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Cizia Zykë
Extrait de
Alma
Le Code de la propriété intellectuelle n’autorisant, aux termes de l’article L. 122-5, 2e
et 3e
a, d’une
part, que les « copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non
destinées à une utilisation collective » et, d’autre part, que les analyses et les courtes citations dans
un but d’exemple ou d’illustration, « toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite
sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause est illicite » (art. L. 122-4).
Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une
contrefaçon sanctionnée par les articles L. 335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
© 2018, Taurnada Éditions
PARTIE
PREMIÈRE
… Des commères dévêtirent un frère et une sœur
qu’on disait incestueux et les pendouillèrent à une
poutre en se gaussant, bouches grandes ouvertes,
poings sur les hanches, de leurs soubresauts d’agonie.
« Vois-le donc, catin, ton pendard qui trique ! »…
I
Il était une fois Alma, la petite fille qui causait avec
Dieu.
Ah, j’en vois qui déjà grimacent…
On fronce le nez. On secoue la tête de droite à
gauche, bouche plissée. On lève les yeux au plafond
en soupirant par les narines.
Et ça fait pfff…
Pfff…
Pfff…
Je me doute de ce que vous pensez, allez !
Que ce diable d’aventurier peut-il bien savoir de
Dieu ?
Voilà bien cet ogre, ce Tarass Boulba, cet Albanais,
ce bachi-bouzouk partout réputé pour ses méfaits et
ses pensées mauvaises qui prétend soudain me parler
d’une gamine.
Non mais…
Que sait-il des petites filles, vous dites-vous ?
Que peut-il bien vouloir à cette Alma, sinon des
tripoteries coupables dont vous ne voulez rien
connaître ?
- 3 -
Relaxez-vous.
D’abord, sachez que je fus père d’une petite fille
désormais devenue femme et que, donc, j’ai quelque
expérience en la matière.
Ensuite, si aujourd’hui je prends la plume une
ultime fois, c’est que je suis à la veille de mon dernier
grand voyage. Alors, à propos de Dieu, je saurai plus
vite que vous de quoi il retourne. Le plus probable,
même, est qu’à l’heure où vous lisez ces lignes, je suis
en train de papoter avec Lui sur son nuage favori.
Peut-être même parviens-je, d’une bonne blague trous-
sée de ma façon, à le faire rigoler de son rire paterne
de bon Dieu tandis qu’il farfouille machinalement dans
les mèches de sa barbe blanche…
Mais oui, détendez-vous…
Installez-vous dans ce profond fauteuil près de la
fenêtre. Non ? Alors que diriez-vous de ce transat de
toile au bord du jardin ? Ou bien, tout simplement,
calez-vous le dos sur ce bon coussin dans la lumière
orangée de la lampe de chevet.
On n’est pas bien, là ?
Gardez à portée de main un verre de liquide frais et
bon ou, peut-être, pour vous, madame, un de ces déli-
cieux chocolats que vous reçûtes l’autre jour en
cadeau.
Vous y êtes ?
Alors allons-y sans tarder car, je vous l’ai dit, le
temps m’est mesuré.
- 4 -
Notre conte démarre naturellement à la naissance de
notre petite héroïne, Alma, en l’an 1480, au cœur de
l’Espagne médiévale.
On ignore où exactement.
Était-ce à Cadix tout juste reconquise après des
siècles d’occupation arabe ? À Barcelone, le port de la
côte orientale dont les nefs commerçaient avec toute
la Méditerranée ? À Tolède, l’antique capitale des
Wisigoths ? À Valladolid, où la reine Isabelle de Cas-
tille entamait son long règne ?
On ne sait pas.
Ce qui est sûr, c’est que, au sein de cette ville dont
on ignore le nom, l’événement eut lieu dans la judéria,
c’est-à-dire le quartier juif, comme il en existait alors
dans chaque ville, Cordoue, Valence, Ségovie ou, jus-
tement, cette ville-dont-on-ignore-le-nom.
Car il faut que vous le sachiez, les parents d’Alma,
Yahim, un jeune tailleur, et Dayana, paisible femme
au foyer, étaient des Juifs.
Yahim avait passé la nuit à arpenter le rez-de-
chaussée de son logis, le cœur empli d’inquiétude, les
fesses serrées dans ses chausses, se mordant les lèvres
à chaque gémissement de Dayana en train d’accou-
cher à l’étage.
À cette époque, l’enfantement était une opération
dangereuse. Plus de la moitié des femmes en mou-
raient ou bien mettaient au monde un enfant mort-né,
quand ce n’étaient pas les deux, la génitrice et le reje-
ton, qui y restaient.
Lorsque tout fut accompli de la meilleure manière
possible, Yahim caressa le front, encore ruisselant de
l’épreuve, de Dayana, remercia d’un signe de tête la
- 5 -
ventrière et sa jeune assistante qui reprenaient leur
souffle dans un coin de la pièce, puis prit pour la pre-
mière fois sa fille dans ses bras. Il fut frappé par son
regard, deux grands yeux d’azur qui, fixés sur son
visage, aussi immobiles que perçants, semblaient le
détailler avec toute l’attention et la sagesse d’un
adulte fait.
L’espace d’un instant, il crut que le nourrisson serré
dans ses langes, sa minuscule tête fripée recouverte
d’un bonnet de velours cramoisi, allait ouvrir cette
petite bouche qu’on venait de badigeonner de miel et
s’adresser à lui. Du genre :
« Salut, Yahim, alors c’est toi mon père ? »
Il n’en fut rien, évidemment. Si la nouvelle-née
remua les lèvres, ce fut pour baragouiner des areu-
areu embourbés de salive, comme tout bon bébé qui se
respecte. Mais l’impression avait été si forte que le
jeune tailleur en resta un long moment interdit.
Yahim se reprit, se racla la gorge, émit un rire forcé.
« Hum… hum… Ah ah ah… hum… »
Il saisit le poing minuscule au creux de sa paume et
murmura :
« Bienvenue ici-bas, mon enfant. »
Se penchant, il plongea son regard dans les pru-
nelles de sa fille, nota dans un coin de son âme le bleu
illuminé et maritime de leur splendeur, et souffla :
« Tu es Alma. »
Un ruisseau de bonheur en fusion érupta comme
lave de son cœur, se répandit dans tout son être et
érailla sa voix quand il prononça pour la deuxième
fois :
« Alma. »
II
Qu’elle est difficile, cette profession de conteur !
C’est que, sous mes dehors de brute épaisse, j’ai
l’âme gentille, moi. Je suis un tendre, une pâte, un
bleuet, une douceur.
