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Université Rennes 2 - Haute Bretagne
     Master 2 Langues et Cultures Étrangères et Régionales
                       Aire Anglophone




     Approche systémique des
jeux pragmatiques communicationnels




                          Colin Fay
            Sous la direction de Mr Daniel Roulland
                             2012



                                                             1 sur 140
Remerciements :

                  Je remercie sincèrement Mr Daniel Roulland,
                                  mon directeur de recherche,
pour son soutien permanent ainsi que pour ses conseils avisés,
     sans qui ce mémoire n’aurait jamais pu être porté à terme.




                                                       2 sur 140
Table des matières :

   Avant-Propos!5
     AP.1. Une sémiologie pragmatique!6
     AP.2. Les signes!8
         AP.2.1. Niveaux du signe!9
         AP.2.2. Canaux du signe!11
     AP.3. L’intentionnel et le non-intentionnel!13
   Introduction!15
     I.1. L’impossibilité de ne pas communiquer!16
     I.2. L’incertitude!18
     I.3. Problématique!20
   A. Origines théoriques!21
     A.1. Du code à la pragmatique!22
         A.1.1. L'approche Saussurienne!22
         A.1.2. La théorie du code!23
         A.1.3. L'approche pragmatique!26
     A.2. La pragmatique et la pertinence!29
         A.2.1. La fin de l'opposition langue/parole!29
         A.2.2. Le modèle inférentiel!32
         A.2.3. La pertinence!35
     A.3. L'économie cognitive!39
         A.3.1. La communication comme système!39
         A.3.2. Retour sur l'incertitude!42
         A.3.3. Le modèle économique-efficace!45
   B. Théorie du système communicationnel!49
     B.1. Stimulus et environnement!51
         B.1.1. Stimulus et attention sélective!51
         B.1.2. L'environnement cognitif direct!54
         B.1.3. L’environnement cognitif indirect!56
     B.2. Compréhension, production et sens.!58
         B.2.1. Compréhension et production!58
         B.2.2. Retour sur l'intention!62
         B.2.3. Effets contextuels et sens!65
     B.3. Un système cybernétique!68
         B.3.1. Définition!68

                                                         3 sur 140
B.3.2. Rétroaction et autorégulation!72
      B.3.3. L'imprédictibilité!75
C. Jeux et enjeux!79
  C.1. Le jeu régulier!81
      C.1.1. L'équilibre en communication!81
      C.1.2. La régularité!84
      C.1.3. L'emprisonnement fractal de la régularité!87
  C.2. Le jeu créatif!91
      C.2.1. Le jeu méta-communicationnel!92
      C.2.2. Le cas du mensonge!95
      C.2.3. Le jeu ludique!98
  C.3. Le jeu interférant !101
      C.3.1. Le jeu conversationnel et culturel!102
      C.3.2. Lie Catching!105
      C.3.3. Le jeu émotionnel et pathologique!108
Conclusion!112
Annexes !118
  D.1. Le jeu créatif!120
      D.1.1. Le jeu méta-communicationnel!120
      D.1.2. Le cas du mensonge!122
      D.1.3. Le jeu ludique.!123
  D.2. Le jeu interférant !125
      D.2.1. Le jeu conversationnel et culturel!125
      D.2.2. Lie Catching!126
      D.2.3. Le jeu émotionnel et pathologique!128
Bibliographie !130
  Bibliographie complète!131
  Bibliographie thématique!135
      Théorie de la communication!135
      Théorie des systèmes!136
      Théorie des jeux!137
      Psycholinguistique!138
  Index!140




                                                            4 sur 140
Avant-Propos




               5 sur 140
!      AP.1. Une sémiologie pragmatique
                           « Les délimitations classiques des divers champs scientifiques subissent
                                                      du même coup un travail de remise en cause :
                                des disciplines disparaissent, des empiètements se produisent aux
                                   frontières des sciences, d'où naissent de nouveaux territoires. »
                                                            J.F. Lyotard, La condition postmoderne.


!      Ce mémoire est une exploration du système de la communication et de ses
jeux. Avant d'entrer dans le coeur de cette étude, il est important d'établir les limites
disciplinaires qui entourent un tel travail.


!      L'étude de la communication se situe au croisement de deux «  sous-
disciplines  » des sciences cognitives  : la psychologie cognitive et la sémiologie
pragmatique.
!      Les sciences cognitives sont celles qui cherchent à déterminer « comment un
système naturel (humain ou animal) ou artificiel (robot), acquiert des informations sur
le monde qui l'entoure, comment ces informations sont reportées et transformées en
connaissances, et comment ces connaissances sont utilisées pour guider son
attention et son comportement. » (Lemaire,1999:13)
!      L'étude du comportement communicationnel s'inscrit dans un premier temps
dans la psychologie cognitive, science étudiant les mécanismes fondamentaux de la
cognition humaine, i.e. les fonctionnements de «  l'intelligence  » et de la pensée,
faculté «  mobilisée dans de nombreuses activités, comme la perception, les
sensations, les actions, la mémorisation et le rappel d'information, la résolution de
problèmes, le raisonnement (inductif et déductif), la prise de décision et le jugement,
la compréhension et la production du langage, etc.  » (Ibid:14) Il pourrait sembler de
prime abord que l'étude du fonctionnement de la communication se situe dans
l'étude de la compréhension et la production du langage, pourtant, les activités qui
entrent en jeu lors de la communication sont plus nombreuses, à un point où toutes
ces activités doivent être prises en compte. De fait, chacune de ces activités agit sur
le système communicationnel, et est également affectée par lui.
!      Cependant, prendre uniquement l'optique de la psychologie cognitive pour
rendre compte du fonctionnement du système communicationnel ne permet pas
d'étudier de façon rigoureuse ce système. En effet, bien qu'il faille les prendre en

                                                                                          6 sur 140
considération, les activités cognitives citées plus haut ne doivent pas être analysées
dans leur globalité, mais uniquement dans leur rapport aux signes qui existent dans
un processus de communication. En d'autres termes, l'autre pan de l'analyse se situe
dans l'étude des signes 1 produits lors de la communication, donc une étude
sémiologique de la communication. La sémiologie est définie par Saussure (1995:33)
comme la «  science qui étudie la vie des signes au sein de la vie sociale; elle
formera une partie de la psychologie sociale (…). Elle nous apprendrait en quoi
consistent les signes, quelles lois les régissent.  » La sémiologie étant une science
des signes de manière générale et notre étude limitant ces signes aux signes
employés lors de la communication, il est important de considérer la sémiologie à
travers le prisme de la pragmatique, c'est-à-dire en tant que « science qui traite des
signes (dans leur rapport) à leurs interprètes. » (Armengaud,1999:36) Cette limite de la
sémiologie à travers une étude pragmatique doit être prise dans le paradigme de la
communicabilité qui est le suivant :
« Axiome 1: le sujet parlant, de par son discours, ne peut pas ne pas communiquer.
Axiome 2: toute communication présente deux aspects, le contenu et la relation, tels
que le second englobe le premier.
Axiome 3: toute communication implique la réciprocité, qui est symétrique ou
complémentaire.
Axiome 4: toute communication actualise le système virtuel des significations et
réalise, en même temps, la dépendance de ce système vis-a-vis des conditions de la
communicabilité. » (Paret cité dans Armengaud,1999:103)2


!      L'étude de la communication proposée ici, portant sur la communication et les
jeux communicationnels, c'est-à-dire sur le fonctionnement et le dysfonctionnement
du système, est donc au croisement, à l'intersection de ces deux disciplines,
restreignant le vaste champs de recherche des sciences cognitives : la psychologie
cognitive étant limitée à la cognition liée à la communication, et la sémiologie aux
signes existants et influents en communication.


1 Nous utiliserons dans cette étude le terme sémiologie pour renvoyer à la théorie du signe. Le terme
signe sera utilisé au sens large de « manifestation sémiotique », c’est-à-dire renverra à une
manifestation d’un ou plusieurs signe(s)
2 Les axiomes de ce paradigme ne sont pas développés plus en profondeur ici, leur importance se
révélera tout au long de ce travail
                                                                                          7 sur 140
!     AP.2. Les signes
                                                                      « Ce terme signes, présent dans
                                   des vocabulaires très différents (de la théologie à la médecine)
                                   et dont l'histoire est très riche, (de l'Évangile à la cybernétique)
                                                                  ce terme est par là même ambigu. »
                                                                 R. Barthes, Éléments de sémiologie.


!     Ainsi, notre communication est peuplée de signes, traités cognitivement. Ces
signes sont, pour prendre une définition très large, une unité, une entité au sein du
système communicationnel qui renvoie, qui réfère à un sens. Chaque signe est
composé de deux plans : « le plan d'expression et (...) le plan des
contenus  » (Barthes,1964), renvoyant respectivement au signe en tant qu'entité
physique et au sens de ce signe.


!     Avant de passer au cœur de l'étude des mécanismes du système de la
communication, nous spécifierons d'abord ce que sont ces signes, à travers une
définition des deux pans du signe. Le travail des deux paragraphes qui suivent
permet de donner une définition de l'identité de ces signes, en partant du postulat
que l'existence du signe est conventionnelle, sans pour autant expliquer la nature de
cette convention. Nous suivrons en effet la prémisse scientifique de l'étude d'un
système basée non pas sur une réponse à pourquoi il fonctionne, mais sur une
réponse à comment il fonctionne. Ainsi nous ne verrons pas pourquoi le signe existe,
pourquoi un signe est lié à un sens, mais comment ce signe existe, comment il
fonctionne à travers le système, et comment un signe se lie à un sens. Comme le dit
Douay (2000:66), nous nous intéressons « aux moyens formels, systématisés (...) qui
permettent la communication et non aux choses infinies qui peuvent être
communiquées par leur emploi dans des situations par définition toujours
nouvelles. »




                                                                                            8 sur 140
!         !      AP.2.1. Niveaux du signe
!         Les interlocuteurs communiquent sur deux niveaux. Hermann Parret les
appelle « contenu et relation » (cité dans Armengaud,1999:103). Cependant, pour ne pas
créer un écho qui porterait à confusion avec les dichotomies expression/contenu du
signe, nous allons utiliser une autre terminologie. Le contenu d'Herman Parret est ce
que Gardiner (1989) appelle les choses : il faut ici prendre la notion de «  chose  »
dans le sens large du terme, celui entendu par Gardiner  : il est vrai que notre
discours peut faire référence à du matériel aussi bien qu'à de l’immatériel, et donc le
discours ne fait pas toujours référence aux choses en tant qu'objets concrets. D'un
autre côté, « affirmer que le discours sert à exprimer la pensée, c'est tout simplement
méconnaître le fait que je peux parler du crayon avec lequel je suis en train d'écrire,
de ma maison, de mes livre, etc. » (ibid:27) Il semblerait juste de dire que le discours
exprime des «  pensées sur les choses  », mais cependant rien ne contredit l'idée
qu'un processus cognitif, qu'une pensée soit elle même une « chose », au sens large
où nous l’entendons ici. En effet, le discours courant nous renvoie continuellement à
l'idée que nous parlons de «  quelque-chose  », et il n'y aurait rien d'illogique ou
relevant du contresens d'imaginer la production d'une phrase telle que « une chose
est certaine, c'est que je trouve cela compliqué  » ou «  la réflexion sur ce sujet est
une chose difficile », ou encore « elle a trouvé la solution, je n'avais pas imaginé une
telle chose ».3


!         Affirmer que nous communiquons sur quelque chose pourrait sembler être
l'affirmation d'un rasoir d’Ockham. Cependant, les signes référant aux choses
peuvent revêtir une configuration particulière : les signes peuvent également être
utilisés pour la méta-communication, ou ce qu'Herman Parret ou Watzlawick (1972,49)
appelle relation, c’est-à-dire « la manière dont on doit entendre le message. » De fait,
les locuteurs peuvent communiquer sur des choses, mais aussi sur leur
communication, sur leur interaction, c'est-à-dire qu'ils peuvent communiquer et méta-
communiquer. En d'autres termes, conjointement au discours sur les choses dans un
sens large, les locuteurs communiquent leur(s) point(s) de vue, leur(s) sentiment(s)
sur la communication, c’est-à-dire qu’ils communiquent sur leur interaction, sur la


3   Pour un développement complet de ce point, voir Gardiner,1989:27-32,§8.
                                                                               9 sur 140
relation qu’ils entretiennent l’un avec l'Autre. Nous verrons dans ce travail que cette
méta-communication est liée à l’existence des jeux ainsi qu’aux possibilités
d’ajustements communicationnels : les interlocuteurs en situation de jeu doivent
pouvoir méta-communiquer sur cette situation de jeu, et lorsqu'une communication
sur une chose a échoué, il est nécessaire d'envisager de méta-communiquer afin
d'évaluer les sources de l'échec, en d’autres termes, la méta-communication est ce
qui permet aux jeux communicationnels d’exister, c’est en faisant passer la
pertinence de la communication au niveau méta-communicationnel que l’existence
des jeux est possible et/ou corrigée.


!     D'un point de vue théorique, il pourrait sembler adéquat d'envisager
l'existence d'une méta-méta-communication, c'est-à-dire une communication sur la
méta-communication, ainsi que l'existence d'une méta-méta-méta-communication,
qui serait la communication sur la méta-méta-communication, et ainsi de suite dans
une spirale infinie de niveaux de communication portant sur le niveau précédent. Il
est cependant deux arguments qui viennent contredire cet argument :
!     Premièrement, nous pouvons douter qu'il ait existé ou qu'il existera un cas
empirique dans lequel les interlocuteurs, dans une suite infinie, travailleront à un
niveau infini de communication à propos du niveau inférieur. Deuxièmement, même
si l'on imagine que ces différents niveaux existent, ils reviennent toujours à une idée
d'une communication portant sur une communication de niveau inférieur. Donc,
quelque soit le niveau de méta-communication, il est toujours une communication sur
une communication, et donc entre toujours dans la catégorie de la méta-
communication.




                                                                             10 sur 140
!         !       AP.2.2. Canaux du signe
!         Il serait réducteur de considérer que le système communicationnel traite
uniquement les signes dit « linguistiques »  : de nombreux signes de nature « non-
linguistique » entrent en jeu dans le système. Comme le dit Watzlawick (1972:16-47) :
« les données de la pragmatique ne sont pas simplement les mots, leur configuration
et leur sens (...), mais aussi leurs concomitants non-verbaux et le langage du corps,
(...) un composé fluide et polyphonique de nombreux modes de comportement :
verbal, tonal, postural, contextuel, etc. »
!         Afin de rendre compte des signes comme référant aux choses dans
l’acceptation totale de la définition que nous venons de donner, nous devons les
envisager dans tous leurs signifiants, c'est-à-dire à travers l'ensemble des canaux
qu'ils empruntent : locutionnel, élocutionnel et proxémique.
!         La dichotomie locutionnel/élocutionnel4 est une dichotomie que l'on doit à
Gardiner (1989), qui fut ensuite reprise par Douay (2000). Cette dichotomie est
traditionnellement appelée verbal/non verbal : en termes sémiologiques, le
locutionnel est la catégorie des signes qui relèvent des mots, et l'élocutionnel toute la
catégorie des signes qui ne sont pas des mots, regroupant les signes kinésiques (ou
signes gestuels 5), ainsi que le ton de la voix ou l'attitude corporelle. L'utilisation des
expressions «  locutionnel  » et «  élocutionnel  » permet d'éviter une classification
péjorative de la catégorie des signes élocutionnels. Il est en effet important, dans une
étude d'un système composé de signes, de ne pas mettre une catégorie de signes
de côté, d'accorder un « statut identique à toutes les catégories de signes de la
langue » (Douay,2000:81), ce qui est atteint via l'utilisation d'une terminologie
«  locutionnel/élocutionnel »6. En effet, les signes élocutionnels sont essentiels à la
communication, et pourtant ils sont habituellement relayés au second plan des
études (ce que regrette Gardiner (1989:66) : « les expressions du visage traduisent si
bien l'émotion qu'il eût été dommage de les astreindre à la fonction moins exaltante
de représentation de phénomènes extérieurs »). Ils sont même classés par Gardiner

4Il existe plusieurs expressions pour référer à cette dichotomie, telles que les « syntaxe locutionnelle
et élocutionnelle » ou « forme locutionnelle et élocutionnelle. » Par soucis de simplicité, nous
utiliserons « le locutionnel et l'élocutionnel »
5   Birdwhistell, dans Winkin (2000), parle de « kinèmes »
6   Pour un développement complet de ce point, voir Douay, 2000, chapitre 3.4 p 81-107
                                                                                              11 sur 140
au premier plan de l'interlocution, puisque lorsque les signes locutionnels sont en
conflit avec les signes élocutionnels, ce sont toujours les signes élocutionnels qui
vont être porteurs de sens. Nous citerons ici la répartition faites par Mehrabian de
ces différents canaux lors de la communication :




!      Bien qu'une répartition aussi nette soit contestable et contestée,
particulièrement en ce qui concerne la précision des chiffres, l'idée générale est celle
que nous adopterons.
!      Cette idée d'une centralité de l’élocutionnel est reprise par Douay (2000), mais
également dans les études sur le mensonge effectuées par Ekman (notamment 2009),
pour qui la détection d'un mensonge s'effectue à travers la détection d'un conflit
locutionnel/élocutionnel, l'élocutionnel étant porteur du sens véritable.
!      Il existe un troisième canal par lequel peuvent transiter les signes intervenant
dans la communication, qui est le canal proxémique. Cette dimension de la
communication fut développée par Edward T. Hall (1968), et est devenue la « branche
de la sémiotique qui étudie la structuration signifiante de l'espace humain. » (Fabbri,
1968:5) Ce terme réfère à la perception de l'espace interpersonnel en tant que moyen

de communication, et plus précisément en tant que moyen de méta-communication.
De fait, bien qu'il semble que les espaces interpersonnels ne soient pas interprétés
comme des signes à part entière lorsque l'on traite de la communication, ils sont
pourtant très importants, car ce sont eux qui signifient le degré de la relation qu'un
locuteur considère entretenir avec un autre. Cette observation sera notamment
reprise lors de l'étude du jeu interférant culturel, puisque des signes proxémiques
pourront être facteurs d'incompréhension, de « chocs culturels ».
                                                                              12 sur 140
!         AP.3. L’intentionnel et le non-intentionnel
                                               « On ne peut pas dire non plus qu'il y ait 'communication'
                                                   que si elle est intentionnelle, consciente ou réussie »
                                               P. Watzlawick, Une logique de la communication, p.46-47


!         La tradition de l'étude de la communication ne s'intéresse pour la plupart qu'à
l'analyse des productions volontaires. Pour exemple nous citerons ici Douay,
(2000:65) qui dans son ouvrage, écrit que « doit être considéré comme phrase (…)
tout signe (…) ou ensemble de signes manifestement sous-tendu par une intention
pertinente de communication. » (nous soulignons) Ce n'est cependant pas le point de
vue que nous adopterons ici. Effectivement, les signes traités par le système
communicationnel ne sont pas tous intentionnellement produits, ni même
intentionnellement compris, notamment pour les signes qui sont influencés, produits
par l'existence de certaines émotions.
!         Reprenons le point de vue évolutionniste, développé notamment par Darwin
(2001) : selon cette théorie, il fut indispensable pour la survie de l'homme de pouvoir
signaler les émotions le plus rapidement possible. Par exemple signifier la peur à
travers une expression faciale, et ce avant d'en avoir conscience, fut indispensable à
la survie de l'espèce. Les individus les plus rapides à communiquer leurs émotions
furent ceux qui furent le plus enclins à survivre. Toujours selon cette théorie, tout
élément utile à la survie de l'espèce s'est automatisé au court de l'évolution (Darwin,
2001:43). Ainsi, la signification des émotions étant un élément indispensable à notre

survie, elle fait ipso facto partie de ces processus qui se sont automatisés.
Aujourd'hui, nous avons hérité de cela à travers un contrôle difficile (voir quasi-
impossible) de nos émotions, ce qui nous entraîne à signifier non-intentionnellement
sous l'influence de nos émotions. Par exemple, rougir est un signe universel
d'embarras qui est produit de façon non-intentionnelle, pourtant, bien que non-
intentionnelle, cette manifestation sémiotique sera traitée par le système
communicationnel : l'interlocuteur comprendra ce signe élocutionnel comme
signifiant l'embarras7. Ce point sera particulièrement important pour l'analyse du jeu
communicationnel dû aux émotions.



7   Voir Darwin, 2001, et Ekman et al., 2003
                                                                                              13 sur 140
!     De plus, il est important de noter que l'apparition d'une émotion peut rompre la
continuité de la communication. L'apparition d'un (ou de) signe(s) soudain(s) peut
sembler n'avoir aucun lien direct avec ce qui le(s) précède quand la production et la
compréhension de ce(s) signe(s) sont directement liées à une émotion ressentie par
l'un des interlocuteurs. Prenons un exemple, développé par Ekman (2003), qui est
celui de la frayeur causée par l'approche imminente d'un accident de voiture.
Imaginons une situation dans laquelle nous sommes en voiture avec un ami. Nous
conversons de choses banales, lorsque soudain une voiture apparaît et semble
rouler à contre-sens, et donc se diriger dans notre direction. Soudain, avant même
que cela soit conscient, le passager a de façon réflexe un mouvement d'appui sur un
frein imaginaire, et la conversation est immédiatement interrompue par une
expression de peur d'un ou des deux interlocuteurs, passant de « oui c'est un très
bon film » à « Oh mon Dieu attention ! », accompagné d’une expression faciale de
peur. La production de la première phrase « oui c'est un très bon film » est
intentionnelle, alors que la deuxième phrase « Oh mon Dieu attention ! » est une
production non-intentionnelle. Pourtant, bien que non-intentionnelle, la production de
la phrase n°2 ne peut pas être rejetée en tant que communication. Cette production
non-intentionnelle est due à une réaction de nos «  déclencheurs émotionnels »,
processus réagissant l'analyse infra-attentionnelle constamment exécutée par notre
inconscient, hérité de l'évolution et nous permettant de faire face de façon adéquate
à une situation soudaine.


