Revue "What's Up Doc" n°25 - Mars Avril 2016
SARAH BALFAGON, LUC BLONDEAU, NICOLAS SCHUFFENECKER, GUILLAUME BOUVY, LAURENT TEUMA, ADRIEN RENAUD, ALICE DESCHENAU ET MATTHIEU DURAND.
La génération Y a mis du temps à prendre les commandes en médecine, du fait de notre (trop) longue formation. Mais elle est aujourd’hui bien là.
Et partout, en clinique, à l’hôpital, au cabinet, les trentenaires de cette génération choquent par leur approche différente du métier.
Les commentaires vont bon train. La santé, comme les autres environnements professionnels, vit une mutation de l’intérieur orchestrée par des praticiens nés dans le digital qui n’entendent plus répéter les modèles établis.
Qui sont-ils ?
Qui sommes-nous en réalité ?
Dissection en profondeur d’une génération tout en contraste, qui nourrit chaque jour un choc culturel autour de la pratique de l’exercice médical… Y.
P. 16 Une construction professionnelle en réaction
P. 18 Les médecins Y, une génération qui parle beaucoup d'elle…
P. 19 Médecins de génération Y, un phénomène international
P. 20 Handicapés de la décision ou adeptes du carpe diem ?
P. 21 Portrait d'un médecin de la génération Y
P. 22 Le choc des générations
P 24Conjuguer la génération Y au futur
P. 25 Conclusion de l'enquête
reseauprosante.fr
2. SARAH BALFAGON, LUC BLONDEAU,
NICOLAS SCHUFFENECKER, GUILLAUME BOUVY,
LAURENT TEUMA, ADRIEN RENAUD,
ALICE DESCHENAU ET MATTHIEU DURAND.
La génération Y a mis du temps
à prendre les commandes en
médecine, du fait de notre
(trop) longue formation.
Mais elle est aujourd’hui bien là.
Et partout, en clinique, à l’hôpital,
au cabinet, les trentenaires de
cette génération choquent par
leur approche différente du métier.
Les commentaires vont bon train.
La santé, comme les autres
environnements professionnels,
vit une mutation de l’intérieur
orchestrée par des praticiens
nés dans le digital qui n’entendent
plus répéter les modèles établis.
Qui sont-ils ?
Qui sommes-nous en réalité ?
Dissection en profondeur d’une
génération tout en contraste,
qui nourrit chaque jour un choc
culturel autour de la pratique
de l’exercice médical… Y.
. 16 Une construction professionnelle en réaction
. 18 Les médecins Y, une génération qui parle beaucoup d'elle…
. 19 Médecins de génération Y, un phénomène international
. 20 Handicapés de la décision ou adeptes du carpe diem ?
. 21 Portrait d'un médecin de la génération Y
. 22 Le choc des générations
. 2 Conjuguer la génération Y au futur
. 25 Conclusion de l'enquête
mars-avril 2016 What’s Up Doc? 25 15
3. N’ÉTANT PAS DÉCIDÉE À
ENTRER DANS LES MOULES
BIEN COULÉS ET PRÉPARÉS
PAR NOS AÎNÉS, NOTRE
GÉNÉRATION PEUT ÊTRE PRISE
DE DOUTE. PAS DE PLACE
EFFECTIVEMENT POUR LA
CERTITUDE, SI CE N’EST CELLE
D’AVOIR À RÉINVENTER DE
NOUVEAUX MODÈLES…
LA « GÉNÉRATION Y » C’EST QUOI,
C’EST QUI?
L’appellation « génération Y » ne renvoie pas à une
définition communément et uniformément admise.
Le Y ferait référence à « why? », en raison de la
propension que cette génération a de tout remettre
en question à grands coups de « pourquoi? ». On
trouve aussi souvent comme explication la similitude
entre la forme du Y et les écouteurs de musique qui
caractériseraient cette population. Après quoi, cette
génération connaît d’autres appellations; on recense
pas moins de 70 autres références : digital natives,
e-génération, les suivants…
Le concept occidental de génération Y n’est en fait
pas récent. Il est apparu tandis que les nouvelles
technologies se développaient de façon accrue. Pour
faire simple, on pourrait dire qu’elle regroupe ceux
qui ont grandi avec les CD, DVD, mp3, smartphones,
ou encore n’ont pas eu à faire leur service militaire.
