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Réorganiser l'espace ou le désordre au secours des militaires.
L'espace et son organisation sont des notions qui parlent à l'architecte et à l'urbaniste. Elles
appartiennent également au registre militaire : le chef militaire doit en tirer le meilleur parti pour
prendre l'ascendant sur son adversaire. François Géré1
en donne la définition suivante : « dimension
de l’action, l’espace est le milieu où se situent les corps et les mouvements […]. L’espace
représente, tout d’abord, le premier enjeu de la stratégie : la conquête ou le contrôle d’un territoire
[…]. Il constitue ensuite une entité dans laquelle se déplacent des forces avec plus ou moins
d’aisance, de rapidité. Le rapport entre espace et force peut, de ce fait, se poser en termes de fluidité
et de viscosité, l’une et l’autre dépendant du milieu […]. En Occident, dominer l’espace – la nature
- c’est en construire une représentation abstraite. L’invention de la perspective à la Renaissance
contient cette finalité. La géométrie devient au XVIIIe siècle le paradigme de toutes les sciences, ce
qui induit une géométrisation du théâtre d’opérations. ». La notion d'espace est le plus souvent
complétée par « libre », ou « de bataille », et le mot peut être remplacé par le substantif « champ »
signifiant ainsi que le combat ne peut s'articuler correctement que dans un terrain libre et/ou dans un
espace découvert. C'est d'ailleurs pour ces raisons que le militaire évite autant que possible la ville,
synonyme de manœuvre contrainte et donc de danger absolu. Cependant certaines circonstances
obligent le militaire à lutter en ville2
.
Or en 2008, Eyal Weizman3
fait paraître un petit ouvrage intitulé A travers les murs4
. Il y présente,
pour les critiquer, certaines recherches doctrinales de l'armée israélienne, menées pour tenter de
pallier les dangers du combat urbain conduit contre les Palestiniens dans les Territoires occupés. Il
s'intéresse particulièrement à ce qu'il appelle la « réorganisation de l'espace ». En effet, en 1996, le
général Shimon Naveh, officier réserviste des Forces de défense israéliennes (FDI) crée un centre
de recherche appelé l’Operational theory research institute (OTRI) dont un des buts est de réfléchir
au remplacement de la traditionnelle destruction de l’espace, conséquence des combats, par sa
«réorganisation»; l'objectif est de désorienter l’adversaire en modifiant ses références spatiales :
cela participe à ce que les psychiatres appellent un phénomène de déréalisation : la perte des repères
spatiaux entraîne un trouble psychique chez les Palestiniens ; chez les combattants certes, mais
surtout chez les habitants des camps assaillis. Cette modification de la façon d'appréhender
l'environnement entraîne un renversement de perspective entre espace ouvert et espace fermé, mais
également entre espace privé, espace commun et espace public : pour se déplacer, les assaillants
désertent la rue et ses dangers au profit des maisons, espace traditionnellement dédié aux
défenseurs.
L'idée du détournement des conventions qui organisent le bâti5
n’est certes pas nouvelle. Elle
traverse les époques et semble être réinventée régulièrement. On la trouve notamment chez Enée le
Tacticien vers 360 avant J-C6
: il préconise aux habitants des cités assiégées de percer les murs
mitoyens des maisons pour se déplacer et se défendre en échappant aux vues des assaillants. Pour le
maréchal Bugeaud7
, la traversée des murs et des planchers des maisons doit permettre à la troupe de
contourner les barricades dressées par les révolutionnaires. A la même époque, mais dans l'autre
camp, Auguste Blanqui8
conseille de recourir à ces procédés pour prendre à revers les masses
compactes et en ligne des forces gouvernementales qui occupent toute la largeur de la rue et ne
peuvent être attaquées de front par les révolutionnaires. L’armée canadienne recourt aux mêmes
1 François GERE, Dictionnaire de la pensée stratégique, Paris, Larousse, 2000.
2 Voir à ce sujet les exemples histoiriques tels de Stalingrad.
3 Eyal Weizman est un architecte israélien. Il dirige le Centre of Research Architecture de la Goldsmiths University of
London.
4 Eyal WEIZMAN, A travers les murs, Paris, La Fabrique Éditions, 2008.
5 Notamment le fait que le mur, qui sépare dedans et dehors, constitue une barrière, la porte étant là pour passer d'un
espace à l'autre.
6 Enée le Tacticien, Poliorcétique, Paris, Les Belles Lettres, 1961.
7 Maréchal Bugeaud, La Guerre des rues et des maisons, Paris, Jean-Paul Rocher, 1997.
8 Auguste Blanqui, « Instructions pour une prise d’armes » in Maintenant il faut des armes, Paris, La Fabrique, 2006.
procédés lors de la bataille d'Ortona en Italie en décembre 19439
: elle progresse d'habitation en
habitation en perçant des trous dans les murs mitoyens afin d'échapper au feu ennemi. Tous ces
exemples montrent une utilisation purement conjoncturelle du procédé, soit mis en œuvre dans
l'action (cas des Canadiens); soit conseillé dans des écrits mais sans qu'il soit fait mention d'un
fondement théorique.
