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«2018 ne se présente pas bien»,
écrit Ian Bremmer, président
d’Eurasia Group et auteur du
premier indice de risque politique
à Wall Street, dans son rapport
«Top Risks» pour cette nouvelle
année (www.eurasiagroup.net/
issues/top-risks-2018).
«L’année dernière, nous avons
écrit que le monde était entré
dans une période de récession
géopolitique. […] Le monde est
maintenant plus proche d’une
dépression géopolitique que d’un
retour à la stabilité récente»
nous dit-il.
Par david Simonnet
T
out au long de 2017 dans le cadre de
la revue Conflits, nous avons pris et
donné la parole à des experts et à des
acteursdelavieéconomiqueetpolitiqueafin
de mieux appréhender la montée des risques
géopolitiques.
Si2018débutesurunenoteoptimistepour
l’économie mondiale et les pays émergents,
ce début d’année ne montre pas de signes
d’apaisementdesrisquesgéopolitiques;bien
au contraire.L’illusion de la croissance retrou-
vée autant que la chimère d’une stabilisation
politique par le développement des classes
moyennes des pays émergents ou la défense
des rentes des pays développés à économie
de marché – dont toutes les classes sont les
dépositaires – ne doit pas nous endormir.
Lemonden’estjamaisapparudepuislafin
de la Seconde Guerre mondiale, malgré les
risquesnucléairesdelaguerrefroide,comme
aussidangereuxtantpourlapaixquepourles
valeurs de droit et de liberté. Nous n’avons
jamais eu autant besoin de dirigeants dotés
d’un sens historique et de principes.Or si les
dimensionsinternesetexternessontplusque
jamaisliées,laluttepourledroitetleslibertés
sur le plan intérieur se joue dans le désordre
international. Pour s’en convaincre écoutons
les agriculteurs sur les enjeux d’un accord de
libre-échange avec le Mercosur ou sur les
conséquences d’une révision de la carte des
aides agricoles européennes.
Paradoxalement pour retrouver le sens de
l’histoire, nos dirigeants doivent encourager
l’apprentissage de la réalité notamment à
l’échelle internationale. La promotion des
valeurs à prétention universelle est vaine si
elle conduit nos actions. Elle doit demeurer
avant tout un horizon; pas moins mais pas
davantage. La pertinence de nos actes de
«guerre économique» passe avant tout par la
connaissance intime de nos particularités
dont les – nos – territoires sont les déposi-
taires. Si les valeurs sont les objectifs inattei-
gnables qui nous guident, les chemins à
parcourir commencent par la connaissance
de notre géographie intime – c’est le sens pre-
mier du mot France; un territoire avant une
nation? – puis celle de notre espace euro-
péen et enfin celle du désordre international.
Les dirigeants politiques n’y suffiront pas.
La France a retrouvé de la dignité et inspire le
respect.C’estcequemesinterlocuteursindus-
trielsdesautrescontinentsmedisent.Cecine
suffirapasalorsquelasurinformationvaaussi
parfois de pair avec la sous-analyse. Nous
devonsavoiraussidesacteursetdescitoyens
éclairés. C’est l’ambition des deux interviews
de ce numéro que nous partageons avec les
lecteurs. Des intellectuels agissant qui font
preuve de pédagogie et de réalisme.
Aveccebonheurd’avoirengagéunéchange
avec Sylvie Brunel dont un de ses premiers
ouvrages avait nourri mes années d’études
(TiersMonde.Controversesetréalités,Econo-
mica, 1987) sur les conseils de Pascal Gau-
chon…, je vous souhaite de nombreuses
controverses qui vous aideront à retrouver le
sens des réalités!
Bonnes lectures.
Faire face à la montée
des risques géopolitiques
GÉOPOLITIQUE ET ENTREPRISES
Entrepreneur, david simonnet est PDG du groupe
industriel Axyntis qu’il a créé en 2007. Diplômé
de l’Essec (1993), il a poursuivi des études en
Histoire (Paris IV), en DEA de droit (Paris XIII) et
en DEA d’économie (Paris-Dauphine). Il a enseigné
histoire et géographie économiques en classes
préparatoires ECS et la création d’entreprise en
Master 2 à Paris I Panthéon-Sorbonne.Auteur des
100 mots de l’entreprise dans la collection Que
sais-je ? (PUF), il est membre de jury du prix
Conflits du meilleur livre de géopolitique.
©ArnaudCalaisPhotographie
68 CONFLITS
dans vos écrits ou vos interventions, la géo-
graphe que vous êtes plaide volontiers pour
un retour au réalisme (voir notamment votre
livre en forme d’interrogation L’Afrique est-
elle si bien partie?,2014,éditions Sciences
humaines).Pourquoi?enquoilechefd’entre-
prisedésireuxd’exporteroudes’implanteren
afrique doit-il faire preuve de pragmatisme?