Tous ceux qui, dans le milieu médical, ont toujours
connu TDM, IRM, plateau technique et monitoring
au bloc, etc. Nés entre les années 80 et le milieu
des années 90, ils n’ont jamais vécu dans un monde
sans SIDA et constituent aujourd’hui 40 % des actifs
en France.
Emmanuelle Duez, fondatrice du BosonProject, start-up
de counselling pour grandes entreprises en génération
Y notamment, et de WoMen’ Up, association par et
pour la générationY, est une représentante active et
visionnaire de cette génération. Lors de la 4e
édition
du Positive Economy Forum au Havre, en 2015
(vidéo disponible surYoutube), elle explique que cette
génération est « symptomatique d’un changement
du monde qui la dépasse bien largement ». Pour elle,
la générationY est aussi championne des toutes
premières fois : première génération mondiale (lire
aussi p. 19), première grande génération puisque 50 %
de la population mondiale a moins de 30 ans, première
génération postmoderne, première génération
numérique et connectée, donc première génération
omnisciente qui a le savoir à portée de main, en un clic.
Ce dernier point est essentiel : comme le souligne
Emmanuelle, cet accès à l’information change le
rapport à l’autorité, la hiérarchie, l’entreprise. Car
jusqu’alors c’était le savoir qui donnait le pouvoir.
Autant dire qu’avec un deuxième cerveau dans la
poche mais pas sa langue, la génération Y a de quoi
irriter et bousculer ses aînés. Et justement, à l’hôpital
comme ailleurs, ces derniers ne se gênent pas pour
répliquer et qualifier cette jeunesse de tous les
manquements possibles (lire aussi p. 21). Bref, c’est
un véritable choc des générations qui est à l’œuvre
(lire aussi p. 22) et la santé n’en fait pas l’économie.
Les jeunes
médecins vont
avoir eux-mêmes
à écrire non pas
leur carrière,
mais leur métier.
What’s Up Doc? 25 mars-avril 201616
LA GÉNÉRATION Y MÉDICALE
EN-
QUÊTE
4. GÉNÉRATION Y MÉDICALE
Si nos aînés, nos patrons n’ont pas vu la
génération Y arriver, c’est uniquement parce
que l’entrée tardive dans la carrière médicale
a retardé sa présence dans le corps médical.
Jusqu’ici, il ne s’agissait que d’étudiants et
d’internes aux comportements « immatures ».
Il s’agit maintenant de jeunes chefs de
clinique, de PH, de jeunes installés en libéral.
Bref, la génération Y est maintenant bien là.
Panique!
Parce que là aussi, comme dans l’entreprise,
la confrontation des attentes et des besoins
de la génération Y à ceux de ses aînés n’est
pas sans poser des incompréhensions. S’il
existe un décalage entre ce que notre
génération entend dire d’elle et la manière
dont elle se voit, c’est tout simplement que
son référentiel est différent.
Cécile Monteil, pédiatre, blogueuse et
start-upeuse considère que sa génération
n’a pas les mêmes aspirations que les
précédentes, mais que la passion du
métier reste inchangée. « On conçoit la
vie différemment. Le contexte socio-
économique ainsi que les nouvelles
technologies contribuent à cette différence.
Même si la génération Y s’inscrit plutôt dans
une conception multicarriériste et qu’elle est
plus mobile qu'avant, il n’y a pas de remise
en cause de la pratique de la médecine. Les
gens font médecine pour être médecins et
prendre soin des patients. Les jeunes
médecins aujourd'hui deviennent de vrais
navigateurs du savoir plutôt que des disques
durs d'apprentissage par cœur. Ils comptent
sur les nouvelles technologies pour les aider
dans leur travail, ce qui peut aussi libérer
du temps de relation humaine en plus pour
le face-à-face avec les patients. »
Voici donc les nouveaux médecins. Nos aînés
qui, pour les plus anciens, avaient réécrit
les carrières médicales, se confrontent à
un nouveau changement. Avec un référentiel
de valeurs et des envies différentes, les
jeunes médecins vont avoir eux-mêmes à
écrire non pas leur carrière, mais leur métier.
