Prévention de la transmission verticale du VIH au Maroc: Mères en enfants, parents pauvres de la prévention
1. Mères et enfants,
parents pauvres de
la prévention
Prévention de la transmission verticale
du VIH au Maroc
Décembre 2009
2. 2
ALCS
Créée en 1988, l’Association de lutte contre le sida
(ALCS) est une organisation non gouvernementale
marocaine ayant pour objectif la prévention, l’accès
au traitement et la défense des droits des personnes
vivant avec le VIH et des groupes les plus exposés à
l’épidémie. L’ALCS a été à l’origine de la création
des centres de dépistage anonyme et gratuit, des
programmes de prévention de proximité auprès des
populations vulnérables et des programmes
d’éducation thérapeutique pour les personnes vivant
avec le VIH au Maroc. Elle a toujours été un fervent
défenseur de l’accès universel au traitement, à la
prévention et aux soins aussi bien au Maroc qu’au
niveau régional et international. En 2008, l’ALCS a
reçu le prix « Red Ribbon Award » décerné par les
organismes des Nations unies. L’ALCS a rejoint la
coalition ITPC en 2003, puis le projet TMAP en 2007.
ITPC
La coalition internationale de préparation aux
traitements (ITPC) est une coalition mondiale des
personnes vivant avec le VIH et leurs défenseurs. Son
objectif et ses stratégies sont signalés dans son
énoncé de mission: « Utiliser une approche et une
dynamique communautaires pour atteindre l'accès
universel au traitement, la prévention, et tous les
soins et services de santé pour les personnes vivant
avec le VIH et les personnes les plus exposées au
risque du VIH ».
À la fin de l'année 2009, des milliers de personnes
dans 125 pays ont été directement affilié à ITPC et
œuvrent pour atteindre ces objectifs au niveau local,
régional et international.
TMAP
Le projet « Plaidoyer et suivi des traitements »
(TMAP) de ITPC, identifie les obstacles à la
prestation de services liés au sida et détient les
gouvernements nationaux et institutions
internationales responsables de l'amélioration des
efforts.
La série de rapports « Missing The Target », dont fait
partie le présent rapport, reste unique dans le monde
de la lutte contre le sida et de la défense de la santé
globale, offrant une analyse des questions en jeu dans
la prestation de services liés au VIH à la fois
complète, objective et émanant du terrain et ce d’une
perspective de la société civile et des usagers des
services eux-mêmes.
Tous les rapports de ITPC sont disponibles en ligne
aux adresses : www.aidstreatmentaccess.org et
www.itpcglobal.org
3. 3
Remerciements :
L’équipe de recherche au
Maroc :
Othoman Mellouk
Nadia Rafif
L’équipe internationale de
TMAP :
Maureen Baehr, Chris Collins,
Gregg Gonsalves, Aditi Sharma,
Jeff Hoover, Erika Baehr,
Attapon Ed Ngoksin
Nous remercions
particulièrement Mehdi
Karkouri pour ses conseils, tous
les acteurs qui nous ont accordé
un entretien et toutes les femmes
qui ont accepté de répondre à
nos questions.
Contacts :
Othoman mellouk
o.mellouk@gmail.com
Nadia Rafif
alcsmarrakech@gmail.com
5. 5
PROCEDURE DE RECHERCHE
ET METHODOLOGIE
La recherche pour ce rapport a été menée en 2009 en deux phases. La
première phase a consisté en la collecte et l’analyse de documents et rapports
récents produits par des agences gouvernementales et des ONG. La seconde
phase s’est déroulée sous la forme d’interviews de représentants de 11
acteurs clés : des représentants des agences des Nations unies, du
Programme national de lutte contre le sida, de l’unité de gestion du Fond
mondial de lutte contre le sida, de représentants de la société civile (incluant
les organisations se concentrant en particulier sur le VIH et les droits des
femmes), des professionnels de la santé (y compris des pédiatres, des
infectiologues et des médiateurs thérapeutiques) et des consultants qui ont
travaillé sur la question de la prévention de la transmission verticale1
pour le
ministère de la Santé, les agences des Nations unies ainsi que des
organisations issues de la société civile. Un focus-group rassemblant des
femmes séropositives s’est tenu à Marrakech en janvier 2009.
1. CONTEXTE
Selon les estimations, 22 300 marocains seraient séropositifs en 2009, ce qui
correspond à un taux de prévalence relativement bas de 0,1 pour cent. Les
données épidémiologiques montrent toutefois des signes d’émergence
d’épidémies concentrées parmi des populations spécifiques, comme les
professionnelles du sexe et les consommateurs de drogues injectables.