Même s’il existe un fonds culturel
commun,l’Afrique est formée de 54 pays
très différents les uns des autres.Selon les
marchés visés, le chef d’entreprise doit
s’adapteràdescontextesculturels,sociaux
et politiques assez dissemblables sur ce
continent qui est, rappelons-le, grand
comme la Chine, l’Inde et l’Europe réu-
nies. Ensuite, la lucidité exige de voir que
l’émergence prétendue de l’Afrique est
très largement en trompe l’œil. Il y a en
effetungouffreentrelesdiscoursofficiels
qui visent à attirer les investisseurs et une
réalité qui se révèle être très fragmentée,
non seulement entre pays mais encore à
l’intérieurmêmedespays.Àyregarderde
plus près, on constate d’ailleurs souvent
que ceux qui appellent à investir, la main
surlecœuravecdegrandsdiscoursmora-
lisateurs, se gardent bien de le faire eux-
mêmes…Faitescequejedis,nefaitespas
ce que je fais,l’adage est bien connu!
Il y a d’un côté le discours convenu que
relaientcomplaisammentlesmédias,avec
des images séduisantes et des idées géné-
reuses,qui s’incarne dans uneAfrique des
grands sommets et des colloques interna-
tionaux, laquelle apparaît riche, parfois
opulente, entre aéroports, centres des
congrès et grands hôtels. Cette Afrique
donne effectivement le sentiment d’une
formidablemontéeenpuissance.Ellen’est
en fait qu’un décor à la Potemkine.Car de
l’autrecôté,ilyal’Afriqueréelle,profonde,
celle des banlieues et des campagnes où
règneuneimmensepauvreté.Les800mil-
lions d’Africains qui sont encore ruraux
ontdesbesoinscolossaux,notammentsur
les plans alimentaire et sanitaire, et leurs
besoins les plus élémentaires ne sont mal-
heureusement pas assurés. Les 9/10e
d’en-
tre eux vivent sous le seuil de pauvreté.
Àcetégard,n’oublionspasquel’Afrique
estleseulcontinentoùl’onfaitcommencer
la classe moyenne à partir de 2 dollars de
revenu par jour, là où ailleurs dans le
monde, ce seuil se situe à 10 dollars. C’est
direlaprécaritédecetteclassemoyenne.Et
encore, il convient de relativiser cette défi-
nition. Car sur les 300 millions de per-
sonnessupposéesfairepartiedecetteclasse
moyenne,200millionsviventavecde2à4
dollars par jour. Et cette peinture drama-
tiqueneconcernepaslesseulescampagnes,
puisqueles2/3desurbainsviventdansdes
quartiers précaires.
Ce constat explique que s’implanter en
Afrique exige pour un chef d’entreprise
d’être extrêmement lucide. Car derrière
les discours lénifiants, il y a la réalité des
faits,au premier rang celui des infrastruc-
tures défaillantes. Au-delà des clichés, la
réalité est impitoyable.
GÉOPOLITIQUE ET ENTREPRISES / EnTRETIEn AvEC SyLvIE BRUnEL
« L’angélisme, ça vous tue en
Afrique » ! C’est parce qu’elle aime
passionnément ce grand continent
fascinant que Sylvie Brunel porte
à son endroit un regard tout à la
fois critique et empli d’humanité,
mettant en relief ses forces et ses
faiblesses.Agrégée de géographie,
docteur en économie, professeur
à l’université de Paris-Sorbonne,
Sylvie Brunel est aussi une femme
de terrain qui a une solide
expérience de l’humanitaire en
Afrique. Dans l’entretien qu’elle
a accordé à David Simonnet, elle
appelle à faire preuve de lucidité
dans l’approche des marchés
africains. Certes, ce continent
présente un potentiel fantastique
et séduisant. Mais le pragmatisme
reste le maître-mot de l’investis -
seur ou du chef d’entreprise qui
veut y réussir. Pour cela, il faut
déjà se débarrasser des discours
moralisateurs et maîtriser
intégralement sa chaîne de
production. Ce qu’ont par exemple
parfaitement compris les Chinois…
Marchés africains :
retour au réalisme
CONFLITS 69
70 CONFLITS
Prenons l’exemple du mythe du numé-
rique comme alpha et oméga de la résolu-
tion de tout problème: il est totalement
chimériquedepenserqu’Internetvarésou-
drelesproblèmesdel’Afrique.Lavéritéest
qu’ilyatrèspeudeconnexions,qu’ellessont
chères et de mauvaise qualité.Défaillances
aussi en matière d’accès à l’eau potable ou
à l’électricité,en installations sanitaires élé-
mentaires et plus généralement en infra-
structures de toutes sortes. S’ajoute à cela,
surtout en Afrique francophone, une cul-
ture de la contestation sociale, avec des
populations aiguillonnées par des groupes
de pression et par les réseaux sociaux, qui
ont tendance à accuser l’Occident de tous
lesmauxdontellessontvictimes.Àladiffi-
cile gestion du personnel s’ajoute en outre
lepoidsd’undroitdutravailcomplexe,avec
à la clé, des décisions pas toujours claires –
pournepasdiresousinfluence–delapart
d’instances du droit du travail soumises
elles-mêmesàdespressionsmultiples.
