1. Le conteneur a révolutionné l'économie
mondiale
ECONOMIE Conjoncture (archives)
• Par Jean-Pierre Robin Le Figaro.fr, le 13/11/2011.
Véritable soutier des échanges internationaux, il est apparu presque par effraction en 1956. Sans lui,
la mondialisation n'existerait pas.
Ces caissons métalliques standardisés peuvent atteindre jusqu'à 12,19 mètres de long, mais leur
largeur et leur hauteur sont invariables. Malgré leurs coloris criards permettant de les distinguer, ils
n'ont rien pour plaire. Les navires qui leur font traverser les océans ressemblent eux-mêmes à de
monstrueuses boîtes à chaussures.
«Il lui manque un certain panache pour attirer l'attention des férus d'innovations technologiques»,
reconnaît Marc Levinson, dont les Éditions Max Milo publient cette semaine la traduction française
de son livre, The Box. Comment le conteneur a changé le monde. À sa parution en anglais, notre
confrère The Economist en avait conclu que «sans conteneur, il n'y aurait pas de mondialisation».
L'hommage est amplement mérité.
On ne cesse de saluer les prouesses de l'Internet «qui fait circuler l'information à la vitesse de la
lumière», mais aucun ouvrage n'avait été consacré en France à ce soutier de la mondialisation. Aux
sens propre et figuré. Il assure pourtant 90% du transport de marchandises solides par mer.
Les vraquiers d'antan ont pratiquement disparu. Des grues énormes de 9000 tonnes ont remplacé les
équipes de débardeurs qui régnaient sur les docks. Fini les stocks qui encombraient les quais: un
porte-conteneurs convoyant 6000 caisses standards, et dont le contenu peut valoir jusqu'à un
milliard de dollars, est vidé en une journée.
Continuité du convoyage entre la route, le rail et la mer
Malheur aux ports qui n'ont pas su s'adapter. Marc Levinson publie le tableau des vingt plus grands
terminaux à conteneurs du monde. Hongkong et Singapour trônent en tête, et la Chine continentale
en a trois autres. L'Europe possède Rotterdam, Hambourg, Anvers, Brème et Giaoia Tauro (Italie du
Sud).
La France, qui se targue d'être la cinquième puissance commerciale au monde, brille par son
absence. Le Havre ne figure qu'au 49e rang. Faut-il voir là l'effet ou la cause des mécomptes du
made in France à l'export? Cette question n'est pas traitée dans le livre, mais son auteur est formel:
«Un pays pâtissant d'installations obsolètes ou mal gérées ne peut jouer un rôle majeur dans
l'économie internationale.» Il fait l'éloge d'Anvers, qui a déboursé «la somme astronomique de 4
milliards de dollars entre 1987 et 1997» afin de rester dans la course.
La révolution de «la conteneurisation» -le mot est aussi balourd que l'objet qu'il désigne- n'est certes
pas récente. Elle a commencé très exactement le 26 avril 1956. Ce jour-là, Malcolm McLean, «un
entrepreneur qui ne connaissait rien aux bateaux», charge 58 caisses d'aluminium à bord d'un vieux
2. pétrolier, qui accostera cinq jours plus tard à Houston. Cet ancien routier prétendit avoir eu l'idée,
dès 1937, qu'il serait bien plus simple de hisser son camion sur le bateau au lieu d'en décharger le
contenu.
Les caisses en bois ou en métal étaient répandues depuis longtemps en Amérique du Nord et en
Europe. Le mérite de McLean est d'être le premier «à avoir compris que le véritable rôle des
entreprises de transport était de convoyer du fret et non d'exploiter des bateaux ou des trains». Il n'a
pas inventé un objet, qui existait déjà, mais son plein usage: la continuité du convoyage entre la
route, le rail et la mer.
Les coûts d'acheminement ont cessé d'être des barrières
Techniquement, les choses sont allées vite. «Dès le début des années 1980, la révolution du
conteneur était terminée.» Au milieu des années 1960, la quasi-totalité des compagnies maritimes
internationales avaient déjà recours à des «boîtes» compatibles. Après une rude bataille, l'ISO avait
publié en 1970 une première version complète des normes.
Par ailleurs, McLean, qui avait lancé plusieurs compagnies maritimes pour faire fructifier son idée,
a convaincu le Pentagone que la conteneurisation résoudrait les diaboliques problèmes de
logistiques rencontrés dans la guerre du Vietnam. Mieux, il établit des liaisons régulières au départ
du Japon pour que ses bateaux ne rentrent pas à vide d'Asie. Des navires remplis de téléviseurs
nippons et de chaînes HI-FI se sont alors déversés aux États-Unis.
C'est ainsi qu'a commencé la seconde révolution du fret, non plus technique mais économique. Les
coûts d'acheminement, en temps et en argent, ont cessé d'être des barrières. «En rendant le transport
international plus avantageux et plus fiable, la conteneurisation a abaissé cette barrière, ouvert les
marchés étrangers aux fabricants en quête de composants, mais aussi décimé les industries en
Amérique du Nord, en Europe de l'Ouest, et au Japon», admet Levinson.
Dès 1967, deux ans après son indépendance, Singapour a même anticipé cette mondialisation des
chaînes de production encore dans les limbes: «Grâce à un prêt de 15 millions de dollars accordé
par la Banque mondiale, l'autorité portuaire lança le chantier d'un terminal où les navires étrangers
venant du Japon, de l'Amérique du Nord et d'Europe pourraient faire passer des conteneurs à de plus
petits navires desservant des ports régionaux.»
Les activités économiques se jouent désormais des distances géographiques. Mais la mise en boîte a
aussi ses rançons. L'auteur de The Box évoque le chômage des dockers et la déshérence des ports
qui ont raté le coche. Ces parallélogrammes métalliques clos constituent des vecteurs parfaits pour
le terrorisme. Devenus hors d'usage, ils encombrent les paysages. Le conteneur est universel, mais
comme la boîte de Pandore il renferme, aussi, toutes les misères du monde.