Le VIH devient également plus fréquent parmi les femmes en général. En
2008, elles comptaient pour 38% de tous les cas de sida enregistrés2
contre
28% en 1995 et 19% en 1990. Le mariage ne constitue pas une protection par
rapport à l'infection au VIH. Selon les sources officielles, les trois-quarts des
femmes vivant avec le VIH sont soit mariées, soit divorcées ou veuves. Les
études sur les IST3
indiquent que le risque d’infection par le VIH pour les
femmes marocaines, et par conséquent pour leurs bébés, provient
principalement du comportement sexuel de leur mari. La transmission
1 Pour ce rapport nous avons volontairement souhaité utiliser le terme “transmission verticale” au lieu de
“transmission de la mere à l’enfant”. Ce dernier étant stigmatisant et culpabilisateur pour les femmes.
2
Le ministère de la Santé fournit uniquement des données sur les cas déclarés de sida; et non sur le nombre
d’infections au VIH. Le ministère définit le “sida” en conformité avec les recommendations de l’OMS.
3
Ryan CA, Zidouh A, Manart L et al, “Reproductive tract infections in primary health care, family planning and
dermatovenereology clinics: Implications for syndromic management in Arab Muslim women.” Janvier 1998
6. 6
verticale est responsable d’approximativement 3% des cas de sida signalés.
Les données démographiques et épidémiologiques locales indiquent que
chaque année, environ 200 nouveaux nés marocains contractent le VIH par
transmission verticale.
Les structures de soin, de traitement et de support des personnes vivant avec
le VIH sont relativement bien développées et proposent désormais un accès
gratuit aux thérapies antirétrovirales (ART). Des « centres d’excellence et de
référence » ont été créés par le ministère de la Santé et disposent du
personnel formé et de l’équipement adéquat pour traiter les cas de VIH.
Depuis 1990, ces centres fournissent aux femmes enceintes séropositives des
traitements destinés à prévenir la transmission verticale. Avant que le
traitement antirétroviral ne devienne largement accessible et gratuit pour
tous en 2003, le traitement pour les femmes enceintes a d’abord été
composé de zidovudine (AZT) en monothérapie puis en bithérapie
(AZT+3TC). En 1998, les trithérapies ont été mises à la disposition des
femmes enceintes séropositives.
Le Maroc a déployé, au cours de la dernière décennie, de vastes efforts pour
fournir aux populations à haut risque, de l’information sur le VIH/SIDA et
des services de conseil et de dépistage volontaire. Ces initiatives n’ont
toutefois pas été couronnées de succès en ce qui concerne les femmes
enceintes. Selon le dernier rapport de l’UNGASS, seules 7,5% des femmes
enceintes séropositives ont eu accès en 2007 à des services de prévention de
la transmission verticale.
En septembre 2008, il y avait au Maroc 156 enfants, âgés de 0 à 14 ans, suivis
par les services de référence pour une infection au VIH. Dans 80% des cas, la
sérologie positive au VIH d’un ou des deux parents n’a été connue qu’après
confirmation de la séropositivité de l’enfant4
. La faiblesse de cette
performance révèle clairement que la prévention de la transmission verticale
demeure un point faible majeur du Programme national de lutte contre le
sida.
2. ETAT ACTUEL DE LA PRESTATION DE SERVICE
PARMI ET POUR LES FEMMES
Les responsables reconnaissent les carences dans la disponibilité de services
de prévention de la transmission verticale et tentent de redresser la situation.
Avec le support de l’ONUSIDA et de l’UNICEF, le ministère de la Santé a
4
Évaluation rapide de la situation des enfants infectés ou affectés par le VIH/SIDA au Maroc, Marc Eric
Gruenais, 2009 (Moh, UNAIDS, IRD, Association Soleil)
7. 7
cherché depuis 2006 à évaluer la transmission verticale dans le pays et a
développé des recommandations pour améliorer les services. Ainsi, la
prévention de la transmission verticale est une des innovations du plan
stratégique national de lutte contre le sida 2007-2011. Un programme pilote a
récemment débuté dans les villes d’Agadir, de Marrakech et de Casablanca5
.
Les résultats de ce programme pilote aideront à déterminer si, et comment,
les services de prévention de la transmission verticale seront déployés dans
tout le pays. La stratégie actuelle de prévention de la transmission verticale
est beaucoup plus limitée dans la mesure où elle se concentre sur l’apport de
services aux femmes déjà diagnostiquées comme séropositives.
Le programme pilote du ministère de la Santé fut précédé par une étude plus
restreinte effectuée à Rabat en 2006. Initiée par le CHU Ibn Sina en
partenariat avec l’organisation française ESTHER6
, cette étude pilote a été le
premier programme au Maroc à offrir aux femmes enceintes des services
« étendus » de prévention de la transmission verticale. D’octobre 2006 à juin
2008, 1527 femmes se sont inscrites au programme. Sur ce total, cinq d’entre
elles furent testées VIH positives et reçurent une thérapie ARV. Leurs 5
enfants sont nés séronégatifs.