Un tel constat explique ainsi pourquoi
lesgroupeschinoisquipercentenAfrique
préfèrent travailler avec leurs propres res-
sortissants plutôt que de faire appel à la
main-d’œuvrelocale.Segreffeàcefaitune
corruption endémique, une justice
tatillonne et à géométrie variable, une
industrieflorissantedelacontrefaçon,etc.
Alors oui, l’Afrique présente indéniable-
mentunpotentielfantastiqueetséduisant.
Mais dans les faits, le chef d’entreprise se
trouve confronté à des freins innombra-
blesàtouslesniveaux.Poursedonnerune
chancederéussir,ildoitdonccontrôlersa
chaîne de production de l’amont jusqu’à
l’aval, ce qui sous-entend un effort et un
investissement considérables.
Commentsefait-ilalorsquelaChineréussisse
dans sa percée des marchés africains?
LesChinoisn’ontaucunscrupuleàtout
contrôler.Ilsnesontinhibésenrienparle
discours des droits de l’homme ou par
unequelconqueréminiscencedeculpabi-
lité coloniale. Pour réaliser des success sto-
riesdansl’Afriqued’aujourd’hui,ilfauten
vérité verrouiller l’ensemble des process
que l’on y développe. Les Chinois l’ont
bien compris et savent faire preuve de
pragmatisme. Le pragmatisme reste le
maître-mot de l’investisseur ou du chef
d’entreprisequiveutréussirenAfrique.Il
faut savoir oublier les images d’Épinal et
aborder la réalité sans fard.
Heureusement, nombre d’Africains
comprennent parfaitement cette logique.
Ceciexpliquequenombredepaysafricains
quiconnaissentdesréussiteséconomiques
et sociales le doivent souvent au fait que
leursdirigeantssontdirectifs,sanscraindre
de faire preuve d’autorité quand il le faut,
quitte à ce que de telles pratiques norma-
tives puissent nous choquer, nous autres
Occidentaux.Unminimumderigueurest
nécessaire, surtout quand on veut nouer
despartenariatspublic-privépourtoutàla
fois faire le bien et du social business.
Si l’on met les choses en perspective sur
cesdernièresdécennies,forceestdeconsta-
ter que nombre d’ONG se sont discrédi-
tées, soit par des positionnements trop
idéologiques,soitpardesattitudesauquo-
tidienàreboursdeleursdiscourslénifiants.
À l’inverse, beaucoup d’entreprises et de
grands groupes ont eu à cœur de mener
des actions concrètes en faveur des popu-
lations africaines, marchant parfois main
dans la main avec des fondations interna-
tionales,désireusesd’apporterleurcontri-
butionaudéveloppementdel’Afrique,par
exemple dans le domaine alimentaire ou
de la santé, mais souhaitant le faire dans
des conditions claires.
quelles sont les conséquences de cette dis-
torsion entre le pensé et le réel, notamment
pourlesentreprises quise développentà l’in-
ternational? quels sont les risques majeurs
auxquels elles doivent faire face?
Lerisquedegaspillagedemoyensconju-
guéàlacorruptiondécouraged’embléede
nombreux investisseurs, y compris de
grands groupes.Là encore,derrière les dis-
coursiréniques,onsetrouveviteconfronté
aux difficultés, notamment logistiques.
Aussiest-ilnécessaireque,derrièrelaséduc-
tion des programmes incitant les investis-
seursàselancerdansl’aventure,ilyaitune
perceptionclairedesenjeuxetdesconfigu-
rationslocales.Soyonshonnêtesetconcrets:
que cherche un chef d’entreprise lorsqu’il
veut conquérir un nouveau marché ou
investirsurunenouvellezone?D’abord,de
la sécurité et de la stabilité,et ce sur le long
terme. Ces deux paramètres qui génèrent
de la confiance constituent des préalables
incontournables. Aussi, gardons-nous
d’une vision angélique des situations! Le
retour du terrain est très clair: en Afrique,
la prime de la réussite va d’ores et déjà aux
paysréalistes,Chine,Inde,Israël,Turquie…
et autres pays émergents qui voient les
chosestellesqu’ellessontetsurtout,nes’em-
pêtrent pas dans de pseudo-prétextes
morauxpourfaireavancerleursintérêts.
