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Intellectica, 2002/1, 34, pp. 99-123



                  Naissance De La Co-Conscience

   Philippe Rochat

                                                         « Je est quelqu’un d’autre »
                                                                    Arthur Rimbaud
                                                          « L’enfer c’est les autres »
                                                                     Jean-Paul Sartre
                                                      « The innateness of the longing
                                                         for relation is apparent even
                                                    in the earliest and dimmest age »
                                                                       Martin Buber

      Lorsque Rimbaud Ă©crit « Je est quelqu’un d’autre » il suggĂšre que la
      conscience de soi passe par celle d’autrui, ou plus exactement qu’elle
      n’existe pas indĂ©pendamment de la conscience de l’autre. DĂšs la deuxiĂšme
      annĂ©e, le regard d’autrui devient effectivement un dĂ©terminant majeur des
      comportements. Mais comment l’enfant en arrive-t-il là ? Qu’elles sont les
      origines et les Ă©tapes qui le mĂšnent Ă  un Ă©tat d’esprit qui devient dominĂ©,
      sinon envahit par le regard d’autrui ? SĂ©ducteur en devenir, la question est
      de savoir comment l’enfant dĂ©veloppe une co-conscience de soi ? A la
      lumiĂšre d’observations empiriques rĂ©centes sur le bĂ©bĂ©, le propos de cet
      article est de traiter comment « Je devient quelqu’un d’autre ». D’une
      connaissance implicite du corps qui est manifeste dĂšs la naissance, il est
      montrĂ© qu’au cours des six premiers mois de vie, le bĂ©bĂ© dĂ©veloppe un
      sens d’un soi Ă©cologique: le sens d’un corps diffĂ©renciĂ©, situĂ©, et agent
      dans l’environnement tant physique que social. Deux, neuf et dix-huit
      mois sont proposés comme des étapes « clé » ou révolutions
      psychologiques dans le dĂ©veloppement qui mĂšne l’enfant de la conscience
      implicite du corps Ă  une co-conscience de soi en tant qu’entitĂ© non
      seulement perçue par soi, mais aussi contemplée et évaluée par autrui.
      Mots-clĂ©s : Conscience de soi, conscience d’autrui, co-conscience, bĂ©bĂ©,
      premiÚre enfance, développement, ùges clé.
      The Emergence of co-consciousness. When Rimbaud writes « I is
      another », he suggests that consciousness of self passes by that of another,
      or more precisely that it does not exist independently of the consciousness



 Professor, Department of Psychology, Emory University Atlanta, GA 30322 USA
Email: psypr@emory.edu
100                                                                   P. ROCHAT

      of another. From the second year onwards, the awareness of being looked
      at by another indeed becomes a major determinant of behaviour. But how
      does the infant reach this stage ? What are the origins and the stages
      which lead the infant to a state of mind which is dominated, if not invaded
      by the gaze of another ? Developing a capacity of seduction, the question
      is to elucidate how the infant acquires a co-consciousness of self ? In the
      light of recent empirical observations on babies, the object of this article is
      to describe how « I becomes someone else ». On the basis of an implicit
      knowledge of his own body which is present at birth, it is shown that in
      the course of the first six months of life, the baby develops an ecological
      sense of self: the sense of a body which is differentiated, situated, and
      agent in the physical and social environment. It is proposed that the ages
      of two, nine and eighteen months are « key » stages or psychological
      revolutions in the developmental process which leads the infant from an
      implicit knowledge of his own body to a co-consciousness of self as an
      entity which is not only perceived by the self, but which is also
      contemplated and evaluated by others.
      Keywords : Self consciousness, consciousness of the other, co-
      consciousness, baby, early childhood, development, key ages.

   Que sommes-nous sans autrui ? Rien. Faits de symbiose, nous
naissons d’une rencontre entre deux ĂȘtres, nous grandissons dans les
entrailles d’une autre dont nous nous extirpons physiquement pour
en dépendre davantage psychiquement, à distance sinon
Ă©ventuellement
avec distance.
    Philosophes et scientifiques en quĂȘte de l’esprit naissant sont trop
souvent enclins d’oublier cette vĂ©ritĂ© Ă©lĂ©mentaire, cette condition
fondatrice du comportement animal, qu’il soit humain ou non. Nous
sommes d’abord des bĂȘtes sociales, par nĂ©cessitĂ© biologique bien sĂ»r,
mais aussi par fondamental besoin psychologique. Ensuite, et peut-
ĂȘtre d’une façon trĂšs illusoire, nous sommes des ĂȘtres Ă  la conscience
autonome, aux jugements indépendants et aux goûts individuels. Des
Ă©mules de Descartes cogitant sur nos rapports aux choses. Mais le
sommes-nous jamais ? Notre destin n’est-il pas d’ĂȘtre toujours plus
dĂ©pendants les uns des autres? PlutĂŽt que de l’indĂ©pendance, ne
dĂ©veloppons-nous pas trĂšs vite aprĂšs la naissance d’autres formes
“pan-biologiques” de dĂ©pendance Ă  autrui, beaucoup plus
encombrantes et sources de bien des maux, mais aussi beaucoup plus
puissantes dans les plaisirs qu’elles apportent et source de progrùs
incomparables tant Ă  l’échelle de la phylogenĂšse que de
l’ontogenùse?
   La conscience autonome, indépendante du social, est un mythe
qui a été renforcé par bien des théories sur le développement
psychique. L’idĂ©e d’un a-dualisme originel Ă  partir duquel une
conscience individuelle se différencierait progressivement à été
promue par la psychanalyse (Mahler & coll. 1975; Freud,
1905/1962), mais aussi par les pionniers de la recherche sur le
développement cognitif tel que Piaget (1936).
Naissance de la co-conscience                                      101

    Dans cet article, je m’appuie sur des prĂ©misses radicalement
différentes pour considérer les origines de la conscience, et en
particulier le développement de la conscience de soi. Ces prémisses
sont radicales car justement elles relùguent à l’arriùre plan
l’existence d’une conscience diffĂ©renciĂ©e, imprĂ©gnĂ©e d’objectivitĂ©
sans cesse croissante et de subjectivité sans cesse domptée par la
raison. PlutĂŽt que de partir du principe que dĂšs les premiers mois
l’enfant dĂ©veloppe une objectivitĂ© intellectuelle toujours croissante,
j’aimerais explorer ici la possibilitĂ© d’une inversion de cette logique.
Qu’en fait, dĂšs les premiers mois, l’enfant dĂ©velopperait avant tout
une subjectivité toujours croissante dans sa relation avec autrui, ce
que l’on peut nommer une intersubjectivitĂ©.
    A l’opposĂ© d’une conscience de soi sĂ©parĂ©e des choses qui
l’entourent (conscience cartĂ©sienne objective), l’enfant dĂ©velopperait
avant tout une co-conscience de soi en relation avec autrui.
Paradoxalement, je vais tenter d’illustrer à partir de quelques faits
expĂ©rimentaux rĂ©cents que dĂšs le dĂ©but de la vie psychique l’enfant
développe de façon primordiale ce qui est souvent associé à
l’antithĂšse de la raison : la passion ou une dĂ©raison toute affective,
guidée par un besoin relationnel incontournable.
   L’idĂ©e proposĂ©e est que parallĂšlement Ă  un esprit rationnel,
cartĂ©sien, et Ă  l’image des scientifiques qui le scrutent, le jeune
enfant dĂ©veloppe, de façon peut-ĂȘtre plus primordiale un potentiel de
dĂ©raison sous le joug du besoin jamais assouvi d’ĂȘtre en relation de
partage avec autrui.
    En d’autres termes, le bĂ©bĂ© dĂ©velopperait une subjectivitĂ©
partagĂ©e avec autrui qui l’amĂšne Ă  dĂ©velopper des capacitĂ©s
d’adaptation à un monde qui est en grande partie irrationnel, souvent
imaginaire et mĂȘme fantomatique. Ce monde est le monde
imaginaire des regards d’autrui portĂ©s sur soi. Il s’agit d’un monde
qui est essentiellement imprévisible et difficilement objectivable.
C’est le monde affectif qui Ă©ventuellement se dĂ©veloppe pour
devenir peuplé de phantasmes, de craintes, et de faux-semblants, le
monde de la passion et de la séduction, le monde mystérieux des
affinitĂ©s Ă©lectives, des gloires et dĂ©faites amoureuses. Ce n’est non
pas le monde ordonné de la logique et des lois physiques, mais le
monde chaotique de la passion amoureuse par lequel et pour lequel
dùs l’aube nous vivons. Ce serait avant tout à ce monde que l’enfant,
comme l’adulte, se mesure et finalement se reconnaüt. Mais qu’elle
est l’origine de la co-conscience sur lequel ce monde s’appuie?
    Avant de traiter de l’origine dĂ©veloppementale de la co-
conscience, il s’agit tout d’abord de dĂ©finir ce que l’on entend par ce
concept et comment ce concept s’oppose à la conscience
individualiste telle qu’elle est couramment comprise. Nous traiterons
par la suite, sur la base de quelques faits empiriques récents
concernant les comportements du bébé de la naissance à 18 mois,
diverses formes de co-conscience tels qu’elles Ă©mergent au dĂ©but de
la vie. Nous conclurons par un bref essai de synthĂšse sur ce que la
102                                                         P. ROCHAT

recherche chez le bĂ©bĂ© nous enseigne quant Ă  la nature d’une
conscience de soi.
  MYTHE DE LA CONSCIENCE AUTONOME ET RÉALITÉ DE LA CO-
CONSCIENCE
    Co-conscience est un nĂ©ologisme qui signifie littĂ©ralement ĂȘtre
conscient ou faire l’expĂ©rience du monde ensemble (avec autrui par
opposition à solitaire et autonome). Notons que ce terme fait déjà
partie du registre philosophique pour qualifier une saisie consciente
simultanée chez un seul individu (voir en particulier John Locke et
son traitement de la conscience de soi en tant que personne conçue
simultanément dans le passé et dans le présent). Le sens adopté ici
est social, Ă  l’opposĂ© d’une conscience pour soi comme celle
exprimée par Descartes dans ses méditations. On peut néanmoins
s’interroger si la mĂ©ditation du philosophe et la conscience qui en
dĂ©coule n’est pas finalement qu’une forme solipsiste de co-
conscience, la conscience individuelle n’étant en derniĂšre analyse
qu’un mythe, voire mĂȘme une illusion. Lorsque par exemple
Descartes propose son cĂ©lĂšbre “Je pense donc je suis”, qui dans cette
phrase est le locuteur et qui est le receveur du message? Qui parle Ă 
qui dans la tĂȘte de Descartes? S’adresse-t-il Ă  lui-mĂȘme, ou
s’adresse-t-il Ă  une audience? Dans le formatage de ses idĂ©es, il est
certain que Descartes s’adresse à l’audience fictive de ses futurs
lecteurs. En réalité, il est difficile de faire cas du concept de
conscience individuelle, d’une conscience ou pensĂ©e qui serait
autonome et dĂ©pourvue de la forme d’un dialogue social avec une
audience quelle soit fictive ou réelle. Si une telle pensée consciente
autonome existe, elle fait figure d’exception plutît que de rùgle car il
est difficile de concevoir une activité mentale consciente qui se
soustrairait Ă  une forme dialogique.
   La pensĂ©e consciente autonome ou individuelle pourrait bien ĂȘtre
qu’un mythe auquel on s’accroche pour sauvegarder un sentiment
d’identitĂ© et d’indĂ©pendance sociale, un peu comme l’adolescent qui
se dĂ©marque dans sa quĂȘte d’identitĂ©. En rĂ©alitĂ©, il est aisĂ© de
montrer que mĂȘme au plus profond de notre intimitĂ©, nous sommes
sans cesse engagés dans un dialogue intérieur orchestrant plusieurs
voix reprĂ©sentĂ©es. MĂȘme sous la forme d’un monologue Ă©crit, tel
Descartes méditant à la lueur de sa chandelle, la pensée consciente
s’exprime d’abord sous la forme sociale d’un dialogue, qu’il soit un
dĂ©bat rĂ©el ou un Ă©change fictif entre par exemple, l’avocat du diable
ou celui de l’ange. HergĂ© et l’un de ses hĂ©ros le capitaine Haddock
qui est constamment tiraillĂ© par l’un ou par l’autre au sujet de la
boisson est une image qui illustre parfaitement bien ce genre de
pseudo-dialogues qui nous habitent et qui sont probablement le
fondement mĂȘme du processus de la pensĂ©e consciente. La pensĂ©e
consciente serait ancrĂ©e dans la forme sociale de l’échange d’idĂ©es
avec ses tensions et ses éventuelles résolutions.
Naissance de la co-conscience                                      103

   Cette idĂ©e n’est pas neuve. La pensĂ©e comme dialogue intĂ©riorisĂ©
et la résolution de problÚmes, formation de concepts et autres
constructions théoriques comme processus de dialogues virtuels avec
adoption de voix et perspectives multiples est une idée qui a été
avancĂ©e par Bakhtin(1981) dans son traitement de l’histoire littĂ©raire.
Elle est aussi proposée par Cole (1985); Fernyhough
(1996)Vygotsky, (1962); Wertsch, (1991); voir aussi Rochat,
(2001b), en ce qui concerne le développement cognitif. Enfin, il faut
aussi relever le travail de Fridlund, (1994) qui considĂšre la
modulation de l’expression des Ă©motions sous l’effet d’audiences
réelles ou fictives.
    NĂ©anmoins, l’idĂ©e d’un ancrage social du processus de la pensĂ©e
n’est pas souvent pris en compte dans les sciences cognitives qui
continuent le plus souvent Ă  traiter les processus cognitifs comme
dĂ©tachable d’un format social, en particulier le format du dialogue ou
Ă©change virtuel sous-jacent Ă  la dialectique. Ceci est surprenant car,
par exemple, pour beaucoup d’entre nous il est souvent difficile de
s’empĂȘcher d’entamer un pseudo dialogue Ă  voix haute, sans autre
interlocuteur que soi-mĂȘme, alors que l’on s’affaire Ă  rĂ©soudre un
problĂšme du quotidien, que ce soit dans le casse-tĂȘte de l’
assemblage d’un meuble livrĂ© en piĂšces dĂ©tachĂ©es, la maĂźtrise d’un
appareil Ă©lectronique Ă  partir d’un manuel d’utilisation mal Ă©crit, ou
encore la rĂ©daction d’une lettre de dĂ©mission.
    Ce comportement qui est publique mais pour soi (dialogue sous
forme de monologue extériorisé), est tout sauf une aberration
pathologique. Il rĂ©vĂšle au contraire combien l’activitĂ© mentale, plutĂŽt
qu’autonome, est en fait avant tout un processus dynamique ancrĂ©
dans la transaction sociale et le dialogue. MĂȘme au cƓur de notre
intimitĂ© cognitive, il y a la prĂ©sence d’un autre virtuel.
   Si penser et concevoir s’appuient sur la dialectique d’un dialogue
simulé entre voix ou perspectives multiples, le produit de ce dialogue
n’est pas une conscience autonome mais au contraire une co-
conscience du monde, qu’il s’agisse de la connaissance du monde
des choses, du monde d’autrui, mais aussi de la connaissance de soi
qui nous intéresse tout particuliÚrement ici.
    Mais comment cette co-conscience émerge-t-elle au début de la
vie ? La recherche chez le bébé apporte des faits qui permettent de
mieux comprendre non seulement de quoi elle serait faite, mais aussi
combien nos comportements sont trÚs tÎt déterminés par la
reprĂ©sentation du regard d’autrui portĂ© sur soi, que ce regard soit
fictif ou réel. Le reste de cet article tente de retracer ce qui annonce
et caractĂ©rise l’émergence d’une co-conscience de soi. Sur la base de
faits empiriques choisis, je propose une histoire naturelle de son
origine de la naissance Ă  18 mois.
104                                                       P. ROCHAT