« Les jeunesmédecins
aujourd'hui
deviennent devrais navigateursdu savoir. »
mars-avril 2016 What’s Up Doc? 25 17
5. LES MÉDECINS DE
LA GÉNÉRATION Y SE
RACONTENT. ILS ONT DES
BLOGS, PARFOIS DES SITES
INTERNET, ET SONT PRÉSENTS
SUR LES RÉSEAUX SOCIAUX.
CETTE TENDANCE À
PARTAGER SES EXPÉRIENCES
PROFESSIONNELLES EST-ELLE
VRAIMENT NOUVELLE ?
elon Thierry Lefebvre, docteur en
pharmacie et maître de conférences
en sciences de l'information et de
la communication à Paris-7,
« le phénomène des écrits de
médecins est antérieur » à notre
génération. Ils étaient déjà à la mode
dans les années 50, mais seuls les
grands patrons publiaient des livres. « La visibilité
des récits médicaux s’inscrit dans un “effet Martin
Winckler”, relayé également par les séries télé. »
Progressivement, Internet a court-circuité la
nécessité de posséder une certaine renommée
pour être accepté par un éditeur, et a démocratisé
de fait les publications par l’accès digital.
Cette montée en puissance des blogs médicaux est
attribuée, selon Cécile Monteil, médecin blogueuse et
start-upeuse, à la féminisation de la médecine et aux
attentes des nouveaux médecins, plus intéressés par
une qualité de vie leur permettant de s’épanouir et de
pratiquer d’autres activités que par la perspective
d’une carrière hospitalo-universitaire. « Je trouve ça
génial de lire ces blogs, parce qu’en général c’est plein
d’humour et d’espoir, et que ça permet au monde
extérieur de mieux comprendre notre métier. C’est
une histoire en continu de la vie réelle. »
Les relations avec les patients changent, et pour
Baptiste Beaulieu, médecin blogueur (alorsvoila.com),
auteur de plusieurs livres dont Alors Voilà, « les blogs
permettent de faire prendre conscience à chacun
des deux bords (médecins et patients) des
incompréhensions qui peuvent exister entre eux,
d’aplanir les conflits. » Et dans son cas, ce n’est
pas une catharsis qui l’a motivé à écrire, mais plus
une envie de « ne pas laisser perdre les belles
choses qu’il voit dans son travail ».
L’auteur du blog PerrUche en Automne est un PUPH
proche de la cinquantaine, profil atypique pour un
médecin blogueur. Pour lui aussi, l’introspection est
une démarche ancrée dans notre profession, mais
qui, selon lui, ne concerne cependant que certains
médecins, « peut-être plus égocentriques que les
autres. » Il estime que les médecins blogueurs sont
un reflet de la société et de leur génération – la nôtre
– : « une génération très sympathique et parfois
irritante, avec son envie de vies multiples et une
tendance à l’insatisfaction, liée peut-être à ce désir
de faire plein de choses sans en faire aucune à fond.
Elle veut partager, mais sans trop donner de son
temps non plus. »
Néanmoins, pour Thierry Lefebvre : « La parole
sur les blogs n’est pas totalement libérée, car la
critique peut être violente. Il existe aussi une forme
d’autocensure. » Ce qui est moins le cas sur
Twitter par exemple, où les réactions sont plus
épidermiques et parfois peu réfléchies, y compris
chez les médecins. Le CNOM a d’ailleurs publié
un petit livre blanc de la déontologie médicale
sur le Web en 2011, toujours disponible en ligne,
où il recommande de « faire un usage responsable
des médias sociaux numériques ».
Progressivement,
Internet a court-circuité
la nécessité de posséder
une certaine renommée
pour être accepté par un
éditeur, et a démocratisé
de fait les publications
par l’accès digital.