Pour résumer, je dirais qu’aller en
Afriquedemanièrenaïve,c’estsecondam-
ner à l’échec. En revanche, y aller sur un
mode pragmatique,en ouvrant grand les
yeux,c’estsedonnerlesmoyensderéussir
surunmarchéquiàtermevaserévélerde
toute façon formidablement prometteur.
Les entreprises ne peuvent faire l’impasse
sur les marchés africains dans leur straté-
giededéveloppement,lesenjeuxsonttrop
importants pour être ignorés. Cela exige
justequenousacceptionsdemodifiernos
paramètresmentaux,quenousavancions
sans tabou et que nous acceptions enfin
de regarder la réalité en face. w
GÉOPOLITIQUE ET ENTREPRISES / EnTRETIEn AvEC SyLvIE BRUnEL
CONFLITS
GÉOPOLITIQUE ET ENTREPRISES / EnTRETIEn AvEC CAROLInE GALACTéROS
ressources de la competitive intelligence,
notammentparl’engagementdestratégies
d’influence et la gestion des conflits infor-
mationnels, jusqu’à la sécurisation des
équipes et des biens matériels et immaté-
riels, le tout sur-mesure et dans le respect
des règles juridiques et éthiques. C’est
parcequelesaffairesn’ontjamaisétéaussi
géopolitiques que notre approche est plu-
ridisciplinaire, mêlant géoéconomie,
sciences humaines, philosophie poli-
tique… Car actuellement, c’est malheu-
reusement le cloisonnement de ces
disciplines qui trop souvent limite la
réflexion et l’inventivité pour agir.w
groupe axyntis - 45 rue de Pommard - 75012 Paris
www.axyntis.com - tél : +33 (0)1 44 06 77 00
géopolitique.entreprises@axyntis.com
en février,vous avez lancé à Paris,à la Maison
desartsetmétiers,geopragma,pôlefrançaisde
géopolitiqueréaliste.avecsuccèspuisquevous
avezfaitsallecomble.quelssontvosobjectifs?
Geopragma est tout à la fois un think
tank et un Action Tank. Notre initiative
part d’un diagnostic inquiétant et répond
à une urgence. La France vit en vase clos
stratégique. Le risque est grand d’une
déconnexion durable par rapport à un
mondedontleséquilibresserestructurent
vite et souvent sans nous.En géopolitique
aussi,ilyadeseffetsdeseuil.Seuilsdepuis-
sance, seuils d’influence qui, une fois
atteints,rendentl’abaissementstratégique
automatique et irrattrapable. Depuis 20
ans,lamarchedumondenousadministre
des preuves humiliantes d’une marginali-
sation progressive. Notre politique étran-
gère s’est égarée dans des utopies
moralisantes et des rapprochements indé-
fendables et dangereux pour la sécurité
même des Français. Nous sommes « hors
sol » sur des sujets cruciaux pour notre
avenirentantquenationcommepournos
zones d’influence traditionnelles. Il nous
fautretrouvernotreADNstratégiqueetle
promouvoir, refonder une cohérence qui
portera notre crédibilité et préservera nos
intérêts comme nos valeurs qui sont les
deux faces d’une même notion d’intérêt
national. Pour cela, il faut pouvoir propo-
ser le fruit d’analyses indépendantes sur
une base réaliste.Une vision pour l’action
donc,ancrée dans le réel et ses possibles.
J’ai donc réuni des personnalités éclec-
tiques, toutes mues par l’amour de notre
pays, un regard singulier et libre sur le
monde,leshommesetlaconflictualité,des
expériences de vie et des expertises théma-
tiques ou géographiques riches et recon-
nues. Notre plateforme d’innovation
stratégiqueagrègedesexpertssouventisolés
au sein d’un écosystème qui préfère le fan-
tasmeàlaluciditéetmépriseleréalismecar
il le confond avec le cynisme. C’est tout le
contraire.Notreapproche,nonidéologique
etnondogmatique,estfondéesurunpara-
doxequ’onnepeutplusignorer:l’idéalisme
moralisateurestinefficaceethumainement
plus destructeur que le pragmatisme
éthique.Nous ne sommes en conséquence
ni«pro»ni«anti»quoiouquiquecesoit…
sauf proFranceévidemment!
Concrètement,que pouvez-vous apporter aux
entreprises?
