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      La précarisation des journalistes a-t-elle une
        influence sur la qualité de l’information
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            Mémoire de fin d’études - ISCPA Paris
                                                
         

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                     Auteur : Hugo Soutra (ISCPA Paris, filière journalisme)


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            Tuteur : Jean-Christophe Féraud (Rédacteur en chef adjoint, Libération)
                                                
         


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                                          2010/2011
                                               

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SOMMAIRE



Introduction.

        I)      Etat des lieux de la précarisation du métier de journaliste

                A) La précarisation du métier de journaliste…                              .3
                    
                              a. Une précarisation salariale et statutaire…                .4

                              b. … mais aussi du contexte et des conditions de travail…    .15

                              c.   … pas si récente que cela.                              .18



                B) … est une conséquence des maux de la presse.                            .20

                              a.      Un métier populaire, victime de son succès…          .21

                              b.      …entamé par la crise de la presse…                   .23

                              c.      … et creusé par les évolutions technologiques.       .24



      2) L’influence de la précarisation sur la qualité de l’information

                A) L’information est de moins bonne qualité…                               .28

                              a.      Une information simplifiée à outrance…               .29

                              b.      …réduite au rang de marchandise.                     .31


                B) … à cause de la précarisation du métier…                                .35

                              a.      Le journaliste ne peut plus jouer son rôle…          .35

                              b.      … quand le système médiatique le précarise.          .39


                C) … entre autres raisons.                                                 .41

                              a.      Les médias ont une grande part de responsabilités…   .41

                              b.      … tout comme les salariés non-précaires.             .44



                                           Conclusion.    
La précarisation des journalistes a-t-elle une influence sur la qualité de l’information ?




                                        Introduction

Certains déploreront d’entrée l’objectif de ce mémoire, à savoir questionner des
professionnels des médias pour déterminer l’influence –ou non- que peut avoir la
précarité des journalistes sur la qualité de leur travail. Cela ressemble étrangement à
un raisonnement par le bas. Qu’ils se rassurent ! Ce mémoire n’a pas vocation
d’imposer une réponse formelle sur des notions pour le moins subjectives. Ma
démarche consiste simplement à étudier deux phénomènes distincts voire indirects
mais tout aussi intéressants l’un que l’autre: la précarité et la qualité du journalisme.

Car si l’Etat français définit comme précaire une situation «qui n’offre aucune
garantie de durée, qui est incertaine, sans base assurée, révocable et qui ne permet
ni d’assumer pleinement sa responsabilité ni de bénéficier de ses droits
fondamentaux […] ni de pouvoir se retrouver dans une situation acceptable dans un
avenir proche», rien ne permet pour autant d’identifier ce qu’est un journalisme de
qualité. Si tant est qu’il y ait une définition qui fasse l’unanimité, quelles seraient les
conditions idéales pour traiter l’information de manière la plus complète possible ?
Se mesurerait-elle à au temps de l’enquête ou à la longueur de la réflexion ?

Plus probablement et sans prendre trop de risques, il est possible d’affirmer que la
perception de ces deux phénomènes peut continuellement être influencée par de
nombreux facteurs culturels. Aspirant journaliste –probablement futur pigiste- j’ai
moi-même multiplié (et continue de le faire) les piges mal payées et autres stages
rémunérés un peu plus de 400 euros par mois (dans le meilleur des cas). J’ai intégré
la précarité, et à l’aube de l’étudier, tiens à le préciser. Au fur et à mesure de ce
mémoire, je me suis toutefois attelé à réfléchir contre moi-même pour prendre le
maximum de recul sur la paupérisation d’un métier qui n’a de cesse de m’attirer. Aidé
pour cela par des professionnels de la profession, qu’ils soient journalistes pigistes
ou titulaires, consultant médias ou sociologues, représentants des syndicats ou de la
direction, en activité ou non, etc.




    1                                     ISCPA – Juin 2011                               Hugo SOUTRA.
La précarisation des journalistes a-t-elle une influence sur la qualité de l’information ?


En école de journalisme, les cours sur l’économie des médias sont généralement
succincts si ce n’est survolé. Seul pré-requis dont je disposais, la nécessité d’inclure
les questions de temps et de moyens dans ma démarche, questions indissociables
d’une réflexion conjointe sur la précarisation et la qualité du journalisme. Par la suite,
j’ai voulu balayer le plus large possible: il n’était pas question de jouer au pessimiste
réactionnaire préoccupé par la tyrannie de l’instantanéité en récitant ses grands
principes ; ni d’enfiler le costume du web-journaliste persuadé de réinventer son
métier en s’enthousiasmant des bienfaits de l’interactivité ; et encore moins de
d’entamer l’ôde fataliste du «c’était mieux avant»…

Non, loin de là. A 21 ans et avec seulement trois années de piges à mon actif, je ne
m’estime pas suffisamment pertinent pour me poser en donner de leçons d’une
profession en crise. J’aimerais pourtant, j’aimerais être porteur d’une solution qui
permette de rendre viable notre travail, tout en maintenant un journalisme de qualité.
Simplement, je ne l’ai pas encore trouvée…

Je me suis donc contenté de mener une réflexion sur les contraintes et la pratique
journalistique. En brossant le plus honnêtement possible un état des lieux de la
précarisation du métier, en revenant sur les conséquences de ce phénomène puis en
l’explicitant et en analysant quelques une de ses causes potentielles. Dans un
contexte de remise en question de l’information et du contenu médiatique, j’ai
cherché à faire à faire ressortir des tendances étant susceptible d’avoir porté atteinte
à la presse française. Etape nécessaire pour étudier finalement si la précarisation
jouait un rôle dans cette baisse de la qualité des médias, et si c’est le cas, à quel
niveau.

Mêler un regard sociologique à l’expérience journalistique permet simplement
d’établir des thèses et des pistes de réflexion. Encore une fois, il n’est pas question
d’apporter une réponse. Ce mémoire n’a pas pour objectif d’être une étude
exhaustive ou une enquête sociologique… mais seulement une réflexion –une de
plus- sur un (beau) métier en mutation !




   2                                     ISCPA – Juin 2011                               Hugo SOUTRA.
La précarisation des journalistes a-t-elle une influence sur la qualité de l’information ?




Partie I Etat des lieux de la précarisation
du métier de journaliste


       A) La précarisation du métier de journaliste…

Le premier signe de la précarisation de la profession est mathématique. Pour la
première fois depuis la création de la carte de presse en 1935, les statistiques de la
profession font état d’une baisse du nombre de journalistes. Du pigiste au patron de
rédaction en passant par le secrétaire de rédaction, les journalistes français
-titulaires de la carte de presse- ne seraient plus que 37.007 en 2010. Contre 37.904
en 2009 et 37.811 en 2008…


Si les chiffres marquent une diminution globale, il est à noter que le nombre de
journalistes pigistes est lui passé de 7.267 en 2009 à 7.449 en 2010, soit une hausse
de 2,5%. Le nombre de chômeurs titulaires d’une carte de presse a également
augmenté de plus de 7%, passant de 1.416 en 2009 à 1.520 l’année suivante.


L’augmentation du nombre de pigistes –journalistes les plus précaires par leur statut-
est donc indéniable. Mais selon plusieurs chercheurs dont Alain Accardo dans son
ouvrage «Journalistes précaires, Journalistes au quotidien», ces chiffres –issus des
dernières statistiques de la Commission de la Carte d’Identité des Journalistes
Professionnels (CCIJP)- minoriseraient la montée de la précarité dans la profession :
l’étude portant seulement sur les seuls journalistes «encartés».


Or, certaines entreprises ne soutiennent pas leurs journalistes salariés dans leur
démarche de reconnaissance, afin de continuer à les payer en-dessous des minimas



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La précarisation des journalistes a-t-elle une influence sur la qualité de l’information ?


conventionnels. Tout comme une partie des pigistes pigeant pour la presse
magazine complètent leurs revenus par de la communication, ce qui les exclut
également de cette catégorie. Pareillement, un nombre croissant de pigistes, surtout
parmi les débutants, réalisent des articles sans parvenir à tirer la majorité de leurs
ressources du journalisme. Ou encore certains pigistes spécialisés en audiovisuel
relèvent du régime des intermittents du spectacle pour bénéficier de meilleures
allocations aux Assedics. De fait, tous ces cas sus-cités ne remplissent pas (ou plus)
les conditions d’obtention de la carte de presse. Ils ne sont donc pas comptabilisés
dans les statistiques de la profession.

L’observatoire des métiers de la presse, à partir des données possédées par
Mediafor et enrichies par les chiffres de la caisse de retraite et de prévoyance du
secteur de la presse (Audiens), dénombrerait lui un chiffre sensiblement plus
concret. Ainsi, l’observatoire des métiers de la presse comptabilisait 15.175 pigistes
en 2008 soit près du double des chiffres récoltés par la CCIJP.

Des chiffres qui font tout aussi polémique. En effet, les chiffres d’Audiens prennent
en compte toutes les personnes ayant réalisé au moins une pige dans l’année,
qu’elles possèdent ou non le statut de journaliste professionnel. Plusieurs
contradicteurs font valoir que cette source surestimerait leur nombre réel…

Pour rappel, cet état des lieux n’a pas prétention d’être exhaustif et de traiter tous les
aspects de la précarité de la profession. Simplement d’en témoigner le plus
précisément possible et de démontrer les récentes tendances.


a. Une précarisation salariale et statutaire…

Le salaire moyen des journalistes a diminué, passant de 2.839 euros en 2008 à
2.672 en 2009. Une baisse des salaires qui cache de nombreuses disparités suivant
les statuts des journalistes.

Car si le salaire médian des titulaires, disposant d’un Contrat à Durée Indéterminée
(CDI), est passé de 3.133 euros à 3.225 euros ; le revenu médian des pigistes a lui
«bondi» de 1.846 euros en 2008… à seulement 1.855 euros en 2009 ! Des salaires


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La précarisation des journalistes a-t-elle une influence sur la qualité de l’information ?


variables et jamais acquis l’année suivante: de 2000 à 2009, le salaire brut mensuel
moyen des journalistes pigistes est passé de 2201 à 2128 euros, selon des chiffres
de la dernière photographie de la profession des journalistes (réalisée par
l’Observatoire des métiers de la presse, qui a croisé ses données avec celles de la
CCIJP). En 2009, les journalistes en CDD gagnaient eux en moyenne 2.317 euros
bruts.

Quels enseignements en tirer ? Les salaires des journalistes en CDD et des
journalistes pigistes ont diminué progressivement de 2001 à 2006, avant de stagner
depuis. Mais lors de chaque étude, il ressort que les journalistes permanents
touchent davantage que ceux en CDD, qui gagnent eux-mêmes plus que les
journalistes pigistes. Il faut également nuancer et prendre en compte que les
rémunérations observées ne sont pas uniquement liées au type de contrat du
journaliste mais également à ses caractéristiques, à savoir son âge, son sexe, son
diplôme, etc…




-        Le journaliste pigiste

Un pigiste est un journaliste professionnel rémunéré à l’article, au reportage, à la
photo ou à la journée: tout comme l’intermittent du spectacle dans son secteur, c’est
avant tout un élément assurant une marge de flexibilité à l’entreprise de presse.



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La précarisation des journalistes a-t-elle une influence sur la qualité de l’information ?


L’entreprise fait appel à lui, en cas de besoin. En contrepartie, le pigiste peut cumuler
les piges dans autant d’organes de presse qu’il le souhaite, sans être affilié à une
seule rédaction en particulier.

De ce fait, sa précarisation financière est toute relative puisque sa rémunération est
variable selon sa productivité, et qu’elle peut varier du simple au triple selon que
l’employeur en question soit un site internet, un titre de presse magazine ou une
rédaction audiovisuelle. La moyenne du prix du feuillet (1.500 signes) est d’environ
60 euros dans la presse parisienne, il peut atteindre plus de 100 euros dans la
presse magazine et 150 à 200 euros la journée pour une chaîne de télévision. Des
tarifs qui n’ont que «très peu évolués depuis de nombreuses années» regrette le
Syndicat National des Journalistes : Françoise Laigle, membre du bureau national,
affirme: «au début des années 1990, je touchais environ 600 francs (N.D.L.R. soit
environ 91€) du feuillet lorsque je travaillais avec des titres du groupe Prisma Presse.
Aujourd’hui, ils payent le feuillet 100 euros, sans tenir compte du fait que le coût de
la vie a considérablement augmenté…»

En fonction de son réseau, un débutant peut très bien gagner 600 euros le premier
mois, 1.500 euros six mois plus tard et 3.000 euros une fois qu’il est définitivement
installé…Ce qui reste toutefois exceptionnel: en 2009, plus d’un tiers des pigistes
gagnaient moins de 1.500 euros selon la photographie de la profession réalisée par
l’Observatoire des métiers de la presse. Certains ne parvenant pas à obtenir
l’équivalent d’un SMIC…

Sur le papier, le journaliste pigiste a pourtant la même situation qu’un salarié: il est
présumé journaliste en contrat à durée indéterminée. L’article L7112-1 du Code du
travail issu de la loi n° 74-630 du 4 juillet 1974, dite loi Cressard stipule que : «Toute
convention par laquelle une entreprise de presse s'assure, moyennant rémunération,
le concours d'un journaliste professionnel est présumée être un contrat de travail.
Cette présomption subsiste quels que soient le mode et le montant de la
rémunération ainsi que la qualification donnée à la convention par les parties.»

En principe, le journaliste pigiste bénéficie donc des droits correspondants au code
du travail, c’est-à-dire qu’il reçoit des bulletins de paie, cotise et à ce titre, a droit aux


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La précarisation des journalistes a-t-elle une influence sur la qualité de l’information ?


indemnités de sécurité sociale, des Assedic ou de la retraite. Après trois
collaborations avec une même entreprise, la convention collective des journalistes
leur assure également d’obtenir le principe du 13ème mois, des congés payés, des
indemnités de licenciement, de la participation sur le bénéfice, voire éventuellement
une prime d’ancienneté et l’intéressement, etc....

Mais dans la réalité, ce modèle qui offre tant de sécurité ne s’applique pas dans tous
les cas. Leurs droits ne sont pas toujours respectés: si tant est que la collaboration
est encadrée par un contrat écrit, le 13ème mois ou les congés payés sont ainsi
inclus dans le prix brut de la pige, la prime d’ancienneté n’est pas toujours prise en
compte ou la «repasse» (15 à 50% de la première rémunération) en cas de nouvelle
publication du travail produit est oubliée.

De plus, certaines entreprises de presse ne versent pas de salaires mais rémunèrent
le pigiste en droits d’auteurs ou en honoraires –afin de minimiser les charges
patronales mais ce qui l’empêche de recevoir de bulletins de salaire-. Dès lors,
l’AGESSA ne gère plus sa couverture sociale et la CCIPJ ne lui octroiera pas sa
carte de presse. Ne pas avoir de carte de presse pourrait presque devenir un
argument de recrutement : certaines entreprises en jouent et préfèrent ne pas faire
appel à des journalistes encartés pour disposer d’une main d’œuvre plus corvéable.

Au-delà de l’absence d’augmentation et de la multiplication des supports qui ne
paient pas en salaires, les pigistes doivent parvenir à instaurer un rapport de force
favorable pour ne pas voir diminuer leurs remboursements de frais –lorsqu’ils ne se
financent pas totalement sur leurs deniers personnels-. «Pour les reportages à
l’étranger, c’est à nous d’avancer les notes d’hôtel et de restaurants, sans garantie
d’être totalement remboursés ensuite. Nous minimisons donc les frais, et ce malgré
que nos prétentions salariales soient relativement faibles : nous coûterons toujours
moins cher à une entreprise que si elle dépêchait un de ses envoyés spéciaux sur
place, c’est clair» témoigne Amélie Cano, du collectif de pigistes Youpress.

Pour améliorer sa situation, le pigiste doit donc courir après les piges en flairant
l’actualité, aller au devant de l’information. Force de proposition, le journaliste pigiste
doit -avant de rédiger son article ou de réaliser son reportage- écrire un synopsis


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La précarisation des journalistes a-t-elle une influence sur la qualité de l’information ?


destiné à l’employer potentiel. Il doit également relancer les rédactions avec
lesquelles il travaille déjà, afin de s’assurer un volume de travail suffisant. Pour Jean
Abbiateci, journaliste Challenges, Slate et la Nouvelle République entre autres, «le
pigiste doit être plus agile qu’un titulaire : il doit rechercher, produire et vendre son
article, et non pas seulement fabriquer l’information». Travailler vite et bien, accepter
un statut moins «tranquille» sont quelques unes des conditions pour faire un
journaliste pigiste employable.

L’entreprise est clairement dans son droit si elle refuse une idée d’article d’un pigiste
: il ne sera alors pas rémunéré pour le travail de recherches qu’il a mené au
préalable. Par contre, selon l’article L761-9             du Code du travail, l’entreprise doit
payer tout article commandé, même si celui-ci n’est pas publié.

Au-delà le fait qu’ils aient intégré le devoir d’être sur le qui-vive en permanence
(week-ends et vacances compris) ou d’être amené à retoucher leurs productions à la
demande, la majorité des pigistes ne s’émeut pas plus que cela de leurs statuts
précaires. La situation serait toute autre si la conjoncture était différente, estime
François Laigle du SNJ : «S’il y a avait du boulot, les pigistes partiraient dès le
premier excès de l’employeur. Mais aller aux prud’hommes alors                              qu’ils sont
précaires et isolés, en temps de crise, c’’est malheureusement kamikaze».
Vulnérables, ils ne revendiquent que très peu leurs droits, par peur qu’un prochain
sujet ne leur soit pas accordé, de se voir fermer la porte d’une rédaction ou de voir
leur réputation salie auprès des directions des groupes de presse.

Le journaliste pigiste n’est jamais certain de trouver du travail d’un mois sur l’autre,
rien ne lui garantit de collaborations régulières avec une entreprise, à moins qu’il ne
devienne «pigiste permanent» pour celle-ci. Ce numéro d’équilibriste afin d’étaler le
flux de commandes et les revenus tout au long du mois, peut expliquer que de
nombreux pigistes épousent cette situation par défaut.

Deux tiers des pigistes subiraient leurs statuts et sont en attente d’un emploi plus
stable au sein d’une rédaction. Un véritable sas d’entrée à la profession a même été
observé : le jeune journaliste devant se faire d’abord reconnaître en tant que pigiste
pendant trois ou quatre ans avant de pouvoir espérer une quelconque titularisation.


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La précarisation des journalistes a-t-elle une influence sur la qualité de l’information ?


Un emploi salarié: le cauchemar de
certains       journalistes    freelance,        qui
choisissent volontairement ce statut de
                                                           Youpress : la victoire des pigistes
pigiste. Un statut qui leur permet de
                                                        «Quand  j’ai  débuté  l’aventure  Youpress, 
travailler pour plusieurs journaux à la
                                                        j’avais quelques piges par‐ci par‐là mai je me 
fois et ainsi de «rester indépendant».                  demandais  si  je  n’allais  pas  changer  de 
Car le statut de pigiste -lorsqu’il est                 boulot…»  confie  Amélie  Cano  à  ses 
                                                        camarades  co‐fondateurs,  stupéfaits.  Ce 
choisi- présente également quelques                     collectif  de  pigistes  a  été  crée  en  octobre 
avantages: liberté de travailler avec les               2007 –un an après leur sortie d’école‐ par six 
                                                        jeunes  journalistes.  Une  façon  de  lutter 
médias en affinité avec les goûts du
                                                        contre la solitude du statut de pigiste, «mais 
journaliste, sur des sujets qui lui                     aussi  un  moyen  de  mettre  nos  forces  en 
plaisent, sans être soumis à des                        commun, de partager nos idées de sujets, nos  
                                                        contacts,  nos  interlocuteurs  des  rédactions… 
contraintes         d’horaires         ni         de    tout  en  pratiquant  le  journalisme  qui  nous 
hiérarchie… C’est le cas de Nadjet                      plaisait!» résument‐ils. 
Cherigui, qui se sentait auparavant                     Dans  l’obligation  de  réaliser  quelques  piges 
étouffée à l’intérieur de la rédaction où               en  communication  à  leurs  débuts,  afin  de 
                                                        financer  leurs  voyages  à  l’étranger,  ils  ont 
elle était salariée : «Travailler en
                                                        désormais  dépassé  ce  stade:  «Youpress  a 
freelance, c’est avant tout retrouver sa                acquis  une  vraie  légitimité  auprès  des 
liberté ! Ca a un prix, mais il faut                    rédactions, nous travaillons aussi bien avec Le 
                                                        Monde,  Libération,  Le  Figaro  ou  le  JDD 
l’accepter et l’assumer.»                               qu’avec  Causette,  Témoignage  Chrétien, 
                                                        Politis,  Ouest‐France,  Slate.fr  ou  encore  TV5 
Disposant déjà d’un solide réseau et                    Monde,  Bloomberg  TV,  la  Raï  et  l’Associated 
                                                        Press…» 
de nombreuses connaissances dans le
secteur de la presse, une infime                        Les  désormais  sept  membres  –rédacteurs 
minorité parvient à travailler dans une                 (trices),  JRI  ou  photographe‐  sont  devenus 
                                                        pigistes  permanents  dans  une  rédaction. 
dizaine de rédactions à la fois, voire                  «Pour  le  reste,  c’est  de l’éclate.  Nous  faisons 
plus encore. Pour elle, «être pigiste,                  100% de grands reportages que nous arrivons 
                                                        très  souvent  à  pré‐vendre,  nous  nous  faisons 
c’est également un challenge qui nous
                                                        rembourser  nos  frais  à  chaque  fois,  nous 
oblige     à    toujours      réfléchir,    à     se    sommes  plus  que  rentables!»  lâche  Leïla 
remettre en question… et donc à                         Minano.  Ou  comment  s’assurer  une  assise 
                                                        financière,  tout  en  comblant  ses  aspirations 
avancer». Devenus indispensables à                      journalistiques ! 
certaines             rédactions,                les




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La précarisation des journalistes a-t-elle une influence sur la qualité de l’information ?


rémunérations de ces «permalances» (contraction entre permanent et freelance)
avoisinent plutôt les 4.500 euros bruts qu’un seul et unique SMIC… Des conditions
pas si précaires et suffisamment attrayantes pour pousser certains journalistes
confirmés à quitter leur emploi salarié…

Jean Abbiateci n’en démord pas: si la réalité est dure pour certains, il existe «un
mythe de la précarité : la vie de pigiste, ce n’est pas toujours le rush que l’on dépeint.
Nous alternons contrats alimentaires afin de subvenir à nos besoins et projets qui
nous comblent sur un plan professionnel. C’est la routine, mais il faut savoir
l’organiser» plaide t-il.