Je n’aurais rien aimé tant que pouvoir vous dire :
« Yahim et Dayana vécurent paisiblement, dans le
plus grand bonheur, en compagnie de leur fille chérie,
Alma. »
Merci, mon Dieu, alléluia, allez en paix.
Et puis voilà : fin.
Hélas, cent douze fois hélas, la vérité historique
m’oblige à vous apprendre que, un peu plus d’un an
après l’heureux événement que je viens de vous nar-
rer, le tailleur et sa femme furent massacrés de la plus
atroce manière, tandis que la petite Alma, cette inno-
cente, s’en tirait par une sorte de miracle.
À ce stade, je me dois de vous faire comprendre
quelque chose d’important : en cette fin de XVe
siècle
qui nous occupe, alors que les premiers feux de la
Renaissance commençaient juste à s’embraser, mais
que l’époque était encore entachée des noirceurs du
Moyen Âge finissant, eh bien…
- 7 -
Comment dire cela d’une façon qui ne soit pas trop
abrupte ?
Ah quel fichu métier !
Eh bien… disons… enfin… en quelques mots
comme en cent mille, disons qu’en ces années 1480 et
quelques, eh ben… on n’aimait pas les Juifs, voilà !
Je sais, je sais, je sais…
Ça vous paraît étrange, à vous, qui vivez au cœur de
cette belle époque moderne où règne la tolérance uni-
verselle.
Où l’amour seul guide les relations entre les
peuples.
Où il ne viendrait à l’esprit de personne l’idée
absurde de détester son prochain en raison de sa reli-
gion.
Ne pas aimer les israélites !
Vous vous dites :
« Ça alors, nos ancêtres étaient donc de satanés bar-
bares ! »
C’est pourtant bien là l’incroyable vérité : en ces
temps obscurs, chacun, seigneur en son castel, curé en
sa chapelle, paysan en sa chaumine, avait besoin d’un
coupable pour toutes les avanies, coups du sort et mal-
chances qui émaillaient son existence.
Alors on avait pris l’habitude, allez savoir pourquoi,
d’en attribuer la faute aux Juifs.
De féroces pluies printanières avaient fait pourrir
sur pied le seigle et l’épeautre ?
C’était la faute des Juifs.
Le soleil estival trop précoce avait brûlé les mois-
sons ?
C’était la faute des Juifs.
- 8 -
Un éboulement avait fait s’effondrer la grange du
père Octavio ?
La faute des Juifs.
Une crise de coliques avait emporté la grosse et très
catholique señora Ramirez Gorda y Pansa ?
Les Juifs.
La chevrette s’était rompu le col en chutant de la
roche que son imprudence l’avait poussée à escala-
der ?
Les Juifs, vous dis-je !
La soupe du soir était trop salée ?
Un coup des Juifs, pardi…
Quand notre petite Alma vint au monde, les causes
de se plaindre du sort, subséquemment de ces sacrés
Juifs, ne manquaient pas.
Les maladies, tenez, par exemple.
C’est qu’on crevait sur un simple claquement de
doigts, en ces temps-là ! Bien portant à l’aube, avalant
d’un gosier enthousiaste son brouet matinal, le soir
même on rendait son dernier soupir, son âme à Dieu,
son corps à la poussière, entouré de sa famille chagri-
née et d’un moine envoyé chercher d’urgence qui vous
bafouillait vite fait, pour quelques liards, une prière
des agonisants en latin approximatif.
Fièvres marécageuses, infections malpropres, dégé-
nérescence des reins, du foie, du cœur ou de n’importe
quoi d’autre dans ce fatras d’organes qu’on ne connais-
sait point. Vermine, scrofule, vérole, goutte, gravelle et
j’en passe, toutes saletés qui guettaient en permanence
tout un chacun.
Sans compter le principal, l’horrible, l’homicidaire
salopard, le terriblissime qui hantait les cauchemars
de toute l’Europe et revenait récolter sa moisson de
- 9 -
cadavres tous les deux ou trois ans, j’ai nommé l’af-
freux Yersinia pestis, le virus de la peste.
La peste !
Alors de tous les clochers sourdaient de lugubres
glas. Alors les rues se peuplaient de corps gonflés que
de pauvres hères entassaient dans des charrettes pour
aller les brûler au loin, sans jamais suffire à la tâche.
La peste !
Alors les pauvres couchés les uns sur les autres en
des amas d’agonie hurlaient des nuits entières jusqu’à
l’aurore leur souffrance et leur terreur. Alors, les
riches jetaient à coups de pied leurs domestiques à la
rue, avec mission d’aller mourir ailleurs, bouclaient
portes et fenêtres, s’enduisaient d’ail, de vinaigre, d’on-
guent, d’eau bénite, d’esprit-de-vin, que sais-je encore,
dans l’espoir de se protéger avant de découvrir, horri-
fiés, sur leur propre corps, les pustules gonflées d’hu-
meurs de la terrible maladie.
La peste, qui balayait sans répit le continent de son
voile noir et puant. La peste, qui passait ici, revenait
là, incompréhensible et malicieuse, cruelle comme cent
bourreaux, versatile comme mille catins. La peste, qui
semait l’effroi, décimait les familles, effaçait du monde
des villages et des quartiers entiers et laissait dans son
sillage des champs de morts plus vastes que ceux des
plus glorieux conquérants.
Alors les peuples apeurés, fouettés jusqu’au fond de
leur âme par cet infernal fléau, gémissaient au Ciel :
« Qu’avons-nous fait ? »
Eh oui. Quel impardonnable péché avait-il été com-
mis, qui se voyait ainsi puni ?
Et pourtant, se disait-on, nous ne sommes fautifs de
rien.
- 10 -
« On vous le jure, Seigneur, on a beau se retourner
l’esprit, penser, fouiller, creuser, en notre âme et
conscience, on n’a rien fait qui puisse attirer sur nous
un tel châtiment… »
Alors, se demandait-on, si nous ne sommes cou-
pables de rien, qui l’est ?
Je vous laisse deviner quelle réponse on trouvait à
cette question.
III
Cette année-là, Yersinia pestis, l’assassin nauséabond,
avait choisi pour victime la ville-dont-on-ignore-le-
nom, celle-là même où, on s’en souvient, la petite
Alma poussait, délicate fleur, sur l’humus d’amour
répandu par ses parents Yahim et Dayana.
En cette ville se trouvait une place, au bord de cette
place une abbatiale flanquée d’un monastère, et dans
ce monastère un moine nommé Fray Porcino de Mala-
palabria.
La majorité des humains vit sa vie du mieux qu’elle
peut, sans faire de vagues, équilibrant plus ou moins
les comptes entre des petites bontés concédées çà et là
et les mauvaisetés décochées dans les coins.
Certains naissent pour faire le bien. Ils sont très rares.