!     Les signes intentionnels et non-intentionnels sont donc tous deux à prendre
en compte comme influents dans la communication. Malgré un rôle similaire, une
distinction peut être faite entre ces deux types de signes. Cette différenciation est
faite par Grice dans son article Meaning (1957). Il y fait une distinction entre les
signes qui signifient naturellement et les signes qui signifient non-naturellement,
c'est-à-dire entre les signes naturels et les signes conventionnels. Nous reviendrons
plus en détails sur ce point dans le second chapitre de ce travail.




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Introduction




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!         I.1. L’impossibilité de ne pas communiquer

                                     « Tout refus de communiquer est une tentative de communication ;
                                              tout geste d'indifférence ou d'hostilité est appel déguisé. »
                                                                                     A. Camus, L'étranger.


!         Partons du constat fait par Paul Watzlawick (1972:46) :
« on ne peut pas ne pas communiquer : le comportement a une propriété on ne peut plus
fondamentale : (...) (il) n'a pas de contraire. Autrement dit, (...) on ne peut pas ne pas avoir de
comportement. Or, dans une interaction, tout comportement a valeur de message, c'est-à-dire qu'il est
une communication. (...) Un homme attablé dans un bar rempli de monde et qui regarde devant lui, un
passager qui dans un avion reste assis dans son fauteuil les yeux fermés, (...) ne veulent pas qu'on
leur adresse la parole, en général, leurs voisins “comprennent le message” et y réagissent
normalement en les laissant tranquilles. »

!         Ainsi, même refuser de répondre, c'est communiquer (ou méta-communiquer)8
que l'on ne souhaite pas interagir. Nous nous trouvons dans une configuration où
nous devons communiquer dès lors que nous sommes dans une situation
d'interaction avec un Autre, comme le dit Goffman9 : « chaque fois que nous entrons
en contact avec autrui (...) nous nous trouvons devant une obligation cruciale :
rendre notre comportement compréhensible et pertinent compte tenu des
événements tels que l'autre va sûrement les percevoir.  » De ce fait, dans toute
situation d’interaction, les interlocuteurs doivent identifier et choisir les signes qui
seront adéquats pour assurer le bon déroulement de la communication.


!         Cette impossibilité de ne pas communiquer est une propriété qui a été le point
de départ des études psychiatriques sur la communication, notamment la
communication chez les schizophrènes. En effet, l'observation de la communication
chez les schizophrènes a mené à la constatation que les personnes qui souffrent de
ce trouble cherchent à ne pas communiquer, via des formes de « non-sens, silence,
retrait, immobilité (ou silence postural), ou toute autre forme de refus. » (Watzlawick,
1972:48) Or, ces formes de refus sont elles-mêmes des communications,

communiquant le refus de communiquer. Mais ces formes de communications ne se
retrouvent pas uniquement dans les communications chez les schizophrènes. En


8Par soucis de concision pour la suite de l'étude, et sauf indication contraire, l’utilisation du verbe
« communiquer » englobera la notion de communication et de méta-communication
9   Goffman, Façon de parler. Cité dans Blanchet (1996).
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effet, la recherche d'une forme de « non communication », selon l’expression de
Watzlawick (1972), est une configuration qui concerne chaque interlocuteur qui
souhaite communiquer qu'il ne souhaite pas communiquer en annulant la
communication, c'est-à-dire en amenant l’Autre à comprendre que l’interlocuteur ne
souhaite pas coopérer, en faisant passer la pertinence de l’échange à un niveau
méta-communicationnel10 . Cette situation est paradoxale car elle amène à
communiquer le désir de « non-communication », à savoir donc qu'il est impossible
de ne pas communiquer, puisque le stade de non-communication passe par un
premier stade de communication.




10   Nous développerons ce point plus en détails dans la partie C.
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!      I.2. L’incertitude!

                                                                      « Chaque être humain connaît
                                                                  une frange d'incertitude quant aux
                                                                    types de messages qu'il émet. »
                                                              Y. Winkin, La nouvelle communication.


!      Malgré une communication permanente, nous ne sommes jamais dans une
situation où nous pouvons affirmer avec certitude que notre production
communicationnelle a été comprise de façon juste, c'est-à-dire que nous ne pouvons
jamais avoir l’entière certitude de l'efficacité de notre communication.


!      Pour illustrer cette idée, nous utiliserons par analogie l'expérience de pensée
du «  Chat de Schrödinger  ». Bien que cette expérience ait été utilisée afin de
démontrer des propriétés de physique quantique, nous pouvons très bien la
transposer pour illustrer notre propos actuel.
!      Imaginez un chat que l'on a enfermé dans une boite. Avec lui se trouve un
flacon de poison pouvant se libérer à tout moment, de façon aléatoire. Tant que la
boite est fermée, les observateurs de l'expérience ne peuvent pas savoir si le poison
a été libéré ou non, si le chat est vivant ou mort, ce n'est qu'une fois la boite ouverte
que l'expérimentateur peut juger des propriétés de ce qui se trouve à l'intérieur11 . Il
en est de même pour la communication  : tant que le locuteur n'a pas produit les
signes, ceux ci peuvent être efficaces ou non. Cette idée explique pourquoi les
locuteurs se reprennent, ré-expliquent leurs propos, voir même parfois ne se
comprennent pas : ils ne peuvent garantir de l'efficacité des signes tant qu'ils ne sont
pas produits, donc tant qu'ils ne sont pas interprétables et interprétés, et même après
leur production, les interlocuteurs seront incapables d’affirmer de façon certaine de
l’efficacité ou non de leur production. Cela explique également pourquoi certaines
communications sont inefficaces : le locuteur ne peut pas juger entièrement de
l'efficacité de sa production tant que celle-ci n'est pas effective. En d'autres termes,
le processus cognitif de choix des signes (qui s'effectue pré-production) ne permet
pas de juger de façon certaine des signes qui seront efficaces pour communiquer, le



11 Pour les explications précises de cette expérience, voir Schrodinger, 1992, Physique quantique et
représentation du monde
                                                                                          18 sur 140
jugement d'efficacité significative ne pourra être effectué qu'une fois le jugement
retour (c'est-à-dire le jugement de la compréhension de l'interlocuteur) possible.12


!          Cette notion explique l'existence d’un certain type de jeux communicationnels,
car celui qui produit ne peut rendre compte de l'efficacité des signes qu'une fois
ceux-ci produits, ce qui justifie les processus de réajustement nécessaires à la
communication. Le locuteur aura beau faire preuve de tout le zèle possible, il ne
pourra jamais être entièrement sûr (pendant le stade cognitif pré-production) de
l'efficacité de ses propos. Nous reviendrons sur ce point dans la suite de notre
travail.
!          Ce processus d'incertitude est différent de la notion linguistique d'ambiguïté.
En effet, l'ambiguïté concerne la multiplicité de compréhensions possibles d'un signe
particulier. Or un interlocuteur ne produit jamais de signes ambigus pour lui, c'est-à-
dire que les signes qu'il produit sont toujours incertains du point de vue de l'efficacité
mais ne sont jamais ambigus au niveau du sens. La production délibérée d'un signe
que l’interlocuteur sait ambigu pour l’Autre ne sera pas ambigu pour l’interlocuteur,
qui le produit dans un but méta-communicationnel.
!          Ce point sur l’incertitude sera très important pour notre propos, nous y
reviendrons donc plus en détails dans la suite de ce travail.




12Ce jugement retour est possible grâce à un système cybernétique. Cette notion sera développée
dans la partie B.
                                                                                      19 sur 140
!      I.3. Problématique
!     Nous pouvons distinguer deux tâches cognitives lors de la communication : la
compréhension et la production. Le processus de compréhension est celui
permettant, via le processus de l'attention sélective, de combiner code(s), indice(s) et
contexte(s) pour arriver à l'identification du sens, le processus de production est celui
passant du sens aux signes produits.
!     Afin d'aboutir efficacement au but de la communication, les interlocuteurs
doivent s'appliquer au bon déroulement de ces deux tâches. Ce processus
d'application correspond à un effort de pertinence. En effet, si l'on reprend la
définition de la pertinence de Hjørland & Sejer Christensen (2002) « une chose A est
pertinente pour la tâche T lorsqu'elle augmente les chances d'arriver au but G, lui-
même impliqué par T ». Ici, le but G de la communication est la mise en commun par
la création chez l’Autre d’une réaction cognitive, entraînant signe(s) ou acte(s). Les
tâches T sont les processus de compréhension et de production. En communication,
la pertinence est donc l'effort des locuteurs pour optimiser les chances
d'accomplissement des tâches de compréhension et de production.


!     Comment fonctionne le système de la communication ? Quelles sont les
conséquences de la nature de ce système sur l’utilisation qu’en font les
interlocuteurs ? C’est à ces deux questions que cette étude va tenter de répondre.
!     Dans une première partie, nous partirons des prémisses théoriques qui nous
amèneront jusqu'à la théorie que nous développerons et utiliserons ici.
!     La seconde partie sera consacrée à l'analyse des mécanismes du système
communicationnel en tant que système cybernétique, ainsi que sur l'analyse des
deux processus l'articulant, c'est-à-dire les processus de compréhension et de
production.
!     Puis, dans une troisième partie, nous étudierons les cas de jeux dans ce
système, par application et enrichissement de la théorie des jeux.




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A. Origines théoriques




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!          A.1. Du code à la pragmatique

!         !        A.1.1. L'approche Saussurienne


!          Comme le disent Fuchs et LeGoffic en ouverture de leur ouvrage (1996:15), « il
est traditionnel de présenter F. de Saussure comme le "père" de la linguistique 
moderne. » Nous ne manquerons pas à cette « tradition ». Fondateur de la
linguistique en tant que discipline, Saussure est le théoricien qui a posé les
fondations d'une science de la langue. Fondamentalement non pragmatique, son
modèle théorique repose plus particulièrement sur la séparation de la langue et de la
parole, la langue étant un ensemble de conventions et de règles immanentes, « bien
définies » et « homogènes » (Saussure,1995:31-32) partagées par une collectivité
parlante ; la parole, à l'inverse, est une manifestation individuelle et singulière de
cette langue. Il ressort de cette dichotomie que la langue est posée comme unique
sujet de la recherche linguistique, la parole étant relayée à un rang « secondaire » de
l'analyse linguistique, se basant sur l'idée qu'il « faut se placer de prime abord sur le
terrain de la langue, et la prendre pour norme de toutes les autres manifestations du
langage » (Ibid:25)
!          De son étude, Saussure exclut le sujet parlant, « la langue étant (...)
indépendante de l'individu » (Ibid:37), mais aussi toute forme de contexte, qui n'aurait
une place que dans l'étude d’une linguistique de la parole. On se retrouve donc face
à une vision de la linguistique envisagée comme l'étude d'une langue-code idéale,
immanente et instrumentalisée, utilisée par des sujets parlants idéalisés, excluant
tour à tour le sujet parlant ordinaire, le contexte ordinaire mondain ainsi que les
usages ordinaires du langage.13 Et, bien que la dichotomie langue/parole paraisse
plus dialectique qu'absolue (la langue n'existant qu'au travers de la parole),
l'exclusion de ces trois derniers est bel et bien présente dans le Cours de linguistique
générale. De cette conception Saussurienne séparant langue et parole, est née la
théorie du code, que nous verrons ensuite.




13   Liste extraite de Eluerd (1995).
                                                                               22 sur 140
!      !      A.1.2. La théorie du code


!      L'approche Saussurienne fait des signes de simples moyens d'échanges
d'informations à contenus fixes, effectués entre deux locuteurs par le canal
intermédiaire que serait une langue-code conventionnalisée, plus ou moins
universelle au sein de la collectivité représentée par la communauté linguistique à
laquelle appartiennent les interlocuteurs. Cette conception voit la linguistique comme
l'étude d’un code intrinsèquement conventionnel et au sens immanent, utilisé par des
sujets parlants idéaux possédant chacun une copie identique de ce code. Ce modèle
exclut les sujets parlants de l'étude, car ce qui importe est l'analyse du langage codé,
se situant entre les opérations de codage et de décodage. Dans cette conception, le
sujet parlant « émetteur » encode un message qui sera ensuite décodé par le sujet
destinataire « récepteur ». En utilisant cette langue-code, les signes traduiraient
« une activité mentale » qui préexisterait au langage, c'est-à-dire mettraient du sens
dans des structures appartenant à la langue, et seraient utilisés comme
« intermédiaire(s) entre la pensée et le son. » (ibid,1995:156)
!      Ce modèle du code sera schématisé un peu plus tard par Shannon et Weaver
(1948) :




                             C.Shanon & W.Weaver, The Mathematical Theory of Communication.



!      Dans cette perspective du modèle linéaire de la communication, celle-ci est
réduite à la simple transmission d'un message qui est codé par la langue et où
l'échange est fait entre un émetteur « parlant » depuis une source d'information,
utilisant un canal pour faire transiter les signaux, signaux potentiellement perturbés
par un bruit extérieur, et reçus par un récepteur qui l'envoie à sa destination, la
                                                                                 23 sur 140
source et la destination étant les processus cognitifs des locuteurs. Ce modèle du
code, également appelé « Théorie de la transmission » ou « Théorie mathématique
de la communication », bien que d'inspiration beaucoup plus ancienne, fut conçu
pour théoriser les systèmes de télécommunications dans la première moitié du
20ème siècle. Il connut pourtant un succès certain dans les sciences humaines et fut
repris par nombreux linguistes, notamment par Jakobson, avec un modèle qui n'est
pas sans rappeler le schéma de Shanon et Weaver, auquel il apporte quelques
compléments :




                                            R.Jakobson, Essais de linguistique générale (1963).



!      Ce schéma est le modèle classique de l'étude de la communication en tant
que codage et décodage, la définissant comme l'étude formelle de ce mouvement
encodage-décodage, échangé entre le « destinateur » et le « destinataire ». Tel deux
tennismen s'échangeant une balle sur un court de tennis, les interlocuteurs sont ici
vus comme s'échangeant à tour de rôle des « bulles de signification ». Dans un tel
schéma, « les messages sont représentés comme des contenus insérés dans des
mots, phrases, textes (contenants), transmis d'un émetteur à un récepteur, puis
décodés par un processus inverse à celui de l'émission. » (Moeschler,1994:16) De
nouveau, ce modèle présente la communication comme le codage d'un message par
un code connu identique chez tous les sujets parlants cette langue, et perpétue la
supériorité du code, de la langue sur le discours, excluant de l'étude de la
communication le sujet parlant en contexte mondain ordinaire ; un modèle où « les
paramètres du sujet et de la variation (ont été) évacu(és) de la "langue", en les
reléguant à la "parole". » (Fuchs&LeGoffic,1996:9)


!      On retrouve ce type d'exclusions dans la grammaire générative, théorisée par
Chomsky, et postulant l'existence d'un « code qui associe une représentation
sémantique à une forme phonologique » (Sperber&Wilson,1989:22) organisant le

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langage en profondeur. Bien que faisant un premier pas vers l'inclusion des
locuteurs, son approche n'en reste pas moins une approche typiquement codique.
En effet, la communication fonctionnerait par une mise en opposition de deux
idiolectes intériorisés par les interlocuteurs, structures appartenant à une langue-
code intériorisée, dans lesquelles les locuteurs viendraient injecter du sens avant de
le transmettre par le schéma de transmission d'informations. La théorie générativiste
renferme donc bel et bien, malgré ce qui pourrait sembler être un premier pas vers la
pragmatique par l'inclusion du vis-à-vis des interlocuteurs, le modèle de la langue-
code, qui se retrouverait dans un catalogue de « structures profondes », utilisées par
les locuteurs, sans tenir compte de la situation d'énonciation.


!      Tous ces schémas fondent le sens d'une communication sur sa construction
grammaticale correcte ainsi que dans sa vériconditionnalité, c'est-à-dire qu'un
énoncé ne peut avoir de sens qu'à condition qu'il respecte une grammaire (un code
intériorisé de grammaticalité) correcte, et qu'il exprime des arguments qui puissent
être vérifiés/confirmés, ou falsifiés/infirmés. En d'autres termes, une proposition a du
sens, et donc peut passer le schéma transmettant l'information, si et seulement si
cette proposition est grammaticale et « vraie ». (Eluerd,1985:26-29)


!      Pour utiliser une métaphore sportive, où l'on comparerait l'analyse linguistique
à une analyse d'un match de tennis, on aurait avec cette théorie du code une
analyse qui n'aurait pour objet que l'analyse des mouvements de la balle, de laquelle
serait exclue l'importance des joueurs (qui ne feraient que suivre des règles), ainsi
que l’importance du matériel qu'ils utilisent ou encore du terrain sur lequel ils jouent.
On voit dans ce type de modèle l'exclusion directe de la parole au profit de la langue,
et donc par le même biais du sujet parlant, préférant laisser l'utilisation de la langue-
code à des locuteurs idéaux théoriques. On constate également l’exclusion du
contexte, l'affirmant comme extra-linguistique et donc ne devant pas figurer au sein
de l'étude linguistique, ainsi que l’exclusion du langage ordinaire. On donne
principalement pour motivation à cette supériorité de la langue l'idée d'un rejet
nécessaire du langage ordinaire qui serait trop complexe et désordonné, nébuleuse
qui ne pourrait satisfaire les exigences de théorisation scientifique, justification que la
pragmatique va prendre à contrepied.

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!       !      A.1.3. L'approche pragmatique


!      La conception pragmatique de la linguistique (terme utilisé pour la première
fois par Morris (1938), la définissant comme l’étude de « la relation du signe14 à ses
interprétants »), s'oriente dans une direction totalement opposée. Comme le résume
Blanchet (1995:9), la question que se posent les chercheurs en linguistique
pragmatique est : « comment le langage (...) produit de la signification, c'est-à-dire
des effets, dans le contexte communicatif de son utilisation par les locuteurs. » C'est
la conception qui sera suivie dans notre travail.


!      Malgré son opposition théorique, il serait incorrect de dire que la pragmatique
s'est développée en réaction à la linguistique du code. En effet, les linguistes de
cette école de pensée exposent leurs idées depuis la même période, « en même
temps, mais avec un développement retardé. » (Eluerd,1985:31) Nous pouvons
regrouper dans cette approche des théoriciens tels que Pierce (1958), Wittgenstein
(1921) ou Gardiner (1932)15 , et à leur suite Morris (1938), Ducrot (1980), Austin (1962)
ou encore Searle (1972), cette liste étant bien sûr loin d'être exhaustive. Les
prémisses de ces études se situent dans une non-acceptation de la dichotomie
langue/parole, qui imposait une supériorité hiérarchique de la langue sur la parole,
excluant de ce fait le langage ordinaire, le contexte mondain, ainsi que le sujet
parlant ordinaire. Cette opposition théorique n'invite pas à défaire la hiérarchie et à la
renverser, mais plutôt à la prendre comme non pertinente dans l'étude de la
communication de par son décrochage théorique de la réalité empirique. Plutôt que
de postuler la base de l'étude de la communication sur l'étude d'une langue-code
parfaite et idéale, utilisée comme intermédiaire entre deux sujets parlants idéaux,
cette approche pose ses fondations dans l'étude des actes de langage ordinaires,
utilisés en contextes réels par des sujets parlants ordinaires.

14Nous rappelons que l’usage que nous faisons du terme « signe » est à prendre au sens large, c’est-
à-dire en tant que manifestation sémiotique d’un ou plusieurs signes.
15 Égyptologue de formation, à l'influence sous-jacente sur le développement de la pragmatique, son
ouvrage The Theory of Speech and Language fût publié à Oxford en 1932. Il y développe une analyse
des « actes de langage ordinaires », à contrecourant des théories de l'époque. Nous pouvons
considérer a posteriori son ouvrage comme pionnier dans l'analyse linguistique pragmatique.
L'ouvrage que nous utiliserons et citerons ici est l'ouvrage traduit et introduit par Douay, publié en
1989 aux Presses Universitaires de Lille
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!      Comme nous venons de le dire, la linguistique pragmatique, au travers d'une
critique de l'artificialité des théories et des exemples canoniques de la linguistique
« classique », pose ses fondations dans l'étude du langage ordinaire. Cette prise de
position en faveur du langage ordinaire suppose des fondations théoriques aux
antipodes de celles de la théorie du code, notamment en ce qui concerne l'obtention
du sens. Puisqu'elle impose une relation stricte dans le signe entre le signifiant
(matière acoustique) et le signifié (concept), la théorie du code impose l'obtention du
sens à travers le signe aux seules conditions que l'énoncé soit grammaticalement
correct, ainsi que possiblement réfutable ou confirmable, le sens reposant donc sur
la vériconditionnalité de l'énoncé. Le rejet de la centralité de la vériconditionnalité est
fondamentale à la pragmatique, et se retrouve notamment dans la Théorie des actes
de langage, développée dans un premier temps par Austin (1962), et à sa suite par
Searle (1972). Nous pouvons retrouver dans cette théorie l'opposition entre les actes
à valeur descriptive, qui eux sous-tendraient une idée théorique de
vériconditionnalité, et les actes à valeur performative, qui eux ne sous-tendraient pas
cette idée : ces derniers sont des manifestations sémiotiques qui, par leur
énonciation, accomplissent un acte. Ils ne sont ni vrais, ni faux et ne décrivent rien,
ils existent uniquement au travers de l'accomplissement performatif par le sujet
parlant. Ce point de vue sur les conditions de vérité est également réfuté par Ducrot
qui, parmi d'autres, affirme que « ce dont parle le locuteur existe réellement ou non
ne change rien au fait qu'il en parle et qu'en parlant, il fait comme si cette existence
allait de soi. » (Eluerd,1991:103) Cette affirmation admet donc que le sens d'une
proposition ne se trouve pas dans ses valeurs de vérité mais dans l'usage qui en est
fait, dans l'habitude que cet usage crée. Ainsi, « une expression du langage n'a de
sens que dans la mesure où nous pouvons en faire un certain usage. » (ibid:144) Le
sens à travers l'usage n'exclut bien sûr pas l'importance de la vérité dans la langue,
mais cette vérité n'est pas obtenue par une vérité immanente dans la relation
signifiant/signifié, mais par l'usage qui est fait d'une forme sémiotique, par le jeu de
langage au travers duquel le signe existe dans le langage ordinaire. Comme le dit
Gardiner (1989:257) « le discours fait référence à des choses réelles et imaginaires
avec une stricte impartialité.  » Ce qui légitime l'existence discursive d'un signe est
son acceptation mutuelle d'existence à l'intérieur du discours, non pas les conditions
de vérité auxquelles il satisferait.