A l’exception de l’étude pilote soutenue par ESTHER à Rabat et du
programme pilote récemment lancé par le ministère de la Santé, il n’y a à ce
jour aucun autre programme proposant aux femmes enceintes des services
« étendus » de prévention de la transmission verticale dans le pays.
Prévention auprès des femmes et des jeunes filles :
Ces dernières années, le ministère de la Santé et différentes ONG ont pris
l’initiative de sensibiliser le grand public sur le VIH à l’aide de campagnes
d’information. Ces campagnes ont pris différentes formes parmi lesquelles
des campagnes dans les médias et des programmes de prévention dans les
écoles, sur le lieu de travail etc.
Des campagnes ciblant spécifiquement les femmes ont été entreprises.
Certaines ONG, comme l’ALCS7
, ont établi des alliances avec des
organisations de femmes afin d’apporter à leurs bénéficiaires de l’information
et des services de dépistage. AMSED8
, une organisation de développement
marocaine, travaille avec un réseau étendu d’organisations communautaires
(en particulier dans les zones rurales) et a proposé à travers ses programmes
5
Le programme a débuté en septembre 2008. Sur les 916 femmes enceintes testées pendant le mois de
décembre 2008 seulement deux ont été diagnostiquées comme séropositives. Depuis le mois de mars 2009, il
existe un flou tant sur la date de fin du programme pilote que sur quand les resultats, préliminaries ou autres,
seraient rendus publics.
6
Ensemble pour une solidarité thérapeutique en réseau.
7
Association de lutte contre le SIDA
8
Association Marocaine de Solidarité et de Développement
8. 8
de la sensibilisation sur le VIH. Aucune de ces interventions n’apporte,
toutefois, une information détaillée sur la prévention de la transmission
verticale. Dans la majorité des cas, elles se focalisent sur la transmission
sexuelle du virus et l’utilisation des préservatifs ; et n’abordent que
superficiellement la transmission verticale du VIH9
.
À ce jour, ni le ministère de la Santé, ni aucune ONG, n’ont préparé une
brochure, affiche ou plaquette d’information traitant de la prévention de la
transmission verticale, et aucune ONG n’est impliquée dans des programmes
encourageant ou offrant conseil et test volontaire (CTV) aux femmes durant
leur grossesse.
Prévention des grossesses non désirées parmi les femmes
séropositives :
A l’exception d’une petite étude menée à Casablanca10
en 1999, il existe un
manque de données concernant le choix de procréer et le VIH au Maroc.
Selon une personne interrogée11
, toutes les femmes séropositives suivies dans
les services spécialisés proposant soins et traitements du VIH (centres
d’excellence et centres de référence) reçoivent une information
adéquatement prodiguée par le personnel médical ou associatif sur le
planning familial. Elles ont accès tant à une information sur la contraception
que sur les produits contraceptifs. (Toutes les femmes séropositives
intérogées au cours de cette étude de cas ont confirmé avoir été informées à
ce sujet.)
L’avortement est illégal au Maroc, mais l’infection à VIH peut être une
indication pour l’interruption thérapeutique d’une grossesse s’il existe un
risque sur le nouveau né à cause de certains ARV et si la femme le souhaite.
Cette interruption n’est possible que si la mère a reçu un exposé approfondi
sur les risques de transmission du VIH et de la toxicité potentielle des ARV
pour son fœtus. Après avoir reçu cette information, elle peut décider
d’interrompre sa grossesse ou d’aller à son terme. Sur les 23 femmes
enceintes séropositives suivies dans le pôle d’excellence de Casablanca,
quatre ont décidé de mettre fin à leur grossesse.
Prévention de la trasmission du VIH de la mère à l’enfant :
9
Les auteurs de ce rapport ont analysé le materiel pédagogique (brochures, posters, presentations
Powerpoint, films, etc.) utilisé par les ONGs travaillant avec les femmes. Aucun des outils ne présente toutes
les composantes de la prevention des transmissions verticales.
10
Chakib A, Laghzaoui Boukaidi M, Najib J et al. Grossesse et SIDA. A Propos de 9 Cas. La Tunisie Médicale,
Vol. 79, N. 10 2001 ; 530-535. L’étude a déterminé que deux des neuf femmes enceintes séropositives
traitées au CHU Ibn-Rochd de 1990 à 1999 n’avaient pas planifié leur grossesse. Toutefois, toutes les femmes
de l’étude qui avait connaissance de leur sérologie positive avant leur grossesse ont déclaré s’être décidé à
avoir des enfants après avoir consulté leur médecin.
