1. ACCOMPAGNER
UN PROCHE MALADEEn apprenant le diagnostic, l’entourage des personnes atteintes d’un cancer
est souvent perdu. Beaucoup s’impliquent au point de devenir indispensables.
Sans toujours disposer des bonnes clés pour agir. SANDRINE LETELLIER
(1)Observatoire
sociétaldescancers,
rapport2015.
RÉFÉRENCE
80
C’est le pourcentage
de personnes malades
qui citent la présence
de proches comme un
élément déterminant
dans leur vécu
du parcours de soins,
avant même la qualité
de la relation avec
les soignants.
Source :Liguenationale
contrelecancer
Etre confronté au cancer, c’est
découvrir que nous avançons en
funambules sur le fil de la vie… Ce
qui semblait jusqu’alors essentiel devient
étrangement futile tant les repères et les
certitudes sont bousculés face à l’issue
incertaine de la maladie. Dans ce grand
chambardement,lerôled’aidant,souvent
intimement lié au malade, n’est pas aisé à
tenir. Un Français sur 10 aide actuelle-
mentunprocheatteintde
cancer (1)
. Un soutien
essentiel durant cette
période très difficile que
représente la lutte contre
la maladie. Car l’aidant et
son proche malade for-
ment un couple indisso-
ciable.Ensemble,ilsvont
affronter les tempêtes
des traitements et des
découragements, faire
face à des espoirs sans
cesse bringuebalés par
des résultats d’analyses
fluctuants, résister à de
possibles paniques lors-
que les marqueurs de la
maladie, étonnamment
sages, soudain s’emballent dangereuse-
ment. « La plus grande difficulté pour
l’aidant est de faire face à l’imprévisibi-
lité de cette maladie », confirme le
Dr Christophe Fauré, psychiatre et spé-
cialiste de l’accompagnement des mala-
des et de leur famille. Plongé dans une
situationsanscesseinstablepuisquesous
le joug des fluctuations de l’état de son
proche,l’aidants’épuisedansunerecher-
che d’équilibre impossi-
ble à atteindre. « Nous
avons bien pris cons-
cience, aujourd’hui, qu’il
est essentiel d’accom-
pagner l’aidant, affirme
le Dr Ophélie Soulié, psy-
chiatreauseindudéparte-
ment interdisciplinaire
des soins de support à
l’Institut Curie (Paris).
L’annoncedudiagnostic,
l’évolutionsoudainedela
maladie ou la mise en
soins palliatifs peuvent
être des moments
délicatsàtraverseretqui
nécessitent assez fré-
quemment une
OÙ SE
RENSEIGNER?
> Association française
des aidants
A 250bis,bdSaint-Germain,
75007Paris
}aidants.fr
> Fondation France Répit
B 04 26 07 64 46
}france-repit.fr
> Proche de malade Site
d’information de Novartis
}prochedemalade.com
> Ressource Fédération de
centres d’accompagnement
(malade du cancer
et entourage)
}federation-ressource.org
±°f
CANCER
44 Octobre2020-N°42 / Le Particulier Santé
2. Source :Observatoiresociétaldescancers,Liguecontrelecancer/Ipsos,juin2016
Onze millions de Français assistent des malades. Parmi eux,
près de 5 millions soutiennent un proche atteint de cancer.
QUI SONT LES AIDANTS ?
Un état d’esprit fluctuant
Une implication
chronophage
Lesaidantslesplusimpliqués,
ceuxquiaidentseulsou
presqueseuls(soit1aidantsur
3),passentpresque2heures
parjouràaiderleurproche.
Untempssouventprissurleur
activitéprofessionnelleetleurs
loisirs(1heureetdemie).
> 52% des aidants
sont des femmes
> 62% d’entre eux
exercent une activité
professionnelle
> 38% sont âgés
de 60 ans et plus
Une majorité
de femmes
Un rôle de soutien
indispensable
Aux stades 1 et 2 de la maladie
(tumeur localisée), les sentiments
qui prédominent chez les aidants
sont l’espoir, la volonté, la confiance
et la détermination. Mais à partir
du stade 3 (envahissement
locorégional), la confiance cède
la place à l’impuissance, qui devient
le sentiment prédominant
au stade 4 de la maladie (extension
dans l’organisme sous forme
de métastases).