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!      Cette légitimation du sens par l'usage plutôt que par une justification logique
est très importante. En effet, la linguistique pragmatique ne s'intéresse pas aux
conditions de vérité d'un signe comme renfermant « le » sens : dans l'optique
pragmatique, ce sens est obtenu à travers l'usage qui est fait au sein de la
communauté linguistique par les usagers du langage dont il est question. Cette idée
est très importante pour notre développement lorsque nous aborderons l'étude des
jeux de langage : les jeux de langage ne trouvent pas leur sens (ou leur non-sens) à
l'intérieur de la confrontation des conditions de vérité du signe, mais dans une
confrontation de l'usage, de l'habitude qui existe de ce signe. Lorsqu'un locuteur se
trouve face à un signe qui lui parait ne pas faire sens, ce n'est pas parce qu'il ne
parvient pas à obtenir le raisonnement logique et/ou vériconditionnel qui sous-tend
cette séquence particulière, mais bien parce qu'il n'arrive pas à faire converger le
signe reçu avec une habitude, un usage de ce signe.


!      Pour reprendre l'analogie sportive, l'approche pragmatique prend le contrepied
de ce qu'était la théorie du code. La pragmatique vient pour analyser non pas le
déroulement d'un match idéal entre deux joueurs idéaux mais le déroulement d'un
match effectif, c'est-à-dire non pas l'analyse des coups qui suivraient des codes de
jeux, idéalisant les mouvements des joueurs en les définissant selon leur vérité ou
non, mais l'analyse des coups qui existent dans le déroulement réel d'un match, et
donc l'analyse des actes durant le match, légitimés en tant que coup par leur
existence, et non pas par leur concordance effective ou non à un code qui
préexisterait au jeu, ou par leur déroulement idéal.
!      Ainsi, la langue-code, parfaite et idéale, outils hypothétiquement adéquat à
l'étude linguistique, se légitimerait par une capacité à faire face aux prétendues
imperfections du langage ordinaire. Cependant, ce langage ordinaire n'est-il pas celui
qui est parfait, et le langage idéal porteur d'imperfection, puisque c'est ce même
langage parlé ordinaire qui a survécu et s'est adapté tout au long de l'évolution
humaine, ayant permis à l'homme de faire face aux innombrables situations de la vie
quotidienne et de se développer intellectuellement ? N'est-ce donc pas, si l'on suit
cette idée, la langue-code idéale que nous devrions considérer comme imparfaite,
puisque incapable d'envisager une utilisation empirique ? Nous envisageons que
cela est le cas, et la suite continuera d'aller dans ce sens.

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!      A.2. La pragmatique et la pertinence

                                                               « It is not what you said that matters
                                                              but the manner in which you said it. »
                                                                             William Carlos William.

Note : alors qu'il s'agissait d'un déroulement et un renversement de point de vue théorique dans la
partie A.1, nous donnerons ici non pas un changement, mais un affinement de la théorie pragmatique.
Dans la dernière partie, nous développerons notre propre modèle.


!      !       A.2.1. La fin de l'opposition langue/parole


!      Nous avons vu que la théorie du code, reposant sur l'opposition langue/parole,
engendre un certain nombre d'exclusions. Par la prise de position en faveur de
l'analyse du langage ordinaire, la théorie pragmatique vient mettre fin à cette
opposition, et donc aux exclusions qui lui était inhérente. C'est la fin de ces
exclusions que nous verrons ici.


!      La théorie pragmatique se base sur un rejet de la notion de monologue, c'est-
à-dire une prise en compte de l'ensemble des interlocuteurs. Fondamentalement, « il
n'y a de pragmatique possible qu'avec la prise en compte effective des
interlocuteurs. » (Eluerd,1985:189) Gardiner (1989) pose rapidement cette prémisse
dans son ouvrage, dès le §7, intitulé « L'origine sociale de l'acte de langage :
l'auditeur » dans lequel il soutient que « le développement du langage suppose
nécessairement un emploi délibéré de sons articulés dans le but d'influencer la
conduite d'autrui. » (25) Nous pouvons en effet douter que le langage ne serve qu'à
l'expression d'une vie mentale intérieure et personnelle. En effet, pourquoi l'homme
utiliserait-il un discours aussi complexe pour exprimer quelque chose que ses
pensées suffisent à exprimer pour lui-même ? Pour reprendre la question posée
juste avant cette partie, le langage ordinaire est celui qui a fait face aux innombrables
situations humaines, celui qui a permis de passer, au cours de l'évolution, des cris
primaires au langage complexe qu'on connait à l'homme d'aujourd'hui. C'est donc
dans un but coopératif de développement social et collectif que l'homme utilise le
discours. À travers l'approche pragmatique, communiquer n'est plus utiliser un code
pour transmettre une information sur les pensées qui sont propres à un individu,

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mais bel et bien prendre part à un discours dialogique en vue d'influencer un
interlocuteur, au travers d'un effort réciproque de coopération pour faire émerger une
inter-compréhension, une mise en commun du sens. Ainsi, le langage a pour fonction
première, non pas d'exprimer les « méditations intellectuelles » de l'individu, mais
d'entrer en contact avec l'Autre. Comme le souligne Gardiner (1989:24) : « dans bon
nombre de cas, on ne parle de rien en particulier. » Le langage est donc
fondamentalement dialogique, le dialogisme étant, selon la définition de Jacques
(1979 cité dans Douay,2000:36) « la distribution effective de l'énonciation sur deux
instances énonciatives, lesquelles sont en relation communicative actuelle. » Avec la
théorie pragmatique, l'essence du langage est la communication, cette
communication passant par l'entrée en interaction de deux (ou plusieurs) individus
qui ne sont plus émetteur et récepteur mais interlocuteurs, interactants ou encore co-
énonciateurs, cette même interaction étant le but premier de la communication : au-
delà de la communication sur les choses, l'homme communique également, et
parfois uniquement, afin d'entrer en contact avec l'Autre. De ce fait, le but de
certaines communications se trouve dans l'entrée en contact et dans l'établissement,
la modification et/ou l'affirmation d'une relation sociale avec autrui. Pour résumer, ce
qui pousse un individu à la parole, ce n'est pas uniquement la transmission
d'information(s) concernant l'expression de ses pensées, mais bien majoritairement
l'entrée en contact avec autrui dans une situation interactive de communication
ordinaire, le positionnement d'un acte de langage individuel vis-à-vis de celui de
l'Autre. Il devient impossible d'ignorer l'importance qu'a le contexte dans l'interaction.
!      Ignorer le contexte dans lequel le signe se produit revient à prêter à toute
manifestation sémiotique un lien immanent entre le signe et le sens auquel il renvoie,
inséparable et irréductible, indépendant de tout contexte, définissant le signe comme
un signe-étiquette posé sur chaque chose. C'est l'optique inverse que la théorie
pragmatique suit, qui est l'optique selon laquelle tout acte de langage « a lieu dans
un contexte défini par des données spatio-temporelles et socio-historique. » (Fortin,
2007:111) La prise en compte du langage ordinaire dans cette théorie suppose

d'accepter que chaque signe, dans son énonciation ordinaire, est dépendant du
contexte dans lequel il se trouve, en ce sens qu'il est influencé par le contexte, et en
même temps le modèle. Le signe n'apparait plus comme transparent, ce n'est plus
un signe-étiquette, car «  potentiellement, tout mot qui est prononcé peut faire

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référence à l'univers entier.  » (Gardiner,1989:51) Cette importance du contexte se
trouve dans l'analyse que Benveniste (1966) fait des pronoms personnels : si l'on ne
considère pas le contexte dans lequel apparaît la communication, à quoi renvoient
les pronoms je et tu ? En effet, les pronoms personnels ne peuvent être classés dans
la catégorie des signes-étiquettes, puisque ce sont des signes qui renvoient à un
« extra-linguistique » constamment renouvelé dans chaque contexte, tout comme le
sont des signes tels que ici et maintenant. Ducrot, quant à lui, distingue la phrase
comme « être linguistique abstrait » de l'énoncé « occurrence particulière, unique,
(...) réalisation concrète de la phrase dans une énonciation » (Ducrot,1979 cité dans
Eluerd,1985:97). Nous retrouvons un développement plus radical chez certains

penseurs avec un refus de l'existence possible d'un sens littéral qui existerait « hors
contexte ». Ce rejet d'un sens littéral « hors contexte » qui existerait au sein de la
langue, abstrait indépendant de toute circonstance contextuelle, se rencontre chez
Gardiner, à une période antérieure à la théorie de Ducrot, et à la suite de Ducrot
chez Searle. Dans son article Le sens littéral, traduit dans Sens et expression en
1982, Searle annonce qu'il contredira « l'idée que, pour toute phrase, le sens de la
phrase peut être interprété comme le sens qu'elle a quand elle est prise hors de tout
contexte. » Searle, et Gardiner avant lui, défendent l'importance du contexte dans la
création du sens, puisque ce sens est obtenu via la mise en relation des signes et
des informations d'arrière plan, en d'autres termes, le signe sert de complément aux
éléments d'arrière plan, et avec le signe, les interlocuteurs « ne disent pas tout »,
mais uniquement ce qui est nécessaire pour compléter cet arrière plan, chacun
mettant en place une stratégie inférentielle de compréhension. C'est cette stratégie
inférentielle qui sera développée dans la partie suivante.


!     Pour continuer l'analogie sportive, considérer l'étude du langage au travers du
prisme de la pragmatique revient à analyser l'échange des deux joueurs d'un match
de tennis, en analysant leurs coups réels, empiriquement effectués sur un court de
tennis particulier, en envisageant que les conditions de jeu influencent la façon dont
jouent les deux adversaires/partenaires et qu’aucun coup ne peut se faire hors du
terrain. Cela revient aussi à envisager que chaque joueur adapte son jeu en fonction
du terrain et des conditions de jeu dans lequel il se trouve, mais aussi de la façon
dont il souhaite que son coup atteigne son adversaire/partenaire.

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!       A.2.2. Le modèle inférentiel


!       À la suite de l'étude pragmatique et de la fin de la dichotomie langue/parole, la
prise en compte du sujet parlant et du contexte fut approfondie par Grice et les
théoriciens à sa suite, avec le concept de coopération, d'inférence ainsi que les
maximes conversationnelles. On retrouve chez Gardiner un développement qui n'est
pas sans annoncer les théories ultérieurement développées par Grice.


!       Gardiner (1989) donne un rôle aux signes qui est différent de celui du rôle qui
leur est donné dans la théorie du code. À l'inverse d'un signe-étiquette vu comme
l'expression d'une pensée, l'existence d'un signe est envisagée comme un indice
nécessaire pour compléter le vide communicationnel laissé par le contexte. En
d'autres termes, le signe est utilisé afin de combler ce que le contexte d'interaction
ne « dit » pas :
Les mots sont choisis après une évaluation très précise de leur intelligibilité ; plus la chose dont on
parle est éloignée, plus on devra fournir d'indices afin de permettre son identification. En revanche, si
la situation est la même pour le locuteur et pour l'auditeur du point de vue temporel et spatial, un seul
mot ou indice suffira souvent à l'identification. (...) Les mots ne sont que des indices, la plupart des
mots ont un sens ambigu et, dans chaque cas, la chose-signifiée doit être découverte dans la
situation, par l'intelligence vive et active de l'auditeur. (1989:51,§16,nous soulignons)

!       Il est important de noter dans cet extrait la notion d'indice et d'intelligence vive
et active de l'auditeur. On retrouve à travers ces deux idées l'importance de la
situation d'énonciation dans la communication : dans un contexte précis, les
interlocuteurs ne codent pas une pensée en un signe transparent pour le transmettre
à l'Autre qui viendra le décoder. Ici, l’interlocuteur produit le signe en tant qu'indice de
sens, complétant la situation d'énonciation, afin que l’Autre découvre, infère la chose-
signifiée. C'est-à-dire qu'une situation contextuelle fournit des indices, qui, s'ils ne
sont pas suffisants pour la communication, vont être complétés par des signes.
Prenons un exemple concret. Deux amis sont chez l'un en pleine discussion. Celui
qui est reçu a terminé son verre. Celui qui reçoit va donc lui en proposer un nouveau.
Il peut le resservir directement, mais aussi lui proposer, par un simple signe
élocutionnel montrant la bouteille ou encore en lui disant « Un autre ? » Ici, nous le
voyons bien, nous ne sommes pas dans une situation de phrases ou de signes qui
pourraient être vus comme elliptiques, où le complément serait fourni par des signes
tronqués. Au contraire, ce qui fournit le complément, c'est le contexte. Tout dans le
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contexte est indice de ce que l'hôte souhaite signifier, et le signe qu'il produit est un
complément d'indices de ce que la situation d'énonciation ne possède pas. Dans la
conception de Gardiner, ce qui guide la production d'un signe, ce n'est pas la
transformation d'une pensée en signe(s) via un code, mais bien une « visée
communicative » (Douay,2000:45) du signe. Ce qui légitime l'utilisation d'un signe est le
fait que l'interlocuteur reconnaisse que le locuteur communique à travers ce signe.
Les interlocuteurs sont dans une situation de coopération pour trouver un accord sur
le sens, plutôt que dans une situation de codage-décodage.


!         Ainsi, Gardiner souligne, bien avant Grice, l'importance de la coopération dans
la communication. Nous retrouvons cette notion chez Grice, qui la formalise
notamment dans deux de ses articles Meaning (1957) et Logic and Conversation
(1975). Dans son premier article, il développe l'idée que le sens est obtenu grâce à la
reconnaissance par l'interlocuteur des intentions communicatives du communicateur.
Il y fait la distinction entre les signes signifiant naturellement et ceux signifiant non-
naturellement, c'est-à-dire produits intentionnellement et non-intentionnellement. Ce
qui fait qu'un signe puisse signifier non-naturellement, donc par convention, c'est
l'effort du locuteur pour rendre explicite son intention de produire un effet à travers ce
signe, et en retour la reconnaissance par l'interlocuteur de cette intention de
communiquer, c'est-à-dire une capacité à communiquer et à méta-communiquer (à
communiquer que l'on communique).16 Nous retrouvons également chez Grice
(1975), l'approche des signes comme indices de l'intention communicative : lorsque
un auditeur reconnait l'intention qu'a le locuteur de communiquer, il va chercher à se
représenter ce que le locuteur veut communiquer. Les interlocuteurs possèdent la
capacité de se représenter ce que Grice (1975) appelle les « implicatures
conversationnelles ». Nos conversations n'étant pas « une succession de remarques
décousues », mais un « effort coopératif » 17, l'interlocuteur a donc toutes les raisons
de s'attendre à ce que le locuteur lui fournisse les indices nécessaires, qui, une fois
mis en parallèle avec le contexte, l'amèneront à la compréhension du sens. D'après
Grice, ce « principe coopératif » trouve en lui l'accord des interlocuteurs sur un

16   Nous avons déjà abordé cette question dans l'avant propos AP.2.
17 Grice,1975:45: « Our talk exchanges do not normally consist of a succession of disconnected
remarks, and would not be rational if they did. They are characteristically, to some degree at least,
cooperative efforts. »
                                                                                          33 sur 140
certain nombre de principes, appelés maximes conversationnelles, qui sont au
nombre de quatre : la quantité (faites que votre contribution contienne autant
d'informations que nécessaire, mais pas plus), la qualité (faites que votre contribution
soit vraies), la relation (soyez pertinent) et la manière (soyez clair)18. Partant de la
présomption que chaque interlocuteur est implicitement en accord sur ces maximes,
et que la violation d'une maxime aura un effet particulier producteur de sens, tout
signe est donc indice qui permet à l'interlocuteur d'inférer ce que le locuteur a voulu
signifier. Par exemple, si la réponse à la question « À quelle heure viens-tu ? » est
« Dans l'après-midi ! » le premier pourra inférer de la réponse du second que celui-ci,
adhérant au principe de coopération, ne donne pas plus d'informations car il ne les
possède pas et n'est pas capable de donner une heure précise. Il infère donc, en
mettant le signe en relation avec le contexte, et à travers les maximes
conversationnelles, ce que le locuteur a voulu signifier. Pour résumer, les deux
interlocuteurs coopèrent implicitement pour se comprendre à travers l'acceptation de
l'implicature que composent les quatre maximes, cette implicature conversationnelle
qu'est le principe de coopération étant un accord sur un ensemble de « principes de
conversation » à respecter dans le discours.
!      Le modèle que nous venons de voir est appelé « modèle inférentiel » puisqu'il
base l'obtention du sens sur l'action de reconnaissance par l'interlocuteur des indices
laissés par le locuteur, indices qui, une fois mis en parallèle avec le contexte et
l'ensemble de l'implicite du discours, permettent d'inférer des conclusions qui sont
logiquement impliquées par le contexte, selon ce modèle, « communiquer, c'est
produire et interpréter des indices. » (Sperber&Wilson,1989:13)
!      Fondamentalement, ce qui distingue l'analyse gricéenne des autres théories,
c'est de suggérer que la reconnaissance de l'intention de communication puisse
suffire à l'existence d'une communication, et donc qu'il puisse exister une
communication uniquement inférentielle. Sperber et Wilson, dans leur ouvrage La
Pertinence (1989), vont reprendre ces théories développées par Grice et Gardiner,
mais ne retenir qu'une seule des quatre maximes, englobant toutes les autres :
« soyez pertinent ».