D’autres, hélas plus nombreux, n’apparaissent parmi
nous que pour répandre le mal. Leur destin sur terre
est d’être nocif. Les pires d’entre eux ne sont satisfaits
d’eux-mêmes qu’après avoir assassiné des dizaines,
des centaines, des milliers de leurs semblables.
Fray Porcino de Malapalabria était de ceux-là.
C’était un homme jeune encore, de belle prestance,
doté par la nature des traits harmonieux qu’on voit aux
- 12 -
saints qui règnent sur les vitraux, ressemblance qu’il
entretenait en conservant autour de la tonsure régle-
mentaire de son ordre des cheveux longs qui se répan-
daient sur ses épaules en splendides boucles châtains.
Cadet d’une riche famille, il savait lire et écrire, ce
qui lui avait valu la bénédiction d’occuper en son
monastère la place de professeur des novices. À ces
jeunes garçons parvenus au seuil de l’adolescence, il
enseignait les mystères des lettres et des mots, l’ortho-
graphe, la grammaire castillane, la calligraphie, les
principes de base de l’enluminure et le plaisir d’être
sodomisés par lui.
Dans Sa bonté, en effet, le Tout-Puissant avait pourvu
Fray Porcino de Malapalabria d’une verge longue et
convenablement renflée du bout, mais fine et légère-
ment arquée, de ce fait idéalement adaptée aux juvé-
niles derrières au fond desquels il la plongeait.
En remerciement, le saint homme exigeait de ses
conquêtes qu’elles répétassent en rythme, tout au long
de leur union, le nom de la très sainte Vierge Marie,
mère de Dieu.
« Santa Maria madre de Dios !
– Tiens ! Tiens !
– Santa Maria, aïe ! madre de Dios !
– Tiens, petite femelle !
– Ouille ! Santa Maria… »
Le bon frère ne savait pourquoi, mais ces pieuses
litanies avaient le don de lui fouetter les sens…
Décidément fort généreuse, la providence divine avait
en outre donné à Fray Porcino une belle voix à la fois
sonore et mélodieuse qui faisait merveille, on va le voir
de suite, pour haranguer les foules.
Ce matin-là, l’aube l’avait trouvé aux étuves où il
s’était longuement lavé le corps, insistant sur sa pine
- 13 -
malencontreusement enduite de fiente noviciale, avant
de se diriger vers l’église voisine où, comme chaque
matin, il devait donner la messe.
Les fidèles étaient venus en si grand nombre pour
ouïr son sermon que la foule débordait sur le parvis.
S’y trouvaient mêlés des tâcherons misérables aux pieds
entourés de chiffons, des bourgeois en robes de brocart
et chaperons, des commères, des veuves, des jouven-
celles et même des soldats en cotte de mailles, l’épée
au côté.
Cette masse humaine était si dense que Porcino de
Malapalabria eut quelques difficultés à gagner l’es-
trade de l’autel, tant on le pressait de toutes parts, le
bousculait et le touchait de la main pour lui souhaiter
la bienvenue et l’encourager.
« Viva Fray Porcino de Malapalabria ! » criait-on.
Enfin, ayant gravi les quelques degrés d’un étroit
escalier, il fut en sa chaire accrochée au pilier central
du temple, suspendue entre ciel et terre.
Juste avant qu’il n’y grimpe, un jeune frère de son
ordre lui avait tendu une grande coupe d’étain emplie
de vin, de ce nectar lourd et sombre, gorgé du soleil
d’Espagne, qui était vraiment le sang du Christ.
Qui déliait la langue de Porcino de Malapalabria.
Qui lui donnait l’aplomb de hululer anathèmes,
injures et menaces, gesticulant du haut de sa nacelle.
Qui lui insufflait les mots idoines à convaincre les
sots, comme le Saint-Esprit, jadis, était descendu du
ciel pour emplir la bouche des apôtres.
« À genoux, pécheurs ! » hurla-t-il.
L’assistance s’agenouilla d’un seul mouvement, ani-
mal monstrueux, fauve aussi stupide que multiple,
abrutie bestiole à mille têtes, tandis que de mille poi-
trines jaillissait un même souffle avide de soumission.
- 14 -
Le beau moine but une lampée de nectar, contem-
plant cette nuée de nuques ployées et de têtes baissées,
une joie intense au cœur.
Ces imbéciles sont prêts, songeait-il.
Depuis des jours, des nouvelles alarmantes mon-
taient des faubourgs vers la ville. On parlait de
familles décimées en leur demeure, de rats qu’on trou-
vait morts au pied des remparts et de cadavres pesteux
qui s’amoncelaient aux carrefours des chemins.
Les quatre coins de l’horizon étaient assombris par
des nuées de corbeaux attirés par les amoncellements
de morts, conciles mouvants de charognards dont les
chants funèbres glaçaient les cœurs des braves gens.
Déjà, les plus riches des habitants, ceux qui avaient
la chance de posséder une maison à la campagne,
avaient entassé meubles et vaisselle dans de lourds
charrois et fui la ville, cochers et bouviers martyrisant
les arrière-trains des chevaux et des bœufs de trait pour
les faire avancer plus vite.
« Heu là, heu là, fuyons… Hardi… Plus vite… »
La peste était là.
La peur faisait trembler la ville.
Et les sermons quotidiens de Fray Porcino de Mala-
palabria transformaient cette peur en terreur et cette
terreur en colère.
Chaque matin et plusieurs fois le dimanche, il attisait
de ses diatribes la haine de ses paroissiens.
Jusqu’à aujourd’hui où, ce mauvais homme au visage
de saint le savait, les paroissiens accompliraient l’im-
pensable.
Pendant de longues minutes, il jouit de son pouvoir,
puis il ordonna à la foule de se relever.
« J’ai prié et prié et prié et Dieu dans sa miséricorde
a bien voulu répondre au pauvre pécheur qui depuis sa
- 15 -
misère et son humilité ose s’adresser à Lui. Oui, mes
frères, Dieu me l’a dit : ce sont les Juifs qui nous ont
amené la peste !
– LES JUIFS ! » hurla la foule en répons.
Des insultes fusèrent. Des poings se levèrent. Des
crachats s’écrasèrent au sol.
« Et vous êtes là rassemblés, oui, oui, oui, vous mes
braves, vous les justes. Et votre cœur est empli de
sainte colère. Et vous le savez, oui, vous le savez : le
Seigneur vous a désignés, oui, oui, oui, il vous a choi-
sis pour être les armes qui chasseront la maladie de
notre ville, cette maladie qui a pour nom la peste, cette
maladie qui a pour nom les Juifs !
– LES JUIFS !