> 61% des aidants apportent
un soutien moral
> 37% sont impliqués
dans le suivi médical
> 38% font les courses
et le ménage
> 22% aident dans les gestes
quotidiens (repas, toilette…)
ISTOCK
Le Particulier Santé / N°42-Octobre2020 45
3. CANCER
46 Octobre2020-N°42 / Le Particulier Santé
dans une « mission » qu’ils peuvent
même considérer comme étant celle de
leur vie. « Il en résulte un stress supplé-
mentaire généré par la volonté d’être le
plus sincèrement possible à la hauteur
de l’enjeu, en mettant en place des stra-
tégies efficaces, insiste le Dr Fauré.
Étroitementliéesàlapersonnalitéetau
caractère de chacun, ces stratégies
d’adaptation sont inscrites dans l’his-
toire personnelle, dans la manière
intime de se confronter à tous les événe-
ments difficiles de la vie. Parfois utiles
et bénéfiques au malade, elles peuvent
aussi ne pas lui correspondre. Il se crée
alors un conflit, une incompréhension,
qui renvoient tant l’aidé que l’aidant
dans sa propre solitude. »
QUE FAIRE
APRÈS LE DIAGNOSTIC?
Informez-vous au mieux sur la maladie
qui diminue l’autonomie de votre pro-
che. Il faut se rapprocher des associa-
tions spécialisées pour aidants. « On
recense près de 200 cancers différents
qui vont évoluer vers divers stades, pré-
ciseleDrMarouanBenna,cancérologue
à l’Institut de cancérologie Lucien-
NeuwirthàSaint-Priest-en-Jarez,dansla
Loire.Àcela,s’ajoutelagrandediversité
des patients. Pour être un aidant effi-
cace,ilfauts’adapteràlasingularitéde
chacun et bien comprendre qu’au-delà
de ses effets physiques, la maladie peut
influer sur l’humeur et la capacité à
communiquer avec l’entourage. »
COMMENT
EN PARLER?
Il faut prendre en compte la psychologie
d’une personne atteinte d’un cancer. Ce
n’estpasparcequ’ellesetaitsursamala-
demande de soutien psychologique
de l’aidant auprès d’un membre de
l’équipedepsycho-oncologie.»
COMMENT
FAIRE FACE?
«Audébut,onsebatpourquesonproche
guérisse et on culpabilise pour tout et
pour rien, confie Jean, un ex-aidant
familial.Puislesannéespassentet,pour
finir, on cherche surtout à améliorer le
confort de celui-ci. C’est très compli-
qué. » Pour nombre d’aidants, qu’ils
soientpère,mère,fille,filsouconjoint,le
fait d’accompagner leur proche est un
devoir, une évidence. Aussi vont-ils sou-
vent se lancer à corps perdu, sous le
regard des proches et des soignants,
PHANIE
38
C’est le pourcentage
de Français qui ont été
aidants de personnes
atteintes de cancers
au cours de ces
5 dernières années.
Source :Dopas,2014
LE TÉMOIGNAGE DE… JOËLLE, 67 ANS
« NOUS AVONS TRAVERSÉ
ENSEMBLE MA MALADIE »
Lorsquelemédecinm’aannoncé
laprésenced’unetumeurdansle
lobesupérieurdupoumongau-
che,j’aipenséquej’étaisfichue.
Enplus,jemesentaiscoupable
d’avoirfumépendanttoutesces
années.Dujouraulendemain,
j’aiarrêtélacigarette.Face
àcettetempêtequimenaçaitde
m’engloutir,jemesuisaccrochée
detoutesmesforcesauxrocs
solidesquimesoutenaient.Ma
famille,d’abord,ettoutparticu-
lièrementmonfilsaînéquin’a
jamaisfailli,surtoutencette
année2011,laplusnoirede
toutemavie.Maisaussimes
amisetmonentourageprofes-
sionnel.Aprèsl’opérationquim’a
amputéed’unepartiedupoumon
gauche,monfilsaprisuncongé
desoutienfamilialets’estinstallé
chezmoi.Nousavonstraversé
ensemblemachimiothérapie
etmaradiothérapie.Robertétait
toujourslà,devançantmes
moindresdésirs.J’airejointune
association,Ressource,poursui-
vreunprogrammepersonnalisé
d’accompagnementthérapeuti-
que(PPACT)quiallieunevariété
detechniquespermettantaux
personnesd’êtremieuxdansleur
corps,d’avoiruneéchappatoire
etd’exprimeraussidesémotions
quisontlà,quisontimportantes,
etquel’onnepeutpastoujours
partageraveclafamille.