Lui comme d’autre sont donc très satisfaits de leur situation. «Tous les pigistes ne
sont pas précaires, et au contraire, certains salariés le sont plus» alerte t’il. Les
pigistes ont donc une condition à double tranchant. Si la majorité subit leurs
situations, un tiers d’entre eux se félicitent tout de même de leur indépendance, de la
gestion de leurs horaires voire même de leurs rémunérations supérieures à celle
d’un emploi salarié.

-        Le Correspondant Local de Presse (CLP).

Moins connue est par contre la précarité de certains pigistes locaux, abusivement
catégorisés sous le statut de correspondant local de presse (CLP). Moins connue
car moins intéressante: très peu d’études sociologiques se sont attardées sur la
condition globale des journalistes de province, et ce malgré une diffusion de leurs
médias bien supérieure à celle des grands quotidiens nationaux…

Les correspondants locaux de presse sont ces «agences locales» en contact avec
chacun des acteurs de leurs communes, chargés de faire remonter des informations
d’hyper-proximité aux rédactions plus que de ne les contextualiser et de les mettre
en forme, qui reste à la charge du journaliste titulaire. Pour le directeur général de
Cross Media Consulting et ancien cadre de la presse régionale, Erwann Gaucher,
«ils permettent de tisser un lien social indispensable à la PQR bien que dans la
plupart des cas, aucun journaliste n’aurait envie d’aller faire le travail d’un
correspondant !»



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La précarisation des journalistes a-t-elle une influence sur la qualité de l’information ?


Habituellement, le correspondant a un travail principal et est donc considéré par
l’entreprise de presse comme un collaborateur occasionnel non salarié, sans aucun
lien de subordination. Mais dans la réalité, une partie des 30.000 CLP seraient des
pigistes à part entière à qui l’entreprise demande un vrai travail de journaliste ou de
photographe. Un moyen de les sous-payer puisque les rémunérations ne tiennent
pas compte des tarifs conventionnels, malgré la place considérable que les
correspondants locaux de presse ont pris dans la PQR et la PHR d’aujourd’hui,
allant même parfois jusqu’à sauvegarder les ventes de certains titres de presse.

-        Le journaliste en Contrat à Durée Déterminée

De plus en plus, il arrive que le journaliste professionnel soit engagé en contrat à
durée déterminée (CDD). La conclusion d’un tel contrat n’est possible selon la loi que
pour une activité exceptionnelle, dans des cas bien précis: remplacement d’un
salarié absent (maladies, congés, etc…) ou passé provisoirement à temps partiel,
attente de la prise de fonction d’un nouveau salarié, accroissement temporaire de
l’activité de l’entreprise, etc…

Ce qui n’empêche pas «qu’il y ait un réel excès de la part des employeurs
aujourd’hui», selon Françoise Laigle, du Syndicat National des Journalistes. Le CDD
ne devrait théoriquement pas avoir pour objet –ni pour effet- de pourvoir durablement
un emploi lié à l’activité permanente de l’entreprise de presse, c’est-à-dire la
production d’information.

C’est pourtant le cas de nombre d’entre eux: Jérémy Joly, diplômé de l’IUT de Tours
puis l’an dernier de la licence professionnelle « Journalisme et médias numérique»
de l’Université de Metz, enchaîne depuis peu les CDD et les piges : Après avoir fait
l’équivalent de deux ans de stages au travers de ses études dont le dernier aux
Dernières Nouvelles d’Alsace, où il commence à piger avant d’y obtenir un premier
CDD en novembre 2010. De février à mai 2011, il redevient pigiste avant de signer
un nouveau CDD, cette fois-ci de cinq mois sur le site internet de La République du
Centre. Une situation qu’il voit plus comme un passage obligé de sa carrière, une
étape normale par laquelle sont passés ses confrères: «je ne me suis jamais senti
précaire en fait, assez privilégié en réalité…» explique t-il.


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La précarisation des journalistes a-t-elle une influence sur la qualité de l’information ?


Ils sont de plus en plus dans sa situation. Au nombre de 628 en 2008, les
journalistes en CDD étaient 985 en 2009 selon l’Observatoire des médias. Leurs
chiffres résultant du croisement de leurs données avec celles de la CCIPJ -qui
comptabilise encore les CDD parmi les pigistes sans fournir de détails- les chiffres
2010 ne sont pas encore disponibles. Une augmentation toutefois conséquente
(+57%) et qui s’expliquerait par le fait que de plus en plus d’entreprises de presse
préfèrent recourir à l’activité de CDD, plutôt que de commander des piges et se
retrouver avec un potentiel CDI (cf. loi Cressard) entre les mains en cas de
complication judiciaire.

«Les divers contrats sont utilisés comme un moyen pression, pour faire aller le
journaliste dans la direction voulue par la direction» analyse Jérémy Joly. Le salarié
en CDD est vulnérable : s’il espère être à terme embauché, il ne lui est pas conseillé
de réclamer avec insistance la majoration de ses heures de nuit ou la récupération
de ces missions du week-end ou des jours fériés. De façon induite, il n’a pas
réellement son mot à dire tant qu’il n’est pas encore titularisé.

Les employeurs sont donc de plus en plus nombreux à utiliser ce type de contrat.
Bien que cela leur coûte légèrement plus cher qu’une pige classique: en 2009, le
salaire médian des CDD était de 2.000 euros; un tiers des journalistes sous CDD
touchaient entre 1.500 et 2.000 euros et 14,5% moins de 1.500 euros.

Dans le même registre en encore plus précaire, il est important de signaler le cas
des journalistes en CDD d’usage dits CDU. Des contrats qui selon l’article 122-1-1
du Code du travail, peuvent être conclus afin de «pourvoir des emplois pour lesquels
il est d’usage constant de ne pas recourir au CDI, en raison de la nature de l'activité
exercée et du caractère par nature temporaire de ces emplois». Utilisé notamment
dans le secteur audiovisuel, cela permet aux entreprises de presse de ne pas payer
la prime de précarité théoriquement dû en fin de contrat à durée déterminée (CDD).
«Quelqu'un qui fait un travail régulier et pérenne ne devrait pas pouvoir être
embauché en CDU… » précise Françoise Laigle. Une nouvelle fois, la réalité est
pourtant bien différente.




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-        Le stagiaire journaliste


Il convient ici de différencier le stagiaire journaliste du journaliste stagiaire. La
titularisation comme journaliste professionnel n’est effective qu’après avoir été
journaliste stagiaire pendant deux ans. Ces derniers sont donc des journalistes
débutants, mais titulaires. Alors que les stagiaires journalistes sont encore des
étudiants, réalisant des immersions plus ou moins longues dans le cadre de leur
scolarité.


Généralement enthousiastes à la veille de recevoir une première reconnaissance par
le monde du travail… et souvent obligés, également. L’étudiant en journalisme doit
faire des pieds et des mains pour décrocher plusieurs expériences dans différentes
rédactions, avant de faire son entrée effective sur le marché de l’emploi. C’est une
condition nécessaire pour postuler à un emploi durable. Ces stages doivent lui
permettre de garnir son CV et d’amorcer la machine à relations, de quoi le rendre
capable de démarcher d’autres médias par la suite. La formule a fait ses preuves.


Si aucune statistique officielle ne répertorie les stagiaires, certaines entreprises de
presse poussent la culture du stage à l’extrême : certaines rédactions –notamment
sur internet- sont composées de plus d’un tiers de stagiaires.


Les principaux médias régionaux ainsi que quelques médias nationaux nouent des
conventions de stage avec les écoles reconnues par la profession. Stages à l’année
ou remplacements d’été rémunérés, ces premiers contacts professionnels donnent
l’occasion à ces apprentis journalistes de découvrir les rouages de la PQR. Une
façon, en quelque sorte, «d’aider les bénévoles à acquérir de l’expérience» selon le
discours de l’entreprise… C’est aussi pour l’entreprise une main d’œuvre formatée,
précaire et relativement compétente. Payée environ trois fois moins que le salaire
minimum, l’entreprise n’encourt pas de risques énormes en acceptant un stagiaire au
sein de sa rédaction.




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Si la convention de stage stipule que la collaboration est avant tout une période de
formation encadrée par un tuteur de l’entreprise avisé et disponible, ces expériences
sont dans certains cas synonymes de petits boulots et de tâches rébarbatives (mise
à jour de fichiers, documentations, photocopies, etc…) que les journalistes titulaires
ne souhaitent pas exécuter. A moins que ce ne soit un travail salarié déguisé
alimentant quasi-gratuitement l’industrie de la presse, ce qui est tout autant
répréhensible.

Des grands quotidiens profitent ainsi de leur renommée pour attirer ces petites mains
peu onéreuses. Sarah Belouezzane et Zeliha Chaffin, ont co-écrit l’article «Au
Monde, une carte de cantine et un rêve: être publié » paru dans le quotidien du soir
daté du 19 juin 2010, alors qu’elles étaient elles-mêmes stagiaires de cette célèbre
rédaction du boulevard Blanqui. L’histoire ne dit pas si elles étaient payées.
Présentant un tel stage comme «le Saint-Graal de l’étudiant en journalisme», les
deux auteures concluent que «sur la centaine de stagiaires accueillis par le journal
chaque année, tous ne repartent évidemment pas satisfaits. Néanmoins, il leur reste
une jolie ligne sur le CV, de quoi impressionner les futurs employeurs.»

Faute de modèle économique viable, les médias internet sont également friands de
ces petites mains à la recherche à la recherche d’un nom prestigieux sur leurs CV de
débutant. S’ils sont peu avares de leur temps et arrivent à se faire oublier en tant que
stagiaire pour faire preuve d’efficacité et de motivation, alors peut-être parviendront-
ils même à réaliser d’autres tâches que du bâtonnage de dépêches. Peut-être.

Aubaine pour l’employeur, encouragé par les écoles et cautionné par les étudiants, le
stage est devenu une norme dans les rédactions françaises comme dans les
entreprises du monde entier. Mais en ces temps de précarité galopante, les groupes
de presse peuvent en profiter: ils sont en position de force et l’étudiant doit être prêt
à l’emploi.

Aujourd’hui, l’école –aussi prestigieuse soit-elle- n’est plus une garantie d’emploi.
Les stages sont donc une alternative aux piges pour se faire remarquer et
ambitionner une hypothétique embauche. Lorsqu’ils laissent entrevoir de telles
perspectives d’évolution, car ce n’est pas le cas de tous : certains rémunèrent leurs


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pigistes les plus jeunes… au nombre d’heures travaillées, le tout rapporté au prorata
du tarif conventionnel du stagiaire (417 euros par mois, soit environ 2,98
euros/heure). D’autres en profitent pour remplacer provisoirement un journaliste
démissionnaire ou en congés maladie.

Mais certains stages donc, notamment ceux de fin d’études, sont parfois lieues de
promesses d’embauche en CDD. Carottes –il faut le reconnaître- exceptionnellement
concrétisées dans la foulée sauf cas de force majeur. Non, désormais, à la fin de
leurs études, les diplômés d’écoles de journalisme reconnues ou non par la
profession, doivent désormais passer de nouveaux concours… internes cette fois-ci.
L’AFP, Reuters mais aussi L’Equipe ou Prisma Presse distribuent leurs quelques
CDD et contrats de professionnalisation désormais de cette façon.


b. … mais aussi du contexte et des conditions de travail…

-        Manque de moyens

Un journaliste aura beau proposer trois fois un reportage à l’étranger avec trois
angles différents, il aura aujourd’hui peu de chances de voir sa demande aboutir.
Après avoir été une des règles du journalisme, le reportage est devenu une
exception. Trop coûteux, pas assez rentable, surtout qu’il est devenu simple de
confectionner un bon «produit» à moindre coût : plutôt que d’envoyer un rédacteur et
un photographe sur place, le titre de presse n’a plus qu’à acheter les clichés
légendés d’une agence de presse, pour ensuite demander à un salarié de narrer
une histoire avec, la possibilité de passer deux ou trois coups de téléphone… sur
place ! Ou alors lui demander de garder le fil de dépêches ouvert et de scruter le site
de partage de photos Flickr en parallèle…

Amorcé il y a une quinzaine d’années, les coupes budgétaires des entreprises de
presse ont largement diminué les moyens alloués aux reportages. Des notes de frais
infernales d’antan, la période est plutôt à la négociation du moindre centime. «Argent
ou pas argent, ce qui change est principalement la façon de l’utiliser : les médias ont
eu trop d’argent à un moment donné, intégrant une culture de gâchis
institutionnalisé. Dans le Libération d’il y a trente ans, le journaliste disposait d’une


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La précarisation des journalistes a-t-elle une influence sur la qualité de l’information ?


enveloppe d’argent liquide et dormait dans un palace… Aujourd’hui, tout est
réglementé mais je trouve cela tout à fait normal» raconte Gilles Bruno, spécialiste
du monde de la presse et directeur de la publication de L’Observatoire des Médias.

Pour défendre leur budget et se donner les moyens d’une politique rédactionnelle de
qualité, les rédacteurs en chef ne font pas toujours le poids face aux gestionnaires.
«Nous disposons d’un budget prévisionnel, sur lequel nous devons nous adapter en
fonction de nos résultats commerciaux et de diffusion… Mais notre modèle
économique ne fonctionne plus: même avec une gestion habile et subtile, il devient
difficile d’offrir un journal diversifié et spectaculaire» se lamente Thierry Deransart,
Directeur adjoint de la rédaction du Figaro Magazine.

Au-delà des reportages qui se font de plus en plus rares, la pagination rédactionnelle
diminue dans la plupart des publications au profit des pages de publicité. La longueur
des articles commandés se réduit du même coup… Le pigiste à qui l’entreprise de
presse fera appel doit alors réaliser des sujets qui demandent toujours autant de
temps d’enquête, mais publiés dans un format plus court et donc moins bien
rémunéré.

Autre preuve s’il en faut de cette diminution des moyens, le déménagement de
plusieurs groupes de presse depuis une vingtaine d’année : des titres historiques
comme Le Parisien, L’Equipe, Bayard ou La Tribune ont quitté le quartier de la
presse (2, 8, 9, 10ème arrondissements de Paris) pour rejoindre la petite couronne
de la capitale. Plus récemment, Prisma Presse et Mondadori ont rejoint le
mouvement. Objectif : baisser également les coûts fonciers, dans un contexte
publicitaire tourmenté de crise de la presse. Entraînant du même coup une
dégradation des conditions de travail, puisque de la fatigue supplémentaire lié au
trajet domicile-travail voire du stress et de la démotivation pour les salariés les plus
fragiles.

-        Hausse des objectifs

Comment optimiser les effectifs d’une rédaction sans moyens ? En prônant la
polyvalence. A la télévision, fini les reportages en équipe de quatre ! Place au



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binôme rédacteur audiovisuel et JRI, où ce dernier doit assurer la prise de son et la
gestion de la lumière, en plus de la caméra. Quitte à devenir prisonnier de la
technique et ne plus avoir le temps de soigner ses plans et d’exploiter les situations
de tournage qui s’offrent à lui. Dans le meilleur des cas… Sur les chaînes
d’information en continu, l’homme-orchestre (ou le journaliste-shiva) se retrouve
souvent tout seul pour son reportage. Il lui alors faut tourner plus, toujours plus vite.

En presse locale, les dénominations secrétaire de rédaction, fait-diversier, reporter,
chef d’agence ont disparu. Le principe de poly-aptitude règne également: le
journaliste doit collecter et mettre en forme l’information pour le quotidien papier tout
en prenant des sons et réalisant des vidéos pour la version du site internet. Cette
réorganisation du travail a d’autres conséquences: l’ex journaliste-rédacteur hérite de
deux casquettes supplémentaires, celles de photographe et de secrétaire de
rédaction. Il doit désormais fabriquer sa page de A à Z.

Un jeune journaliste doit désormais maîtriser les aspects techniques de son métier,
et plus seulement la partie «intellectuelle». La multi-compétence est un vrai
argument d’embauche puisqu’il permet à l’entreprise de réaliser                        des économies
d’échelle, et de ne pas avoir recours à des solutions externes en cas de
remplacement à assurer.

Ces nouveaux fonctionnements organisationnels sont généralement accompagnés
d’une autre mutualisation, celle visant à accroître la productivité en augmentant le
rendement des salariés. Outre NextRadioTV d’Alain Weill (RMC, BFM, Groupe 01) et
Bolloré Médias (Direct 8, Direct Matin, Direct Soir), Bayard Presse envisage ainsi de
créer une plate-forme rédactionnelle. L’objectif: pouvoir disposer de journalistes
multi-casquettes capable de produire des articles repris sur les différents supports du
groupe. Tous doivent travailler indifféremment pour tel ou tel titre du groupe, version
papier, site internet, chaîne de télévision ou station de radio.

Pas de quoi effrayer le fondateur de l’Observatoire des Médias, Gilles Bruno : «Le
journaliste a une forte tendance à pleurer sur son sort, mais ils sont largement
coupables de leur situation ! Il est nécessaire de rappeler qu’il a crée lui-même la
précarisation en refusant d’écrire pour le site internet de son média, à moins d’être


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payé le double (N.D.L.R. la repasse donne théoriquement droit au versement de
nouveaux droits d’auteurs)… Du coup, le site –sans moyens- ne fait que bâtonner
des dépêches et se déprécie automatiquement, ce qui finit par dévaloriser le média
dans son ensemble, qui ne se vend dorénavant plus…»


-        Manque de temps


Obsédés par le modèle du flux permanent court-termiste séduisant un public de
masse attiré par le scoop, certaines entreprises de presse ne donnent plus le temps
nécessaire aux journalistes de faire correctement leur travail. Soucieux d’optimiser
leurs médias, chaque seconde doit être rentable. Le temps de recherche, de
réflexion, de recul, pourtant nécessaire à tout travail journalistique de qualité, est
désormais devenu optionnel dans certaines rédactions.


Les entreprises de presse profitent également que le journaliste n’ait pas d’horaires
fixes -que la culture professionnelle valorise l’investissement personnel- pour
s’autoriser quelques excès. En démultipliant les tâches qui incombent au journaliste,
celui-ci va forcément dépasser la durée légale du travail s’il a un minimum d’éthique
et ambitionne de rendre un travail convenable.


Des cas similaires peuvent être observés avec la prolifération des journalistes à
temps partiel: un salarié embauché à trois-quarts temps fera souvent 35 heures ou
plus malgré qu’il ne soit payé l’équivalent que de 26 ou 27 heures… Pourquoi ? Car
s’il souhaite un jour être titularisé à temps plein, il doit prouver sa capacité à faire du
bon travail et exécuter toutes les tâches nécessaires.


Une chaîne de télévision refusera de commander une enquête à un pigiste si son
tournage n’est pas concentré sur une seule journée. Davantage de temps d’enquête
et de tournage signifie plus de temps de travail et donc un coût exponentiel:
l’entreprise préférera alors traiter le sujet en interne. Il arrive même que ce soit les
journalistes eux-mêmes qui se mettent des barrières et désertent le terrain, faute de
temps. Ils ne prennent plus le risque de s’absenter de la rédaction pour un sujet dont
eux-mêmes doutent…




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La précarisation des journalistes a-t-elle une influence sur la qualité de l’information ?


La membre du bureau national du SNJ, Françoise Laigle, en convient, «si ce n’est
pas une précarisation dans les termes, les conditions de travail du journaliste se
dégradent tout de même. Et pour le même résultat : cela apporte de la fatigue et
n’améliore en rien sa capacité à faire son travail correctement…»


c. … pas si récente que cela.