– Grâce à vous, mes frères, mes sœurs, nous vien-
drons à bout du fléau qui tue nos enfants, nos vieillards,
nos filles, nos femmes et nos mères ! Ce fléau dont
nous connaissons le nom maudit…
– LES JUIFS ! »
Fray Porcino de Malapalabria brandit le calice, le
porta à sa bouche et but, tête renversée, laissant deux
rigoles de vin couler de ses commissures le long de
son menton.
« Êtes-vous prêts, mes frères ?
– NOUS LE SOMMES ! »
Emporté par sa propre folie, le moine leva les deux
bras au ciel, la face révulsée, les yeux déments.
« Alors sus aux Juifs ! Accomplissons la volonté de
Dieu ! »
La ville-dont-on-ignore-le-nom n’était pas grande,
en vérité rien de plus qu’un gros bourg : sa judéria
était modeste, à peine un fagot de ruelles entortillées
sur elles-mêmes au creux d’une courbe des remparts.
- 16 -
Il fallut moins que le temps d’une messe à la foule
affolée de haine pour massacrer la petite centaine de
paisibles israélites qui y vivaient.
Les soldats se divertirent en découpant leurs vic-
times avec méthode, morceau par morceau, qu’ils bran-
dissaient l’un après l’autre devant les yeux écarquillés
de leur propriétaire agonisant.
« Vois ta main, maraud !… Vois là ton pied s’il est
vilain !… »
On observa des bourgeois réputés charitables écarte-
ler les cuisses des jouvencelles et, chausses baissées,
culs blancs apparus, forniquer à grands coups de reins,
langues aussi longues que celles de serpents, tandis
qu’ils étranglaient leur proie des deux mains.
Des commères dévêtirent un frère et une sœur qu’on
disait incestueux et les pendouillèrent à une poutre en
se gaussant, bouches grandes ouvertes, poings sur les
hanches, de leurs soubresauts d’agonie.
« Vois-le donc, catin, ton pendard qui trique ! »
« Le diable te laissera-t-il baiser ta sœur, dans l’en-
fer où tu vas ? »
« Danse, salopiote, que ton frère te voie bien cre-
ver ! »
D’un docte rabbin connu pour savoir le grec, le
latin, l’arabe, le turc, le persan, l’anglois et le germain,
on arracha la langue et on la jeta à dévorer à son chien
avant de les égorger tous les deux.
D’une brodeuse célèbre dans toute la région pour la
finesse de ses œuvres, on creva les yeux.
Dans la gorge d’un orfèvre fameux, dont tous les
riches de la ville, leurs femmes et leurs filles, por-
taient les bijoux, on fit couler du métal incandescent.
« Ah tu aimes l’or, eh bien goûte donc voir ce plomb
s’il est bon ! »
- 17 -
Pendant ce temps, ayant regagné sa cellule, Fray
Porcino de Malapalabria écoutait avec ravissement le
chœur mêlé de hurlements de rage et de ceux de souf-
france, cette mélodie dont il était l’auteur, tout en
tétant du vin de Castille à même le cruchon, tandis
qu’une nonne, d’ordinaire employée aux cuisines, ayant
elle aussi le croupion embrasé par le vent de violence
qui s’était abattu sur la ville, lui suçait goulûment le
vit.
À la judéria, le meilleur assassin était un colosse de
cinq pieds de hauteur pour trois de large, tonnelier de
son état, rendu fameux par les rixes sanglantes qu’ivre
il déchaînait chaque soir dans les auberges et qu’on
surnommait L’Imanus.
En guère plus de temps qu’il ne lui en aurait fallu
pour vider une chopine, on l’eût dit une statue d’argile
à tuiles tant il était rouge, tant il était recouvert de
sang, tant il avait, armé d’un formidable coutelas, éven-
tré, éviscéré, taillé, coupé, transformé de la belle et
bonne chair d’être humain en morceaux de boucherie.
Ce fut cette figure effroyable qui surgit, seulement
vêtue d’un pagne de cuir, la chevelure dégoulinant de
pourpre, la face d’un diable carmin, le torse de taureau
sanglant, dans l’atelier de Yahim.
L’Imanus égorgea sans même y penser la demi-
douzaine d’ouvriers et d’ouvrières qui tentaient de se
cacher parmi les rouleaux de tissu. De même il tua
d’un geste machinal le jeune apprenti qui, brandissant
à deux mains tremblantes une paire de ciseaux, pré-
tendit lui barrer le chemin de l’escalier.
Il gravit les marches, ouvrit une porte d’un coup de
pied, pénétra dans la chambre des maîtres.
- 18 -
Yahim et Dayana se blottissaient, embrassés devant
la fenêtre.
Un seul bond du colosse, un seul mouvement de la
lame écarlate du coutelas, et leurs deux têtes roulèrent
sur le dallage avant de s’immobiliser lèvres contre
lèvres.
Le tonnelier regagnait la porte, avide de retourner au
massacre, quand le son d’un babil d’enfant l’immobi-
lisa.
Il se tourna lentement, son regard terrible fouillant
les recoins de la chambre, et repéra vite un couffin
d’osier qui reposait près du lit conjugal.
« Par Satan, jura-t-il, il y a là un juif enfançon qui
prétendait échapper au mien courroux ! »
Un pas, deux pas, le géant s’approcha, la main gau-
che tendue en avant, doigts ouverts, prête à saisir son
gibier, la droite levée, lame brandie.
« À moi, graine de pesteux ! »
Il se pencha sur le panier.
Y découvrit Alma qui lui souriait sans peur et le
dévisageait de ses grands yeux bleus.
La main prête à broyer se posa en douceur au bord
du couffin qu’elle macula de traînées vermillon. L’autre
s’affaissa lentement, puis laissa échapper le coutelas
dont le fer tinta en rencontrant les dalles du sol.
« Ça… balbutia L’Imanus, ça… ça… »
Devant ses yeux l’instant d’avant emplis de ruisseaux
de sang, d’entrailles déversées et de bouches ouvertes
sur des cris s’étendit soudain une plaine verdoyante
doucement vallonnée, piquetée de cerisiers en fleurs
qu’une douce brise faisait ondoyer.
Puis ce fut une mer d’eau de cobalt, une plage de
sable blond que léchait un tendre ressac.
- 19 -
Puis encore un jardin planté de légumes sur lesquels
un homme se penchait. Son père, qui soupesait une
grappe de haricots avant de relever la tête, le visage
éclairé d’un sourire, regardant s’approcher de lui un
enfant joyeux à la démarche encore maladroite.
Lui, L’Imanus, qui s’appelait encore Pedrito, le petit
Pedro, et dont le rire aigrelet montait comme une
chanson vers le frais soleil de printemps.
« Ça… ça… ça… » bégayait toujours l’assassin.