      SOI CORPOREL DU NOUVEAU-NÉ
         En amont de toute connaissance, il y a le corps. Le corps
comme lieu physique de la sensualité, celui de la rencontre avec
l’environnement quelle que soit sa nature lumineuse, sonore, tactile,
olfactive, ou multisensorielle. DĂšs la naissance, et probablement
mĂȘme dĂ©jĂ  Ă  l’état fƓtal, le bĂ©bĂ© manifeste une connaissance
implicite de son corps en tant qu’entitĂ© diffĂ©renciĂ©e parmi d’autres
entitĂ©s dans l’environnement. Cette connaissance n’est Ă©videmment
ni consciente (explicite et réfléchissante), ni uniquement humaine,
n’importe quelles autres espĂšces de mammifĂšres et mĂȘme d’oiseaux
pouvant l’exprimer (Cenami-Spada, Aurelli, & De Waal, 1995). Elle
reprĂ©sente nĂ©anmoins l’élĂ©ment fondateur que le petit d’homme
développe de façon unique vers la co-conscience de soi qui éclos au
cours de la deuxiÚme année, comme nous le verrons par la suite.
Mais qu’est-ce au juste que cette connaissance implicite du corps
différencié chez le nouveau-né et quelles preuves empiriques avons-
nous de son existence dĂšs la naissance?
    Le soi corporel du nouveau-né est un soi perçu, non pas encore
un soi reprĂ©sentĂ© au sens d’un moi conceptuel. Pour reprendre la
distinction introduite voilà plus d’un siùcle par William James (1890)
entre le “Je” senti et le “Moi” identifiĂ©, le nourrisson exprime avant
tout un “Je” qui est le produit d’une expĂ©rience perceptive immĂ©diate
du corps en action et dans la fluctuation de ses Ă©tats internes.
NĂ©anmoins, cette expĂ©rience perceptive primordiale du corps n’est
pas le grand chaos envisagĂ© par James qui Ă  l’époque, faute de faits
empiriques qualifiait cette expérience de confusion détonante
(“blooming, buzzing confusion”).
   Des travaux empiriques montrent que dĂšs les premiĂšres minutes
de vie extra-utérine, le nourrisson manifeste un sens du corps comme
entitĂ© diffĂ©renciĂ©e parmi d’autres objets de l’environnement (voir
Rochat & Goubet, 2000; Rochat, 1998; pour une plus ample
discussion des faits expérimentaux qui soutiennent une telle
proposition). Il s’agit d’un sens qui selon Neisser (1991; 1995; voir
aussi Rochat, 1997) compose le “sens Ă©cologique de soi”.
    Dans une recherche récente (Rochat & Hespos, 1997), nous
avons montré par exemple que dÚs la naissance le bébé manifeste
une discrimination entre une stimulation dont l'origine est extérieure
au corps (allo-stimulation) et une stimulation qui est d'une
provenance interne au corps (auto-stimulation). En comparant les
réponses de fouissement du nouveau-né, consécutives à une
stimulation péri-orale causée soit par le doigt de l'expérimentateur
(allo-stimulation) ou par le transport spontané de la propre main du
bébé sur le visage (auto-stimulation), nous avons constaté que les
nouveau-nés tendent à s'orienter significativement plus vers le doigt
de l'expérimentateur que vers leur propre main. Lorsqu'il s'agit de la
main d'autrui, le bébé manifeste davantage de mouvements orientés
Naissance de la co-conscience                                     105

de la tĂȘte, ouvrant grand la bouche et suçant Ă  vide avec des
mouvements de protrusion de la langue.
    Il apparaßt que dÚs la naissance le bébé manifeste une
discrimination d’informations perceptives qui spĂ©cifient le corps en
tant qu’entitĂ© diffĂ©renciĂ©e. Cette constatation est de taille car elle
contredit l’idĂ©e longtemps avancĂ©e d’une indiffĂ©renciation ou
confusion initiale entre le bébé et son environnement (voir par
exemple Piaget, 1936). Certains psychanalystes sont mĂȘme allĂ©s
jusqu’à Ă©laborer des thĂ©ories sur le dĂ©veloppement de la personnalitĂ©
qui postulent comme point de départ un état originel
d’indiffĂ©renciation ou “d’autisme infantile” (Mahler, Pine &
Bergman, 1975). Au contraire, la recherche récente indique que trÚs
tĂŽt le bĂ©bĂ© traite l’information perceptive intermodale qui spĂ©cifie le
corps en tant qu’entitĂ© distincte. Des chercheurs ont accumulĂ© de
nombreuses données démontrant la remarquable orchestration dÚs la
naissance entre systĂšme visuel et systĂšme posturo-vestibulaires sur
laquelle s’appuie la discrimination entre corps mobile dans un
environnement stable ou au contraire, corps stable dans un
environnement qui bouge (Butterworth, 1995; Bertenthal & Rose,
1995; et tout particuliĂšrement Jouen & Gapenne, 1995). Cette
capacité de discrimination basée sur un traitement intermodal des
informations perceptives est Ă©vidente dĂšs la naissance et
probablement le produit d’un calibrage prĂ©natal actif des systĂšmes
sensoriels et moteurs. En effet, de fines observations ultrasoniques
du fƓtus au cours des derniers mois de la vie intra-utĂ©rine montrent
que la plupart des comportements observés chez le nouveau-né sont
déjà bien établis à mi-gestation (Hopkins & Prechtl, 1984; De Vries,
Visser & Prechtl, 1984). Il y a une remarquable continuité entre
comportements pré- et post-natals (Prechtl, 1984). Cette continuité
suggĂšre que la connaissance implicite d’un corps diffĂ©renciĂ©
exprimée dans les comportements du bébé à la naissance pourrait
bien ĂȘtre le produit d’un apprentissage prĂ©natal, comme beaucoup
d’autres     connaissances      perceptives     prĂ©coces    constatĂ©es
immédiatement aprÚs la naissance tels que la reconnaissance de la
voix maternelle (DeCasper & Fifer, 1980; DeCasper, Lecanuet,
Busnell & Coll., 1994) ou la discrimination de l’odeur du liquide
amniotique de la mĂšre comparĂ© Ă  celui d’une autre femme (Marlier,
Schaal & Soussignan, 1998). Cette apprentissage perceptif d’un
corps diffĂ©renciĂ© serait l’un des fondements du soi corporel, le sens
d’un soi Ă©cologique manifestĂ© par le nourrisson dĂšs la naissance.
Mais si dĂšs l’aube de la vie le corps est perçu comme diffĂ©renciĂ©
parmi toutes les autres entitĂ©s prĂ©sentes dans l’environnement, on est
encore loin d’une conception du regard que certaines de ces entitĂ©s
(les gens) porte sur soi. Néanmoins, le soi corporel exprimé par le
nourrisson est Ă©videmment une condition sine qua non de la co-
conscience. Reste Ă  savoir ce qui se produit Ă  partir de cette
condition nécessaire.
   La prochaine Ă©tape vers la co-conscience se produirait au
deuxiÚme mois, lorsque le bébé non seulement se comporte comme
106                                                        P. ROCHAT

entité corporelle différenciée, mais encore débute sa carriÚre
amoureuse et de séducteur en entrant en relation de réciprocité
Ă©motionnelle avec autrui.
      PREMIÈRE RÉCIPROCITÉ EXPLICITE DU DEUXIÈME MOIS
   Si l’on considĂšre la continuitĂ© de l’organisation comportementale
entre les derniÚres semaines de gestation intra-utérine et les
premiÚres semaines aprÚs une naissance à terme, la séparation du
corps de l’enfant et de sa mĂšre, aussi dramatique et Ă©mouvante
qu’elle puisse ĂȘtre et bien qu’un Ă©vĂšnement majeur d’un point de vue
biologique, du point de vue du comportement il s’agit d’un
phénomÚne qui est relativement insignifiant.
   La naissance en tant que tel, serait une naissance biologique, rien
ne dĂ©montrant qu’elle marque l’apparition d’une nouvelle
psychologie chez le nouveau-né. Par contre, on constate vers le
milieu du deuxiÚme mois un premier saut qualitatif marqué dans ce
qui détermine les comportements du bébé. Ce saut qualitatif
correspond à la véritable naissance du nourrisson en tant que
personne et coïncide de façon particuliÚrement frappante pour les
parents avec l’apparition du sourire social. Aux alentours de 6
semaines, il se produit effectivement une transformation radicale
dans l’organisation du comportement, telle une vĂ©ritable rĂ©volution
qui de fait, correspondrait à la naissance psychologique du bébé
(Rochat, 2001a).
    Pour les parents, le constat du premier sourire de leur enfant dans
l’intimitĂ© d’un Ă©change face-Ă -face, clairement diffĂ©rent du sourire
rĂ©flexe qu’ils ont pu frĂ©quemment observer aprĂšs allaitement et ce
dĂšs la naissance, est un Ă©vĂšnement majeur. Invariablement, au-
travers de ce sourire orienté, les parents découvrent une personne
chez leur bĂ©bĂ©. Cette dĂ©couverte est courante, tels qu’en tĂ©moignent
les journaux de maternité spontanément tenus par certaines mÚres
(observations personnelles).
    Rien ne peut exagĂ©rer l’importance de l’apparition du sourire
social dans le dĂ©veloppement de l’enfant. Cet Ă©vĂšnement marque le
vĂ©ritable dĂ©but de sa vie relationnelle car c’est la premiĂšre
manifestation d’une expĂ©rience explicitement partagĂ©e avec autrui,
qui de plus est une expĂ©rience de bien-ĂȘtre. Le sourire orientĂ© est le
premier message d’une rĂ©ciprocitĂ© qui n’est pas seulement liĂ©e aux
soins et attentions physiques portĂ©s au nourrisson. Il s’agit du
premier message affectif qui de fait, entame la conversation que
l’enfant tiendra avec son entourage social jusqu’à sa mort. Il s’agit
du moment oĂč le bĂ©bĂ© affirme dans son comportement sa prĂ©sence
au monde avec autrui. C’est le dĂ©but de la co-conscience et de ce fait
la véritable naissance du bébé en tant que personne, entité qui ne
peut se constituer et se dĂ©velopper que dans l’échange social et la
réciprocité affective. Les effets dévastateurs des privations
d’échanges affectifs au dĂ©but de la vie dans les cas de maltraitance,
d’institutionnalisation ou d’hospitalisation en sont la preuve
Naissance de la co-conscience                                      107

incontournable (voir par exemple Spitz, 1965). Le sourire social est
déclencheur des échanges qui permet au bébé en tant que personne
de se constituer (d’oĂč l’idĂ©e de naissance psychologique) et de se
développer. Notons en passant que certaines cultures, en Polynésie
par exemple, marqueraient l’émergence du sourire social par une
nouvelle dénomination linguistique du bébé correspondant à une
nouvelle apprĂ©ciation de l’adulte envers le tout petit une fois passĂ©e
la période néonatale.
   Il est important de relever que coïncidant avec l’apparition du
sourire social, les états comportementaux du bébé sont profondément
modifiĂ©s. Au cours du deuxiĂšme mois, l’état d’attention aux choses
change d’une façon marquĂ©e et relativement soudaine, le bĂ©bĂ©
passant d’un Ă©tat de sommeil Ă  un Ă©tat d’attention Ă©veillĂ© de plus en
plus dominant. Vers 6 semaines, Wolff (1987) observe un
accroissement trĂšs important des pĂ©riodes d’exploration visuelle, le
bĂ©bĂ© commençant Ă  passer de longs moments d’observation de son
environnement, les yeux grands ouverts. C’est aussi au cours du
second mois que l’exploration visuelle du visage change pour se
focaliser davantage sur les yeux et la bouche plutÎt que la périphérie
(Maurer & Salapatek, 1976; Haith, Bergman, & Moore, 1977;
Morton & Johnson, 1991).
    Sur la plan du développement cognitif en général, le deuxiÚme
mois marque un changement de la relation du bébé au monde. DÚs la
naissance, et mĂȘme avant, le bĂ©bĂ© est capable d’apprentissages
sensori-moteurs et de discriminations perceptives remarquables.
Cependant, ces apprentissages et discriminations ne sont pas encore
sous contrĂŽle volontaire, se produisant ici et maintenant, dans
l’immĂ©diat de l’expĂ©rience perceptive. Il n’y a pas encore de traces
d’exploration par tĂątonnement systĂ©matique. Ainsi par exemple, les
imitations du nouveau-nĂ© reproduisant les expressions faciales d’un
adulte (ouverture de la bouche, tirage de langue, etc.), telles qu’elles
ont été rapportées par de nombreux chercheurs ces trente derniÚres
années, aussi remarquables soient-elles, restent relativement rigides
et furtives (Meltzoff & Moore, 1977; Field et al., 1982). Par contre,
selon certaines recherches, à 6 semaines ces imitations précoces
deviennent beaucoup plus flexibles et explicitement volontaires. En
particulier, Meltzoff & Moore (1992) montrent qu’à cet ñge,
contrairement aux nouveau-nés, le bébé modifie systématiquement
sa réponse imitative pour ressembler au geste cible de
l’expĂ©rimentateur, en l’occurrence un tirage de langue soit central,
soit latĂ©ral vers l’un des coins de la bouche. Nous avons fait des
observations analogues en étudiant la réponse de succion du
nouveau-né et du bébé de deux mois. Dans cette recherche (Rochat
& Striano, 1999b), à chaque pression sur la tétine était associée une
suite de sons qui Ă©tait plus ou moins l’analogue auditif des
mouvements de pression exercés buccalement par le bébé. Ainsi,
dans une condition (analogue), la fréquence des sons entendus par le
nourrisson variait proportionnellement aux variations de pression
exercées sur la tétine. Dans une autre condition (non analogue), la
108                                                           P. ROCHAT

frĂ©quence des sons variait au hasard. Nous observons qu’à deux
mois, le bébé manifeste une modulation systématique de sa succion
selon l’une ou l’autre condition. Par contre, les nouveau-nĂ©s ne
montrent aucun signe d’une telle discrimination ou exploration
systématique des conséquences auditives de leurs propres activités
orales.
    Aux alentours de 6 semaines, le bébé manifeste donc une
nouvelle attitude envers les objets, envers soi, ou envers les autres.
Cette nouvelle attitude est une attitude contemplative et réciproque,
par opposition Ă  l’attitude discriminante et immĂ©diate du nouveau-nĂ©
(Rochat, 2001a; 2001b). Elle laisse place à l’expectative et à
l’exploration systĂ©matique des choses, de mĂȘme qu’aux premiers
échanges réciproques avec autrui.
    La réciprocité affective est un pas majeur vers la co-conscience et
la seconde condition sine qua non de son développement, la premiÚre
Ă©tant le sens de soi diffĂ©renciĂ© qui est, comme nous l’avons vu, dĂ©jĂ 
exprimé à la naissance.
      ASPIRATION DANS LE MIROIR SOCIAL
    Lorsque vers le deuxiÚme mois le bébé commence à manifester
une réciprocité émotionnelle envers autrui par le sourire et le regard
attentif, il est comme aspirĂ© dans ce que l’on peut appeler le miroir
social. D’une part les parents qui sont finalement gratifiĂ©s dans leurs
efforts de communication, augmentent la fréquence et la durée de la
prĂ©sentation de leur visage au bĂ©bĂ©. D’autre part, lors de ces
prĂ©sentations du visage l’adulte typiquement et de façon semble-t-il
compulsive, essaye de faire sourire, voire faire rire l’enfant en
l’imitant et en exagĂ©rant ses mimiques. En fait, dans ces premiĂšres
conversations Ă©motionnelles, l’adulte gĂ©nĂ©ralement fait le
commentaire des actions et de la fluctuation des Ă©tats Ă©motionnelles
du nourrisson. S’il se met à pleurer, par exemple, la mùre montrera
son empathie en modulant sa voix qui devient soudainement basse et
triste. Si au contraire le bébé manifeste de la joie et du plaisir, la voix
de la mĂšre devient plus facilement aiguĂ« et elle-mĂȘme joyeuse.
    Ce phĂ©nomĂšne de rĂ©sonance Ă©motionnelle compulsive de l’adulte
envers le nourrisson est tout Ă  fait remarquable et peut-ĂȘtre unique Ă 
l’humain dans toute la diversitĂ© de ses organisations familiales et
culturelles. Ce phénomÚne est en tout cas trÚs saillant dans la classe
moyenne des pays riches, bien qu’ observable avec quelques
variantes partout dans le monde. Il correspond Ă  ce que Gergely et
Watson (1999) appelle le miroitement affectif (“affective mirroring”)
ou Stern (1985) dĂ©crit comme l’accordement affectif (“affective
attunement”).
    Au dĂ©but, et dĂšs l’apparition du sourire social, le miroitement
affectif est trĂšs asymĂ©trique, l’adulte initiant les Ă©changes et traquant
les Ă©tats Ă©motionnels du nourrisson. Le miroitement affectif, bien que
bi-directionnel, est nettement biaisĂ© du cĂŽtĂ© de l’adulte. On peut
Naissance de la co-conscience                                      109

illustrer cette asymétrie relationnelle des premiÚres (proto)
conversations affectives entre l’adulte et le nourrisson en imaginant
ce dernier orientant de façon maladroite une surface dépolie obscure
et ondulĂ©e. Cette surface reflĂšte des bribes de ce que l’autre exprime.
L’adulte, de son cĂŽtĂ©, oriente systĂ©matiquement un miroir loupe qui
accentue et reflĂšte Ă  l’enfant une image trĂšs exagĂ©rĂ©e. Cependant,
malgrĂ© cette asymĂ©trie des reflets, il s’agit sans nul doute d’un
Ă©change affectif bi-directionnel dans lequel tant l’enfant que l’adulte
peuvent se retrouver. Mais la question reste de savoir quel serait le
gain de tels miroitements affectifs?
   Cette question est trùs importante si l’on considùre que de pareils
Ă©changes en face-Ă -face pourraient ĂȘtre spĂ©cifiques aux humains et
aux grands singes, particuliÚrement les chimpanzés (De Waal, 1998;
2001). Il est possible que le miroitement affectif soit un indice
crucial de l’évolution humaine et de l’ordre des primates en gĂ©nĂ©ral.
Cette idĂ©e est bien implantĂ©e dans le langage courant lorsque l’on
parle par exemple d’une personne en la qualifiant“d’humaine” ou
mĂȘme de “pleine d’humanitĂ©â€ pour signifier son talent de
compassion et de résonance à autrui. La ligue de la protection des
bĂȘtes aux Etats-Unis et en Angleterre va mĂȘme jusqu’à s’appeler
“Humane Society”, ou littĂ©ralement: sociĂ©tĂ© humaine