18
 Nous n'avons pas développé les sous-maximes propres à chacune, qui sont des explicitations de la
maxime générale.
                                                                                      34 sur 140
!       !       A.2.3. La pertinence


!       De Grice, Sperber et Wilson, garderont plusieurs principes : le principe
d'expression et de reconnaissance de l'intention communicative, le principe
d'inférence ainsi que celui de coopération. Cependant, ils ne reconnaissent pas à ce
principe de coopération un ensemble strict de maximes qui seraient partagées par
les interlocuteurs, mais au contraire voient ces maximes comme pouvant se résumer
à une seule d'entre elle : « Soyez pertinent ». De plus, on ne retrouve pas dans leur
travaux une distinction aussi nette entre le modèle du code et le modèle de
l'inférence. En effet, « la communication verbale met en jeu à la fois des processus
de codage et des processus inférentiels. » (ibid:13) Dans leur théorie, ils reprennent le
modèle inférentiel de la communication développé par Grice, afin de l'insérer dans
une théorie qui reconnait la communication comme intégrant du code, mais en tant
que partie intégrante d'un système inférentiel, et donc un système où la
compréhension est une phase de décodage d'une forme logique linguistiquement
codée, livrant des possibilités d'interprétation, qui, une fois enrichies par le contexte,
permettent à celui qui comprend d'inférer des conclusions hypothétiques sur
l'intention communicative du locuteur19 . Comme ils l'écrivent (ibid:55) : «  les
hypothèses de Grice peuvent constituer le point de départ d'une telle analyse
théorique. À cet égard, la principale faiblesse des hypothèses de Grice n'est pas de
définir la communication de manière trop vague, mais d'en proposer une explication
trop pauvre.  » En effet, le modèle gricéen, bien qu’entièrement pragmatique, est
toutefois lui aussi critiquable, puisqu'il revient à considérer qu'un joueur joue en
analysant uniquement les intentions de jeu de son partenaire. La théorie de la
pertinence remet aussi en cause la nécessité de suivre des maximes aussi strictes,
ainsi que l'utilisation délibérée d'une violation ou d'une déviance d'une ou plusieurs
maxime(s) afin de produire du sens. Ce qui fait sens, ce n'est pas le respect ou non

19 Sperber&Wilson (2004) :« An utterance is a linguistically coded piece of evidence, so that verbal
comprehension involves an element of decoding. However, the linguistic meaning recovered by
decoding is just one of the inputs to a non-demonstrative inference process which yields an
interpretation of the speaker's meaning. » Wilson&Sperber (1993:1) : « a modular decoding phase is
seen as providing input to a central inferential phase in which a linguistically encoded logical form is
contextually enriched and used to construct a hypothesis about the speaker's informative intention. »
Il est important de constater ici que le décodage ne concerne pas un signe-étiquette, mais bien une
forme logique. L'inférence suppose une capacité humaine méta-représentationnelle : les
interlocuteurs sont capables de se représenter les représentations mentales de l'Autre.
                                                                                                35 sur 140
de ces maximes, mais plutôt la coopération mutuelle pour signifier de façon optimale
la pertinence d'un énoncé.20
!       La communication humaine est donc un processus guidé par une recherche
de la pertinence optimale. La recherche de la pertinence n'est pas propre à la
communication, mais à l'ensemble des processus cognitifs humains. Dans
l'ensemble, tout processus cognitif humain cherche à optimiser sa pertinence. Un
input est maximalement pertinent lorsqu'il crée un maximum d'effets pour un
minimum d'effort cognitif. Ce qui fait la pertinence d'un stimulus au sein de la masse
de stimuli disponibles est ce rapport effet/effort, à savoir que plus un stimulus a
d'effets et moins il nécessite d'effort cognitif de traitement, plus celui-ci sera pertinent.
Pour qu'un stimulus soit pertinent, il faut que l'effort cognitif qu'il entraine soit justifié
par l'effet cognitif qu'il crée. Ainsi, tout système cognitif humain cherche à optimiser la
pertinence, non pas par choix, mais suite à son évolution. La communication,
processus majoritairement cognitif, ne déroge pas à cette règle. Lors d'un échange
interlocutif, est considéré comme pertinent tout input dans le système qui, après
avoir été mis en relation avec son arrière plan cognitif ainsi qu'avec le contexte
d'énonciation, permet une inférence chez un interlocuteur et crée les effets cognitifs
désirés, également appelé « effets cognitifs positifs ». Lorsqu'ils communiquent, les
interlocuteurs sont dans un système coopératif où chacun fait un effort pour
comprendre et pour se faire comprendre. Ainsi, connaissant la tendance de chacun à
maximiser la pertinence, ils sont amenés à produire un signe qu'ils considèrent
comme assez pertinent pour permettre à l'Autre de faire appel aux informations
d'arrière-plan de la situation d'interlocution et d'inférer la conclusion souhaitée, c'est-
à-dire qu’un interlocuteur est supposé produire un stimulus assez pertinent (à
l'intérieur de ses limites d'aptitudes et de préférences) pour être relevé et traiter
cognitivement le plus simplement possible par l’Autre. En même temps, un
interlocuteur, sachant que l’Autre coopère pour fournir un stimulus aussi pertinent
que possible, va en contrepartie choisir celui qui lui semble le plus pertinent dans la
situation de communication comme indice des conclusions à inférer, en suivant un
chemin de moindre effort. La compréhension s'effectue donc à travers l'inférence de
conclusions depuis un nombre de reconstructions à partir d'hypothèses qui tiennent

20 Sperber&Wilson (2004) : « The central claim of relevance theory is that the expectation of relevance
raised by an utterance are precise enough, and predictable enough, to guide the hearer towards the
speaker's meaning. »
                                                                                             36 sur 140
au contenu de la production, mais aussi aux prémisses contextuelles et à ses
conclusions. De ce fait, tout énoncé produit dans la communication communique
avec lui la présomption de sa pertinence optimale. Selon Sperber et Wilson (1989:11),
le but de la communication est de modifier l'environnement de l'Autre, en amenant
«  le second dispositif à construire des représentations semblables à certaines des
représentations contenues dans le premier », son ressort principal reposant sur la
reconnaissance par l'interlocuteur de l'intention communicative du locuteur. En
d'autres termes, une communication est une communication lorsqu'elle sous-tend un
désir d'être ostensiblement inférentielle, i.e. lorsqu'elle est « ostensivo-inférentielle ».
Ainsi, une communication est réussie lorsque l'interlocuteur reconnait que le locuteur
produit des signes ostensivo-inférentiels.


!      Pour poursuivre l'analogie, l'analyse du jeu de deux tennismen doit prendre en
compte ce que les joueurs envoient, mais aussi la façon dont ils l'envoient, le terrain
sur lequel ils jouent, les handicaps de chacun, etc., toute « passe » d’un joueur étant
la combinaison de ces différents facteurs. Certaines communications sont codées,
d'autres existent sans qu'aucun code ne puisse les déchiffrer : l'ensemble étant guidé
par le processus d'inférence, optimisé par la recherche d'une maximisation de la
pertinence, le contenu communiqué par une production allant au delà de ce qui est
linguistiquement encodé21 . Dans le modèle de Sperber et Wilson, ce qui est
linguistiquement codé ne fait pas appel à un codage-décodage comme nous
pouvions le trouver dans les théories du code : les deux interlocuteurs ne possèdent
pas chacun une copie identique d'un code dont ils se serviraient pour coder et
décoder un signe. Ce qui est codé dans ce modèle, c'est un signe faisant appel à un
savoir encyclopédique propre à chacun, ainsi, chaque signe fait potentiellement
appel au savoir encyclopédique de l'interlocuteur qui, à l'aide du contexte, va réduire
ces informations encyclopédiques de façon à ne faire ressortir que le sens qui sera
pertinent en contexte.


!      Dans ce modèle, la communication est guidée par le processus de pertinence,
qui se définit comme la recherche de l'optimisation des processus intrinsèques à la


21Sperber&Wilson,2004 : « The explicitely communicated content of an utterance goes well beyond
what is linguistically encoded. »
                                                                                        37 sur 140
communication, à savoir la compréhension et la production. La communication est
vue comme essentiellement collaborative, c'est-à-dire que chaque interlocuteur est
supposé fournir un effort relativement maximal afin de pouvoir s'inter-comprendre.
Cet effort d'inter-compréhension va donc amener le locuteur à produire un stimulus
qui est optimalement pertinent (dans les limites de ses capacités et de ses
aptitudes), et l’Autre, s'attendant à ce que l’interlocuteur lui fournisse un stimulus
optimalement pertinent, va inférer du stimulus qu'il reçoit que la conclusion qui lui
semble la plus pertinente est celle que l’interlocuteur a voulu lui communiquer, la
pertinence optimale d'un stimulus se trouvant dans un effort cognitif se justifiant par
un effet cognitif équivalent. On y retrouve un rappel de la théorie du code, en ce sens
que la théorie de la pertinence prend le code comme une partie des inputs du
processus inférentiel, mais, au contraire de la théorie du code dans laquelle le signe
est vu comme une étiquette, ce qui est encodé dans la théorie de la pertinence est
une forme logique permettant de renvoyer à une entrée d'informations contenue
dans le savoir encyclopédique d’un interlocuteur, et c'est une fois cette forme
encyclopédique enrichie par le contexte que le sens apparait.


!       Le point essentiel pour notre propos, traitant de la communication et de ses
jeux, est l'importance de l'inférence dans l'échange interlocutif. En effet, envisager la
communication comme dirigée par le processus d'inférence permet d'envisager que
les résultats des processus cognitifs à l'oeuvre dans la communication ne sont pas
identiques chez les deux interlocuteurs : la compréhension consiste à une
reconstruction d'hypothèses sur l'acte de production, une reconstruction des
processus cognitifs de l'Autre selon des critères qui sont propres à chacun. Ainsi, une
représentation mentale par un interlocuteur ne sera jamais reproduite à l'identique
chez l'Autre. Ce qu’engage la communication, c'est d'oeuvrer à fournir des indices
afin d'optimiser la reconstruction par l'autre d'hypothèses sur ses représentations
mentales, mais malgré tout le soin que peut prendre un locuteur pour optimiser cette
pertinence, il ne sera jamais certain de la réussite de la communication, c'est-à-dire
certain que la conclusion à laquelle arrivera l'Autre est exactement celle qu'il voulait
lui faire inférer.




                                                                               38 sur 140
!     A.3. L'économie cognitive


!     !      A.3.1. La communication comme système



!     Comme nous venons de le voir, dans le modèle pragmatique ainsi que dans le
modèle inférentiel et la théorie de la pertinence, les interlocuteurs communiquent par
interaction, c'est-à-dire que leurs décisions de communication sont influencées par la
présence et la nature de l'Autre, mais également par le contexte spatio-temporel
dans lequel se déroule la communication. Ces particularités correspondent aux
caractéristiques d'un système selon la définition de Von Bertalanffy (1973:32&17), qui
le définit comme un « ensemble d'éléments en interaction les uns avec les autres (...)
formé de parties en (...) interaction" fortes" ou "non linéaires".» La communication est
plus particulièrement un système ouvert, c'est-à-dire un système qui entretient une
relation continuelle entre ses éléments et les éléments de son environnement (ou
contexte).


!     Avant d'aborder ce qui fait les caractéristiques de ce système, nous ferons
dans un premier temps un point sur les interlocuteurs engagés dans celui-ci. Comme
nous l'avons vu dans ce chapitre, le modèle pragmatique et ensuite son affinement
par la théorie de la pertinence fait disparaitre la vision d'une communication basée
sur le modèle d’un code utilisé de façon mécanique par des « hommes-robots »
utilisateurs de signes-étiquettes dans un va-et-vient entre émetteur et récepteur. Le
modèle de la pertinence, qui vient contredire la vision de la théorie du code, ne sera
pourtant pas totalement adéquat pour notre propos. Même dans la théorie de la
pertinence, nous retrouvons l’idée d'un échange alterné entre « communicateur et
auditeur », qui, bien qu'affirmant que la production et la compréhension sont des
processus simultanés, laisse toujours la place à un échange théoriquement alterné
entre deux (ou plusieurs) locuteurs. Ce n'est pas cette vision que nous suivrons. De
fait, il est essentiel de concevoir que la compréhension et la production, les deux
processus intrinsèques à la communication, sont des processus simultanés, non pas
que l'un comprend alors que l'Autre produit, mais bien que les deux processus ont

                                                                              39 sur 140
lieu chez chaque interlocuteur de façon simultanée. En effet, nous avons vu dans
l'Introduction22 qu'il était impossible de ne pas communiquer. Ainsi, nous sommes en
continuelle position intérieure dans la communication, c'est-à-dire que nous somme
toujours en train de communiquer : ce n'est pas parce que nous ne sommes pas en
train de « parler » que nous ne sommes pas en train de communiquer : un
interlocuteur se doit de produire un signe pour signifier à son interlocuteur qu'il est
(ou non) dans un processus actif de compréhension de ce que l'Autre produit, un
interlocuteur n'est donc jamais dans une position neutre de non-communication en
tant que simple « auditeur ». En même temps, si celui « qui parle » n'est pas en
même temps « auditeur », il ne pourrait pas être activement attentif à ce que produit
son interlocuteur, de simples notions comme « se faire couper la parole »
n'existeraient pas, puisque à quoi bon couper la parole à un producteur si celui-ci ne
le remarquera pas, n'étant pas en position « d'auditeur » ? Ainsi, il existe un rôle de
« communicateur » et d' « auditeur » si l’on s’en tient au seul caractère phonique de
la communication, c'est-à-dire un qui produit un signe locutionnel et l'Autre qui
écoute ce signe, mais dans une étude de la communication il n'y a pas de place pour
une telle distinction, puisque comme nous l'avons vu, la communication passe par
des canaux qui peuvent être autres que locutionnel. C'est pourquoi, pour la suite de
cette étude nous préférerons le terme interlocuteur pour désigner un sujet se
trouvant engagé dans le système communicationnel, et ainsi nous éviterons les
confusions que laisseraient apparaitre l'utilisation des termes cités précédemment.


!         De plus, ne pas penser les sujets engagés dans le système comme étant
simultanément en production et compréhension active contredirait deux des
principes fondateurs du système de la communication : le principe de totalité ainsi
que le principe de rétroaction ou d'adaptation, le second découlant
fondamentalement du premier. La totalité dans un système suppose « qu'une
modification d'un des éléments entraînera une modification de tous les autres, et du
système entier. » (Watzlawick,1972:123) Ainsi, changer n’importe quel élément à
n’importe quel moment modifie le système, que cet élément soit un interlocuteur ou
une production sémiotique. Cette totalité entraine les interlocuteurs à devoir



22   Introduction I.1. L’impossibilité de ne pas communiquer
                                                                             40 sur 140
s'adapter aux modifications du système, et ce par le principe de rétroaction23 . En
effet, si un interlocuteur ne comprenait pas en même temps qu’il produit, comment
pourrait-il en adapter sa pertinence ? Nous trouvons empiriquement nombre
d'interlocuteurs qui énoncent « Tu m'écoutes ? » ou encore « Tu as l’air ailleurs ».
Sans un processus d'adaptation possible à travers une compréhension simultanée à
la production, l'interlocuteur ne saurait pas s’adapter à l’Autre. L'idée d'un système
en tant que totalité nous rappelle également qu'au sein d'une interaction, l'influence
n'est pas unilatérale : un élément A influence un élément B tout autant que l'élément
B influence l'élément A. En communication, tout interlocuteur produit en fonction de
l'Autre, à savoir qu'un interlocuteur A influence l'interlocuteur B tout autant que
l'interlocuteur B influence l'interlocuteur A. Le principe de rétroaction, que nous
venons d'effleurer, est facteur d'une recherche de l'équilibre du système par les
interlocuteurs, c'est-à-dire qu'ils cherchent à ce que la mise en commun par la
communication se déroule via une pertinence optimale. Cette recherche de l'équilibre
est effectuée par recherche d'une pertinence optimale. Nous verrons par la suite à
quoi correspond la pertinence et quel est l'équilibre recherché. Le fonctionnement de
la rétroaction au sein de ce système autorégulateur (ou autopoïétique) sera abordé
en détail dans le second chapitre.
!         Un autre principe inhérent au système de la communication est le principe
d'équifinalité, c'est-à-dire que dans ce système « le même état final peut être atteint
à partir de conditions initiales différentes ou par des chemins
différents.  » (VonBertalanffy,1973:38) Il existe donc plusieurs moyens pour un
interlocuteur d'arriver à ses fins, ce qui l'entraine à devoir effectuer des choix, des
décisions au sein de l'ensemble des moyens à sa disposition. Ces choix sont motivés
par la tendance à la recherche d'un équilibre au sein du système. Avant de
développer dans le second chapitre de ce travail plus en détail les processus de
production et de compréhension, nécessaire à la rétroaction du système qu'est la
communication, ainsi que l'influence de son identité en tant que système ouvert
(dans le sens d'une ouverture influençant et influencée par ses environnements),
nous reviendrons dans les deux parties terminant ce premier chapitre sur l'incertitude
liée à l'équifinalité, ensuite sur les processus cognitifs de pertinence mis en place afin
de faire face à cette incertitude.

23   Ce principe sera développé plus en détail dans le Chapitre II.
                                                                                41 sur 140
!         !        A.3.2. Retour sur l'incertitude



!          Comme nous l'avons vu dans la partie A.2.3., le principe fondateur gouvernant
la cognition lors de la communication est celui de l'inférence.
!          Ainsi, les interlocuteurs ne décodent pas un message qu'ils « reçoivent », ils
infèrent des conclusions tirées du parallèle fait entre les prémisses présentes dans le
contexte et les indices laissés par l'un (ou chacun) d'entre eux. Comme le disent
Sperber et Wilson (1989:27), à propos de l'opposition entre l'inférence et le décodage,
« un processus inférentiel a pour point de départ un ensemble de prémisses et pour
aboutissement un ensemble de conclusions qui sont logiquement impliquées ou, au
moins, justifiées par les prémisses. Un processus de décodage a pour point de
départ un signal et pour aboutissement la reconstitution du message associé au
signal par le code sous-jacent. » Inférer, si l'on reprend la définition du Nouveau
larousse encyclopédique (1994), c'est « tirer quelque chose comme conséquence
d'un fait, d'un principe. » De ce fait, la communication est un processus déductif,
c'est-à-dire dans lequel les communicateurs partent de leurs prémisses pour tirer des
conclusions, l'ensemble des prémisses qu'il existe à un énoncé constituant son
contexte. Cependant, comme nous l'avons déjà abordé dans l'Introduction24 , les
conclusions auxquelles arrive chaque communicateur ne peuvent être déduites de
façon certaine : bien que partageant un contexte mondain potentiellement manifeste
pour les deux, les prémisses des deux interlocuteurs ne sont jamais entièrement
semblables, c'est-à-dire que les deux interlocuteurs ne possèdent pas un « savoir
mutuel » qu'ils partageraient de façon certaine. Un interlocuteur ne sait jamais si les
conclusions post-compréhension que l’Autre va tirer de sa production seront les
conclusions souhaitées, et en même temps, un interlocuteur ne peut arriver à être
certain que les conclusions tirées de sa compréhension sont celles auxquelles
l'interlocuteur produisant a voulu arriver. Ce que chacun forme, grâce à ses capacités
méta-représentationnelles (capacités de se représenter les représentations de
l'Autre), ce ne sont que des hypothèses sur le processus cognitif qui ont amené
l'Autre à cette communication particulière. Ainsi, la communication est un mécanisme



24   Voir Introduction I.2. L'incertitude
                                                                                42 sur 140
assurant « un succès tout au plus probable, mais non certain. » (Sperber&Wilson,
1989:33)

!      Nous ne pouvons contredire que dans toute communication, ce que souhaite
chacun, c'est se faire comprendre, et donc réduire au maximum la divergence
potentielle entre les conclusions auxquelles la production veut emmener la
compréhension et les conclusions auxquelles arrivent effectivement la
compréhension. Inconsciemment, le système déductif utilisé par les interlocuteurs
est donc amené à effectuer des choix parmi l'ensemble des hypothèses possibles.
Ces décisions sont guidées par le processus de pertinence. Selon la définition de
Hjørland et Christensen (2002), «  une chose A est pertinente pour la tâche T
lorsqu'elle augmente les chances d'arriver au but G, lui-même impliqué par T ». De
ce fait, toute hypothèse est pertinente pour un locuteur lorsque, en tant que résultat
du processus d'inférence, elle lui apparait comme augmentant les chances d'arriver à
la minimisation de la divergence des conclusions souhaitées et effectives. Les
interlocuteurs n'ayant jamais des prémisses homogènes, chacun produit et
comprend en fonction d'une pertinence qui lui est propre, mais aussi en fonction de
celle qu’il suppose à l'Autre, c'est-à-dire que chaque production est porteuse de sa
pertinence optimale, et que chaque interlocuteur produisant est mené à penser que
l'Autre possède les prémisses nécessaires pour tirer les conclusions souhaitées.


!      Nous avions abordé dans l'Introduction l'analogie que nous pouvions faire
entre cette incertitude de la communication et l'expérience de pensée du chat de
Schrödinger : un chat est enfermé dans une boîte, et à un moment aléatoire, un
poison peut se renverser dans la boite. Ainsi, tant que la boîte n'est pas ouverte,
nous ne pouvons juger que de la probabilité que le chat soit encore en vie ou non, un
expérimentateur voulant ressortir au moment « pertinent » un chat vivant ou mort ne
peut que juger des probabilités de l'état de celui-ci avant d'ouvrir la boîte. Il en va de
même pour la communication. Tant que le signe n'est pas produit, le locuteur ne peut
que suivre des hypothèses, qui l'amèneront à produire l'énoncé aux probabilités de
pertinence les plus grandes. Pour ce qui est de la compréhension, l'interlocuteur est
amené à reconstruire des hypothèses sur le raisonnement qui a amené l'Autre à
choisir ce moment précis pour ouvrir la boite, ou cet énoncé comme porteur de
probabilités de pertinence les plus grandes. On retrouve dans cette idée le concept

                                                                                43 sur 140
économique de « l'incertitude stratégique », qui est « l'incertitude qui découle de
l'interaction des agents, l'environnement est tel que chaque individu doit anticiper le
comportement des autres pour prendre sa propre décision. Ici ce n'est pas la "trop
faible" rationalité des agents qui est source d'incertitude mais au contraire leur trop
parfaite rationalité. » (Viviani,1994:112) Nous retrouvons cela dans notre sujet :
l'incertitude au sein de la communication est due au fait que, par essence, la
communication est une interaction au sein d'un environnement, et que chacun prend
des décisions de communication, en anticipant par hypothèses et décisions sur les
hypothèses et décisions de l'Autre. Ainsi, ce qui amène de l'incertitude dans la
communication n'est pas « l'irrationalité » des décisions d'un interlocuteur, mais au
contraire le fait que, rationnellement, un locuteur est conscient qu’il ne lui est
possible que d'anticiper et jamais prédire, il ne peut que créer des hypothèses et
jamais des certitudes.


!         La communication est un processus complexe dans lequel chaque échange a
pour résultat un ensemble d'hypothèses sur les intentions de l'Autre, mais aussi sur
le résultat de l'efficacité de la production de chacun. Les interlocuteurs cherchent à
ce que l'Autre reconnaisse leur intention communicative, mais aussi à ce qu'il arrive
à certaines conclusions. Se basant sur l'inférence et non sur le décodage25, la
communication laisse chacun dans une situation d'incertitude face à l'efficacité
effective des processus cognitifs de l'Autre. Cependant, cherchant à comprendre et à
se faire comprendre, les interlocuteurs utilisent un système qui est auto-régulé, à
savoir un système cybernétique permettant le feedback. Nous verrons cette notion
dans le chapitre II. Avant de voir cette notion, nous développerons le fonctionnement
de la pertinence dans le système.




25   Décodage selon la définition de la théorie du code
                                                                             44 sur 140
!     !       A.3.3. Le modèle économique-efficace



!      Comme nous venons de le voir, la communication est un système dans lequel
sont engagés des interlocuteurs. Une des propriétés de ce système est qu'il répond
au principe d'équifinalité, c'est-à-dire qu'un état particulier du système peut être
atteint depuis des conditions initiales différentes mais aussi via des utilisations, des
«  voies » différentes. Ainsi, il peut atteindre un état qui est indépendant des
conditions initiales depuis lesquelles il évolue, et donc un état dû à des influences
environnementales ou à une production spontanée par et dans le système. De ce
fait, les interlocuteurs doivent faire des choix d’utilisation, guidés par le processus de
pertinence, afin de choisir parmi les différentes hypothèses à leur disposition afin
d'arriver aux conclusions souhaitées ; en d’autres termes, un utilisateur du système
va produire des indices et inférer des hypothèses qui vont être optimalement
pertinents. Nous allons ici développer les critères qui font cette pertinence.