Et sa voix alors ressemblait au grondement affec-
tueux d’un fauve apaisé.
Quelques instants plus tard, dans la rue, on le vit
fendre la foule hurlante hérissée de piques et de lames,
serrant contre sa large poitrine un paquet de tissu de la
forme et de la taille d’une enfant d’un peu plus d’un
an, murmurant à chaque pas :
« Pas toi, ma petite fille, pas toi… »
Tandis que les ruisseaux de ses larmes lavaient ses
joues du sang qui y avait séché.
Fin de l’extrait
Taurnada Éditions
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EXTRAIT du roman « Alma » de Cizia Zykë

  • 1.
  • 2. Cizia Zykë Extrait de Alma Le Code de la propriété intellectuelle n’autorisant, aux termes de l’article L. 122-5, 2e et 3e a, d’une part, que les « copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective » et, d’autre part, que les analyses et les courtes citations dans un but d’exemple ou d’illustration, « toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause est illicite » (art. L. 122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L. 335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle. © 2018, Taurnada Éditions
  • 3. PARTIE PREMIÈRE … Des commères dévêtirent un frère et une sœur qu’on disait incestueux et les pendouillèrent à une poutre en se gaussant, bouches grandes ouvertes, poings sur les hanches, de leurs soubresauts d’agonie. « Vois-le donc, catin, ton pendard qui trique ! »…
  • 4. I Il était une fois Alma, la petite fille qui causait avec Dieu. Ah, j’en vois qui déjà grimacent… On fronce le nez. On secoue la tête de droite à gauche, bouche plissée. On lève les yeux au plafond en soupirant par les narines. Et ça fait pfff… Pfff… Pfff… Je me doute de ce que vous pensez, allez ! Que ce diable d’aventurier peut-il bien savoir de Dieu ? Voilà bien cet ogre, ce Tarass Boulba, cet Albanais, ce bachi-bouzouk partout réputé pour ses méfaits et ses pensées mauvaises qui prétend soudain me parler d’une gamine. Non mais… Que sait-il des petites filles, vous dites-vous ? Que peut-il bien vouloir à cette Alma, sinon des tripoteries coupables dont vous ne voulez rien connaître ? - 3 -
  • 5. Relaxez-vous. D’abord, sachez que je fus père d’une petite fille désormais devenue femme et que, donc, j’ai quelque expérience en la matière. Ensuite, si aujourd’hui je prends la plume une ultime fois, c’est que je suis à la veille de mon dernier grand voyage. Alors, à propos de Dieu, je saurai plus vite que vous de quoi il retourne. Le plus probable, même, est qu’à l’heure où vous lisez ces lignes, je suis en train de papoter avec Lui sur son nuage favori. Peut-être même parviens-je, d’une bonne blague trous- sée de ma façon, à le faire rigoler de son rire paterne de bon Dieu tandis qu’il farfouille machinalement dans les mèches de sa barbe blanche… Mais oui, détendez-vous… Installez-vous dans ce profond fauteuil près de la fenêtre. Non ? Alors que diriez-vous de ce transat de toile au bord du jardin ? Ou bien, tout simplement, calez-vous le dos sur ce bon coussin dans la lumière orangée de la lampe de chevet. On n’est pas bien, là ? Gardez à portée de main un verre de liquide frais et bon ou, peut-être, pour vous, madame, un de ces déli- cieux chocolats que vous reçûtes l’autre jour en cadeau. Vous y êtes ? Alors allons-y sans tarder car, je vous l’ai dit, le temps m’est mesuré. - 4 -
  • 6. Notre conte démarre naturellement à la naissance de notre petite héroïne, Alma, en l’an 1480, au cœur de l’Espagne médiévale. On ignore où exactement. Était-ce à Cadix tout juste reconquise après des siècles d’occupation arabe ? À Barcelone, le port de la côte orientale dont les nefs commerçaient avec toute la Méditerranée ? À Tolède, l’antique capitale des Wisigoths ? À Valladolid, où la reine Isabelle de Cas- tille entamait son long règne ? On ne sait pas. Ce qui est sûr, c’est que, au sein de cette ville dont on ignore le nom, l’événement eut lieu dans la judéria, c’est-à-dire le quartier juif, comme il en existait alors dans chaque ville, Cordoue, Valence, Ségovie ou, jus- tement, cette ville-dont-on-ignore-le-nom. Car il faut que vous le sachiez, les parents d’Alma, Yahim, un jeune tailleur, et Dayana, paisible femme au foyer, étaient des Juifs. Yahim avait passé la nuit à arpenter le rez-de- chaussée de son logis, le cœur empli d’inquiétude, les fesses serrées dans ses chausses, se mordant les lèvres à chaque gémissement de Dayana en train d’accou- cher à l’étage. À cette époque, l’enfantement était une opération dangereuse. Plus de la moitié des femmes en mou- raient ou bien mettaient au monde un enfant mort-né, quand ce n’étaient pas les deux, la génitrice et le reje- ton, qui y restaient. Lorsque tout fut accompli de la meilleure manière possible, Yahim caressa le front, encore ruisselant de l’épreuve, de Dayana, remercia d’un signe de tête la - 5 -
  • 7. ventrière et sa jeune assistante qui reprenaient leur souffle dans un coin de la pièce, puis prit pour la pre- mière fois sa fille dans ses bras. Il fut frappé par son regard, deux grands yeux d’azur qui, fixés sur son visage, aussi immobiles que perçants, semblaient le détailler avec toute l’attention et la sagesse d’un adulte fait. L’espace d’un instant, il crut que le nourrisson serré dans ses langes, sa minuscule tête fripée recouverte d’un bonnet de velours cramoisi, allait ouvrir cette petite bouche qu’on venait de badigeonner de miel et s’adresser à lui. Du genre : « Salut, Yahim, alors c’est toi mon père ? » Il n’en fut rien, évidemment. Si la nouvelle-née remua les lèvres, ce fut pour baragouiner des areu- areu embourbés de salive, comme tout bon bébé qui se respecte. Mais l’impression avait été si forte que le jeune tailleur en resta un long moment interdit. Yahim se reprit, se racla la gorge, émit un rire forcé. « Hum… hum… Ah ah ah… hum… » Il saisit le poing minuscule au creux de sa paume et murmura : « Bienvenue ici-bas, mon enfant. » Se penchant, il plongea son regard dans les pru- nelles de sa fille, nota dans un coin de son âme le bleu illuminé et maritime de leur splendeur, et souffla : « Tu es Alma. » Un ruisseau de bonheur en fusion érupta comme lave de son cœur, se répandit dans tout son être et érailla sa voix quand il prononça pour la deuxième fois : « Alma. »