11
Pr. Hakima Himmich, presidente de l’ALCS (Association de Lutte Contre le SIDA) et directeur du service des
maladies infectieuses au CHU Ibn Rochd de Casablanca.
9. 9
Au Maroc, les traitements et soins des personnes infectées par le VIH sont
fournis par deux centres d’excellence et sept centres de référence. Les
thérapies antivirales et les tests de dépistage sont gratuits pour tous, y
compris les femmes enceintes.
Les protocoles de soins et de traitement de l’infection à VIH sont
régulièrement remaniés afin d’être en conformité avec les recommandations
de l’OMS. Ces directives stipulent que l’état de santé de toutes les femmes
enceintes séropositives doit être évalué lorsqu’elles se présentent pour la
première fois dans un centre afin de déterminer si elles ont besoin d’une
thérapie ART ou d’autres traitements comme la prophylaxie au
Cotrimoxazole.
La trithérapie généralement préscrite est l’AZT+3TC+Lopinavir/Ritonavir. Si
la situation le nécessite, cette combinaison est prescrite immédiatement. En
cas de prescription de prophylaxie, le traitement démarre au début de la
28ème semaine de gestation. Les protocoles de traitement stipulent
également quand d’autres ARV peuvent être plus appropriés, comme par
exemple lorsqu’une seule dose de nevirapine est donnée lors de
l’accouchement afin de contribuer à réduire le risque de transmission au
nouveau né.
Tous les nouveaux-nés reçoivent de l’AZT dans les huit heures suivant leur
naissance et restent sous traitement pendant quatre semaines. Quand il existe
un risque élevé de transmission verticale (lorsque la mère a une charge virale
élevée), une dose unique de nevirapine est également donnée au nouveau né
dans les 72 heures suivant la naissance.
Les femmes enceintes séropositives sont fortement encouragées à accoucher
dans un des neuf centres specialisés du pays. Certaines femmes ne suivent
toutefois pas ce conseil et choississent d’accoucher ailleurs, généralement
dans une maternité proche de chez elles, à cause des stigmates associés aux
centres spécialisés.
« Je suis tombée malade après la naissance de mon fils. Mon enfant avait la
tuberculose. Mon médecin a fini par me conseiller de faire un test HIV. Il était
positif… Durant ma grossesse, j’étais suivie dans une clinique mais je n’ai jamais été
informée de la possibilité de faire un dépistage du VIH. J’ai fait vacciner mon enfant
et je l’ai allaité… il est mort à neuf mois. Aujourd’hui, je me sens coupable. »
Une femme séropositive de 35 ans
10. 10
Barrières à une prestation de service étendue et leçons apprises :
Pendant de nombreuses années, certains acteurs de la lutte contre le sida se
sont montrés sceptiques, essentiellement à cause du taux très faible de
prévalence du VIH au Maroc, sur le cout/efficacité d’un programme dédié à la
prévention de la transmission verticale. Une situation causée par le manque
de bonnes pratiques bien documentées et traitant de ce sujet provenant d’un
pays à faible prévalence. En fin de compte, la stratégie adoptée fut de traiter
les femmes séropositives identifiées et de continuer à sensibiliser d’avantage
le grand public, y compris les femmes, en faisant la promotion du test de
dépistage.
Néanmoins, plusieurs discussions et débats ont eu lieu dans le pays afin de
déterminer la stratégie future la plus appropriée pour promouvoir la
prévention de la transmission verticale. A la suite de cette concertation, le
Ministère de la santé a décidé la mise en place du programme pilote
actuellement testé.
Pour l’instant, il est considéré qu’il ne serait ni pratique, ni financièrement
raisonnable de recommander que toutes les femmes enceintes dans le pays
soient testées pour le VIH. De précédentes études sur les IST indiquent qu’il
est difficile d’identifier au Maroc un profil de « femmes à risque » vis à vis
infection au VIH car c’est généralement le comportement sexuel de leur mari
qui met ces femmes en danger. Des efforts ont toutefois été entrepris pour
déterminer les comportements et les circonstances présentant un risque
d’infection au VIH pour les femmes enceintes au Maroc. Ces comportements
déterminants sont une vie sexuelle avec des partenaires multiples ou avec des
professionnelles du sexe, mais aussi la contraction à plusieurs reprises d’une
MST ou encore le fait d’avoir un compagon mâle (y compris un mari) qui
travaille loin de la maison pour des périodes prolongées.
“Pour l’instant, je ne pense pas que nous devions nous précipiter pour généraliser le
dépistage auprès des femmes enceintes dans l’ensemble du pays. Nous devons
attendre les résultats du programme pilote et en tirer les leçons nécessaires.