!      Selon Sperber&Wilson, la pertinence est un processus d’optimisation de la
communication par production d’un signe créant le maximum d’effets contextuels, un
effet contextuel étant la conclusion d’une « déduction utilisant comme prémisses
l’union d’informations nouvelles P et d’information anciennes C. » (1989:168) Ainsi, un
effet contextuel est la création d’une conclusion prenant pour prémisse la jonction
d’une information nouvelle avec une information plus ancienne. C’est la création de
d’effets contextuels maximales que recherche les interlocuteurs à travers un
minimum d’effort cognitif, c’est-à-dire qu’une « hypothèse est d’autant plus pertinente
dans un contexte donné que ses effets contextuels y sont plus importants (et) (...)
que l’effort nécessaire pour l’y traiter est moindre. » (ibid:191) Ce n’est cependant pas
tout à fait la terminologie que nous utiliserons. Comme nous l’avons vu, notre vision
de la communication est celle d’une interaction totale écartant l’idée d’un tour de
parole quelconque. Or, pour rendre compte de cette interaction totale, nous nous
devons d’utiliser une terminologie qui répond des deux processus de compréhension
et de production de façon égale.




                                                                                 45 sur 140
M2 : Analyse systémique des jeux pragmatiques communicationnels.
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M2 : Analyse systémique des jeux pragmatiques communicationnels.