Ce qui est nouveau, en revanche, c’est l’utilisation de la traversée des murs, planchers et autres
plafonds, de ce « désordre » créé dans les références spatiales traditionnelles par Tsahal10
, comme
résultat d’un processus de réflexion, fondé notamment sur la relecture de théoriciens
postmodernistes français11
. Les militaires israéliens s’intéressent également aux travaux du
plasticien américain Gordon Matta-Clark qui parlait dans les années 1970 du « dé-murage du mur »
par la transformation et le démantèlement virtuel de bâtiments abandonnés : à travers son approche
« anarchitecturale », il découpe des bâtiments, creuse de grandes ouvertures et tente de renverser
l’ordre dans l’espace domestique et tout ce qu’il représente en terme de hiérarchie. Ils se
passionnent aussi pour les expériences de « dérive » et de « détournement » des situationnistes12
, qui
visent à remettre en cause la hiérarchie du bâti dans la ville capitaliste, gommer les différences entre
intérieur et extérieur, espace privé et espace public et effacer les barrières, facilitant ainsi des
déplacements fluides inattendus. Enfin ils étudient les écrits de Georges Bataille, qui appellent à
s’extraire du carcan de l’architecture.
Toutes ces approches, quelles que soient leurs différences, ambitionnent de mettre à bas le mur,
élément architectural qui symbolise l’ordre bourgeois et la répression, pour libérer les énergies
susceptibles de créer de nouvelles formes tant sociales que politiques. Les « gourous » de l’OTRI se
réapproprient donc ces discours à des fins militaires. Ils donnent ainsi un fondement théorique à
leurs recherches sur la relation à l’espace. Eyal Weizman, citant Shimon Naveh écrit : « nous
devons bien distinguer entre l’attrait de l’idéologie marxiste et même de certaines valeurs qui lui
sont propres, et ce que l’on peut en tirer pour l’usage militaire. Les théories ne cherchent pas
simplement à établir un idéal sociopolitique utopique avec lequel on peut être d’accord ou pas. Elles
sont également fondées sur des principes méthodologiques cherchant à perturber et subvertir l’ordre
politique social, culturel ou militaire existant. Cette capacité perturbatrice est l’aspect de la théorie
que nous apprécions et que nous utilisons […] Cette théorie n’est pas mariée à ses idéaux
socialistes. ».
On peut tirer deux conclusions de cette expérience des F.D.I.
Tout d’abord d’un point de vue descriptif. Les différentes théories auxquelles les militaires
israéliens se réfèrent sont sorties de leur contexte politique et historique, dépouillées, puis
réinterprétées et utilisées comme des outils conceptuels, des méthodes, pour venir habiller, conforter
et justifier une « tactique du désordre » multiséculaire. Pour le combattant, les zones urbanisées et
les espaces bâtis présentent des contraintes qu’il convient d’effacer ou au moins de minimiser. On
peut en rappeler quelques unes, même si ce sont des truismes : seuls les vides (rues, places, espaces
verts, cours, passages…) semblent pouvoir être parcourus ; ils ne sont pas forcément continus,
présentent des espaces restreints, sont directifs et souvent découverts. Les pleins constituent autant
d’obstacles à celui qui attaque que de refuges à celui qui se défend. Recourir au désordre, c’est donc
simplement transgresser l’espace tel qui se donne à voir.
Ensuite, de façon plus analytique, en abordant la notion de désordre comme phénomène. Il apparaît
sous trois états différents successifs. Dans un premier temps, il est fait appel aux mânes de penseurs,
guidés par la volonté d’une violente remise en cause de l'ordre établi : ils prônent un désordre
politique et social, par le biais d’un désordre géographique et architectural. C’est un désordre que
l’on pourrait qualifier d’abstrait, même si certaines tentatives de mise en œuvre ont été faites. C’est
l’OTRI qui transforme ce désordre théorique en un désordre physique et concret, dont le résultat est
9 Cité par Roch Legault, « le champ de bataille urbain et l’armée : changements et doctrines », in Revue militaire
canadienne, 2000.
10 Armée de défense d’Israël, abrégé en hébreu par Tsahal.
11 Notamment Gilles Deleuze et Félix Guattari.
12 Principes élaborés notamment par Guy Debord.
l’atteinte des objets bâtis que constituent les maisons des camps palestiniens installés dans les
Territoires occupés. Enfin le désordre apparaît sous un troisième état, psychique, en faisant perdre
aux occupants des maisons percées et traversées les repères avec la réalité. Théorique, physique,
psychique, trois états de la mutation d’un certain désordre.