    A cĂŽtĂ© de la fonction de communication et d’intimitĂ©
nĂ©cessairement servie par le processus du miroitement affectif, d’un
point de vue cognitif j’aimerais proposer que cette forme primitive
de transaction guidĂ©e par l’adulte sert Ă  dĂ©marrer le processus de
décentration qui est nécessaire à la co-conscience. Baldwin (1925)
utilise le terme « d’éjection » pour qualifier les dĂ©buts de projection
et d’adoption de la perspective d’autrui.
    Gergely et Watson (1999), dans leur discussion de la mécanique
du miroitement affectif, suggĂšrent que l’exagĂ©ration du commentaire
affectif chez l’adulte sert Ă  le dĂ©marquer comme commentaire-reflet,
plutît que comme expression propre. En d’autres termes, l’adulte
marquerait de “guillemets” par amplification et exagĂ©ration, les
phrases Ă©motionnelles qui sont le reflet des Ă©tats du nourrisson. Ceci
permettrait au bébé de faire la différence entre ce qui reflÚte ses
propres comportements et ce qui exprime les Ă©tats propre Ă  l’autre.
Ce processus, échafaudé instinctivement et de façon compulsive par
l’adulte, guiderait l’enfant vers la contemplation de soi en l’autre. De
fait, l’enfant apprend qu’en observant l’autre, il se voit lui-mĂȘme. On
comprend alors l’importance de tels miroitements affectifs dans la
naissance de la co-conscience puisque cette derniĂšre est justement le
produit d’une projection de soi dans l’autre.
   Comme Narcisse, avec le sourire le bébé est littéralement aspiré
par le miroir affectif qui est systĂ©matiquement brandit par l’adulte.
La joie de l’échange entre l’adulte et le bĂ©bĂ©, comme pour les adultes
entre eux, est de partager des moments d’harmonie Ă©motionnelle: des
moments oĂč l’on est au mĂȘme diapason affectif, ressentant les
mĂȘmes choses, que ce soit autour d’une table Ă  manger la mĂȘme
110                                                          P. ROCHAT

nourriture, avec le mĂȘme plaisir et les mĂȘme maniĂšres; que de faire
gĂ©nĂ©reusement l’amour; ou de jacasser pour un rien sur son
tĂ©lĂ©phone portable. Dans tous les cas le fin mot est de s’assurer de la
proximitĂ© ou fusion affective de l’autre. DĂšs l’apparition des
premiers sourires, cette assurance est acquise lorsque chacun des
protagonistes a les moyens de se reconnaütre dans l’autre.
    La perception potentielle de son propre monde affectif dans les
comportements de l’autre constitue un autre pas majeur vers la co-
conscience. Il s’agit d’une troisiùme condition sine qua non à son
dĂ©veloppement. Cette condition est Ă©chafaudĂ©e par l’adulte au-
travers de sa tendance instinctive au miroitement affectif, tendance
qui est normalement dĂ©clenchĂ©e par les premiers signes d’une
attitude contemplative et réciproque (souriante) chez le bébé. Notons
que les bĂ©bĂ©s de mĂšres dĂ©pressives ont tendance eux aussi Ă  ĂȘtre
moins engagés socialement, démontrant les enjeux du miroitement
affectif au début de la vie (Field et Coll., 1988).
    La recherche récente en neurosciences cognitive apporte des faits
empiriques qui, de façon indirecte, valide l’importance du miroir
social comme source de la co-conscience. Il apparaĂźt que dans
l’imitation rĂ©ciproque des comportements qui sont caractĂ©ristiques
du miroitement affectif, il y a un processus d’expĂ©rience vicariante
qui est ancré profondément dans la mécanique du cerveau. Des
chercheurs ont en effet rĂ©cemment montrĂ©, par exemple, l’existence
de neurones-miroirs dans le cortex du singe. Ces neurones se mettent
en activitĂ© lorsqu’une action particuliĂšre est produite, de mĂȘme que
lorsque cette mĂȘme activitĂ© est perçue chez un autre individu
(Rizzolatti et Coll., 1996). En d’autres termes, il y aurait dĂ©jĂ  au
niveau de la cellule nerveuse et de l’organisation neuronale, une
sorte d’équivalence entre faire et regarder faire. Toute une
mécanique nerveuse nécessaire (mais non suffisante) est donc
probablement en place pour permettre une réciprocité affective par
expérience vicariante. Sur le plan macroscopique du comportement,
cette réciprocité est instinctivement promue par les jeux de miroirs
sociaux de l’adulte, eux-mĂȘme dĂ©clenchĂ©s par l’attitude
contemplative et réciproque émergent vers le deuxiÚme mois.
      DÉVELOPPEMENT DANS LE MIROIR SOCIAL
    Dans le contexte des miroitements et autres jeux de miroirs
affectifs en tĂȘte-Ă -tĂȘte entre le bĂ©bĂ© et l’adulte, naissent des routines,
rituels et autres formes invariantes de protoconversations dans
lesquelles chacun des protagonistes peut se reconnaütre. C’est dans
ce contexte que le bĂ©bĂ© dĂ©couvre son “soi interpersonnel” comme
Neisser (1991) le nomme. Le soi interpersonnel Ă©merge de
l’invariance et de l’expectative des rapports avec autrui. Autrui,
comme on l’a vu, reflĂšte en l’amplifiant ce que le bĂ©bĂ© exprime
publiquement (sourire, pleurs) et peut ressentir de façon privée (joie,
dĂ©plaisir). Ce miroir social permet Ă  l’enfant de s’objectiver en se
projetant hors de sa sphĂšre privĂ©e, sur l’écran et la caisse de
Naissance de la co-conscience                                       111

rĂ©sonance offerts par l’adulte. Cette Ă©jection de soi est une sorte de
dĂ©sincarnation forcĂ©e sous le joug de l’interaction sociale et sa forme
instinctive de miroitement affectif promulguĂ©e par l’adulte.
    Le bébé trÚs vite apprend à se retrouver dans ces jeux de miroirs
affectifs. Entre 2 et 6 mois, il développe des attentes en devenant de
plus en plus sensible à la netteté du miroir social. Ainsi par exemple,
si d’une façon inattendue l’adulte interrompt soudainement son
miroitement affectif en se figeant tout en continuant Ă  regarder
l’enfant droit dans les yeux, ce dernier devient rapidement triste et
Ă©vite le regard de l’adulte (Tronick, Adamson & coll., 1978; Toda &
Fogel, 1993; Rochat, Neisser, & Marian, 1998). Dans une recherche
récente nous avons montré que le bébé de 2 mois est tout aussi
joyeux et engagé visuellement vers une adulte qui joue avec lui à
“coucou, me voilà”, se cachant derriùre ses mains pour ensuite
réapparaßtre, lorsque ce jeu se répÚte de façon organisée et prévisible,
ou au contraire de façon désorganisée et variable (Rochat, Querido,
& Striano, 1999). A deux mois, la simple présence attentive de
l’adulte en face à face est suffisante pour engager l’enfant
affectivement. Au contraire, à 4 et 6 mois, le bébé commence à
manifester un engagement différencié selon les conditions de jeux
organisées ou désorganisée. Ils deviennent significativement moins
souriants et attentifs lorsque le jeu se déroule dans le désordre (voir
Rochat, Querido, & Striano, 1999 pour plus de détails).
   Il est intéressant de constater que parallÚlement au
développement des attentes sociales entre 2 et 6 mois, les bébés
dĂ©veloppent un fort penchant pour les objets physiques qu’ils se
mettent à saisir et manipuler de façon systématique (Rochat, 1989).
Cette nouvelle inclination fait que les protoconversations avec autrui
sont plus furtives et il devient plus difficile pour l’adulte de capturer
vers lui l’attention du bĂ©bĂ© qui se montre davantage distrait par tout
ce que l’environnement physique a à offrir comme nouvelles
expériences. La forte demande affective du jeune enfant ne tarissant
pas, il dĂ©veloppe de nouvelles stratĂ©gies pour traquer l’attention
d’autrui portĂ©e sur lui tout en continuant Ă  vivre son infatuation avec
le monde des objets.
    D’une façon gĂ©nĂ©rale, on observe que l’inertie du regard portĂ© sur
autrui dans les Ă©changes face-Ă -face diminue significativement entre
deux et six mois (Rochat, Striano, & Blatt, sous presse/2001), ce qui
est probablement l’indice d’un plus grand pouvoir de traitement de
l’information perceptive ainsi qu’une plus grande capacitĂ© de
mémoire. Ces gains cognitifs permettent une nouvelle allocation de
l’attention qui peut se porter tant sur autrui que sur les choses (Ruff
& Rothbart, 1996). C’est dans ce contexte que se dĂ©veloppent
anticipation et reprĂ©sentation de l’autre en rĂ©fĂ©rence Ă  soi et ses
propres activités sur les choses. De là émerge une nouvelle
triangulation entre le bĂ©bĂ©, autrui, et le monde environnant. C’est de
cette triangulation que naĂźtrait la communication symbolique, en
l’occurrence l’utilisation de signes plus ou moins arbitraires pour
112                                                           P. ROCHAT

communiquer avec autrui en référence aux objets du monde (Bates et
coll., 1979; Bruner, 1984; Tomasello, 1999). Le processus de
l’émergence de la fonction symbolique reste encore trĂšs controversĂ©,
et bien des thĂ©ories existent Ă  son propos, s’étirant des thĂ©ories
nativistes (Pinker, 1994) aux théories fonctionnalistes et sociales
neo-Vygotskiennes (Bruner, 1983; Tomasello, 1999). Pour notre
propos, et comme nous allons le voir maintenant, la double attention
portĂ©e sur autrui et sur les objets, en particulier l’ intĂ©gration de cette
attention divisĂ©e est un autre facteur qui contribue Ă  l’émergence de
la co-conscience.
   C’est par cette intĂ©gration que le bĂ©bĂ© commencerait Ă  avoir
constamment autrui Ă  l’esprit, mĂȘme quand autrui est absent: un trait
qui en principe ne le quittera plus.
  DILEMME DU NEUVIÈME MOIS ET ORIGINE DE LA RÉFÉRENCE
SOCIALE
    Vers neuf mois et avec le développement de la locomotion
autonome, le bébé étend considérablement ses pouvoirs
d’exploration du monde. A ces progrùs posturaux s’associent une
nouvelle indĂ©pendance par rapport Ă  autrui dont l’enfant a bien
entendu toujours grand besoin. Avec la locomotion naĂźt une nouvelle
tension entre velléité de maintenir une proximité avec autrui et celle
d’explorer le monde en Ă©puisant les nouvelles possibilitĂ©s posturales.
Ceci représente un profond dilemme pour le bébé, un dilemme
prĂ©monitoire de ses futurs rapports intimes dans la mesure oĂč ils sont
si souvent marquĂ©s par les craintes de la sĂ©paration et l’envie d’aller
voir ailleurs.
    Reste à savoir comment le bébé parvient à solutionner ce
problĂšme. La solution est trouvĂ©e en intĂ©grant autrui Ă  sa quĂȘte des
objets. Ainsi à 9 mois, l’enfant devient attentif d’une façon conjointe
avec autrui. S’il joue avec un objet, il commence Ă  vĂ©rifier par des
regards rapides d’aller et retour entre l’objet et l’adulte, si ce dernier
est Ă©galement attentif. Ces signes d’attention conjointe annonce la
communication référentielle et symbolique par le geste et la parole
qui fleurit au cours de la deuxiÚme année (Bates, et coll., 1979;
Bruner, 1983; Tomasello, 1995; Tomasello & Farrar, 1986).
    L’intĂ©gration d’autrui Ă  la quĂȘte des objets du monde physique
serait donc un facteur important Ă  l’émergence de la rĂ©fĂ©rence
sociale, l’enfant intĂ©grant le regard d’autrui avec ce qu’il fait pour
lui-mĂȘme. D’un cĂŽtĂ©, l’enfant commence Ă  perdre de son
indĂ©pendance en se prĂ©occupant de l’attention qu’autrui porte sur lui
et ses actions. D’un autre, il gagne une capacitĂ© de contrĂŽle sur la
proximitĂ© de l’autre tout en continuant Ă  explorer le monde tel qu’il
serait enclin Ă  le faire seul. Nous verrons par la suite que ce contrĂŽle
de la proximité prend rapidement le dessus, le bébé dÚs 18 mois
ayant une difficulté croissante à se distraire seul avec des objets
physiques, cherchant activement l’attention et l’assistance de
l’adulte. Plus tard, le jeune enfant aura tendance à organiser ses
Naissance de la co-conscience                                       113

explorations d’objets dans un contexte social virtuel, contexte “re-
crĂ©Ă©â€ sous forme de dialogues imaginaires ou autres jeux
symboliques (Tomasello, Striano, & Rochat, 2000; Striano,
Tomasello & Rochat, in press).
    Il est intĂ©ressant de constater qu’à l’apparition de la rĂ©fĂ©rence
sociale, correspond aussi l’émergence d’une nouvelle angoisse, celle
en particulier qui se manifeste dans la crainte d’une sĂ©paration avec
la mÚre ou autres personnages connus du bébé ainsi que la crainte
des personnes étrangÚres au monde intime du bébé. Cette crainte a
Ă©tĂ© dĂ©crite comme l’angoisse du huitiĂšme mois par Spitz, 1965).
    Cette coïncidence n’est pas fortuite. Elle est une autre forme
d’expression du dilemme entre exploration de la nouveautĂ© et
maintient de l’intimitĂ© avec les proches. S’il faut dĂšs lors que cette
expérience de la nouveauté soit faite ensemble, elle ne peut encore se
faire avec n’importe qui. Tout se passerait comme si l’enfant avait
toujours besoin d’ĂȘtre rassurĂ© par la prĂ©sence exclusive de celui ou
celle avec qui il sait qu’il peut avoir des expĂ©riences partagĂ©es.
Comme nous le verrons dans les conclusions, la crainte du rejet peut
en effet ĂȘtre considĂ©rĂ©e comme la mĂšre de toutes les angoisses.
    Si la peur du rejet et l’exclusivitĂ© affective sont exacerbĂ©es vers 9
mois, elles s’accompagnent au plan cognitif d’une nouvelle
utilisation d’autrui comme source d’information sur les Ă©tats de
l’environnement, en l’occurrence ses dangers et autres affres
potentiels. Ainsi vers 9 mois, le bébé commence à référer ses joies,
ses attractions, ou au contraire ses craintes à celles d’autrui. Par
exemple, il commence à explorer l’expression faciale de l’adulte
lorsqu’il se trouve confrontĂ© Ă  une situation nouvelle et effrayante,
telle l’animation soudaine d’un objet inerte (Striano & Rochat, 2000)
ou la rencontre d’une falaise visuelle comme obstacle dangereux
pouvant entraßner une chute aux conséquences sérieuses (Campos et
al., 2000). C’est en effet aux alentours de 9 mois que l’enfant
commence Ă  systĂ©matiquement consulter le visage d’autrui d’une
façon rĂ©fĂ©rentielle, comme thĂ©Ăątre d’émotions qui reflĂštent non
seulement les ressources de l’environnement, mais aussi ses menaces
et autres dangers potentiels.
    En commençant Ă  intĂ©grer le regard d’autrui dans ses
explorations de l’environnement, le bĂ©bĂ© manifeste au plan cognitif
les premiers signes d’une recherche d’enseignement par d’autres.
Mais surtout, au plan affectif, cette nouvelle tendance marque les
dĂ©buts de la quĂȘte d’une approbation sociale. Cette quĂȘte est
probablement le motif essentiel au cƓur de la psychologie, que ce
soit celle de l’enfant qui commence à parler et fonctionner
symboliquement, celle de l’adolescent dans sa poursuite souvent
paradoxale d’une identitĂ©, mais aussi celle de l’individu dans ses
choix d’adulte.
114                                                        P. ROCHAT