What’s Up Doc? 25 mars-avril 201618
LA GÉNÉRATION Y MÉDICALE
EN-
QUÊTE
6. MÉDECINS
DE GÉNÉRATION Y,
UN PHÉNOMÈNE
INTERNATIONAL
PARIS, SYDNEY, HOUSTON… TOUS
LES MÊMES ? LE MÉDECIN DE LA
GÉNÉRATION Y NE SE RENCONTRE
PAS QU’EN FRANCE. IL A DES
HOMOLOGUES UN PEU PARTOUT
DANS LE MONDE.
« Scotché à son smartphone », « méfiant envers la
hiérarchie », « à la recherche d’un meilleur équilibre entre vie
pro et vie perso », « enclin à choisir le salariat », « toujours en
train de changer de job », « adepte du travail en équipe »,
etc. Le portrait-robot du jeune médecin français?
Pas du tout.
Ces clichés, qui pourraient s’appliquer à tant de jeunes
praticiens de l’Hexagone, ont été glanés dans la presse et
sur les blogs du monde entier. Ils concernent des médecins
américains, anglais, australiens… La génération Y médicale
ne semble pas avoir de frontières.
MULTITÂCHE. En effet, quand la radio américaine NPR
cherche à interviewer un médecin symbole de la génération
Y, son choix se porte sur Amy Ho, jeune urgentiste texane
qui partage son temps entre l’hôpital et l’American Medical
Association's Political Action Committee (AMPAC), un lobby
bipartisan qui cherche à faire avancer la cause des médecins
au Congrès américain.
TWITTOSPHÈRE. Dans le même ordre d’idée, quand la
généraliste et blogueuse australienne Marlene Pearce liste
les 10 signes qui font de vous un médecin de la génération Y,
elle propose en numéro 4 : « Le personnel administratif est
stupéfait de voir que vous êtes capable de brancher un câble
LAN », et en numéro 7 : « Vous consultez Twitter, et non la
bibliothèque, pour vous tenir au courant de la recherche
médicale ».
Voilà qui pourrait nous faire penser à Baptiste Beaulieu
(voir ci-contre), le jeune généraliste blogueur et écrivain
dont le compte Twitter est suivi par près de 4000 personnes,
et qui peut s’enorgueillir d’avoir près de 30000 abonnés sur
Facebook.
19
7. HANDICAPÉS
DE LA DÉCISION
OU ADEPTES
DU ?
LES MÉDECINS DE LA
GÉNÉRATION Y SONT PARFOIS
ACCUSÉS D’HYPÉGIAPHOBIE –
LA PHOBIE DE L’ENGAGEMENT –,
UNE PEUR PANIQUE DE PRENDRE
DES DÉCISIONS.
L
es jeunes médecins retardent leur installation
en multipliant les postes contractuels à l’hôpital
ou les remplacements en libéral, comme par
peur de l’engagement. Une forme d’immaturité
peut-être? Ils sont également taxés d’égoïstes,
ou d’hédonistes, les jouissances personnelles et le plaisir
de se chercher devenant prioritaires sur l’engagement
professionnel.
What’s Up Doc a demandé son avis à Régis Chomier,
57 ans, psychiatre spécialisé en thérapies cognitives
et comportementales. «Il y a une différence entre ma
génération et celle des 20-35 ans d’aujourd’hui. Nous, nous
vivions beaucoup dans une peur de manquer, là où votre
génération a acquis l’idée que de toute façon, rien n’est
acquis dans la vie. Nous avions besoin de construire une
sécurité en nous installant au plus tôt après la fin
de l’internat, alors que je pense que vous vous passez de
cette sécurité, que vous savez vivre avec ce qu’il y a dans
le présent, sans être dans l’anticipation anxieuse du futur.
Je pense que nous n’avons pas les mêmes besoins. Je
dirais même que votre génération est plus adaptée parce
qu’elle sait vivre en fonction de ce qu’il y a, et non de ce qui
manque. Et cette absence de la peur de manquer est pour
moi un aiguillon fondamental de votre génération.»
Et pour Régis, la différence ne s’arrête pas là. «Ce qui
vous est propre aussi, c’est cette envie de partir. Souvent,
vous partez 6 mois à l’étranger pour exercer ou faire de
la recherche. D’autres prennent des disponibilités pour
voyager. Et je ne pense pas qu’il n’y ait que l’envie de
se retrouver sur des plages de La Réunion : il y a l’attrait
de la mobilité, l’envie de voyager, de découvrir, et cette
possibilité qui vous est offerte parce que vous êtes moins
pressés que nous, moins anxieux concernant l’avenir.