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Réorganiser l'espace ou le désordre au secours des militaires

  • 1. Réorganiser l'espace ou le désordre au secours des militaires. L'espace et son organisation sont des notions qui parlent à l'architecte et à l'urbaniste. Elles appartiennent également au registre militaire : le chef militaire doit en tirer le meilleur parti pour prendre l'ascendant sur son adversaire. François Géré1 en donne la définition suivante : « dimension de l’action, l’espace est le milieu où se situent les corps et les mouvements […]. L’espace représente, tout d’abord, le premier enjeu de la stratégie : la conquête ou le contrôle d’un territoire […]. Il constitue ensuite une entité dans laquelle se déplacent des forces avec plus ou moins d’aisance, de rapidité. Le rapport entre espace et force peut, de ce fait, se poser en termes de fluidité et de viscosité, l’une et l’autre dépendant du milieu […]. En Occident, dominer l’espace – la nature - c’est en construire une représentation abstraite. L’invention de la perspective à la Renaissance contient cette finalité. La géométrie devient au XVIIIe siècle le paradigme de toutes les sciences, ce qui induit une géométrisation du théâtre d’opérations. ». La notion d'espace est le plus souvent complétée par « libre », ou « de bataille », et le mot peut être remplacé par le substantif « champ » signifiant ainsi que le combat ne peut s'articuler correctement que dans un terrain libre et/ou dans un espace découvert. C'est d'ailleurs pour ces raisons que le militaire évite autant que possible la ville, synonyme de manœuvre contrainte et donc de danger absolu. Cependant certaines circonstances obligent le militaire à lutter en ville2 . Or en 2008, Eyal Weizman3 fait paraître un petit ouvrage intitulé A travers les murs4 . Il y présente, pour les critiquer, certaines recherches doctrinales de l'armée israélienne, menées pour tenter de pallier les dangers du combat urbain conduit contre les Palestiniens dans les Territoires occupés. Il s'intéresse particulièrement à ce qu'il appelle la « réorganisation de l'espace ». En effet, en 1996, le général Shimon Naveh, officier réserviste des Forces de défense israéliennes (FDI) crée un centre de recherche appelé l’Operational theory research institute (OTRI) dont un des buts est de réfléchir au remplacement de la traditionnelle destruction de l’espace, conséquence des combats, par sa «réorganisation»; l'objectif est de désorienter l’adversaire en modifiant ses références spatiales : cela participe à ce que les psychiatres appellent un phénomène de déréalisation : la perte des repères spatiaux entraîne un trouble psychique chez les Palestiniens ; chez les combattants certes, mais surtout chez les habitants des camps assaillis. Cette modification de la façon d'appréhender l'environnement entraîne un renversement de perspective entre espace ouvert et espace fermé, mais également entre espace privé, espace commun et espace public : pour se déplacer, les assaillants désertent la rue et ses dangers au profit des maisons, espace traditionnellement dédié aux défenseurs. L'idée du détournement des conventions qui organisent le bâti5 n’est certes pas nouvelle. Elle traverse les époques et semble être réinventée régulièrement. On la trouve notamment chez Enée le Tacticien vers 360 avant J-C6 : il préconise aux habitants des cités assiégées de percer les murs mitoyens des maisons pour se déplacer et se défendre en échappant aux vues des assaillants. Pour le maréchal Bugeaud7 , la traversée des murs et des planchers des maisons doit permettre à la troupe de contourner les barricades dressées par les révolutionnaires. A la même époque, mais dans l'autre camp, Auguste Blanqui8 conseille de recourir à ces procédés pour prendre à revers les masses compactes et en ligne des forces gouvernementales qui occupent toute la largeur de la rue et ne peuvent être attaquées de front par les révolutionnaires. L’armée canadienne recourt aux mêmes 1 François GERE, Dictionnaire de la pensée stratégique, Paris, Larousse, 2000. 2 Voir à ce sujet les exemples histoiriques tels de Stalingrad. 3 Eyal Weizman est un architecte israélien. Il dirige le Centre of Research Architecture de la Goldsmiths University of London. 4 Eyal WEIZMAN, A travers les murs, Paris, La Fabrique Éditions, 2008. 5 Notamment le fait que le mur, qui sépare dedans et dehors, constitue une barrière, la porte étant là pour passer d'un espace à l'autre. 6 Enée le Tacticien, Poliorcétique, Paris, Les Belles Lettres, 1961. 7 Maréchal Bugeaud, La Guerre des rues et des maisons, Paris, Jean-Paul Rocher, 1997. 8 Auguste Blanqui, « Instructions pour une prise d’armes » in Maintenant il faut des armes, Paris, La Fabrique, 2006.
