Formation échiquéenne jwhyCHESS, parallèle avec la planification de projet
La mise en scène de la virilité chez les femmes politiques candidates à l'élection présidentielle
1. UNIVERSITE PARIS – SORBONNE
Ecole des Hautes Etudes en Sciences de l’Information
et de la Communication
MASTER PROFESSIONNEL 2e ANNÉE
Option : COMMUNICATION POLITIQUE ET DES INSTITUTIONS PUBLIQUES
« LA MISE EN SCENE DE LA VIRILITÉ DES FEMMES CANDIDATES A
L’ÉLECTION PRÉSIDENTIELLE »
Préparé sous la direction de Madame le Professeur Véronique RICHARD
Directeur du CELSA
Sophie DUPIN DE SAINT-CYR
Option : Communication politique
et des institutions publiques
Promotion : 2009-2012
Soutenu le :
Note au mémoire :
Mention :
1
3. Remerciements
Je souhaite remercier Dalya Guérin, pour son soutien et son suivi attentif durant les mois de
recherche et de rédaction de ce mémoire, ainsi que Laurent Raverat, qui a accepté d’être mon
rapporteur professionnel.
J’aimerais ensuite remercier Virginie Julliard, Rainbow Murray et le responsable du pôle
conseil d’une grande agence de communication (qui a préféré rester anonyme), qui ont bien
voulu m’accorder un peu de leur temps et se prêter au jeu de l’interview.
3
5. Sommaire
Introduction……………………………………………………………………………………………p 8
I - Les stratégies de présentation de soi viriles des femmes politiques...……………………………p 15
A- Les femmes politiques en France………………………………………………………………...p 15
La condition féminine en politique
Virtus et Fortuna, symbolique de l’exclusion du genre féminin en politique
Les différences droite/gauche
B - La présentation de soi des femmes politiques…………………………………………………...p 22
La présentation de soi
Le genre mis en scène visuellement : analyse des affiches de campagne
C – Les différences de stratégies de mise en scène de soi…………………………………………..p 34
La neutralité de Martine Aubry contre l’oscillation de Marine Le Pen
L’ambiguïté de la stratégie de Ségolène Royal
II – L’autolégitimation virile des candidates à l’élection présidentielle…………………………….p 44
A – Virilité et légitimité en politique………………………………………………………………..p 44
L’illégitimité des femmes en politique
Etre Président de la République en France
La nécessaire virilité du détenteur du pouvoir politique
B – L’autolégitimation des femmes politiques par la présentation de soi virile……………………p 53
Autolégitimation et légitimité cathodique
Personnifier le pouvoir et incarner l’Homme présidentiel
La nécessaire virilité du détenteur du pouvoir politique
C – La virilité au cœur des stratégies de présentation de soi………………………………………..p 58
Le choix des thématiques
L’héritage et l’inscription dans une tradition virile
Faire de sa féminité un argument politique à des fins de légitimation
III – Le relais de ces stratégies de présentation de soi dans la presse………………………………..p 70
A – La presse et les femmes politiques………………………………………………………………p 70
Une parenthèse désenchantée
Le corps
L’éternelle « fille de » ?
5
6. B – Stratégies relayées, stratégies déconstruites…………………………………………………....p 78
Une stratégie déconstruite et non relayée : Ségolène Royal
Une stratégie relayée mais parfois dénoncée : Martine Aubry
Une stratégie efficacement relayée : Marine Le Pen
C – L’autonomie de la presse face aux stratégies de mise en scène de soi des candidates…………p 84
La langue employée et ses conséquences
Les comparaisons : « diviser pour mieux genrer »
Une technique journalistique contre les stratégies de présentation de soi : l’anecdote
Conclusion…………………………………………………………………………………………...p 96
Bibliographie……………………………………………………………………………………….p 101
Résumé……………………………………………………………………………………………..p 105
Mots-clés………………………………………………………………………………………...…p 107
Annexes…………………………………………………………………………………………….p 109
6
8. Introduction
« Les femmes sont des hommes comme les autres ! » a affirmé Marine Le Pen lorsqu’on lui a
demandé son avis sur le choix de François Hollande de créer un ministère du Droit des
Femmes.1 Avec une femme devenue le « troisième homme » de la compétition électorale, la
question du genre était, comme en 2007, omniprésente pendant la campagne présidentielle de
2012. « Guerrière », « fille de », « candidat » (au masculin), les surnoms dont la presse
affuble les prétendantes à la magistrature suprême sont révélateurs du mouvement permanent
entre masculin et féminin, virilité et féminité.
Ce mémoire a pour objet d’étudier les stratégies de présentation de soi des femmes politiques
du point de vue du genre, et plus particulièrement de la virilité, et d’observer le relais de ces
stratégies dans la presse. Le terme « genre » est la traduction française de « gender », en
anglais. Il s’impose en France, comme néologisme, dès les années 60. Le genre, selon
Virginie Julliard2, désigne « la construction sociale, historique et culturelle des rapports de
sexes. » Il s’agit du genre « ressenti », « social », contre le genre « biologique ».
J’exploite ici la théorie du genre en tant que distinction entre réalité biologique et identité
construite. Je pose qu’il peut exister une différence entre le genre biologique de l’individu
(masculin ou féminin) et le genre mis en avant dans la présentation de soi (virilité et féminité).
Chez les femmes politiques et candidates à l’élection présidentielle, c’est la notion de virilité
qui m’intéresse, qu’elle soit naturelle ou mise en scène. Il existe plusieurs degrés de définition
de cette notion qui, aussi bien dans Le Petit Larousse3 que dans Le Petit Robert4, sont
hiérarchisés sous une forme ternaire. En première définition, on trouve la virilité comme
« ensemble des caractères physiques et psychiques du sexe masculin ». Au premier sens, au
sens biologique donc, virilité et masculinité sont indissociables. Le second degré de définition
dit ceci : la virilité est « la capacité d’engendrer, de procréer ; la vigueur sexuelle. ». En se
concentrant sur le sexe masculin, cette définition s’éloigne paradoxalement du corps
1
Le Point.fr, 8.03.2012
2
Emergence et trajectoire de la parité dans l’espace public médiatique (1993 — 2007), Histoire et Sémiotique
au profit d’une étude sur le genre en politique à l’occasion du débat sur la parité soutenue le 2 décembre 2008
à l’Université Paris II-Assas p 420
3
Le Petit Larousse 2003
4
Le Petit Robert de la langue française 2007
8
9. biologique en ce qu’elle fait davantage référence au phallus métaphorique, le symbole
lacanien désincarné du désir et de la puissance (la fameuse « vigueur » sexuelle), plutôt qu’au
simple pénis. On s’éloigne donc peu à peu de la masculinité « de base », la masculinité
biologique. Le dernier degré de définition s’écarte définitivement de l’identité physique,
naturelle, pour entrer dans la dimension culturelle et historicisable de la virilité : la virilité
comme « mâle énergie, courage », pour Le Petit Larousse, ou comme « caractères moraux
culturellement associés au masculin » pour Le Petit Robert.
Tout au long de ce mémoire, j’étudierai ainsi la présence de ces caractères moraux chez les
femmes politiques, et leur concrétisation dans leurs choix de mises en scène médiatiques et
communicationnelles, en me libérant des contraintes du biologique inhérentes au premier
degré de la définition du concept. Je me rapprocherai ainsi du point de vue de Jean-Jacques
Courtine, professeur d’anthropologie à la Sorbonne, qui a collaboré à l’ouvrage « Histoire de
la virilité » en trois tomes5, et qui soutient « qu’à partir du moment où on considère que la
virilité, comme ensemble de valeurs, n’est pas nécessairement liée au sexe masculin
biologique, elle doit circuler. Le courage, la fermeté morale n’ont pas de sexe. »6
La virilité au sens moderne s’est construite dès le départ sur des caractères moraux bien
distincts des attributs purement physiques du masculin. La notion prend une dimension
politique au XVIe siècle avec Machiavel, dans Le Prince, où il oppose la virtus masculine
c’est-à-dire la force de l’âme, l’action « phallique », à la fortuna féminine, la nécessité
extérieure, la chance, à laquelle la virtus du Prince doit imposer sa loi s’il veut bien gouverner
et ne pas rester dans la passivité (versant féminin de l’action virile).7
Dans le cadre qui m’intéresse, le monde politique, la distinction qu’opère Machiavel entre
force morale, action masculine (virtus) et instabilité, passivité féminine (fortuna), est
essentielle pour saisir l’importance de la virilité. C’est bien le politique qui a attribué au vir (à
« l’homme », donc) le monopole symbolique de la bonne gouvernance. En France, le pouvoir
politique semble en effet être l’apanage des hommes. Bien qu’il n’existe pas, comme sous la
monarchie, de code édictant l’interdiction de l’accès des femmes à la fonction suprême, il
semble qu’il y ait un verrouillage symbolique de la Présidence de la République pour les
5
Seuil, 2011
6
Jean-Jean Courtine dans une interview pour Les Inrocks « C’est quoi un homme viril ? » 17.10.2011
7
Silvia Lippi, « Virilité en perte », La clinique lacanienne, 2007/1 n°12, p 203-225
9
10. individus de sexe féminin. Les femmes réussissant à s’inscrire dans le jeu politique seraient
donc pour la plupart des femmes viriles. Mais elles peuvent revendiquer leur virilité sous des
formes bien différentes. Catherine Achin, maître de conférences en science politique à
l'université Paris-VIII et chercheur au CSU/CNRS, a ainsi établi une typologie de la virilité
des femmes en politique.8
Elle définit une première catégorie de femmes politiques viriles comme étant celles des
« femmes-homme à l’identité sexuelle douteuse », des femmes imposantes, par le physique ou
le charisme, qui ont choisi de ne pas utiliser leurs attributs féminins pour peser dans le jeu
politique. C’est typiquement le cas de Martine Aubry, dont la mine souvent renfrognée, la
voix grave, les vêtements neutres et l’importante carrure en ferait presque un homme parmi
les hommes.
Catherine Achin définit une seconde catégorie de femmes en politique, les « femmes viriles »
qui, paradoxalement, sont celles qui exploitent le plus leurs attributs féminins et leur
sexualité, pour affronter les hommes en politiques. Cet usage du sexe ou du genre pour
accéder au pouvoir est une pratique agressive, à la manière de la sexualité virile. Elle prend
l’exemple d’Elisabeth Guigou, mais on pourrait également inscrire Ségolène Royal dans cette
catégorie.
Il se peut que certaines personnalités politiques de sexe féminin aiment à osciller entre ces
deux catégories, se constituant ainsi leur propre image virile. C’est notamment le cas de
Marine Le Pen, et je le développerai par la suite. J’ai ainsi choisi ces trois femmes (Ségolène
Royal, Martine Aubry et Marine Le Pen) comme principales figures de mon analyse.
J’illustrerai donc régulièrement mes arguments par des exemples issus de leurs campagnes
électorales.