Encequiconcernel’aspectActionTank,
nous proposons des offres très ciblées et
sur mesure. Ces réseaux d’experts qui
nous rejoignent sont à même d’aider les
entreprisesfrançaisesàréfléchiretagiren
adéquation avec les réalités du terrain où
elles veulent se déployer. Nous comptons
dansnosrangsaussibiend’anciensdiplo-
mates que des journalistes, autant d’an-
ciens militaires de haut rang familiers de
théâtres d’opération difficiles que des
jeunes chercheurs ou des
universitairesexpérimen-
tésayantunefineconnais-
sance de zones sensibles
et/ou méconnues. Grâce
àlaréuniontransdiscipli-
naire de ces ressources
humaines généralement
ignorées des canaux offi-
ciels ou académiques,
nous sommes à même
d’établir des cartogra-
phies précises, puis d’éta-
blir des stratégies pour
mettreenœuvresurleter-
raindesmoyensd’action,
et surtout de créer des
réseaux : rencontre avec
des personnalités ad hoc,
organisations de groupes
de travail pour coller aux
objectifs,aideàladécision
et à la création de parte-
nariats, analyse de
retours d’expérience,
déclinaison de toutes les
Pour une géopolitique pragmatique
EXPLORE LE CHAMP DES RAPPORTS
ENTRE LA GéOPOLITIQUE ET LES ENTREPRISES
Docteur en science politique, auditeur de l’IHEDN, géopolitologue, chroni-
queuse au Point.fr, ayant longtemps travaillé dans les services d’évaluation etPoint.fr, ayant longtemps travaillé dans les services d’évaluation etPoint.fr
de prospective stratégique du Premier ministre, Caroline Galactéros (ici avec
David Simonnet) a récemment créé,avec plusieurs associés,Geopragma.Pour
elle,il faut en finir avec le cynisme des « bons sentiments » et l’humanitarisme
moralisateur,bien plus destructeur en matière de relations internationales que
le réalisme éthique.Un changement de cap s’impose donc pour notre politique
étrangère,qui doitd’abordprivilégierl’intérêtde notre pays.Caroline Galactéros
a notamment publié Manières du monde,Manières de guerre(Nuvis,2013) et
Guerre,Technologieetsociété(avecRégisDebrayetlegénéralVincentDesportes,
Nuvis,2014).

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Conflits n°18 (juillet-août-septembre 2018)
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Conflits hors-série n°7 (printemps 2018)
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Géopolitique & entreprises n°4
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Conflits n°15 (octobre-novembre-décembre 2017)
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Conflits hors-série n°6 (automne 2017)
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Géopolitique & entreprises n°3
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Géopolitique & entreprises n°6

  • 1. «2018 ne se présente pas bien», écrit Ian Bremmer, président d’Eurasia Group et auteur du premier indice de risque politique à Wall Street, dans son rapport «Top Risks» pour cette nouvelle année (www.eurasiagroup.net/ issues/top-risks-2018). «L’année dernière, nous avons écrit que le monde était entré dans une période de récession géopolitique. […] Le monde est maintenant plus proche d’une dépression géopolitique que d’un retour à la stabilité récente» nous dit-il. Par david Simonnet T out au long de 2017 dans le cadre de la revue Conflits, nous avons pris et donné la parole à des experts et à des acteursdelavieéconomiqueetpolitiqueafin de mieux appréhender la montée des risques géopolitiques. Si2018débutesurunenoteoptimistepour l’économie mondiale et les pays émergents, ce début d’année ne montre pas de signes d’apaisementdesrisquesgéopolitiques;bien au contraire.L’illusion de la croissance retrou- vée autant que la chimère d’une stabilisation politique par le développement des classes moyennes des pays émergents ou la défense des rentes des pays développés à économie de marché – dont toutes les classes sont les dépositaires – ne doit pas nous endormir. Lemonden’estjamaisapparudepuislafin de la Seconde Guerre mondiale, malgré les risquesnucléairesdelaguerrefroide,comme aussidangereuxtantpourlapaixquepourles valeurs de droit et de liberté. Nous n’avons jamais eu autant besoin de dirigeants dotés d’un sens historique et de principes.Or si les dimensionsinternesetexternessontplusque jamaisliées,laluttepourledroitetleslibertés sur le plan intérieur se joue dans le désordre international. Pour s’en convaincre écoutons les agriculteurs sur les enjeux d’un accord de libre-échange avec le Mercosur ou sur les conséquences d’une révision de la carte des aides agricoles