Personnellement, je ne crois pas que nous irons vers une généralisation mais plutôt
que nous orienterons le programme vers les régions les plus affectées avec les plus
hauts taux de prévalence.”
Dr. KamalAlami, administrateur de l’ONUSIDA au Maroc
Bien que des efforts aient été déployés au cours de la dernière décennie pour
11. 11
réduire les inégalités entre les sexes, 38 pour cent des femmes marocaines
sont analphabètes et ne peuvent donc acquérir des informations sur le VIH
via des brochures, des affiches ou encore la presse écrite.
L’accès aux services prénataux demeure insuffisant : seuls 68% des femmes
marocaines ont accès durant leur grossesse à au moins un examen prénatal et
uniquement 63% des naissances ont lieu avec l’assistance de professionnels
de la santé.
Les femmes semblent seules à porter le fardeau de la prévention de la
transmission verticale et les conséquences d’un éventuel dépistage VIH
positif. Les maris sont rarement, voire jamais, impliqués. Ainsi, ils
n’accompagnent presque jamais leurs femmes aux consultations prénatales et
ont une connaissance limitée des questions liées à la transmission verticale.
Il existe relativement peu de lieux dans le pays qui offrent aux femmes
enceintes des services dédiés aux questions relatives au VIH, notamment
pour la prévention de la transmission verticale. (Pour l’instant, il n’y en a en
fait que quatre : les sites ouverts en 2008 dans le cadre du programme pilote
du ministère de la Santé.) La solution la plus pratique pour la majorité des
femmes enceintes qui souhaitent se faire dépister est de se rendre dans un
centre de dépistage (CIDAG) opéré par une ONG. Elles n’ont toutefois que
rarement recours à cette option car elles ont peur d’être identifiées comme
étant possiblement porteuses du VIH.
3. ACCES AU DEPISTAGE DU VIH :
Politique et procédures du dépistage du VIH :
Le Maroc s’est doté d’une bonne politique nationale de dépistage du VIH
encadrée par un cadre légal défini par un décret de 1989 du ministère de la
Santé12
. Le dépistage est volontaire, anonyme (à l’exception des tests de
diagnostic13
) et gratuit. Le consentement éclairé de la personne testée est
obligatoire. Seuls des médecins qualifiés sont autorisés à faire les tests VIH.
Depuis le lancement du programme pilote de prévention de la transmission
verticale, les infirmières sont désormais autorisées à apporter le conseil
antérieur au test. Toutefois, seuls les médecins sont autorisés à communiquer
les résultats du test, qu’ils soient positifs ou négatifs.
12
Ministère de la Santé Decret N° 1078/DT/217/SLMSTD (21/09/1989).
13
Le test de diagnostic n’est pas techniquement anonyme car il a lieu après qu’un patient ait été admis dans
un centre de santé et possède un dossier médical à son nom. Les fournisseurs de soins médicaux sont
toutefois tenus de respecter le droit de confidentialité de leurs patients.
12. 12
À ce jour, le dépistage au Maroc est essentiellement proposé dans les ONG14
en collaboration étroite avec le ministère de la Santé, qui fournit les kits de
test (des tests rapides et des tests de confirmation Western Blot) et d’autres
équipements aux CIDAGs. 44 centres de dépistage, gérés par des ONG sont
actuellement en activité à travers le Maroc, et 8 unités mobiles installées dans
des camions. Mais plusieurs régions du pays ne possédent toujours pas
d’infrastructure de dépistage. Approximativement 14 000 tests VIH ont été
effectués entre juillet 2007 et décembre 2008. Presque trois quarts de tous les
tests VIH réalisés dans le pays en 2008 ont été effectués dans les CIDAGs ou
les unités mobiles d’une seule ONG : l’ALCS.
Recours et accès au dépistage chez les femmes :
Selon les données disponibles, la représentation des femmes dans les centres
de dépistage en zones urbaines est relativement bonne. Par exemple, les
femmes ont compté pour plus de la moitié (53,5 pour cent) des personnes
testées pour le VIH dans les CIDAG gérés par l’ALCS (ces centres se situent
majoritairement dans des zones urbaines). La part de femmes testées est
beaucoup plus faible dans les zones rurales ou reculées (CIDAG mobiles).
L’ensemble des centres de test gérés par les ONG n’a cependant signalé que
peu voire pas de femmes enceintes se présentant pour faire un dépistage
VIH. La majorité des clientes de ces centres proviennent des groupes de
femmes les plus exposées au risque, notamment les travailleuses du sexe,
régulières ou occasionelles. Dans la mesure ou peu d’entre elles tombent (ou
restent) enceintes, le dépistage de cette population ne joue pas un rôle
important dans la prévention de la transmission verticale.