Pour autant, la précarité n’est pas une notion nouvelle pour les journalistes ! S’il est
acquis pour tous les journalistes qu’il ne faut pas faire ce métier pour le salaire et
qu’il est compliqué d’être titularisé dès ses débuts, la précarité a toujours existée,
plus ou moins forte selon les époques, les statuts, les tendances du chômage, la
formation des journalistes, etc…

«La précarité est une étape obligée» estime Gilles Bruno, «des journalistes comme
Renaud Dély ou David Revault d’Allonnes étaient précaires à leur entrée dans la
profession chez Libération. Cela ne les a pas empêchés de devenir Directeur
délégué de la rédaction du Nouvel Observateur et Grand Reporter politique chez
Europe 1…»

«Faux !» lui rétorque Jean-Christophe Féraud, journaliste successivement à La
Tribune, aux Echos puis aujourd’hui à Libération. «Dans les années 80, j’ai
également galéré pour rentrer dans la profession, par le biais de stages mais au
moins ils étaient payés ! Et une fois titularisés, nous y étions bien installés. La notion
de CDD n’existait pas ! Il y avait une transmission du savoir, comme une passation
de pouvoir entre les générations. Cela n’existe plus, c’était à l’époque où les
journaux n’étaient pas encore des entreprises comme les autres… Vingt ans plus
tard, on a glissé dans l’élevage de poulets en batterie, précaires, dotés de tâches
déqualifiées, sans aucune reconnaissance» fait-il valoir, nostalgique d’une époque
bien révolue.

Les stages, les piges et les CDD ont toujours rythmé l’entrée d’un jeune journaliste
dans le monde de la presse. Seulement, cette période subie d’une à deux années
se serait allongée de deux ans au cours des années 2000. L’effet sas d’entrée est
devenu structurel: en 2008, un peu plus du tiers des nouveaux titulaires de la carte


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La précarisation des journalistes a-t-elle une influence sur la qualité de l’information ?


de presse étaient précaires (39,6% étaient pigistes ou en CDD) contre près de la
moitié en 2009 (49,4%). Des chiffres attestant d’une précarisation des parcours
préprofessionnels, qui démontre également que la précarisation est devenue une
norme, s’étendant même à de nombreux secteurs du marché du travail autres que le
journalisme.


Pour Jean-Christophe Dupuis-Rémond, journaliste audiovisuel et internet pour
France 3 Lorraine depuis 2000 et enseignant en web-journalisme depuis 2010 à
l’Université de Metz, «la précarisation n’a rien de nouveau mais ne s’est pas
arrangée dernièrement.» En 1975, 8,5% des journalistes étaient précaires, 14,7% en
1990 et 18,8% en 2000. S’ils n’étaient plus que 18,1% des journalistes encartés à
être en CDD ou pigistes en 2008, leur part s’est de nouveau élevée pour atteindre
19,3% des journalistes en 2009 et 20,1% en 2010.


Une aggravation de la situation qui se fait ressentir à tous les niveaux, et plus
uniquement sur un plan purement et strictement professionnel. Leur situation
précaire a également des conséquences sociales. Nadjet Cherigui, pigiste depuis
plus de neuf ans, dit ne ressentir la précarité qu’à un certain niveau: «mais ce qui me
parle vraiment, c’est de ne jamais pouvoir me projeter, de ne pas préparer mes
vacances des mois à l’avance ni de m’engager pour accompagner la sortie d’école
de ma fille.»


Pour elle qui réclame ce statut de freelance et s’est organisée en fonction, la règle
est la même que pour tous les autres pigistes : être toujours disponible et ne jamais
refuser une proposition, «car nous ne savons jamais quand la prochaine pige
arrivera…» Au-delà même des effets psychiques que peut générer la précarisation
chez certains, le fait de ne pas avoir de salaires réguliers en empêche d’autres
d’obtenir un crédit bancaire ou de négocier l’achat d’un logement.




B)        … est une conséquence des maux de la presse


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Coupes budgétaires, gel des salaires, recours à l’emploi précaire… La période de
doute traversée dernièrement par l’ensemble des médias est loin d’être favorable
aux journalistes : selon les statistiques de la CCIPJ qui se base sur le nombre de
cartes de presse délivrées annuellement, le nombre de pigistes auraient augmenté
de 367% entre 1980 et 2010, contre 122% pour le nombre de journalistes. Leur
proportion dans les rédactions, en trente ans, serait ainsi passée de 9,6% à 20,1%.


Quand l’économie va mal, les employeurs cherchent naturellement à en profiter,
quitte à faire patienter une génération surdiplômée, motivée et peu onéreuse à leur
porte. Las d’ambitionner un emploi durable, ces derniers s’heurtent depuis des
années à une précarité institutionnalisée -à coup de stages et de CDD- qui induit
parallèlement productivisme et perte d’autonomie. Mais rarement la dichotomie entre
statut théorique et réalité sur le terrain, journalistes salariés et précaires, freelances
choisis et pigistes subis, n’aura été aussi forte. Les raisons avancées pour expliquer
la précarisation du métier sont nombreuses et clivantes.


Si le cœur du métier –à savoir la recherche de la vérité, la culture du doute,
l’honnêteté intellectuelle, la vérification de l’information- n’a pas fondamentalement
changé, les conditions d’exercice de la profession ont elles, évolué. Des
changements structurels, dus aux crises –identitaire, économique, technologique-
que traversent les médias aujourd’hui, remettent à l’ordre du jour les questions
d’organisation, de valeur, d’audience et de temps auxquelles il est indispensable de
répondre pour assurer les lendemains de la presse.


a.        Un métier populaire, victime de son succès…

Alors que la progression du nombre de journalistes «encartés» était de 60% entre
1980 et 1989, elle n’était plus que de 13,5% de 2000 à 2008. Un temps plus
important que le rythme de progression observé au niveau de la population active, le
taux de croissance de la profession a progressivement diminué pour ne plus être que
de 0,2% entre 2008 et 2009. Suivant cette pente glissante, le nombre de journalistes
a logiquement diminué pour la première fois de son histoire entre 2009 et 2010.




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Des données qui traduisent plus un encombrement du métier qu'un réel désintérêt
pour une profession… qui ne cesse par ailleurs de vieillir. Pour le SNJ, «la pénurie
d’emplois augmente la précarité: le salarié est prêt à plus de concessions et
acceptent des salaires plus bas, les pigistes d’être payés au noir ou en droit
d’auteur…. Des pratiques qui ont toujours existé mais qui sont facilitées par l’actuel
rapport de force actuel entre dirigeant et journaliste» argumente Françoise Laigle.


Mais l’absence d’emplois –et de moyens suffisants pour exercer son métier- tout
comme le fait d’avoir de moins en moins de lecteurs ne décourage pas plus que cela
les aspirants journalistes. Les écoles de journalisme –reconnues ou non- se sont
multipliées ces dernières années sans vraiment anticiper les mutations du secteur,
mais plutôt en attendant un signe des entreprises de presse. En matière de
recrutement de jeunes journalistes, ce retour est pourtant éloquent : seulement 225
des 1.822 journalistes ayant reçu leur première carte de presse en 2010 sont
diplômés de l'un des treize cursus reconnus par la profession, soit 12,3%. Un
recrutement hors écoles reconnues, justifié par le fait d'éviter le formatage des
nouveaux arrivants mais aussi pour avoir la possibilité de recruter une main d’œuvre
encore plus précaire et moins exigeante.


Au-delà de ces réflexes des entreprises de presse, une génération de précaires
(beaucoup de formés, peu d’élus) complètement déconnectés des réalités du secteur
a débarqué dans un secteur en crise… par la mauvaise porte. Entre 2005 et 2009,
«j’ai vu passer beaucoup de jeunes confrères qui n’avaient qu’une idée en tête:
commencer leur carrière en intégrant les rédactions des grands médias nationaux en
n’imaginant que comme dernier recours de faire leurs classes dans la presse
régionale ou départementale» raconte Erwann Gaucher, consultant qui a
accompagné le développement multimédia d’environ 50 titres de presse locale.


Toujours plus nombreux à vouloir mettre un pied dans la profession, et toujours plus
nombreux à déchanter… Ils avaient beau piger pour différents médias parisiens
plutôt que de tenter leur chance dans des médias «moins prestigieux» avec des
débouchés moins précaires, le constat était le même partout: le journalisme d’Albert
Londres ou de Joseph Kessel n’existait plus. Les reporters, «l’œil et l’oreille, mais



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aussi le nez, la bouche ou la main du lecteur» pour paraphraser Christian Sauvage,
se font de plus en plus rares. Et eux, jeunes pigistes, n’étaient pas embauchés pour
les remplacer mais bien pour leurs faibles prétentions salariales et leur capacité à
écrire un papier tout en sachant l’agrémenter d’un son et l’enrichir d’une vidéo.


Au-delà d’une question de talent, la conjoncture ne le permettait plus. «Si le secteur
de la presse est bien en crise, il est surtout en mutation. Les journaux cherchent de
nouvelles compétences, de nouveaux profils. Il y a des opportunités que me font
sincèrement penser que la précarisation n’est pas inévitable, à condition de
comprendre voire de la précéder…» laisse entendre Erwann Gaucher. La tendance
évolue et les nouveaux postulants semblent mieux comprendre et mieux naviguer
dans ce secteur en mutation.


b.        … entamé par la crise de la presse…

La presse cherche des solutions pour réinventer à bas prix le journalisme. Car la
crise qui a longtemps touché la presse écrite et seulement la presse écrite s’est
aujourd’hui généralisée à l’ensemble des supports d’information. Ni la presse écrite –
web ou print- ni la télévision, ni la radio ne recrutent aujourd’hui… Pour le sociologue
des médias Eric Maigret, «un jeune journaliste doit d’abord postuler à L’Internaute ou
sur des agrégateurs d’information plutôt qu’au Monde, au Figaro, à Libération ou à
France Télévisions s’il ambitionne de décrocher un emploi durable.»


Pour Thierry Deransart, Directeur adjoint de la rédaction du Figaro Magazine, «la
crise de la presse n’a jamais cessé d’exister»: érosion des ventes de journaux, crise
publicitaire (voire suppression pour l’audiovisuel public), explosion de la bulle
internet, contrecoup des 35 heures… Confrontés à de multiples maux, la liste des
potentiels clients des aspirants journalistes ne cesse de se réduire: fermeture de
certains titres de presse, réduction de la pagination, concurrence intra-pigistes… Les
articles commandés sont moins longs (donc moins payés) avec des délais
d’exécution raccourcis pour des sujets nécessitant le même temps d’enquête. Au
final, les journalistes pigistes sont amenés à devoir travailler plus pour gagner autant.




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Les subventions de l’Etat n’y changeront rien, le journalisme doit affronter une crise
globale sans précédent historique. Loin des simples difficultés passagères qu’elle a
pu connaître périodiquement. Le modèle économique (inventé par Emile de Girardin)
des groupes de presse s’essouffle : depuis 1850, les médias parvenaient à vendre
deux fois leur journal, au lecteur et à l’annonceur. Une logique qui se heurte depuis
l’avènement d’internet à la culture du tout-gratuit. «Les médias se sont longtemps
développés en tirant une diffusion maximale de leur produit vendu peu cher, et un
complément non négligeable des publicitaires. Chose devenue impossible
aujourd’hui… Nous devons prendre des mesures d’économies, qui sont certes
susceptibles de provoquer une précarisation» argumente t-il.



Même la fusion des médias, passés sous l’emprise de puissants propriétaires et des
marchés financiers, n’a pu enrayer ce phénomène. De là à pointer la responsabilité
des logiques industrielles qui auraient perverti l’esprit des médias et des «cost killers
qui managent les rédactions», il n’y a qu’un pas… franchi par Françoise Laigle,
journaliste retraitée depuis quelques mois et membre du bureau national du SNJ: elle
dit ne jamais avoir «vu une telle volonté de transformer le métier de façon aussi
nocive.» Pour autant, ce raisonnement ne peut pas expliquer à lui seul le regain de
difficultés auxquelles font face les entreprises de presse.



Face aux rigidités de son propre système (monopoles de la distribution et de
l’imprimerie, qui coûtent plus au lecteur et rapportent moins à l’éditeur) et à la crise
économique globale de 2008, les directions des groupes de presse ont dû resserrer
leurs coûts. Plus par contrainte que par choix, donc. Patrick de Saint-Exupéry, le
directeur de la publication du trimestriel XXI spécialisé dans l’enquête et le grand
reportage, ne jette pas la pierre aux groupes de presse: «Personne ne sait comment
s’écrira la presse demain. Dans le doute, les directions de journaux de plus en plus
fragiles ne vont pas vers un renforcement des équipes… Ce n’est pas une question
de volonté mais de priorité ! Ils subissent un enchaînement de facteurs, ils sont donc
amenés à traiter d’autres urgences en priorité» détaille t-il.




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Un moyen de combler une partie de leurs blessures à court-terme, avant d’espérer
trouver la solution salvatrice réinventant le journalisme. Peut-être en basculant vers
de nouvelles formes d’organisation, ou alors grâce à de nouveaux supports.


c.        … et creusé par les évolutions technologiques

Une partie des dirigeants de médias avance l'arrivée du journalisme sur internet pour
expliquer l'échec d'un modèle économique, qui a pourtant fait ses preuves pendant
plus d'un siècle. «Nous ne sommes pas parvenus à transposer le système du
kiosque minitel pour financer l'information sur internet, ce qui aurait permit de faire
payer le lecteur suivant le temps passé sur le site de presse» regrette Thierry
Deransart, du Figaro Magazine.

«Les problèmes économiques de la presse datent de bien avant l’arrivée d’internet»
conteste Jean-Christophe Féraud, rédacteur en chef adjoint de Libération. «Depuis
l’après-guerre, personne ne s’était réellement posé de questions sur le danger des
monopoles, le modèle éditorial, etc… Dans un contexte économique morose, cela a
amené la concentration des groupes de presse, puis la pression économique qui va
avec, les économies d’échelle, les plans sociaux. Ensuite est venu se greffer la
mutation technologique et le tsunami internet ! Là, personne n’a plus rien compris et
la grande majorité des journalistes ont refusé d’apprendre. C’était fini: leur peur et
leur mépris vis-à-vis du web les ont conduits à accepter que les entreprises élèvent
des jeunes smicards sur le web, afin de faire le sale boulot à leur place» se
remémore t-il.

Si elle a bien contribué à créer une nouvelle temporalité médiatique qui a souvent
relégué la presse papier en retard (N.D.L.R. dernièrement avec la mort d’Oussama
Ben Laden), cette deuxième révolution technologique n’a pas que du tort. Cet outil
aux multiples possibilités -pas encore totalement exploitées- a également accru
considérablement l'audience des médias, facilité l'accès des lecteurs à l'information
et renouvelé les pratiques dans le traitement de l'information.

Internet a fait évoluer le paysage de l’information: aujourd’hui, chacun peut
s’improviser journaliste et devenir son propre rédacteur en chef, chacun peut créer


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son blog et poster ses propres vidéos, etc… Et pour se tenir au courant des derniers
évènements, il suffit d’ouvrir une page Google ou Yahoo. Autant de changements qui
ont modifié les façons des lecteurs de consommer l’information, leurss usages et
leurs habitudes.

Pour s’y adapter, les journalistes se sont vus imposer des règles spécifiques
d’écriture : pour conserver des chances d’être lu un maximum par ces adeptes du
zapping, il faut écrire court (est-ce à dire, sans profondeur ?), pour les moteurs (est-
ce à dire, de façon standardisée ?) et pour l’audience (est-ce à dire, uniquement de
l’information futile ?). Les libertés –et l’autonomie- du journaliste web (précaire, faut-il
le rappeler) ont été encadrées, réduisant sa capacité à se démarquer de ses
collègues sous prétexte que le lecteur n’avait plus envie de lire de longs reportages.

Une auto-censure qui, conjuguée à un sous-effectif et un manque de moyens, peut
expliquer le discrédit jeté sur le secteur par certains confrères de presse écrite et des
patrons de presse en général. Dans «Le Journaliste» d’octobre 2010, le créateur du
collectif DJIIN (pour le Développement du Journalisme, de l’Information et de
l’Innovation Numérique) Sylvain Lapoix insiste sur le fait que les journalistes web
devront «d’abord bénéficier de la reconnaissance professionnelle avant d’espérer
avoir la reconnaissance salariale ! […] Le support ne fait pas le métier et un
journaliste reste un journaliste, sur les ondes, le papier ou internet.»

Laurent Léger est sur la même lignée. Pour ce journaliste d’enquête à Charlie
Hebdo, l’équation est simple : «Les journalistes de presse écrite et d’internet, ce sont
les mêmes ! Ils ont tous besoin de temps et de moyens. Mais si votre direction vous
impose d’écrire trois articles par jour, vous n’aurez pas le temps de faire du bon
journalisme… Les patrons de presse créent des sites internet sanas leur allouer de
moyens suffisants. L’enquête arrivera sur internet. Mais tant qu’ils vivotent, qu’ils
n’ont pas les moyens d’exister de manière indépendante et uniquement de leur
production journalistique, c’est cause perdue !»

Car pour ne rien arranger, le journalisme sur internet n’a toujours pas trouvé de
modèle économique viable. Quelques pureplayers dont Rue89 se développent sur
des activités annexes (comme la presse professionnelle : formation, séminaires, etc),


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d’autres comme Owni.fr sont financés des sociétés de services (22 Mars) ou encore
comptent sur un public suffisamment motivé pour souscrire à un abonnement
(Mediapart, Arrêt sur Images) ou financer directement l’information via le
crowdsourcing (J’aime l’info).




Mais cela ne nous dit rien de la capacité à équilibrer les comptes des sites de
quotidien (Figaro.fr, Monde.fr, Lexpress.fr, etc..) qui ont fait le choix de se spécialiser
dans la réécriture de dépêches (mélangé avec du recyclage du print et une partie de
production propre) afin de garder la noble matière journalistique pour leurs éditions
papier.


Seuls quelques sites parviennent aujourd’hui à être rentables et financièrement
indépendants. C’est le cas du Huffington Post ou de News24.com qui ont profité de
la crise pour innover. Les rédactions du Los Angeles Times, du New York Times, du
Guardian ou de la BBC se sont également dotés d’un service de recherche et
développement. Le Financial Times a récemment mis au point son propre kiosque
numérique afin de ne pas être dépendant des intermédiaires (Google, Apple, etc...)
et ainsi ne pas perdre l’accès direct à son lecteur. Contrairement aux sites français
qui lanceraient leur version Iphone ou Ipad aujourd’hui, qui seraient soumis au
«NewsStand» d’Apple qui ponctionne 39% du prix de l’application, en plus des
19,6% prélevés par l’Etat…




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Comment être rentable après coup ? La stratégie éditoriale –produire massivement à
moindre coût- est également en partie responsable. Alors qu’internet se veut lieu
d’expérimentation et de liberté d’expression, le web journalisme produit trop souvent
une information standardisée à l’heure de l’instantanéité. Il suffit de regarder les
derniers articles indexés par Google Actualités pour                   s’apercevoir qu’ils émanent
plutôt d’agences de presse que des journalistes affiliés aux sites en question.


En suivant ce raisonnement, une partie de l’offre actuelle pourrait être produite par
des algorithmes et des journalistes-robots. Si bien que les fermes de contenu
(Demand Media) qui écrivent en fonction d’algorithmes déterminant ce que le lecteur
recherche et ce qui génèrera de la publicité, ou les journalistes-robots (Stats
Monkey) qui écrivent des articles en moins de trois secondes, ne sont aujourd’hui
malheureusement plus de la simple science-fiction.


Nés il y a un peu plus de dix ans, personne ne sait vraiment ce qu’est le web
journalisme. Ce qui est valable aujourd’hui ne le sera peut-être plus demain, le
journalisme internet décante, évolue pour s’affirmer à court ou moyen-terme dans sa
quête d’identité. L’optimisme reste donc de mise. «Les nouveaux médias qui mettent
beaucoup plus l’accent sur l’investigation, l’émergence de nouveaux formats
éditoriaux, toutes ces raisons me poussent à un certain optimisme. Internet est en
train de réinventer le journalisme avec le web-documentaire, le data-journalisme,
etc… » plaide Erwann Gaucher, journaliste-consultant qui effectue ponctuellement
des formations pour 22 Mars, la société éditrice de l’innovant Owni.fr.




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La précarisation des journalistes a-t-elle une influence sur la qualité de l’information ?



Partie II : L’influence de la précarisation
sur la qualité de l’information


    A)       L’information est de moins bonne qualité…

Collecter, puis sourcer et vérifier l’information, avant de la situer dans un contexte et
la hiérarchiser pour s’en faire le vecteur et le porter à la connaissance du public: telle
pourrait être la définition du journalisme. A quelques variations près, elle ne devrait
souffrir d’aucune contestation possible. Ce qui n’est pas le cas de la «qualité du
journalisme», une notion beaucoup plus subjective. Interrogés, les définitions de
professionnels des médias divergent:

Pour le journaliste de France 3 Lorraine Jean-Christophe Dupuis-Rémond, «c’est
comme le communisme : un idéal absolu qu’il faudrait atteindre, en répondant aux
attentes de son public avec une information vérifiée et obtenue si possible de visu.»
Gilles Bruno, directeur de la publication de L’Observatoire des Médias juge plutôt sur
le résultat final: «Un journalisme de qualité se distingue avant tout dans le style, s’il a
une plume intéressante, s’il possède cette verve de l’écrit, etc…»

L’enquêteur Laurent Léger est lui plus catégorique. «Le journalisme, c’est d’abord de
l’enquête ! Ce n’est pas en faisant du journalisme mou ou du publi-reportage que la
presse parviendra à reconquérir son lectorat… Mais être dans le contre-pouvoir et
non dans le compte-rendu, cela demande du courage, du temps et des moyens…»
Suivant le principe que la qualité proposée est fonction de la qualité de la source, le
sociologue des médias Eric Maigret tient à préciser que «95% des informations qui
arrivent aux journalistes ne résultent pas forcément d’un travail d’enquête. Un
journalisme de qualité, ce n’est pas empiriquement de l’investigation !»