  • 1. Université Rennes 2 - Haute Bretagne Master 2 Langues et Cultures Étrangères et Régionales Aire Anglophone Approche systémique des jeux pragmatiques communicationnels Colin Fay Sous la direction de Mr Daniel Roulland 2012 1 sur 140
  • 2. Remerciements : Je remercie sincèrement Mr Daniel Roulland, mon directeur de recherche, pour son soutien permanent ainsi que pour ses conseils avisés, sans qui ce mémoire n’aurait jamais pu être porté à terme. 2 sur 140
  • 3. Table des matières : Avant-Propos!5 AP.1. Une sémiologie pragmatique!6 AP.2. Les signes!8 AP.2.1. Niveaux du signe!9 AP.2.2. Canaux du signe!11 AP.3. L’intentionnel et le non-intentionnel!13 Introduction!15 I.1. L’impossibilité de ne pas communiquer!16 I.2. L’incertitude!18 I.3. Problématique!20 A. Origines théoriques!21 A.1. Du code à la pragmatique!22 A.1.1. L'approche Saussurienne!22 A.1.2. La théorie du code!23 A.1.3. L'approche pragmatique!26 A.2. La pragmatique et la pertinence!29 A.2.1. La fin de l'opposition langue/parole!29 A.2.2. Le modèle inférentiel!32 A.2.3. La pertinence!35 A.3. L'économie cognitive!39 A.3.1. La communication comme système!39 A.3.2. Retour sur l'incertitude!42 A.3.3. Le modèle économique-efficace!45 B. Théorie du système communicationnel!49 B.1. Stimulus et environnement!51 B.1.1. Stimulus et attention sélective!51 B.1.2. L'environnement cognitif direct!54 B.1.3. L’environnement cognitif indirect!56 B.2. Compréhension, production et sens.!58 B.2.1. Compréhension et production!58 B.2.2. Retour sur l'intention!62 B.2.3. Effets contextuels et sens!65 B.3. Un système cybernétique!68 B.3.1. Définition!68 3 sur 140
  • 4. B.3.2. Rétroaction et autorégulation!72 B.3.3. L'imprédictibilité!75 C. Jeux et enjeux!79 C.1. Le jeu régulier!81 C.1.1. L'équilibre en communication!81 C.1.2. La régularité!84 C.1.3. L'emprisonnement fractal de la régularité!87 C.2. Le jeu créatif!91 C.2.1. Le jeu méta-communicationnel!92 C.2.2. Le cas du mensonge!95 C.2.3. Le jeu ludique!98 C.3. Le jeu interférant !101 C.3.1. Le jeu conversationnel et culturel!102 C.3.2. Lie Catching!105 C.3.3. Le jeu émotionnel et pathologique!108 Conclusion!112 Annexes !118 D.1. Le jeu créatif!120 D.1.1. Le jeu méta-communicationnel!120 D.1.2. Le cas du mensonge!122 D.1.3. Le jeu ludique.!123 D.2. Le jeu interférant !125 D.2.1. Le jeu conversationnel et culturel!125 D.2.2. Lie Catching!126 D.2.3. Le jeu émotionnel et pathologique!128 Bibliographie !130 Bibliographie complète!131 Bibliographie thématique!135 Théorie de la communication!135 Théorie des systèmes!136 Théorie des jeux!137 Psycholinguistique!138 Index!140 4 sur 140
  • 5. Avant-Propos 5 sur 140
  • 6. ! AP.1. Une sémiologie pragmatique « Les délimitations classiques des divers champs scientifiques subissent du même coup un travail de remise en cause : des disciplines disparaissent, des empiètements se produisent aux frontières des sciences, d'où naissent de nouveaux territoires. » J.F. Lyotard, La condition postmoderne. ! Ce mémoire est une exploration du système de la communication et de ses jeux. Avant d'entrer dans le coeur de cette étude, il est important d'établir les limites disciplinaires qui entourent un tel travail. ! L'étude de la communication se situe au croisement de deux «  sous- disciplines  » des sciences cognitives  : la psychologie cognitive et la sémiologie pragmatique. ! Les sciences cognitives sont celles qui cherchent à déterminer « comment un système naturel (humain ou animal) ou artificiel (robot), acquiert des informations sur le monde qui l'entoure, comment ces informations sont reportées et transformées en connaissances, et comment ces connaissances sont utilisées pour guider son attention et son comportement. » (Lemaire,1999:13) ! L'étude du comportement communicationnel s'inscrit dans un premier temps dans la psychologie cognitive, science étudiant les mécanismes fondamentaux de la cognition humaine, i.e. les fonctionnements de «  l'intelligence  » et de la pensée, faculté «  mobilisée dans de nombreuses activités, comme la perception, les sensations, les actions, la mémorisation et le rappel d'information, la résolution de problèmes, le raisonnement (inductif et déductif), la prise de décision et le jugement, la compréhension et la production du langage, etc.  » (Ibid:14) Il pourrait sembler de prime abord que l'étude du fonctionnement de la communication se situe dans l'étude de la compréhension et la production du langage, pourtant, les activités qui entrent en jeu lors de la communication sont plus nombreuses, à un point où toutes ces activités doivent être prises en compte. De fait, chacune de ces activités agit sur le système communicationnel, et est également affectée par lui. ! Cependant, prendre uniquement l'optique de la psychologie cognitive pour rendre compte du fonctionnement du système communicationnel ne permet pas d'étudier de façon rigoureuse ce système. En effet, bien qu'il faille les prendre en 6 sur 140
  • 7. considération, les activités cognitives citées plus haut ne doivent pas être analysées dans leur globalité, mais uniquement dans leur rapport aux signes qui existent dans un processus de communication. En d'autres termes, l'autre pan de l'analyse se situe dans l'étude des signes 1 produits lors de la communication, donc une étude sémiologique de la communication. La sémiologie est définie par Saussure (1995:33) comme la «  science qui étudie la vie des signes au sein de la vie sociale; elle formera une partie de la psychologie sociale (…). Elle nous apprendrait en quoi consistent les signes, quelles lois les régissent.  » La sémiologie étant une science des signes de manière générale et notre étude limitant ces signes aux signes employés lors de la communication, il est important de considérer la sémiologie à travers le prisme de la pragmatique, c'est-à-dire en tant que « science qui traite des signes (dans leur rapport) à leurs interprètes. » (Armengaud,1999:36) Cette limite de la sémiologie à travers une étude pragmatique doit être prise dans le paradigme de la communicabilité qui est le suivant : « Axiome 1: le sujet parlant, de par son discours, ne peut pas ne pas communiquer. Axiome 2: toute communication présente deux aspects, le contenu et la relation, tels que le second englobe le premier. Axiome 3: toute communication implique la réciprocité, qui est symétrique ou complémentaire. Axiome 4: toute communication actualise le système virtuel des significations et réalise, en même temps, la dépendance de ce système vis-a-vis des conditions de la communicabilité. » (Paret cité dans Armengaud,1999:103)2 ! L'étude de la communication proposée ici, portant sur la communication et les jeux communicationnels, c'est-à-dire sur le fonctionnement et le dysfonctionnement du système, est donc au croisement, à l'intersection de ces deux disciplines, restreignant le vaste champs de recherche des sciences cognitives : la psychologie cognitive étant limitée à la cognition liée à la communication, et la sémiologie aux signes existants et influents en communication. 1 Nous utiliserons dans cette étude le terme sémiologie pour renvoyer à la théorie du signe. Le terme signe sera utilisé au sens large de « manifestation sémiotique », c’est-à-dire renverra à une manifestation d’un ou plusieurs signe(s) 2 Les axiomes de ce paradigme ne sont pas développés plus en profondeur ici, leur importance se révélera tout au long de ce travail 7 sur 140
  • 8. ! AP.2. Les signes « Ce terme signes, présent dans des vocabulaires très différents (de la théologie à la médecine) et dont l'histoire est très riche, (de l'Évangile à la cybernétique) ce terme est par là même ambigu. » R. Barthes, Éléments de sémiologie. ! Ainsi, notre communication est peuplée de signes, traités cognitivement. Ces signes sont, pour prendre une définition très large, une unité, une entité au sein du système communicationnel qui renvoie, qui réfère à un sens. Chaque signe est composé de deux plans : « le plan d'expression et (...) le plan des contenus  » (Barthes,1964), renvoyant respectivement au signe en tant qu'entité physique et au sens de ce signe. ! Avant de passer au cœur de l'étude des mécanismes du système de la communication, nous spécifierons d'abord ce que sont ces signes, à travers une définition des deux pans du signe. Le travail des deux paragraphes qui suivent permet de donner une définition de l'identité de ces signes, en partant du postulat que l'existence du signe est conventionnelle, sans pour autant expliquer la nature de cette convention. Nous suivrons en effet la prémisse scientifique de l'étude d'un système basée non pas sur une réponse à pourquoi il fonctionne, mais sur une réponse à comment il fonctionne. Ainsi nous ne verrons pas pourquoi le signe existe, pourquoi un signe est lié à un sens, mais comment ce signe existe, comment il fonctionne à travers le système, et comment un signe se lie à un sens. Comme le dit Douay (2000:66), nous nous intéressons « aux moyens formels, systématisés (...) qui permettent la communication et non aux choses infinies qui peuvent être communiquées par leur emploi dans des situations par définition toujours nouvelles. » 8 sur 140
  • 9. ! ! AP.2.1. Niveaux du signe ! Les interlocuteurs communiquent sur deux niveaux. Hermann Parret les appelle « contenu et relation » (cité dans Armengaud,1999:103). Cependant, pour ne pas créer un écho qui porterait à confusion avec les dichotomies expression/contenu du signe, nous allons utiliser une autre terminologie. Le contenu d'Herman Parret est ce que Gardiner (1989) appelle les choses : il faut ici prendre la notion de «  chose  » dans le sens large du terme, celui entendu par Gardiner  : il est vrai que notre discours peut faire référence à du matériel aussi bien qu'à de l’immatériel, et donc le discours ne fait pas toujours référence aux choses en tant qu'objets concrets. D'un autre côté, « affirmer que le discours sert à exprimer la pensée, c'est tout simplement méconnaître le fait que je peux parler du crayon avec lequel je suis en train d'écrire, de ma maison, de mes livre, etc. » (ibid:27) Il semblerait juste de dire que le discours exprime des «  pensées sur les choses  », mais cependant rien ne contredit l'idée qu'un processus cognitif, qu'une pensée soit elle même une « chose », au sens large où nous l’entendons ici. En effet, le discours courant nous renvoie continuellement à l'idée que nous parlons de «  quelque-chose  », et il n'y aurait rien d'illogique ou relevant du contresens d'imaginer la production d'une phrase telle que « une chose est certaine, c'est que je trouve cela compliqué  » ou «  la réflexion sur ce sujet est une chose difficile », ou encore « elle a trouvé la solution, je n'avais pas imaginé une telle chose ».3 ! Affirmer que nous communiquons sur quelque chose pourrait sembler être l'affirmation d'un rasoir d’Ockham. Cependant, les signes référant aux choses peuvent revêtir une configuration particulière : les signes peuvent également être utilisés pour la méta-communication, ou ce qu'Herman Parret ou Watzlawick (1972,49) appelle relation, c’est-à-dire « la manière dont on doit entendre le message. » De fait, les locuteurs peuvent communiquer sur des choses, mais aussi sur leur communication, sur leur interaction, c'est-à-dire qu'ils peuvent communiquer et méta- communiquer. En d'autres termes, conjointement au discours sur les choses dans un sens large, les locuteurs communiquent leur(s) point(s) de vue, leur(s) sentiment(s) sur la communication, c’est-à-dire qu’ils communiquent sur leur interaction, sur la 3 Pour un développement complet de ce point, voir Gardiner,1989:27-32,§8. 9 sur 140
  • 10. relation qu’ils entretiennent l’un avec l'Autre. Nous verrons dans ce travail que cette méta-communication est liée à l’existence des jeux ainsi qu’aux possibilités d’ajustements communicationnels : les interlocuteurs en situation de jeu doivent pouvoir méta-communiquer sur cette situation de jeu, et lorsqu'une communication sur une chose a échoué, il est nécessaire d'envisager de méta-communiquer afin d'évaluer les sources de l'échec, en d’autres termes, la méta-communication est ce qui permet aux jeux communicationnels d’exister, c’est en faisant passer la pertinence de la communication au niveau méta-communicationnel que l’existence des jeux est possible et/ou corrigée. ! D'un point de vue théorique, il pourrait sembler adéquat d'envisager l'existence d'une méta-méta-communication, c'est-à-dire une communication sur la méta-communication, ainsi que l'existence d'une méta-méta-méta-communication, qui serait la communication sur la méta-méta-communication, et ainsi de suite dans une spirale infinie de niveaux de communication portant sur le niveau précédent. Il est cependant deux arguments qui viennent contredire cet argument : ! Premièrement, nous pouvons douter qu'il ait existé ou qu'il existera un cas empirique dans lequel les interlocuteurs, dans une suite infinie, travailleront à un niveau infini de communication à propos du niveau inférieur. Deuxièmement, même si l'on imagine que ces différents niveaux existent, ils reviennent toujours à une idée d'une communication portant sur une communication de niveau inférieur. Donc, quelque soit le niveau de méta-communication, il est toujours une communication sur une communication, et donc entre toujours dans la catégorie de la méta- communication. 10 sur 140
  • 11. ! ! AP.2.2. Canaux du signe ! Il serait réducteur de considérer que le système communicationnel traite uniquement les signes dit « linguistiques »  : de nombreux signes de nature « non- linguistique » entrent en jeu dans le système. Comme le dit Watzlawick (1972:16-47) : « les données de la pragmatique ne sont pas simplement les mots, leur configuration et leur sens (...), mais aussi leurs concomitants non-verbaux et le langage du corps, (...) un composé fluide et polyphonique de nombreux modes de comportement : verbal, tonal, postural, contextuel, etc. » ! Afin de rendre compte des signes comme référant aux choses dans l’acceptation totale de la définition que nous venons de donner, nous devons les envisager dans tous leurs signifiants, c'est-à-dire à travers l'ensemble des canaux qu'ils empruntent : locutionnel, élocutionnel et proxémique. ! La dichotomie locutionnel/élocutionnel4 est une dichotomie que l'on doit à Gardiner (1989), qui fut ensuite reprise par Douay (2000). Cette dichotomie est traditionnellement appelée verbal/non verbal : en termes sémiologiques, le locutionnel est la catégorie des signes qui relèvent des mots, et l'élocutionnel toute la catégorie des signes qui ne sont pas des mots, regroupant les signes kinésiques (ou signes gestuels 5), ainsi que le ton de la voix ou l'attitude corporelle. L'utilisation des expressions «  locutionnel  » et «  élocutionnel  » permet d'éviter une classification péjorative de la catégorie des signes élocutionnels. Il est en effet important, dans une étude d'un système composé de signes, de ne pas mettre une catégorie de signes de côté, d'accorder un « statut identique à toutes les catégories de signes de la langue » (Douay,2000:81), ce qui est atteint via l'utilisation d'une terminologie «  locutionnel/élocutionnel »6. En effet, les signes élocutionnels sont essentiels à la communication, et pourtant ils sont habituellement relayés au second plan des études (ce que regrette Gardiner (1989:66) : « les expressions du visage traduisent si bien l'émotion qu'il eût été dommage de les astreindre à la fonction moins exaltante de représentation de phénomènes extérieurs »). Ils sont même classés par Gardiner 4Il existe plusieurs expressions pour référer à cette dichotomie, telles que les « syntaxe locutionnelle et élocutionnelle » ou « forme locutionnelle et élocutionnelle. » Par soucis de simplicité, nous utiliserons « le locutionnel et l'élocutionnel » 5 Birdwhistell, dans Winkin (2000), parle de « kinèmes » 6 Pour un développement complet de ce point, voir Douay, 2000, chapitre 3.4 p 81-107 11 sur 140
  • 12. au premier plan de l'interlocution, puisque lorsque les signes locutionnels sont en conflit avec les signes élocutionnels, ce sont toujours les signes élocutionnels qui vont être porteurs de sens. Nous citerons ici la répartition faites par Mehrabian de ces différents canaux lors de la communication : ! Bien qu'une répartition aussi nette soit contestable et contestée, particulièrement en ce qui concerne la précision des chiffres, l'idée générale est celle que nous adopterons. ! Cette idée d'une centralité de l’élocutionnel est reprise par Douay (2000), mais également dans les études sur le mensonge effectuées par Ekman (notamment 2009), pour qui la détection d'un mensonge s'effectue à travers la détection d'un conflit locutionnel/élocutionnel, l'élocutionnel étant porteur du sens véritable. ! Il existe un troisième canal par lequel peuvent transiter les signes intervenant dans la communication, qui est le canal proxémique. Cette dimension de la communication fut développée par Edward T. Hall (1968), et est devenue la « branche de la sémiotique qui étudie la structuration signifiante de l'espace humain. » (Fabbri, 1968:5) Ce terme réfère à la perception de l'espace interpersonnel en tant que moyen de communication, et plus précisément en tant que moyen de méta-communication. De fait, bien qu'il semble que les espaces interpersonnels ne soient pas interprétés comme des signes à part entière lorsque l'on traite de la communication, ils sont pourtant très importants, car ce sont eux qui signifient le degré de la relation qu'un locuteur considère entretenir avec un autre. Cette observation sera notamment reprise lors de l'étude du jeu interférant culturel, puisque des signes proxémiques pourront être facteurs d'incompréhension, de « chocs culturels ». 12 sur 140
  • 13. ! AP.3. L’intentionnel et le non-intentionnel « On ne peut pas dire non plus qu'il y ait 'communication' que si elle est intentionnelle, consciente ou réussie » P. Watzlawick, Une logique de la communication, p.46-47 ! La tradition de l'étude de la communication ne s'intéresse pour la plupart qu'à l'analyse des productions volontaires. Pour exemple nous citerons ici Douay, (2000:65) qui dans son ouvrage, écrit que « doit être considéré comme phrase (…) tout signe (…) ou ensemble de signes manifestement sous-tendu par une intention pertinente de communication. » (nous soulignons) Ce n'est cependant pas le point de vue que nous adopterons ici. Effectivement, les signes traités par le système communicationnel ne sont pas tous intentionnellement produits, ni même intentionnellement compris, notamment pour les signes qui sont influencés, produits par l'existence de certaines émotions. ! Reprenons le point de vue évolutionniste, développé notamment par Darwin (2001) : selon cette théorie, il fut indispensable pour la survie de l'homme de pouvoir signaler les émotions le plus rapidement possible. Par exemple signifier la peur à travers une expression faciale, et ce avant d'en avoir conscience, fut indispensable à la survie de l'espèce. Les individus les plus rapides à communiquer leurs émotions furent ceux qui furent le plus enclins à survivre. Toujours selon cette théorie, tout élément utile à la survie de l'espèce s'est automatisé au court de l'évolution (Darwin, 2001:43). Ainsi, la signification des émotions étant un élément indispensable à notre survie, elle fait ipso facto partie de ces processus qui se sont automatisés. Aujourd'hui, nous avons hérité de cela à travers un contrôle difficile (voir quasi- impossible) de nos émotions, ce qui nous entraîne à signifier non-intentionnellement sous l'influence de nos émotions. Par exemple, rougir est un signe universel d'embarras qui est produit de façon non-intentionnelle, pourtant, bien que non- intentionnelle, cette manifestation sémiotique sera traitée par le système communicationnel : l'interlocuteur comprendra ce signe élocutionnel comme signifiant l'embarras7. Ce point sera particulièrement important pour l'analyse du jeu communicationnel dû aux émotions. 7 Voir Darwin, 2001, et Ekman et al., 2003 13 sur 140
  • 14. ! De plus, il est important de noter que l'apparition d'une émotion peut rompre la continuité de la communication. L'apparition d'un (ou de) signe(s) soudain(s) peut sembler n'avoir aucun lien direct avec ce qui le(s) précède quand la production et la compréhension de ce(s) signe(s) sont directement liées à une émotion ressentie par l'un des interlocuteurs. Prenons un exemple, développé par Ekman (2003), qui est celui de la frayeur causée par l'approche imminente d'un accident de voiture. Imaginons une situation dans laquelle nous sommes en voiture avec un ami. Nous conversons de choses banales, lorsque soudain une voiture apparaît et semble rouler à contre-sens, et donc se diriger dans notre direction. Soudain, avant même que cela soit conscient, le passager a de façon réflexe un mouvement d'appui sur un frein imaginaire, et la conversation est immédiatement interrompue par une expression de peur d'un ou des deux interlocuteurs, passant de « oui c'est un très bon film » à « Oh mon Dieu attention ! », accompagné d’une expression faciale de peur. La production de la première phrase « oui c'est un très bon film » est intentionnelle, alors que la deuxième phrase « Oh mon Dieu attention ! » est une production non-intentionnelle. Pourtant, bien que non-intentionnelle, la production de la phrase n°2 ne peut pas être rejetée en tant que communication. Cette production non-intentionnelle est due à une réaction de nos «  déclencheurs émotionnels », processus réagissant l'analyse infra-attentionnelle constamment exécutée par notre inconscient, hérité de l'évolution et nous permettant de faire face de façon adéquate à une situation soudaine. ! Les signes intentionnels et non-intentionnels sont donc tous deux à prendre en compte comme influents dans la communication. Malgré un rôle similaire, une distinction peut être faite entre ces deux types de signes. Cette différenciation est faite par Grice dans son article Meaning (1957). Il y fait une distinction entre les signes qui signifient naturellement et les signes qui signifient non-naturellement, c'est-à-dire entre les signes naturels et les signes conventionnels. Nous reviendrons plus en détails sur ce point dans le second chapitre de ce travail. 14 sur 140
  • 15. Introduction 15 sur 140
  • 16. ! I.1. L’impossibilité de ne pas communiquer « Tout refus de communiquer est une tentative de communication ; tout geste d'indifférence ou d'hostilité est appel déguisé. » A. Camus, L'étranger. ! Partons du constat fait par Paul Watzlawick (1972:46) : « on ne peut pas ne pas communiquer : le comportement a une propriété on ne peut plus fondamentale : (...) (il) n'a pas de contraire. Autrement dit, (...) on ne peut pas ne pas avoir de comportement. Or, dans une interaction, tout comportement a valeur de message, c'est-à-dire qu'il est une communication. (...) Un homme attablé dans un bar rempli de monde et qui regarde devant lui, un passager qui dans un avion reste assis dans son fauteuil les yeux fermés, (...) ne veulent pas qu'on leur adresse la parole, en général, leurs voisins “comprennent le message” et y réagissent normalement en les laissant tranquilles. » ! Ainsi, même refuser de répondre, c'est communiquer (ou méta-communiquer)8 que l'on ne souhaite pas interagir. Nous nous trouvons dans une configuration où nous devons communiquer dès lors que nous sommes dans une situation d'interaction avec un Autre, comme le dit Goffman9 : « chaque fois que nous entrons en contact avec autrui (...) nous nous trouvons devant une obligation cruciale : rendre notre comportement compréhensible et pertinent compte tenu des événements tels que l'autre va sûrement les percevoir.  » De ce fait, dans toute situation d’interaction, les interlocuteurs doivent identifier et choisir les signes qui seront adéquats pour assurer le bon déroulement de la communication. ! Cette impossibilité de ne pas communiquer est une propriété qui a été le point de départ des études psychiatriques sur la communication, notamment la communication chez les schizophrènes. En effet, l'observation de la communication chez les schizophrènes a mené à la constatation que les personnes qui souffrent de ce trouble cherchent à ne pas communiquer, via des formes de « non-sens, silence, retrait, immobilité (ou silence postural), ou toute autre forme de refus. » (Watzlawick, 1972:48) Or, ces formes de refus sont elles-mêmes des communications, communiquant le refus de communiquer. Mais ces formes de communications ne se retrouvent pas uniquement dans les communications chez les schizophrènes. En 8Par soucis de concision pour la suite de l'étude, et sauf indication contraire, l’utilisation du verbe « communiquer » englobera la notion de communication et de méta-communication 9 Goffman, Façon de parler. Cité dans Blanchet (1996). 16 sur 140
  • 17. effet, la recherche d'une forme de « non communication », selon l’expression de Watzlawick (1972), est une configuration qui concerne chaque interlocuteur qui souhaite communiquer qu'il ne souhaite pas communiquer en annulant la communication, c'est-à-dire en amenant l’Autre à comprendre que l’interlocuteur ne souhaite pas coopérer, en faisant passer la pertinence de l’échange à un niveau méta-communicationnel10 . Cette situation est paradoxale car elle amène à communiquer le désir de « non-communication », à savoir donc qu'il est impossible de ne pas communiquer, puisque le stade de non-communication passe par un premier stade de communication. 10 Nous développerons ce point plus en détails dans la partie C. 17 sur 140
  • 18. ! I.2. L’incertitude! « Chaque être humain connaît une frange d'incertitude quant aux types de messages qu'il émet. » Y. Winkin, La nouvelle communication. ! Malgré une communication permanente, nous ne sommes jamais dans une situation où nous pouvons affirmer avec certitude que notre production communicationnelle a été comprise de façon juste, c'est-à-dire que nous ne pouvons jamais avoir l’entière certitude de l'efficacité de notre communication. ! Pour illustrer cette idée, nous utiliserons par analogie l'expérience de pensée du «  Chat de Schrödinger  ». Bien que cette expérience ait été utilisée afin de démontrer des propriétés de physique quantique, nous pouvons très bien la transposer pour illustrer notre propos actuel. ! Imaginez un chat que l'on a enfermé dans une boite. Avec lui se trouve un flacon de poison pouvant se libérer à tout moment, de façon aléatoire. Tant que la boite est fermée, les observateurs de l'expérience ne peuvent pas savoir si le poison a été libéré ou non, si le chat est vivant ou mort, ce n'est qu'une fois la boite ouverte que l'expérimentateur peut juger des propriétés de ce qui se trouve à l'intérieur11 . Il en est de même pour la communication  : tant que le locuteur n'a pas produit les signes, ceux ci peuvent être efficaces ou non. Cette idée explique pourquoi les locuteurs se reprennent, ré-expliquent leurs propos, voir même parfois ne se comprennent pas : ils ne peuvent garantir de l'efficacité des signes tant qu'ils ne sont pas produits, donc tant qu'ils ne sont pas interprétables et interprétés, et même après leur production, les interlocuteurs seront incapables d’affirmer de façon certaine de l’efficacité ou non de leur production. Cela explique également pourquoi certaines communications sont inefficaces : le locuteur ne peut pas juger entièrement de l'efficacité de sa production tant que celle-ci n'est pas effective. En d'autres termes, le processus cognitif de choix des signes (qui s'effectue pré-production) ne permet pas de juger de façon certaine des signes qui seront efficaces pour communiquer, le 11 Pour les explications précises de cette expérience, voir Schrodinger, 1992, Physique quantique et représentation du monde 18 sur 140
  • 19. jugement d'efficacité significative ne pourra être effectué qu'une fois le jugement retour (c'est-à-dire le jugement de la compréhension de l'interlocuteur) possible.12 ! Cette notion explique l'existence d’un certain type de jeux communicationnels, car celui qui produit ne peut rendre compte de l'efficacité des signes qu'une fois ceux-ci produits, ce qui justifie les processus de réajustement nécessaires à la communication. Le locuteur aura beau faire preuve de tout le zèle possible, il ne pourra jamais être entièrement sûr (pendant le stade cognitif pré-production) de l'efficacité de ses propos. Nous reviendrons sur ce point dans la suite de notre travail. ! Ce processus d'incertitude est différent de la notion linguistique d'ambiguïté. En effet, l'ambiguïté concerne la multiplicité de compréhensions possibles d'un signe particulier. Or un interlocuteur ne produit jamais de signes ambigus pour lui, c'est-à- dire que les signes qu'il produit sont toujours incertains du point de vue de l'efficacité mais ne sont jamais ambigus au niveau du sens. La production délibérée d'un signe que l’interlocuteur sait ambigu pour l’Autre ne sera pas ambigu pour l’interlocuteur, qui le produit dans un but méta-communicationnel. ! Ce point sur l’incertitude sera très important pour notre propos, nous y reviendrons donc plus en détails dans la suite de ce travail. 12Ce jugement retour est possible grâce à un système cybernétique. Cette notion sera développée dans la partie B. 19 sur 140