La virilité des femmes en politique peut donc prendre deux formes différentes : une forme
dans laquelle la femme « s’oublie » pour endosser les caractères physiques ou les attitudes du
mâle, réclamant ainsi le droit d’être considérée à égalité avec les hommes politiques ou d’être
traitée de façon neutre, à l’instar du genre neutre qu’elles mettent en avant dans leur vie
politique. La seconde forme que peut prendre cette virilité féminine est l’inverse de la
8
Catherine Achin et Elsa Dorlin, « Nicolas Sarkozy ou la masculinité mascarade du Président », Raisons
politiques, 2008/3 n° 31, p. 19-45.
10
11. première : les femmes vont sur-jouer leur féminité, souligner dans leur apparence physique et
leur comportement ce qui fait d’elles des femmes, tout en usant pour ce faire de l’agressivité
de la sexualité virile pour tenter d’imposer aux mâles composant l’environnement politique la
puissance de leur féminité. C’est bien cette agressivité et cette revendication de puissance qui
font d’elles des individus virils.
« La mise en scène de la virilité chez les femmes candidates à l’élection présidentielle » Le
sujet soulève alors plusieurs questions : comment les matériaux traditionnels d’une campagne
politique participent-ils à la construction d’une identité virile chez les femmes politiques?
Comment expliquer le verrouillage symbolique de l’accès des femmes à la plus haute fonction
de l’Etat ? Quelles qualités la fonction de Président de la République nécessite-t-elle ? Quels
liens peut-on faire entre virilité et légitimité à prétendre à la Présidence de la République ?
Quant à la presse, relaie-t-elle les messages émis par les candidates ? Cherche-t-elle à
conforter ou à déconstruire les stratégies de présentation de soi élaborées par les femmes
politiques ?
Pour répondre à ces questions, je poserai la problématique suivante : dans quelle mesure les
stratégies de présentation de soi des femmes politiques mettent-elles en évidence la nécessité
de paraître virile ?
Cette problématique contient plusieurs hypothèses :
1ère hypothèse : Des stratégies de mise en scène de soi viriles imprègnent la communication
des femmes candidates à l’élection présidentielle française.
2ème hypothèse : Ces stratégies de mise en scène de soi participent à la légitimation de la
candidature de ces femmes politiques.
3ème hypothèse : La presse relaie ces stratégies de présentation de soi viriles.
De manière générale, j’entends qu’il y a, chez les femmes candidates à l’élection
présidentielle, un choix conscient de paraître virile ou de souligner leurs caractéristiques
physiques ou comportementales qui s’apparentent à la virilité. Je m’intéresserai donc à la
11
12. question des moyens mis en œuvre pour aboutir à la construction d’une identité bien
spécifique. La notion de présentation de soi sera analysée plus précisément en première partie.
Cadres théoriques
Les cadres théoriques mobilisés afin de répondre à cette problématique sont variés. Cette
question relève du domaine de la sociologie politique puisqu’il me faudra poser quelques
bases théoriques, tout au long de ce mémoire, relatives à la participation des femmes à la vie
publique et les spécificités historiques liées à la fonction présidentielle française. Cette
sociologie est manifestement dépendante du domaine de la science politique ainsi que du droit
constitutionnel, dont il me faudra également mentionner quelques principes. J’aborderai
également le domaine de la communication politique en entrant dans l’analyse de mon corpus,
dont je détaillerai ensuite la composition.
Méthodologie
J’ai choisi une méthodologie qualitative, en confrontant trois cas révélateurs de cette
présentation virile de soi. Je déploierai pour cela des analyses d’images et de contenu, en
exploitant des documents qui respectent les bornes chronologiques globales suivantes : avril
2007 (début de la campagne officielle des élections présidentielles de 2007) – mai 2012 (fin
de la campagne des élections présidentielles de 2012). Néanmoins, la grande majorité des
documents analysés sont issus de la campagne présidentielle de 2012, avec des bornes
chronologiques allant de novembre 2010 (annonce de la candidature de Ségolène Royal aux
primaires socialistes) à mai 2012 (fin de la campagne présidentielle de 2012)
Corpus
Les types de document qui composent mon corpus d’analyse sont les suivants :
- Les clips de campagne, d’avril 2007 à avril 2012
- Les discours de candidatures des femmes politiques étudiées, de mars 2012 à juin
2012
12
13. - Les affiches de campagne, d’avril 2007 à avril 2012
Mon corpus se compose également de nombreux articles de presse, afin d’observer si ces
stratégies de présentation de soi trouvent un relais bienveillant dans la presse, ou si au
contraire la presse entreprend de déconstruire les messages émis par les femmes politiques.
Les articles sont issus des journaux suivants : Lemonde.fr, lefigaro.fr et libération.fr,
Ouestfrance.fr ainsi que de deux hebdomadaires, lepoint.fr et lexpress.fr, l’un et l’autre de
tendance centriste, dirigés par de médiatiques directeurs de la rédaction, et ayant un important
socle de lecteurs sur internet.
Je me suis également servie d’autres journaux en ligne pour alimenter ma réflexion et ma
rédaction. Néanmoins les articles qui seront utiles à l’analyse du traitement médiatique des
femmes étudiées seront uniquement issus des journaux précités, et dans les bornes
chronologiques suivantes :
- Marine Le Pen: du 1er mai 2011 (annonce de sa candidature) à mai 2012.
- Martine Aubry : du 26 juin 2011 (annonce de sa candidature) à octobre 2011 (fin des
primaires socialistes).
- Ségolène Royal : de novembre 2010 (annonce de sa candidature aux primaires
socialistes) à octobre 2011, avec possibilité de puiser dans des articles datant de sa
candidature à l’élection présidentielle de 2007. Néanmoins, pour des raisons
d’équilibre et d’égalité de traitement, je me concentrerai davantage sur sa candidature
aux primaires socialistes de 2011.
La première partie de ce mémoire exposera le contexte de la condition des femmes dans la vie
politique française, tout en décrivant le concept de « présentation de soi » et en l’appliquant,
du point de vie du genre, aux stratégies communicationnelles des candidates à l’élection
présidentielle choisies pour l’étude. La seconde partie sera consacrée à l’étude des notions de
légitimité et de virilité en politique et à l’observation des stratégies d’autolégitimation des
candidates. Enfin, la troisième partie analysera le relais ou la déconstruction de ces stratégies
par la presse à travers un corpus d’articles.
13
15. Partie I – Les stratégies de présentation de soi viriles des femmes politiques
Il est nécessaire, en premier lieu, de replacer la problématique dans le contexte sociologique
et politique actuel en ce qui concerne la place des femmes dans la vie politique. Après cette
rapide contextualisation, j’étudierai plus précisément les stratégies de présentation de soi des
trois femmes politiques et candidates à l’élection présidentielle choisies pour cette analyse. Je
mettrai particulièrement en lumière ce qui les oppose, afin de démontrer la possible pluralité
des stratégies de présentation de soi virile.
A – Les femmes et la politique en France.
Cette première sous-partie a pour objectif d’éclairer la problématique en la replaçant dans le
contexte de la condition des femmes en politique, tant dans les difficultés qu’elles rencontrent
que dans l’incompatibilité symbolique entre féminité et politique. Je conclurai en nuançant
mon constat et en montrant quelles sont les différences de traitement des femmes politiques
selon qu’elles soient de droite ou de gauche.
1 – La condition féminine en politique
Dans sa thèse9, Virginie Julliard, maître de conférences à l’Université de Compiègne avec qui
j’ai eu l’occasion de m’entretenir, distingue trois « ères » dans la condition des femmes en
politique depuis les débuts de la Vème République. L’ère pré-parité, de 1958 jusqu’à la fin
des années 90, la « parenthèse enchantée » de la parité, de la fin des années 90 jusqu’en 2005
et l’ère post-parité. Quasi-absentes de la vie politique jusque dans les années 90, à de rares
exceptions, la vie politique se peuple de femmes en même temps que l’on commence à
évoquer la question d’une loi sur la parité.
Avant cela, les partis constituaient de véritables oligarchies masculines et la Vème
République était la « République des mâles », selon une expression de Mariette Sineau10,
chercheur au CEVIPOF et spécialiste de la question du genre. Elle explique l’absence des
9
Emergence et trajectoire de la parité dans l’espace public médiatique (1993 — 2007), Histoire et Sémiotique
au profit d’une étude sur le genre en politique à l’occasion du débat sur la parité soutenue le 2 décembre 2008
à l’Université Paris II-Assas.
10
« Les femmes politiques sous la Vème République – A la recherche d’une légitimité électorale », Revue
Pouvoirs, n°82, 1997, pp. 45-57
15
16. femmes de la vie publique par les effets néfastes du nouveau scrutin uninominal majoritaire à
deux tours, qui empêche le renouvellement des personnalités politiques dans des
circonscriptions devenues des « fiefs électoraux ». Ainsi les femmes ont dû entrer dans la vie
politique « par le haut », c’est-à-dire en étant nommées dans les cabinets ministériels, à peine
sorties de l’ENA, pour ensuite se chercher un fief local, alors que le système électoral de la
Vème République privilégie davantage les parcours ascendants.
« De fait, pour s’imposer en politique sous la Cinquième, s’intégrer à l’establishment, bref, avoir un
destin national, les femmes ont dû adopter la voie de la « compétence », privilégier ce mode d’entrée
en politique par rapport à la voie de l’élection ou à celle du militantisme. Pour être prestigieux, ce
modèle est socialement élitiste, plus adapté aux filles de la haute bourgeoisie parisienne qu’à celles
des classes moyennes et populaire de province. »11
Ceci explique leur faible présence dans la vie publique. Mariette Sineau insiste sur le fait que
les femmes sont bien souvent plus nommées qu’élues et donc en proportion moindre dans les
diverses institutions d’une République qui favorise la légitimité électorale. Les femmes sont
donc conviées au gouvernement, mais non à la représentation.
Le changement a lieu presque brutalement au milieu des années 90, lorsque le nombre de
députés de sexe féminin dépasse le cap symbolique des 10% en 1997, quelques années après
que, pour la première fois, une femme, Edith Cresson, est nommée Premier ministre. C’est au
sein du gouvernement que le changement se ressent le plus. Si Alain Juppé, Premier ministre
de 1995 à 1997, avait amorcé ce changement en présentant un gouvernement avec un nombre
inédit de femmes, la véritable révolution a lieu avec l’arrivée de Lionel Jospin au pouvoir. En
effet, les femmes ministres de Juppé (aussi surnommées péjorativement les « jupettes »), dont
on déplorait l’instrumentalisation afin de faire passer des réformes impopulaires et
l’affectation à des portefeuilles ministériels de moindre importance, sont rapidement limogées
quand se présentent les premiers sondages défavorables.