Thierry Deransart, directeur adjoint du Figaro Magazine, acquiesce. «C’est un tout : il
n’y a pas de matières plus ou moins nobles que d’autres dans le journalisme. Un



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journaliste fait du travail de qualité à partir du moment où il le fait honnêtement, sans
idée préconçues ni en avançant avec des œillères.» «Tout à fait» reprend le diplômé
de l’IFP en histoire des médias Jean-Christophe Féraud, «mais ça dépend tout de
même du temps, des moyens à disposition du journaliste et de son talent. Ce que je
sais, c’est ce qu’est un mauvais journalisme par contre: un journalisme de sondages,
réalisé en fonction de l’offre et de la demande. Je provoque volontairement mais le
lecteur est con, il faut dépasser ses attentes et le surprendre constamment!»


«Et à partir du moment où le journaliste met le pied dehors ! Chose rendue difficile
quand vous devez rendre deux à trois papiers par jours» renchérit Jean Abbiateci,
membre du collectif de pigistes Objectif Plume. «Il n’y a pas besoin de scoops, le
journalisme de qualité nécessite avant tout du temps pour se documenter,
comprendre les enjeux et des moyens pour pouvoir aller sur le terrain vérifier les
informations» ajoute t-il.


a.        Une information simplifiée à outrance…

Héraut de la liberté d’expression et garant de la démocratie, le rôle du journaliste est
de plus en plus remis en question. Tout comme les médias font l’objet de vives
contestations. Au-delà de la perte d’une partie du lectorat, un climat de méfiance et
de défiance s’est installé sur la profession. «Le public sait que les journalistes ont un
meilleur accès aux données, qu’ils sont capables d’identifier les tenants et les
aboutissants d’un fait. C’est légitime qu’il veuille lui aussi accéder aux informations
les plus pertinentes» perçoit Jean-Christophe Dupuis-Rémond, journaliste de terrain
dans une locale de France 3.


Le peu de lecteurs restants, excédés par les différents fiascos médiatiques
(dernièrement, l’affaire Outreau, ou à une moindre mesure «l’omerta» touchant DSK)
est devenu exigeant avec le contenu des journaux payants. Pas encore
suffisamment, selon l’enquêteur du Washington Post à l’origine des révélations sur le
scandale du Watergate, Bob Woodward, qui confiait dans un récent entretien au
Monde Magazine que «les gens ont l’impression d’être bien informés alors qu’ils
reçoivent une information dénuée de tout contexte et de signification […] Il y a



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beaucoup de vent et peu d’informations de valeurs. Le système médiatique est
obsédé par la vitesse, l’obligation de répondre à une pseudo-impatience du public.»


A un tel point selon lui, que les journalistes en sont venus à présupposer les envies
des lecteurs, pour en finir par occulter la complexité du réel et les sujets de fonds.
Exagération du fait divers et de l’émotion, sensationnalisme, présentation politicienne
de toutes problématiques politiques, transformation de toute question économique en
discours savant, seraient dorénavant les traditionnelles formes de traitement
journalistique.


Une concurrence médiatique effrénée qui conduit à l’oubli de la notion de pluralisme,
une prise de risques minimum et une information banale ; des unes plus racoleuses
que jamais ; la vie privée vendue comme une information… «C’est également en
partie la faute de la technologie» veut croire Jean-Christophe Féraud: «Internet a
changé la donne, il y a plus de bruit, plus de redondance, une répétition de
l’information AFP…» déplore t-il. Son collègue Gérard Davet, enquêteur du Monde
abonde en ce sens : «ce ne sont pas les mêmes méthodes de travail : au monde.fr
ils ne vont même pas déjeuner avec leurs contacts ! Eux ce qu’ils font c’est du
journalisme de flux, ils n’ont jamais le temps et il leur manque des moyens… »


S’il ne faut pas en tirer de généralités et reconnaître que des médias comme France
Culture, LCP ou Slate parviennent à prendre le contre-pied des exigences de
l’immédiateté, les tendances observées n’aident pas à rester optimistes. Non pas
que les médias considèrent leurs publics comme des masses ignorantes… Mais
gommer la complexité du monde présenterait l’avantage de s’adapter à un public
moins disponible, qui réclame des explications rapides pour ne pas louper son
programme de divertissement…


D’où des réponses simples et peu nuancées que le journaliste doit lui apporter, d’où
la prédominance de la vulgarisation et du storytelling, d’où la nécessité de formats
courts et synthétiques, d’où la généralisation de «l’écriture web», etc… Une logique
de pensée qui effraie l’ancien directeur du Monde Diplomatique et père de Media
Watch Global (ainsi que d’ATTAC) Ignacio Ramonet, qui déplore que «le journalisme



   31                                     ISCPA – Juin 2011                               Hugo SOUTRA.
La précarisation des journalistes a-t-elle une influence sur la qualité de l’information ?


de spéculation, de divertissement et de spectacle triomphent au détriment de
l’exigence de qualité.»

Les journalistes ont un devoir envers les
citoyens, une responsabilité sociale qu’ils
assument de moins en moins. Mais est-ce                       Les drôles de pratiques de

encore réellement de leur faute ? Le pouvoir                  Bernard Arnault :

dont dispose les journalistes n’est pas si
                                                              Propriétaire  de  La  Tribune  vendu  un 
énorme, ils ont été dépossédés par les                        euro  symbolique  pour  s’emparer  de 
entreprises de presse de leur pouvoir                         l’autre  quotidien  économique  Les 
                                                              Echos  en  2007,  la  quatrième  fortune 
d’informer.
                                                              mondiale,  patron  et  actionnaire 
                                                              majoritaire du  groupe  LVMH  Bernard 
Passés        sous    le    contrôle     de     groupes       Arnault  est  également  patron  de 
industriels inféodés à quelques puissants qui                 presse.  

continuent à leur acheter de la publicité, le                 Egalement  administrateur  depuis 
journaliste –précaire ou non- ne doit pas                     bientôt  dix  ans  du  groupe  Lagardère 
                                                              (Le  Journal  du  Dimanche,  Paris 
assumer l’entière responsabilité des dérives                  Match, Elle), il contrôle une partie de 
du métier (connivence, quête du profit, perte                 la  presse  française…  via  le  marché 
                                                              publicitaire. Selon le Canard Enchaîné 
de qualité). La dramatisation des faits est
                                                              du  27  avril  dernier,  le  patron  et 
mise en scène pour faire monter l’audience.                   actionnaire  majoritaire  de  LVMH  a 
Un    phénomène            que   le    journaliste    ne      fourni  «près  de  8%  des  recettes 
                                                              publicitaires  de  la  presse  féminine  et 
contrôle pas, mais qui résulte plutôt d’une                   plus  de  10%  de  celles  du  groupe 
volonté préalable des groupes de médias.                      Figaro.»  «J’ai  préféré  quitter  ce 
                                                              journalisme          d’entreprise        et 
                                                              institutionnel, pour  gagner  800  euros 
b.        …     réduite          au      rang        de       de moins mais retrouver une grille de 
                                                              lecture      plus        critique,    plus 
marchandise                                                   journalistique»  témoigne  Jean‐
                                                              Christophe  Féraud,  transfuge  des 
L’apathie des médias –trop occupés à se                       Echos aujourd’hui à Libération. 
sortir du gouffre financier- est source de
nombreuses dérives, de l’information non
vérifiée à la course au scoop, en passant par le panurgisme et l’autocensure, sans
oublier la logique de remplissage, la négation de toute réflexion et la baisse de
l’éthique professionnelle…



     32                                       ISCPA – Juin 2011                             Hugo SOUTRA.
La précarisation des journalistes a-t-elle une influence sur la qualité de l’information ?


«La dégradation de la qualité de l’information a débuté depuis quinze à vingt ans»
estime le sociologue des médias Eric Maigret, qui avance pour preuve qu’il n’y a
«jamais eu autant de médias ni de journalistes, mais paradoxalement moins
d’images et de points de vues.» La naissance de l’information en continu conjuguée
à la mondialisation de l’information, s’est faite parallèlement à la concentration et la
fusion des groupes de médias. «L’information est aujourd’hui moutonnière, car
centralisée : les acteurs sont de moins en moins nombreux. Seuls quelques agences
de presse abreuvent la presse, le web, la radio et la télévision et parviennent à
établir les discussions du jour» déplore t-il. L’appauvrissement du contenu
médiatique est en grande partie dû à la prédominance du rôle de l’AFP ou Reuters,
rôle que les lecteurs (ou téléspectateurs) ignorent bien souvent.

«Il y a quinze ans, le journaliste était en position de narration. Aujourd’hui, il fait de
la synthèse» résume Patrick de Saint-Exupéry, ancien grand reporter du Figaro,
lauréat du Prix Albert Londres en 1991, fondateur et directeur éditorial de la revue
XXI. Le journaliste aurait perdu la maîtrise de l’agenda de l’information.


La pression économique ainsi que la marchandisation de l’information ont fait perdre
du sens au journalisme, en poussant les médias à se concentrer uniquement sur
l’audimat. «Avant, la presse n’était pas un métier comme les autres. Mais les
mauvaises pratiques de l’entreprise (rationalisation, précarisation) l’ont gangrené
jusqu’à ce qu’elle le devienne à part entière» analyse Jean-Christophe Féraud,
ancien chef du service Médias-Tech des Echos et désormais responsable de la
rubrique Eco-Terre de Libération. «Le vocable du marketing a contaminé notre
profession: nous ne fabriquons plus une œuvre culturelle mais nous vendons un
produit ; on ne parle plus de titre mais de marque ; les termes acheter, cibler,
marché, rentabiliser, prise de risque ont envahi notre quotidien de journaliste…»


«Les journaux sont des entreprises comme des autres, et elles doivent être en bonne
santé pour être de qualité ! Si un journal veut pouvoir faire face aux pressions et ne
pas être dépendant des annonceurs, il doit être sain économiquement. Ce qui
n’empêche pas de faire correctement notre métier» lui rétorque l’ancien journaliste
de Valeurs Actuelles et aujourd’hui Directeur adjoint du Figaro Magazine.


   33                                     ISCPA – Juin 2011                               Hugo SOUTRA.
La précarisation des journalistes a-t-elle une influence sur la qualité de l’information ?


                                                  Une mutation non sans conséquences sur le

Le contre-exemple du Monde :                      contenu éditorial: le journalisme est devenu une
économies et enquête.                             industrie mécanisée. L’exigence de productivité
                                                  et de rendement envers chaque journaliste
Au  Monde,  l’ancien  bras  droit  du 
nouveau  propriétaire  Xavier  Niel,              conjuguée au refus de prendre des risques de
Michael  Boukobza,  a  été  chargé                moins en moins couverts par les assurances ont
d’engager  un  plan  d’économies 
drastique.  Les  coupes  budgétaires  se          conduit les médias à rentrer dans une logique
multiplient.  Mais  parallèlement,  Erik          commerciale, privilégiant les sujets qui font
Israelewicz  a  pris  la  tête  de  la 
rédaction.  Avec  sa  promesse  de                vendre    au      journalisme     dangereux           (grand
rebâtir une cellule d’enquête.                    reportage, enquête au long-cours) et donc au
                                                  journalisme de qualité…
Et  ce  pour  le  plus  grand  plaisir  de 
Gérard  Davet,  enquêteur  au  Monde 
sous  Plenel  avant  de  devenir  grand           Le journaliste d’enquête Laurent Léger a
reporter  face  au  faible  soutien               conscience que l’indépendance des journaux
témoigné  par  les  précédentes 
directions :  «il  a  dit  qu’il  voulait         n’est plus qu’une illustre utopie. Cela ne
remettre l’enquête au cœur du journal,            l’empêche pas de dénoncer «le manque de
et  il  a  assumés  ses  dires !  Des  fonds 
                                                  volonté des médias. Ils ne font plus d’enquête
ont  été  débloqués  pour  les 
recrutements  de  Fabrice  Lhomme  et             pour des raisons de relationnel, les patrons de
Emeline Cazi, et c’est tant mieux !» Les          presse fréquentent les soirées mondaines et ont
premières  embauches  depuis  six  ans, 
comme  un  symbole,  viennent  donc               des amis qu’ils ne souhaitent pas froisser… Ils
renforcer  le  service  de  Raphaëlle             n’ont pas envie –et c’est compréhensible- de se
Bacqué  et  Gérard  Davet. Un 
cinquième  élément  pourrait  même                mettre à dos des personnalités politiques ou des
être recruté avant que l’équipe ne soit           chefs d’entreprises avec qui ils dîneront demain
définitivement  au  complet  et 
                                                  soir chez un procureur… »
déterminée.  

 «C’est  très  bien  que  Le  Monde  recrée       Gérard Davet, son homologue qui a traité
une  cellule  d’enquête,  il  faut                l’ensemble de l’affaire Woerth-Bettencourt pour
maintenant  la  doter  de  moyens 
suffisants  pour  qu’elle  puisse                 le quotidien du soir Le Monde, en convient. «Ici,
travailler»  lâche  Laurent  Léger.               nous avons toujours eu les moyens de faire du
«J’attends  de  voir  ce  que  ça donner 
                                                  bon journalisme. Mais pas toujours le désir.
mais  je  suis  confiant:  Mediapart  a 
réinstallé        un        regain       de       Quand Edwy Plenel est parti, une volonté de
l’investigation… »  estime  pour  sa  part        faire du journalisme d’enquête s’est volatilisée…
Jean‐Christophe Féraud. 
                                                  Nous avions pourtant les moyens, ni aucune



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La précarisation des journalistes a-t-elle une influence sur la qualité de l’information ?


contrainte de temps ! J’ai continué dans mon coin sans le soutien de ma direction,
avant de finir par craquer et faire du grand reportage»

Selon lui, Libération comme Le Parisien ou Le Figaro auraient également de quoi
financer quelques enquêtes. La question des moyens est primordiale, puisqu’elle
nécessite un investissement humain en détachant sur une longue période un
journaliste mensualisé, pour un sujet qui plus est pas certain d’aboutir. Les frais sont
également importants puisque ce journaliste doit nourrir son réseau de sources s’il
veut bénéficier d’informations encore non révélées. Sans compter que le journalisme
d’investigation est également à l’origine de diverses pressions, notamment des
séries de procès. Qui coûtent également de l’argent.

«Bien entendu que la disparition de l’enquête est également du à un manque de
moyens, que la crise de la presse n’arrange rien. Mais si les journaux
n’appartenaient pas à des industriels vivant des commandes de l’Etat, ils seraient un
peu plus dans le contre-pouvoir. Car les patrons de presse ont les moyens, il leur
manque simplement de la volonté» conclue Laurent Léger.

Inféodés aux pouvoirs politiques et économiques (aides publiques, publicité,
annonces légales, etc…) la presse –et pas seulement nationale- ne court plus après
sa liberté éditoriale. «C’est clair que XXI ne présente pas le même contenu que les
journaux d’aujourd’hui, mais nous sommes sur des schémas complètement différents
[N.D.L.R. trimestriel sans publicité, fonctionnant avec de nombreux collaborateurs -
pigistes ou écrivains- et trois journalistes salariés]. L’idée                 de notre revue était
d’éviter de tomber dans les écueils de la presse française en retournant aux
fondamentaux du journalisme. Nous ne sommes pas non plus dans une logique de
flux, ce qui nous a permit de retrouver le sens du réel» témoigne Patrick de Saint-
Exupéry, qui innove loin d’internet.

Un modèle à contre-courant de l’actuelle course à l’audience et à l’immédiateté : le 6
juin 2011, TF1 et France 2 coupaient leurs programmes respectifs (habituellement
pour des événements internationaux spéciaux, type 11 septembre 2001) pour
retransmettre une audience technique de l’affaire DSK, longue de… quatre minutes !
Rien de concret à annoncer, mais une façon de concurrencer les chaînes d’infos en


   35                                     ISCPA – Juin 2011                               Hugo SOUTRA.
La précarisation des journalistes a-t-elle une influence sur la qualité de l’information ?


continu qui réalisent leurs meilleures audiences en commentant des heures et des
heures une affaire mœurs et politique. Et ainsi de tomber dans les mêmes travers
que leurs petites sœurs de la TNT.

Une réactivité sur laquelle s’est également construit –et est décrié- le journalisme
internet. Pour Eric Maigret, son gros défaut est d’avoir choisi «le modèle du flux
permanent comme stratégie. Ce qui compte, c’est le scoop et le court-terme. Il y a
alors un gain –la réactivité- et des pertes –moins de réflexion et plus de
sensationnalisme-»

Le numérique pour réinventer le journalisme, pourquoi pas, à condition de ne pas
oublier les règles d’or du métier. Jean-Christophe Féraud, qui se décrit comme
«journaliste gonzo attaché au parfum de l’encre imprimée mais se soignant sur
Twitter et son blog», témoigne: «certains jeunes confrères –pas mauvais qui plus
est- n’ont plus ce réflexe d’aller sur le terrain. Ils estiment pouvoir faire correctement
leur métier, derrière l’écran. C’est dangereux, la réalité, ce n’est pas l’écran»

Le danger pour le journalisme internet serait de céder totalement la valeur ajoutée du
journaliste, contre la rapidité de son outil. Au risque de faire alors exclusivement du
journalisme suiviste et de signer l’arrêt de mort du journalisme de compréhension.
Malgré même le fait que la probabilité est plus grande pour que l’inédit (et donc
l’audience, le clic) vienne d’une enquête ou d’un reportage plutôt que d’une dépêche
bâtonnée sous la précipitation.




             B)       … à cause de la précarisation du métier…

a. Le journaliste ne peut plus jouer son rôle…

-        Influence déontologique :

De par le boom des écoles de journalisme et la concentration des médias, il y a de
plus en plus de pigistes et de moins en moins de travail qui leur est destiné. Pourtant



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La précarisation des journalistes a-t-elle une influence sur la qualité de l’information ?


le pigiste –travailleur indépendant payé en fonction du nombre de sujets réalisés- ne
doit pas se laisser envahir par le doute et rester conquérant. S’il n’est pas assez
productif et n’a pas suffisamment «produit» ce mois-ci, son compte en banque s’en
ressentira forcément. Une situation de dépendance financière qui peut lui faire
fermer les yeux plus facilement sur le code de déontologie.

De nombreux pigistes en arrivent donc à cumuler leur activité de pigiste avec
d’autres petits boulots dits «contrats alimentaires, pour arrondir les fins de mois.»
C’est le cas de Nadjet Cherigui, «je rentre tout juste d’un reportage à Bali, mais je
suis déjà en train de réaliser quelques piges en communication avant même de faire
le tour des rédactions et proposer de nouveaux sujets. Cette activité complémentaire
m’assure un revenu régulier et me permet de prendre quelques risques financiers»
argumente t-elle.

Cette pigiste expérimentée est parvenue à installer un roulement régulier de piges
(moins d’une quinzaine par an mais exclusivement des gros sujets, type enquêtes ou
grands reportages), complété par des activités dans le milieu de la communication.
«J’ai la tête plus sereine, je n’ai pas besoin d’écrire n’importe quoi pour payer les
factures. C’est un vrai luxe puisque cela me permet de prendre le temps de fouiller
des sujets qui demandent un lourd investissement.»