européennes. Paradoxalement pour retrouver le sens de l’histoire, nos dirigeants doivent encourager l’apprentissage de la réalité notamment à l’échelle internationale. La promotion des valeurs à prétention universelle est vaine si elle conduit nos actions. Elle doit demeurer avant tout un horizon; pas moins mais pas davantage. La pertinence de nos actes de «guerre économique» passe avant tout par la connaissance intime de nos particularités dont les – nos – territoires sont les déposi- taires. Si les valeurs sont les objectifs inattei- gnables qui nous guident, les chemins à parcourir commencent par la connaissance de notre géographie intime – c’est le sens pre- mier du mot France; un territoire avant une nation? – puis celle de notre espace euro- péen et enfin celle du désordre international. Les dirigeants politiques n’y suffiront pas. La France a retrouvé de la dignité et inspire le respect.C’estcequemesinterlocuteursindus- trielsdesautrescontinentsmedisent.Cecine suffirapasalorsquelasurinformationvaaussi parfois de pair avec la sous-analyse. Nous devonsavoiraussidesacteursetdescitoyens éclairés. C’est l’ambition des deux interviews de ce numéro que nous partageons avec les lecteurs. Des intellectuels agissant qui font preuve de pédagogie et de réalisme. Aveccebonheurd’avoirengagéunéchange avec Sylvie Brunel dont un de ses premiers ouvrages avait nourri mes années d’études (TiersMonde.Controversesetréalités,Econo- mica, 1987) sur les conseils de Pascal Gau- chon…, je vous souhaite de nombreuses controverses qui vous aideront à retrouver le sens des réalités! Bonnes lectures. Faire face à la montée des risques géopolitiques GÉOPOLITIQUE ET ENTREPRISES Entrepreneur, david simonnet est PDG du groupe industriel Axyntis qu’il a créé en 2007. Diplômé de l’Essec (1993), il a poursuivi des études en Histoire (Paris IV), en DEA de droit (Paris XIII) et en DEA d’économie (Paris-Dauphine). Il a enseigné histoire et géographie économiques en classes préparatoires ECS et la création d’entreprise en Master 2 à Paris I Panthéon-Sorbonne.Auteur des 100 mots de l’entreprise dans la collection Que sais-je ? (PUF), il est membre de jury du prix Conflits du meilleur livre de géopolitique. ©ArnaudCalaisPhotographie 68 CONFLITS
  • 2. dans vos écrits ou vos interventions, la géo- graphe que vous êtes plaide volontiers pour un retour au réalisme (voir notamment votre livre en forme d’interrogation L’Afrique est- elle si bien partie?,2014,éditions Sciences humaines).Pourquoi?enquoilechefd’entre- prisedésireuxd’exporteroudes’implanteren afrique doit-il faire preuve de pragmatisme? Même s’il existe un fonds culturel commun,l’Afrique est formée de 54 pays très différents les uns des autres.Selon les marchés visés, le chef d’entreprise doit s’adapteràdescontextesculturels,sociaux et politiques assez dissemblables sur ce continent qui est, rappelons-le, grand comme la Chine, l’Inde et l’Europe réu- nies. Ensuite, la lucidité exige de voir que l’émergence prétendue de l’Afrique est très largement en trompe l’œil. Il y a en effetungouffreentrelesdiscoursofficiels qui visent à attirer les investisseurs et une réalité qui se révèle être très fragmentée, non seulement entre pays mais encore à l’intérieurmêmedespays.Àyregarderde plus près, on constate d’ailleurs souvent que ceux qui appellent à investir, la main surlecœuravecdegrandsdiscoursmora- lisateurs, se gardent bien de le faire eux- mêmes…Faitescequejedis,nefaitespas ce que je fais,l’adage est bien connu! Il y a d’un côté le discours convenu que relaientcomplaisammentlesmédias,avec des images séduisantes et des idées géné- reuses,qui s’incarne dans uneAfrique des grands sommets et des colloques interna- tionaux, laquelle apparaît riche, parfois opulente, entre aéroports, centres des congrès et grands hôtels. Cette Afrique donne effectivement le sentiment d’une formidablemontéeenpuissance.Ellen’est en fait qu’un décor à la Potemkine.Car de l’autrecôté,ilyal’Afriqueréelle,profonde, celle des banlieues et des campagnes où règneuneimmensepauvreté.Les800mil- lions d’Africains qui sont encore ruraux ontdesbesoinscolossaux,notammentsur les plans alimentaire et sanitaire, et leurs besoins les plus élémentaires ne sont mal- heureusement pas assurés. Les 9/10e d’en- tre eux vivent sous le seuil de pauvreté. Àcetégard,n’oublionspasquel’Afrique estleseulcontinentoùl’onfaitcommencer la classe moyenne à partir de 2 dollars de revenu par jour, là où ailleurs