  • 8. II Qu’elle est difficile, cette profession de conteur ! C’est que, sous mes dehors de brute épaisse, j’ai l’âme gentille, moi. Je suis un tendre, une pâte, un bleuet, une douceur. Je n’aurais rien aimé tant que pouvoir vous dire : « Yahim et Dayana vécurent paisiblement, dans le plus grand bonheur, en compagnie de leur fille chérie, Alma. » Merci, mon Dieu, alléluia, allez en paix. Et puis voilà : fin. Hélas, cent douze fois hélas, la vérité historique m’oblige à vous apprendre que, un peu plus d’un an après l’heureux événement que je viens de vous nar- rer, le tailleur et sa femme furent massacrés de la plus atroce manière, tandis que la petite Alma, cette inno- cente, s’en tirait par une sorte de miracle. À ce stade, je me dois de vous faire comprendre quelque chose d’important : en cette fin de XVe siècle qui nous occupe, alors que les premiers feux de la Renaissance commençaient juste à s’embraser, mais que l’époque était encore entachée des noirceurs du Moyen Âge finissant, eh bien… - 7 -
  • 9. Comment dire cela d’une façon qui ne soit pas trop abrupte ? Ah quel fichu métier ! Eh bien… disons… enfin… en quelques mots comme en cent mille, disons qu’en ces années 1480 et quelques, eh ben… on n’aimait pas les Juifs, voilà ! Je sais, je sais, je sais… Ça vous paraît étrange, à vous, qui vivez au cœur de cette belle époque moderne où règne la tolérance uni- verselle. Où l’amour seul guide les relations entre les peuples. Où il ne viendrait à l’esprit de personne l’idée absurde de détester son prochain en raison de sa reli- gion. Ne pas aimer les israélites ! Vous vous dites : « Ça alors, nos ancêtres étaient donc de satanés bar- bares ! » C’est pourtant bien là l’incroyable vérité : en ces temps obscurs, chacun, seigneur en son castel, curé en sa chapelle, paysan en sa chaumine, avait besoin d’un coupable pour toutes les avanies, coups du sort et mal- chances qui émaillaient son existence. Alors on avait pris l’habitude, allez savoir pourquoi, d’en attribuer la faute aux Juifs. De féroces pluies printanières avaient fait pourrir sur pied le seigle et l’épeautre ? C’était la faute des Juifs. Le soleil estival trop précoce avait brûlé les mois- sons ? C’était la faute des Juifs. - 8 -
  • 10. Un éboulement avait fait s’effondrer la grange du père Octavio ? La faute des Juifs. Une crise de coliques avait emporté la grosse et très catholique señora Ramirez Gorda y Pansa ? Les Juifs. La chevrette s’était rompu le col en chutant de la roche que son imprudence l’avait poussée à escala- der ? Les Juifs, vous dis-je ! La soupe du soir était trop salée ? Un coup des Juifs, pardi… Quand notre petite Alma vint au monde, les causes de se plaindre du sort, subséquemment de ces sacrés Juifs, ne manquaient pas. Les maladies, tenez, par exemple. C’est qu’on crevait sur un simple claquement de doigts, en ces temps-là ! Bien portant à l’aube, avalant d’un gosier enthousiaste son brouet matinal, le soir même on rendait son dernier soupir, son âme à Dieu, son corps à la poussière, entouré de sa famille chagri- née et d’un moine envoyé chercher d’urgence qui vous bafouillait vite fait, pour quelques liards, une prière des agonisants en latin approximatif. Fièvres marécageuses, infections malpropres, dégé- nérescence des reins, du foie, du cœur ou de n’importe quoi d’autre dans ce fatras d’organes qu’on ne connais- sait point. Vermine, scrofule, vérole, goutte, gravelle et j’en passe, toutes saletés qui guettaient en permanence tout un chacun. Sans compter le principal, l’horrible, l’homicidaire salopard, le terriblissime qui hantait les cauchemars de toute l’Europe et revenait récolter sa moisson de - 9 -
  • 11. cadavres tous les deux ou trois ans, j’ai nommé l’af- freux Yersinia pestis, le virus de la peste. La peste ! Alors de tous les clochers sourdaient de lugubres glas. Alors les rues se peuplaient de corps gonflés que de pauvres hères entassaient dans des charrettes pour aller les brûler au loin, sans jamais suffire à la tâche. La peste ! Alors les pauvres couchés les uns sur les autres en des amas d’agonie hurlaient des nuits entières jusqu’à l’aurore leur souffrance et leur terreur. Alors, les riches jetaient à coups de pied leurs domestiques à la rue, avec mission d’aller mourir ailleurs, bouclaient portes et fenêtres, s’enduisaient d’ail, de vinaigre, d’on- guent, d’eau bénite, d’esprit-de-vin, que sais-je encore, dans l’espoir de se protéger avant de découvrir, horri- fiés, sur leur propre corps, les pustules gonflées d’hu- meurs de la terrible maladie. La peste, qui balayait sans répit le continent de son voile noir et puant. La peste, qui passait ici, revenait là, incompréhensible et malicieuse, cruelle comme cent bourreaux, versatile comme mille catins. La peste, qui semait l’effroi, décimait les familles, effaçait du monde des villages et des quartiers entiers et laissait dans son sillage des champs de morts plus vastes que ceux des plus glorieux conquérants. Alors les peuples apeurés, fouettés jusqu’au fond de leur âme par cet infernal fléau, gémissaient au Ciel : « Qu’avons-nous fait ? » Eh oui. Quel impardonnable péché avait-il été com- mis, qui se voyait ainsi puni ? Et pourtant, se disait-on, nous ne sommes fautifs de rien. - 10 -
  • 12. « On vous le jure, Seigneur, on a beau se retourner l’esprit, penser, fouiller, creuser, en notre âme et conscience, on n’a rien fait qui puisse attirer sur nous un tel châtiment… » Alors, se demandait-on, si nous ne sommes cou- pables de rien, qui l’est ? Je vous laisse deviner quelle réponse on trouvait à cette question.