Certains critiquent ce versant du comportement en le
taxant de syndrome de Peter Pan, mais à la réflexion,
je vois plutôt là une adaptation très intelligente des jeunes
générations à leur environnement.»
What’s Up Doc? 25 mars-avril 201620
LA GÉNÉRATION Y MÉDICALE
EN-
QUÊTE
8. Peau de pêche
perlée de rosée
fraîche
Y
VUE PAR ELLE
Y
VUE PAR SES AÎNÉS
Why Why Why ?
Curieuse
À portée de
main du Savoir
Impertinente
Provocatrice
Souffrant de Troubles
de l’attention
Feignante
Équipée
d’un centre
de tri de l’info
À la recherche
d'un équilibre
perso-pro
Connectée
Globe-trotteuse
Victime de
courants d’air
Chair de poule
mouillée
Bras cassé
Nombriliste
mars-avril 2016 What’s Up Doc? 25 21
9. L’INCOMPRÉHENSION ENTRE
GÉNÉRATIONS NE DATE PAS
D’AUJOURD’HUI, MAIS LE
FOSSÉ SEMBLE SE CREUSER
DAVANTAGE.
C
e fossé s'observerait particulièrement
avec les baby-boomers. Selon Caroll Allain,
intellectuel et conférencier, les repères
ne sont plus du tout les mêmes! L'État,
l'Église et la famille étaient l’apanage
des baby-boomers. Les célébrités, les réseaux
sociaux et les amis composent désormais le
quotidien des générations suivantes.
Transposé dans le milieu professionnel, ce choc
des cultures se manifeste dans l’écart entre les
attentes des dirigeants et celles des jeunes
médecins. Les premiers aspirent à recruter
des médecins fidèles, performants, qui doivent se
plier aux règles et consignes… Les seconds sont
impatients, veulent arriver vite, ne pas être débordés
par le travail, avoir plus de temps pour leur vie privée.
Ils ont besoin de compensation rapide en termes
d’évolution de carrière, de prise de responsabilité
et de rémunération. Selon une étude d’Hudson*,
qui fait du conseil pour les entreprises, les
générations peuvent être décrites ainsi :
LES BABY-BOOMERS, nés entre 1946 et 1964,
ont des compétences avérées de leadership.
Direction, décision, motivation et persuasion
sont leurs mots-clés. Ils sont stratégiques,
ouverts d’esprit et innovants.
LA GÉNÉRATION X, née entre 1965 et 1979,
est plutôt tournée vers les autres, vers le
changement. Ses membres sont confiants et
dotés d’une réelle sensibilité culturelle. Cette
génération équilibrerait les caractéristiques
dominantes des autres générations.
LA GÉNÉRATION Y, née entre 1980 et 1994,
est maître de l’abstrait et de la pensée conceptuelle.
Elle est très ambitieuse et tournée elle aussi vers les
autres. Cependant elle a un score significativement
inférieur aux autres générations sur les traits de
compétences traditionnelles en termes de leadership.
Bref, la génération X ferait alors la transition
sans que, pour autant, la génération Y aie, elle,
le sentiment de faire la liaison… Si les
« compétences traditionnelles » ne sont plus là, c’est
bien que les repères ont changé. Parions sur un
système moins hiérarchisé avec la démocratisation
de l’accès à l’information et l’accès modifié à des
compétences, avec un leadership à réinventer…
Pour Jean-Louis Terra, PUPH de psychiatrie et chef
de service au centre hospitalier Le Vinatier, à Lyon,
baby-boomer, il s’agit « d’un glissement progressif
qui s’est accentué avec l’arrivée de nombreuses
nouveautés. À commencer par les nouvelles
technologies qui ont signé l’obsolescence de
notre mode de pensée. Ce qui s’est passé il y
10 ans appartient à un passé lointain désormais.
Les référentiels ne sont plus figés, ils évoluent
en permanence. ».