Le Gouvernement de Lionel Jospin confie à des femmes des portefeuilles de premier ordre,
comme le suivi de la réforme des 35 heures par Martine Aubry, alors Ministre de l’Emploi et
de la Solidarité de 1997 à 2000. Cette même année est l’année charnière où l’on vote la loi sur
11
Mariette Sineau, Profession femme politique. Sexe et pouvoir sous la Cinquième République, Presse de
Sciences-Po, 2001, p 153
16
17. la parité qui prévoit des sanctions pour les partis ne présentant pas un nombre suffisant de
femmes pour les élections au scrutin uninominal et ne respectant pas une parité totale pour les
élections au scrutin de liste. La période 2000-2005, représente une « parenthèse enchantée »,
selon Virginie Julliard, durant laquelle les médias encensent les femmes politiques par des
portraits élogieux et où les partis, notamment lors des élections régionales de 2004, font de
leur mieux pour respecter la loi. On aboutit d’ailleurs à un résultat inédit de 47,6% de femmes
élues dans les conseils régionaux cette année-là.
Au milieu des années 2000, on referme la parenthèse. La loi sur la parité n’a pas engendré la
révolution escomptée, puisque l’on compte, sous la XIIIème législature, environ 18,5% de
femmes à l’Assemblée nationale, faisant de la France l’un des mauvais élèves de l’Europe
dans ce domaine. Catherine Achin note que le renouvellement de la classe politique est
« marginal » et que la domination masculine, dans le domaine de la politique, s’en trouve
relativement inchangée.12 On remarque que souvent, les partis préféraient payer les amendes,
plutôt que de respecter les quotas prévus par la loi. Mais l’événement majeur qui marque ces
années-là, du point de vue de la question des femmes en politique, c’est la candidature de
Ségolène Royal à l’élection présidentielle de 2007. Ce n’est pas la première fois qu’une
femme est candidate à l’élection présidentielle, mais c’est bien la première fois qu’issue d’un
grand parti, elle a une chance de la gagner. Rivale de Nicolas Sarkozy, la campagne de 2007
est une féroce bataille des genres 13, relayée dans les médias. Au-delà des aspects de quotas et
de parité, c’est la première fois que la question du genre en politique, et la manière de
l’exploiter à des fins stratégiques, est clairement posée.
2 – Virtus et Fortuna, symbolique de l’exclusion du genre féminin en politique.
Le genre féminin, ou « féminité », est constitué de l’ensemble des caractères physiques,
psychiques et moraux culturellement attribués aux individus de sexe féminin. Au-delà des
considérations concrètes évoquées dans la partie précédente (faible nombre de femmes élues,
système électoral défavorable…), il est à présent temps de considérer les rapports entre genre
féminin et politique et leur incompatibilité symbolique. C’est la théorie de Jane Freedman,
professeur à l’Université Paris 8 et au King’s College of London. Elle s’interroge, en effet, sur
12
Catherine Achin, « Au-delà de la parité » Mouvements 2012/1 n° 69, pp 49-54
13
Analysée par Catherine Achin et Elsa Dorlin, « Nicolas Sarkozy ou la masculinité mascarade du
Président », Raisons Politiques, n°31, août 2008, pp. 19-46.
17
18. la relative absence des femmes dans la vie politique française et anglaise. Mais alors que la
plupart des chercheurs s’attardent à trouver les causalités sociologiques d’une telle mise à
l’écart du politique, Jane Freedman privilégie l’approche symbolique. 14 Ainsi les
représentations dominantes de la féminité seraient responsables de l’exclusion des femmes de
la classe politique. Il y aurait donc une non-coïncidence entre les représentations de la
féminité et celles du pouvoir.
Les attributs culturellement attribués au genre féminin sont nombreux et ancrés dans
l’imaginaire commun. Nul besoin d’en rédiger une liste, ces caractères précis, positifs ou
négatifs, qui correspondent à une vision archétypale du genre féminin, viennent facilement à
l’esprit. Mais la féminité, c’est encore Pierre Bourdieu qui en parle le mieux :
« Etre féminine, c’est essentiellement éviter toutes les propriétés et les pratiques qui peuvent
fonctionner comme des signes de virilité, et dire d’une femme de pouvoir qu’elle est très féminine n’est
qu’une manière particulièrement subtile de lui dénier le droit à cet attribut proprement masculin
qu’est le pouvoir. »15
L’incompatibilité entre féminité et pouvoir politique semble historique : « la puissance
génitale a toujours symbolisé la puissance tout court. »16 Dès 1515, Machiavel révèle, dans Le
Prince, que la vertu politique, est liée à la virilité. Le terme « virtus » provient d’ailleurs de
« vir » qui en latin signifie « homme ». Il oppose donc la virtus masculine, la force de l’âme,
l’action « phallique » à la fortuna féminine, la nécessité extérieure, la chance (versant féminin
de l’action virile).17 Dans le chapitre XXV18, il symbolise le rapport entre la virtus et la
fortuna par la métaphore d’un fleuve déchainé contre une digue, la fortuna étant la nature non
maitrisée et débridée contenue par la virtus, symbolisée par l’érection de ces digues solides et
droites. Ainsi, la vertu politique, puisqu’elle est intrinsèquement liée à l’homme, est
incompatible avec les caractères de la féminité, qui sont justement définis comme étant les
aspects contraires à la virilité. Aux hommes donc, et au politique, l’action, la rigueur, la
droiture et aux femmes, l’incontrôlable, l’accidentel et le désordre. « Le masculin associé à la
14
Femmes politiques : mythes et symboles, L’Harmattan, collection « Logiques politiques », 1997, recensé par
Manon Tremblay dans Recherches féministes, vol. 10, n°2, 1997, p 233-236
15
La Domination masculine, Points Seuil «Essais », 1998, p 136
16
Michel Foucault, cité par Christophe Deloire et Christophe Dubois dans Sexus Politicus, Documents J’ai Lu,
2006, p 17.
17
D’après Silvia Lippi, « Virilité en perte », La clinique lacanienne, 2007/1 n°12, p 203-225
18
«Combien peut la fortune dans les choses humaines et comment on doit s’opposer » dans Le Prince, Le Livre
de Poche, Edition de 2000, p 158
18
19. virtus et le féminin à la beauté est révélateur de la dissymétrie d’image entre les deux. Le défi
est donc aussi là, qui consiste à assurer la compatibilité d’image entre le féminin et le
politique, longtemps construits comme antinomiques. »19
Les femmes, historiquement exclues du monde politique, sont bien souvent restées dans
l’ombre du pouvoir, sans jamais y accéder. Est-ce d’ailleurs un hasard si le français est l’une
des seules langues au monde où le terme « reine » désigne uniquement l’épouse du roi ? Pour
une femme, on parlera donc de « régence » au lieu de « règne » et surtout, « d’influence » au
lieu de « pouvoir ».20
« La Révolution guillotine le roi, donc le père notera justement Balzac, mais si Capet est condamné à
mort c’est parce qu’il a subi l’influence de l’Autrichienne et des émigrés efféminés, qu’il n’a pas été le
père que l’on attendait, qu’il n’a pas été l’homme viril que l’on espérait. »21
« C’est une posture des plus traditionnelles »22 que de cantonner les femmes à l’ombre du
pouvoir, avec tout cela comporte en connotation de noirceur et de manigances. Les femmes
d’influence ont rarement bonne réputation : on pense à Marie-Antoinette, citée par Eric
Zemmour, qui ne s’est pas trouvée, à la postérité, auréolée de gloire, mais également à des
exemples plus récents, comme celui de Marie-France Garaud, « conseillère » de Jacques
Chirac et battue à l’élection présidentielle de 1981 :
« J’ai fait Jacques Chirac […] Je n’ai pas eu de pouvoir : j’ai eu de l’influence » [dit-elle] en 81 dans
l’émission « Cartes sur table ». S’il ne s’agit pas pour celle-ci du pouvoir de l’oreiller, sa fonction de
19
Marlène Coulomb Gully dans Présidente : le grand défi – Femmes, politique et médias, Payot, 2012, p 12
20
« Sous l’ancien Régime, la femme gouvernante prend les traits de la régente ou de la favorite. Longtemps, le
pouvoir féminin a été perçu comme un pouvoir occulte. Il est loin d’être comparable au pouvoir légitime, réel
et symbolique, puisqu’il a besoin d’un autre sujet pour être exercé, là où le véritable pouvoir s’exerce seul. Si le
pouvoir de la régente est légitime, il s’exerce dans l’attente de la majorité du fils, il est donc indirect et
temporaire. Son pouvoir est souvent perçu comme une captation illégitime. Catherine et Marie de Médicis,
Anne D’Autriche ont régenté la France, ce verbe a gardé de leurs passages au pouvoir sa consonance négative.
Gardienne des traditions d’un règne qui n’est plus, la reine mère devient une despote malfaisante lorsqu’elle
continue d’exercer une influence décisive sur son fils devenu roi (Catherine de Médicis). Ce pouvoir occulte est
le seul que les femmes aient exercé par le passé, aussi a-t-il durablement marqué les représentations des
femmes de pouvoir et la conception que les femmes, elles-mêmes, se font du pouvoir » Virginie Julliard, thèse
citée, p 536
21
Eric Zemmour dans Le Premier Sexe, J’ai Lu, 2009, p 82
22
Marlène Coulomb Gully, op.cit. p 162
19
20. conseillère étant parfaitement licite dans l’organigramme gouvernemental, on note cependant que la
référence au couple qu’elle a formé avec Pompidou est permanente. »23
Conseillère occulte ou « favorite à la cuisse légère » – c’est ainsi que de nombreux médias,
dont TF1 avec le Bêbête Show, ont caricaturé Edith Cresson – la trajectoire de la femme en
politique, puisqu’elle est bien souvent plus nommée qu’élue, est suspecte. Peut-être leur
simple présence est-elle symboliquement suspecte.
3 – Les différences droite/gauche
Le constat peu optimiste de la condition des femmes en politique doit être nuancé et observé à
travers le prisme des clivages partisans qui composent le paysage politique français. La
gauche semble être plus ouverte à la question de la féminisation de la vie politique et de la
parité que la droite, une droite plus conservatrice, plus patriarcale, même, selon Marlène
Coulomb Gully, qui cite alors Huguette Bourchardeau, ancienne députée socialiste, parlant
des candidats RPR à l’élection présidentielle : «Tous les candidats adoptent le style du père,
c’est à qui aura le style le plus gaullien. »24 C’est d’ailleurs sous un gouvernement de gauche,
qu’en 2000, est votée la loi sur la parité. Une étude montre par ailleurs que le Conseil national
et le Secrétariat national du Parti Socialiste (ensemble des organes législatifs et exécutifs du
parti) comptait environ 40% de femmes en 2003, contre environ 19% pour l’UMP, à la même
époque et au sein des mêmes structures.25
Le féminisme a également plus pénétré les structures partisanes de la gauche, surtout depuis
mai 1968 qui a vu s’associer marxisme et féminisme, par exemple dans le combat pour
l’IVG.26 Selon Mariette Sineau, la gauche serait ainsi plus sensible à la condition des
femmes :
« […] l’idéologie de gauche, qui a pour principe général de prôner l’égalité – entre les classes comme
entre les sexes – incite les femmes à reconnaitre (et condamner) les injustices politiques dont elles
sont victimes. Au contraire, l’idéologie de droite, qui s’accommode mieux de certaines formes
d’inégalités, qu’elles soient dites « naturelles » ou sociales, n’est guère propice à une prise de
23
Marlène Coulomb Gully, op.cit. p 87
24
Marlène Coulomb Gully, op.cit. p 79
25
Etude citée par Catherine Achin et Sandrine Lévêque dans Femmes en politique, Coll. La Découverte –
Repères, p 52.