±°j
4. ACCOMPAGNER UN PROCHE MALADE
Le Particulier Santé / N°42-Octobre2020 47
die qu’elle ne désire pas en parler. Sou-
vent interprété comme un refus d’abor-
derlesujet,sonsilenceestsurtoutliéàla
crainte de lasser ou de déranger à force
de rabâcher. N’ayez pas peur de verbali-
ser les choses en osant lui demander ce
qu’elle souhaite évoquer avec vous.
Créez ensemble un espace de parole, de
réconfort et d’écoute.
QUELLE DISTANCE
GARDER?
La fusion, c’est quand on oublie de faire
la différence entre soi et l’autre. Pas for-
cémentfacilesil’onconsidèrequelelien
qui nous unit est préexistant à la surve-
nue du cancer. Pourtant, c’est en visant
l’équilibresurtoutleparcoursdelamala-
die que l’on a le plus de chance d’être
utile à son proche. Plus précisément,
vous allez devoir chercher à être ni trop
loin ni trop près du malade. Si vous vous
surprenez à exprimer « on a passé un
scanner hier », essayez de vous repren-
dre en disant « il a passé un scanner » ou
« elle a vu l’oncologue ». Apparemment
ÉVALUER SON
IMPLICATION
> L’échelle de
pénibilité de Zarit
permet de mesurer, à
partir d’une vingtaine
de questions, la
surcharge de travail
et ses répercussions
sur l’état d’esprit
d’un proche aidant.
}masef.com/
scores/
penibilitezarit.htm
> L’Association
française des
aidants s’appuie
sur son propre outil
de repérage, appelé
Rosa, pour lister les
tâches à accomplir
et discerner les
risques pour la santé
de l’aidant.
UNE ALLOCATION JOURNALIÈRE
CONGÉ DE PROCHE AIDANT
Iln’estguèreaisédeconsacrerdutempsàunparentouàunprocheenperte
d’autonomielorsquel’ontravaille.Pasmoinsde62%desaidantssontencore
enactivitéprofessionnelle.Laloid’adaptationdelasociétéauvieillissement
de2015aremplacéle«congédesoutienfamilial»parlecongéde«proche
aidant»,apportantàcetteoccasionplusieursaméliorations.Àpartird’octobre
2020,l’uned’entreelles,etnonlamoindre,permettraauxbénéficiaires
dececongé–dispositifjusqu’alorspeuutilepourtouslesaidantsnepouvant
interrompreleuractivitésanscompensationfinancière–depercevoirune
allocationjournalièreéquivalenteàl’allocationjournalièredeprésence
parentale,soit43€pourlespersonnesvivantencoupleet52€pourune
personneseule.Elleseraverséeparlescaissesd’allocationsfamiliales(CAF),
surdemandeduprocheaidant,aprèsunetéléprocéduresimple.Cecongépeut
s’étendresurunepériodede3mois,renouvelabledanslalimited’unan
surl’ensembledelacarrièreprofessionnelle(voirlen°29duParticulierSanté).
±°b
anodines, ces petites phrases sont pour-
tant les premiers pas d’une fusion
inconsciente et dangereuse qui peut
mener très loin et notamment, le cas
échéant, à des deuils très compliqués.
Il faut également apprendre à laisser
son proche malade « respirer ». Il existe
bonnombred’actesqu’ilpeutetsouhaite
accomplir seul. Ne cherchez pas à l’en
dissuader! Il a aussi besoin de se sentir
« agir » pour garder un lien avec sa vie
d’avant. À vouloir tout faire à sa place,
vous prenez le risque de l’insupporter
par une trop grande ingérence dans son
quotidien, mais aussi d’être sollicité de
plus en plus souvent.
QUEL CADRE POSER?