Le syndicat national des journalistes tolère à peine. «Ce n’est pas dérangeant qu’ils
aient deux activités parallèles : heureusement qu’un précaire puisse, s’il en a besoin,
être journaliste et boucher, ou journaliste et enseignant, voire même journaliste et
publicitaire ! Mais communicant, non, ça me gêne !» s’offusque Françoise Laigle,
avant de pondérer «après, si c’est pour financer une activité de qualité… »

Une vision qui peut paraître rétrograde sur des journalistes professionnels,
freelances, qui le font plus dans le sens d’une information de qualité que dans un but
pécunier. A 31 ans, Jean Abbiateci est également dans ce cas. «Les pigistes doivent
jongler avec des prestations de formation, de communication pour réinvestir financer
une information de qualité et indépendante. J’ai trouvé mon équilibre de pigiste
comme cela et j’en suis très heureux, je ne me vois pas faire de la copie et remplir
des colonnes confortablement installé en rédaction» explique t-il. «Je profite


   37                                     ISCPA – Juin 2011                               Hugo SOUTRA.
La précarisation des journalistes et la qualité de l'information
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La précarisation des journalistes et la qualité de l'information

  • 1. qwertyuiopasdfghjklzxcvbnmqwerty uiopasdfghjklzxcvbnmqwertyuiopasd fghjklzxcvbnmqwertyuiopasdfghjklzx cvbnmqwertyuiopasdfghjklzxcvbnmq wertyuiopasdfghjklzxcvbnmqwertyui opasdfghjklzxcvbnmqwertyuiopasdfg La précarisation des journalistes a-t-elle une influence sur la qualité de l’information hjklzxcvbnmqwertyuiopasdfghjklzxc       vbnmqwertyuiopasdfghjklzxcvbnmq Mémoire de fin d’études - ISCPA Paris     wertyuiopasdfghjklzxcvbnmqwertyui     Auteur : Hugo Soutra (ISCPA Paris, filière journalisme) opasdfghjklzxcvbnmqwertyuiopasdfg   Tuteur : Jean-Christophe Féraud (Rédacteur en chef adjoint, Libération)     hjklzxcvbnmqwertyuiopasdfghjklzxc     2010/2011   vbnmqwertyuiopasdfghjklzxcvbnmq     wertyuiopasdfghjklzxcvbnmqwertyui opasdfghjklzxcvbnmqwertyuiopasdfg hjklzxcvbnmrtyuiopasdfghjklzxcvbn mqwertyuiopasdfghjklzxcvbnmqwert yuiopasdfghjklzxcvbnmqwertyuiopas
  • 2.    
  • 3. SOMMAIRE Introduction. I) Etat des lieux de la précarisation du métier de journaliste A) La précarisation du métier de journaliste… .3   a. Une précarisation salariale et statutaire… .4 b. … mais aussi du contexte et des conditions de travail… .15 c. … pas si récente que cela. .18 B) … est une conséquence des maux de la presse. .20 a. Un métier populaire, victime de son succès… .21 b. …entamé par la crise de la presse… .23 c. … et creusé par les évolutions technologiques. .24 2) L’influence de la précarisation sur la qualité de l’information A) L’information est de moins bonne qualité… .28 a. Une information simplifiée à outrance… .29 b. …réduite au rang de marchandise. .31 B) … à cause de la précarisation du métier… .35 a. Le journaliste ne peut plus jouer son rôle… .35 b. … quand le système médiatique le précarise. .39 C) … entre autres raisons. .41 a. Les médias ont une grande part de responsabilités… .41 b. … tout comme les salariés non-précaires. .44 Conclusion.  
  • 4. La précarisation des journalistes a-t-elle une influence sur la qualité de l’information ? Introduction Certains déploreront d’entrée l’objectif de ce mémoire, à savoir questionner des professionnels des médias pour déterminer l’influence –ou non- que peut avoir la précarité des journalistes sur la qualité de leur travail. Cela ressemble étrangement à un raisonnement par le bas. Qu’ils se rassurent ! Ce mémoire n’a pas vocation d’imposer une réponse formelle sur des notions pour le moins subjectives. Ma démarche consiste simplement à étudier deux phénomènes distincts voire indirects mais tout aussi intéressants l’un que l’autre: la précarité et la qualité du journalisme. Car si l’Etat français définit comme précaire une situation «qui n’offre aucune garantie de durée, qui est incertaine, sans base assurée, révocable et qui ne permet ni d’assumer pleinement sa responsabilité ni de bénéficier de ses droits fondamentaux […] ni de pouvoir se retrouver dans une situation acceptable dans un avenir proche», rien ne permet pour autant d’identifier ce qu’est un journalisme de qualité. Si tant est qu’il y ait une définition qui fasse l’unanimité, quelles seraient les conditions idéales pour traiter l’information de manière la plus complète possible ? Se mesurerait-elle à au temps de l’enquête ou à la longueur de la réflexion ? Plus probablement et sans prendre trop de risques, il est possible d’affirmer que la perception de ces deux phénomènes peut continuellement être influencée par de nombreux facteurs culturels. Aspirant journaliste –probablement futur pigiste- j’ai moi-même multiplié (et continue de le faire) les piges mal payées et autres stages rémunérés un peu plus de 400 euros par mois (dans le meilleur des cas). J’ai intégré la précarité, et à l’aube de l’étudier, tiens à le préciser. Au fur et à mesure de ce mémoire, je me suis toutefois attelé à réfléchir contre moi-même pour prendre le maximum de recul sur la paupérisation d’un métier qui n’a de cesse de m’attirer. Aidé pour cela par des professionnels de la profession, qu’ils soient journalistes pigistes ou titulaires, consultant médias ou sociologues, représentants des syndicats ou de la direction, en activité ou non, etc. 1 ISCPA – Juin 2011 Hugo SOUTRA.
  • 5. La précarisation des journalistes a-t-elle une influence sur la qualité de l’information ? En école de journalisme, les cours sur l’économie des médias sont généralement succincts si ce n’est survolé. Seul pré-requis dont je disposais, la nécessité d’inclure les questions de temps et de moyens dans ma démarche, questions indissociables d’une réflexion conjointe sur la précarisation et la qualité du journalisme. Par la suite, j’ai voulu balayer le plus large possible: il n’était pas question de jouer au pessimiste réactionnaire préoccupé par la tyrannie de l’instantanéité en récitant ses grands principes ; ni d’enfiler le costume du web-journaliste persuadé de réinventer son métier en s’enthousiasmant des bienfaits de l’interactivité ; et encore moins de d’entamer l’ôde fataliste du «c’était mieux avant»… Non, loin de là. A 21 ans et avec seulement trois années de piges à mon actif, je ne m’estime pas suffisamment pertinent pour me poser en donner de leçons d’une profession en crise. J’aimerais pourtant, j’aimerais être porteur d’une solution qui permette de rendre viable notre travail, tout en maintenant un journalisme de qualité. Simplement, je ne l’ai pas encore trouvée… Je me suis donc contenté de mener une réflexion sur les contraintes et la pratique journalistique. En brossant le plus honnêtement possible un état des lieux de la précarisation du métier, en revenant sur les conséquences de ce phénomène puis en l’explicitant et en analysant quelques une de ses causes potentielles. Dans un contexte de remise en question de l’information et du contenu médiatique, j’ai cherché à faire à faire ressortir des tendances étant susceptible d’avoir porté atteinte à la presse française. Etape nécessaire pour étudier finalement si la précarisation jouait un rôle dans cette baisse de la qualité des médias, et si c’est le cas, à quel niveau. Mêler un regard sociologique à l’expérience journalistique permet simplement d’établir des thèses et des pistes de réflexion. Encore une fois, il n’est pas question d’apporter une réponse. Ce mémoire n’a pas pour objectif d’être une étude exhaustive ou une enquête sociologique… mais seulement une réflexion –une de plus- sur un (beau) métier en mutation ! 2 ISCPA – Juin 2011 Hugo SOUTRA.
  • 6. La précarisation des journalistes a-t-elle une influence sur la qualité de l’information ? Partie I Etat des lieux de la précarisation du métier de journaliste A) La précarisation du métier de journaliste… Le premier signe de la précarisation de la profession est mathématique. Pour la première fois depuis la création de la carte de presse en 1935, les statistiques de la profession font état d’une baisse du nombre de journalistes. Du pigiste au patron de rédaction en passant par le secrétaire de rédaction, les journalistes français -titulaires de la carte de presse- ne seraient plus que 37.007 en 2010. Contre 37.904 en 2009 et 37.811 en 2008… Si les chiffres marquent une diminution globale, il est à noter que le nombre de journalistes pigistes est lui passé de 7.267 en 2009 à 7.449 en 2010, soit une hausse de 2,5%. Le nombre de chômeurs titulaires d’une carte de presse a également augmenté de plus de 7%, passant de 1.416 en 2009 à 1.520 l’année suivante. L’augmentation du nombre de pigistes –journalistes les plus précaires par leur statut- est donc indéniable. Mais selon plusieurs chercheurs dont Alain Accardo dans son ouvrage «Journalistes précaires, Journalistes au quotidien», ces chiffres –issus des dernières statistiques de la Commission de la Carte d’Identité des Journalistes Professionnels (CCIJP)- minoriseraient la montée de la précarité dans la profession : l’étude portant seulement sur les seuls journalistes «encartés». Or, certaines entreprises ne soutiennent pas leurs journalistes salariés dans leur démarche de reconnaissance, afin de continuer à les payer en-dessous des minimas 3 ISCPA – Juin 2011 Hugo SOUTRA.
  • 7. La précarisation des journalistes a-t-elle une influence sur la qualité de l’information ? conventionnels. Tout comme une partie des pigistes pigeant pour la presse magazine complètent leurs revenus par de la communication, ce qui les exclut également de cette catégorie. Pareillement, un nombre croissant de pigistes, surtout parmi les débutants, réalisent des articles sans parvenir à tirer la majorité de leurs ressources du journalisme. Ou encore certains pigistes spécialisés en audiovisuel relèvent du régime des intermittents du spectacle pour bénéficier de meilleures allocations aux Assedics. De fait, tous ces cas sus-cités ne remplissent pas (ou plus) les conditions d’obtention de la carte de presse. Ils ne sont donc pas comptabilisés dans les statistiques de la profession. L’observatoire des métiers de la presse, à partir des données possédées par Mediafor et enrichies par les chiffres de la caisse de retraite et de prévoyance du secteur de la presse (Audiens), dénombrerait lui un chiffre sensiblement plus concret. Ainsi, l’observatoire des métiers de la presse comptabilisait 15.175 pigistes en 2008 soit près du double des chiffres récoltés par la CCIJP. Des chiffres qui font tout aussi polémique. En effet, les chiffres d’Audiens prennent en compte toutes les personnes ayant réalisé au moins une pige dans l’année, qu’elles possèdent ou non le statut de journaliste professionnel. Plusieurs contradicteurs font valoir que cette source surestimerait leur nombre réel… Pour rappel, cet état des lieux n’a pas prétention d’être exhaustif et de traiter tous les aspects de la précarité de la profession. Simplement d’en témoigner le plus précisément possible et de démontrer les récentes tendances. a. Une précarisation salariale et statutaire… Le salaire moyen des journalistes a diminué, passant de 2.839 euros en 2008 à 2.672 en 2009. Une baisse des salaires qui cache de nombreuses disparités suivant les statuts des journalistes. Car si le salaire médian des titulaires, disposant d’un Contrat à Durée Indéterminée (CDI), est passé de 3.133 euros à 3.225 euros ; le revenu médian des pigistes a lui «bondi» de 1.846 euros en 2008… à seulement 1.855 euros en 2009 ! Des salaires 4 ISCPA – Juin 2011 Hugo SOUTRA.
  • 8. La précarisation des journalistes a-t-elle une influence sur la qualité de l’information ? variables et jamais acquis l’année suivante: de 2000 à 2009, le salaire brut mensuel moyen des journalistes pigistes est passé de 2201 à 2128 euros, selon des chiffres de la dernière photographie de la profession des journalistes (réalisée par l’Observatoire des métiers de la presse, qui a croisé ses données avec celles de la CCIJP). En 2009, les journalistes en CDD gagnaient eux en moyenne 2.317 euros bruts. Quels enseignements en tirer ? Les salaires des journalistes en CDD et des journalistes pigistes ont diminué progressivement de 2001 à 2006, avant de stagner depuis. Mais lors de chaque étude, il ressort que les journalistes permanents touchent davantage que ceux en CDD, qui gagnent eux-mêmes plus que les journalistes pigistes. Il faut également nuancer et prendre en compte que les rémunérations observées ne sont pas uniquement liées au type de contrat du journaliste mais également à ses caractéristiques, à savoir son âge, son sexe, son diplôme, etc… - Le journaliste pigiste Un pigiste est un journaliste professionnel rémunéré à l’article, au reportage, à la photo ou à la journée: tout comme l’intermittent du spectacle dans son secteur, c’est avant tout un élément assurant une marge de flexibilité à l’entreprise de presse. 5 ISCPA – Juin 2011 Hugo SOUTRA.
  • 9. La précarisation des journalistes a-t-elle une influence sur la qualité de l’information ? L’entreprise fait appel à lui, en cas de besoin. En contrepartie, le pigiste peut cumuler les piges dans autant d’organes de presse qu’il le souhaite, sans être affilié à une seule rédaction en particulier. De ce fait, sa précarisation financière est toute relative puisque sa rémunération est variable selon sa productivité, et qu’elle peut varier du simple au triple selon que l’employeur en question soit un site internet, un titre de presse magazine ou une rédaction audiovisuelle. La moyenne du prix du feuillet (1.500 signes) est d’environ 60 euros dans la presse parisienne, il peut atteindre plus de 100 euros dans la presse magazine et 150 à 200 euros la journée pour une chaîne de télévision. Des tarifs qui n’ont que «très peu évolués depuis de nombreuses années» regrette le Syndicat National des Journalistes : Françoise Laigle, membre du bureau national, affirme: «au début des années 1990, je touchais environ 600 francs (N.D.L.R. soit environ 91€) du feuillet lorsque je travaillais avec des titres du groupe Prisma Presse. Aujourd’hui, ils payent le feuillet 100 euros, sans tenir compte du fait que le coût de la vie a considérablement augmenté…» En fonction de son réseau, un débutant peut très bien gagner 600 euros le premier mois, 1.500 euros six mois plus tard et 3.000 euros une fois qu’il est définitivement installé…Ce qui reste toutefois exceptionnel: en 2009, plus d’un tiers des pigistes gagnaient moins de 1.500 euros selon la photographie de la profession réalisée par l’Observatoire des métiers de la presse. Certains ne parvenant pas à obtenir l’équivalent d’un SMIC… Sur le papier, le journaliste pigiste a pourtant la même situation qu’un salarié: il est présumé journaliste en contrat à durée indéterminée. L’article L7112-1 du Code du travail issu de la loi n° 74-630 du 4 juillet 1974, dite loi Cressard stipule que : «Toute convention par laquelle une entreprise de presse s'assure, moyennant rémunération, le concours d'un journaliste professionnel est présumée être un contrat de travail. Cette présomption subsiste quels que soient le mode et le montant de la rémunération ainsi que la qualification donnée à la convention par les parties.» En principe, le journaliste pigiste bénéficie donc des droits correspondants au code du travail, c’est-à-dire qu’il reçoit des bulletins de paie, cotise et à ce titre, a droit aux 6 ISCPA – Juin 2011 Hugo SOUTRA.
  • 10. La précarisation des journalistes a-t-elle une influence sur la qualité de l’information ? indemnités de sécurité sociale, des Assedic ou de la retraite. Après trois collaborations avec une même entreprise, la convention collective des journalistes leur assure également d’obtenir le principe du 13ème mois, des congés payés, des indemnités de licenciement, de la participation sur le bénéfice, voire éventuellement une prime d’ancienneté et l’intéressement, etc.... Mais dans la réalité, ce modèle qui offre tant de sécurité ne s’applique pas dans tous les cas. Leurs droits ne sont pas toujours respectés: si tant est que la collaboration est encadrée par un contrat écrit, le 13ème mois ou les congés payés sont ainsi inclus dans le prix brut de la pige, la prime d’ancienneté n’est pas toujours prise en compte ou la «repasse» (15 à 50% de la première rémunération) en cas de nouvelle publication du travail produit est oubliée. De plus, certaines entreprises de presse ne versent pas de salaires mais rémunèrent le pigiste en droits d’auteurs ou en honoraires –afin de minimiser les charges patronales mais ce qui l’empêche de recevoir de bulletins de salaire-. Dès lors, l’AGESSA ne gère plus sa couverture sociale et la CCIPJ ne lui octroiera pas sa carte de presse. Ne pas avoir de carte de presse pourrait presque devenir un argument de recrutement : certaines entreprises en jouent et préfèrent ne pas faire appel à des journalistes encartés pour disposer d’une main d’œuvre plus corvéable. Au-delà de l’absence d’augmentation et de la multiplication des supports qui ne paient pas en salaires, les pigistes doivent parvenir à instaurer un rapport de force favorable pour ne pas voir diminuer leurs remboursements de frais –lorsqu’ils ne se financent pas totalement sur leurs deniers personnels-. «Pour les reportages à l’étranger, c’est à nous d’avancer les notes d’hôtel et de restaurants, sans garantie d’être totalement remboursés ensuite. Nous minimisons donc les frais, et ce malgré que nos prétentions salariales soient relativement faibles : nous coûterons toujours moins cher à une entreprise que si elle dépêchait un de ses envoyés spéciaux sur place, c’est clair» témoigne Amélie Cano, du collectif de pigistes Youpress. Pour améliorer sa situation, le pigiste doit donc courir après les piges en flairant l’actualité, aller au devant de l’information. Force de proposition, le journaliste pigiste doit -avant de rédiger son article ou de réaliser son reportage- écrire un synopsis 7 ISCPA – Juin 2011 Hugo SOUTRA.
  • 11. La précarisation des journalistes a-t-elle une influence sur la qualité de l’information ? destiné à l’employer potentiel. Il doit également relancer les rédactions avec lesquelles il travaille déjà, afin de s’assurer un volume de travail suffisant. Pour Jean Abbiateci, journaliste Challenges, Slate et la Nouvelle République entre autres, «le pigiste doit être plus agile qu’un titulaire : il doit rechercher, produire et vendre son article, et non pas seulement fabriquer l’information». Travailler vite et bien, accepter un statut moins «tranquille» sont quelques unes des conditions pour faire un journaliste pigiste employable. L’entreprise est clairement dans son droit si elle refuse une idée d’article d’un pigiste : il ne sera alors pas rémunéré pour le travail de recherches qu’il a mené au préalable. Par contre, selon l’article L761-9 du Code du travail, l’entreprise doit payer tout article commandé, même si celui-ci n’est pas publié. Au-delà le fait qu’ils aient intégré le devoir d’être sur le qui-vive en permanence (week-ends et vacances compris) ou d’être amené à retoucher leurs productions à la demande, la majorité des pigistes ne s’émeut pas plus que cela de leurs statuts précaires. La situation serait toute autre si la conjoncture était différente, estime François Laigle du SNJ : «S’il y a avait du boulot, les pigistes partiraient dès le premier excès de l’employeur. Mais aller aux prud’hommes alors qu’ils sont précaires et isolés, en temps de crise, c’’est malheureusement kamikaze». Vulnérables, ils ne revendiquent que très peu leurs droits, par peur qu’un prochain sujet ne leur soit pas accordé, de se voir fermer la porte d’une rédaction ou de voir leur réputation salie auprès des directions des groupes de presse. Le journaliste pigiste n’est jamais certain de trouver du travail d’un mois sur l’autre, rien ne lui garantit de collaborations régulières avec une entreprise, à moins qu’il ne devienne «pigiste permanent» pour celle-ci. Ce numéro d’équilibriste afin d’étaler le flux de commandes et les revenus tout au long du mois, peut expliquer que de nombreux pigistes épousent cette situation par défaut. Deux tiers des pigistes subiraient leurs statuts et sont en attente d’un emploi plus stable au sein d’une rédaction. Un véritable sas d’entrée à la profession a même été observé : le jeune journaliste devant se faire d’abord reconnaître en tant que pigiste pendant trois ou quatre ans avant de pouvoir espérer une quelconque titularisation. 8 ISCPA – Juin 2011 Hugo SOUTRA.