26
Catherine Achin et Sandrine Lévêque, op.cit, pp 40-41
20
21. conscience féministe. On pourrait dire que les femmes parlementaires de droite « consentent » à la
domination (et à l’ordre traditionnel des genres), en niant subir des discriminations dans leur propre
parcours politique. »27
Elle insiste d’ailleurs sur le fait que les femmes de gauche sont plus sensibles aux théories du
féminisme que les hommes de gauche, alors qu’il existe un relatif consensus sur le rejet de la
question à droite, hommes et femmes confondus.
Malgré l’écriture très engagée politiquement de Mariette Sineau, on distingue tout de même
que, si la question des différences genrées, avec la promotion de politique de discrimination
positive est très prégnante à gauche, l’apparent consensus sur la question, à droite, ne signifie
par pour autant un désir d’exclusion des femmes politiques et l’attachement à une vision
stéréotype de la hiérarchie des genres. Après tout, l’UMP, autrefois RPR, a élu une Présidente
bien avant le Parti Socialiste. Il s’agit de Michèle Alliot-Marie, en 1999. J’ai pu m’entretenir
avec un responsable, qui a préféré rester anonyme, du Pôle Conseil d’une grande agence de
communication publique. Dans notre entretien informel, nous avons évoqué Michèle Alliot-
Marie :
« Avant [la loi sur la parité], il y avait des femmes en politique, mais elles n’avaient pas compris
qu’elles pourraient apporter quelques chose de complémentaire, de différent des hommes. Elles
avaient vraiment tendance à masquer leur féminité. Je me rappelle des femmes du courant « Femmes
Avenir » au sein du RPR. On disait vraiment que c’était des hommes déguisés en femmes. Ou des
femmes déguisées en hommes. On ne savait pas très bien. La femme emblématique du RPR, c’est
Michèle Alliot-Marie. Tout est dit ! Quand elle a été élue à la tête du RPR, c’était un immense pas en
avant. Mais bon, c’est tout de même une femme martiale, militaire, masculine en fait. »
Ainsi, droite et gauche ont leur propre approche du genre en politique, qu’il s’agit de ne pas
décrire grossièrement. Si la gauche est plus sensible aux questions féministes et promeut
l’expression des genres, elle souligne se faisant la différence des genres et donc leur inégalité.
L’expression exacerbée du genre féminin peut également être néfaste en politique, comme je
le développerai par la suite. La droite peut effectivement être étiquetée de conservatrice,
notamment sur la question de la parité, mais elle soutient une égalité des genres, incarnée par
exemple par la figure ambiguë de Michèle Alliot-Marie, qui peut être un symbole positif.
27
Mariette Sineau, op.cit. p 254
21
22. Les deux perspectives, celle de Mariette Sineau et celle que je lui oppose, nuancent le constat
pessimiste de la condition des femmes en politique. Malgré des résultats relativement
médiocres du point de vue de la parité et de l’inclusion symbolique des femmes dans le
champ politique, le domaine de la vie publique semble au moins ouvert au débat sur la
question du genre. Un débat qui ne semble pas prêt de se clore.
B - La présentation de soi des femmes politiques
Il s’agira ici de présenter les femmes politiques dont je vais plus précisément étudier les
stratégies de présentation de soi, tout en éclaircissant cette dernière notion. J’analyserai
ensuite les différentes façons qu’elles ont d’exploiter – ou de contenir – leur féminité dans
leur communication.
1- La présentation de soi
Par l’emploi de la tournure « présentation de soi », j’entends m’inspirer des travaux d’Erving
Goffman et j’avance que toute prise de parole, déplacement ou activité publique des femmes
politiques pendant la campagne présidentielle, intense moment d’expression politique, font
partie d’une plus large stratégie de communication, élaborée en amont et pendant la
campagne, qui serait la bonne mise en scène de soi, c’est-à-dire la capacité à donner à autrui
l’expression de soi-même que l’on a intérêt à susciter.28 La métaphore théâtrale filée tout au
long de l’ouvrage d’Erving Goffman semble trouver une résonnance dans l’analyse de la
communication des femmes politiques en campagne présidentielle puisqu’il s’agit bien pour
elles d’incarner des identités stratégiques29 – je n’irai pas jusqu’à parler de « rôles » pour ne
pas tomber dans des considérations psychologiques. Ces identités stratégiques, ce sont celles
qu’elles ont intérêt à incarner à des fins électorales.
28
D’après Erving Goffman, La Mise en scène de la vie quotidienne, Les Editions de Minuit, 1973, p 12
29
D’après la théorie d’Annie Collovald dans Identité(s) stratégique(s), Actes de la recherche en sciences sociales.
Vol. 73, juin 1988. Penser la politique-2. pp. 29-40.
22
23. Je n’étudierai ces présentations de soi30 que du point de vue du genre.31 En effet, avec la
parité, certains universitaires ont déterminé que la féminité ou la virilité pouvaient être des
ressources mobilisables en politique. Alors que jusque-là, le genre des hommes et des femmes
politiques apparaissaient comme des attributs « naturels », la loi sur la parité a été l’occasion
de démontrer qu’il s’agissait de capitaux politiques comme les autres, à exploiter dans des
stratégies de communication.32
J’ai donc choisi trois femmes politiques et candidates à l’élection présidentielle – par le biais
de primaires, pour deux d’entre elles – selon un critère que j’ai développé en introduction, à
savoir la coïncidence des identités genrées stratégiques de ces femmes à la typologie de
Catherine Achin et Elsa Dorlin des femmes en politique33.
Ségolène Royal correspond ainsi, selon moi, à la catégorie des « femmes viriles », dont la
féminité constitue une arme pour affronter les hommes politiques sur leur propre terrain. La
virilité se trouve alors dans l’exacerbation et l’agressivité du genre. Née le 22 septembre
1953, Ségolène Royal est diplômée de l’IEP de Paris, de l’Université Nancy-II et de l’ENA.
Elle devient juge administrative et avocate. Issue d’une famille nombreuse et catholique, le
divorce de ses parents entraînera une rupture entre la fille et le père, militaire de haut grade.
Elle se met en concubinage avec son camarade de promotion à l’ENA, François Hollande, et
l’annonce de leur séparation, retentissante, aura lieu le jour du second tour de l’élection
présidentielle de 2007. Remarquée par Jacques Attali, elle devient chargée de mission à
l’Elysée puis, de 1983 à 1988, conseillère de François Mitterrand dans le domaine des affaires
30
Je rapprocherai mon analyse de celle opérée par Catherine Achin lors de la campagne présidentielle de
2007 : « La campagne de 2007 et la lutte entre Nicolas Sarkozy et Ségolène Royal ont ainsi permis de travailler
sur les « identités stratégiques » des deux candidats. Il s’agit là d’analyser le travail de présentation de soi et la
construction des images des candidats par l’interaction avec d’autres acteurs de l’espace politique, comme les
journalistes, les sondeurs et les autres candidat-e-s. […] L’usage de la masculinité dans sa version exacerbée et
mise en scène, la virilité, constitue une ressource d’action tout aussi disponible, même si ces capitaux corporels
identitaires n’ont pas la même valeur lorsqu’ils sont mobilisés par les femmes et par les hommes. » Catherine
Achin « Femmes et hommes en politique ; comprendre la différence. » publié sur le site de Médiapart le
10.03.2012
31
Marlène Coulomb Gully, op.cit. p 13: “ l’argument de genre est partie prenante de ces stratégies de
présentation de soi, et l’on verra qu’entre la neutralisation active de sa féminité par Arlette Laguiller et
l’incarnation qualifiée de féminine d’une Christiane Taubira, par exemple, se déploie tout un spectre de
possibilités, chaque candidate jouant sa partition de façon spécifique. »
32
Catherine Achin « Femmes et hommes en politique ; comprendre la différence. » publié sur le site de
Médiapart le 10.03.2012
33
Dans « Nicolas Sarkozy ou la masculinité mascarade du Président », Raisons politiques, 2008/3 n° 31, p. 19-
45. La typologie qu’elles développent est sensiblement la même que celle de Jane Freedman, d’après mon
entretien avec Virginie Julliard.
23
24. sociales et de l’environnement. Après un échec aux municipales en 1983 dans le Calvados,
elle cherche à nouveau une implantation locale.
Le jour de la seconde investiture de François Mitterrand en tant que Président de la
République, elle va publiquement lui demander une circonscription, que celui-ci lui accorde.
Ce sera la seconde circonscription des Deux-Sèvres, réputée ingagnable par la gauche.
Jusqu’ici, le parcours de Ségolène Royal correspond en tout point au schéma de la trajectoire
des femmes en politique de Mariette Sineau évoqué dans la précédente partie. Découverte par
un homme, elle est nommée par un homme puis accompagnée dans son ancrage local…par un
homme. Néanmoins, après une vigoureuse campagne, elle remporte la circonscription. De
1992 à 1993, elle devient ministre de l’Environnement sous le Gouvernement Bérégovoy. De
1997 à 2000, sous le Gouvernement Jospin, elle obtient le portefeuille de l’Enseignement
scolaire, puis celui de la Famille et de l’Enfance. Elle accède à la Présidence de la région
Poitou-Charentes en 2004 mais est surtout investie par le Parti Socialiste, trois ans plus tard,
pour être candidate à l’élection présidentielle de 2007, à laquelle elle échoue. Elle sera
également candidate malheureuse au Congrès de Reims, en 2008, pour la Présidence du parti,
ainsi qu’aux primaires socialistes en 2011.
Martine Aubry, elle, correspond davantage à la catégorie « femmes-hommes » politiques, à
l’identité genrée trouble, d’après la typologie de Catherine Achin et d’Elsa Dorlin. Née le 8
août 1950, elle est la fille de Jacques Delors, ministre des Finances de 1981 à 1985 puis
Président de la Commission Européenne de 1985 à 1995 qui jouit toujours d’une excellente
réputation. Diplômée d’Assas, de l’IEP de Paris et de l’ENA, elle est haut fonctionnaire au
ministère du Travail puis au Conseil d’Etat. Elle évolue par la suite dans divers ministères
sous Mitterrand, presque toujours à l’Emploi à des postes techniques. En 1991, elle est
nommée ministre du Travail sous Edith Cresson, jusqu’en 1993, ayant été reconduite par
Pierre Bérégovoy.
Pierre Mauroy, ancien Premier ministre et maire de Lille, lui propose alors un ancrage local.