Dépistage du VIH pour les femmes enceintes :
Parce qu’il n’y a pas eu d’efforts systématiques pour informer les femmes sur
le risque de transmission verticale et sur les bienfaits du dépistage, le niveau
réel de demande du test parmi les femmes enceintes au Maroc n’est pas
connu. A l’exception des sites impliqués dans le programme pilote de
prévention de la transmission verticale actuellement en opération, le
déspistage du VIH n’est pas disponible dans les services de santé materno-
infantile. D’après nos informations, quelques médecins dans le secteur
libéral prescrivent des tests VIH à leurs patientes enceintes sans les en
informer. Dans ce cas de figure, selon les personnes intérogées, si le test
revient positif, le médecin dirigera sa patiente vers un centre de prise en
charge. Ce n’est qu’une fois dans ce centre qu’elle sera informée qu’un test
de dépistage a été réalisé et qu’elle prendra connaissance de son résultat.
L’éthique de cette pratique est discutable.
14
Association de Lutte Contre le SIDA (ALCS), Organisation Panafricaine de Lutte contre le SIDA (OPALS),
Ligue Marocaine de Lutte contre les MST (LM-LMST), l’Association du sud contre le sida (ASCS) et
l’Association de Lutte Contre les IST-SIDA (ALIS).
13. 13
Dépistage dans le programmr pilote de prévention de la transmission
verticale :
Dans le programme pilote de prévention de la transmission verticale couvrant
les villes d’Agadir, de Casablanca et de Marrakech, les tests de dépistage sont
proposés gratuitement à toutes les femmes après une séance de conseil. Le
test n’est jamais obligatoire et les femmes sont libres de le refuser. Les
données récentes montrent que la plupart des femmes acceptent d’être
testées. La confidentialité sur le statut sérologique des patientes est, en
théorie, garantie par le protocole ; mais dans la pratique elle n’est pas
toujours assurée. Selon une personne intérrogée pour cette étude, la seule
femme qui fut testée positive dans un des centres a connu la visite d’un
professionnel de la santé qui a cherché à la contraindre à dévoiler sa
séropositivité à son mari.
4. CONSEILS ET TENDANCES D’ALIMENTATION
DU NOURISSON
Au Maroc, environ un tiers des mères nourrissent leurs bébés dans leur six
premiers mois exclusivement avec du lait maternel15
. La position du ministère
de la Santé sur l’alimentation des nourissons par des mères séropositives est
claire : l’allaitement est contre-indiqué.
On estime que 80% de la population marocaine (99% en zones urbaines et
56% dans les campagnes) a accès à une source d’eau potable16
. A ce titre, une
alimentation avec du lait en poudre est vraisemblablement appropriée pour
les nourissons nés de mères séropositives si celles-ci reçoivent une formation
adéquate sur la préparation et l’hygiène des biberons.
Toutes les mères interviewées pour ce rapport ont déclaré que leurs
conseillers leur avaient minutieusement expliqué tous les aspects de
l’alimentation artificielle au biberon, y compris la façon de prérarer un
biberon, et ce après qu’elles aient été informées de leur séropositivité au
VIH. Dans le cadre du programme pilote récemment initié, le lait en poudre
est fourni gratuitement tant que l’enfant en a besoin dans seulement trois
villes (Casablanca, Marrakech et Agadir). Ailleurs dans le pays, le lait en
15
Information tirée de l’allocution de Aloys Kamuragiye, le représentant de l’UNICEF au Maroc, lors du 4ème
Forum régional sur les médias et les droits des enfants, 28 novembre 2008.
16
UNICEF, « La situation des enfants dans le Monde », 2006.
14. 14
poudre peut être fourni par les hôpitaux ou par des ONG, en fonction de
leurs moyens, mais cela signifie toutefois que certaines familles doivent
acheter elles mêmes leur lait en poudre, en particulier dans les villes dans
lesquelles il n’existe aucun programme d’ONG de support des mères et des
enfants.
5. IMPACT DE LA VIOLENCE ET DE LA
STIGMATISATION
Dans le contexte culturel et religieux marocain, les PVVIH sont parfois
considérées comme des « pêcheurs » à cause des liens entre le VIH et la
sexualité. De telles attitudes soutiennent et renforcent les niveaux
relativement élevés de stigmatisation et de discriminations liées au VIH. Il en
résulte, qu’une majorité de PVVIH évite de dévoiler leur sérologie tant à leur
famille qu’à leurs proches amis. Par exemple, ce n’est qu’en 2005 qu’une
personne séropositive (une femme) a dévoilé publiquement son statut
sérologique à la télévision à visage découvert.
