reflet, à la fois
des normes onusiennes et de ce que les Etats attendent de l’ONU : en effet, celle-ci, bien que peu à
peu rejointe par diverses organisations régionales sur son terrain (CEDEAO, UE, UA…), reste
l’organisation qui traditionnellement possède une expertise en matière d’opérations de maintien de
la paix. La décision prise d’augmenter les effectifs de la MONUC, plutôt que d’envoyer ses propres
troupes en renfort, est le fruit d’un certain automatisme et de normes intériorisées, présents
notamment chez les petits pays comme la Belgique, mais aussi chez une « puissance moyenne »
comme la France, qui conduisent à préférer l’action multilatérale aux initiatives menées
unilatéralement. Le fait que la résolution 1843 ait été portée par ces deux pays au sein du Conseil de
Sécurité n’est donc pas le fruit du hasard, mais de processus organisationnels routiniers.
La résolution 1843 peut également être comprise comme une réponse hâtive donnée à une
obligation de résultats. Du fait de son coût financier et de sa durée, l’organisation, sous pression, est
soumise à des contraintes d’agenda. Depuis fin 2007, la question de la prorogation ou non du
mandat de la MONUC se pose : on peut faire l’hypothèse que cette procédure particulière a favorisé
l’adoption rapide d’une résolution du Conseil de Sécurité en novembre 2008, dans le but d’appuyer la
prorogation du mandat. Dès lors, il est pertinent de voir dans le vote de la résolution 1843 un moyen
de survie de l’opération de maintien de la paix des Nations Unies en RDC, au-delà des préoccupations
humanitaires affichées. Le retrait de la MONUC n’est pas envisageable pour l’organisation lorsqu’elle
constate une intensification du conflit : en effet, les schémas de résolution des conflits employés par
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4. l’ONU n’envisagent le retrait qu’après la stabilisation totale ((r)établissement de l’Etat de droit,
contrôle des autorités étatiques, fédérales et décentralisées sur l’ensemble du territoire, etc.) du pays
dans lequel elle intervient (MINUT, MINUL, MINUK). La pression et l’obligation de résultats auxquelles
est soumise l’ONU empêchent la réflexion pour l'élaboration de méthodes innovantes. En
conséquence, le Conseil de Sécurité décide l'envoi de troupes supplémentaires en réponse aux pics
de violence, agissant ainsi comme il le fait toujours (cas de la MINUAD, de la MINUS, etc.).
Ensuite, certains acteurs, comme la Belgique, préconisent l’intervention d’une force
européenne en coordination avec la MONUC (Annexe VII) : là encore, on souhaite appliquer des
« recettes » qui ont fonctionnées par le passé, comme l’opération Artémis en Ituri (RDC) en 2003 ; et
on déplore évidemment le fait que les acteurs y ayant pris part refusent de réitérer l’expérience.
Enfin, les routines organisationnelles fournissent une grille d’analyse du semi-échec de la
MONUC. Il est en effet propre à l'ONU d'envoyer des contingents militaires dans le but, non pas de
combattre un ennemi, mais d'assurer la sécurité des populations civiles et des humanitaires (contre
qui, le mandat de la MONUC ne le précise pas), ainsi que de prévenir toute action militaire des
groupes rebelles ("dans la limites de leurs capacités"). Dans ce cadre-là, la décision prise par le
Conseil de Sécurité d'envoyer du personnel militaire supplémentaire semble absurde : ces
contingents, bien que plus nombreux, ne pourront être plus efficaces sur le terrain, puisque le
mandat manque de clarté, notamment en regard de l’action militaire des troupes de la MONUC.
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5. […]
Conclusion
L'envoi de troupes supplémentaires était l'option la moins risquée, mais aussi la plus
conforme aux méthodes appliquées habituellement par les Nations Unies. Cependant, la mission n'a
pas rencontré le succès escompté.
En effet, les troupes présentes sur le terrain n'appartiennent pas aux grandes nations qui ont
un poids important au sein de la communauté internationale. Les Casques bleus sont
majoritairement originaires du sous-continent indien, d'Uruguay et d'Afrique du Sud, et ne
bénéficient pas de la même réputation et de la même légitimité sur le terrain. Originaires de pays
relativement pauvres, ils se livrent à des trafics d'or et de diamants avec les groupes rebelles. De
surcroît, des tensions entre les différentes nationalités présentes dans le contingent militaire de la
MONUC, notamment entre les Pakistanais et les Indiens, nuisent au bon déroulement des opérations
en empêchant la cohésion au sein de la force.
La mission première de la MONUC est d'assister l'armée congolaise dans son objectif de
rétablissement de l'autorité étatique sur le territoire de la RDC et dans ses tâches premières de
protection des populations civiles. L'augmentation des effectifs des troupes ne répond pas à ces
impératifs, car l'immensité du territoire et sa géographie le rendent difficilement contrôlable. Une
redéfinition du mandat de la MONUC, vers une meilleure organisation logistique, une restructuration
du commandement, une réorientation des choix stratégiques et la construction d'un leadership fort
apparaissent comme des mesures plus pertinentes pour renforcer l'efficacité de la MONUC.
Enfin, la question du retrait de la MONUC est latente. Le président actuel de la RDC, Joseph
Kabila, souhaite, pour des raisons symboliques évidentes, qu'en 2010, pour le 50ème anniversaire de
l'indépendance du pays, les troupes de la MONUC se soient retirées. Cependant, le mandat de 6 mois
a été renouvelé pour le premier semestre 2010 et l'on prévoit qu'un processus de retrait se ferait au
moins sur 2 ans. Ces éléments permettent de comprendre pourquoi l'envoi de forces
supplémentaires est malvenu pour de nombreux protagonistes, car il s'inscrit dans une temporalité
pré-électorale.
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