      CHARME, SÉDUCTION, ET DÉBUTS DE DÉRAISON
    L’appropriation du regard d’autrui comme rĂ©fĂ©rence Ă©tablit un
processus qui rapidement devient le déterminant majeur des
comportements du bébé. De fait, ce processus ne le quittera plus et
ne fera que de se développer vers une conscience de soi en relation à
autrui. Au niveau des comportements, l’émergence de cette nouvelle
conscience se manifeste entre autre sous la forme proactive d’une
entreprise systĂ©matique de sĂ©duction qui mĂšne l’enfant Ă  agir de
façon de plus en plus dĂ©raisonnable et fantasmagorique. C’est l’aube
du nƓud complexe des reprĂ©sentations que l’enfant commence Ă  se
construire quant aux rapports qui le lie Ă  autrui, et en particulier la
représentation des regards qui sont portés sur lui : regards convoités
de l’attachement et de l’amour, mais aussi regards redoutĂ©s du rejet
et de la sanction.
   La construction de ces représentations a pour conséquence de
porter la dĂ©pendance sociale de l’enfant sur de nouveaux plans de
signification, beaucoup plus complexes qu’auparavant. La
complexitĂ© de ces significations est reflĂ©tĂ©e par l’apparition de
conduites qui souvent défient le bon sens et la raison : embarras sans
causes précises, comportements de Sainte Nitouche, conduites
excessives ou de défi, craintes et peurs irrationelles se manifestant
dans le jeu symbolique ou mĂȘme parfois dans le sommeil sous forme
de cauchemars.
    Au niveau des échanges avec autrui, cette « révolution »
psychologique se traduit aussi par l’apparition de toute une gamme
de comportements maintenant proactifs guidés toujours par la
passion d’une proximitĂ© affective avec les autres. Ceci marque les
débuts de la séduction active et sélective par le bébé du monde social
qui l’entoure, plutĂŽt que l’inverse qui jusqu’ici a dominĂ© sa vie.
Comme on sait, les jeux de séduction prennent le plus souvent des
formes qui dĂ©fient la raison ! C’est en ce sens que l’on peut dire que
parallÚlement aux progrÚs « raisonnables » de la pensée logique et
rationnelle qui continuent Ă  ĂȘtre documentĂ©s par de nombreux
chercheurs dans la lignĂ©e des travaux de Piaget, l’enfant dĂ©veloppe
aussi et peut-ĂȘtre de façon primordiale une capacitĂ© de sĂ©duction qui
souvent le mÚne à la déraison.
    Ce développement a trait à un monde essentiellement subjectif et
fantasmagorique : le monde reprĂ©sentĂ© des regards d’autrui sur soi.
Ce monde est infiniment plus flou que le monde des lois physiques.
Notons que ce dĂ©veloppement a trait aux capacitĂ©s de l’enfant de
manipuler son entourage. Ces capacités ne seraient pas identiques et
se développent en parallÚle, sinon en décalage, avec celles qui lui
permettent de raisonner sur autrui en Ă©laborant sur les Ă©tats mentaux
et croyances de l’autre (les fameuses thĂ©ories de l’esprit Ă©mergeant
aux alentours de 4 ans). Le dĂ©veloppement des thĂ©ories de l’esprit est
en effet un cas particulier du dĂ©veloppement cognitif de l’enfant
Naissance de la co-conscience                                      115

ayant pour objet autrui comme entité raisonnable, par opposition à
affective.
    Au-delà de son premier anniversaire, le sens de la dépendance à
autrui exprimé par le bébé devient toujours plus complexe et difficile
à comprendre car souvent défiant le bon sens. Faut-il rappeler les
communes escapades du bébé commençant à marcher et qui semble
se ruer systématiquement vers le danger : escaliers, voies routiÚres,
ou autres fourneaux. Ces comportements deviennent rapidement
délibérés et plus que de la simple inconscience. Ils provoquent le
plus souvent l’intervention paniquĂ©e de l’adulte. Sous la menace de
tels comportements, l’adulte se trouve rĂ©duit Ă  porter une attention
privilégiée au bébé, attention bien sûr convoitée par ce dernier. Il y
aurait donc une valeur adaptative indiscutable attachée aux
comportements de séduction qui souvent défient le bon sens. Par
voie de terrorisme affectif, ces comportements exacerbent les
contacts sociaux et rendent explicite le degrĂ© d’affiliation du jeune
enfant Ă  son entourage.
    L’attention indivisible d’autrui sur soi est effectivement la
marque ultime de l’état de non sĂ©paration ou Ă©tat affectif fusionnel
qui est maintenant activement recherché par le bébé. Ce type de
conduites dĂ©raisonnables (dĂ©raisonnables dans la mesure oĂč
typiquement ces conduites se jouent du risque qu’elles encourent au
bĂ©bĂ© et qu’elles dĂ©fient la simple logique), marque aussi les dĂ©buts
de la sĂ©duction comme processus d’appropriation du regard d’autrui
et la construction active d’un espace de co-conscience.
    Afin d’illustrer mon propos, je rapporte briùvement trois
observations qui illustrent les débuts de séduction active chez le bébé
vers la fin de la premiĂšre annĂ©e. Dans le cadre d’une recherche sur
les origines ontogĂ©nĂ©tiques de l’apprentissage par enseignement,
nous avons rĂ©cemment Ă©tudiĂ© l’impact de la prĂ©sence et des
interventions d’autrui dans une situation de rĂ©solution de problĂšmes
plus ou moins difficiles à résoudre (Goubet, Leblond, Poss, &
Rochat 2001). Nous avons systématiquement observé des bébés ùgés
entre 9 et 18 mois à qui était présenté un objet attrayant placé sur une
couverture en face d’eux sur une table. Un expĂ©rimentateur Ă©tait
assis Ă  la droite de l’enfant, lui-mĂȘme assis sur les genoux de sa
mùre. Pour saisir l’objet ou approcher la boüte transparente qui le
contenait, l’enfant devait tirer la couverture à soi, tñche classique de
coordination moyen-but. Piaget (1936) décrit cette tùche comme
étant résolue aux alentours de 8 mois (voir aussi Frye, 1995).
    Nos observations montrent qu’effectivement, la grande majoritĂ©
des bébés de 9 mois parviennent sans délai et sans aide à tirer la
couverture à soi pour saisir l’objet. Curieusement, et de façon
quelque-peu inattendue, nous observons aussi que cette performance
est loin de se maintenir chez les bébés de 14 et 18 mois. A ces ùges,
un grand nombre de bĂ©bĂ©s ne tentent mĂȘme pas de saisir l’objet
convoitĂ© en tirant la couverture Ă  soi. La majoritĂ© d’entre eux
cherchent à saisir l’objet directement avec tout le corps et un bras
116                                                         P. ROCHAT

tendu en avant, en apparence totalement aveugles quant au support
de la couverture comme outil potentiel. Ce qui est frappant est que
dans cette conduite dĂ©raisonnable par rapport Ă  ce qu’il serait en fait
capable de faire, le bébé typiquement se tourne vers
l’expĂ©rimentateur en exprimant tant par le geste que par des
vocalises, une demande d’aide. En fait, pour le bĂ©bĂ© de 14 et 18
mois, tout se passerait comme si la tñche se transformait d’une tñche
physique individuelle qui est en soi aisément solvable, vers une tùche
sociale d’appropriation active de l’attention et du regard d’autrui.
Au-delà de 9 mois, ce qui devient crucial pour le bébé est
d’incorporer autrui à ses jeux et explorations. La solution du
problÚme physique de coordination moyen-but est transformé en un
problùme social d’assimilation et de contrîle de l’autre. Il est
difficile de ne pas voir dans l’émergence de tels comportements la
naissance chez le bébé du souci de créer un espace de co-conscience,
souci qui ne le quittera plus et qui devient la clef de voûte de sa
psychologie.
    Un autre exemple de l’apparition d’un processus actif de
sĂ©duction de l’autre dĂšs le dĂ©but de la deuxiĂšme annĂ©e est, me
semble-t-il, clairement illustré par les observations du bébé de 9,14
et 18 mois faisant face à un expérimentateur qui systématiquement
mimique les actions que le bébé effectue sur un jouet (Meltzoff,
1990; Agnetta & Rochat, soumis). On observe que dĂšs 11 mois, mais
particuliÚrement à 18 mois, le bébé commence à systématiquement
tester la mimiquerie de l’expĂ©rimentateur, accĂ©lĂ©rant ou stoppant
soudainement ses actions tout en maintenant son regard et en lui
souriant. Par cette conduite subtile de jeux imitatif, le bébé tente de
s’approprier le contrĂŽle des actions que l’expĂ©rimentateur produit en
fonction des siennes. A nouveau, il s’agit pour le bĂ©bĂ© de crĂ©er un
espace de co-conscience oĂč lui et l’autre fonctionneraient au mĂȘme
diapason, sur les mĂȘmes bases intersubjectives. Dans ce jeux de
maĂźtrise de l’autre, le bĂ©bĂ© dĂ©veloppe une autre forme (toujours plus
proactive) de complicitĂ© fusionnelle qui reste l’ultime guide de ses
rapports aux autres.
    Enfin, un autre fait trĂšs parlant des progrĂšs de la co-conscience au
cours de la deuxiĂšme annĂ©e est l’apparition des conduites
d’embarras aux alentours de 18 mois. DĂšs 2-3 mois le bĂ©bĂ© semble
déjà manifester des comportements qui ressemble à une expression
de gĂȘne (sourire avec Ă©vitement du regard) dans le contexte d’une
attention soutenue soit par la mÚre, une personne étrangÚre au bébé,
ou encore l’exploration de sa propre rĂ©flexion dans un miroir
(Reddy, 2000). NĂ©anmoins, c’est vers 14 mois que l’embarras social
commence Ă  se manifester d’une façon prĂ©visible et trĂšs marquĂ©e,
non seulement dans le contexte d’une attention prolongĂ©e d’autrui
sur soi, mais aussi dans le contexte d’une performance ou
prĂ©sentation de soi pouvant ĂȘtre Ă©valuĂ©e par autrui. Ainsi, lorsque le
jeune enfant d’environ 18 mois commence à manifester de façon
explicite une reconnaissance de soi dans le miroir, tentant par
exemple d’effacer une marque de peinture qu’il dĂ©couvre sur son
Naissance de la co-conscience                                      117

visage reflété dans le miroir (Gallup, 1971; Zazzo, 1981; Lewis &
Brooks-Gunn, 1979), l’enfant manifeste aussi des comportements de
gĂȘne face Ă  l’image spĂ©culaire de soi. Ces comportements sont trĂšs
complexes, allant de la tendance Ă  cacher son visage derriĂšre un bras
levĂ©, Ă  l’orientation du regard vers le sol, ou encore un regain
d’activitĂ© et de clownerie pour masquer la dĂ©couverte embarrassante
rĂ©vĂ©lĂ©e par le miroir (Fontaine, 1992). Il est indĂ©niable qu’à ce stade
du développement, la signification de ces manifestations explicites et
non ambiguĂ«s de gĂȘne et d’embarras ne peut ĂȘtre saisie que dans le
contexte du dĂ©veloppement de la co-conscience. L’image spĂ©culaire
est maintenant non seulement reconnue comme se référant à soi (le
« Moi » identifié et conceptuel selon William James), mais aussi
conçue comme reflĂ©tant le Moi publique, en d’autres termes le moi
tel qu’il est potentiellement perçu par autrui.
    Ce progrĂšs dans la co-conscience de soi ouvre grand la porte du
dĂ©veloppement des reprĂ©sentations de l’image de soi projetĂ©e vers
autrui et amorce le processus infiniment complexe d’une
reprĂ©sentation de l’évaluation de soi par autrui. C’est sur la base de
ce processus que peut se développer le sens moral (sens des
conduites qui sont socialement plus ou moins acceptables) ainsi que
les normes de confiance quant Ă  sa propre acceptation sociale
(sentiment d’ĂȘtre plus ou moins acceptĂ© par l’autre) que chaque
individu construit selon ses circonstances. C ‘est aussi sur la base de
ce processus que l’enfant apprend à collaborer avec autrui dans des
Ă©changes didactiques qui se fondent sur une co-conscience de soi en
relation avec l’autre. Mais plus important encore, c’est sur la base de
ce processus que l’enfant amorce sa carriĂšre de sĂ©ducteur, explorant
et exploitant pour le meilleur ou pour le pire les ressources affectives
de son environnement social.
  CONCLUSION: LES RACINES BIOLOGIQUES DE LA CO-
CONSCIENCE
         Dans cet article, j’ai tentĂ© de montrer que la conscience
individuelle est un mythe Ă  remplacer par la rĂ©alitĂ© d’une co-
conscience : une conscience qui n’est pas individuelle mais au
contraire dialogique et partagée avec autrui. La conscience est en
effet avant tout une construction sociale qui est négociée avec autrui,
non une construction purement rationnelle (Cartésienne) et
individuelle telle qu’elle continue Ă  ĂȘtre trop souvent considĂ©rĂ©e dans
les sciences cognitives. Il apparaĂźt que cette construction est un long
processus qui se met en place trÚs tÎt dans le développement, et en
tout cas à partir du deuxiùme mois avec l’apparition du sourire
social.
   S’il y a un fait incontournable qui devrait ĂȘtre au dĂ©part de toutes
thĂ©ories psychologiques, c’est le fait que l’individu vive et se
développe pour et par les autres, non comme une entreprise
cloisonnĂ©e et individuelle. De cette prĂ©misse dĂ©coule l’urgence
premiĂšre de s’attacher, de s’identifier et de maintenir une proximitĂ©
118                                                         P. ROCHAT

maximale avec l’autre, proximitĂ© tant physique que psychique. La
fusion dans l’intimitĂ© avec autrui est la force primitive de toutes
psychologies, humaine ou non (Dunbar, 1997). Ainsi il apparaĂźt que
l’apprentissage culturel et social, tel qu’il peut ĂȘtre observĂ© chez
l’homme, le singe et autres mammifĂšres, semble toujours rĂ©pondre
aux mĂȘmes besoins de conformisme: la nĂ©cessitĂ© urgente de
s’intĂ©grer et d’appartenir au groupe, que ce soit la mĂšre, les proches
parents, ou les congénÚres.
    Le primatologiste Frans De Waal a récemment proposé que chez
l’animal, comme chez l’homme, le dĂ©veloppement psychique de
l’individu repose sur un processus fondamental combinant
attachement et apprentissage par identification avec autrui (« BIOL »
ou « Bonding and Identification-based Observational Learning »).
Selon De Waal, ce processus d’apprentissage prendrait son origine
dans le dĂ©sir de l’individu d’ĂȘtre comme les autres (De Waal, 2001).
On peut rajouter que psychologiquement, ce processus se traduit par
une peur fondamentale de la séparation, mÚre de toutes les angoisses.
    Trùs tît dans l’ontogenùse et dans la phylogenùse, les
comportements semblent ĂȘtre dictĂ©s par la crainte et l’évitement Ă 
tout prix de l’aliĂ©nation sociale. SĂ©paration, rejet, abandon et
Ă©loignement d ‘autrui forment la suprĂȘme menace psychologique Ă 
travers les Ăąges et les espĂšces. L’intĂ©riorisation de cette menace
comme déterminant des conduites animales est évidemment ancrée
dans l’évolution biologique, associĂ©e aux nĂ©cessitĂ©es de survie en
groupe et fruit d’une sĂ©lection naturelle qui s’étire sur des millions
d’annĂ©es (voir par exemple la thĂ©orie biologique de Bolwby sur
l’attachement). En ce sens, cette menace suprĂȘme est gravĂ©e dans la
machinerie biologique de façon innée, trouvant différentes
expressions selon l’ñge et les idiosyncrasies socioculturelles de
chaque espĂšce,
    Nous avons vu que dÚs les premiers mois, aidé de façon
dĂ©terminante par l’adulte, le dĂ©veloppement psychique du jeune
enfant prend forme autour de cette motivation innée à promouvoir
l’antidote de la sĂ©paration qu’est la fusion et l’intimitĂ© avec l’autre.
C’est dans ce contexte primordial que naüt la conscience humaine,
mais probablement aussi la conscience animale en général. Cette
conscience n’est pas une conscience individuelle sĂ©parĂ©e. Au
contraire, elle serait avant tout ancrée dans un besoin de fusion et de
coordination avec autrui.
    Plus qu’une conscience, j’ai essayĂ© de montrer que dĂšs le
deuxiÚme mois, le bébé développe une co-conscience qui lui permet
de gérer activement sa fusion avec autrui. En derniÚre analyse, il ne
faut jamais oublier que c’est avant tout pour la recherche et le
maintien de cette fusion intime que notre intelligence travaille. C’est
cette recherche d’intimitĂ© qui nous unis et semble donner sens Ă  nos
vies. Ce qui change sont les niveaux de complexité trÚs variables de
son expression Ă  travers les Ăąges, les cultures, et les autres espĂšces
animales.
Naissance de la co-conscience                                           119

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   Niestlé, pp. 77-110.