  • 2. procédés lors de la bataille d'Ortona en Italie en décembre 19439 : elle progresse d'habitation en habitation en perçant des trous dans les murs mitoyens afin d'échapper au feu ennemi. Tous ces exemples montrent une utilisation purement conjoncturelle du procédé, soit mis en œuvre dans l'action (cas des Canadiens); soit conseillé dans des écrits mais sans qu'il soit fait mention d'un fondement théorique. Ce qui est nouveau, en revanche, c’est l’utilisation de la traversée des murs, planchers et autres plafonds, de ce « désordre » créé dans les références spatiales traditionnelles par Tsahal10 , comme résultat d’un processus de réflexion, fondé notamment sur la relecture de théoriciens postmodernistes français11 . Les militaires israéliens s’intéressent également aux travaux du plasticien américain Gordon Matta-Clark qui parlait dans les années 1970 du « dé-murage du mur » par la transformation et le démantèlement virtuel de bâtiments abandonnés : à travers son approche « anarchitecturale », il découpe des bâtiments, creuse de grandes ouvertures et tente de renverser l’ordre dans l’espace domestique et tout ce qu’il représente en terme de hiérarchie. Ils se passionnent aussi pour les expériences de « dérive » et de « détournement » des situationnistes12 , qui visent à remettre en cause la hiérarchie du bâti dans la ville capitaliste, gommer les différences entre intérieur et extérieur, espace privé et espace public et effacer les barrières, facilitant ainsi des déplacements fluides inattendus. Enfin ils étudient les écrits de Georges Bataille, qui appellent à s’extraire du carcan de l’architecture. Toutes ces approches, quelles que soient leurs différences, ambitionnent de mettre à bas le mur, élément architectural qui symbolise l’ordre bourgeois et la répression, pour libérer les énergies susceptibles de créer de nouvelles formes tant sociales que politiques. Les « gourous » de l’OTRI se réapproprient donc ces discours à des fins militaires. Ils donnent ainsi un fondement théorique à leurs recherches sur la relation à l’espace. Eyal Weizman, citant Shimon Naveh écrit : « nous devons bien distinguer entre l’attrait de l’idéologie marxiste et même de certaines valeurs qui lui sont propres, et ce que l’on peut en tirer pour l’usage militaire. Les théories ne cherchent pas simplement à établir un idéal sociopolitique utopique avec lequel on peut être d’accord ou pas. Elles sont également fondées sur des principes méthodologiques cherchant à perturber et subvertir l’ordre politique social, culturel ou militaire existant. Cette capacité perturbatrice est l’aspect de la théorie que nous apprécions et que nous utilisons […] Cette théorie n’est pas mariée à ses idéaux socialistes. ». On peut tirer deux conclusions de cette expérience des F.D.I. Tout d’abord d’un point de vue descriptif. Les différentes théories auxquelles les militaires israéliens se réfèrent sont sorties de leur contexte politique et historique, dépouillées, puis réinterprétées et utilisées comme des outils conceptuels, des méthodes, pour venir habiller, conforter et justifier une « tactique du désordre » multiséculaire. Pour le combattant, les zones urbanisées et les espaces bâtis présentent des contraintes qu’il convient d’effacer ou au moins de minimiser. On peut en rappeler quelques unes, même si ce sont des truismes : seuls les vides (rues, places, espaces verts, cours, passages…) semblent pouvoir être parcourus ; ils ne sont pas forcément continus, présentent des espaces restreints, sont directifs et souvent découverts. Les pleins constituent autant d’obstacles à celui qui attaque que de refuges à celui qui se défend. Recourir au désordre, c’est donc simplement transgresser l’espace tel qui se donne à voir. Ensuite, de façon plus analytique, en abordant la notion de désordre comme phénomène. Il apparaît sous trois états différents successifs. Dans un premier temps, il est fait appel aux mânes de penseurs, guidés par la volonté d’une violente remise en cause de l'ordre établi : ils prônent un désordre politique et social, par le biais d’un désordre géographique et architectural. C’est un désordre que l’on pourrait qualifier d’abstrait, même si certaines tentatives de mise en œuvre ont été faites. C’est l’OTRI qui transforme ce désordre théorique en un désordre physique et concret, dont le résultat est 9 Cité par Roch Legault, « le champ de bataille urbain et l’armée : changements et doctrines », in Revue militaire canadienne, 2000. 10 Armée de défense d’Israël, abrégé en hébreu par Tsahal. 11 Notamment Gilles Deleuze et Félix Guattari. 12 Principes élaborés notamment par Guy Debord.
  • 3. l’atteinte des objets bâtis que constituent les maisons des camps palestiniens installés dans les Territoires occupés. Enfin le désordre apparaît sous un troisième état, psychique, en faisant perdre aux occupants des maisons percées et traversées les repères avec la réalité. Théorique, physique, psychique, trois états de la mutation d’un certain désordre.