  • 20. ! I.3. Problématique ! Nous pouvons distinguer deux tâches cognitives lors de la communication : la compréhension et la production. Le processus de compréhension est celui permettant, via le processus de l'attention sélective, de combiner code(s), indice(s) et contexte(s) pour arriver à l'identification du sens, le processus de production est celui passant du sens aux signes produits. ! Afin d'aboutir efficacement au but de la communication, les interlocuteurs doivent s'appliquer au bon déroulement de ces deux tâches. Ce processus d'application correspond à un effort de pertinence. En effet, si l'on reprend la définition de la pertinence de Hjørland & Sejer Christensen (2002) « une chose A est pertinente pour la tâche T lorsqu'elle augmente les chances d'arriver au but G, lui- même impliqué par T ». Ici, le but G de la communication est la mise en commun par la création chez l’Autre d’une réaction cognitive, entraînant signe(s) ou acte(s). Les tâches T sont les processus de compréhension et de production. En communication, la pertinence est donc l'effort des locuteurs pour optimiser les chances d'accomplissement des tâches de compréhension et de production. ! Comment fonctionne le système de la communication ? Quelles sont les conséquences de la nature de ce système sur l’utilisation qu’en font les interlocuteurs ? C’est à ces deux questions que cette étude va tenter de répondre. ! Dans une première partie, nous partirons des prémisses théoriques qui nous amèneront jusqu'à la théorie que nous développerons et utiliserons ici. ! La seconde partie sera consacrée à l'analyse des mécanismes du système communicationnel en tant que système cybernétique, ainsi que sur l'analyse des deux processus l'articulant, c'est-à-dire les processus de compréhension et de production. ! Puis, dans une troisième partie, nous étudierons les cas de jeux dans ce système, par application et enrichissement de la théorie des jeux. 20 sur 140
  • 22. ! A.1. Du code à la pragmatique ! ! A.1.1. L'approche Saussurienne ! Comme le disent Fuchs et LeGoffic en ouverture de leur ouvrage (1996:15), « il est traditionnel de présenter F. de Saussure comme le "père" de la linguistique  moderne. » Nous ne manquerons pas à cette « tradition ». Fondateur de la linguistique en tant que discipline, Saussure est le théoricien qui a posé les fondations d'une science de la langue. Fondamentalement non pragmatique, son modèle théorique repose plus particulièrement sur la séparation de la langue et de la parole, la langue étant un ensemble de conventions et de règles immanentes, « bien définies » et « homogènes » (Saussure,1995:31-32) partagées par une collectivité parlante ; la parole, à l'inverse, est une manifestation individuelle et singulière de cette langue. Il ressort de cette dichotomie que la langue est posée comme unique sujet de la recherche linguistique, la parole étant relayée à un rang « secondaire » de l'analyse linguistique, se basant sur l'idée qu'il « faut se placer de prime abord sur le terrain de la langue, et la prendre pour norme de toutes les autres manifestations du langage » (Ibid:25) ! De son étude, Saussure exclut le sujet parlant, « la langue étant (...) indépendante de l'individu » (Ibid:37), mais aussi toute forme de contexte, qui n'aurait une place que dans l'étude d’une linguistique de la parole. On se retrouve donc face à une vision de la linguistique envisagée comme l'étude d'une langue-code idéale, immanente et instrumentalisée, utilisée par des sujets parlants idéalisés, excluant tour à tour le sujet parlant ordinaire, le contexte ordinaire mondain ainsi que les usages ordinaires du langage.13 Et, bien que la dichotomie langue/parole paraisse plus dialectique qu'absolue (la langue n'existant qu'au travers de la parole), l'exclusion de ces trois derniers est bel et bien présente dans le Cours de linguistique générale. De cette conception Saussurienne séparant langue et parole, est née la théorie du code, que nous verrons ensuite. 13 Liste extraite de Eluerd (1995). 22 sur 140
  • 23. ! ! A.1.2. La théorie du code ! L'approche Saussurienne fait des signes de simples moyens d'échanges d'informations à contenus fixes, effectués entre deux locuteurs par le canal intermédiaire que serait une langue-code conventionnalisée, plus ou moins universelle au sein de la collectivité représentée par la communauté linguistique à laquelle appartiennent les interlocuteurs. Cette conception voit la linguistique comme l'étude d’un code intrinsèquement conventionnel et au sens immanent, utilisé par des sujets parlants idéaux possédant chacun une copie identique de ce code. Ce modèle exclut les sujets parlants de l'étude, car ce qui importe est l'analyse du langage codé, se situant entre les opérations de codage et de décodage. Dans cette conception, le sujet parlant « émetteur » encode un message qui sera ensuite décodé par le sujet destinataire « récepteur ». En utilisant cette langue-code, les signes traduiraient « une activité mentale » qui préexisterait au langage, c'est-à-dire mettraient du sens dans des structures appartenant à la langue, et seraient utilisés comme « intermédiaire(s) entre la pensée et le son. » (ibid,1995:156) ! Ce modèle du code sera schématisé un peu plus tard par Shannon et Weaver (1948) : C.Shanon & W.Weaver, The Mathematical Theory of Communication. ! Dans cette perspective du modèle linéaire de la communication, celle-ci est réduite à la simple transmission d'un message qui est codé par la langue et où l'échange est fait entre un émetteur « parlant » depuis une source d'information, utilisant un canal pour faire transiter les signaux, signaux potentiellement perturbés par un bruit extérieur, et reçus par un récepteur qui l'envoie à sa destination, la 23 sur 140
  • 24. source et la destination étant les processus cognitifs des locuteurs. Ce modèle du code, également appelé « Théorie de la transmission » ou « Théorie mathématique de la communication », bien que d'inspiration beaucoup plus ancienne, fut conçu pour théoriser les systèmes de télécommunications dans la première moitié du 20ème siècle. Il connut pourtant un succès certain dans les sciences humaines et fut repris par nombreux linguistes, notamment par Jakobson, avec un modèle qui n'est pas sans rappeler le schéma de Shanon et Weaver, auquel il apporte quelques compléments : R.Jakobson, Essais de linguistique générale (1963). ! Ce schéma est le modèle classique de l'étude de la communication en tant que codage et décodage, la définissant comme l'étude formelle de ce mouvement encodage-décodage, échangé entre le « destinateur » et le « destinataire ». Tel deux tennismen s'échangeant une balle sur un court de tennis, les interlocuteurs sont ici vus comme s'échangeant à tour de rôle des « bulles de signification ». Dans un tel schéma, « les messages sont représentés comme des contenus insérés dans des mots, phrases, textes (contenants), transmis d'un émetteur à un récepteur, puis décodés par un processus inverse à celui de l'émission. » (Moeschler,1994:16) De nouveau, ce modèle présente la communication comme le codage d'un message par un code connu identique chez tous les sujets parlants cette langue, et perpétue la supériorité du code, de la langue sur le discours, excluant de l'étude de la communication le sujet parlant en contexte mondain ordinaire ; un modèle où « les paramètres du sujet et de la variation (ont été) évacu(és) de la "langue", en les reléguant à la "parole". » (Fuchs&LeGoffic,1996:9) ! On retrouve ce type d'exclusions dans la grammaire générative, théorisée par Chomsky, et postulant l'existence d'un « code qui associe une représentation sémantique à une forme phonologique » (Sperber&Wilson,1989:22) organisant le 24 sur 140
  • 25. langage en profondeur. Bien que faisant un premier pas vers l'inclusion des locuteurs, son approche n'en reste pas moins une approche typiquement codique. En effet, la communication fonctionnerait par une mise en opposition de deux idiolectes intériorisés par les interlocuteurs, structures appartenant à une langue- code intériorisée, dans lesquelles les locuteurs viendraient injecter du sens avant de le transmettre par le schéma de transmission d'informations. La théorie générativiste renferme donc bel et bien, malgré ce qui pourrait sembler être un premier pas vers la pragmatique par l'inclusion du vis-à-vis des interlocuteurs, le modèle de la langue- code, qui se retrouverait dans un catalogue de « structures profondes », utilisées par les locuteurs, sans tenir compte de la situation d'énonciation. ! Tous ces schémas fondent le sens d'une communication sur sa construction grammaticale correcte ainsi que dans sa vériconditionnalité, c'est-à-dire qu'un énoncé ne peut avoir de sens qu'à condition qu'il respecte une grammaire (un code intériorisé de grammaticalité) correcte, et qu'il exprime des arguments qui puissent être vérifiés/confirmés, ou falsifiés/infirmés. En d'autres termes, une proposition a du sens, et donc peut passer le schéma transmettant l'information, si et seulement si cette proposition est grammaticale et « vraie ». (Eluerd,1985:26-29) ! Pour utiliser une métaphore sportive, où l'on comparerait l'analyse linguistique à une analyse d'un match de tennis, on aurait avec cette théorie du code une analyse qui n'aurait pour objet que l'analyse des mouvements de la balle, de laquelle serait exclue l'importance des joueurs (qui ne feraient que suivre des règles), ainsi que l’importance du matériel qu'ils utilisent ou encore du terrain sur lequel ils jouent. On voit dans ce type de modèle l'exclusion directe de la parole au profit de la langue, et donc par le même biais du sujet parlant, préférant laisser l'utilisation de la langue- code à des locuteurs idéaux théoriques. On constate également l’exclusion du contexte, l'affirmant comme extra-linguistique et donc ne devant pas figurer au sein de l'étude linguistique, ainsi que l’exclusion du langage ordinaire. On donne principalement pour motivation à cette supériorité de la langue l'idée d'un rejet nécessaire du langage ordinaire qui serait trop complexe et désordonné, nébuleuse qui ne pourrait satisfaire les exigences de théorisation scientifique, justification que la pragmatique va prendre à contrepied. 25 sur 140
  • 26. ! ! A.1.3. L'approche pragmatique ! La conception pragmatique de la linguistique (terme utilisé pour la première fois par Morris (1938), la définissant comme l’étude de « la relation du signe14 à ses interprétants »), s'oriente dans une direction totalement opposée. Comme le résume Blanchet (1995:9), la question que se posent les chercheurs en linguistique pragmatique est : « comment le langage (...) produit de la signification, c'est-à-dire des effets, dans le contexte communicatif de son utilisation par les locuteurs. » C'est la conception qui sera suivie dans notre travail. ! Malgré son opposition théorique, il serait incorrect de dire que la pragmatique s'est développée en réaction à la linguistique du code. En effet, les linguistes de cette école de pensée exposent leurs idées depuis la même période, « en même temps, mais avec un développement retardé. » (Eluerd,1985:31) Nous pouvons regrouper dans cette approche des théoriciens tels que Pierce (1958), Wittgenstein (1921) ou Gardiner (1932)15 , et à leur suite Morris (1938), Ducrot (1980), Austin (1962) ou encore Searle (1972), cette liste étant bien sûr loin d'être exhaustive. Les prémisses de ces études se situent dans une non-acceptation de la dichotomie langue/parole, qui imposait une supériorité hiérarchique de la langue sur la parole, excluant de ce fait le langage ordinaire, le contexte mondain, ainsi que le sujet parlant ordinaire. Cette opposition théorique n'invite pas à défaire la hiérarchie et à la renverser, mais plutôt à la prendre comme non pertinente dans l'étude de la communication de par son décrochage théorique de la réalité empirique. Plutôt que de postuler la base de l'étude de la communication sur l'étude d'une langue-code parfaite et idéale, utilisée comme intermédiaire entre deux sujets parlants idéaux, cette approche pose ses fondations dans l'étude des actes de langage ordinaires, utilisés en contextes réels par des sujets parlants ordinaires. 14Nous rappelons que l’usage que nous faisons du terme « signe » est à prendre au sens large, c’est- à-dire en tant que manifestation sémiotique d’un ou plusieurs signes. 15 Égyptologue de formation, à l'influence sous-jacente sur le développement de la pragmatique, son ouvrage The Theory of Speech and Language fût publié à Oxford en 1932. Il y développe une analyse des « actes de langage ordinaires », à contrecourant des théories de l'époque. Nous pouvons considérer a posteriori son ouvrage comme pionnier dans l'analyse linguistique pragmatique. L'ouvrage que nous utiliserons et citerons ici est l'ouvrage traduit et introduit par Douay, publié en 1989 aux Presses Universitaires de Lille 26 sur 140
  • 27. ! Comme nous venons de le dire, la linguistique pragmatique, au travers d'une critique de l'artificialité des théories et des exemples canoniques de la linguistique « classique », pose ses fondations dans l'étude du langage ordinaire. Cette prise de position en faveur du langage ordinaire suppose des fondations théoriques aux antipodes de celles de la théorie du code, notamment en ce qui concerne l'obtention du sens. Puisqu'elle impose une relation stricte dans le signe entre le signifiant (matière acoustique) et le signifié (concept), la théorie du code impose l'obtention du sens à travers le signe aux seules conditions que l'énoncé soit grammaticalement correct, ainsi que possiblement réfutable ou confirmable, le sens reposant donc sur la vériconditionnalité de l'énoncé. Le rejet de la centralité de la vériconditionnalité est fondamentale à la pragmatique, et se retrouve notamment dans la Théorie des actes de langage, développée dans un premier temps par Austin (1962), et à sa suite par Searle (1972). Nous pouvons retrouver dans cette théorie l'opposition entre les actes à valeur descriptive, qui eux sous-tendraient une idée théorique de vériconditionnalité, et les actes à valeur performative, qui eux ne sous-tendraient pas cette idée : ces derniers sont des manifestations sémiotiques qui, par leur énonciation, accomplissent un acte. Ils ne sont ni vrais, ni faux et ne décrivent rien, ils existent uniquement au travers de l'accomplissement performatif par le sujet parlant. Ce point de vue sur les conditions de vérité est également réfuté par Ducrot qui, parmi d'autres, affirme que « ce dont parle le locuteur existe réellement ou non ne change rien au fait qu'il en parle et qu'en parlant, il fait comme si cette existence allait de soi. » (Eluerd,1991:103) Cette affirmation admet donc que le sens d'une proposition ne se trouve pas dans ses valeurs de vérité mais dans l'usage qui en est fait, dans l'habitude que cet usage crée. Ainsi, « une expression du langage n'a de sens que dans la mesure où nous pouvons en faire un certain usage. » (ibid:144) Le sens à travers l'usage n'exclut bien sûr pas l'importance de la vérité dans la langue, mais cette vérité n'est pas obtenue par une vérité immanente dans la relation signifiant/signifié, mais par l'usage qui est fait d'une forme sémiotique, par le jeu de langage au travers duquel le signe existe dans le langage ordinaire. Comme le dit Gardiner (1989:257) « le discours fait référence à des choses réelles et imaginaires avec une stricte impartialité.  » Ce qui légitime l'existence discursive d'un signe est son acceptation mutuelle d'existence à l'intérieur du discours, non pas les conditions de vérité auxquelles il satisferait. 27 sur 140
  • 28. ! Cette légitimation du sens par l'usage plutôt que par une justification logique est très importante. En effet, la linguistique pragmatique ne s'intéresse pas aux conditions de vérité d'un signe comme renfermant « le » sens : dans l'optique pragmatique, ce sens est obtenu à travers l'usage qui est fait au sein de la communauté linguistique par les usagers du langage dont il est question. Cette idée est très importante pour notre développement lorsque nous aborderons l'étude des jeux de langage : les jeux de langage ne trouvent pas leur sens (ou leur non-sens) à l'intérieur de la confrontation des conditions de vérité du signe, mais dans une confrontation de l'usage, de l'habitude qui existe de ce signe. Lorsqu'un locuteur se trouve face à un signe qui lui parait ne pas faire sens, ce n'est pas parce qu'il ne parvient pas à obtenir le raisonnement logique et/ou vériconditionnel qui sous-tend cette séquence particulière, mais bien parce qu'il n'arrive pas à faire converger le signe reçu avec une habitude, un usage de ce signe. ! Pour reprendre l'analogie sportive, l'approche pragmatique prend le contrepied de ce qu'était la théorie du code. La pragmatique vient pour analyser non pas le déroulement d'un match idéal entre deux joueurs idéaux mais le déroulement d'un match effectif, c'est-à-dire non pas l'analyse des coups qui suivraient des codes de jeux, idéalisant les mouvements des joueurs en les définissant selon leur vérité ou non, mais l'analyse des coups qui existent dans le déroulement réel d'un match, et donc l'analyse des actes durant le match, légitimés en tant que coup par leur existence, et non pas par leur concordance effective ou non à un code qui préexisterait au jeu, ou par leur déroulement idéal. ! Ainsi, la langue-code, parfaite et idéale, outils hypothétiquement adéquat à l'étude linguistique, se légitimerait par une capacité à faire face aux prétendues imperfections du langage ordinaire. Cependant, ce langage ordinaire n'est-il pas celui qui est parfait, et le langage idéal porteur d'imperfection, puisque c'est ce même langage parlé ordinaire qui a survécu et s'est adapté tout au long de l'évolution humaine, ayant permis à l'homme de faire face aux innombrables situations de la vie quotidienne et de se développer intellectuellement ? N'est-ce donc pas, si l'on suit cette idée, la langue-code idéale que nous devrions considérer comme imparfaite, puisque incapable d'envisager une utilisation empirique ? Nous envisageons que cela est le cas, et la suite continuera d'aller dans ce sens. 28 sur 140
  • 29. ! A.2. La pragmatique et la pertinence « It is not what you said that matters but the manner in which you said it. » William Carlos William. Note : alors qu'il s'agissait d'un déroulement et un renversement de point de vue théorique dans la partie A.1, nous donnerons ici non pas un changement, mais un affinement de la théorie pragmatique. Dans la dernière partie, nous développerons notre propre modèle. ! ! A.2.1. La fin de l'opposition langue/parole ! Nous avons vu que la théorie du code, reposant sur l'opposition langue/parole, engendre un certain nombre d'exclusions. Par la prise de position en faveur de l'analyse du langage ordinaire, la théorie pragmatique vient mettre fin à cette opposition, et donc aux exclusions qui lui était inhérente. C'est la fin de ces exclusions que nous verrons ici. ! La théorie pragmatique se base sur un rejet de la notion de monologue, c'est- à-dire une prise en compte de l'ensemble des interlocuteurs. Fondamentalement, « il n'y a de pragmatique possible qu'avec la prise en compte effective des interlocuteurs. » (Eluerd,1985:189) Gardiner (1989) pose rapidement cette prémisse dans son ouvrage, dès le §7, intitulé « L'origine sociale de l'acte de langage : l'auditeur » dans lequel il soutient que « le développement du langage suppose nécessairement un emploi délibéré de sons articulés dans le but d'influencer la conduite d'autrui. » (25) Nous pouvons en effet douter que le langage ne serve qu'à l'expression d'une vie mentale intérieure et personnelle. En effet, pourquoi l'homme utiliserait-il un discours aussi complexe pour exprimer quelque chose que ses pensées suffisent à exprimer pour lui-même ? Pour reprendre la question posée juste avant cette partie, le langage ordinaire est celui qui a fait face aux innombrables situations humaines, celui qui a permis de passer, au cours de l'évolution, des cris primaires au langage complexe qu'on connait à l'homme d'aujourd'hui. C'est donc dans un but coopératif de développement social et collectif que l'homme utilise le discours. À travers l'approche pragmatique, communiquer n'est plus utiliser un code pour transmettre une information sur les pensées qui sont propres à un individu, 29 sur 140
  • 30. mais bel et bien prendre part à un discours dialogique en vue d'influencer un interlocuteur, au travers d'un effort réciproque de coopération pour faire émerger une inter-compréhension, une mise en commun du sens. Ainsi, le langage a pour fonction première, non pas d'exprimer les « méditations intellectuelles » de l'individu, mais d'entrer en contact avec l'Autre. Comme le souligne Gardiner (1989:24) : « dans bon nombre de cas, on ne parle de rien en particulier. » Le langage est donc fondamentalement dialogique, le dialogisme étant, selon la définition de Jacques (1979 cité dans Douay,2000:36) « la distribution effective de l'énonciation sur deux instances énonciatives, lesquelles sont en relation communicative actuelle. » Avec la théorie pragmatique, l'essence du langage est la communication, cette communication passant par l'entrée en interaction de deux (ou plusieurs) individus qui ne sont plus émetteur et récepteur mais interlocuteurs, interactants ou encore co- énonciateurs, cette même interaction étant le but premier de la communication : au- delà de la communication sur les choses, l'homme communique également, et parfois uniquement, afin d'entrer en contact avec l'Autre. De ce fait, le but de certaines communications se trouve dans l'entrée en contact et dans l'établissement, la modification et/ou l'affirmation d'une relation sociale avec autrui. Pour résumer, ce qui pousse un individu à la parole, ce n'est pas uniquement la transmission d'information(s) concernant l'expression de ses pensées, mais bien majoritairement l'entrée en contact avec autrui dans une situation interactive de communication ordinaire, le positionnement d'un acte de langage individuel vis-à-vis de celui de l'Autre. Il devient impossible d'ignorer l'importance qu'a le contexte dans l'interaction. ! Ignorer le contexte dans lequel le signe se produit revient à prêter à toute manifestation sémiotique un lien immanent entre le signe et le sens auquel il renvoie, inséparable et irréductible, indépendant de tout contexte, définissant le signe comme un signe-étiquette posé sur chaque chose. C'est l'optique inverse que la théorie pragmatique suit, qui est l'optique selon laquelle tout acte de langage « a lieu dans un contexte défini par des données spatio-temporelles et socio-historique. » (Fortin, 2007:111) La prise en compte du langage ordinaire dans cette théorie suppose d'accepter que chaque signe, dans son énonciation ordinaire, est dépendant du contexte dans lequel il se trouve, en ce sens qu'il est influencé par le contexte, et en même temps le modèle. Le signe n'apparait plus comme transparent, ce n'est plus un signe-étiquette, car «  potentiellement, tout mot qui est prononcé peut faire 30 sur 140
  • 31. référence à l'univers entier.  » (Gardiner,1989:51) Cette importance du contexte se trouve dans l'analyse que Benveniste (1966) fait des pronoms personnels : si l'on ne considère pas le contexte dans lequel apparaît la communication, à quoi renvoient les pronoms je et tu ? En effet, les pronoms personnels ne peuvent être classés dans la catégorie des signes-étiquettes, puisque ce sont des signes qui renvoient à un « extra-linguistique » constamment renouvelé dans chaque contexte, tout comme le sont des signes tels que ici et maintenant. Ducrot, quant à lui, distingue la phrase comme « être linguistique abstrait » de l'énoncé « occurrence particulière, unique, (...) réalisation concrète de la phrase dans une énonciation » (Ducrot,1979 cité dans Eluerd,1985:97). Nous retrouvons un développement plus radical chez certains penseurs avec un refus de l'existence possible d'un sens littéral qui existerait « hors contexte ». Ce rejet d'un sens littéral « hors contexte » qui existerait au sein de la langue, abstrait indépendant de toute circonstance contextuelle, se rencontre chez Gardiner, à une période antérieure à la théorie de Ducrot, et à la suite de Ducrot chez Searle. Dans son article Le sens littéral, traduit dans Sens et expression en 1982, Searle annonce qu'il contredira « l'idée que, pour toute phrase, le sens de la phrase peut être interprété comme le sens qu'elle a quand elle est prise hors de tout contexte. » Searle, et Gardiner avant lui, défendent l'importance du contexte dans la création du sens, puisque ce sens est obtenu via la mise en relation des signes et des informations d'arrière plan, en d'autres termes, le signe sert de complément aux éléments d'arrière plan, et avec le signe, les interlocuteurs « ne disent pas tout », mais uniquement ce qui est nécessaire pour compléter cet arrière plan, chacun mettant en place une stratégie inférentielle de compréhension. C'est cette stratégie inférentielle qui sera développée dans la partie suivante. ! Pour continuer l'analogie sportive, considérer l'étude du langage au travers du prisme de la pragmatique revient à analyser l'échange des deux joueurs d'un match de tennis, en analysant leurs coups réels, empiriquement effectués sur un court de tennis particulier, en envisageant que les conditions de jeu influencent la façon dont jouent les deux adversaires/partenaires et qu’aucun coup ne peut se faire hors du terrain. Cela revient aussi à envisager que chaque joueur adapte son jeu en fonction du terrain et des conditions de jeu dans lequel il se trouve, mais aussi de la façon dont il souhaite que son coup atteigne son adversaire/partenaire. 31 sur 140
  • 32. ! A.2.2. Le modèle inférentiel ! À la suite de l'étude pragmatique et de la fin de la dichotomie langue/parole, la prise en compte du sujet parlant et du contexte fut approfondie par Grice et les théoriciens à sa suite, avec le concept de coopération, d'inférence ainsi que les maximes conversationnelles. On retrouve chez Gardiner un développement qui n'est pas sans annoncer les théories ultérieurement développées par Grice. ! Gardiner (1989) donne un rôle aux signes qui est différent de celui du rôle qui leur est donné dans la théorie du code. À l'inverse d'un signe-étiquette vu comme l'expression d'une pensée, l'existence d'un signe est envisagée comme un indice nécessaire pour compléter le vide communicationnel laissé par le contexte. En d'autres termes, le signe est utilisé afin de combler ce que le contexte d'interaction ne « dit » pas : Les mots sont choisis après une évaluation très précise de leur intelligibilité ; plus la chose dont on parle est éloignée, plus on devra fournir d'indices afin de permettre son identification. En revanche, si la situation est la même pour le locuteur et pour l'auditeur du point de vue temporel et spatial, un seul mot ou indice suffira souvent à l'identification. (...) Les mots ne sont que des indices, la plupart des mots ont un sens ambigu et, dans chaque cas, la chose-signifiée doit être découverte dans la situation, par l'intelligence vive et active de l'auditeur. (1989:51,§16,nous soulignons) ! Il est important de noter dans cet extrait la notion d'indice et d'intelligence vive et active de l'auditeur. On retrouve à travers ces deux idées l'importance de la situation d'énonciation dans la communication : dans un contexte précis, les interlocuteurs ne codent pas une pensée en un signe transparent pour le transmettre à l'Autre qui viendra le décoder. Ici, l’interlocuteur produit le signe en tant qu'indice de sens, complétant la situation d'énonciation, afin que l’Autre découvre, infère la chose- signifiée. C'est-à-dire qu'une situation contextuelle fournit des indices, qui, s'ils ne sont pas suffisants pour la communication, vont être complétés par des signes. Prenons un exemple concret. Deux amis sont chez l'un en pleine discussion. Celui qui est reçu a terminé son verre. Celui qui reçoit va donc lui en proposer un nouveau. Il peut le resservir directement, mais aussi lui proposer, par un simple signe élocutionnel montrant la bouteille ou encore en lui disant « Un autre ? » Ici, nous le voyons bien, nous ne sommes pas dans une situation de phrases ou de signes qui pourraient être vus comme elliptiques, où le complément serait fourni par des signes tronqués. Au contraire, ce qui fournit le complément, c'est le contexte. Tout dans le 32 sur 140
  • 33. contexte est indice de ce que l'hôte souhaite signifier, et le signe qu'il produit est un complément d'indices de ce que la situation d'énonciation ne possède pas. Dans la conception de Gardiner, ce qui guide la production d'un signe, ce n'est pas la transformation d'une pensée en signe(s) via un code, mais bien une « visée communicative » (Douay,2000:45) du signe. Ce qui légitime l'utilisation d'un signe est le fait que l'interlocuteur reconnaisse que le locuteur communique à travers ce signe. Les interlocuteurs sont dans une situation de coopération pour trouver un accord sur le sens, plutôt que dans une situation de codage-décodage. ! Ainsi, Gardiner souligne, bien avant Grice, l'importance de la coopération dans la communication. Nous retrouvons cette notion chez Grice, qui la formalise notamment dans deux de ses articles Meaning (1957) et Logic and Conversation (1975). Dans son premier article, il développe l'idée que le sens est obtenu grâce à la reconnaissance par l'interlocuteur des intentions communicatives du communicateur. Il y fait la distinction entre les signes signifiant naturellement et ceux signifiant non- naturellement, c'est-à-dire produits intentionnellement et non-intentionnellement. Ce qui fait qu'un signe puisse signifier non-naturellement, donc par convention, c'est l'effort du locuteur pour rendre explicite son intention de produire un effet à travers ce signe, et en retour la reconnaissance par l'interlocuteur de cette intention de communiquer, c'est-à-dire une capacité à communiquer et à méta-communiquer (à communiquer que l'on communique).16 Nous retrouvons également chez Grice (1975), l'approche des signes comme indices de l'intention communicative : lorsque un auditeur reconnait l'intention qu'a le locuteur de communiquer, il va chercher à se représenter ce que le locuteur veut communiquer. Les interlocuteurs possèdent la capacité de se représenter ce que Grice (1975) appelle les « implicatures conversationnelles ». Nos conversations n'étant pas « une succession de remarques décousues », mais un « effort coopératif » 17, l'interlocuteur a donc toutes les raisons de s'attendre à ce que le locuteur lui fournisse les indices nécessaires, qui, une fois mis en parallèle avec le contexte, l'amèneront à la compréhension du sens. D'après Grice, ce « principe coopératif » trouve en lui l'accord des interlocuteurs sur un 16 Nous avons déjà abordé cette question dans l'avant propos AP.2. 17 Grice,1975:45: « Our talk exchanges do not normally consist of a succession of disconnected remarks, and would not be rational if they did. They are characteristically, to some degree at least, cooperative efforts. » 33 sur 140