« Quand j’ai accouché à la clinique, il y avait un panneau à l’entrée de ma chambre
indiquant « patiente HIV+ ». Je sentais que les infirmières me traitaient
différemment des autres femmes. Certaines ont refusé de changer mes draps. »
Femme séropositive de 36 ans
Les femmes vivant avec le VIH semblent devoir faire face à une double
stigmatisation à cause de leur séropositivité et de leur sexe. Pour de
nombreux marocains, l’infection par le VIH est un signe qu’une femme s’est
comportée avec immoralité et de façon inappropriée. Il existe un double
standard car le sexe extramarital ou en étant célibataire est généralement
accepté pour les hommes. Les femmes sont censées rester vierges jusqu’au
mariage et encourent des risques significatifs d’abus ou de violences si elles
s’engagent dans une relation « illégitime ». Selon les ONG interrogées, de
nombreuses femmes séropositives ont été abandonnées par leur mari, ce qui
contraste grandement avec le fait que les femmes prennent généralement
soin de leurs maris séropositifs. La peur du stigmate représente un obstacle
majeur pour le dépistage des femmes.
Un autre challenge provient du fait que la stigmatisation et les
discriminations liées au HIV dans les services de santé sont bien trop
fréquentes. Selon les résultats préliminaires d’une étude menée par l’ALCS,
15. 15
qui sera publiée dans les prochains mois, la majorité des discriminations se
produit dans les structures de soins. Ceci ne signifie pas que les
professionnels de la santé sont plus ostracisants ou intolérants que le reste de
la société, mais l’effet de ces discriminations est bien plus important car les
centres de soins sont supposés être neutres et ouverts à tous. Toutes les
femmes interrogées dans le cadre de cette étude ont déclaré avoir fait
l’expérience de comportements stigmatisants, dont de longues attentes avant
leur prise en charge ou le refus de prodiguer des soins, de la part des
professionnels de la santé.
Dans la plupart des cas, ces comportements se sont produits dans des centres
de soins prénataux et non dans des centres de prise en charge de l’infection à
VIH. Ceci prouve qu’avec une formation adéquate, les comportements et les
actions du personnel médical peuvent considérablement s’améliorer. Cela
indique également le besoin d’apporter une formation sur le VIH au
personnel dans l’ensemble du système de santé afin de réduire la
stigmatisation et les discriminations.
6. EVALUATION DU TRAVAIL DES AGENCES
INTERNATIONALES
L’organisation française ESTHER fut le premier partenaire extérieur à
soutenir la prévention de la transmission verticale au Maroc. Cette
organisation a contribué à l’organisation d’une étude pilote à Rabat en
apportant financement, formation et assistance technique. Aujourd’hui,
l’organisation soutient la prise en charge de l’infection à VIH aussi bien pour
les adultes que pour les services pédiatriques dans quatre villes du pays.
L’UNICEF et ONUSIDA ont joué un rôle majeur dans la prévention de la
transmission verticale au Maroc. Ces agences ont proposé leur assistance
pour tirer les enseignements de l’étude pilote initiée par ESTHER et pour
développer une stratégie adaptée au contexte marocain. Les deux agences
sont également deux importants partenaires du programme pilote de
prévention de la transmission verticale initié par le ministère de la Santé. Ils
jouent un rôle de soutien et fournissent l’assistance technique nécessaire au
développement du protocole de soins grâce à différentes missions de conseil
et à l’organisation d’ateliers nationaux et de formations.
Le Fonds Mondial est un donateur international de première importance du
programme de lutte contre le sida au Maroc, il finance 46% du coût de la
stratégie nationale de lutte contre le sida. Il fournit tant au gouvernement
qu’à la société civile des fonds destinés aux programmes de traitement et de
prévention. Le pays met en oeuvre actuellement son second programme du
16. 16
Fonds Mondial17
, dans lequel un volet sur la prévention de la transmission
verticale a été ajouté en 2008. Les fonds destinés à ce volet sont utilisés pour
l’achat d’équipements et de consommables (y compris les réactifs) destinés au
programme.
Les agences internationales ont joué un rôle important aussi bien dans la
mise en oeuvre d’interventions liées à la prévention de la transmission
verticale que dans le plaidoyer, le support technique et le financement.
Cependant, certains reprochent un manque de coordination parmi les
agences internationales opérant au Maroc ce qui limite leur efficacité globale.
Il s’agit des agences oeuvrant à l’amélioration de la santé maternelle et de
l’enfant ainsi qu’à la promotion de la santé génésique chez les femmes et les
filles. Une meilleure coordination entre ces organisations pourrait améliorer
et faciliter la transition jusqu’à la généralisation de la prévention de la
transmission verticale.