En outre, cette évolution a permis l’amélioration
de la médecine et de la qualité des soins. « Quand
j’étais interne, on avait la responsabilité de plusieurs
dizaines de patients; maintenant, il y a 3 médecins
pour un service de 25 patients. On ne considérait
pas les soins de la même manière et on prenait
beaucoup plus de risques, et souvent au détriment
des malades. Il en résultait un sentiment d’être un
peu à part. La vie à l’hôpital était la vie des médecins.
Maintenant les médecins veulent vivre leur vie
en dehors de l’hôpital ».
Cependant, la philosophie du soin s’est aussi
transformée. « Avec les nouvelles lois pour les
patients comme la démarche qualité, la médecine
s’est industrialisée. Elle a perdu de son sacré.
Il y a moins d’art pour plus de preuves. » Pour
lui, la médecine s’est ainsi progressivement
« désaffectivée ». Le médecin est de plus en
plus considéré comme un prestataire de service.
Et en tant que tel, il en veut les avantages et
le confort, ainsi que la garantie d’une vie privée.
Quid de l’évolution pour les prochaines générations?
« Les médecins doivent redevenir fiers de leur travail.
Il faut réapprendre à oser, à aller vers le nouveau,
et surtout à savoir dire non!… Si on fait de
son travail une œuvre, un art, on n’a plus à
“fidéliser”, on transmet ».
*Étude Hudson, Le Choc des Générations, 2014. http://hudson.fr
What’s Up Doc? 25 mars-avril 201622
LA GÉNÉRATION Y MÉDICALE
EN-
QUÊTE
10. LES Y BIENTÔT
HAS BEEN ?
PLACE AUX Z !
Les générations fondent les unes sur les autres. Ce que les Y
ont connu à l’adolescence, les Z l’ont connu dans l’enfance.
L’autonomie, la responsabilisation et les angoisses, par
exemple, semblent ainsi plus précoces encore chez les Z que
chez les X, avec pourtant un passage à l’âge adulte plus tardif.
D'après les résultats d'une enquête Ipsos dévoilée en
mars 20151
, 47 % des adolescents se sentent « souvent sous
pression » (contre 35 % en 2005), et 25 % déclarent « se sentir
mal dans leur peau » (contre 17 % en 2005). Concernant le
passage à l’âge adulte, 70 % des jeunes définissent le fait de
ne plus vivre chez ses parents comme un facteur
caractéristique. Par ailleurs, « les adolescents observent
qu'être adulte est une démarche volontaire. Bien des adultes
ayant accès à l'autonomie n'ont pas pour autant des attitudes
adultes et continuent à se comporter comme des
adolescents ».
Existe(ra)-t-il un choc des générations entre Y et Z? Peut-être
d’un point de vue marketing et commercial, comme le
suggérait Benjamin Chaminade, considéré comme le père de
la notion de génération Y en France, à propos de l’opposition
déjà entre génération X et Y. On peut aussi remonter à 1969,
quand Margaret Mead, une anthropologue américaine,
décrivait dans son ouvrage Le Fossé des générations2
une
fracture entre elles justement, dans un contexte où les progrès
technologiques étaient foisonnants. Une croissance des
progrès qui s’est accélérée ces dernières décennies! C’est
pourquoi cette description demeure contemporaine dans une
version actualisée par Marie-France Castarède et Samuel
Dock, deux psychocliniciens, et décrite dans leur ouvrage Le
Nouveau Choc des générations3
. Finalement, il n’y aurait pas
tant un choc des générations qu’un choc des périodes.
Relativisons donc, Socrate disait déjà à son époque : « Les
jeunes d'aujourd'hui… ils sont mal élevés ». Une pensée qui
dépasse donc les âges et les générations…
SOURCES
1. Enquête Fondation Pfizer/Ipsos Santé 2015. https://www.fondation-pfizer.org
2. Mead M., Le Fossé des Générations, 1979, Denoël/Gonthier
3. Castared M-F. & Dock S., Le Nouveau Choc des Générations, 2015, Plon
mars-avril 2016 What’s Up Doc? 25 23
11. CONJUGUER
LA GÉNÉRATION Y
AU FUTUR
DANS LE CONTEXTE ACTUEL
DE MANQUE DE MOYENS
PUBLICS, DE « DÉSERTIFICATION
MÉDICALE » ET DE CONCURRENCE
AUX POSTES UNIVERSITAIRES
PAR L’AUGMENTATION DU
NOMBRE D’ÉTUDIANTS,
L’AVENIR DE NOTRE PRATIQUE
N’APPARAÎT PAS RÉJOUISSANTE.