Son parcours est ainsi sensiblement similaire à celui de Ségolène Royal, à l’exception de leurs
thématiques de prédilection qui sont bien différentes, et j’aurai l’occasion d’en reparler. Elle
devient donc, grâce à un homme, maire adjointe d’une importante ville. Elle est également le
porte-parole de la campagne de Lionel Jospin en 1995, après que son père, Jacques Delors, ait
renoncé à l’investiture. En 1997, à la suite de la « vague rose », elle est élue députée dans la
24
25. cinquième circonscription du Nord, puis, rapidement, se voit confiée la place de numéro deux
du Gouvernement par Lionel Jospin, avec le portefeuille de l’Emploi et de la Solidarité. Elle
démissionne en 2000 pour briguer la mairie de Lille, à laquelle elle est élue un an plus tard,
pour se voir néanmoins battue à la députation en 2002. Elle se consacre dès lors pleinement à
son mandat de maire. En 2008, elle est élue Première Secrétaire du Parti Socialiste, à l’issue
du Congrès de Reims. Candidate aux primaires socialistes, elle échoue au second tour face à
François Hollande.
Marine Le Pen, elle, semble osciller en permanence entre les deux catégories de femmes
politiques décrites par Catherine Achin et Elsa Dorlin, comme je l’expliquerai par la suite.
Son parcours est résolument atypique par rapport aux deux précédentes candidates,
puisqu’elle n’est pas diplômée d’une grande école et qu’elle entame un parcours politique
traditionnel, ascendant plutôt que descendant. Néanmoins, le rôle du père est capital dans son
destin politique, comme pour Martine Aubry, toute proportion gardée. Née le 5 août 1968,
elle est la benjamine des trois filles de Jean-Marie Le Pen, que l’on ne présente pas. Diplômée
d’Assas, elle devient avocate. Elle se marie deux fois à des cadres du parti. Son compagnon
actuel, Louis Aliot, est vice-président du Front National. En 1993, elle se présente aux
élections législatives dans la 16e circonscription de Paris, dans laquelle elle obtient le score de
11% au premier tour. Cinq ans plus tard, elle est élue au Conseil Régional du Nord-Pas-de-
Calais.
En 2000, elle prend la tête de l’association « Génération Le Pen » contre Bruno Gollnisch, son
but assumé étant la dédiabolisation du parti. En 2002, elle échoue au second tour des élections
législatives à Lens mais se retrouve tête de liste, deux ans plus tard pour les élections
européennes, et obtient un siège au Parlement européen, qu’elle gardera en 2009. En 2007,
son père la nomme vice-présidente du FN après que Bruno Gollnisch a remporté les élections
du comité central. Elle devient directrice stratégique de la campagne de son père pour les
élections présidentielles de 2007. Malgré le faible score du FN à cette élection, Marine Le Pen
est l’une des rares cadres à obtenir un score satisfaisant aux élections législatives qui suivent,
même s’il ne lui permet pas de gagner un siège à l’Assemblée nationale. En 2011, elle
annonce son souhait de succéder à son père à la tête du parti, contre Bruno Gollnisch. Malgré
l’opposition de certains cadres et des organes de presse d’extrême droite, elle est élue
Présidente du FN avec 67,65% des voix. Candidate à l’élection présidentielle de 2012, elle
obtient 18% des suffrages au premier tour.
25
26. Ces trois courtes biographies montrent que le parcours des trois femmes correspond à
l’archétype des trajectoires féminines en politique – avec une réserve pour Marine Le Pen. La
place des hommes, et notamment du père, même s’il s’agit de pères de substitution pour
Ségolène Royal, est fondamentale dans le succès de leurs carrières politiques. Façonnées par
les hommes politiques, ces femmes en ont-elles adopté les caractères, par stratégie ou
mimétisme ?
2 – Le genre mis en scène visuellement: analyse des affiches de campagne
« Tonalité de la voix, posture et gestuelle des principaux candidats sont pensées et travaillées
dans les moindres détails. »34
Scrutées par les médias et les électeurs, les femmes politiques soignent leur apparence,
d’autant plus qu’elles savent que, puisque ce sont des femmes, on prêtera plus d’attention à
leur aspect physique35 et que surtout, on sera intransigeant, comme l’exprime Marlène
Coulomb Gully au sujet d’une ancienne candidate à l’élection présidentielle, Huguette
Bouchardeau:
« Ce retour permanent sur son physique et le handicap qu’il constitue pour sa carrière soulignent la
contrainte forte et ambiguë de l’apparence physique pour les femmes politiques. Belles, elles sont
soupçonnées d’avoir usé de leurs charmes ; laides, elles sont dénigrées. Les femmes sont toujours
« trop » belles ou « trop » laides, probablement parce qu’elles sont toujours de trop dans cet univers
masculin. »
Etre trop belle, on l’a justement reproché à Ségolène Royal. « Une élection présidentielle
n’est pas un concours de beauté ! » dira-t-on de sa candidature36. La séduction des femmes
dans la vie politique est immédiatement connotée. En 2007, Ségolène Royal a pourtant subi
de nombreuses transformations physiques visant à la rendre plus séduisante37. Femme
34
Virginie Julliard, op.cit., p 522
35
« L’image corporelle reste plus au cœur des représentations des femmes politiques que de celles des
hommes politiques. Même dans l’espace public, cette image du corps féminin est privatisée, tantôt à la
sexualité, tantôt à la maternité. » Jane Freedman, Manon Tremblay, op.cit. p 234
36
Une « gauloiserie » de Jean-Luc Mélenchon, en 2005.
37
« Une opération de chirurgie faciale a arrondi et affiné le bas de son visage ; les lunettes qu’elle portait à une
époque ont disparu, rendant plus visible le bleu de ses yeux ; des cheveux plus courts au brushing souple ont
26
27. politique « féminine », sa rivale, pendant les primaires socialistes, peut apparaître comme son
antithèse. Martine Aubry, au sourire renfrogné, fait ainsi preuve de moins de « disponibilité
féminine anthropologique »38 et donc d’une moindre volonté de séduire. D’une structure
corporelle plus imposante alors que sa rivale est plus gracile, Martine Aubry correspond
objectivement à la catégorie des « femmes-homme » dans laquelle Catherine Achin classe
Margaret Thatcher et Jane Freedman, l’impressionnante Golda Meir39. Quant à Marine Le
Pen, au sourire plus féroce que rayonnant et à la voix rauque et virile d’une fumeuse, elle
oscille entre les deux catégories, puisqu’elle se rapproche de la femme politique séductrice
par sa blondeur soigneusement entretenue et ses changements vestimentaires méticuleusement
décortiqués par la presse, comme j’aurai l’occasion d’en reparler.
Pour mieux cerner la façon dont les candidates expriment leur genre et se servent – ou non –
de leur féminité, j’ai choisi de comparer leurs présentations de soi genrées sur leurs affiches
de campagne. L’affiche de campagne a en effet l’intérêt d’être un pur produit de présentation
de soi, peu brouillé par des messages programmatiques plus complexes et moins personnels. Il
s’agit donc de se présenter aux électeurs et de laisser une forte impression, uniquement grâce
à des signes corporels, au sens barthésien du terme. J’ai donc analysé ces affiches à travers le
prisme du genre.
remplacé les serre-têtes et autres queue-de-cheval qu’elle affectionnait auparavant. Ségolène Royal a choisi,
pour cette campagne, de se conformer aux critères de beauté valorisés par la norme contemporaine. Enfin,
où Nicolas Sarkozy apparaît dur (« brutal » disent ses détracteurs), Ségolène Royal use désormais de son
sourire comme d’une arme stratégique. […] le sourire de la candidate confirme son inscription dans le genre,
de même que les métamorphoses physiques qu’on a observées et qui en ont fait une incarnation de la
féminité. » Marlène Coulomb Gully, op.cit. p 237
38
Selon l’heureuse formule de Marie-Joseph Bertini dans « Marie-Joseph Bertini, Femmes : le pouvoir
impossible » Questions de communication, 14, 2008, pp 328-330
39
Selon Virginie Julliard, lors de notre entretien
27
28. - Martine Aubry : une virilité soulignée
Pour son affiche de campagne lors des primaires socialistes de
2011, Martine Aubry a choisi un fond bleu, dénué du logo du
Parti Socialiste. Si ce choix semble avant tout politique (le
rouge n’aurait pas été assez saillant pour une candidate issu du
parti dont c’est la couleur officielle), il n’est pas dénué de
signification. En effet, le bleu, couleur froide, est la couleur du
masculin par excellence. Si ce postulat binaire (bleu pour les
garçons, rouge ou rose pour les filles) semble être banal, il est
pourtant fortement ancré dans la culture populaire, et ce, depuis
la fin du Moyen-âge, selon l’historien Michel Pastoureau40. Le
bleu sert ainsi à représenter le calme et le stoïcisme viril, contre le rouge, qui connote
davantage l’excitation voire l’hystérie féminine.
Le choix de la pose de la candidate est également très significatif. C’est l’une des rares
affiches de la présidentielle 2012 où le ou la candidat(e) est intégralement de face. Une pose
rare pour une personne de sexe féminin car, de manière générale, les femmes sont
représentées de façon désaxée, le buste orienté différemment de la direction du regard. Cette
iconographie, selon Michel Pastoureau, a déjà cours au Moyen-âge durant lequel le féminin se
représente par des corps désaxés, signe de folie. Une iconographie qui est ancrée dans les
mentalités et qui est toujours influente aujourd’hui, à en juger par les représentations de la
femme dans les affiches publicitaires, notamment pour les cosmétiques.
Sur cette affiche, la candidate affronte donc directement le vote des électeurs, une attitude
exclusivement virile41 mise en abyme dans le choix de la pose. Son sourire fermé connote
également une attitude virile qui s’oppose à l’éclat d’un sourire ouvert, traditionnellement
plus féminin. La coupe de cheveux est à mi-chemin entre le masculin et le féminin, rappelant
les chanteurs efféminées des années 70, soulignant encore une fois l’apparence trouble du
40
La Couleur de nos souvenirs, chez Seuil, 2010
41
Selon Pierre Bourdieu dans La domination masculine, op.cit , p 33: « [En Kabylie], les usages publics et actifs
de la partie haute, masculine du corps – faire front, affronter, faire face, regarder au visage, dans les yeux,
prendre la parole publiquement – sont le monopole des hommes ; la femme qui, en Kabylie, se tient à l’écart
des lieux publics, doit en quelque sorte renoncer à faire un usage public de son regard (elle marche en public
les yeux baissés vers les pieds). »
28
29. genre de la candidate. L’unique touche de féminité réside dans la couleur choisie pour la
veste, le rose. Mais cet aspect féminin de la veste est annulé par la coupe résolument neutre de
la veste de tailleur.
L’élément le plus intéressant de cette affiche est le choix de la mise en scène du second plan
de la photo. On y aperçoit distinctement trois corps d’homme tronqués, de face et de dos.
Homme parmi les hommes, le visage de la candidate masque le visage de celui qui se trouve
derrière elle, créant ainsi une figure mi-homme mi-femme qui correspond tout à fait à la
catégorie de femme virile dans laquelle j’ai choisi de la ranger. Le premier homme qui se tient
derrière elle porte un costume et le cordon d’un badge, symbolisant ainsi le travail et la
réussite, tandis que le second, dont on n’apercevoit que l’épaule, arbore une veste de jogging,
qui connote l’univers compétitif et viril du sport. « Soutenue » picturalement par ces deux
symboles, la candidate incarne la réussite masculine et le pouvoir.