dans le monde, ce seuil se situe à 10 dollars. C’est direlaprécaritédecetteclassemoyenne.Et encore, il convient de relativiser cette défi- nition. Car sur les 300 millions de per- sonnessupposéesfairepartiedecetteclasse moyenne,200millionsviventavecde2à4 dollars par jour. Et cette peinture drama- tiqueneconcernepaslesseulescampagnes, puisqueles2/3desurbainsviventdansdes quartiers précaires. Ce constat explique que s’implanter en Afrique exige pour un chef d’entreprise d’être extrêmement lucide. Car derrière les discours lénifiants, il y a la réalité des faits,au premier rang celui des infrastruc- tures défaillantes. Au-delà des clichés, la réalité est impitoyable. GÉOPOLITIQUE ET ENTREPRISES / EnTRETIEn AvEC SyLvIE BRUnEL « L’angélisme, ça vous tue en Afrique » ! C’est parce qu’elle aime passionnément ce grand continent fascinant que Sylvie Brunel porte à son endroit un regard tout à la fois critique et empli d’humanité, mettant en relief ses forces et ses faiblesses.Agrégée de géographie, docteur en économie, professeur à l’université de Paris-Sorbonne, Sylvie Brunel est aussi une femme de terrain qui a une solide expérience de l’humanitaire en Afrique. Dans l’entretien qu’elle a accordé à David Simonnet, elle appelle à faire preuve de lucidité dans l’approche des marchés africains. Certes, ce continent présente un potentiel fantastique et séduisant. Mais le pragmatisme reste le maître-mot de l’investis - seur ou du chef d’entreprise qui veut y réussir. Pour cela, il faut déjà se débarrasser des discours moralisateurs et maîtriser intégralement sa chaîne de production. Ce qu’ont par exemple parfaitement compris les Chinois… Marchés africains : retour au réalisme CONFLITS 69
  • 3. 70 CONFLITS Prenons l’exemple du mythe du numé- rique comme alpha et oméga de la résolu- tion de tout problème: il est totalement chimériquedepenserqu’Internetvarésou- drelesproblèmesdel’Afrique.Lavéritéest qu’ilyatrèspeudeconnexions,qu’ellessont chères et de mauvaise qualité.Défaillances aussi en matière d’accès à l’eau potable ou à l’électricité,en installations sanitaires élé- mentaires et plus généralement en infra- structures de toutes sortes. S’ajoute à cela, surtout en Afrique francophone, une cul- ture de la contestation sociale, avec des populations aiguillonnées par des groupes de pression et par les réseaux sociaux, qui ont tendance à accuser l’Occident de tous lesmauxdontellessontvictimes.Àladiffi- cile gestion du personnel s’ajoute en outre lepoidsd’undroitdutravailcomplexe,avec à la clé, des décisions pas toujours claires – pournepasdiresousinfluence–delapart d’instances du droit du travail soumises elles-mêmesàdespressionsmultiples. Un tel constat explique ainsi pourquoi lesgroupeschinoisquipercentenAfrique préfèrent travailler avec leurs propres res- sortissants plutôt que de faire appel à la main-d’œuvrelocale.Segreffeàcefaitune corruption endémique, une justice tatillonne et à géométrie variable, une industrieflorissantedelacontrefaçon,etc. Alors oui, l’Afrique présente indéniable- mentunpotentielfantastiqueetséduisant. Mais dans les faits, le chef d’entreprise se trouve confronté à des freins innombra- blesàtouslesniveaux.Poursedonnerune chancederéussir,ildoitdonccontrôlersa chaîne de production de l’amont jusqu’à l’aval, ce qui sous-entend un effort et un investissement considérables. Commentsefait-ilalorsquelaChineréussisse dans sa percée des marchés africains? LesChinoisn’ontaucunscrupuleàtout contrôler.Ilsnesontinhibésenrienparle discours des droits de l’homme ou par unequelconqueréminiscencedeculpabi- lité coloniale. Pour réaliser des success sto- riesdansl’Afriqued’aujourd’hui,ilfauten vérité verrouiller l’ensemble des process que l’on y développe. Les Chinois l’ont bien compris et savent faire preuve de pragmatisme. Le pragmatisme reste le maître-mot de l’investisseur ou du chef d’entreprisequiveutréussirenAfrique.Il faut savoir oublier les images d’Épinal et aborder la réalité sans fard. Heureusement, nombre d’Africains comprennent parfaitement cette logique. Ceciexpliquequenombredepaysafricains quiconnaissentdesréussiteséconomiques et sociales le doivent souvent au fait que leursdirigeantssontdirectifs,sanscraindre de faire preuve d’autorité quand il le faut, quitte à ce que de telles pratiques norma- tives puissent nous choquer, nous autres Occidentaux.Unminimumderigueurest nécessaire, surtout quand on veut nouer despartenariatspublic-privépourtoutàla fois faire le bien et