Cette sinistrose ressort – mais pas forcément pour
les raisons citées plus haut –, dans les résultats de
la grande consultation de l’Ordre des Médecins réalisée
en fin d’année 2015*. 55 % des médecins ayant participé
à l’enquête sont inquiets pour leur avenir professionnel
et 74 % sont pessimistes concernant l’avenir de la
profession. Sympa… Notre futur est-il si sombre?
Une chose est sûre : notre pratique sera différente de
celle d’aujourd’hui. Son évolution prend en ce moment
de plein fouet, bon gré mal gré, le virage numérique
qui touche toutes notre société. Le Web est devenu
tellement important qu’un incident de réseau est une
source d’angoisse. Dans notre pratique professionnelle
d’aujourd’hui, nos témoignages rapportent que les
jeunes trentenaires disent « difficile d’exercer sans
surfer online ». Internet permet un accès facile et rapide
aux infos médicales qui évoluent elles-mêmes de plus
en plus vite. Depuis quelques années, peu de médecins
ont dû rouvrir leurs livres de préparation aux ECN…
Et nombreux sont ceux qui recherchent tous les jours
ou presque une info sur Google (c’est quoi déjà cette
réaction d’Herxheimer?), qui consultent une appli
pour une poso médicamenteuse, ou qui chattent sur un
forum médical fermé. La numérisation de la profession
va irrémédiablement changer sa manière de l’exercer.
*CNOM. http://lagrandeconsultation.medecin.fr
What’s Up Doc? 25 mars-avril 201624
LA GÉNÉRATION Y MÉDICALE
EN-
QUÊTE
12. DE L’ENQUÊTE
CONCLU
-SION
+ désabusée
+ INDÉCISE
+ «vie de famille»
+ individualiste
+ CONNECTÉE
- disciplinée
- conventionnelle
- HIÉRARCHIQUE
-
+ impertinente
+ « 35 H »
UNE GÉNÉRATION
EN CHASSE UNE AUTRE ...
...
Ou tout simplement différente.
Il va falloir l'accepter.
Autre tendance : l’uberisation de la société.
À l’avenir, on peut évidemment penser que médecin
et patient interagiront beaucoup plus au travers des NTIC.
D’autant que la génération Y, qui a vu l’émergence
des réseaux sociaux, a cette capacité quasi naturelle
à s’exprimer y compris par voie dématérialisée.
Cela ne se limite pas à cette génération mais elle
en est la représentante.
Néanmoins est-ce que, comme c’est le cas pour les
taxis face aux VTC, le médecin verra une concurrence
émerger? Guy Vallancien, urologue et baby-boomer,
le suggère dans son dernier ouvrage : La médecine
sans médecin? Le Numérique au service du malade*.
L’arme pourrait se retourner contre nous et le médecin
serait ainsi confronté à la concurrence de l’intelligence
artificielle.
Et côté patients, l’être humain malade existera-t-il
toujours? Le mouvement transhumaniste, cher à
Laurent Alexandre, autre urologue et célèbre fondateur
de Doctissimo, voit une éternité possible pour
l’homme. Ce fantasme de l’immortalité est pris au
sérieux notamment par Google. Son projet Calico,
connu depuis 2013, prévoit de lutter contre le
vieillissement et ses maladies associées.
Ces tendances instillent une forme d’instabilité
dans notre métier qui pourra faire écho à la capacité
d’adaptation au présent de la génération Y.
Que ce soit au niveau des connaissances (partage
de l’information…), de l’emploi (concurrence,
temps libre…) et des transformations humaines.
To be continued…
*Vallancien G., La Médecine Sans Médecin?
Le Numérique au Service du Malade, 2015, Gallimard
«Difficile
d’exercer sans
surfer online.»
mars-avril 2016 What’s Up Doc? 25 25