  • 12. La précarisation des journalistes a-t-elle une influence sur la qualité de l’information ? Un emploi salarié: le cauchemar de certains journalistes freelance, qui choisissent volontairement ce statut de Youpress : la victoire des pigistes pigiste. Un statut qui leur permet de «Quand  j’ai  débuté  l’aventure  Youpress,  travailler pour plusieurs journaux à la j’avais quelques piges par‐ci par‐là mai je me  fois et ainsi de «rester indépendant». demandais  si  je  n’allais  pas  changer  de  Car le statut de pigiste -lorsqu’il est boulot…»  confie  Amélie  Cano  à  ses  camarades  co‐fondateurs,  stupéfaits.  Ce  choisi- présente également quelques collectif  de  pigistes  a  été  crée  en  octobre  avantages: liberté de travailler avec les 2007 –un an après leur sortie d’école‐ par six  jeunes  journalistes.  Une  façon  de  lutter  médias en affinité avec les goûts du contre la solitude du statut de pigiste, «mais  journaliste, sur des sujets qui lui aussi  un  moyen  de  mettre  nos  forces  en  plaisent, sans être soumis à des commun, de partager nos idées de sujets, nos   contacts,  nos  interlocuteurs  des  rédactions…  contraintes d’horaires ni de tout  en  pratiquant  le  journalisme  qui  nous  hiérarchie… C’est le cas de Nadjet plaisait!» résument‐ils.  Cherigui, qui se sentait auparavant Dans  l’obligation  de  réaliser  quelques  piges  étouffée à l’intérieur de la rédaction où en  communication  à  leurs  débuts,  afin  de  financer  leurs  voyages  à  l’étranger,  ils  ont  elle était salariée : «Travailler en désormais  dépassé  ce  stade:  «Youpress  a  freelance, c’est avant tout retrouver sa acquis  une  vraie  légitimité  auprès  des  liberté ! Ca a un prix, mais il faut rédactions, nous travaillons aussi bien avec Le  Monde,  Libération,  Le  Figaro  ou  le  JDD  l’accepter et l’assumer.» qu’avec  Causette,  Témoignage  Chrétien,  Politis,  Ouest‐France,  Slate.fr  ou  encore  TV5  Disposant déjà d’un solide réseau et Monde,  Bloomberg  TV,  la  Raï  et  l’Associated  Press…»  de nombreuses connaissances dans le secteur de la presse, une infime Les  désormais  sept  membres  –rédacteurs  minorité parvient à travailler dans une (trices),  JRI  ou  photographe‐  sont  devenus  pigistes  permanents  dans  une  rédaction.  dizaine de rédactions à la fois, voire «Pour  le  reste,  c’est  de l’éclate.  Nous  faisons  plus encore. Pour elle, «être pigiste, 100% de grands reportages que nous arrivons  très  souvent  à  pré‐vendre,  nous  nous  faisons  c’est également un challenge qui nous rembourser  nos  frais  à  chaque  fois,  nous  oblige à toujours réfléchir, à se sommes  plus  que  rentables!»  lâche  Leïla  remettre en question… et donc à Minano.  Ou  comment  s’assurer  une  assise  financière,  tout  en  comblant  ses  aspirations  avancer». Devenus indispensables à journalistiques !  certaines rédactions, les 9 ISCPA – Juin 2011 Hugo SOUTRA.
  • 13. La précarisation des journalistes a-t-elle une influence sur la qualité de l’information ? rémunérations de ces «permalances» (contraction entre permanent et freelance) avoisinent plutôt les 4.500 euros bruts qu’un seul et unique SMIC… Des conditions pas si précaires et suffisamment attrayantes pour pousser certains journalistes confirmés à quitter leur emploi salarié… Jean Abbiateci n’en démord pas: si la réalité est dure pour certains, il existe «un mythe de la précarité : la vie de pigiste, ce n’est pas toujours le rush que l’on dépeint. Nous alternons contrats alimentaires afin de subvenir à nos besoins et projets qui nous comblent sur un plan professionnel. C’est la routine, mais il faut savoir l’organiser» plaide t-il. Lui comme d’autre sont donc très satisfaits de leur situation. «Tous les pigistes ne sont pas précaires, et au contraire, certains salariés le sont plus» alerte t’il. Les pigistes ont donc une condition à double tranchant. Si la majorité subit leurs situations, un tiers d’entre eux se félicitent tout de même de leur indépendance, de la gestion de leurs horaires voire même de leurs rémunérations supérieures à celle d’un emploi salarié. - Le Correspondant Local de Presse (CLP). Moins connue est par contre la précarité de certains pigistes locaux, abusivement catégorisés sous le statut de correspondant local de presse (CLP). Moins connue car moins intéressante: très peu d’études sociologiques se sont attardées sur la condition globale des journalistes de province, et ce malgré une diffusion de leurs médias bien supérieure à celle des grands quotidiens nationaux… Les correspondants locaux de presse sont ces «agences locales» en contact avec chacun des acteurs de leurs communes, chargés de faire remonter des informations d’hyper-proximité aux rédactions plus que de ne les contextualiser et de les mettre en forme, qui reste à la charge du journaliste titulaire. Pour le directeur général de Cross Media Consulting et ancien cadre de la presse régionale, Erwann Gaucher, «ils permettent de tisser un lien social indispensable à la PQR bien que dans la plupart des cas, aucun journaliste n’aurait envie d’aller faire le travail d’un correspondant !» 10 ISCPA – Juin 2011 Hugo SOUTRA.
  • 14. La précarisation des journalistes a-t-elle une influence sur la qualité de l’information ? Habituellement, le correspondant a un travail principal et est donc considéré par l’entreprise de presse comme un collaborateur occasionnel non salarié, sans aucun lien de subordination. Mais dans la réalité, une partie des 30.000 CLP seraient des pigistes à part entière à qui l’entreprise demande un vrai travail de journaliste ou de photographe. Un moyen de les sous-payer puisque les rémunérations ne tiennent pas compte des tarifs conventionnels, malgré la place considérable que les correspondants locaux de presse ont pris dans la PQR et la PHR d’aujourd’hui, allant même parfois jusqu’à sauvegarder les ventes de certains titres de presse. - Le journaliste en Contrat à Durée Déterminée De plus en plus, il arrive que le journaliste professionnel soit engagé en contrat à durée déterminée (CDD). La conclusion d’un tel contrat n’est possible selon la loi que pour une activité exceptionnelle, dans des cas bien précis: remplacement d’un salarié absent (maladies, congés, etc…) ou passé provisoirement à temps partiel, attente de la prise de fonction d’un nouveau salarié, accroissement temporaire de l’activité de l’entreprise, etc… Ce qui n’empêche pas «qu’il y ait un réel excès de la part des employeurs aujourd’hui», selon Françoise Laigle, du Syndicat National des Journalistes. Le CDD ne devrait théoriquement pas avoir pour objet –ni pour effet- de pourvoir durablement un emploi lié à l’activité permanente de l’entreprise de presse, c’est-à-dire la production d’information. C’est pourtant le cas de nombre d’entre eux: Jérémy Joly, diplômé de l’IUT de Tours puis l’an dernier de la licence professionnelle « Journalisme et médias numérique» de l’Université de Metz, enchaîne depuis peu les CDD et les piges : Après avoir fait l’équivalent de deux ans de stages au travers de ses études dont le dernier aux Dernières Nouvelles d’Alsace, où il commence à piger avant d’y obtenir un premier CDD en novembre 2010. De février à mai 2011, il redevient pigiste avant de signer un nouveau CDD, cette fois-ci de cinq mois sur le site internet de La République du Centre. Une situation qu’il voit plus comme un passage obligé de sa carrière, une étape normale par laquelle sont passés ses confrères: «je ne me suis jamais senti précaire en fait, assez privilégié en réalité…» explique t-il. 11 ISCPA – Juin 2011 Hugo SOUTRA.
  • 15. La précarisation des journalistes a-t-elle une influence sur la qualité de l’information ? Ils sont de plus en plus dans sa situation. Au nombre de 628 en 2008, les journalistes en CDD étaient 985 en 2009 selon l’Observatoire des médias. Leurs chiffres résultant du croisement de leurs données avec celles de la CCIPJ -qui comptabilise encore les CDD parmi les pigistes sans fournir de détails- les chiffres 2010 ne sont pas encore disponibles. Une augmentation toutefois conséquente (+57%) et qui s’expliquerait par le fait que de plus en plus d’entreprises de presse préfèrent recourir à l’activité de CDD, plutôt que de commander des piges et se retrouver avec un potentiel CDI (cf. loi Cressard) entre les mains en cas de complication judiciaire. «Les divers contrats sont utilisés comme un moyen pression, pour faire aller le journaliste dans la direction voulue par la direction» analyse Jérémy Joly. Le salarié en CDD est vulnérable : s’il espère être à terme embauché, il ne lui est pas conseillé de réclamer avec insistance la majoration de ses heures de nuit ou la récupération de ces missions du week-end ou des jours fériés. De façon induite, il n’a pas réellement son mot à dire tant qu’il n’est pas encore titularisé. Les employeurs sont donc de plus en plus nombreux à utiliser ce type de contrat. Bien que cela leur coûte légèrement plus cher qu’une pige classique: en 2009, le salaire médian des CDD était de 2.000 euros; un tiers des journalistes sous CDD touchaient entre 1.500 et 2.000 euros et 14,5% moins de 1.500 euros. Dans le même registre en encore plus précaire, il est important de signaler le cas des journalistes en CDD d’usage dits CDU. Des contrats qui selon l’article 122-1-1 du Code du travail, peuvent être conclus afin de «pourvoir des emplois pour lesquels il est d’usage constant de ne pas recourir au CDI, en raison de la nature de l'activité exercée et du caractère par nature temporaire de ces emplois». Utilisé notamment dans le secteur audiovisuel, cela permet aux entreprises de presse de ne pas payer la prime de précarité théoriquement dû en fin de contrat à durée déterminée (CDD). «Quelqu'un qui fait un travail régulier et pérenne ne devrait pas pouvoir être embauché en CDU… » précise Françoise Laigle. Une nouvelle fois, la réalité est pourtant bien différente. 12 ISCPA – Juin 2011 Hugo SOUTRA.
  • 16. La précarisation des journalistes a-t-elle une influence sur la qualité de l’information ? - Le stagiaire journaliste Il convient ici de différencier le stagiaire journaliste du journaliste stagiaire. La titularisation comme journaliste professionnel n’est effective qu’après avoir été journaliste stagiaire pendant deux ans. Ces derniers sont donc des journalistes débutants, mais titulaires. Alors que les stagiaires journalistes sont encore des étudiants, réalisant des immersions plus ou moins longues dans le cadre de leur scolarité. Généralement enthousiastes à la veille de recevoir une première reconnaissance par le monde du travail… et souvent obligés, également. L’étudiant en journalisme doit faire des pieds et des mains pour décrocher plusieurs expériences dans différentes rédactions, avant de faire son entrée effective sur le marché de l’emploi. C’est une condition nécessaire pour postuler à un emploi durable. Ces stages doivent lui permettre de garnir son CV et d’amorcer la machine à relations, de quoi le rendre capable de démarcher d’autres médias par la suite. La formule a fait ses preuves. Si aucune statistique officielle ne répertorie les stagiaires, certaines entreprises de presse poussent la culture du stage à l’extrême : certaines rédactions –notamment sur internet- sont composées de plus d’un tiers de stagiaires. Les principaux médias régionaux ainsi que quelques médias nationaux nouent des conventions de stage avec les écoles reconnues par la profession. Stages à l’année ou remplacements d’été rémunérés, ces premiers contacts professionnels donnent l’occasion à ces apprentis journalistes de découvrir les rouages de la PQR. Une façon, en quelque sorte, «d’aider les bénévoles à acquérir de l’expérience» selon le discours de l’entreprise… C’est aussi pour l’entreprise une main d’œuvre formatée, précaire et relativement compétente. Payée environ trois fois moins que le salaire minimum, l’entreprise n’encourt pas de risques énormes en acceptant un stagiaire au sein de sa rédaction. 13 ISCPA – Juin 2011 Hugo SOUTRA.
  • 17. La précarisation des journalistes a-t-elle une influence sur la qualité de l’information ? Si la convention de stage stipule que la collaboration est avant tout une période de formation encadrée par un tuteur de l’entreprise avisé et disponible, ces expériences sont dans certains cas synonymes de petits boulots et de tâches rébarbatives (mise à jour de fichiers, documentations, photocopies, etc…) que les journalistes titulaires ne souhaitent pas exécuter. A moins que ce ne soit un travail salarié déguisé alimentant quasi-gratuitement l’industrie de la presse, ce qui est tout autant répréhensible. Des grands quotidiens profitent ainsi de leur renommée pour attirer ces petites mains peu onéreuses. Sarah Belouezzane et Zeliha Chaffin, ont co-écrit l’article «Au Monde, une carte de cantine et un rêve: être publié » paru dans le quotidien du soir daté du 19 juin 2010, alors qu’elles étaient elles-mêmes stagiaires de cette célèbre rédaction du boulevard Blanqui. L’histoire ne dit pas si elles étaient payées. Présentant un tel stage comme «le Saint-Graal de l’étudiant en journalisme», les deux auteures concluent que «sur la centaine de stagiaires accueillis par le journal chaque année, tous ne repartent évidemment pas satisfaits. Néanmoins, il leur reste une jolie ligne sur le CV, de quoi impressionner les futurs employeurs.» Faute de modèle économique viable, les médias internet sont également friands de ces petites mains à la recherche à la recherche d’un nom prestigieux sur leurs CV de débutant. S’ils sont peu avares de leur temps et arrivent à se faire oublier en tant que stagiaire pour faire preuve d’efficacité et de motivation, alors peut-être parviendront- ils même à réaliser d’autres tâches que du bâtonnage de dépêches. Peut-être. Aubaine pour l’employeur, encouragé par les écoles et cautionné par les étudiants, le stage est devenu une norme dans les rédactions françaises comme dans les entreprises du monde entier. Mais en ces temps de précarité galopante, les groupes de presse peuvent en profiter: ils sont en position de force et l’étudiant doit être prêt à l’emploi. Aujourd’hui, l’école –aussi prestigieuse soit-elle- n’est plus une garantie d’emploi. Les stages sont donc une alternative aux piges pour se faire remarquer et ambitionner une hypothétique embauche. Lorsqu’ils laissent entrevoir de telles perspectives d’évolution, car ce n’est pas le cas de tous : certains rémunèrent leurs 14 ISCPA – Juin 2011 Hugo SOUTRA.
  • 18. La précarisation des journalistes a-t-elle une influence sur la qualité de l’information ? pigistes les plus jeunes… au nombre d’heures travaillées, le tout rapporté au prorata du tarif conventionnel du stagiaire (417 euros par mois, soit environ 2,98 euros/heure). D’autres en profitent pour remplacer provisoirement un journaliste démissionnaire ou en congés maladie. Mais certains stages donc, notamment ceux de fin d’études, sont parfois lieues de promesses d’embauche en CDD. Carottes –il faut le reconnaître- exceptionnellement concrétisées dans la foulée sauf cas de force majeur. Non, désormais, à la fin de leurs études, les diplômés d’écoles de journalisme reconnues ou non par la profession, doivent désormais passer de nouveaux concours… internes cette fois-ci. L’AFP, Reuters mais aussi L’Equipe ou Prisma Presse distribuent leurs quelques CDD et contrats de professionnalisation désormais de cette façon. b. … mais aussi du contexte et des conditions de travail… - Manque de moyens Un journaliste aura beau proposer trois fois un reportage à l’étranger avec trois angles différents, il aura aujourd’hui peu de chances de voir sa demande aboutir. Après avoir été une des règles du journalisme, le reportage est devenu une exception. Trop coûteux, pas assez rentable, surtout qu’il est devenu simple de confectionner un bon «produit» à moindre coût : plutôt que d’envoyer un rédacteur et un photographe sur place, le titre de presse n’a plus qu’à acheter les clichés légendés d’une agence de presse, pour ensuite demander à un salarié de narrer une histoire avec, la possibilité de passer deux ou trois coups de téléphone… sur place ! Ou alors lui demander de garder le fil de dépêches ouvert et de scruter le site de partage de photos Flickr en parallèle… Amorcé il y a une quinzaine d’années, les coupes budgétaires des entreprises de presse ont largement diminué les moyens alloués aux reportages. Des notes de frais infernales d’antan, la période est plutôt à la négociation du moindre centime. «Argent ou pas argent, ce qui change est principalement la façon de l’utiliser : les médias ont eu trop d’argent à un moment donné, intégrant une culture de gâchis institutionnalisé. Dans le Libération d’il y a trente ans, le journaliste disposait d’une 15 ISCPA – Juin 2011 Hugo SOUTRA.
  • 19. La précarisation des journalistes a-t-elle une influence sur la qualité de l’information ? enveloppe d’argent liquide et dormait dans un palace… Aujourd’hui, tout est réglementé mais je trouve cela tout à fait normal» raconte Gilles Bruno, spécialiste du monde de la presse et directeur de la publication de L’Observatoire des Médias. Pour défendre leur budget et se donner les moyens d’une politique rédactionnelle de qualité, les rédacteurs en chef ne font pas toujours le poids face aux gestionnaires. «Nous disposons d’un budget prévisionnel, sur lequel nous devons nous adapter en fonction de nos résultats commerciaux et de diffusion… Mais notre modèle économique ne fonctionne plus: même avec une gestion habile et subtile, il devient difficile d’offrir un journal diversifié et spectaculaire» se lamente Thierry Deransart, Directeur adjoint de la rédaction du Figaro Magazine. Au-delà des reportages qui se font de plus en plus rares, la pagination rédactionnelle diminue dans la plupart des publications au profit des pages de publicité. La longueur des articles commandés se réduit du même coup… Le pigiste à qui l’entreprise de presse fera appel doit alors réaliser des sujets qui demandent toujours autant de temps d’enquête, mais publiés dans un format plus court et donc moins bien rémunéré. Autre preuve s’il en faut de cette diminution des moyens, le déménagement de plusieurs groupes de presse depuis une vingtaine d’année : des titres historiques comme Le Parisien, L’Equipe, Bayard ou La Tribune ont quitté le quartier de la presse (2, 8, 9, 10ème arrondissements de Paris) pour rejoindre la petite couronne de la capitale. Plus récemment, Prisma Presse et Mondadori ont rejoint le mouvement. Objectif : baisser également les coûts fonciers, dans un contexte publicitaire tourmenté de crise de la presse. Entraînant du même coup une dégradation des conditions de travail, puisque de la fatigue supplémentaire lié au trajet domicile-travail voire du stress et de la démotivation pour les salariés les plus fragiles. - Hausse des objectifs Comment optimiser les effectifs d’une rédaction sans moyens ? En prônant la polyvalence. A la télévision, fini les reportages en équipe de quatre ! Place au 16 ISCPA – Juin 2011 Hugo SOUTRA.
  • 20. La précarisation des journalistes a-t-elle une influence sur la qualité de l’information ? binôme rédacteur audiovisuel et JRI, où ce dernier doit assurer la prise de son et la gestion de la lumière, en plus de la caméra. Quitte à devenir prisonnier de la technique et ne plus avoir le temps de soigner ses plans et d’exploiter les situations de tournage qui s’offrent à lui. Dans le meilleur des cas… Sur les chaînes d’information en continu, l’homme-orchestre (ou le journaliste-shiva) se retrouve souvent tout seul pour son reportage. Il lui alors faut tourner plus, toujours plus vite. En presse locale, les dénominations secrétaire de rédaction, fait-diversier, reporter, chef d’agence ont disparu. Le principe de poly-aptitude règne également: le journaliste doit collecter et mettre en forme l’information pour le quotidien papier tout en prenant des sons et réalisant des vidéos pour la version du site internet. Cette réorganisation du travail a d’autres conséquences: l’ex journaliste-rédacteur hérite de deux casquettes supplémentaires, celles de photographe et de secrétaire de rédaction. Il doit désormais fabriquer sa page de A à Z. Un jeune journaliste doit désormais maîtriser les aspects techniques de son métier, et plus seulement la partie «intellectuelle». La multi-compétence est un vrai argument d’embauche puisqu’il permet à l’entreprise de réaliser des économies d’échelle, et de ne pas avoir recours à des solutions externes en cas de remplacement à assurer. Ces nouveaux fonctionnements organisationnels sont généralement accompagnés d’une autre mutualisation, celle visant à accroître la productivité en augmentant le rendement des salariés. Outre NextRadioTV d’Alain Weill (RMC, BFM, Groupe 01) et Bolloré Médias (Direct 8, Direct Matin, Direct Soir), Bayard Presse envisage ainsi de créer une plate-forme rédactionnelle. L’objectif: pouvoir disposer de journalistes multi-casquettes capable de produire des articles repris sur les différents supports du groupe. Tous doivent travailler indifféremment pour tel ou tel titre du groupe, version papier, site internet, chaîne de télévision ou station de radio. Pas de quoi effrayer le fondateur de l’Observatoire des Médias, Gilles Bruno : «Le journaliste a une forte tendance à pleurer sur son sort, mais ils sont largement coupables de leur situation ! Il est nécessaire de rappeler qu’il a crée lui-même la précarisation en refusant d’écrire pour le site internet de son média, à moins d’être 17 ISCPA – Juin 2011 Hugo SOUTRA.
  • 21. La précarisation des journalistes a-t-elle une influence sur la qualité de l’information ? payé le double (N.D.L.R. la repasse donne théoriquement droit au versement de nouveaux droits d’auteurs)… Du coup, le site –sans moyens- ne fait que bâtonner des dépêches et se déprécie automatiquement, ce qui finit par dévaloriser le média dans son ensemble, qui ne se vend dorénavant plus…» - Manque de temps Obsédés par le modèle du flux permanent court-termiste séduisant un public de masse attiré par le scoop, certaines entreprises de presse ne donnent plus le temps nécessaire aux journalistes de faire correctement leur travail. Soucieux d’optimiser leurs médias, chaque seconde doit être rentable. Le temps de recherche, de réflexion, de recul, pourtant nécessaire à tout travail journalistique de qualité, est désormais devenu optionnel dans certaines rédactions. Les entreprises de presse profitent également que le journaliste n’ait pas d’horaires fixes -que la culture professionnelle valorise l’investissement personnel- pour s’autoriser quelques excès. En démultipliant les tâches qui incombent au journaliste, celui-ci va forcément dépasser la durée légale du travail s’il a un minimum d’éthique et ambitionne de rendre un travail convenable. Des cas similaires peuvent être observés avec la prolifération des journalistes à temps partiel: un salarié embauché à trois-quarts temps fera souvent 35 heures ou plus malgré qu’il ne soit payé l’équivalent que de 26 ou 27 heures… Pourquoi ? Car s’il souhaite un jour être titularisé à temps plein, il doit prouver sa capacité à faire du bon travail et exécuter toutes les tâches nécessaires. Une chaîne de télévision refusera de commander une enquête à un pigiste si son tournage n’est pas concentré sur une seule journée. Davantage de temps d’enquête et de tournage signifie plus de temps de travail et donc un coût exponentiel: l’entreprise préférera alors traiter le sujet en interne. Il arrive même que ce soit les journalistes eux-mêmes qui se mettent des barrières et désertent le terrain, faute de temps. Ils ne prennent plus le risque de s’absenter de la rédaction pour un sujet dont eux-mêmes doutent… 18 ISCPA – Juin 2011 Hugo SOUTRA.