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34 5 rochat

  • 1. Intellectica, 2002/1, 34, pp. 99-123 Naissance De La Co-Conscience Philippe Rochat « Je est quelqu’un d’autre » Arthur Rimbaud « L’enfer c’est les autres » Jean-Paul Sartre « The innateness of the longing for relation is apparent even in the earliest and dimmest age » Martin Buber Lorsque Rimbaud Ă©crit « Je est quelqu’un d’autre » il suggĂšre que la conscience de soi passe par celle d’autrui, ou plus exactement qu’elle n’existe pas indĂ©pendamment de la conscience de l’autre. DĂšs la deuxiĂšme annĂ©e, le regard d’autrui devient effectivement un dĂ©terminant majeur des comportements. Mais comment l’enfant en arrive-t-il lĂ  ? Qu’elles sont les origines et les Ă©tapes qui le mĂšnent Ă  un Ă©tat d’esprit qui devient dominĂ©, sinon envahit par le regard d’autrui ? SĂ©ducteur en devenir, la question est de savoir comment l’enfant dĂ©veloppe une co-conscience de soi ? A la lumiĂšre d’observations empiriques rĂ©centes sur le bĂ©bĂ©, le propos de cet article est de traiter comment « Je devient quelqu’un d’autre ». D’une connaissance implicite du corps qui est manifeste dĂšs la naissance, il est montrĂ© qu’au cours des six premiers mois de vie, le bĂ©bĂ© dĂ©veloppe un sens d’un soi Ă©cologique: le sens d’un corps diffĂ©renciĂ©, situĂ©, et agent dans l’environnement tant physique que social. Deux, neuf et dix-huit mois sont proposĂ©s comme des Ă©tapes « clĂ© » ou rĂ©volutions psychologiques dans le dĂ©veloppement qui mĂšne l’enfant de la conscience implicite du corps Ă  une co-conscience de soi en tant qu’entitĂ© non seulement perçue par soi, mais aussi contemplĂ©e et Ă©valuĂ©e par autrui. Mots-clĂ©s : Conscience de soi, conscience d’autrui, co-conscience, bĂ©bĂ©, premiĂšre enfance, dĂ©veloppement, Ăąges clĂ©. The Emergence of co-consciousness. When Rimbaud writes « I is another », he suggests that consciousness of self passes by that of another, or more precisely that it does not exist independently of the consciousness Professor, Department of Psychology, Emory University Atlanta, GA 30322 USA Email: psypr@emory.edu
  • 2. 100 P. ROCHAT of another. From the second year onwards, the awareness of being looked at by another indeed becomes a major determinant of behaviour. But how does the infant reach this stage ? What are the origins and the stages which lead the infant to a state of mind which is dominated, if not invaded by the gaze of another ? Developing a capacity of seduction, the question is to elucidate how the infant acquires a co-consciousness of self ? In the light of recent empirical observations on babies, the object of this article is to describe how « I becomes someone else ». On the basis of an implicit knowledge of his own body which is present at birth, it is shown that in the course of the first six months of life, the baby develops an ecological sense of self: the sense of a body which is differentiated, situated, and agent in the physical and social environment. It is proposed that the ages of two, nine and eighteen months are « key » stages or psychological revolutions in the developmental process which leads the infant from an implicit knowledge of his own body to a co-consciousness of self as an entity which is not only perceived by the self, but which is also contemplated and evaluated by others. Keywords : Self consciousness, consciousness of the other, co- consciousness, baby, early childhood, development, key ages. Que sommes-nous sans autrui ? Rien. Faits de symbiose, nous naissons d’une rencontre entre deux ĂȘtres, nous grandissons dans les entrailles d’une autre dont nous nous extirpons physiquement pour en dĂ©pendre davantage psychiquement, Ă  distance sinon Ă©ventuellement
avec distance. Philosophes et scientifiques en quĂȘte de l’esprit naissant sont trop souvent enclins d’oublier cette vĂ©ritĂ© Ă©lĂ©mentaire, cette condition fondatrice du comportement animal, qu’il soit humain ou non. Nous sommes d’abord des bĂȘtes sociales, par nĂ©cessitĂ© biologique bien sĂ»r, mais aussi par fondamental besoin psychologique. Ensuite, et peut- ĂȘtre d’une façon trĂšs illusoire, nous sommes des ĂȘtres Ă  la conscience autonome, aux jugements indĂ©pendants et aux goĂ»ts individuels. Des Ă©mules de Descartes cogitant sur nos rapports aux choses. Mais le sommes-nous jamais ? Notre destin n’est-il pas d’ĂȘtre toujours plus dĂ©pendants les uns des autres? PlutĂŽt que de l’indĂ©pendance, ne dĂ©veloppons-nous pas trĂšs vite aprĂšs la naissance d’autres formes “pan-biologiques” de dĂ©pendance Ă  autrui, beaucoup plus encombrantes et sources de bien des maux, mais aussi beaucoup plus puissantes dans les plaisirs qu’elles apportent et source de progrĂšs incomparables tant Ă  l’échelle de la phylogenĂšse que de l’ontogenĂšse? La conscience autonome, indĂ©pendante du social, est un mythe qui a Ă©tĂ© renforcĂ© par bien des thĂ©ories sur le dĂ©veloppement psychique. L’idĂ©e d’un a-dualisme originel Ă  partir duquel une conscience individuelle se diffĂ©rencierait progressivement Ă  Ă©tĂ© promue par la psychanalyse (Mahler & coll. 1975; Freud, 1905/1962), mais aussi par les pionniers de la recherche sur le dĂ©veloppement cognitif tel que Piaget (1936).
  • 3. Naissance de la co-conscience 101 Dans cet article, je m’appuie sur des prĂ©misses radicalement diffĂ©rentes pour considĂ©rer les origines de la conscience, et en particulier le dĂ©veloppement de la conscience de soi. Ces prĂ©misses sont radicales car justement elles relĂšguent Ă  l’arriĂšre plan l’existence d’une conscience diffĂ©renciĂ©e, imprĂ©gnĂ©e d’objectivitĂ© sans cesse croissante et de subjectivitĂ© sans cesse domptĂ©e par la raison. PlutĂŽt que de partir du principe que dĂšs les premiers mois l’enfant dĂ©veloppe une objectivitĂ© intellectuelle toujours croissante, j’aimerais explorer ici la possibilitĂ© d’une inversion de cette logique. Qu’en fait, dĂšs les premiers mois, l’enfant dĂ©velopperait avant tout une subjectivitĂ© toujours croissante dans sa relation avec autrui, ce que l’on peut nommer une intersubjectivitĂ©. A l’opposĂ© d’une conscience de soi sĂ©parĂ©e des choses qui l’entourent (conscience cartĂ©sienne objective), l’enfant dĂ©velopperait avant tout une co-conscience de soi en relation avec autrui. Paradoxalement, je vais tenter d’illustrer Ă  partir de quelques faits expĂ©rimentaux rĂ©cents que dĂšs le dĂ©but de la vie psychique l’enfant dĂ©veloppe de façon primordiale ce qui est souvent associĂ© Ă  l’antithĂšse de la raison : la passion ou une dĂ©raison toute affective, guidĂ©e par un besoin relationnel incontournable. L’idĂ©e proposĂ©e est que parallĂšlement Ă  un esprit rationnel, cartĂ©sien, et Ă  l’image des scientifiques qui le scrutent, le jeune enfant dĂ©veloppe, de façon peut-ĂȘtre plus primordiale un potentiel de dĂ©raison sous le joug du besoin jamais assouvi d’ĂȘtre en relation de partage avec autrui. En d’autres termes, le bĂ©bĂ© dĂ©velopperait une subjectivitĂ© partagĂ©e avec autrui qui l’amĂšne Ă  dĂ©velopper des capacitĂ©s d’adaptation Ă  un monde qui est en grande partie irrationnel, souvent imaginaire et mĂȘme fantomatique. Ce monde est le monde imaginaire des regards d’autrui portĂ©s sur soi. Il s’agit d’un monde qui est essentiellement imprĂ©visible et difficilement objectivable. C’est le monde affectif qui Ă©ventuellement se dĂ©veloppe pour devenir peuplĂ© de phantasmes, de craintes, et de faux-semblants, le monde de la passion et de la sĂ©duction, le monde mystĂ©rieux des affinitĂ©s Ă©lectives, des gloires et dĂ©faites amoureuses. Ce n’est non pas le monde ordonnĂ© de la logique et des lois physiques, mais le monde chaotique de la passion amoureuse par lequel et pour lequel dĂšs l’aube nous vivons. Ce serait avant tout Ă  ce monde que l’enfant, comme l’adulte, se mesure et finalement se reconnaĂźt. Mais qu’elle est l’origine de la co-conscience sur lequel ce monde s’appuie? Avant de traiter de l’origine dĂ©veloppementale de la co- conscience, il s’agit tout d’abord de dĂ©finir ce que l’on entend par ce concept et comment ce concept s’oppose Ă  la conscience individualiste telle qu’elle est couramment comprise. Nous traiterons par la suite, sur la base de quelques faits empiriques rĂ©cents concernant les comportements du bĂ©bĂ© de la naissance Ă  18 mois, diverses formes de co-conscience tels qu’elles Ă©mergent au dĂ©but de la vie. Nous conclurons par un bref essai de synthĂšse sur ce que la
  • 4. 102 P. ROCHAT recherche chez le bĂ©bĂ© nous enseigne quant Ă  la nature d’une conscience de soi. MYTHE DE LA CONSCIENCE AUTONOME ET RÉALITÉ DE LA CO- CONSCIENCE Co-conscience est un nĂ©ologisme qui signifie littĂ©ralement ĂȘtre conscient ou faire l’expĂ©rience du monde ensemble (avec autrui par opposition Ă  solitaire et autonome). Notons que ce terme fait dĂ©jĂ  partie du registre philosophique pour qualifier une saisie consciente simultanĂ©e chez un seul individu (voir en particulier John Locke et son traitement de la conscience de soi en tant que personne conçue simultanĂ©ment dans le passĂ© et dans le prĂ©sent). Le sens adoptĂ© ici est social, Ă  l’opposĂ© d’une conscience pour soi comme celle exprimĂ©e par Descartes dans ses mĂ©ditations. On peut nĂ©anmoins s’interroger si la mĂ©ditation du philosophe et la conscience qui en dĂ©coule n’est pas finalement qu’une forme solipsiste de co- conscience, la conscience individuelle n’étant en derniĂšre analyse qu’un mythe, voire mĂȘme une illusion. Lorsque par exemple Descartes propose son cĂ©lĂšbre “Je pense donc je suis”, qui dans cette phrase est le locuteur et qui est le receveur du message? Qui parle Ă  qui dans la tĂȘte de Descartes? S’adresse-t-il Ă  lui-mĂȘme, ou s’adresse-t-il Ă  une audience? Dans le formatage de ses idĂ©es, il est certain que Descartes s’adresse Ă  l’audience fictive de ses futurs lecteurs. En rĂ©alitĂ©, il est difficile de faire cas du concept de conscience individuelle, d’une conscience ou pensĂ©e qui serait autonome et dĂ©pourvue de la forme d’un dialogue social avec une audience quelle soit fictive ou rĂ©elle. Si une telle pensĂ©e consciente autonome existe, elle fait figure d’exception plutĂŽt que de rĂšgle car il est difficile de concevoir une activitĂ© mentale consciente qui se soustrairait Ă  une forme dialogique. La pensĂ©e consciente autonome ou individuelle pourrait bien ĂȘtre qu’un mythe auquel on s’accroche pour sauvegarder un sentiment d’identitĂ© et d’indĂ©pendance sociale, un peu comme l’adolescent qui se dĂ©marque dans sa quĂȘte d’identitĂ©. En rĂ©alitĂ©, il est aisĂ© de montrer que mĂȘme au plus profond de notre intimitĂ©, nous sommes sans cesse engagĂ©s dans un dialogue intĂ©rieur orchestrant plusieurs voix reprĂ©sentĂ©es. MĂȘme sous la forme d’un monologue Ă©crit, tel Descartes mĂ©ditant Ă  la lueur de sa chandelle, la pensĂ©e consciente s’exprime d’abord sous la forme sociale d’un dialogue, qu’il soit un dĂ©bat rĂ©el ou un Ă©change fictif entre par exemple, l’avocat du diable ou celui de l’ange. HergĂ© et l’un de ses hĂ©ros le capitaine Haddock qui est constamment tiraillĂ© par l’un ou par l’autre au sujet de la boisson est une image qui illustre parfaitement bien ce genre de pseudo-dialogues qui nous habitent et qui sont probablement le fondement mĂȘme du processus de la pensĂ©e consciente. La pensĂ©e consciente serait ancrĂ©e dans la forme sociale de l’échange d’idĂ©es avec ses tensions et ses Ă©ventuelles rĂ©solutions.
  • 5. Naissance de la co-conscience 103 Cette idĂ©e n’est pas neuve. La pensĂ©e comme dialogue intĂ©riorisĂ© et la rĂ©solution de problĂšmes, formation de concepts et autres constructions thĂ©oriques comme processus de dialogues virtuels avec adoption de voix et perspectives multiples est une idĂ©e qui a Ă©tĂ© avancĂ©e par Bakhtin(1981) dans son traitement de l’histoire littĂ©raire. Elle est aussi proposĂ©e par Cole (1985); Fernyhough (1996)Vygotsky, (1962); Wertsch, (1991); voir aussi Rochat, (2001b), en ce qui concerne le dĂ©veloppement cognitif. Enfin, il faut aussi relever le travail de Fridlund, (1994) qui considĂšre la modulation de l’expression des Ă©motions sous l’effet d’audiences rĂ©elles ou fictives. NĂ©anmoins, l’idĂ©e d’un ancrage social du processus de la pensĂ©e n’est pas souvent pris en compte dans les sciences cognitives qui continuent le plus souvent Ă  traiter les processus cognitifs comme dĂ©tachable d’un format social, en particulier le format du dialogue ou Ă©change virtuel sous-jacent Ă  la dialectique. Ceci est surprenant car, par exemple, pour beaucoup d’entre nous il est souvent difficile de s’empĂȘcher d’entamer un pseudo dialogue Ă  voix haute, sans autre interlocuteur que soi-mĂȘme, alors que l’on s’affaire Ă  rĂ©soudre un problĂšme du quotidien, que ce soit dans le casse-tĂȘte de l’ assemblage d’un meuble livrĂ© en piĂšces dĂ©tachĂ©es, la maĂźtrise d’un appareil Ă©lectronique Ă  partir d’un manuel d’utilisation mal Ă©crit, ou encore la rĂ©daction d’une lettre de dĂ©mission. Ce comportement qui est publique mais pour soi (dialogue sous forme de monologue extĂ©riorisĂ©), est tout sauf une aberration pathologique. Il rĂ©vĂšle au contraire combien l’activitĂ© mentale, plutĂŽt qu’autonome, est en fait avant tout un processus dynamique ancrĂ© dans la transaction sociale et le dialogue. MĂȘme au cƓur de notre intimitĂ© cognitive, il y a la prĂ©sence d’un autre virtuel. Si penser et concevoir s’appuient sur la dialectique d’un dialogue simulĂ© entre voix ou perspectives multiples, le produit de ce dialogue n’est pas une conscience autonome mais au contraire une co- conscience du monde, qu’il s’agisse de la connaissance du monde des choses, du monde d’autrui, mais aussi de la connaissance de soi qui nous intĂ©resse tout particuliĂšrement ici. Mais comment cette co-conscience Ă©merge-t-elle au dĂ©but de la vie ? La recherche chez le bĂ©bĂ© apporte des faits qui permettent de mieux comprendre non seulement de quoi elle serait faite, mais aussi combien nos comportements sont trĂšs tĂŽt dĂ©terminĂ©s par la reprĂ©sentation du regard d’autrui portĂ© sur soi, que ce regard soit fictif ou rĂ©el. Le reste de cet article tente de retracer ce qui annonce et caractĂ©rise l’émergence d’une co-conscience de soi. Sur la base de faits empiriques choisis, je propose une histoire naturelle de son origine de la naissance Ă  18 mois.
  • 6. 104 P. ROCHAT SOI CORPOREL DU NOUVEAU-NÉ En amont de toute connaissance, il y a le corps. Le corps comme lieu physique de la sensualitĂ©, celui de la rencontre avec l’environnement quelle que soit sa nature lumineuse, sonore, tactile, olfactive, ou multisensorielle. DĂšs la naissance, et probablement mĂȘme dĂ©jĂ  Ă  l’état fƓtal, le bĂ©bĂ© manifeste une connaissance implicite de son corps en tant qu’entitĂ© diffĂ©renciĂ©e parmi d’autres entitĂ©s dans l’environnement. Cette connaissance n’est Ă©videmment ni consciente (explicite et rĂ©flĂ©chissante), ni uniquement humaine, n’importe quelles autres espĂšces de mammifĂšres et mĂȘme d’oiseaux pouvant l’exprimer (Cenami-Spada, Aurelli, & De Waal, 1995). Elle reprĂ©sente nĂ©anmoins l’élĂ©ment fondateur que le petit d’homme dĂ©veloppe de façon unique vers la co-conscience de soi qui Ă©clos au cours de la deuxiĂšme annĂ©e, comme nous le verrons par la suite. Mais qu’est-ce au juste que cette connaissance implicite du corps diffĂ©renciĂ© chez le nouveau-nĂ© et quelles preuves empiriques avons- nous de son existence dĂšs la naissance? Le soi corporel du nouveau-nĂ© est un soi perçu, non pas encore un soi reprĂ©sentĂ© au sens d’un moi conceptuel. Pour reprendre la distinction introduite voilĂ  plus d’un siĂšcle par William James (1890) entre le “Je” senti et le “Moi” identifiĂ©, le nourrisson exprime avant tout un “Je” qui est le produit d’une expĂ©rience perceptive immĂ©diate du corps en action et dans la fluctuation de ses Ă©tats internes. NĂ©anmoins, cette expĂ©rience perceptive primordiale du corps n’est pas le grand chaos envisagĂ© par James qui Ă  l’époque, faute de faits empiriques qualifiait cette expĂ©rience de confusion dĂ©tonante (“blooming, buzzing confusion”). Des travaux empiriques montrent que dĂšs les premiĂšres minutes de vie extra-utĂ©rine, le nourrisson manifeste un sens du corps comme entitĂ© diffĂ©renciĂ©e parmi d’autres objets de l’environnement (voir Rochat & Goubet, 2000; Rochat, 1998; pour une plus ample discussion des faits expĂ©rimentaux qui soutiennent une telle proposition). Il s’agit d’un sens qui selon Neisser (1991; 1995; voir aussi Rochat, 1997) compose le “sens Ă©cologique de soi”. Dans une recherche rĂ©cente (Rochat & Hespos, 1997), nous avons montrĂ© par exemple que dĂšs la naissance le bĂ©bĂ© manifeste une discrimination entre une stimulation dont l'origine est extĂ©rieure au corps (allo-stimulation) et une stimulation qui est d'une provenance interne au corps (auto-stimulation). En comparant les rĂ©ponses de fouissement du nouveau-nĂ©, consĂ©cutives Ă  une stimulation pĂ©ri-orale causĂ©e soit par le doigt de l'expĂ©rimentateur (allo-stimulation) ou par le transport spontanĂ© de la propre main du bĂ©bĂ© sur le visage (auto-stimulation), nous avons constatĂ© que les nouveau-nĂ©s tendent Ă  s'orienter significativement plus vers le doigt de l'expĂ©rimentateur que vers leur propre main. Lorsqu'il s'agit de la main d'autrui, le bĂ©bĂ© manifeste davantage de mouvements orientĂ©s