  • 34. certain nombre de principes, appelés maximes conversationnelles, qui sont au nombre de quatre : la quantité (faites que votre contribution contienne autant d'informations que nécessaire, mais pas plus), la qualité (faites que votre contribution soit vraies), la relation (soyez pertinent) et la manière (soyez clair)18. Partant de la présomption que chaque interlocuteur est implicitement en accord sur ces maximes, et que la violation d'une maxime aura un effet particulier producteur de sens, tout signe est donc indice qui permet à l'interlocuteur d'inférer ce que le locuteur a voulu signifier. Par exemple, si la réponse à la question « À quelle heure viens-tu ? » est « Dans l'après-midi ! » le premier pourra inférer de la réponse du second que celui-ci, adhérant au principe de coopération, ne donne pas plus d'informations car il ne les possède pas et n'est pas capable de donner une heure précise. Il infère donc, en mettant le signe en relation avec le contexte, et à travers les maximes conversationnelles, ce que le locuteur a voulu signifier. Pour résumer, les deux interlocuteurs coopèrent implicitement pour se comprendre à travers l'acceptation de l'implicature que composent les quatre maximes, cette implicature conversationnelle qu'est le principe de coopération étant un accord sur un ensemble de « principes de conversation » à respecter dans le discours. ! Le modèle que nous venons de voir est appelé « modèle inférentiel » puisqu'il base l'obtention du sens sur l'action de reconnaissance par l'interlocuteur des indices laissés par le locuteur, indices qui, une fois mis en parallèle avec le contexte et l'ensemble de l'implicite du discours, permettent d'inférer des conclusions qui sont logiquement impliquées par le contexte, selon ce modèle, « communiquer, c'est produire et interpréter des indices. » (Sperber&Wilson,1989:13) ! Fondamentalement, ce qui distingue l'analyse gricéenne des autres théories, c'est de suggérer que la reconnaissance de l'intention de communication puisse suffire à l'existence d'une communication, et donc qu'il puisse exister une communication uniquement inférentielle. Sperber et Wilson, dans leur ouvrage La Pertinence (1989), vont reprendre ces théories développées par Grice et Gardiner, mais ne retenir qu'une seule des quatre maximes, englobant toutes les autres : « soyez pertinent ». 18 Nous n'avons pas développé les sous-maximes propres à chacune, qui sont des explicitations de la maxime générale. 34 sur 140
  • 35. ! ! A.2.3. La pertinence ! De Grice, Sperber et Wilson, garderont plusieurs principes : le principe d'expression et de reconnaissance de l'intention communicative, le principe d'inférence ainsi que celui de coopération. Cependant, ils ne reconnaissent pas à ce principe de coopération un ensemble strict de maximes qui seraient partagées par les interlocuteurs, mais au contraire voient ces maximes comme pouvant se résumer à une seule d'entre elle : « Soyez pertinent ». De plus, on ne retrouve pas dans leur travaux une distinction aussi nette entre le modèle du code et le modèle de l'inférence. En effet, « la communication verbale met en jeu à la fois des processus de codage et des processus inférentiels. » (ibid:13) Dans leur théorie, ils reprennent le modèle inférentiel de la communication développé par Grice, afin de l'insérer dans une théorie qui reconnait la communication comme intégrant du code, mais en tant que partie intégrante d'un système inférentiel, et donc un système où la compréhension est une phase de décodage d'une forme logique linguistiquement codée, livrant des possibilités d'interprétation, qui, une fois enrichies par le contexte, permettent à celui qui comprend d'inférer des conclusions hypothétiques sur l'intention communicative du locuteur19 . Comme ils l'écrivent (ibid:55) : «  les hypothèses de Grice peuvent constituer le point de départ d'une telle analyse théorique. À cet égard, la principale faiblesse des hypothèses de Grice n'est pas de définir la communication de manière trop vague, mais d'en proposer une explication trop pauvre.  » En effet, le modèle gricéen, bien qu’entièrement pragmatique, est toutefois lui aussi critiquable, puisqu'il revient à considérer qu'un joueur joue en analysant uniquement les intentions de jeu de son partenaire. La théorie de la pertinence remet aussi en cause la nécessité de suivre des maximes aussi strictes, ainsi que l'utilisation délibérée d'une violation ou d'une déviance d'une ou plusieurs maxime(s) afin de produire du sens. Ce qui fait sens, ce n'est pas le respect ou non 19 Sperber&Wilson (2004) :« An utterance is a linguistically coded piece of evidence, so that verbal comprehension involves an element of decoding. However, the linguistic meaning recovered by decoding is just one of the inputs to a non-demonstrative inference process which yields an interpretation of the speaker's meaning. » Wilson&Sperber (1993:1) : « a modular decoding phase is seen as providing input to a central inferential phase in which a linguistically encoded logical form is contextually enriched and used to construct a hypothesis about the speaker's informative intention. » Il est important de constater ici que le décodage ne concerne pas un signe-étiquette, mais bien une forme logique. L'inférence suppose une capacité humaine méta-représentationnelle : les interlocuteurs sont capables de se représenter les représentations mentales de l'Autre. 35 sur 140
  • 36. de ces maximes, mais plutôt la coopération mutuelle pour signifier de façon optimale la pertinence d'un énoncé.20 ! La communication humaine est donc un processus guidé par une recherche de la pertinence optimale. La recherche de la pertinence n'est pas propre à la communication, mais à l'ensemble des processus cognitifs humains. Dans l'ensemble, tout processus cognitif humain cherche à optimiser sa pertinence. Un input est maximalement pertinent lorsqu'il crée un maximum d'effets pour un minimum d'effort cognitif. Ce qui fait la pertinence d'un stimulus au sein de la masse de stimuli disponibles est ce rapport effet/effort, à savoir que plus un stimulus a d'effets et moins il nécessite d'effort cognitif de traitement, plus celui-ci sera pertinent. Pour qu'un stimulus soit pertinent, il faut que l'effort cognitif qu'il entraine soit justifié par l'effet cognitif qu'il crée. Ainsi, tout système cognitif humain cherche à optimiser la pertinence, non pas par choix, mais suite à son évolution. La communication, processus majoritairement cognitif, ne déroge pas à cette règle. Lors d'un échange interlocutif, est considéré comme pertinent tout input dans le système qui, après avoir été mis en relation avec son arrière plan cognitif ainsi qu'avec le contexte d'énonciation, permet une inférence chez un interlocuteur et crée les effets cognitifs désirés, également appelé « effets cognitifs positifs ». Lorsqu'ils communiquent, les interlocuteurs sont dans un système coopératif où chacun fait un effort pour comprendre et pour se faire comprendre. Ainsi, connaissant la tendance de chacun à maximiser la pertinence, ils sont amenés à produire un signe qu'ils considèrent comme assez pertinent pour permettre à l'Autre de faire appel aux informations d'arrière-plan de la situation d'interlocution et d'inférer la conclusion souhaitée, c'est- à-dire qu’un interlocuteur est supposé produire un stimulus assez pertinent (à l'intérieur de ses limites d'aptitudes et de préférences) pour être relevé et traiter cognitivement le plus simplement possible par l’Autre. En même temps, un interlocuteur, sachant que l’Autre coopère pour fournir un stimulus aussi pertinent que possible, va en contrepartie choisir celui qui lui semble le plus pertinent dans la situation de communication comme indice des conclusions à inférer, en suivant un chemin de moindre effort. La compréhension s'effectue donc à travers l'inférence de conclusions depuis un nombre de reconstructions à partir d'hypothèses qui tiennent 20 Sperber&Wilson (2004) : « The central claim of relevance theory is that the expectation of relevance raised by an utterance are precise enough, and predictable enough, to guide the hearer towards the speaker's meaning. » 36 sur 140
  • 37. au contenu de la production, mais aussi aux prémisses contextuelles et à ses conclusions. De ce fait, tout énoncé produit dans la communication communique avec lui la présomption de sa pertinence optimale. Selon Sperber et Wilson (1989:11), le but de la communication est de modifier l'environnement de l'Autre, en amenant «  le second dispositif à construire des représentations semblables à certaines des représentations contenues dans le premier », son ressort principal reposant sur la reconnaissance par l'interlocuteur de l'intention communicative du locuteur. En d'autres termes, une communication est une communication lorsqu'elle sous-tend un désir d'être ostensiblement inférentielle, i.e. lorsqu'elle est « ostensivo-inférentielle ». Ainsi, une communication est réussie lorsque l'interlocuteur reconnait que le locuteur produit des signes ostensivo-inférentiels. ! Pour poursuivre l'analogie, l'analyse du jeu de deux tennismen doit prendre en compte ce que les joueurs envoient, mais aussi la façon dont ils l'envoient, le terrain sur lequel ils jouent, les handicaps de chacun, etc., toute « passe » d’un joueur étant la combinaison de ces différents facteurs. Certaines communications sont codées, d'autres existent sans qu'aucun code ne puisse les déchiffrer : l'ensemble étant guidé par le processus d'inférence, optimisé par la recherche d'une maximisation de la pertinence, le contenu communiqué par une production allant au delà de ce qui est linguistiquement encodé21 . Dans le modèle de Sperber et Wilson, ce qui est linguistiquement codé ne fait pas appel à un codage-décodage comme nous pouvions le trouver dans les théories du code : les deux interlocuteurs ne possèdent pas chacun une copie identique d'un code dont ils se serviraient pour coder et décoder un signe. Ce qui est codé dans ce modèle, c'est un signe faisant appel à un savoir encyclopédique propre à chacun, ainsi, chaque signe fait potentiellement appel au savoir encyclopédique de l'interlocuteur qui, à l'aide du contexte, va réduire ces informations encyclopédiques de façon à ne faire ressortir que le sens qui sera pertinent en contexte. ! Dans ce modèle, la communication est guidée par le processus de pertinence, qui se définit comme la recherche de l'optimisation des processus intrinsèques à la 21Sperber&Wilson,2004 : « The explicitely communicated content of an utterance goes well beyond what is linguistically encoded. » 37 sur 140
  • 38. communication, à savoir la compréhension et la production. La communication est vue comme essentiellement collaborative, c'est-à-dire que chaque interlocuteur est supposé fournir un effort relativement maximal afin de pouvoir s'inter-comprendre. Cet effort d'inter-compréhension va donc amener le locuteur à produire un stimulus qui est optimalement pertinent (dans les limites de ses capacités et de ses aptitudes), et l’Autre, s'attendant à ce que l’interlocuteur lui fournisse un stimulus optimalement pertinent, va inférer du stimulus qu'il reçoit que la conclusion qui lui semble la plus pertinente est celle que l’interlocuteur a voulu lui communiquer, la pertinence optimale d'un stimulus se trouvant dans un effort cognitif se justifiant par un effet cognitif équivalent. On y retrouve un rappel de la théorie du code, en ce sens que la théorie de la pertinence prend le code comme une partie des inputs du processus inférentiel, mais, au contraire de la théorie du code dans laquelle le signe est vu comme une étiquette, ce qui est encodé dans la théorie de la pertinence est une forme logique permettant de renvoyer à une entrée d'informations contenue dans le savoir encyclopédique d’un interlocuteur, et c'est une fois cette forme encyclopédique enrichie par le contexte que le sens apparait. ! Le point essentiel pour notre propos, traitant de la communication et de ses jeux, est l'importance de l'inférence dans l'échange interlocutif. En effet, envisager la communication comme dirigée par le processus d'inférence permet d'envisager que les résultats des processus cognitifs à l'oeuvre dans la communication ne sont pas identiques chez les deux interlocuteurs : la compréhension consiste à une reconstruction d'hypothèses sur l'acte de production, une reconstruction des processus cognitifs de l'Autre selon des critères qui sont propres à chacun. Ainsi, une représentation mentale par un interlocuteur ne sera jamais reproduite à l'identique chez l'Autre. Ce qu’engage la communication, c'est d'oeuvrer à fournir des indices afin d'optimiser la reconstruction par l'autre d'hypothèses sur ses représentations mentales, mais malgré tout le soin que peut prendre un locuteur pour optimiser cette pertinence, il ne sera jamais certain de la réussite de la communication, c'est-à-dire certain que la conclusion à laquelle arrivera l'Autre est exactement celle qu'il voulait lui faire inférer. 38 sur 140
  • 39. ! A.3. L'économie cognitive ! ! A.3.1. La communication comme système ! Comme nous venons de le voir, dans le modèle pragmatique ainsi que dans le modèle inférentiel et la théorie de la pertinence, les interlocuteurs communiquent par interaction, c'est-à-dire que leurs décisions de communication sont influencées par la présence et la nature de l'Autre, mais également par le contexte spatio-temporel dans lequel se déroule la communication. Ces particularités correspondent aux caractéristiques d'un système selon la définition de Von Bertalanffy (1973:32&17), qui le définit comme un « ensemble d'éléments en interaction les uns avec les autres (...) formé de parties en (...) interaction" fortes" ou "non linéaires".» La communication est plus particulièrement un système ouvert, c'est-à-dire un système qui entretient une relation continuelle entre ses éléments et les éléments de son environnement (ou contexte). ! Avant d'aborder ce qui fait les caractéristiques de ce système, nous ferons dans un premier temps un point sur les interlocuteurs engagés dans celui-ci. Comme nous l'avons vu dans ce chapitre, le modèle pragmatique et ensuite son affinement par la théorie de la pertinence fait disparaitre la vision d'une communication basée sur le modèle d’un code utilisé de façon mécanique par des « hommes-robots » utilisateurs de signes-étiquettes dans un va-et-vient entre émetteur et récepteur. Le modèle de la pertinence, qui vient contredire la vision de la théorie du code, ne sera pourtant pas totalement adéquat pour notre propos. Même dans la théorie de la pertinence, nous retrouvons l’idée d'un échange alterné entre « communicateur et auditeur », qui, bien qu'affirmant que la production et la compréhension sont des processus simultanés, laisse toujours la place à un échange théoriquement alterné entre deux (ou plusieurs) locuteurs. Ce n'est pas cette vision que nous suivrons. De fait, il est essentiel de concevoir que la compréhension et la production, les deux processus intrinsèques à la communication, sont des processus simultanés, non pas que l'un comprend alors que l'Autre produit, mais bien que les deux processus ont 39 sur 140
  • 40. lieu chez chaque interlocuteur de façon simultanée. En effet, nous avons vu dans l'Introduction22 qu'il était impossible de ne pas communiquer. Ainsi, nous sommes en continuelle position intérieure dans la communication, c'est-à-dire que nous somme toujours en train de communiquer : ce n'est pas parce que nous ne sommes pas en train de « parler » que nous ne sommes pas en train de communiquer : un interlocuteur se doit de produire un signe pour signifier à son interlocuteur qu'il est (ou non) dans un processus actif de compréhension de ce que l'Autre produit, un interlocuteur n'est donc jamais dans une position neutre de non-communication en tant que simple « auditeur ». En même temps, si celui « qui parle » n'est pas en même temps « auditeur », il ne pourrait pas être activement attentif à ce que produit son interlocuteur, de simples notions comme « se faire couper la parole » n'existeraient pas, puisque à quoi bon couper la parole à un producteur si celui-ci ne le remarquera pas, n'étant pas en position « d'auditeur » ? Ainsi, il existe un rôle de « communicateur » et d' « auditeur » si l’on s’en tient au seul caractère phonique de la communication, c'est-à-dire un qui produit un signe locutionnel et l'Autre qui écoute ce signe, mais dans une étude de la communication il n'y a pas de place pour une telle distinction, puisque comme nous l'avons vu, la communication passe par des canaux qui peuvent être autres que locutionnel. C'est pourquoi, pour la suite de cette étude nous préférerons le terme interlocuteur pour désigner un sujet se trouvant engagé dans le système communicationnel, et ainsi nous éviterons les confusions que laisseraient apparaitre l'utilisation des termes cités précédemment. ! De plus, ne pas penser les sujets engagés dans le système comme étant simultanément en production et compréhension active contredirait deux des principes fondateurs du système de la communication : le principe de totalité ainsi que le principe de rétroaction ou d'adaptation, le second découlant fondamentalement du premier. La totalité dans un système suppose « qu'une modification d'un des éléments entraînera une modification de tous les autres, et du système entier. » (Watzlawick,1972:123) Ainsi, changer n’importe quel élément à n’importe quel moment modifie le système, que cet élément soit un interlocuteur ou une production sémiotique. Cette totalité entraine les interlocuteurs à devoir 22 Introduction I.1. L’impossibilité de ne pas communiquer 40 sur 140
  • 41. s'adapter aux modifications du système, et ce par le principe de rétroaction23 . En effet, si un interlocuteur ne comprenait pas en même temps qu’il produit, comment pourrait-il en adapter sa pertinence ? Nous trouvons empiriquement nombre d'interlocuteurs qui énoncent « Tu m'écoutes ? » ou encore « Tu as l’air ailleurs ». Sans un processus d'adaptation possible à travers une compréhension simultanée à la production, l'interlocuteur ne saurait pas s’adapter à l’Autre. L'idée d'un système en tant que totalité nous rappelle également qu'au sein d'une interaction, l'influence n'est pas unilatérale : un élément A influence un élément B tout autant que l'élément B influence l'élément A. En communication, tout interlocuteur produit en fonction de l'Autre, à savoir qu'un interlocuteur A influence l'interlocuteur B tout autant que l'interlocuteur B influence l'interlocuteur A. Le principe de rétroaction, que nous venons d'effleurer, est facteur d'une recherche de l'équilibre du système par les interlocuteurs, c'est-à-dire qu'ils cherchent à ce que la mise en commun par la communication se déroule via une pertinence optimale. Cette recherche de l'équilibre est effectuée par recherche d'une pertinence optimale. Nous verrons par la suite à quoi correspond la pertinence et quel est l'équilibre recherché. Le fonctionnement de la rétroaction au sein de ce système autorégulateur (ou autopoïétique) sera abordé en détail dans le second chapitre. ! Un autre principe inhérent au système de la communication est le principe d'équifinalité, c'est-à-dire que dans ce système « le même état final peut être atteint à partir de conditions initiales différentes ou par des chemins différents.  » (VonBertalanffy,1973:38) Il existe donc plusieurs moyens pour un interlocuteur d'arriver à ses fins, ce qui l'entraine à devoir effectuer des choix, des décisions au sein de l'ensemble des moyens à sa disposition. Ces choix sont motivés par la tendance à la recherche d'un équilibre au sein du système. Avant de développer dans le second chapitre de ce travail plus en détail les processus de production et de compréhension, nécessaire à la rétroaction du système qu'est la communication, ainsi que l'influence de son identité en tant que système ouvert (dans le sens d'une ouverture influençant et influencée par ses environnements), nous reviendrons dans les deux parties terminant ce premier chapitre sur l'incertitude liée à l'équifinalité, ensuite sur les processus cognitifs de pertinence mis en place afin de faire face à cette incertitude. 23 Ce principe sera développé plus en détail dans le Chapitre II. 41 sur 140
  • 42. ! ! A.3.2. Retour sur l'incertitude ! Comme nous l'avons vu dans la partie A.2.3., le principe fondateur gouvernant la cognition lors de la communication est celui de l'inférence. ! Ainsi, les interlocuteurs ne décodent pas un message qu'ils « reçoivent », ils infèrent des conclusions tirées du parallèle fait entre les prémisses présentes dans le contexte et les indices laissés par l'un (ou chacun) d'entre eux. Comme le disent Sperber et Wilson (1989:27), à propos de l'opposition entre l'inférence et le décodage, « un processus inférentiel a pour point de départ un ensemble de prémisses et pour aboutissement un ensemble de conclusions qui sont logiquement impliquées ou, au moins, justifiées par les prémisses. Un processus de décodage a pour point de départ un signal et pour aboutissement la reconstitution du message associé au signal par le code sous-jacent. » Inférer, si l'on reprend la définition du Nouveau larousse encyclopédique (1994), c'est « tirer quelque chose comme conséquence d'un fait, d'un principe. » De ce fait, la communication est un processus déductif, c'est-à-dire dans lequel les communicateurs partent de leurs prémisses pour tirer des conclusions, l'ensemble des prémisses qu'il existe à un énoncé constituant son contexte. Cependant, comme nous l'avons déjà abordé dans l'Introduction24 , les conclusions auxquelles arrive chaque communicateur ne peuvent être déduites de façon certaine : bien que partageant un contexte mondain potentiellement manifeste pour les deux, les prémisses des deux interlocuteurs ne sont jamais entièrement semblables, c'est-à-dire que les deux interlocuteurs ne possèdent pas un « savoir mutuel » qu'ils partageraient de façon certaine. Un interlocuteur ne sait jamais si les conclusions post-compréhension que l’Autre va tirer de sa production seront les conclusions souhaitées, et en même temps, un interlocuteur ne peut arriver à être certain que les conclusions tirées de sa compréhension sont celles auxquelles l'interlocuteur produisant a voulu arriver. Ce que chacun forme, grâce à ses capacités méta-représentationnelles (capacités de se représenter les représentations de l'Autre), ce ne sont que des hypothèses sur le processus cognitif qui ont amené l'Autre à cette communication particulière. Ainsi, la communication est un mécanisme 24 Voir Introduction I.2. L'incertitude 42 sur 140
  • 43. assurant « un succès tout au plus probable, mais non certain. » (Sperber&Wilson, 1989:33) ! Nous ne pouvons contredire que dans toute communication, ce que souhaite chacun, c'est se faire comprendre, et donc réduire au maximum la divergence potentielle entre les conclusions auxquelles la production veut emmener la compréhension et les conclusions auxquelles arrivent effectivement la compréhension. Inconsciemment, le système déductif utilisé par les interlocuteurs est donc amené à effectuer des choix parmi l'ensemble des hypothèses possibles. Ces décisions sont guidées par le processus de pertinence. Selon la définition de Hjørland et Christensen (2002), «  une chose A est pertinente pour la tâche T lorsqu'elle augmente les chances d'arriver au but G, lui-même impliqué par T ». De ce fait, toute hypothèse est pertinente pour un locuteur lorsque, en tant que résultat du processus d'inférence, elle lui apparait comme augmentant les chances d'arriver à la minimisation de la divergence des conclusions souhaitées et effectives. Les interlocuteurs n'ayant jamais des prémisses homogènes, chacun produit et comprend en fonction d'une pertinence qui lui est propre, mais aussi en fonction de celle qu’il suppose à l'Autre, c'est-à-dire que chaque production est porteuse de sa pertinence optimale, et que chaque interlocuteur produisant est mené à penser que l'Autre possède les prémisses nécessaires pour tirer les conclusions souhaitées. ! Nous avions abordé dans l'Introduction l'analogie que nous pouvions faire entre cette incertitude de la communication et l'expérience de pensée du chat de Schrödinger : un chat est enfermé dans une boîte, et à un moment aléatoire, un poison peut se renverser dans la boite. Ainsi, tant que la boîte n'est pas ouverte, nous ne pouvons juger que de la probabilité que le chat soit encore en vie ou non, un expérimentateur voulant ressortir au moment « pertinent » un chat vivant ou mort ne peut que juger des probabilités de l'état de celui-ci avant d'ouvrir la boîte. Il en va de même pour la communication. Tant que le signe n'est pas produit, le locuteur ne peut que suivre des hypothèses, qui l'amèneront à produire l'énoncé aux probabilités de pertinence les plus grandes. Pour ce qui est de la compréhension, l'interlocuteur est amené à reconstruire des hypothèses sur le raisonnement qui a amené l'Autre à choisir ce moment précis pour ouvrir la boite, ou cet énoncé comme porteur de probabilités de pertinence les plus grandes. On retrouve dans cette idée le concept 43 sur 140
  • 44. économique de « l'incertitude stratégique », qui est « l'incertitude qui découle de l'interaction des agents, l'environnement est tel que chaque individu doit anticiper le comportement des autres pour prendre sa propre décision. Ici ce n'est pas la "trop faible" rationalité des agents qui est source d'incertitude mais au contraire leur trop parfaite rationalité. » (Viviani,1994:112) Nous retrouvons cela dans notre sujet : l'incertitude au sein de la communication est due au fait que, par essence, la communication est une interaction au sein d'un environnement, et que chacun prend des décisions de communication, en anticipant par hypothèses et décisions sur les hypothèses et décisions de l'Autre. Ainsi, ce qui amène de l'incertitude dans la communication n'est pas « l'irrationalité » des décisions d'un interlocuteur, mais au contraire le fait que, rationnellement, un locuteur est conscient qu’il ne lui est possible que d'anticiper et jamais prédire, il ne peut que créer des hypothèses et jamais des certitudes. ! La communication est un processus complexe dans lequel chaque échange a pour résultat un ensemble d'hypothèses sur les intentions de l'Autre, mais aussi sur le résultat de l'efficacité de la production de chacun. Les interlocuteurs cherchent à ce que l'Autre reconnaisse leur intention communicative, mais aussi à ce qu'il arrive à certaines conclusions. Se basant sur l'inférence et non sur le décodage25, la communication laisse chacun dans une situation d'incertitude face à l'efficacité effective des processus cognitifs de l'Autre. Cependant, cherchant à comprendre et à se faire comprendre, les interlocuteurs utilisent un système qui est auto-régulé, à savoir un système cybernétique permettant le feedback. Nous verrons cette notion dans le chapitre II. Avant de voir cette notion, nous développerons le fonctionnement de la pertinence dans le système. 25 Décodage selon la définition de la théorie du code 44 sur 140
  • 45. ! ! A.3.3. Le modèle économique-efficace ! Comme nous venons de le voir, la communication est un système dans lequel sont engagés des interlocuteurs. Une des propriétés de ce système est qu'il répond au principe d'équifinalité, c'est-à-dire qu'un état particulier du système peut être atteint depuis des conditions initiales différentes mais aussi via des utilisations, des «  voies » différentes. Ainsi, il peut atteindre un état qui est indépendant des conditions initiales depuis lesquelles il évolue, et donc un état dû à des influences environnementales ou à une production spontanée par et dans le système. De ce fait, les interlocuteurs doivent faire des choix d’utilisation, guidés par le processus de pertinence, afin de choisir parmi les différentes hypothèses à leur disposition afin d'arriver aux conclusions souhaitées ; en d’autres termes, un utilisateur du système va produire des indices et inférer des hypothèses qui vont être optimalement pertinents. Nous allons ici développer les critères qui font cette pertinence. ! Selon Sperber&Wilson, la pertinence est un processus d’optimisation de la communication par production d’un signe créant le maximum d’effets contextuels, un effet contextuel étant la conclusion d’une « déduction utilisant comme prémisses l’union d’informations nouvelles P et d’information anciennes C. » (1989:168) Ainsi, un effet contextuel est la création d’une conclusion prenant pour prémisse la jonction d’une information nouvelle avec une information plus ancienne. C’est la création de d’effets contextuels maximales que recherche les interlocuteurs à travers un minimum d’effort cognitif, c’est-à-dire qu’une « hypothèse est d’autant plus pertinente dans un contexte donné que ses effets contextuels y sont plus importants (et) (...) que l’effort nécessaire pour l’y traiter est moindre. » (ibid:191) Ce n’est cependant pas tout à fait la terminologie que nous utiliserons. Comme nous l’avons vu, notre vision de la communication est celle d’une interaction totale écartant l’idée d’un tour de parole quelconque. Or, pour rendre compte de cette interaction totale, nous nous devons d’utiliser une terminologie qui répond des deux processus de compréhension et de production de façon égale. 45 sur 140