  • 22. La précarisation des journalistes a-t-elle une influence sur la qualité de l’information ? La membre du bureau national du SNJ, Françoise Laigle, en convient, «si ce n’est pas une précarisation dans les termes, les conditions de travail du journaliste se dégradent tout de même. Et pour le même résultat : cela apporte de la fatigue et n’améliore en rien sa capacité à faire son travail correctement…» c. … pas si récente que cela. Pour autant, la précarité n’est pas une notion nouvelle pour les journalistes ! S’il est acquis pour tous les journalistes qu’il ne faut pas faire ce métier pour le salaire et qu’il est compliqué d’être titularisé dès ses débuts, la précarité a toujours existée, plus ou moins forte selon les époques, les statuts, les tendances du chômage, la formation des journalistes, etc… «La précarité est une étape obligée» estime Gilles Bruno, «des journalistes comme Renaud Dély ou David Revault d’Allonnes étaient précaires à leur entrée dans la profession chez Libération. Cela ne les a pas empêchés de devenir Directeur délégué de la rédaction du Nouvel Observateur et Grand Reporter politique chez Europe 1…» «Faux !» lui rétorque Jean-Christophe Féraud, journaliste successivement à La Tribune, aux Echos puis aujourd’hui à Libération. «Dans les années 80, j’ai également galéré pour rentrer dans la profession, par le biais de stages mais au moins ils étaient payés ! Et une fois titularisés, nous y étions bien installés. La notion de CDD n’existait pas ! Il y avait une transmission du savoir, comme une passation de pouvoir entre les générations. Cela n’existe plus, c’était à l’époque où les journaux n’étaient pas encore des entreprises comme les autres… Vingt ans plus tard, on a glissé dans l’élevage de poulets en batterie, précaires, dotés de tâches déqualifiées, sans aucune reconnaissance» fait-il valoir, nostalgique d’une époque bien révolue. Les stages, les piges et les CDD ont toujours rythmé l’entrée d’un jeune journaliste dans le monde de la presse. Seulement, cette période subie d’une à deux années se serait allongée de deux ans au cours des années 2000. L’effet sas d’entrée est devenu structurel: en 2008, un peu plus du tiers des nouveaux titulaires de la carte 19 ISCPA – Juin 2011 Hugo SOUTRA.
  • 23. La précarisation des journalistes a-t-elle une influence sur la qualité de l’information ? de presse étaient précaires (39,6% étaient pigistes ou en CDD) contre près de la moitié en 2009 (49,4%). Des chiffres attestant d’une précarisation des parcours préprofessionnels, qui démontre également que la précarisation est devenue une norme, s’étendant même à de nombreux secteurs du marché du travail autres que le journalisme. Pour Jean-Christophe Dupuis-Rémond, journaliste audiovisuel et internet pour France 3 Lorraine depuis 2000 et enseignant en web-journalisme depuis 2010 à l’Université de Metz, «la précarisation n’a rien de nouveau mais ne s’est pas arrangée dernièrement.» En 1975, 8,5% des journalistes étaient précaires, 14,7% en 1990 et 18,8% en 2000. S’ils n’étaient plus que 18,1% des journalistes encartés à être en CDD ou pigistes en 2008, leur part s’est de nouveau élevée pour atteindre 19,3% des journalistes en 2009 et 20,1% en 2010. Une aggravation de la situation qui se fait ressentir à tous les niveaux, et plus uniquement sur un plan purement et strictement professionnel. Leur situation précaire a également des conséquences sociales. Nadjet Cherigui, pigiste depuis plus de neuf ans, dit ne ressentir la précarité qu’à un certain niveau: «mais ce qui me parle vraiment, c’est de ne jamais pouvoir me projeter, de ne pas préparer mes vacances des mois à l’avance ni de m’engager pour accompagner la sortie d’école de ma fille.» Pour elle qui réclame ce statut de freelance et s’est organisée en fonction, la règle est la même que pour tous les autres pigistes : être toujours disponible et ne jamais refuser une proposition, «car nous ne savons jamais quand la prochaine pige arrivera…» Au-delà même des effets psychiques que peut générer la précarisation chez certains, le fait de ne pas avoir de salaires réguliers en empêche d’autres d’obtenir un crédit bancaire ou de négocier l’achat d’un logement. B) … est une conséquence des maux de la presse 20 ISCPA – Juin 2011 Hugo SOUTRA.
  • 24. La précarisation des journalistes a-t-elle une influence sur la qualité de l’information ? Coupes budgétaires, gel des salaires, recours à l’emploi précaire… La période de doute traversée dernièrement par l’ensemble des médias est loin d’être favorable aux journalistes : selon les statistiques de la CCIPJ qui se base sur le nombre de cartes de presse délivrées annuellement, le nombre de pigistes auraient augmenté de 367% entre 1980 et 2010, contre 122% pour le nombre de journalistes. Leur proportion dans les rédactions, en trente ans, serait ainsi passée de 9,6% à 20,1%. Quand l’économie va mal, les employeurs cherchent naturellement à en profiter, quitte à faire patienter une génération surdiplômée, motivée et peu onéreuse à leur porte. Las d’ambitionner un emploi durable, ces derniers s’heurtent depuis des années à une précarité institutionnalisée -à coup de stages et de CDD- qui induit parallèlement productivisme et perte d’autonomie. Mais rarement la dichotomie entre statut théorique et réalité sur le terrain, journalistes salariés et précaires, freelances choisis et pigistes subis, n’aura été aussi forte. Les raisons avancées pour expliquer la précarisation du métier sont nombreuses et clivantes. Si le cœur du métier –à savoir la recherche de la vérité, la culture du doute, l’honnêteté intellectuelle, la vérification de l’information- n’a pas fondamentalement changé, les conditions d’exercice de la profession ont elles, évolué. Des changements structurels, dus aux crises –identitaire, économique, technologique- que traversent les médias aujourd’hui, remettent à l’ordre du jour les questions d’organisation, de valeur, d’audience et de temps auxquelles il est indispensable de répondre pour assurer les lendemains de la presse. a. Un métier populaire, victime de son succès… Alors que la progression du nombre de journalistes «encartés» était de 60% entre 1980 et 1989, elle n’était plus que de 13,5% de 2000 à 2008. Un temps plus important que le rythme de progression observé au niveau de la population active, le taux de croissance de la profession a progressivement diminué pour ne plus être que de 0,2% entre 2008 et 2009. Suivant cette pente glissante, le nombre de journalistes a logiquement diminué pour la première fois de son histoire entre 2009 et 2010. 21 ISCPA – Juin 2011 Hugo SOUTRA.
  • 25. La précarisation des journalistes a-t-elle une influence sur la qualité de l’information ? Des données qui traduisent plus un encombrement du métier qu'un réel désintérêt pour une profession… qui ne cesse par ailleurs de vieillir. Pour le SNJ, «la pénurie d’emplois augmente la précarité: le salarié est prêt à plus de concessions et acceptent des salaires plus bas, les pigistes d’être payés au noir ou en droit d’auteur…. Des pratiques qui ont toujours existé mais qui sont facilitées par l’actuel rapport de force actuel entre dirigeant et journaliste» argumente Françoise Laigle. Mais l’absence d’emplois –et de moyens suffisants pour exercer son métier- tout comme le fait d’avoir de moins en moins de lecteurs ne décourage pas plus que cela les aspirants journalistes. Les écoles de journalisme –reconnues ou non- se sont multipliées ces dernières années sans vraiment anticiper les mutations du secteur, mais plutôt en attendant un signe des entreprises de presse. En matière de recrutement de jeunes journalistes, ce retour est pourtant éloquent : seulement 225 des 1.822 journalistes ayant reçu leur première carte de presse en 2010 sont diplômés de l'un des treize cursus reconnus par la profession, soit 12,3%. Un recrutement hors écoles reconnues, justifié par le fait d'éviter le formatage des nouveaux arrivants mais aussi pour avoir la possibilité de recruter une main d’œuvre encore plus précaire et moins exigeante. Au-delà de ces réflexes des entreprises de presse, une génération de précaires (beaucoup de formés, peu d’élus) complètement déconnectés des réalités du secteur a débarqué dans un secteur en crise… par la mauvaise porte. Entre 2005 et 2009, «j’ai vu passer beaucoup de jeunes confrères qui n’avaient qu’une idée en tête: commencer leur carrière en intégrant les rédactions des grands médias nationaux en n’imaginant que comme dernier recours de faire leurs classes dans la presse régionale ou départementale» raconte Erwann Gaucher, consultant qui a accompagné le développement multimédia d’environ 50 titres de presse locale. Toujours plus nombreux à vouloir mettre un pied dans la profession, et toujours plus nombreux à déchanter… Ils avaient beau piger pour différents médias parisiens plutôt que de tenter leur chance dans des médias «moins prestigieux» avec des débouchés moins précaires, le constat était le même partout: le journalisme d’Albert Londres ou de Joseph Kessel n’existait plus. Les reporters, «l’œil et l’oreille, mais 22 ISCPA – Juin 2011 Hugo SOUTRA.
  • 26. La précarisation des journalistes a-t-elle une influence sur la qualité de l’information ? aussi le nez, la bouche ou la main du lecteur» pour paraphraser Christian Sauvage, se font de plus en plus rares. Et eux, jeunes pigistes, n’étaient pas embauchés pour les remplacer mais bien pour leurs faibles prétentions salariales et leur capacité à écrire un papier tout en sachant l’agrémenter d’un son et l’enrichir d’une vidéo. Au-delà d’une question de talent, la conjoncture ne le permettait plus. «Si le secteur de la presse est bien en crise, il est surtout en mutation. Les journaux cherchent de nouvelles compétences, de nouveaux profils. Il y a des opportunités que me font sincèrement penser que la précarisation n’est pas inévitable, à condition de comprendre voire de la précéder…» laisse entendre Erwann Gaucher. La tendance évolue et les nouveaux postulants semblent mieux comprendre et mieux naviguer dans ce secteur en mutation. b. … entamé par la crise de la presse… La presse cherche des solutions pour réinventer à bas prix le journalisme. Car la crise qui a longtemps touché la presse écrite et seulement la presse écrite s’est aujourd’hui généralisée à l’ensemble des supports d’information. Ni la presse écrite – web ou print- ni la télévision, ni la radio ne recrutent aujourd’hui… Pour le sociologue des médias Eric Maigret, «un jeune journaliste doit d’abord postuler à L’Internaute ou sur des agrégateurs d’information plutôt qu’au Monde, au Figaro, à Libération ou à France Télévisions s’il ambitionne de décrocher un emploi durable.» Pour Thierry Deransart, Directeur adjoint de la rédaction du Figaro Magazine, «la crise de la presse n’a jamais cessé d’exister»: érosion des ventes de journaux, crise publicitaire (voire suppression pour l’audiovisuel public), explosion de la bulle internet, contrecoup des 35 heures… Confrontés à de multiples maux, la liste des potentiels clients des aspirants journalistes ne cesse de se réduire: fermeture de certains titres de presse, réduction de la pagination, concurrence intra-pigistes… Les articles commandés sont moins longs (donc moins payés) avec des délais d’exécution raccourcis pour des sujets nécessitant le même temps d’enquête. Au final, les journalistes pigistes sont amenés à devoir travailler plus pour gagner autant. 23 ISCPA – Juin 2011 Hugo SOUTRA.
  • 27. La précarisation des journalistes a-t-elle une influence sur la qualité de l’information ? Les subventions de l’Etat n’y changeront rien, le journalisme doit affronter une crise globale sans précédent historique. Loin des simples difficultés passagères qu’elle a pu connaître périodiquement. Le modèle économique (inventé par Emile de Girardin) des groupes de presse s’essouffle : depuis 1850, les médias parvenaient à vendre deux fois leur journal, au lecteur et à l’annonceur. Une logique qui se heurte depuis l’avènement d’internet à la culture du tout-gratuit. «Les médias se sont longtemps développés en tirant une diffusion maximale de leur produit vendu peu cher, et un complément non négligeable des publicitaires. Chose devenue impossible aujourd’hui… Nous devons prendre des mesures d’économies, qui sont certes susceptibles de provoquer une précarisation» argumente t-il. Même la fusion des médias, passés sous l’emprise de puissants propriétaires et des marchés financiers, n’a pu enrayer ce phénomène. De là à pointer la responsabilité des logiques industrielles qui auraient perverti l’esprit des médias et des «cost killers qui managent les rédactions», il n’y a qu’un pas… franchi par Françoise Laigle, journaliste retraitée depuis quelques mois et membre du bureau national du SNJ: elle dit ne jamais avoir «vu une telle volonté de transformer le métier de façon aussi nocive.» Pour autant, ce raisonnement ne peut pas expliquer à lui seul le regain de difficultés auxquelles font face les entreprises de presse. Face aux rigidités de son propre système (monopoles de la distribution et de l’imprimerie, qui coûtent plus au lecteur et rapportent moins à l’éditeur) et à la crise économique globale de 2008, les directions des groupes de presse ont dû resserrer leurs coûts. Plus par contrainte que par choix, donc. Patrick de Saint-Exupéry, le directeur de la publication du trimestriel XXI spécialisé dans l’enquête et le grand reportage, ne jette pas la pierre aux groupes de presse: «Personne ne sait comment s’écrira la presse demain. Dans le doute, les directions de journaux de plus en plus fragiles ne vont pas vers un renforcement des équipes… Ce n’est pas une question de volonté mais de priorité ! Ils subissent un enchaînement de facteurs, ils sont donc amenés à traiter d’autres urgences en priorité» détaille t-il. 24 ISCPA – Juin 2011 Hugo SOUTRA.
  • 28. La précarisation des journalistes a-t-elle une influence sur la qualité de l’information ? Un moyen de combler une partie de leurs blessures à court-terme, avant d’espérer trouver la solution salvatrice réinventant le journalisme. Peut-être en basculant vers de nouvelles formes d’organisation, ou alors grâce à de nouveaux supports. c. … et creusé par les évolutions technologiques Une partie des dirigeants de médias avance l'arrivée du journalisme sur internet pour expliquer l'échec d'un modèle économique, qui a pourtant fait ses preuves pendant plus d'un siècle. «Nous ne sommes pas parvenus à transposer le système du kiosque minitel pour financer l'information sur internet, ce qui aurait permit de faire payer le lecteur suivant le temps passé sur le site de presse» regrette Thierry Deransart, du Figaro Magazine. «Les problèmes économiques de la presse datent de bien avant l’arrivée d’internet» conteste Jean-Christophe Féraud, rédacteur en chef adjoint de Libération. «Depuis l’après-guerre, personne ne s’était réellement posé de questions sur le danger des monopoles, le modèle éditorial, etc… Dans un contexte économique morose, cela a amené la concentration des groupes de presse, puis la pression économique qui va avec, les économies d’échelle, les plans sociaux. Ensuite est venu se greffer la mutation technologique et le tsunami internet ! Là, personne n’a plus rien compris et la grande majorité des journalistes ont refusé d’apprendre. C’était fini: leur peur et leur mépris vis-à-vis du web les ont conduits à accepter que les entreprises élèvent des jeunes smicards sur le web, afin de faire le sale boulot à leur place» se remémore t-il. Si elle a bien contribué à créer une nouvelle temporalité médiatique qui a souvent relégué la presse papier en retard (N.D.L.R. dernièrement avec la mort d’Oussama Ben Laden), cette deuxième révolution technologique n’a pas que du tort. Cet outil aux multiples possibilités -pas encore totalement exploitées- a également accru considérablement l'audience des médias, facilité l'accès des lecteurs à l'information et renouvelé les pratiques dans le traitement de l'information. Internet a fait évoluer le paysage de l’information: aujourd’hui, chacun peut s’improviser journaliste et devenir son propre rédacteur en chef, chacun peut créer 25 ISCPA – Juin 2011 Hugo SOUTRA.
  • 29. La précarisation des journalistes a-t-elle une influence sur la qualité de l’information ? son blog et poster ses propres vidéos, etc… Et pour se tenir au courant des derniers évènements, il suffit d’ouvrir une page Google ou Yahoo. Autant de changements qui ont modifié les façons des lecteurs de consommer l’information, leurss usages et leurs habitudes. Pour s’y adapter, les journalistes se sont vus imposer des règles spécifiques d’écriture : pour conserver des chances d’être lu un maximum par ces adeptes du zapping, il faut écrire court (est-ce à dire, sans profondeur ?), pour les moteurs (est- ce à dire, de façon standardisée ?) et pour l’audience (est-ce à dire, uniquement de l’information futile ?). Les libertés –et l’autonomie- du journaliste web (précaire, faut-il le rappeler) ont été encadrées, réduisant sa capacité à se démarquer de ses collègues sous prétexte que le lecteur n’avait plus envie de lire de longs reportages. Une auto-censure qui, conjuguée à un sous-effectif et un manque de moyens, peut expliquer le discrédit jeté sur le secteur par certains confrères de presse écrite et des patrons de presse en général. Dans «Le Journaliste» d’octobre 2010, le créateur du collectif DJIIN (pour le Développement du Journalisme, de l’Information et de l’Innovation Numérique) Sylvain Lapoix insiste sur le fait que les journalistes web devront «d’abord bénéficier de la reconnaissance professionnelle avant d’espérer avoir la reconnaissance salariale ! […] Le support ne fait pas le métier et un journaliste reste un journaliste, sur les ondes, le papier ou internet.» Laurent Léger est sur la même lignée. Pour ce journaliste d’enquête à Charlie Hebdo, l’équation est simple : «Les journalistes de presse écrite et d’internet, ce sont les mêmes ! Ils ont tous besoin de temps et de moyens. Mais si votre direction vous impose d’écrire trois articles par jour, vous n’aurez pas le temps de faire du bon journalisme… Les patrons de presse créent des sites internet sanas leur allouer de moyens suffisants. L’enquête arrivera sur internet. Mais tant qu’ils vivotent, qu’ils n’ont pas les moyens d’exister de manière indépendante et uniquement de leur production journalistique, c’est cause perdue !» Car pour ne rien arranger, le journalisme sur internet n’a toujours pas trouvé de modèle économique viable. Quelques pureplayers dont Rue89 se développent sur des activités annexes (comme la presse professionnelle : formation, séminaires, etc), 26 ISCPA – Juin 2011 Hugo SOUTRA.
  • 30. La précarisation des journalistes a-t-elle une influence sur la qualité de l’information ? d’autres comme Owni.fr sont financés des sociétés de services (22 Mars) ou encore comptent sur un public suffisamment motivé pour souscrire à un abonnement (Mediapart, Arrêt sur Images) ou financer directement l’information via le crowdsourcing (J’aime l’info). Mais cela ne nous dit rien de la capacité à équilibrer les comptes des sites de quotidien (Figaro.fr, Monde.fr, Lexpress.fr, etc..) qui ont fait le choix de se spécialiser dans la réécriture de dépêches (mélangé avec du recyclage du print et une partie de production propre) afin de garder la noble matière journalistique pour leurs éditions papier. Seuls quelques sites parviennent aujourd’hui à être rentables et financièrement indépendants. C’est le cas du Huffington Post ou de News24.com qui ont profité de la crise pour innover. Les rédactions du Los Angeles Times, du New York Times, du Guardian ou de la BBC se sont également dotés d’un service de recherche et développement. Le Financial Times a récemment mis au point son propre kiosque numérique afin de ne pas être dépendant des intermédiaires (Google, Apple, etc...) et ainsi ne pas perdre l’accès direct à son lecteur. Contrairement aux sites français qui lanceraient leur version Iphone ou Ipad aujourd’hui, qui seraient soumis au «NewsStand» d’Apple qui ponctionne 39% du prix de l’application, en plus des 19,6% prélevés par l’Etat… 27 ISCPA – Juin 2011 Hugo SOUTRA.
  • 31. La précarisation des journalistes a-t-elle une influence sur la qualité de l’information ? Comment être rentable après coup ? La stratégie éditoriale –produire massivement à moindre coût- est également en partie responsable. Alors qu’internet se veut lieu d’expérimentation et de liberté d’expression, le web journalisme produit trop souvent une information standardisée à l’heure de l’instantanéité. Il suffit de regarder les derniers articles indexés par Google Actualités pour s’apercevoir qu’ils émanent plutôt d’agences de presse que des journalistes affiliés aux sites en question. En suivant ce raisonnement, une partie de l’offre actuelle pourrait être produite par des algorithmes et des journalistes-robots. Si bien que les fermes de contenu (Demand Media) qui écrivent en fonction d’algorithmes déterminant ce que le lecteur recherche et ce qui génèrera de la publicité, ou les journalistes-robots (Stats Monkey) qui écrivent des articles en moins de trois secondes, ne sont aujourd’hui malheureusement plus de la simple science-fiction. Nés il y a un peu plus de dix ans, personne ne sait vraiment ce qu’est le web journalisme. Ce qui est valable aujourd’hui ne le sera peut-être plus demain, le journalisme internet décante, évolue pour s’affirmer à court ou moyen-terme dans sa quête d’identité. L’optimisme reste donc de mise. «Les nouveaux médias qui mettent beaucoup plus l’accent sur l’investigation, l’émergence de nouveaux formats éditoriaux, toutes ces raisons me poussent à un certain optimisme. Internet est en train de réinventer le journalisme avec le web-documentaire, le data-journalisme, etc… » plaide Erwann Gaucher, journaliste-consultant qui effectue ponctuellement des formations pour 22 Mars, la société éditrice de l’innovant Owni.fr. 28 ISCPA – Juin 2011 Hugo SOUTRA.