  • 7. Naissance de la co-conscience 105 de la tĂȘte, ouvrant grand la bouche et suçant Ă  vide avec des mouvements de protrusion de la langue. Il apparaĂźt que dĂšs la naissance le bĂ©bĂ© manifeste une discrimination d’informations perceptives qui spĂ©cifient le corps en tant qu’entitĂ© diffĂ©renciĂ©e. Cette constatation est de taille car elle contredit l’idĂ©e longtemps avancĂ©e d’une indiffĂ©renciation ou confusion initiale entre le bĂ©bĂ© et son environnement (voir par exemple Piaget, 1936). Certains psychanalystes sont mĂȘme allĂ©s jusqu’à Ă©laborer des thĂ©ories sur le dĂ©veloppement de la personnalitĂ© qui postulent comme point de dĂ©part un Ă©tat originel d’indiffĂ©renciation ou “d’autisme infantile” (Mahler, Pine & Bergman, 1975). Au contraire, la recherche rĂ©cente indique que trĂšs tĂŽt le bĂ©bĂ© traite l’information perceptive intermodale qui spĂ©cifie le corps en tant qu’entitĂ© distincte. Des chercheurs ont accumulĂ© de nombreuses donnĂ©es dĂ©montrant la remarquable orchestration dĂšs la naissance entre systĂšme visuel et systĂšme posturo-vestibulaires sur laquelle s’appuie la discrimination entre corps mobile dans un environnement stable ou au contraire, corps stable dans un environnement qui bouge (Butterworth, 1995; Bertenthal & Rose, 1995; et tout particuliĂšrement Jouen & Gapenne, 1995). Cette capacitĂ© de discrimination basĂ©e sur un traitement intermodal des informations perceptives est Ă©vidente dĂšs la naissance et probablement le produit d’un calibrage prĂ©natal actif des systĂšmes sensoriels et moteurs. En effet, de fines observations ultrasoniques du fƓtus au cours des derniers mois de la vie intra-utĂ©rine montrent que la plupart des comportements observĂ©s chez le nouveau-nĂ© sont dĂ©jĂ  bien Ă©tablis Ă  mi-gestation (Hopkins & Prechtl, 1984; De Vries, Visser & Prechtl, 1984). Il y a une remarquable continuitĂ© entre comportements prĂ©- et post-natals (Prechtl, 1984). Cette continuitĂ© suggĂšre que la connaissance implicite d’un corps diffĂ©renciĂ© exprimĂ©e dans les comportements du bĂ©bĂ© Ă  la naissance pourrait bien ĂȘtre le produit d’un apprentissage prĂ©natal, comme beaucoup d’autres connaissances perceptives prĂ©coces constatĂ©es immĂ©diatement aprĂšs la naissance tels que la reconnaissance de la voix maternelle (DeCasper & Fifer, 1980; DeCasper, Lecanuet, Busnell & Coll., 1994) ou la discrimination de l’odeur du liquide amniotique de la mĂšre comparĂ© Ă  celui d’une autre femme (Marlier, Schaal & Soussignan, 1998). Cette apprentissage perceptif d’un corps diffĂ©renciĂ© serait l’un des fondements du soi corporel, le sens d’un soi Ă©cologique manifestĂ© par le nourrisson dĂšs la naissance. Mais si dĂšs l’aube de la vie le corps est perçu comme diffĂ©renciĂ© parmi toutes les autres entitĂ©s prĂ©sentes dans l’environnement, on est encore loin d’une conception du regard que certaines de ces entitĂ©s (les gens) porte sur soi. NĂ©anmoins, le soi corporel exprimĂ© par le nourrisson est Ă©videmment une condition sine qua non de la co- conscience. Reste Ă  savoir ce qui se produit Ă  partir de cette condition nĂ©cessaire. La prochaine Ă©tape vers la co-conscience se produirait au deuxiĂšme mois, lorsque le bĂ©bĂ© non seulement se comporte comme
  • 8. 106 P. ROCHAT entitĂ© corporelle diffĂ©renciĂ©e, mais encore dĂ©bute sa carriĂšre amoureuse et de sĂ©ducteur en entrant en relation de rĂ©ciprocitĂ© Ă©motionnelle avec autrui. PREMIÈRE RÉCIPROCITÉ EXPLICITE DU DEUXIÈME MOIS Si l’on considĂšre la continuitĂ© de l’organisation comportementale entre les derniĂšres semaines de gestation intra-utĂ©rine et les premiĂšres semaines aprĂšs une naissance Ă  terme, la sĂ©paration du corps de l’enfant et de sa mĂšre, aussi dramatique et Ă©mouvante qu’elle puisse ĂȘtre et bien qu’un Ă©vĂšnement majeur d’un point de vue biologique, du point de vue du comportement il s’agit d’un phĂ©nomĂšne qui est relativement insignifiant. La naissance en tant que tel, serait une naissance biologique, rien ne dĂ©montrant qu’elle marque l’apparition d’une nouvelle psychologie chez le nouveau-nĂ©. Par contre, on constate vers le milieu du deuxiĂšme mois un premier saut qualitatif marquĂ© dans ce qui dĂ©termine les comportements du bĂ©bĂ©. Ce saut qualitatif correspond Ă  la vĂ©ritable naissance du nourrisson en tant que personne et coĂŻncide de façon particuliĂšrement frappante pour les parents avec l’apparition du sourire social. Aux alentours de 6 semaines, il se produit effectivement une transformation radicale dans l’organisation du comportement, telle une vĂ©ritable rĂ©volution qui de fait, correspondrait Ă  la naissance psychologique du bĂ©bĂ© (Rochat, 2001a). Pour les parents, le constat du premier sourire de leur enfant dans l’intimitĂ© d’un Ă©change face-Ă -face, clairement diffĂ©rent du sourire rĂ©flexe qu’ils ont pu frĂ©quemment observer aprĂšs allaitement et ce dĂšs la naissance, est un Ă©vĂšnement majeur. Invariablement, au- travers de ce sourire orientĂ©, les parents dĂ©couvrent une personne chez leur bĂ©bĂ©. Cette dĂ©couverte est courante, tels qu’en tĂ©moignent les journaux de maternitĂ© spontanĂ©ment tenus par certaines mĂšres (observations personnelles). Rien ne peut exagĂ©rer l’importance de l’apparition du sourire social dans le dĂ©veloppement de l’enfant. Cet Ă©vĂšnement marque le vĂ©ritable dĂ©but de sa vie relationnelle car c’est la premiĂšre manifestation d’une expĂ©rience explicitement partagĂ©e avec autrui, qui de plus est une expĂ©rience de bien-ĂȘtre. Le sourire orientĂ© est le premier message d’une rĂ©ciprocitĂ© qui n’est pas seulement liĂ©e aux soins et attentions physiques portĂ©s au nourrisson. Il s’agit du premier message affectif qui de fait, entame la conversation que l’enfant tiendra avec son entourage social jusqu’à sa mort. Il s’agit du moment oĂč le bĂ©bĂ© affirme dans son comportement sa prĂ©sence au monde avec autrui. C’est le dĂ©but de la co-conscience et de ce fait la vĂ©ritable naissance du bĂ©bĂ© en tant que personne, entitĂ© qui ne peut se constituer et se dĂ©velopper que dans l’échange social et la rĂ©ciprocitĂ© affective. Les effets dĂ©vastateurs des privations d’échanges affectifs au dĂ©but de la vie dans les cas de maltraitance, d’institutionnalisation ou d’hospitalisation en sont la preuve
  • 9. Naissance de la co-conscience 107 incontournable (voir par exemple Spitz, 1965). Le sourire social est dĂ©clencheur des Ă©changes qui permet au bĂ©bĂ© en tant que personne de se constituer (d’oĂč l’idĂ©e de naissance psychologique) et de se dĂ©velopper. Notons en passant que certaines cultures, en PolynĂ©sie par exemple, marqueraient l’émergence du sourire social par une nouvelle dĂ©nomination linguistique du bĂ©bĂ© correspondant Ă  une nouvelle apprĂ©ciation de l’adulte envers le tout petit une fois passĂ©e la pĂ©riode nĂ©onatale. Il est important de relever que coĂŻncidant avec l’apparition du sourire social, les Ă©tats comportementaux du bĂ©bĂ© sont profondĂ©ment modifiĂ©s. Au cours du deuxiĂšme mois, l’état d’attention aux choses change d’une façon marquĂ©e et relativement soudaine, le bĂ©bĂ© passant d’un Ă©tat de sommeil Ă  un Ă©tat d’attention Ă©veillĂ© de plus en plus dominant. Vers 6 semaines, Wolff (1987) observe un accroissement trĂšs important des pĂ©riodes d’exploration visuelle, le bĂ©bĂ© commençant Ă  passer de longs moments d’observation de son environnement, les yeux grands ouverts. C’est aussi au cours du second mois que l’exploration visuelle du visage change pour se focaliser davantage sur les yeux et la bouche plutĂŽt que la pĂ©riphĂ©rie (Maurer & Salapatek, 1976; Haith, Bergman, & Moore, 1977; Morton & Johnson, 1991). Sur la plan du dĂ©veloppement cognitif en gĂ©nĂ©ral, le deuxiĂšme mois marque un changement de la relation du bĂ©bĂ© au monde. DĂšs la naissance, et mĂȘme avant, le bĂ©bĂ© est capable d’apprentissages sensori-moteurs et de discriminations perceptives remarquables. Cependant, ces apprentissages et discriminations ne sont pas encore sous contrĂŽle volontaire, se produisant ici et maintenant, dans l’immĂ©diat de l’expĂ©rience perceptive. Il n’y a pas encore de traces d’exploration par tĂątonnement systĂ©matique. Ainsi par exemple, les imitations du nouveau-nĂ© reproduisant les expressions faciales d’un adulte (ouverture de la bouche, tirage de langue, etc.), telles qu’elles ont Ă©tĂ© rapportĂ©es par de nombreux chercheurs ces trente derniĂšres annĂ©es, aussi remarquables soient-elles, restent relativement rigides et furtives (Meltzoff & Moore, 1977; Field et al., 1982). Par contre, selon certaines recherches, Ă  6 semaines ces imitations prĂ©coces deviennent beaucoup plus flexibles et explicitement volontaires. En particulier, Meltzoff & Moore (1992) montrent qu’à cet Ăąge, contrairement aux nouveau-nĂ©s, le bĂ©bĂ© modifie systĂ©matiquement sa rĂ©ponse imitative pour ressembler au geste cible de l’expĂ©rimentateur, en l’occurrence un tirage de langue soit central, soit latĂ©ral vers l’un des coins de la bouche. Nous avons fait des observations analogues en Ă©tudiant la rĂ©ponse de succion du nouveau-nĂ© et du bĂ©bĂ© de deux mois. Dans cette recherche (Rochat & Striano, 1999b), Ă  chaque pression sur la tĂ©tine Ă©tait associĂ©e une suite de sons qui Ă©tait plus ou moins l’analogue auditif des mouvements de pression exercĂ©s buccalement par le bĂ©bĂ©. Ainsi, dans une condition (analogue), la frĂ©quence des sons entendus par le nourrisson variait proportionnellement aux variations de pression exercĂ©es sur la tĂ©tine. Dans une autre condition (non analogue), la
  • 10. 108 P. ROCHAT frĂ©quence des sons variait au hasard. Nous observons qu’à deux mois, le bĂ©bĂ© manifeste une modulation systĂ©matique de sa succion selon l’une ou l’autre condition. Par contre, les nouveau-nĂ©s ne montrent aucun signe d’une telle discrimination ou exploration systĂ©matique des consĂ©quences auditives de leurs propres activitĂ©s orales. Aux alentours de 6 semaines, le bĂ©bĂ© manifeste donc une nouvelle attitude envers les objets, envers soi, ou envers les autres. Cette nouvelle attitude est une attitude contemplative et rĂ©ciproque, par opposition Ă  l’attitude discriminante et immĂ©diate du nouveau-nĂ© (Rochat, 2001a; 2001b). Elle laisse place Ă  l’expectative et Ă  l’exploration systĂ©matique des choses, de mĂȘme qu’aux premiers Ă©changes rĂ©ciproques avec autrui. La rĂ©ciprocitĂ© affective est un pas majeur vers la co-conscience et la seconde condition sine qua non de son dĂ©veloppement, la premiĂšre Ă©tant le sens de soi diffĂ©renciĂ© qui est, comme nous l’avons vu, dĂ©jĂ  exprimĂ© Ă  la naissance. ASPIRATION DANS LE MIROIR SOCIAL Lorsque vers le deuxiĂšme mois le bĂ©bĂ© commence Ă  manifester une rĂ©ciprocitĂ© Ă©motionnelle envers autrui par le sourire et le regard attentif, il est comme aspirĂ© dans ce que l’on peut appeler le miroir social. D’une part les parents qui sont finalement gratifiĂ©s dans leurs efforts de communication, augmentent la frĂ©quence et la durĂ©e de la prĂ©sentation de leur visage au bĂ©bĂ©. D’autre part, lors de ces prĂ©sentations du visage l’adulte typiquement et de façon semble-t-il compulsive, essaye de faire sourire, voire faire rire l’enfant en l’imitant et en exagĂ©rant ses mimiques. En fait, dans ces premiĂšres conversations Ă©motionnelles, l’adulte gĂ©nĂ©ralement fait le commentaire des actions et de la fluctuation des Ă©tats Ă©motionnelles du nourrisson. S’il se met Ă  pleurer, par exemple, la mĂšre montrera son empathie en modulant sa voix qui devient soudainement basse et triste. Si au contraire le bĂ©bĂ© manifeste de la joie et du plaisir, la voix de la mĂšre devient plus facilement aiguĂ« et elle-mĂȘme joyeuse. Ce phĂ©nomĂšne de rĂ©sonance Ă©motionnelle compulsive de l’adulte envers le nourrisson est tout Ă  fait remarquable et peut-ĂȘtre unique Ă  l’humain dans toute la diversitĂ© de ses organisations familiales et culturelles. Ce phĂ©nomĂšne est en tout cas trĂšs saillant dans la classe moyenne des pays riches, bien qu’ observable avec quelques variantes partout dans le monde. Il correspond Ă  ce que Gergely et Watson (1999) appelle le miroitement affectif (“affective mirroring”) ou Stern (1985) dĂ©crit comme l’accordement affectif (“affective attunement”). Au dĂ©but, et dĂšs l’apparition du sourire social, le miroitement affectif est trĂšs asymĂ©trique, l’adulte initiant les Ă©changes et traquant les Ă©tats Ă©motionnels du nourrisson. Le miroitement affectif, bien que bi-directionnel, est nettement biaisĂ© du cĂŽtĂ© de l’adulte. On peut
  • 11. Naissance de la co-conscience 109 illustrer cette asymĂ©trie relationnelle des premiĂšres (proto) conversations affectives entre l’adulte et le nourrisson en imaginant ce dernier orientant de façon maladroite une surface dĂ©polie obscure et ondulĂ©e. Cette surface reflĂšte des bribes de ce que l’autre exprime. L’adulte, de son cĂŽtĂ©, oriente systĂ©matiquement un miroir loupe qui accentue et reflĂšte Ă  l’enfant une image trĂšs exagĂ©rĂ©e. Cependant, malgrĂ© cette asymĂ©trie des reflets, il s’agit sans nul doute d’un Ă©change affectif bi-directionnel dans lequel tant l’enfant que l’adulte peuvent se retrouver. Mais la question reste de savoir quel serait le gain de tels miroitements affectifs? Cette question est trĂšs importante si l’on considĂšre que de pareils Ă©changes en face-Ă -face pourraient ĂȘtre spĂ©cifiques aux humains et aux grands singes, particuliĂšrement les chimpanzĂ©s (De Waal, 1998; 2001). Il est possible que le miroitement affectif soit un indice crucial de l’évolution humaine et de l’ordre des primates en gĂ©nĂ©ral. Cette idĂ©e est bien implantĂ©e dans le langage courant lorsque l’on parle par exemple d’une personne en la qualifiant“d’humaine” ou mĂȘme de “pleine d’humanitĂ©â€ pour signifier son talent de compassion et de rĂ©sonance Ă  autrui. La ligue de la protection des bĂȘtes aux Etats-Unis et en Angleterre va mĂȘme jusqu’à s’appeler “Humane Society”, ou littĂ©ralement: sociĂ©tĂ© humaine