  • 13. III Cette année-là, Yersinia pestis, l’assassin nauséabond, avait choisi pour victime la ville-dont-on-ignore-le- nom, celle-là même où, on s’en souvient, la petite Alma poussait, délicate fleur, sur l’humus d’amour répandu par ses parents Yahim et Dayana. En cette ville se trouvait une place, au bord de cette place une abbatiale flanquée d’un monastère, et dans ce monastère un moine nommé Fray Porcino de Mala- palabria. La majorité des humains vit sa vie du mieux qu’elle peut, sans faire de vagues, équilibrant plus ou moins les comptes entre des petites bontés concédées çà et là et les mauvaisetés décochées dans les coins. Certains naissent pour faire le bien. Ils sont très rares. D’autres, hélas plus nombreux, n’apparaissent parmi nous que pour répandre le mal. Leur destin sur terre est d’être nocif. Les pires d’entre eux ne sont satisfaits d’eux-mêmes qu’après avoir assassiné des dizaines, des centaines, des milliers de leurs semblables. Fray Porcino de Malapalabria était de ceux-là. C’était un homme jeune encore, de belle prestance, doté par la nature des traits harmonieux qu’on voit aux - 12 -
  • 14. saints qui règnent sur les vitraux, ressemblance qu’il entretenait en conservant autour de la tonsure régle- mentaire de son ordre des cheveux longs qui se répan- daient sur ses épaules en splendides boucles châtains. Cadet d’une riche famille, il savait lire et écrire, ce qui lui avait valu la bénédiction d’occuper en son monastère la place de professeur des novices. À ces jeunes garçons parvenus au seuil de l’adolescence, il enseignait les mystères des lettres et des mots, l’ortho- graphe, la grammaire castillane, la calligraphie, les principes de base de l’enluminure et le plaisir d’être sodomisés par lui. Dans Sa bonté, en effet, le Tout-Puissant avait pourvu Fray Porcino de Malapalabria d’une verge longue et convenablement renflée du bout, mais fine et légère- ment arquée, de ce fait idéalement adaptée aux juvé- niles derrières au fond desquels il la plongeait. En remerciement, le saint homme exigeait de ses conquêtes qu’elles répétassent en rythme, tout au long de leur union, le nom de la très sainte Vierge Marie, mère de Dieu. « Santa Maria madre de Dios ! – Tiens ! Tiens ! – Santa Maria, aïe ! madre de Dios ! – Tiens, petite femelle ! – Ouille ! Santa Maria… » Le bon frère ne savait pourquoi, mais ces pieuses litanies avaient le don de lui fouetter les sens… Décidément fort généreuse, la providence divine avait en outre donné à Fray Porcino une belle voix à la fois sonore et mélodieuse qui faisait merveille, on va le voir de suite, pour haranguer les foules. Ce matin-là, l’aube l’avait trouvé aux étuves où il s’était longuement lavé le corps, insistant sur sa pine - 13 -
  • 15. malencontreusement enduite de fiente noviciale, avant de se diriger vers l’église voisine où, comme chaque matin, il devait donner la messe. Les fidèles étaient venus en si grand nombre pour ouïr son sermon que la foule débordait sur le parvis. S’y trouvaient mêlés des tâcherons misérables aux pieds entourés de chiffons, des bourgeois en robes de brocart et chaperons, des commères, des veuves, des jouven- celles et même des soldats en cotte de mailles, l’épée au côté. Cette masse humaine était si dense que Porcino de Malapalabria eut quelques difficultés à gagner l’es- trade de l’autel, tant on le pressait de toutes parts, le bousculait et le touchait de la main pour lui souhaiter la bienvenue et l’encourager. « Viva Fray Porcino de Malapalabria ! » criait-on. Enfin, ayant gravi les quelques degrés d’un étroit escalier, il fut en sa chaire accrochée au pilier central du temple, suspendue entre ciel et terre. Juste avant qu’il n’y grimpe, un jeune frère de son ordre lui avait tendu une grande coupe d’étain emplie de vin, de ce nectar lourd et sombre, gorgé du soleil d’Espagne, qui était vraiment le sang du Christ. Qui déliait la langue de Porcino de Malapalabria. Qui lui donnait l’aplomb de hululer anathèmes, injures et menaces, gesticulant du haut de sa nacelle. Qui lui insufflait les mots idoines à convaincre les sots, comme le Saint-Esprit, jadis, était descendu du ciel pour emplir la bouche des apôtres. « À genoux, pécheurs ! » hurla-t-il. L’assistance s’agenouilla d’un seul mouvement, ani- mal monstrueux, fauve aussi stupide que multiple, abrutie bestiole à mille têtes, tandis que de mille poi- trines jaillissait un même souffle avide de soumission. - 14 -
  • 16. Le beau moine but une lampée de nectar, contem- plant cette nuée de nuques ployées et de têtes baissées, une joie intense au cœur. Ces imbéciles sont prêts, songeait-il. Depuis des jours, des nouvelles alarmantes mon- taient des faubourgs vers la ville. On parlait de familles décimées en leur demeure, de rats qu’on trou- vait morts au pied des remparts et de cadavres pesteux qui s’amoncelaient aux carrefours des chemins. Les quatre coins de l’horizon étaient assombris par des nuées de corbeaux attirés par les amoncellements de morts, conciles mouvants de charognards dont les chants funèbres glaçaient les cœurs des braves gens. Déjà, les plus riches des habitants, ceux qui avaient la chance de posséder une maison à la campagne, avaient entassé meubles et vaisselle dans de lourds charrois et fui la ville, cochers et bouviers martyrisant les arrière-trains des chevaux et des bœufs de trait pour les faire avancer plus vite. « Heu là, heu là, fuyons… Hardi… Plus vite… » La peste était là. La peur faisait trembler la ville. Et les sermons quotidiens de Fray Porcino de Mala- palabria transformaient cette peur en terreur et cette terreur en colère. Chaque matin et plusieurs fois le dimanche, il attisait de ses diatribes la haine de ses paroissiens. Jusqu’à aujourd’hui où, ce mauvais homme au visage de saint le savait, les paroissiens accompliraient l’im- pensable. Pendant de longues minutes, il jouit de son pouvoir, puis il ordonna à la foule de se relever. « J’ai prié et prié et prié et Dieu dans sa miséricorde a bien voulu répondre au pauvre pécheur qui depuis sa - 15 -