- Ségolène Royal : le sur-jeu de la féminité
La première affiche de Ségolène Royal pour les élections
présidentielles de 2007, qui ne sera finalement pas retenue, la
montre au milieu et au second plan d’une foule de personnes
qui l’entoure. Contrairement à Martine Aubry, le sourire de
Ségolène Royal est ouvert et elle ne regarde pas l’objectif.
Sur cette photo, la candidate est au centre des attentions et est
exclusivement entourée d’hommes qui la regardent, ce qui
connote une féminité presque magnétique, qui a un fort
pouvoir sexuel sur les hommes ; une féminité virile, en
somme. Le choix du nom en police rose vient souligner le
sur-jeu de féminité qui règne dans cette affiche. On notera également le choix de l’italique
pour la police, qui évoque le corps désaxé dont je parlais auparavant, mais également la
soumission féminine, arme sexuelle redoutable, la flexibilité, la souplesse, contre le caractère
franc, affirmé et implacable d’une police droite, comme celle utilisé par Martine Aubry. On
note que le choix de l’italique sera conservé pour toutes les affiches de Ségolène Royal pour
la campagne de 2007.
29
30. Il s’agit ici de l’affiche officielle pour le premier tour de
l’élection présidentielle de 2007. Le positionnement de
Ségolène Royal semble alors clair et elle mise
sémiologiquement tout sur sa féminité exacerbée. Son visage,
légèrement orienté de trois-quarts et épuré par le choix du
noir et blanc évoque la délicatesse et la sensualité d’un
mannequin. Sa peau d’une blancheur virginale évoque la
vertu féminine de la chasteté. Malgré le fait qu’elle regarde
l’objectif, son regard semble perdu dans une rêverie, une
attitude culturellement définie comme féminine. Le visage
est encadré de rouge, couleur du sentiment et de l’excitation, comme je l’ai déjà mentionné, et
le slogan mérite que l’on s’y attarde puisqu’il est tout à fait égocentré. Ségolène Royal, qui,
sur cette photo, incarne la quintessence de la femme désirable, lisse de tout défaut, choisit
sémantiquement de ne faire qu’une avec « la » France et semble faire de son sexe le principal
argument de sa campagne.
Cette affiche est celle du second tour de l’élection présidentielle
de 2007. Ségolène Royal conserve le même argument : la France
présidente, c’est elle. Cependant, elle nuance les signes
apparents de sa féminité, certainement pour se donner une image
plus rigoureuse face à Nicolas Sarkozy. Elle s’attribue d’ailleurs
la couleur de son adversaire, le bleu de l’UMP. Si cette affiche
semble plus « institutionnelle », avec le choix de la couleur qui
vient réincarner une femme quasi-immatérielle sur l’affiche
précédente, elle conserve les principaux éléments d’une féminité
soulignée. Le sourire est ouvert et éclatant et le blanc, symbole
de la chasteté et de la fragilité, reste la couleur prédominante.
30
31. Cette affiche est celle de Ségolène Royal pour les
primaires socialistes de 2012. A première vue, la
candidate semble avoir conservé son principal
argument de campagne, c’est-à-dire sa féminité qui lui
permet d’être la France personnifiée. Cela semble
d’abord évident dans son slogan de campagne, qui use
du même artifice qu’en 2007, c’est-à-dire associer « la
France » à une photo de Ségolène Royal pour que l’une
se fonde symboliquement dans l’autre. Ici, cet artifice sémantique prend une forme visuelle,
car l’affiche reprend les codes graphiques du timbre postal de la République française (le
rouge mêlé de blanc), faisant de Ségolène Royal une nouvelle Marianne. Elle adopte la même
pose que la représentation de ladite Marianne sur le timbre, c’est-à-dire de profil ou de trois-
quarts, selon les années, le visage tourné vers l’horizon.
Une différence est notable, néanmoins, par rapport à 2007 : la présence de termes appartenant
aux champs lexicaux de la force et de la justice, thèmes virils, et j’y reviendrai. On peut déjà
entrevoir l’un des aspects du changement de stratégie de Ségolène Royal entre 2007 et 2012.
Si son image purement physique a peu changé, cette affiche annonce un changement dans le
contenu de son discours.
La candidate affiche ici un sourire éclatant, redoublant de féminité par rapport à une
Marianne souvent renfrognée sur les timbres. Ce désir d’incarner la figure allégorique de la
République française, symbole à la fois de féminité et de patriotisme, mais aussi d’érotisme
virginal, semble être entièrement assumé sur cette affiche. Le choix de l’icône est significatif
puisque Marianne semble être la figure de la féminité française la plus sexuellement
agressive, à l’opposé de la pure Jeanne d’Arc, par exemple. Marianne était, pour les
monarchistes du XIXème et le XXème, le symbole de la prostituée. A mi-chemin entre la
femme sensuelle et la mère nourricière, elle est souvent représentée seins nue, comme dans le
célèbre tableau d’Eugène Delacroix, La liberté guidant le peuple. C’est donc à cette figure à
la sexualité clairement accentuée que Ségolène Royal s’identifie, comptant sur son fort
pouvoir de séduction pour « contraindre » les électeurs.
L’affiche évoque également les muses du Pop Art immortalisées par Andy Warhol,
séductrices (Marilyn Monroe, Brigitte Bardot), respectables et autoritaires (Jackie Kennedy)
31
32. voire provocatrice (Liza Minnelli) mais toutes puissantes dans leurs domaines respectifs. Au-
delà de la sensualité féminine, c’est bien la puissance virile d’une séduction active qui est
exprimée en creux dans cette affiche.
- Marine Le Pen : une séduction travaillée
La seconde affiche est l’affiche officielle de la campagne de Marine Le Pen 2012. La
première est une ébauche et le projet a du être abandonné, certainement à cause de
l’utilisation des couleurs tricolores du drapeau français, dont l’usage à des fins publicitaires
est très réglementé. Elle vaut néanmoins d’être analysée. Héritière du père, femme d’extrême
droite à la rhétorique dure et agressive, Marine Le Pen, sous certains aspects, mériterait d’être
classée dans la catégorie des femmes-homme à l’identité ambiguë. Cependant, la candidate
oscille entre les deux catégories et joue de sa féminité pour affirmer le caractère unique de son
identité et se détacher politiquement du lourd héritage de son père, comme je l’expliquerai par
la suite. Elle parvient donc à effectuer un redoutable équilibre entre sa rigueur, sa rugosité
politique et sa féminité accentuée.
Dans ce sens, son physique est son principal atout, sa blondeur et son regard azur, mis en
valeur dans cette affiche, étant ses deux armes privilégiées pour affirmer sa qualité de femme
dans le microcosme exclusivement masculin qu’est l’extrême droite. Sa féminité lui permet
ainsi de sortir du carcan du candidat stéréotype de l’extrême droite, qui parvient rarement à
rassembler au-delà de son propre camp dans les urnes. Sur ces affiches, l’usage de sa
féminité est manifeste, notamment dans la première, où le regard est franc comme celui de
32
33. Martine Aubry, mais également séducteur, et où la pose évoque celle des stars de cinéma,
allongées et soumises à la caméra, l’œil métonymique de l’homme.
Le « Oui ! » saillant de son slogan évoque au choix le cri d’orgasme ou la soumission tacite
de l’acceptation de la demande en mariage. L’utilisation du terme « La France » rapproche
ces affiches de celles de Ségolène Royal ; mais le nom de la candidate n’est pas mentionné et
sa blondeur se fond dans le blanc du drapeau tricolore. Elle aussi semble ne vouloir faire
qu’une avec la France et utilise ainsi son sexe comme argument de campagne.
La seconde affiche est plus institutionnelle et moins provocatrice sexuellement. On pourrait la
rapprocher de celle de Martine Aubry, ce qui montre l’oscillation permanente de Marine Le
Pen entre les deux catégories de femmes politiques viriles. Elle fait également face à l’objectif
et son sourire est fermé. Son slogan, dénué de l’exclamation exaltée, semble plus nuancé et le
nom de la candidate apparaît désormais sur l’affiche. Femme séductrice, elle a troqué le noir
contre le bleu marine de la première affiche et devient ici femme-homme de pouvoir.
Ces différentes façons de mettre en scène son image, s’opposant parfois et se recoupant
souvent, montre la largeur de la palette des stratégies de présentation de soi des femmes
politiques du point de vue du genre. Les différentes mises en scène visuelles d’elles-mêmes
que j’ai pu mettre en évidence, montrent que des stratégies de présentation de soi genrée
imprègnent bel et bien la communication politique de ces candidates. Toutes ont choisi de
travailler leur image du point de vue du genre. Martine Aubry a fait le choix de souligner sa
virilité, pour évoquer l’univers du pouvoir et de la réussite. Ségolène Royal sur-joue sa
féminité pour personnifier la France et tacher ainsi d’en être la meilleure représentante. Quant
à Marine Le Pen, elle se montre séductrice, cassant ainsi les codes rigoureux de sa famille
politique et créant une certaine surprise.
Au-delà de l’expression physique du genre, présentée dans les affiches de campagne, et sans
pour autant cesser d’analyser les stratégies visuelles des candidates, je vais développer
l’aspect plus discursif de leurs stratégies de mise en scène de soi genrées.
33
34. C – Les différences de stratégies de mise en scène de soi
Cette partie a pour objet de mettre en lumière les différences de stratégies de présentation de
soi genrées, à travers l’analyse des clips de campagnes et des discours de candidatures de
Marine Le Pen, Ségolène Royal et Martine Aubry.
Les discours de candidature servent principalement, comme le nom l’indique, à annoncer une
candidature à une quelconque élection ainsi que l’ébauche d’un programme. Mais le ou la
candidat(e) s’en sert souvent pour se faire connaitre aux yeux de ses concitoyens : c’est donc
un texte aussi personnel que politique.
Le clip de campagne est également un exercice assez traditionnel. En un laps de temps
imparti, les candidat(e)s doivent se présenter, ainsi que leurs programmes, aux citoyens.
J’aimerais ajouter quelques précisions : si Marine Le Pen a réalisé son clip dans l’optique de
le faire diffuser à la télévision, et à destination de tous les citoyens, celui de Martine Aubry
n’est pas sorti du cadre de la campagne des primaires socialistes, puisqu’elle n’a pas été
finalement investie par son parti. Au-delà de cette distinction, il existe peu de différences
entre l’exercice réalisé au niveau national et l’exercice restreint au contexte de primaires
internes : les exigences sont les mêmes. Quant à Ségolène Royal, il semble qu’elle n’ait pas
voulu réaliser de clip pour la campagne des primaires socialistes. C’est pour cela que j’ai
analysé, de manière plus succincte, son premier clip de campagne de 2007, en gardant à
l’esprit le changement de stratégie de la candidate d’une élection à l’autre. A des fins de
comparaison, l’analyse du clip de 2007 s’est tout de même avérée intéressante.