 A cĂŽtĂ© de la fonction de communication et d’intimitĂ© nĂ©cessairement servie par le processus du miroitement affectif, d’un point de vue cognitif j’aimerais proposer que cette forme primitive de transaction guidĂ©e par l’adulte sert Ă  dĂ©marrer le processus de dĂ©centration qui est nĂ©cessaire Ă  la co-conscience. Baldwin (1925) utilise le terme « d’éjection » pour qualifier les dĂ©buts de projection et d’adoption de la perspective d’autrui. Gergely et Watson (1999), dans leur discussion de la mĂ©canique du miroitement affectif, suggĂšrent que l’exagĂ©ration du commentaire affectif chez l’adulte sert Ă  le dĂ©marquer comme commentaire-reflet, plutĂŽt que comme expression propre. En d’autres termes, l’adulte marquerait de “guillemets” par amplification et exagĂ©ration, les phrases Ă©motionnelles qui sont le reflet des Ă©tats du nourrisson. Ceci permettrait au bĂ©bĂ© de faire la diffĂ©rence entre ce qui reflĂšte ses propres comportements et ce qui exprime les Ă©tats propre Ă  l’autre. Ce processus, Ă©chafaudĂ© instinctivement et de façon compulsive par l’adulte, guiderait l’enfant vers la contemplation de soi en l’autre. De fait, l’enfant apprend qu’en observant l’autre, il se voit lui-mĂȘme. On comprend alors l’importance de tels miroitements affectifs dans la naissance de la co-conscience puisque cette derniĂšre est justement le produit d’une projection de soi dans l’autre. Comme Narcisse, avec le sourire le bĂ©bĂ© est littĂ©ralement aspirĂ© par le miroir affectif qui est systĂ©matiquement brandit par l’adulte. La joie de l’échange entre l’adulte et le bĂ©bĂ©, comme pour les adultes entre eux, est de partager des moments d’harmonie Ă©motionnelle: des moments oĂč l’on est au mĂȘme diapason affectif, ressentant les mĂȘmes choses, que ce soit autour d’une table Ă  manger la mĂȘme
  • 12. 110 P. ROCHAT nourriture, avec le mĂȘme plaisir et les mĂȘme maniĂšres; que de faire gĂ©nĂ©reusement l’amour; ou de jacasser pour un rien sur son tĂ©lĂ©phone portable. Dans tous les cas le fin mot est de s’assurer de la proximitĂ© ou fusion affective de l’autre. DĂšs l’apparition des premiers sourires, cette assurance est acquise lorsque chacun des protagonistes a les moyens de se reconnaĂźtre dans l’autre. La perception potentielle de son propre monde affectif dans les comportements de l’autre constitue un autre pas majeur vers la co- conscience. Il s’agit d’une troisiĂšme condition sine qua non Ă  son dĂ©veloppement. Cette condition est Ă©chafaudĂ©e par l’adulte au- travers de sa tendance instinctive au miroitement affectif, tendance qui est normalement dĂ©clenchĂ©e par les premiers signes d’une attitude contemplative et rĂ©ciproque (souriante) chez le bĂ©bĂ©. Notons que les bĂ©bĂ©s de mĂšres dĂ©pressives ont tendance eux aussi Ă  ĂȘtre moins engagĂ©s socialement, dĂ©montrant les enjeux du miroitement affectif au dĂ©but de la vie (Field et Coll., 1988). La recherche rĂ©cente en neurosciences cognitive apporte des faits empiriques qui, de façon indirecte, valide l’importance du miroir social comme source de la co-conscience. Il apparaĂźt que dans l’imitation rĂ©ciproque des comportements qui sont caractĂ©ristiques du miroitement affectif, il y a un processus d’expĂ©rience vicariante qui est ancrĂ© profondĂ©ment dans la mĂ©canique du cerveau. Des chercheurs ont en effet rĂ©cemment montrĂ©, par exemple, l’existence de neurones-miroirs dans le cortex du singe. Ces neurones se mettent en activitĂ© lorsqu’une action particuliĂšre est produite, de mĂȘme que lorsque cette mĂȘme activitĂ© est perçue chez un autre individu (Rizzolatti et Coll., 1996). En d’autres termes, il y aurait dĂ©jĂ  au niveau de la cellule nerveuse et de l’organisation neuronale, une sorte d’équivalence entre faire et regarder faire. Toute une mĂ©canique nerveuse nĂ©cessaire (mais non suffisante) est donc probablement en place pour permettre une rĂ©ciprocitĂ© affective par expĂ©rience vicariante. Sur le plan macroscopique du comportement, cette rĂ©ciprocitĂ© est instinctivement promue par les jeux de miroirs sociaux de l’adulte, eux-mĂȘme dĂ©clenchĂ©s par l’attitude contemplative et rĂ©ciproque Ă©mergent vers le deuxiĂšme mois. DÉVELOPPEMENT DANS LE MIROIR SOCIAL Dans le contexte des miroitements et autres jeux de miroirs affectifs en tĂȘte-Ă -tĂȘte entre le bĂ©bĂ© et l’adulte, naissent des routines, rituels et autres formes invariantes de protoconversations dans lesquelles chacun des protagonistes peut se reconnaĂźtre. C’est dans ce contexte que le bĂ©bĂ© dĂ©couvre son “soi interpersonnel” comme Neisser (1991) le nomme. Le soi interpersonnel Ă©merge de l’invariance et de l’expectative des rapports avec autrui. Autrui, comme on l’a vu, reflĂšte en l’amplifiant ce que le bĂ©bĂ© exprime publiquement (sourire, pleurs) et peut ressentir de façon privĂ©e (joie, dĂ©plaisir). Ce miroir social permet Ă  l’enfant de s’objectiver en se projetant hors de sa sphĂšre privĂ©e, sur l’écran et la caisse de
  • 13. Naissance de la co-conscience 111 rĂ©sonance offerts par l’adulte. Cette Ă©jection de soi est une sorte de dĂ©sincarnation forcĂ©e sous le joug de l’interaction sociale et sa forme instinctive de miroitement affectif promulguĂ©e par l’adulte. Le bĂ©bĂ© trĂšs vite apprend Ă  se retrouver dans ces jeux de miroirs affectifs. Entre 2 et 6 mois, il dĂ©veloppe des attentes en devenant de plus en plus sensible Ă  la nettetĂ© du miroir social. Ainsi par exemple, si d’une façon inattendue l’adulte interrompt soudainement son miroitement affectif en se figeant tout en continuant Ă  regarder l’enfant droit dans les yeux, ce dernier devient rapidement triste et Ă©vite le regard de l’adulte (Tronick, Adamson & coll., 1978; Toda & Fogel, 1993; Rochat, Neisser, & Marian, 1998). Dans une recherche rĂ©cente nous avons montrĂ© que le bĂ©bĂ© de 2 mois est tout aussi joyeux et engagĂ© visuellement vers une adulte qui joue avec lui Ă  “coucou, me voilà”, se cachant derriĂšre ses mains pour ensuite rĂ©apparaĂźtre, lorsque ce jeu se rĂ©pĂšte de façon organisĂ©e et prĂ©visible, ou au contraire de façon dĂ©sorganisĂ©e et variable (Rochat, Querido, & Striano, 1999). A deux mois, la simple prĂ©sence attentive de l’adulte en face Ă  face est suffisante pour engager l’enfant affectivement. Au contraire, Ă  4 et 6 mois, le bĂ©bĂ© commence Ă  manifester un engagement diffĂ©renciĂ© selon les conditions de jeux organisĂ©es ou dĂ©sorganisĂ©e. Ils deviennent significativement moins souriants et attentifs lorsque le jeu se dĂ©roule dans le dĂ©sordre (voir Rochat, Querido, & Striano, 1999 pour plus de dĂ©tails). Il est intĂ©ressant de constater que parallĂšlement au dĂ©veloppement des attentes sociales entre 2 et 6 mois, les bĂ©bĂ©s dĂ©veloppent un fort penchant pour les objets physiques qu’ils se mettent Ă  saisir et manipuler de façon systĂ©matique (Rochat, 1989). Cette nouvelle inclination fait que les protoconversations avec autrui sont plus furtives et il devient plus difficile pour l’adulte de capturer vers lui l’attention du bĂ©bĂ© qui se montre davantage distrait par tout ce que l’environnement physique a Ă  offrir comme nouvelles expĂ©riences. La forte demande affective du jeune enfant ne tarissant pas, il dĂ©veloppe de nouvelles stratĂ©gies pour traquer l’attention d’autrui portĂ©e sur lui tout en continuant Ă  vivre son infatuation avec le monde des objets. D’une façon gĂ©nĂ©rale, on observe que l’inertie du regard portĂ© sur autrui dans les Ă©changes face-Ă -face diminue significativement entre deux et six mois (Rochat, Striano, & Blatt, sous presse/2001), ce qui est probablement l’indice d’un plus grand pouvoir de traitement de l’information perceptive ainsi qu’une plus grande capacitĂ© de mĂ©moire. Ces gains cognitifs permettent une nouvelle allocation de l’attention qui peut se porter tant sur autrui que sur les choses (Ruff & Rothbart, 1996). C’est dans ce contexte que se dĂ©veloppent anticipation et reprĂ©sentation de l’autre en rĂ©fĂ©rence Ă  soi et ses propres activitĂ©s sur les choses. De lĂ  Ă©merge une nouvelle triangulation entre le bĂ©bĂ©, autrui, et le monde environnant. C’est de cette triangulation que naĂźtrait la communication symbolique, en l’occurrence l’utilisation de signes plus ou moins arbitraires pour
  • 14. 112 P. ROCHAT communiquer avec autrui en rĂ©fĂ©rence aux objets du monde (Bates et coll., 1979; Bruner, 1984; Tomasello, 1999). Le processus de l’émergence de la fonction symbolique reste encore trĂšs controversĂ©, et bien des thĂ©ories existent Ă  son propos, s’étirant des thĂ©ories nativistes (Pinker, 1994) aux thĂ©ories fonctionnalistes et sociales neo-Vygotskiennes (Bruner, 1983; Tomasello, 1999). Pour notre propos, et comme nous allons le voir maintenant, la double attention portĂ©e sur autrui et sur les objets, en particulier l’ intĂ©gration de cette attention divisĂ©e est un autre facteur qui contribue Ă  l’émergence de la co-conscience. C’est par cette intĂ©gration que le bĂ©bĂ© commencerait Ă  avoir constamment autrui Ă  l’esprit, mĂȘme quand autrui est absent: un trait qui en principe ne le quittera plus. DILEMME DU NEUVIÈME MOIS ET ORIGINE DE LA RÉFÉRENCE SOCIALE Vers neuf mois et avec le dĂ©veloppement de la locomotion autonome, le bĂ©bĂ© Ă©tend considĂ©rablement ses pouvoirs d’exploration du monde. A ces progrĂšs posturaux s’associent une nouvelle indĂ©pendance par rapport Ă  autrui dont l’enfant a bien entendu toujours grand besoin. Avec la locomotion naĂźt une nouvelle tension entre vellĂ©itĂ© de maintenir une proximitĂ© avec autrui et celle d’explorer le monde en Ă©puisant les nouvelles possibilitĂ©s posturales. Ceci reprĂ©sente un profond dilemme pour le bĂ©bĂ©, un dilemme prĂ©monitoire de ses futurs rapports intimes dans la mesure oĂč ils sont si souvent marquĂ©s par les craintes de la sĂ©paration et l’envie d’aller voir ailleurs. Reste Ă  savoir comment le bĂ©bĂ© parvient Ă  solutionner ce problĂšme. La solution est trouvĂ©e en intĂ©grant autrui Ă  sa quĂȘte des objets. Ainsi Ă  9 mois, l’enfant devient attentif d’une façon conjointe avec autrui. S’il joue avec un objet, il commence Ă  vĂ©rifier par des regards rapides d’aller et retour entre l’objet et l’adulte, si ce dernier est Ă©galement attentif. Ces signes d’attention conjointe annonce la communication rĂ©fĂ©rentielle et symbolique par le geste et la parole qui fleurit au cours de la deuxiĂšme annĂ©e (Bates, et coll., 1979; Bruner, 1983; Tomasello, 1995; Tomasello & Farrar, 1986). L’intĂ©gration d’autrui Ă  la quĂȘte des objets du monde physique serait donc un facteur important Ă  l’émergence de la rĂ©fĂ©rence sociale, l’enfant intĂ©grant le regard d’autrui avec ce qu’il fait pour lui-mĂȘme. D’un cĂŽtĂ©, l’enfant commence Ă  perdre de son indĂ©pendance en se prĂ©occupant de l’attention qu’autrui porte sur lui et ses actions. D’un autre, il gagne une capacitĂ© de contrĂŽle sur la proximitĂ© de l’autre tout en continuant Ă  explorer le monde tel qu’il serait enclin Ă  le faire seul. Nous verrons par la suite que ce contrĂŽle de la proximitĂ© prend rapidement le dessus, le bĂ©bĂ© dĂšs 18 mois ayant une difficultĂ© croissante Ă  se distraire seul avec des objets physiques, cherchant activement l’attention et l’assistance de l’adulte. Plus tard, le jeune enfant aura tendance Ă  organiser ses
  • 15. Naissance de la co-conscience 113 explorations d’objets dans un contexte social virtuel, contexte “re- crĂ©Ă©â€ sous forme de dialogues imaginaires ou autres jeux symboliques (Tomasello, Striano, & Rochat, 2000; Striano, Tomasello & Rochat, in press). Il est intĂ©ressant de constater qu’à l’apparition de la rĂ©fĂ©rence sociale, correspond aussi l’émergence d’une nouvelle angoisse, celle en particulier qui se manifeste dans la crainte d’une sĂ©paration avec la mĂšre ou autres personnages connus du bĂ©bĂ© ainsi que la crainte des personnes Ă©trangĂšres au monde intime du bĂ©bĂ©. Cette crainte a Ă©tĂ© dĂ©crite comme l’angoisse du huitiĂšme mois par Spitz, 1965). Cette coĂŻncidence n’est pas fortuite. Elle est une autre forme d’expression du dilemme entre exploration de la nouveautĂ© et maintient de l’intimitĂ© avec les proches. S’il faut dĂšs lors que cette expĂ©rience de la nouveautĂ© soit faite ensemble, elle ne peut encore se faire avec n’importe qui. Tout se passerait comme si l’enfant avait toujours besoin d’ĂȘtre rassurĂ© par la prĂ©sence exclusive de celui ou celle avec qui il sait qu’il peut avoir des expĂ©riences partagĂ©es. Comme nous le verrons dans les conclusions, la crainte du rejet peut en effet ĂȘtre considĂ©rĂ©e comme la mĂšre de toutes les angoisses. Si la peur du rejet et l’exclusivitĂ© affective sont exacerbĂ©es vers 9 mois, elles s’accompagnent au plan cognitif d’une nouvelle utilisation d’autrui comme source d’information sur les Ă©tats de l’environnement, en l’occurrence ses dangers et autres affres potentiels. Ainsi vers 9 mois, le bĂ©bĂ© commence Ă  rĂ©fĂ©rer ses joies, ses attractions, ou au contraire ses craintes Ă  celles d’autrui. Par exemple, il commence Ă  explorer l’expression faciale de l’adulte lorsqu’il se trouve confrontĂ© Ă  une situation nouvelle et effrayante, telle l’animation soudaine d’un objet inerte (Striano & Rochat, 2000) ou la rencontre d’une falaise visuelle comme obstacle dangereux pouvant entraĂźner une chute aux consĂ©quences sĂ©rieuses (Campos et al., 2000). C’est en effet aux alentours de 9 mois que l’enfant commence Ă  systĂ©matiquement consulter le visage d’autrui d’une façon rĂ©fĂ©rentielle, comme thĂ©Ăątre d’émotions qui reflĂštent non seulement les ressources de l’environnement, mais aussi ses menaces et autres dangers potentiels. En commençant Ă  intĂ©grer le regard d’autrui dans ses explorations de l’environnement, le bĂ©bĂ© manifeste au plan cognitif les premiers signes d’une recherche d’enseignement par d’autres. Mais surtout, au plan affectif, cette nouvelle tendance marque les dĂ©buts de la quĂȘte d’une approbation sociale. Cette quĂȘte est probablement le motif essentiel au cƓur de la psychologie, que ce soit celle de l’enfant qui commence Ă  parler et fonctionner symboliquement, celle de l’adolescent dans sa poursuite souvent paradoxale d’une identitĂ©, mais aussi celle de l’individu dans ses choix d’adulte.
  • 16. 114 P. ROCHAT CHARME, SÉDUCTION, ET DÉBUTS DE DÉRAISON L’appropriation du regard d’autrui comme rĂ©fĂ©rence Ă©tablit un processus qui rapidement devient le dĂ©terminant majeur des comportements du bĂ©bĂ©. De fait, ce processus ne le quittera plus et ne fera que de se dĂ©velopper vers une conscience de soi en relation Ă  autrui. Au niveau des comportements, l’émergence de cette nouvelle conscience se manifeste entre autre sous la forme proactive d’une entreprise systĂ©matique de sĂ©duction qui mĂšne l’enfant Ă  agir de façon de plus en plus dĂ©raisonnable et fantasmagorique. C’est l’aube du nƓud complexe des reprĂ©sentations que l’enfant commence Ă  se construire quant aux rapports qui le lie Ă  autrui, et en particulier la reprĂ©sentation des regards qui sont portĂ©s sur lui : regards convoitĂ©s de l’attachement et de l’amour, mais aussi regards redoutĂ©s du rejet et de la sanction. La construction de ces reprĂ©sentations a pour consĂ©quence de porter la dĂ©pendance sociale de l’enfant sur de nouveaux plans de signification, beaucoup plus complexes qu’auparavant. La complexitĂ© de ces significations est reflĂ©tĂ©e par l’apparition de conduites qui souvent dĂ©fient le bon sens et la raison : embarras sans causes prĂ©cises, comportements de Sainte Nitouche, conduites excessives ou de dĂ©fi, craintes et peurs irrationelles se manifestant dans le jeu symbolique ou mĂȘme parfois dans le sommeil sous forme de cauchemars. Au niveau des Ă©changes avec autrui, cette « rĂ©volution » psychologique se traduit aussi par l’apparition de toute une gamme de comportements maintenant proactifs guidĂ©s toujours par la passion d’une proximitĂ© affective avec les autres. Ceci marque les dĂ©buts de la sĂ©duction active et sĂ©lective par le bĂ©bĂ© du monde social qui l’entoure, plutĂŽt que l’inverse qui jusqu’ici a dominĂ© sa vie. Comme on sait, les jeux de sĂ©duction prennent le plus souvent des formes qui dĂ©fient la raison ! C’est en ce sens que l’on peut dire que parallĂšlement aux progrĂšs « raisonnables » de la pensĂ©e logique et rationnelle qui continuent Ă  ĂȘtre documentĂ©s par de nombreux chercheurs dans la lignĂ©e des travaux de Piaget, l’enfant dĂ©veloppe aussi et peut-ĂȘtre de façon primordiale une capacitĂ© de sĂ©duction qui souvent le mĂšne Ă  la dĂ©raison. Ce dĂ©veloppement a trait Ă  un monde essentiellement subjectif et fantasmagorique : le monde reprĂ©sentĂ© des regards d’autrui sur soi. Ce monde est infiniment plus flou que le monde des lois physiques. Notons que ce dĂ©veloppement a trait aux capacitĂ©s de l’enfant de manipuler son entourage. Ces capacitĂ©s ne seraient pas identiques et se dĂ©veloppent en parallĂšle, sinon en dĂ©calage, avec celles qui lui permettent de raisonner sur autrui en Ă©laborant sur les Ă©tats mentaux et croyances de l’autre (les fameuses thĂ©ories de l’esprit Ă©mergeant aux alentours de 4 ans). Le dĂ©veloppement des thĂ©ories de l’esprit est en effet un cas particulier du dĂ©veloppement cognitif de l’enfant