  • 17. misère et son humilité ose s’adresser à Lui. Oui, mes frères, Dieu me l’a dit : ce sont les Juifs qui nous ont amené la peste ! – LES JUIFS ! » hurla la foule en répons. Des insultes fusèrent. Des poings se levèrent. Des crachats s’écrasèrent au sol. « Et vous êtes là rassemblés, oui, oui, oui, vous mes braves, vous les justes. Et votre cœur est empli de sainte colère. Et vous le savez, oui, vous le savez : le Seigneur vous a désignés, oui, oui, oui, il vous a choi- sis pour être les armes qui chasseront la maladie de notre ville, cette maladie qui a pour nom la peste, cette maladie qui a pour nom les Juifs ! – LES JUIFS ! – Grâce à vous, mes frères, mes sœurs, nous vien- drons à bout du fléau qui tue nos enfants, nos vieillards, nos filles, nos femmes et nos mères ! Ce fléau dont nous connaissons le nom maudit… – LES JUIFS ! » Fray Porcino de Malapalabria brandit le calice, le porta à sa bouche et but, tête renversée, laissant deux rigoles de vin couler de ses commissures le long de son menton. « Êtes-vous prêts, mes frères ? – NOUS LE SOMMES ! » Emporté par sa propre folie, le moine leva les deux bras au ciel, la face révulsée, les yeux déments. « Alors sus aux Juifs ! Accomplissons la volonté de Dieu ! » La ville-dont-on-ignore-le-nom n’était pas grande, en vérité rien de plus qu’un gros bourg : sa judéria était modeste, à peine un fagot de ruelles entortillées sur elles-mêmes au creux d’une courbe des remparts. - 16 -
  • 18. Il fallut moins que le temps d’une messe à la foule affolée de haine pour massacrer la petite centaine de paisibles israélites qui y vivaient. Les soldats se divertirent en découpant leurs vic- times avec méthode, morceau par morceau, qu’ils bran- dissaient l’un après l’autre devant les yeux écarquillés de leur propriétaire agonisant. « Vois ta main, maraud !… Vois là ton pied s’il est vilain !… » On observa des bourgeois réputés charitables écarte- ler les cuisses des jouvencelles et, chausses baissées, culs blancs apparus, forniquer à grands coups de reins, langues aussi longues que celles de serpents, tandis qu’ils étranglaient leur proie des deux mains. Des commères dévêtirent un frère et une sœur qu’on disait incestueux et les pendouillèrent à une poutre en se gaussant, bouches grandes ouvertes, poings sur les hanches, de leurs soubresauts d’agonie. « Vois-le donc, catin, ton pendard qui trique ! » « Le diable te laissera-t-il baiser ta sœur, dans l’en- fer où tu vas ? » « Danse, salopiote, que ton frère te voie bien cre- ver ! » D’un docte rabbin connu pour savoir le grec, le latin, l’arabe, le turc, le persan, l’anglois et le germain, on arracha la langue et on la jeta à dévorer à son chien avant de les égorger tous les deux. D’une brodeuse célèbre dans toute la région pour la finesse de ses œuvres, on creva les yeux. Dans la gorge d’un orfèvre fameux, dont tous les riches de la ville, leurs femmes et leurs filles, por- taient les bijoux, on fit couler du métal incandescent. « Ah tu aimes l’or, eh bien goûte donc voir ce plomb s’il est bon ! » - 17 -
  • 19. Pendant ce temps, ayant regagné sa cellule, Fray Porcino de Malapalabria écoutait avec ravissement le chœur mêlé de hurlements de rage et de ceux de souf- france, cette mélodie dont il était l’auteur, tout en tétant du vin de Castille à même le cruchon, tandis qu’une nonne, d’ordinaire employée aux cuisines, ayant elle aussi le croupion embrasé par le vent de violence qui s’était abattu sur la ville, lui suçait goulûment le vit. À la judéria, le meilleur assassin était un colosse de cinq pieds de hauteur pour trois de large, tonnelier de son état, rendu fameux par les rixes sanglantes qu’ivre il déchaînait chaque soir dans les auberges et qu’on surnommait L’Imanus. En guère plus de temps qu’il ne lui en aurait fallu pour vider une chopine, on l’eût dit une statue d’argile à tuiles tant il était rouge, tant il était recouvert de sang, tant il avait, armé d’un formidable coutelas, éven- tré, éviscéré, taillé, coupé, transformé de la belle et bonne chair d’être humain en morceaux de boucherie. Ce fut cette figure effroyable qui surgit, seulement vêtue d’un pagne de cuir, la chevelure dégoulinant de pourpre, la face d’un diable carmin, le torse de taureau sanglant, dans l’atelier de Yahim. L’Imanus égorgea sans même y penser la demi- douzaine d’ouvriers et d’ouvrières qui tentaient de se cacher parmi les rouleaux de tissu. De même il tua d’un geste machinal le jeune apprenti qui, brandissant à deux mains tremblantes une paire de ciseaux, pré- tendit lui barrer le chemin de l’escalier. Il gravit les marches, ouvrit une porte d’un coup de pied, pénétra dans la chambre des maîtres. - 18 -
  • 20. Yahim et Dayana se blottissaient, embrassés devant la fenêtre. Un seul bond du colosse, un seul mouvement de la lame écarlate du coutelas, et leurs deux têtes roulèrent sur le dallage avant de s’immobiliser lèvres contre lèvres. Le tonnelier regagnait la porte, avide de retourner au massacre, quand le son d’un babil d’enfant l’immobi- lisa. Il se tourna lentement, son regard terrible fouillant les recoins de la chambre, et repéra vite un couffin d’osier qui reposait près du lit conjugal. « Par Satan, jura-t-il, il y a là un juif enfançon qui prétendait échapper au mien courroux ! » Un pas, deux pas, le géant s’approcha, la main gau- che tendue en avant, doigts ouverts, prête à saisir son gibier, la droite levée, lame brandie. « À moi, graine de pesteux ! » Il se pencha sur le panier. Y découvrit Alma qui lui souriait sans peur et le dévisageait de ses grands yeux bleus. La main prête à broyer se posa en douceur au bord du couffin qu’elle macula de traînées vermillon. L’autre s’affaissa lentement, puis laissa échapper le coutelas dont le fer tinta en rencontrant les dalles du sol. « Ça… balbutia L’Imanus, ça… ça… » Devant ses yeux l’instant d’avant emplis de ruisseaux de sang, d’entrailles déversées et de bouches ouvertes sur des cris s’étendit soudain une plaine verdoyante doucement vallonnée, piquetée de cerisiers en fleurs qu’une douce brise faisait ondoyer. Puis ce fut une mer d’eau de cobalt, une plage de sable blond que léchait un tendre ressac. - 19 -
  • 21. Puis encore un jardin planté de légumes sur lesquels un homme se penchait. Son père, qui soupesait une grappe de haricots avant de relever la tête, le visage éclairé d’un sourire, regardant s’approcher de lui un enfant joyeux à la démarche encore maladroite. Lui, L’Imanus, qui s’appelait encore Pedrito, le petit Pedro, et dont le rire aigrelet montait comme une chanson vers le frais soleil de printemps. « Ça… ça… ça… » bégayait toujours l’assassin. Et sa voix alors ressemblait au grondement affec- tueux d’un fauve apaisé. Quelques instants plus tard, dans la rue, on le vit fendre la foule hurlante hérissée de piques et de lames, serrant contre sa large poitrine un paquet de tissu de la forme et de la taille d’une enfant d’un peu plus d’un an, murmurant à chaque pas : « Pas toi, ma petite fille, pas toi… » Tandis que les ruisseaux de ses larmes lavaient ses joues du sang qui y avait séché. Fin de l’extrait