1 – La neutralité de Martine Aubry contre l’oscillation de Marine Le Pen
On aurait tort, a priori, de classer Martine Aubry et Marine Le Pen dans la même catégorie
des « femmes-homme » viriles, même si cela semble tentant. Influencée par l’aspect physique
et l’accent autoritaire de Martine Aubry, comme par la rude rhétorique d’extrême droite – que
l’on a rarement entendue dans la bouche d’une femme – ainsi que par la voix gouailleuse de
Marine Le Pen, je les aurais sans doute classées dans la même catégorie. Et pourtant, après les
premières conclusions de l’analyse des affiches de campagne, j’ai confirmé mon hypothèse en
décryptant les discours et les clips, c’est-à-dire qu’il serait au contraire pertinent de les
différencier.
34
35. Ce qui prime en effet, chez Martine Aubry, c’est une rigoureuse mise en scène de la neutralité
genrée, c’est-à-dire le choix de faire le non-choix entre présentation de soi virile et usage de
ses caractères féminins. C’est ce que l’on observe dans son discours de candidature, tant en
termes de dispositifs scéniques que d’effets linguistiques.
Sobre face à ses militants, elle est seule devant la caméra, se détachant sur un fond gris bleu et
vêtue d’une veste noire sur une chemise blanche. Aucun signe distinctif de féminité, ni de
virilité mise en scène, malgré la masculinité reconnue des traits physiques et de la carrure de
la candidate.
Des trois candidates, elle est la seule à évoquer, dans son discours, son engagement pour
l’égalité des droits des hommes et des femmes : «L’égalité des droits, et d’abord entre les
femmes et les hommes, doit enfin devenir une réalité. » Sans s’y inclure, elle énonce
simplement cette proposition. Sa neutralité mise en scène lui permettrait ainsi de faire ce type
de proposition, sans que cela entre en contradiction avec une stratégie fondée sur la mise en
scène d’un genre en particulier. D’ailleurs, qu’est ce que l’égalité homme-femme sinon la
volonté de négation des différences de genre, et donc un effort de neutralité ?
Le clip de campagne de Martine Aubry dure 1 minute et 48 secondes et présente en
introduction le slogan de la candidate, « La volonté du changement ». C’est un slogan
sémantiquement neutre du point de vue qui m’intéresse, bien loin des slogans fortement
35
36. personnifiés de Ségolène Royal qui montraient l’usage primordial de son genre comme
argument politique.
Le clip débute sur quelques accents d’une guitare rock qui préludent à une chanson « pop-
rock ambiante » qui donne du dynamisme à l’ensemble. La candidate est montrée debout sur
une estrade – des images très habituelles et très sobres d’un meeting politique sans fastes
apparents -, vêtue de sa sempiternelle veste de tailleur noire sur chemise blanche.
Le clip est monté de façon thématique, déclinant les divers thèmes de campagne de la
candidate, qui s’inscrivent sur un fond de couleur et sont ensuite illustrés par un extrait de
discours sur le sujet. L’ensemble est très technique et le programme politique l’emporte sur la
présentation de soi. Comme lors du discours de candidature, les thématiques avancées 42, par
leur diversité, ne permettent pas d’analyser le choix de la candidate du point de vue de la mise
en scène du genre. Les thèmes culturellement plus « féminins » (l’accès à la culture, la
création d’un pacte éducatif, l’écologie) s’entremêlent sans hiérarchie aux thèmes connotés
plus « virils » (les banques d’investissement, la police de proximité).
On remarque d’ailleurs, sur les huit thèmes ainsi abordés, un savant équilibre qui fait que
deux thèmes qui se suivent alternent connotations viriles et féminines. Ainsi, « créer une
banque publique d’investissement » précède « instaurer un nouveau pacte éducatif » et
« autoriser le mariage pour tous » succède à « rétablir une police de proximité ». Cet équilibre
ordonné contribue à l’effort de neutralité récurrent chez cette candidate.
Un extrait se révèle plus saillant que les autres. Martine Aubry annonce vouloir « combattre
l’extrême droite » sur un ton aussi belliqueux que viril. Elle ajoute suite à cela : « Pour faire
barrage à la droite extrême, je suis prête. » Une affirmation qui mêle virilité dans le ton et le
contenu sémantique, à laquelle vient s’ajouter une touche de féminité dans l’emploi du
participe passé féminin audible « prête ». Un nouvel exemple d’équilibre entre virilité et
féminité, souvent utilisé par Marine Le Pen d’ailleurs, qui participe à la mise en scène de la
neutralité de la candidate.
42
J’aborderai plus précisément l’aspect genré des thématiques en seconde partie, en m’appuyant sur les
théories du chercheur britannique Rainbow Murray, notamment dans l’article «True” and “Assumed” Gender
Differences: A Study of Representation in the French Parliament » Paper for PSA 2011, University of London
36
37. Cet équilibre et cette égalité quasi-parfaite entre féminité et virilité, que l’on peut observer
tant dans le clip de campagne que le discours de Martine Aubry, semble opérer une fusion des
genres qui se rapprocherait de la neutralité, s’opposent à la stratégie de présentation de soi
genrée mise en scène par Marine Le Pen.
Marine Le Pen présente plutôt une oscillation permanente entre virilité et féminité,
mouvement notamment mis en scène dans son clip de campagne. Sans entrer dans des
considérations psychologiques, à savoir si cette virilité est innée ou jouée, on ne peut
qu’observer la trajectoire stratégique de Marine Le Pen, de la virilité à la féminité, et le
permanent aller-retour entre les deux. Contrairement à Martine Aubry, le résultat de cette
oscillation n’est pas la neutralité, mais bien l’érection de deux pôles genrés, l’un viril, l’autre
féminin, qui soutiennent la construction de l’identité politique de la candidate.
Sur fond bleu, la candidate est vêtue d’une veste de tailleur qui rappelle le vert des treillis
militaires. « Mes chers compatriotes […] Le Président du pouvoir d’achat aura été celui du
désespoir d’achat ». Immédiatement, la candidate se met en scène, et son discours sonne
beaucoup moins technique et beaucoup plus personnel que celui de Martine Aubry. On
retrouve chez elle « l’humour gaulois » de son père et son amour des jeux de mot et d’une
expression sans détour très virile. « Toujours pour les plus gros, toujours moins dans votre
portefeuille. » On observe un autre pan de la rhétorique de la candidate, une rhétorique
familière, populaire à l’accent populiste, traditionnel chez les grandes figures – toutes
masculines – de l’extrême droite française.
37
38. Contrairement à Martine Aubry, Marine Le Pen n’a choisi qu’un seul sujet pour son
allocution : c’est le pouvoir d’achat, un thème rassembleur et peu marqué au niveau du genre.
On comprend que c’est dans la présentation de soi, et non de son programme, que la candidate
pourra faire s’épanouir sa stratégie de mise en scène. « Je contrôlerai sévèrement les marges
de la grande distribution […] Fini le hold up ! » dit-elle plus tard, reprenant la virile
thématique du Far-West et incarnant le shérif défendant une population oppressée.
Mais on distingue un tout autre visage de la candidate dans son discours de campagne, où elle
sur-joue, au contraire, sa féminité. La blondeur soigneusement brushée, la candidate arbore un
foulard rose sur une veste de tailleur noire, une touche de féminité qu’on lui a rarement vu
avant 2012.
Dès la première phrase de son allocution, elle prononce le mot « candidate », ce qui pose tout
de suite les jalons de son discours : ce sera celui d’une femme candidate à l’élection
présidentielle, une précision que ni Ségolène Royal ni Martine Aubry n’ont jugé utile
d’afficher si tôt dans l’allocution. « Ma présence comme candidate à cette élection
présidentielle résulte d’un dur combat. » A mi-chemin entre la femme et le guerrier, cette
phrase met en abyme toute la complexité de la personnalité de Marine Le Pen, entre mise en
scène et naturel.
« Le moment est venu de dire clairement à toutes les Françaises et à tous les Français quel est
le sens de ma candidature. Présidente de parti, femme, mère de trois enfants, je lutte. » Elle
fait ainsi de son sexe son argument politique premier – puisqu’à lui seul, il représente le
« sens » de sa candidature – et affirme sa féminité par une structure ternaire, un procédé
rhétorique fort en littérature. Toute l’essence du discours est donc là.
Le mot « mère » est d’ailleurs répété sept fois lors du discours, alors qu’il est absent des
discours des deux autres candidates. Quant au mot « femme », on le trouve cinq fois chez
Marine Le Pen, contre trois fois chez Royal et Aubry. On remarquera également que son
usage est très différent puisque Marine Le Pen s’associe en permanence au substantif « Je suis
une femme », tandis que les deux autres candidates ne s’impliquent pas linguistiquement dans
cette catégorie : « il faut assurer l’égalité homme-femme », « je veux rassembler les femmes
et les hommes de gauche »…Enfin, il faut souligner la phrase « Je suis une Française parmi
38
39. les Français.», qui met au même niveau sa nationalité et son sexe en termes d’argument
politique, un parallèle inédit au Front National :
« […] La présence de Marine Le Pen jouant tout à la fois sur sa filiation (fille de …), son genre (les
« gars de la Marine ») mais aussi sur la mise en scène d’une féminité « ajustée » aux milieux
populaires qu’elle entend séduire, témoigne d’une tentative d’invention d’une figure de féminité
politique d’extrême-droite […] »43
Ces deux analyses comparées montrent bien la différence des stratégies de présentation de soi
genrées des deux candidates. Si l’une soigne la mise en scène de la neutralité de son genre,
l’autre choisit d’aller et venir, de façon permanente, entre virilité et féminité.
2 – L’ambiguïté de la stratégie de Ségolène Royal
« Durant les débats pour la primaire socialiste [en 2006], à une question d’un journaliste sur
ses différences par rapport à ses deux adversaires, Ségolène Royal répond : « il y en a une,
bien visible. » Lors de son investiture officielle, elle souligne qu’en « choisissant une femme
pour mener le combat des idées socialistes, vous avez, plus de deux siècles après Olympe de
Gouges et Rosa Luxembourg, un véritable geste révolutionnaire. » Durant une émission,
pendant la campagne officielle, elle déclare que « le temps des femmes est venu ». Ségolène
Royal fait du genre un argument de campagne. »44
En effet, comme l’on également remarqué Catherine Achin et Elsa Dorlin, la campagne de
Ségolène Royal en 2007 était extrêmement genrée, pour rivaliser avec la virilité agressive
mise en scène par Nicolas Sarkozy45. Ségolène Royal sur-jouait donc sa féminité et ses
attributs féminins, ce qui lui a valu de nombreux commentaires peu élogieux dans la presse et
le milieu politique46.
Son clip de campagne, en 2007, illustre bien ce constat :
43
Catherine Achin, tribune sur le site de Médiapart, op.cit.
44
Marlène Coulomb Gully, op.cit. p 230
45
Catherine Achin et Elsa Dorlin, op.cit.