  • 32. La précarisation des journalistes a-t-elle une influence sur la qualité de l’information ? Partie II : L’influence de la précarisation sur la qualité de l’information A) L’information est de moins bonne qualité… Collecter, puis sourcer et vérifier l’information, avant de la situer dans un contexte et la hiérarchiser pour s’en faire le vecteur et le porter à la connaissance du public: telle pourrait être la définition du journalisme. A quelques variations près, elle ne devrait souffrir d’aucune contestation possible. Ce qui n’est pas le cas de la «qualité du journalisme», une notion beaucoup plus subjective. Interrogés, les définitions de professionnels des médias divergent: Pour le journaliste de France 3 Lorraine Jean-Christophe Dupuis-Rémond, «c’est comme le communisme : un idéal absolu qu’il faudrait atteindre, en répondant aux attentes de son public avec une information vérifiée et obtenue si possible de visu.» Gilles Bruno, directeur de la publication de L’Observatoire des Médias juge plutôt sur le résultat final: «Un journalisme de qualité se distingue avant tout dans le style, s’il a une plume intéressante, s’il possède cette verve de l’écrit, etc…» L’enquêteur Laurent Léger est lui plus catégorique. «Le journalisme, c’est d’abord de l’enquête ! Ce n’est pas en faisant du journalisme mou ou du publi-reportage que la presse parviendra à reconquérir son lectorat… Mais être dans le contre-pouvoir et non dans le compte-rendu, cela demande du courage, du temps et des moyens…» Suivant le principe que la qualité proposée est fonction de la qualité de la source, le sociologue des médias Eric Maigret tient à préciser que «95% des informations qui arrivent aux journalistes ne résultent pas forcément d’un travail d’enquête. Un journalisme de qualité, ce n’est pas empiriquement de l’investigation !» Thierry Deransart, directeur adjoint du Figaro Magazine, acquiesce. «C’est un tout : il n’y a pas de matières plus ou moins nobles que d’autres dans le journalisme. Un 29 ISCPA – Juin 2011 Hugo SOUTRA.
  • 33. La précarisation des journalistes a-t-elle une influence sur la qualité de l’information ? journaliste fait du travail de qualité à partir du moment où il le fait honnêtement, sans idée préconçues ni en avançant avec des œillères.» «Tout à fait» reprend le diplômé de l’IFP en histoire des médias Jean-Christophe Féraud, «mais ça dépend tout de même du temps, des moyens à disposition du journaliste et de son talent. Ce que je sais, c’est ce qu’est un mauvais journalisme par contre: un journalisme de sondages, réalisé en fonction de l’offre et de la demande. Je provoque volontairement mais le lecteur est con, il faut dépasser ses attentes et le surprendre constamment!» «Et à partir du moment où le journaliste met le pied dehors ! Chose rendue difficile quand vous devez rendre deux à trois papiers par jours» renchérit Jean Abbiateci, membre du collectif de pigistes Objectif Plume. «Il n’y a pas besoin de scoops, le journalisme de qualité nécessite avant tout du temps pour se documenter, comprendre les enjeux et des moyens pour pouvoir aller sur le terrain vérifier les informations» ajoute t-il. a. Une information simplifiée à outrance… Héraut de la liberté d’expression et garant de la démocratie, le rôle du journaliste est de plus en plus remis en question. Tout comme les médias font l’objet de vives contestations. Au-delà de la perte d’une partie du lectorat, un climat de méfiance et de défiance s’est installé sur la profession. «Le public sait que les journalistes ont un meilleur accès aux données, qu’ils sont capables d’identifier les tenants et les aboutissants d’un fait. C’est légitime qu’il veuille lui aussi accéder aux informations les plus pertinentes» perçoit Jean-Christophe Dupuis-Rémond, journaliste de terrain dans une locale de France 3. Le peu de lecteurs restants, excédés par les différents fiascos médiatiques (dernièrement, l’affaire Outreau, ou à une moindre mesure «l’omerta» touchant DSK) est devenu exigeant avec le contenu des journaux payants. Pas encore suffisamment, selon l’enquêteur du Washington Post à l’origine des révélations sur le scandale du Watergate, Bob Woodward, qui confiait dans un récent entretien au Monde Magazine que «les gens ont l’impression d’être bien informés alors qu’ils reçoivent une information dénuée de tout contexte et de signification […] Il y a 30 ISCPA – Juin 2011 Hugo SOUTRA.
  • 34. La précarisation des journalistes a-t-elle une influence sur la qualité de l’information ? beaucoup de vent et peu d’informations de valeurs. Le système médiatique est obsédé par la vitesse, l’obligation de répondre à une pseudo-impatience du public.» A un tel point selon lui, que les journalistes en sont venus à présupposer les envies des lecteurs, pour en finir par occulter la complexité du réel et les sujets de fonds. Exagération du fait divers et de l’émotion, sensationnalisme, présentation politicienne de toutes problématiques politiques, transformation de toute question économique en discours savant, seraient dorénavant les traditionnelles formes de traitement journalistique. Une concurrence médiatique effrénée qui conduit à l’oubli de la notion de pluralisme, une prise de risques minimum et une information banale ; des unes plus racoleuses que jamais ; la vie privée vendue comme une information… «C’est également en partie la faute de la technologie» veut croire Jean-Christophe Féraud: «Internet a changé la donne, il y a plus de bruit, plus de redondance, une répétition de l’information AFP…» déplore t-il. Son collègue Gérard Davet, enquêteur du Monde abonde en ce sens : «ce ne sont pas les mêmes méthodes de travail : au monde.fr ils ne vont même pas déjeuner avec leurs contacts ! Eux ce qu’ils font c’est du journalisme de flux, ils n’ont jamais le temps et il leur manque des moyens… » S’il ne faut pas en tirer de généralités et reconnaître que des médias comme France Culture, LCP ou Slate parviennent à prendre le contre-pied des exigences de l’immédiateté, les tendances observées n’aident pas à rester optimistes. Non pas que les médias considèrent leurs publics comme des masses ignorantes… Mais gommer la complexité du monde présenterait l’avantage de s’adapter à un public moins disponible, qui réclame des explications rapides pour ne pas louper son programme de divertissement… D’où des réponses simples et peu nuancées que le journaliste doit lui apporter, d’où la prédominance de la vulgarisation et du storytelling, d’où la nécessité de formats courts et synthétiques, d’où la généralisation de «l’écriture web», etc… Une logique de pensée qui effraie l’ancien directeur du Monde Diplomatique et père de Media Watch Global (ainsi que d’ATTAC) Ignacio Ramonet, qui déplore que «le journalisme 31 ISCPA – Juin 2011 Hugo SOUTRA.
  • 35. La précarisation des journalistes a-t-elle une influence sur la qualité de l’information ? de spéculation, de divertissement et de spectacle triomphent au détriment de l’exigence de qualité.» Les journalistes ont un devoir envers les citoyens, une responsabilité sociale qu’ils assument de moins en moins. Mais est-ce Les drôles de pratiques de encore réellement de leur faute ? Le pouvoir Bernard Arnault : dont dispose les journalistes n’est pas si Propriétaire  de  La  Tribune  vendu  un  énorme, ils ont été dépossédés par les euro  symbolique  pour  s’emparer  de  entreprises de presse de leur pouvoir l’autre  quotidien  économique  Les  Echos  en  2007,  la  quatrième  fortune  d’informer. mondiale,  patron  et  actionnaire  majoritaire du  groupe  LVMH  Bernard  Passés sous le contrôle de groupes Arnault  est  également  patron  de  industriels inféodés à quelques puissants qui presse.   continuent à leur acheter de la publicité, le Egalement  administrateur  depuis  journaliste –précaire ou non- ne doit pas bientôt  dix  ans  du  groupe  Lagardère  (Le  Journal  du  Dimanche,  Paris  assumer l’entière responsabilité des dérives Match, Elle), il contrôle une partie de  du métier (connivence, quête du profit, perte la  presse  française…  via  le  marché  publicitaire. Selon le Canard Enchaîné  de qualité). La dramatisation des faits est du  27  avril  dernier,  le  patron  et  mise en scène pour faire monter l’audience. actionnaire  majoritaire  de  LVMH  a  Un phénomène que le journaliste ne fourni  «près  de  8%  des  recettes  publicitaires  de  la  presse  féminine  et  contrôle pas, mais qui résulte plutôt d’une plus  de  10%  de  celles  du  groupe  volonté préalable des groupes de médias. Figaro.»  «J’ai  préféré  quitter  ce  journalisme  d’entreprise  et  institutionnel, pour  gagner  800  euros  b. … réduite au rang de de moins mais retrouver une grille de  lecture  plus  critique,  plus  marchandise journalistique»  témoigne  Jean‐ Christophe  Féraud,  transfuge  des  L’apathie des médias –trop occupés à se Echos aujourd’hui à Libération.  sortir du gouffre financier- est source de nombreuses dérives, de l’information non vérifiée à la course au scoop, en passant par le panurgisme et l’autocensure, sans oublier la logique de remplissage, la négation de toute réflexion et la baisse de l’éthique professionnelle… 32 ISCPA – Juin 2011 Hugo SOUTRA.
  • 36. La précarisation des journalistes a-t-elle une influence sur la qualité de l’information ? «La dégradation de la qualité de l’information a débuté depuis quinze à vingt ans» estime le sociologue des médias Eric Maigret, qui avance pour preuve qu’il n’y a «jamais eu autant de médias ni de journalistes, mais paradoxalement moins d’images et de points de vues.» La naissance de l’information en continu conjuguée à la mondialisation de l’information, s’est faite parallèlement à la concentration et la fusion des groupes de médias. «L’information est aujourd’hui moutonnière, car centralisée : les acteurs sont de moins en moins nombreux. Seuls quelques agences de presse abreuvent la presse, le web, la radio et la télévision et parviennent à établir les discussions du jour» déplore t-il. L’appauvrissement du contenu médiatique est en grande partie dû à la prédominance du rôle de l’AFP ou Reuters, rôle que les lecteurs (ou téléspectateurs) ignorent bien souvent. «Il y a quinze ans, le journaliste était en position de narration. Aujourd’hui, il fait de la synthèse» résume Patrick de Saint-Exupéry, ancien grand reporter du Figaro, lauréat du Prix Albert Londres en 1991, fondateur et directeur éditorial de la revue XXI. Le journaliste aurait perdu la maîtrise de l’agenda de l’information. La pression économique ainsi que la marchandisation de l’information ont fait perdre du sens au journalisme, en poussant les médias à se concentrer uniquement sur l’audimat. «Avant, la presse n’était pas un métier comme les autres. Mais les mauvaises pratiques de l’entreprise (rationalisation, précarisation) l’ont gangrené jusqu’à ce qu’elle le devienne à part entière» analyse Jean-Christophe Féraud, ancien chef du service Médias-Tech des Echos et désormais responsable de la rubrique Eco-Terre de Libération. «Le vocable du marketing a contaminé notre profession: nous ne fabriquons plus une œuvre culturelle mais nous vendons un produit ; on ne parle plus de titre mais de marque ; les termes acheter, cibler, marché, rentabiliser, prise de risque ont envahi notre quotidien de journaliste…» «Les journaux sont des entreprises comme des autres, et elles doivent être en bonne santé pour être de qualité ! Si un journal veut pouvoir faire face aux pressions et ne pas être dépendant des annonceurs, il doit être sain économiquement. Ce qui n’empêche pas de faire correctement notre métier» lui rétorque l’ancien journaliste de Valeurs Actuelles et aujourd’hui Directeur adjoint du Figaro Magazine. 33 ISCPA – Juin 2011 Hugo SOUTRA.
  • 37. La précarisation des journalistes a-t-elle une influence sur la qualité de l’information ? Une mutation non sans conséquences sur le Le contre-exemple du Monde : contenu éditorial: le journalisme est devenu une économies et enquête. industrie mécanisée. L’exigence de productivité et de rendement envers chaque journaliste Au  Monde,  l’ancien  bras  droit  du  nouveau  propriétaire  Xavier  Niel,  conjuguée au refus de prendre des risques de Michael  Boukobza,  a  été  chargé  moins en moins couverts par les assurances ont d’engager  un  plan  d’économies  drastique.  Les  coupes  budgétaires  se  conduit les médias à rentrer dans une logique multiplient.  Mais  parallèlement,  Erik  commerciale, privilégiant les sujets qui font Israelewicz  a  pris  la  tête  de  la  rédaction.  Avec  sa  promesse  de  vendre au journalisme dangereux (grand rebâtir une cellule d’enquête.   reportage, enquête au long-cours) et donc au journalisme de qualité… Et  ce  pour  le  plus  grand  plaisir  de  Gérard  Davet,  enquêteur  au  Monde  sous  Plenel  avant  de  devenir  grand  Le journaliste d’enquête Laurent Léger a reporter  face  au  faible  soutien  conscience que l’indépendance des journaux témoigné  par  les  précédentes  directions :  «il  a  dit  qu’il  voulait  n’est plus qu’une illustre utopie. Cela ne remettre l’enquête au cœur du journal,  l’empêche pas de dénoncer «le manque de et  il  a  assumés  ses  dires !  Des  fonds  volonté des médias. Ils ne font plus d’enquête ont  été  débloqués  pour  les  recrutements  de  Fabrice  Lhomme  et  pour des raisons de relationnel, les patrons de Emeline Cazi, et c’est tant mieux !» Les  presse fréquentent les soirées mondaines et ont premières  embauches  depuis  six  ans,  comme  un  symbole,  viennent  donc  des amis qu’ils ne souhaitent pas froisser… Ils renforcer  le  service  de  Raphaëlle  n’ont pas envie –et c’est compréhensible- de se Bacqué  et  Gérard  Davet. Un  cinquième  élément  pourrait  même  mettre à dos des personnalités politiques ou des être recruté avant que l’équipe ne soit  chefs d’entreprises avec qui ils dîneront demain définitivement  au  complet  et  soir chez un procureur… » déterminée.    «C’est  très  bien  que  Le  Monde  recrée  Gérard Davet, son homologue qui a traité une  cellule  d’enquête,  il  faut  l’ensemble de l’affaire Woerth-Bettencourt pour maintenant  la  doter  de  moyens  suffisants  pour  qu’elle  puisse  le quotidien du soir Le Monde, en convient. «Ici, travailler»  lâche  Laurent  Léger.   nous avons toujours eu les moyens de faire du «J’attends  de  voir  ce  que  ça donner  bon journalisme. Mais pas toujours le désir. mais  je  suis  confiant:  Mediapart  a  réinstallé  un  regain  de  Quand Edwy Plenel est parti, une volonté de l’investigation… »  estime  pour  sa  part  faire du journalisme d’enquête s’est volatilisée… Jean‐Christophe Féraud.  Nous avions pourtant les moyens, ni aucune 34 ISCPA – Juin 2011 Hugo SOUTRA.
  • 38. La précarisation des journalistes a-t-elle une influence sur la qualité de l’information ? contrainte de temps ! J’ai continué dans mon coin sans le soutien de ma direction, avant de finir par craquer et faire du grand reportage» Selon lui, Libération comme Le Parisien ou Le Figaro auraient également de quoi financer quelques enquêtes. La question des moyens est primordiale, puisqu’elle nécessite un investissement humain en détachant sur une longue période un journaliste mensualisé, pour un sujet qui plus est pas certain d’aboutir. Les frais sont également importants puisque ce journaliste doit nourrir son réseau de sources s’il veut bénéficier d’informations encore non révélées. Sans compter que le journalisme d’investigation est également à l’origine de diverses pressions, notamment des séries de procès. Qui coûtent également de l’argent. «Bien entendu que la disparition de l’enquête est également du à un manque de moyens, que la crise de la presse n’arrange rien. Mais si les journaux n’appartenaient pas à des industriels vivant des commandes de l’Etat, ils seraient un peu plus dans le contre-pouvoir. Car les patrons de presse ont les moyens, il leur manque simplement de la volonté» conclue Laurent Léger. Inféodés aux pouvoirs politiques et économiques (aides publiques, publicité, annonces légales, etc…) la presse –et pas seulement nationale- ne court plus après sa liberté éditoriale. «C’est clair que XXI ne présente pas le même contenu que les journaux d’aujourd’hui, mais nous sommes sur des schémas complètement différents [N.D.L.R. trimestriel sans publicité, fonctionnant avec de nombreux collaborateurs - pigistes ou écrivains- et trois journalistes salariés]. L’idée de notre revue était d’éviter de tomber dans les écueils de la presse française en retournant aux fondamentaux du journalisme. Nous ne sommes pas non plus dans une logique de flux, ce qui nous a permit de retrouver le sens du réel» témoigne Patrick de Saint- Exupéry, qui innove loin d’internet. Un modèle à contre-courant de l’actuelle course à l’audience et à l’immédiateté : le 6 juin 2011, TF1 et France 2 coupaient leurs programmes respectifs (habituellement pour des événements internationaux spéciaux, type 11 septembre 2001) pour retransmettre une audience technique de l’affaire DSK, longue de… quatre minutes ! Rien de concret à annoncer, mais une façon de concurrencer les chaînes d’infos en 35 ISCPA – Juin 2011 Hugo SOUTRA.
  • 39. La précarisation des journalistes a-t-elle une influence sur la qualité de l’information ? continu qui réalisent leurs meilleures audiences en commentant des heures et des heures une affaire mœurs et politique. Et ainsi de tomber dans les mêmes travers que leurs petites sœurs de la TNT. Une réactivité sur laquelle s’est également construit –et est décrié- le journalisme internet. Pour Eric Maigret, son gros défaut est d’avoir choisi «le modèle du flux permanent comme stratégie. Ce qui compte, c’est le scoop et le court-terme. Il y a alors un gain –la réactivité- et des pertes –moins de réflexion et plus de sensationnalisme-» Le numérique pour réinventer le journalisme, pourquoi pas, à condition de ne pas oublier les règles d’or du métier. Jean-Christophe Féraud, qui se décrit comme «journaliste gonzo attaché au parfum de l’encre imprimée mais se soignant sur Twitter et son blog», témoigne: «certains jeunes confrères –pas mauvais qui plus est- n’ont plus ce réflexe d’aller sur le terrain. Ils estiment pouvoir faire correctement leur métier, derrière l’écran. C’est dangereux, la réalité, ce n’est pas l’écran» Le danger pour le journalisme internet serait de céder totalement la valeur ajoutée du journaliste, contre la rapidité de son outil. Au risque de faire alors exclusivement du journalisme suiviste et de signer l’arrêt de mort du journalisme de compréhension. Malgré même le fait que la probabilité est plus grande pour que l’inédit (et donc l’audience, le clic) vienne d’une enquête ou d’un reportage plutôt que d’une dépêche bâtonnée sous la précipitation. B) … à cause de la précarisation du métier… a. Le journaliste ne peut plus jouer son rôle… - Influence déontologique : De par le boom des écoles de journalisme et la concentration des médias, il y a de plus en plus de pigistes et de moins en moins de travail qui leur est destiné. Pourtant 36 ISCPA – Juin 2011 Hugo SOUTRA.
  • 40. La précarisation des journalistes a-t-elle une influence sur la qualité de l’information ? le pigiste –travailleur indépendant payé en fonction du nombre de sujets réalisés- ne doit pas se laisser envahir par le doute et rester conquérant. S’il n’est pas assez productif et n’a pas suffisamment «produit» ce mois-ci, son compte en banque s’en ressentira forcément. Une situation de dépendance financière qui peut lui faire fermer les yeux plus facilement sur le code de déontologie. De nombreux pigistes en arrivent donc à cumuler leur activité de pigiste avec d’autres petits boulots dits «contrats alimentaires, pour arrondir les fins de mois.» C’est le cas de Nadjet Cherigui, «je rentre tout juste d’un reportage à Bali, mais je suis déjà en train de réaliser quelques piges en communication avant même de faire le tour des rédactions et proposer de nouveaux sujets. Cette activité complémentaire m’assure un revenu régulier et me permet de prendre quelques risques financiers» argumente t-elle. Cette pigiste expérimentée est parvenue à installer un roulement régulier de piges (moins d’une quinzaine par an mais exclusivement des gros sujets, type enquêtes ou grands reportages), complété par des activités dans le milieu de la communication. «J’ai la tête plus sereine, je n’ai pas besoin d’écrire n’importe quoi pour payer les factures. C’est un vrai luxe puisque cela me permet de prendre le temps de fouiller des sujets qui demandent un lourd investissement.» Le syndicat national des journalistes tolère à peine. «Ce n’est pas dérangeant qu’ils aient deux activités parallèles : heureusement qu’un précaire puisse, s’il en a besoin, être journaliste et boucher, ou journaliste et enseignant, voire même journaliste et publicitaire ! Mais communicant, non, ça me gêne !» s’offusque Françoise Laigle, avant de pondérer «après, si c’est pour financer une activité de qualité… » Une vision qui peut paraître rétrograde sur des journalistes professionnels, freelances, qui le font plus dans le sens d’une information de qualité que dans un but pécunier. A 31 ans, Jean Abbiateci est également dans ce cas. «Les pigistes doivent jongler avec des prestations de formation, de communication pour réinvestir financer une information de qualité et indépendante. J’ai trouvé mon équilibre de pigiste comme cela et j’en suis très heureux, je ne me vois pas faire de la copie et remplir des colonnes confortablement installé en rédaction» explique t-il. «Je profite 37 ISCPA – Juin 2011 Hugo SOUTRA.