« Aider une personne tout au long de sa
pathologie transforme la vie des
aidants,préciseleDrSoulié.Ilfautbien
réfléchir au type d’engagement que cela
représente et à ce l’on est réellement
capable de vivre. » Avec le développe-
ment des chimiothérapies à domicile, de
la chirurgie ambulatoire et du
5. CANCER
48 Octobre2020-N°42 / Le Particulier Santé
LESAVEZ-VOUS?
Le proche aidant
n’est pas forcément la
personne de confiance,
désignée par écrit (voir
le n° 5 du Particulier
Santé), qui épaule le
patient qui l’a nommé
dans ses démarches
à l’hôpital et l’assiste
lors des consultations
ou des entretiens
médicaux.
ISTOCK
FAIRE UNE PAUSE
DES LIEUX POUR SOUFFLER
Depuis sa création, en 2013,
la Fondation France Répit
permet aux aidants
de bénéficier d’un temps
de pause, programmé
ou d’urgence, dans
un établissement spécialisé
ou à domicile, lorsque
la situation le nécessite
(épuisement physique ou
psychologique…). Cela
prend en compte la personne
malade, la continuité
des soins étant assurée
avec les médecins traitants
et référents. En 2018,
la Fondation a inauguré
sa première Maison de répit
à Lyon. Henri de Rohan-
Chabot, son délégué général,
se souvient des propos
d’une aidante après y avoir
séjourné : « Ce sont nos
noisettes… On est là comme
des écureuils, on met trois
noisettes ici, on garde les
autres pour l’hiver ! » L’aidant
bénéficie d’un capital répit
de 30 jours par an, à utiliser
comme il le souhaite.
un relais efficace pour
l’équipe soignante. Pour ce
faire, apprenez à déléguer
en acceptant l’aide des dif-
férents professionnels
amenés à agir (infirmiers,
médecins, kiné, assistant
social…).Etprenezsoinde
vous. Votre mère, votre
enfant, votre conjoint ou
votre sœur étant votre priorité,
vous avez tendance à négliger votre
santé. Alors, attention : on ne peut aider
efficacement autrui si on ne prend pas
d’abord soin de soi. Anxiété, perte de
sommeil, épuisement… Autant de
signesindiquantqu’ilfautvouspréserver
et auxquels vous devez être attentif pour
pouvoir continuer à vous battre aux
côtés de votre proche. Les tâches que les
aidants assument détériorent leur état
sur le plan physique et psychologique au
point que certains font parfois des burn-
out. Consultez votre généraliste, sollici-
tez les associations. Si vous pratiquez
une activité physique, n’y renoncez pas.
COMMENT ANTICIPER
LA FIN DE VIE?
Renseignez-vous sur les réseaux de
soins palliatifs à la maison et les hospita-
lisations à domicile qui permettent de
finir ses jours chez soi, si tel est le choix
de votre proche et le vôtre. Réfléchissez
àcequecelasignifiepourvous.Unocéan
sépare parfois le besoin de faire les cho-
sesetlaforcedelessupporter.Onnesort
pas indemne d’un accompagnement à
domicile. L’entrée de votre proche en
unités de soins palliatifs à l’hôpital offre
une alternative. Ce moment très particu-
liernécessiteaussiquevousvousfassiez
accompagner et soutenir, de préférence
par un professionnel. ■
recours de plus en plus
fréquent à la radiothérapie
ciblée, qui espace le nom-
bredeséances,lespatients
sontdeplusenplussoignés
chez eux. Les aidants ne
peuvent et ne doivent pas
tout faire. Il est extrême-
ment délicat de dispenser
des soins que l’on ne sait
pas réaliser ou qui sont si
intimes qu’ils changent la nature de la
relation avec son proche. Ainsi, on a le
droitdeconfiercertainsgestesàdespro-
fessionnels.
COMMENT
SE MÉNAGER?
Vous allez très vite être submergé par
l’ampleur de la tâche : papiers adminis-
tratifs, aide au ménage et aux courses, à
l’observance des traitements… Outre
l’écoute et l’attention portées à votre
malade, votre rôle consiste aussi à être
À LIRE
> Accompagner
un proche en fin de vie,
Dr Christophe Fauré,
Albin Michel, 2016.
> Aidant familial,
la Documentation
française, collection
Prévenir & Accompagner,
réédition 2015.
±°h
ACCOMPAGNER UN PROCHE MALADE