  • 17. Naissance de la co-conscience 115 ayant pour objet autrui comme entitĂ© raisonnable, par opposition Ă  affective. Au-delĂ  de son premier anniversaire, le sens de la dĂ©pendance Ă  autrui exprimĂ© par le bĂ©bĂ© devient toujours plus complexe et difficile Ă  comprendre car souvent dĂ©fiant le bon sens. Faut-il rappeler les communes escapades du bĂ©bĂ© commençant Ă  marcher et qui semble se ruer systĂ©matiquement vers le danger : escaliers, voies routiĂšres, ou autres fourneaux. Ces comportements deviennent rapidement dĂ©libĂ©rĂ©s et plus que de la simple inconscience. Ils provoquent le plus souvent l’intervention paniquĂ©e de l’adulte. Sous la menace de tels comportements, l’adulte se trouve rĂ©duit Ă  porter une attention privilĂ©giĂ©e au bĂ©bĂ©, attention bien sĂ»r convoitĂ©e par ce dernier. Il y aurait donc une valeur adaptative indiscutable attachĂ©e aux comportements de sĂ©duction qui souvent dĂ©fient le bon sens. Par voie de terrorisme affectif, ces comportements exacerbent les contacts sociaux et rendent explicite le degrĂ© d’affiliation du jeune enfant Ă  son entourage. L’attention indivisible d’autrui sur soi est effectivement la marque ultime de l’état de non sĂ©paration ou Ă©tat affectif fusionnel qui est maintenant activement recherchĂ© par le bĂ©bĂ©. Ce type de conduites dĂ©raisonnables (dĂ©raisonnables dans la mesure oĂč typiquement ces conduites se jouent du risque qu’elles encourent au bĂ©bĂ© et qu’elles dĂ©fient la simple logique), marque aussi les dĂ©buts de la sĂ©duction comme processus d’appropriation du regard d’autrui et la construction active d’un espace de co-conscience. Afin d’illustrer mon propos, je rapporte briĂšvement trois observations qui illustrent les dĂ©buts de sĂ©duction active chez le bĂ©bĂ© vers la fin de la premiĂšre annĂ©e. Dans le cadre d’une recherche sur les origines ontogĂ©nĂ©tiques de l’apprentissage par enseignement, nous avons rĂ©cemment Ă©tudiĂ© l’impact de la prĂ©sence et des interventions d’autrui dans une situation de rĂ©solution de problĂšmes plus ou moins difficiles Ă  rĂ©soudre (Goubet, Leblond, Poss, & Rochat 2001). Nous avons systĂ©matiquement observĂ© des bĂ©bĂ©s ĂągĂ©s entre 9 et 18 mois Ă  qui Ă©tait prĂ©sentĂ© un objet attrayant placĂ© sur une couverture en face d’eux sur une table. Un expĂ©rimentateur Ă©tait assis Ă  la droite de l’enfant, lui-mĂȘme assis sur les genoux de sa mĂšre. Pour saisir l’objet ou approcher la boĂźte transparente qui le contenait, l’enfant devait tirer la couverture Ă  soi, tĂąche classique de coordination moyen-but. Piaget (1936) dĂ©crit cette tĂąche comme Ă©tant rĂ©solue aux alentours de 8 mois (voir aussi Frye, 1995). Nos observations montrent qu’effectivement, la grande majoritĂ© des bĂ©bĂ©s de 9 mois parviennent sans dĂ©lai et sans aide Ă  tirer la couverture Ă  soi pour saisir l’objet. Curieusement, et de façon quelque-peu inattendue, nous observons aussi que cette performance est loin de se maintenir chez les bĂ©bĂ©s de 14 et 18 mois. A ces Ăąges, un grand nombre de bĂ©bĂ©s ne tentent mĂȘme pas de saisir l’objet convoitĂ© en tirant la couverture Ă  soi. La majoritĂ© d’entre eux cherchent Ă  saisir l’objet directement avec tout le corps et un bras
  • 18. 116 P. ROCHAT tendu en avant, en apparence totalement aveugles quant au support de la couverture comme outil potentiel. Ce qui est frappant est que dans cette conduite dĂ©raisonnable par rapport Ă  ce qu’il serait en fait capable de faire, le bĂ©bĂ© typiquement se tourne vers l’expĂ©rimentateur en exprimant tant par le geste que par des vocalises, une demande d’aide. En fait, pour le bĂ©bĂ© de 14 et 18 mois, tout se passerait comme si la tĂąche se transformait d’une tĂąche physique individuelle qui est en soi aisĂ©ment solvable, vers une tĂąche sociale d’appropriation active de l’attention et du regard d’autrui. Au-delĂ  de 9 mois, ce qui devient crucial pour le bĂ©bĂ© est d’incorporer autrui Ă  ses jeux et explorations. La solution du problĂšme physique de coordination moyen-but est transformĂ© en un problĂšme social d’assimilation et de contrĂŽle de l’autre. Il est difficile de ne pas voir dans l’émergence de tels comportements la naissance chez le bĂ©bĂ© du souci de crĂ©er un espace de co-conscience, souci qui ne le quittera plus et qui devient la clef de voĂ»te de sa psychologie. Un autre exemple de l’apparition d’un processus actif de sĂ©duction de l’autre dĂšs le dĂ©but de la deuxiĂšme annĂ©e est, me semble-t-il, clairement illustrĂ© par les observations du bĂ©bĂ© de 9,14 et 18 mois faisant face Ă  un expĂ©rimentateur qui systĂ©matiquement mimique les actions que le bĂ©bĂ© effectue sur un jouet (Meltzoff, 1990; Agnetta & Rochat, soumis). On observe que dĂšs 11 mois, mais particuliĂšrement Ă  18 mois, le bĂ©bĂ© commence Ă  systĂ©matiquement tester la mimiquerie de l’expĂ©rimentateur, accĂ©lĂ©rant ou stoppant soudainement ses actions tout en maintenant son regard et en lui souriant. Par cette conduite subtile de jeux imitatif, le bĂ©bĂ© tente de s’approprier le contrĂŽle des actions que l’expĂ©rimentateur produit en fonction des siennes. A nouveau, il s’agit pour le bĂ©bĂ© de crĂ©er un espace de co-conscience oĂč lui et l’autre fonctionneraient au mĂȘme diapason, sur les mĂȘmes bases intersubjectives. Dans ce jeux de maĂźtrise de l’autre, le bĂ©bĂ© dĂ©veloppe une autre forme (toujours plus proactive) de complicitĂ© fusionnelle qui reste l’ultime guide de ses rapports aux autres. Enfin, un autre fait trĂšs parlant des progrĂšs de la co-conscience au cours de la deuxiĂšme annĂ©e est l’apparition des conduites d’embarras aux alentours de 18 mois. DĂšs 2-3 mois le bĂ©bĂ© semble dĂ©jĂ  manifester des comportements qui ressemble Ă  une expression de gĂȘne (sourire avec Ă©vitement du regard) dans le contexte d’une attention soutenue soit par la mĂšre, une personne Ă©trangĂšre au bĂ©bĂ©, ou encore l’exploration de sa propre rĂ©flexion dans un miroir (Reddy, 2000). NĂ©anmoins, c’est vers 14 mois que l’embarras social commence Ă  se manifester d’une façon prĂ©visible et trĂšs marquĂ©e, non seulement dans le contexte d’une attention prolongĂ©e d’autrui sur soi, mais aussi dans le contexte d’une performance ou prĂ©sentation de soi pouvant ĂȘtre Ă©valuĂ©e par autrui. Ainsi, lorsque le jeune enfant d’environ 18 mois commence Ă  manifester de façon explicite une reconnaissance de soi dans le miroir, tentant par exemple d’effacer une marque de peinture qu’il dĂ©couvre sur son
  • 19. Naissance de la co-conscience 117 visage reflĂ©tĂ© dans le miroir (Gallup, 1971; Zazzo, 1981; Lewis & Brooks-Gunn, 1979), l’enfant manifeste aussi des comportements de gĂȘne face Ă  l’image spĂ©culaire de soi. Ces comportements sont trĂšs complexes, allant de la tendance Ă  cacher son visage derriĂšre un bras levĂ©, Ă  l’orientation du regard vers le sol, ou encore un regain d’activitĂ© et de clownerie pour masquer la dĂ©couverte embarrassante rĂ©vĂ©lĂ©e par le miroir (Fontaine, 1992). Il est indĂ©niable qu’à ce stade du dĂ©veloppement, la signification de ces manifestations explicites et non ambiguĂ«s de gĂȘne et d’embarras ne peut ĂȘtre saisie que dans le contexte du dĂ©veloppement de la co-conscience. L’image spĂ©culaire est maintenant non seulement reconnue comme se rĂ©fĂ©rant Ă  soi (le « Moi » identifiĂ© et conceptuel selon William James), mais aussi conçue comme reflĂ©tant le Moi publique, en d’autres termes le moi tel qu’il est potentiellement perçu par autrui. Ce progrĂšs dans la co-conscience de soi ouvre grand la porte du dĂ©veloppement des reprĂ©sentations de l’image de soi projetĂ©e vers autrui et amorce le processus infiniment complexe d’une reprĂ©sentation de l’évaluation de soi par autrui. C’est sur la base de ce processus que peut se dĂ©velopper le sens moral (sens des conduites qui sont socialement plus ou moins acceptables) ainsi que les normes de confiance quant Ă  sa propre acceptation sociale (sentiment d’ĂȘtre plus ou moins acceptĂ© par l’autre) que chaque individu construit selon ses circonstances. C ‘est aussi sur la base de ce processus que l’enfant apprend Ă  collaborer avec autrui dans des Ă©changes didactiques qui se fondent sur une co-conscience de soi en relation avec l’autre. Mais plus important encore, c’est sur la base de ce processus que l’enfant amorce sa carriĂšre de sĂ©ducteur, explorant et exploitant pour le meilleur ou pour le pire les ressources affectives de son environnement social. CONCLUSION: LES RACINES BIOLOGIQUES DE LA CO- CONSCIENCE Dans cet article, j’ai tentĂ© de montrer que la conscience individuelle est un mythe Ă  remplacer par la rĂ©alitĂ© d’une co- conscience : une conscience qui n’est pas individuelle mais au contraire dialogique et partagĂ©e avec autrui. La conscience est en effet avant tout une construction sociale qui est nĂ©gociĂ©e avec autrui, non une construction purement rationnelle (CartĂ©sienne) et individuelle telle qu’elle continue Ă  ĂȘtre trop souvent considĂ©rĂ©e dans les sciences cognitives. Il apparaĂźt que cette construction est un long processus qui se met en place trĂšs tĂŽt dans le dĂ©veloppement, et en tout cas Ă  partir du deuxiĂšme mois avec l’apparition du sourire social. S’il y a un fait incontournable qui devrait ĂȘtre au dĂ©part de toutes thĂ©ories psychologiques, c’est le fait que l’individu vive et se dĂ©veloppe pour et par les autres, non comme une entreprise cloisonnĂ©e et individuelle. De cette prĂ©misse dĂ©coule l’urgence premiĂšre de s’attacher, de s’identifier et de maintenir une proximitĂ©
  • 20. 118 P. ROCHAT maximale avec l’autre, proximitĂ© tant physique que psychique. La fusion dans l’intimitĂ© avec autrui est la force primitive de toutes psychologies, humaine ou non (Dunbar, 1997). Ainsi il apparaĂźt que l’apprentissage culturel et social, tel qu’il peut ĂȘtre observĂ© chez l’homme, le singe et autres mammifĂšres, semble toujours rĂ©pondre aux mĂȘmes besoins de conformisme: la nĂ©cessitĂ© urgente de s’intĂ©grer et d’appartenir au groupe, que ce soit la mĂšre, les proches parents, ou les congĂ©nĂšres. Le primatologiste Frans De Waal a rĂ©cemment proposĂ© que chez l’animal, comme chez l’homme, le dĂ©veloppement psychique de l’individu repose sur un processus fondamental combinant attachement et apprentissage par identification avec autrui (« BIOL » ou « Bonding and Identification-based Observational Learning »). Selon De Waal, ce processus d’apprentissage prendrait son origine dans le dĂ©sir de l’individu d’ĂȘtre comme les autres (De Waal, 2001). On peut rajouter que psychologiquement, ce processus se traduit par une peur fondamentale de la sĂ©paration, mĂšre de toutes les angoisses. TrĂšs tĂŽt dans l’ontogenĂšse et dans la phylogenĂšse, les comportements semblent ĂȘtre dictĂ©s par la crainte et l’évitement Ă  tout prix de l’aliĂ©nation sociale. SĂ©paration, rejet, abandon et Ă©loignement d ‘autrui forment la suprĂȘme menace psychologique Ă  travers les Ăąges et les espĂšces. L’intĂ©riorisation de cette menace comme dĂ©terminant des conduites animales est Ă©videmment ancrĂ©e dans l’évolution biologique, associĂ©e aux nĂ©cessitĂ©es de survie en groupe et fruit d’une sĂ©lection naturelle qui s’étire sur des millions d’annĂ©es (voir par exemple la thĂ©orie biologique de Bolwby sur l’attachement). En ce sens, cette menace suprĂȘme est gravĂ©e dans la machinerie biologique de façon innĂ©e, trouvant diffĂ©rentes expressions selon l’ñge et les idiosyncrasies socioculturelles de chaque espĂšce, Nous avons vu que dĂšs les premiers mois, aidĂ© de façon dĂ©terminante par l’adulte, le dĂ©veloppement psychique du jeune enfant prend forme autour de cette motivation innĂ©e Ă  promouvoir l’antidote de la sĂ©paration qu’est la fusion et l’intimitĂ© avec l’autre. C’est dans ce contexte primordial que naĂźt la conscience humaine, mais probablement aussi la conscience animale en gĂ©nĂ©ral. Cette conscience n’est pas une conscience individuelle sĂ©parĂ©e. Au contraire, elle serait avant tout ancrĂ©e dans un besoin de fusion et de coordination avec autrui. Plus qu’une conscience, j’ai essayĂ© de montrer que dĂšs le deuxiĂšme mois, le bĂ©bĂ© dĂ©veloppe une co-conscience qui lui permet de gĂ©rer activement sa fusion avec autrui. En derniĂšre analyse, il ne faut jamais oublier que c’est avant tout pour la recherche et le maintien de cette fusion intime que notre intelligence travaille. C’est cette recherche d’intimitĂ© qui nous unis et semble donner sens Ă  nos vies. Ce qui change sont les niveaux de complexitĂ© trĂšs variables de son expression Ă  travers les Ăąges, les cultures, et les autres espĂšces animales.
  • 21. Naissance de la co-conscience 119 Bibliographie Agnetta, B. & Rochat, P. (soumis/2001) Imitative games in 9-, 14-, and 18- month-old infants. Infancy. Bakhtin, M.M. (1981) The Dialogic Imagination. Austin: University of Texas Press. Baldwin, J.M. (1884, 1925). Mental development of the child and the race: Methods and processes. London: The Macmillan. Bates, E., Benigni, L., Bretherton, I., Camaioni, L., & Volterra, V. (1979). The emergence of symbols: Cognition and communication in infancy. New York: Academic Press. Bertenthal, B.I. & Rose, J.L. (1995) Two modes of perceiving the self. In P. Rochat (Ed.) The Self in Infancy: Theory and Research. (pp. 303-326). Amsterdam: North-Holland, Elsevier Publishers. Bruner, J.S. (1983). Child's Talk. New York: Norton. Butterworth, G.E. (1995). The self as an object of consciousness in infancy. In P. Rochat (Ed.) The Self in Infancy: Theory and Research. (pp. 35- 52). Amsterdam: North-Holland, Elsevier Publishers. Campos, J.J. & Stenberg, C. (1981). Perception, appraisal, and emotion: The onset of social referencing. In M. Lamb & L. Sherrod (Eds.) Infant sociat cognition: Empirical and theoretical considerations. (Pp. 274- 313). Hillsdale, NJ: Lawrence Erlbaum Associates, Inc. Cenami-Spada, E., Aureli, P., Verbeek, P., & De Waal, F. (1995). The self as a reference point: Can animals do without it? In P. Rochat (Ed.) The Self in Infancy: Theory and Research. (pp. 193-220). Amsterdam: North-Holland, Elsevier Publishers. Cole, M. (1985). The zone of proximal development: where culture and cognition create each other. In J.V. Wertsch, (Ed.). Culture, communication, and cognition: Vygotskian perspectives. (Pp. 146-161). Cambridge, U.K.: Cambridge University Press. DeCasper, A. J., & Fifer, W. P. (1980). Of human bonding: Newborns prefer their mothers' voices. Science, 208(4448), 1174-1176. DeCasper, A. J., Lecanuet, J.-P., Busnel, M.-C., Granier-Deferre, C., & et al. (1994). Fetal reactions to recurrent maternal speech. Infant Behavior & Development, 17(2), 159-164. De Vries, P.I.P., Visser, G.H.A., & Prechtl, H.F.R. (1984). Fetal motility in the first half of pregnancy. (Pp. 46-64). In H.F.R. Prechtl (Ed.) Continuity of Neural Functions from Prenatal t Postnatal Life. DeWaal, F. (1996) Good natured : the origins of right and wrong in humans and other animals. Cambridge : Harvard University Press. DeWaal, F. (2001)The Ape and the Sushi Master. New York : Basic Books. Dunbar, R.I.M. (1997). Grooming, Gossip and the Evolution of Language. London, Faber and Faber. Fernyhough, C. (1996). The dialogic mind: A dialogic approach to the higher mental functions. New Ideas in Psychology, 14, 47-62. Field, T. M., Woodson, R., Greenberg, R., & Cohen, D. (1982). Discrimination and imitation of facial expressions by neonates. Science, 218 (4568), 179-181.
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