17
Le Maroc a reçu jusqu’à présent deux subventions HIV/AIDS au cours des Rounds 1 et 6.
17. 17
RECOMMANDATIONS
Les recommandations suivantes ont pour objectif d’améliorer la qualité, la
taille et la portée des services de préventions de la transmission verticale du
VIH au Maroc :
• L’ONUSIDA et l’OMS devraient identifier et documenter les
meilleures pratiques dans les pays à faible prévalence afin d’apporter
une assistance aux pays confrontés à des problèmatiques similaires
lors du développement de programmes de prévention des
transmissions verticales.
• A ce jour, le programme national de lutte contre le sida (PNLS) a été
la seule entité à être impliquée dans la prévention de la transmission
verticale du VIH. L’implication d’autres partenaires, à la fois
gouvernementaux et non-gouvernementaux, est essentielle pour
assurer une généralisation efficace. Le PNLS doit développer des
partenariats avec : les services de Santé maternelle et infantile du
ministère de la Santé car les services prénatals jouent un rôle crucial
dans la délivrance de la prévention des transmissions verticales ;
d’autres départements et ministères à caractère social18
; et la société
civile.
• Les partenaires impliqués dans les programmes de prévention
existant ciblants les femmes et les jeunes filles (ministère de la Santé,
agences internationales et société civile) doivent évaluer si ces
programmes adressent efficacement les questions de la prévention de
la transmission verticale. Un objectif de première importance serait
d’accroître la capacité et l’abilité de ces programmes à générer une
demande de dépistage chez les femmes enceintes. Le ministère de la
Santé doit prendre l’initiative de cette évaluation.
• Le ministère de la Santé, en partenariat avec la société civile et les
autres agences gouvernementales, devrait développer une stratégie
détaillée afin de généraliser l’information, l’éducation et la
communication sur la prévention de la transmission verticale chez les
femmes en âge de procréer.
• Le ministère de la Santé doit entreprendre des recherches dans le
cadre du programme pilote afin d’identifier une liste fiable de facteurs
de risque d’infection au VIH chez les femmes enceintes.
• La prestation de services de prévention de la transmission verticale
18
Y compris par exemple, le ministère de l’Education nationale, les ministères de la Jeunesse et des Sports, le
ministère du Développement Social, de la Famille et de la Solidarité et l’Initiative National pour les
Développement Humain (INDH).
18. 18
du VIH exige une approche intégrée en tant qu’élément d’un
ensemble de services proposés aux femmes enceintes. Les cliniques
de Santé maternelle et infantile du ministère de la Santé doivent
proposer le conseil et test volontaire à leurs clientes.
• Le ministère de la Santé et la société civile doivent améliorer la
compréhension et les connaissances de la transmission verticale du
VIH chez les obstréticiens et les gynécologues du secteur privé. Ceci
aiderait à augmenter la demande de dépistage par les femmes
enceintes.
• Le programme de planning familial marocain a été couronné d’un
succès relatif en matière de contrôle des naissances. Il devrait être
systématiquement impliqué afin d’éduquer les femmes en âge de
procréer sur la transmission verticale ainsi que sur les avantages du
test de dépistage pour les femmes à haut risque qui espèrent dans le
futur avoir des enfants.
• Des supports spécifiques (posters, brochures et autres supports
d’information) à destination des femmes et des couples doivent être
développés par le ministère de la Santé et la société civile. Dans un
même temps, des supports spécialisés de nature similaire ciblant les
professionnels de la santé devraient être élaborés afin de faire la
promotion de la prévention de la transmission verticale.
• Les ONG engagées dans le dépistage du VIH doivent étudier la
possibilité de proposer des services de CTV aux femmes enceintes à
travers leurs réseaux existants et tout particulièrement dans les
régions où le ministère de la Santé n’a pas mis en place de services de
prévention de la transmission verticale du VIH.
• Le ministère de la Santé et la société civile doivent s’associer pour
développer et mettre en ouevre une stratégie nationale pour
combattre les stigmates liés au VIH. Cette stratégie doit cibler tant le
grand public que les professionnels de la santé.
• Le ministère de la Santé, les professionnels de la santé et la société
civile doivent collaborer afin d’apporter une formation au personnel
dans tous les centres de soins, et non seulement les centres impliqués
dans la prévention de la transmission verticale. Cette formation devra
augmenter la connaissance du personnel médical sur le HIV/SIDA et
ses soins, l’éthique, la confidentialité et les stigmates. Elle devra
également porter sur l’amélioration des connaissances sur les
préoccupations spécifiques relatives à la prévention de transmission
verticale comme sur les techniques d’accouchement sans risque ou la
prophylaxie par les ARV.