46
Marlène Coulomb Gully, op.cit., pp 229-251 « Le duel Sarkozy-Royal : Napoléon vainqueur de Marianne »
39
40. Habillée en blanc sur fond de ciel, elle évoque une féminité virginale, qui fait écho à ses
affiches de campagne de l’époque. « Françaises, Français vous me connaissez. Je suis une
femme, une mère de famille de quatre enfants. J’ai les pieds sur terre. » C’est ainsi qu’elle fait
de son genre un argument politique. Tandis qu’elle décline ses qualités, des photos d’elle
défilent encore, pour les illustrer. On s’arrête alors sur une photo d’elle serrant la main à
François Mitterrand. Elle narre en voix off « [J’ai tenu mes engagements dans toutes mes
responsabilités] […] comme conseillère de François Mitterrand pendant sept ans. […]. » Elle
s’attarde longuement sur son expérience de mère de famille, de femme politique, sans
finalement aborder une thématique politique précise.
Qu’en est-il de sa stratégie de présentation de soi en 2011 ? Voici ce que révèle l’analyse de
son discours de candidature pour les primaires socialistes. N’oublions pas que Ségolène Royal
est une candidate particulière par rapport aux deux autres, puisqu’elle a eu cinq ans pour
réfléchir aux erreurs commises durant la campagne présidentielle de 2007. Ce discours est
d’ailleurs représentatif de ce qu’elle essaye de ne surtout pas reproduire, c’est-à-dire l’hyper-
féminisation de sa campagne présidentielle précédente, symbolisée par son slogan, « la France
Présidente ».
Si elle use toujours, de façon plus nuancée, de la personnification, ce discours montre sa
tendance à effacer sa féminité au profit d’une ambiguïté plus importante entre son genre
biologique, qu’elle avait justement tendance à sur-jouer, et la virilité.
40
41. On remarque d’abord un mouvement permanent entre la féminité et la virilité, dès la mise en
scène visuelle de sa déclaration de candidature.
On y voit la candidate, habillée de blanc et de rose, couleurs très féminines, et en compagnie
de cinq hommes, élus dans la région. Ségolène Royal a ainsi repris le blanc virginal de ses
affiches de 2007, en l’agrémentant d’une touche plus féminine encore, le rose, qui est
également la couleur de son parti. Comme sur l’une de ses affiches de 2007, Ségolène Royal
est accompagnée d’hommes. Elle n’est néanmoins plus entourée par eux, mais se tient
désormais devant eux, adoptant ainsi une posture de meneur. Ici commence l’ambiguïté : alors
qu’il était clair que les affiches de 2007 mettaient en scène le fort pouvoir séducteur de la
candidate, qui était alors au centre de l’attention des hommes, il est ici difficile de trancher :
se met-elle en scène comme étant un homme parmi les hommes ? Veut-elle se montrer en
posture de domination sur les hommes, exploitant ainsi le canon paradoxalement très féminin
de la dominatrice ? Ou veut-elle conserver la disposition de son affiche, qui faisait d’elle un
objet séducteur et attirant ? L’ambiguïté est entière.
Elle semble en effet vouloir effacer une féminité auparavant sur-jouée et cette recherche de la
neutralité est manifeste jusque dans le choix des verbes, car je n’ai recensé qu’un seul
participe passé qui, mis au féminin, change à l’oral : « Je m’y suis préparée et j’y suis prête ».
Un tel effacement de sa féminité, jusque dans la langue du discours, contraste grandement
avec la Ségolène Royal que l’on a connue pendant la campagne de 2007.
Ségolène Royal semble ainsi vouloir sortir de la catégorie « femme politique féminine » dans
laquelle l’ont enfermée Catherine Achin et Elsa Dorlin – entre autres – en 2007. Les raisons
41
42. de ceci seront développées dans la seconde partie et le succès de cette stratégie de virilisation
sera mesuré en troisième partie, lorsqu’elle sera soumise à l’épreuve de la presse.
En conclusion de cette première partie, je soulignerai le poids des injonctions paradoxales
dont sont victimes les femmes politiques, notamment en termes de présentation de soi genrée.
«Ségolène connaît les périls qu’il lui faut éviter. Ne passer ni pour une virago féministe, ni
pour une séductrice. Ne pas apparaître asexuée comme Arlette Laguiller, ni trop virile,
comme Michèle Alliot-Marie. »47 D’après Catherine Achin48, ces injonctions montrent les
difficultés, pour ces femmes, d’inventer un nouveau rôle de féminité gouvernante. On risque
la stigmatisation en jouant sur sa féminité, on s’expose au soupçon sur sa sexualité ou « son
accomplissement en tant que femme. »49.
Leurs parcours, plus jalonnés par les nominations que par les élections, semblent suspects à
l’œil du politique. Leur simple présence dans le jeu politique est souvent aussi dénigrée que
leur façon d’y entrer. J’ai pu établir que les parcours de Ségolène Royal et de Martine Aubry
étaient sensiblement semblables, et correspondaient à l’archétype précédemment décrit. Celui
de Marine Le Pen, plus atypique, n’en a pas moins toujours été régi par les hommes.
A l’issue de cette première partie, je peux donc établir que des entreprises de virilisation, très
diverses, teintent effectivement les stratégies communicationnelles des candidates à l’élection
présidentielle. Si Martine Aubry semble cultiver une certaine ambigüité genrée, avec une
nette préférence pour la virilité dans la composition de ses affiches, la virilisation de Ségolène
Royal entre 2007 et 2011 est évidente. Quant à Marine Le Pen, dont la situation en tant que
leader d’extrême droite est sans doute plus complexe, elle semble savamment osciller entre
une séduction féminine et une rigueur virile.
Les concordances de stratégies de mise en scène de soi des candidates laissent à penser qu’il
existerait une véritable nécessité de paraître virile, quand on est une femme en politique. C’est
l’hypothèse à laquelle je tenterai de répondre dans la seconde partie de cette étude.
47
Christophe Deloire et Christophe Dubois, op.cit. p 364
48
Dans sa tribune publiée sur le site de Médiapart, op.cit.
49
Des soupçons dont Arlette Laguiller, par exemple, a souvent été victime.
42
44. Partie II – L’autolégitimation virile des candidates à l’élection présidentielle
Je soulignerai ici l’importance de la notion de « légitimité » dans l’exclusion des femmes, tant
concrète que symbolique, du champ politique. Je démontrerai ainsi que les stratégies de
présentation de soi genrée étudiées précédemment, de la mise en scène de la neutralité à la
virilisation, font partie des processus d’autolégitimation des candidates à l’élection
présidentielle. J’établirai ainsi que la question de la mise en scène du genre est au cœur des
processus d’autolégitimation politique de soi.
A – Virilité et légitimité en politique.
Cette partie a pour objet d’expliquer l’illégitimité des femmes en politique et surtout
d’éclairer les liens entre pouvoir politique et virilité. Ainsi je justifierai les stratégies de
présentation de soi genrées que j’ai pu observer chez les candidates par leur volonté de
s’autolégitimer dans un milieu qui leur est hostile.
1 – L’illégitimité des femmes politiques.
« Elle n’est pas outillée ». Ainsi Nicolas Sarkozy a-t-il commenté la candidature de Ségolène Royal
aux élections présidentielles françaises de 2007. […] Cette déclaration du chef de l’UMP est
révélatrice du statut toujours marginal des femmes en politique française, notamment sur la scène
présidentielle. »50
Comme le dit Marlène Coulomb Gully, les femmes, en politique, sont souvent « de trop »
dans cet univers masculin ; la politique, comme l’ensemble des civilisations occidentales et
malgré les avancées connues depuis la moitié du XXème siècle, demeure fondée sur la
prééminence de l’homme51. Tout semble détourner les femmes d’une carrière politique, que
ce soit la vie familiale, la tradition ou l’éducation52.
50
Manon Tremblay, « Mariette Sineau : La Force du nombre – Femmes et démocratie présidentielle » dans
Recherches féministes, vol. 22, n°1, 2009, p 177
51
D’après Catherine Achin, tribune publié sur le site de Médiapart, op.cit.
52
« On peut penser que la socialisation anticompétitive qui leur est souvent prodiguée fait que les femmes,
devenues adultes, présentent moins souvent les traits de personnalité indispensables pour s’affirmer dans un
univers aussi concurrentiel et âpre que le jeu politique – ce que l’on appelle en psychosociologie l’assertivité et
44
45. De plus, tantôt vue comme une « pistonnée », une « favorite » ou une technocrate, les
parcours typiques de la plupart des femmes en politique (que j’ai décrits en première partie et
dont deux de nos candidates sont issues) ont mauvaise réputation dans un pays qui valorise la
légitimité démocratique, et d’autant plus depuis la réforme du 6 novembre 1962, prévoyant
l’élection du Président de la République au suffrage universel direct. La Vème République
privilégie plutôt les parcours ascendants, du militantisme « de base » jusqu’à la consécration
du suffrage universel, plutôt que les nominations, qui sont considérées comme
démocratiquement illégitimes.
Cette illégitimité symbolique et démocratique se manifeste dans le sexisme dont les femmes
sont continuellement victimes. Les témoignages sont nombreux :
« On ne les prend pas d’abord pour ce qu’elles sont : des individus qui font de la politique et qui sont
de sexe féminin. On tend à les ramener à leur corps pour les déprécier dans l’exercice de leur fonction
politique. Comme me l’a confié une députée : « Personne ne m’a jamais dit que je n’étais pas une
vraie élue parce que j’étais une femme. Mais je l’ai senti plus d’une fois. »53
Un sexisme qui flirte parfois avec la misogynie 54, et même au sein des hautes instances de la
République :
« Il n’y a pas dix ans, Roselyne Bachelot affirmait que l’injure sexiste était monnaie courante au
Palais Bourbon (« L’Assemblée nationale est un haut lieu du machisme et du sexisme en France,
l’ambiance y est celle d’une chambrée de caserne »). Dans tous les cas, l’agression sexiste révèle
combien la femme n’a pas encore, en politique, la même légitimité que l’homme, si bien qu’elle n’est
pas autant protégée que lui par sa fonction – le traitement infligé à Édith Cresson lors de son
accession à Matignon en 1991 est ici très éloquent… »55
la capacité de dominance. » Grégory Derville et Sylvie Pionchon, « La Femme invisible, sur l’imaginaire du
pouvoir politique » Revue Mots Les Langages du Politique, n°78, 2005, pp 53-64
53
Mariette Sineau, «Les femmes politiques sous la Vème République, à la recherche d’une légitimité
électorale » op.cit.
54
« Quand estimant nécessaire de conquérir une légitimité démocratique, écrit Élisabeth Guigou, je décidai
que, ministre, mon devoir était de participer aux batailles électorales. Là j’allais vraiment découvrir ce que la
politique réserve aux femmes. » En campagne dans le Vaucluse, elle a été l’objet d’insultes relevant de
l’obscénité : ce qu’elle dénonce être le « pain quotidien des femmes en campagne électorale. » Mariette
Sineau, op.cit.
55
Grégory Derville et Sylvie Cherpion, op.cit.
45