du social business. Si l’on met les choses en perspective sur cesdernièresdécennies,forceestdeconsta- ter que nombre d’ONG se sont discrédi- tées, soit par des positionnements trop idéologiques,soitpardesattitudesauquo- tidienàreboursdeleursdiscourslénifiants. À l’inverse, beaucoup d’entreprises et de grands groupes ont eu à cœur de mener des actions concrètes en faveur des popu- lations africaines, marchant parfois main dans la main avec des fondations interna- tionales,désireusesd’apporterleurcontri- butionaudéveloppementdel’Afrique,par exemple dans le domaine alimentaire ou de la santé, mais souhaitant le faire dans des conditions claires. quelles sont les conséquences de cette dis- torsion entre le pensé et le réel, notamment pourlesentreprises quise développentà l’in- ternational? quels sont les risques majeurs auxquels elles doivent faire face? Lerisquedegaspillagedemoyensconju- guéàlacorruptiondécouraged’embléede nombreux investisseurs, y compris de grands groupes.Là encore,derrière les dis- coursiréniques,onsetrouveviteconfronté aux difficultés, notamment logistiques. Aussiest-ilnécessaireque,derrièrelaséduc- tion des programmes incitant les investis- seursàselancerdansl’aventure,ilyaitune perceptionclairedesenjeuxetdesconfigu- rationslocales.Soyonshonnêtesetconcrets: que cherche un chef d’entreprise lorsqu’il veut conquérir un nouveau marché ou investirsurunenouvellezone?D’abord,de la sécurité et de la stabilité,et ce sur le long terme. Ces deux paramètres qui génèrent de la confiance constituent des préalables incontournables. Aussi, gardons-nous d’une vision angélique des situations! Le retour du terrain est très clair: en Afrique, la prime de la réussite va d’ores et déjà aux paysréalistes,Chine,Inde,Israël,Turquie… et autres pays émergents qui voient les chosestellesqu’ellessontetsurtout,nes’em- pêtrent pas dans de pseudo-prétextes morauxpourfaireavancerleursintérêts. Pour résumer, je dirais qu’aller en Afriquedemanièrenaïve,c’estsecondam- ner à l’échec. En revanche, y aller sur un mode pragmatique,en ouvrant grand les yeux,c’estsedonnerlesmoyensderéussir surunmarchéquiàtermevaserévélerde toute façon formidablement prometteur. Les entreprises ne peuvent faire l’impasse sur les marchés africains dans leur straté- giededéveloppement,lesenjeuxsonttrop importants pour être ignorés. Cela exige justequenousacceptionsdemodifiernos paramètresmentaux,quenousavancions sans tabou et que nous acceptions enfin de regarder la réalité en face. w GÉOPOLITIQUE ET ENTREPRISES / EnTRETIEn AvEC SyLvIE BRUnEL
  • 4. CONFLITS GÉOPOLITIQUE ET ENTREPRISES / EnTRETIEn AvEC CAROLInE GALACTéROS ressources de la competitive intelligence, notammentparl’engagementdestratégies d’influence et la gestion des conflits infor- mationnels, jusqu’à la sécurisation des équipes et des biens matériels et immaté- riels, le tout sur-mesure et dans le respect des règles juridiques et éthiques. C’est parcequelesaffairesn’ontjamaisétéaussi géopolitiques que notre approche est plu- ridisciplinaire, mêlant géoéconomie, sciences humaines, philosophie poli- tique… Car actuellement, c’est malheu- reusement le cloisonnement de ces disciplines qui trop souvent limite la réflexion et l’inventivité pour agir.w groupe axyntis - 45 rue de Pommard - 75012 Paris www.axyntis.com - tél : +33 (0)1 44 06 77 00 géopolitique.entreprises@axyntis.com en février,vous avez lancé à Paris,à la Maison desartsetmétiers,geopragma,pôlefrançaisde géopolitiqueréaliste.avecsuccèspuisquevous avezfaitsallecomble.quelssontvosobjectifs? Geopragma est tout à la fois un think tank et un Action Tank. Notre initiative part d’un diagnostic inquiétant et répond à une urgence. La France vit en vase clos stratégique. Le risque est grand d’une déconnexion durable par rapport à un mondedontleséquilibresserestructurent vite et souvent sans nous.En géopolitique aussi,ilyadeseffetsdeseuil.Seuilsdepuis- sance, seuils d’influence qui, une fois atteints,rendentl’abaissementstratégique automatique et irrattrapable. Depuis 20 ans,lamarchedumondenousadministre des preuves humiliantes d’une marginali- sation progressive. Notre politique étran- gère s’est égarée dans des utopies moralisantes et des rapprochements indé- fendables et dangereux pour la sécurité même des Français. Nous sommes « hors sol » sur des sujets cruciaux pour notre avenirentantquenationcommepournos zones d’influence traditionnelles. Il nous fautretrouvernotreADNstratégiqueetle promouvoir, refonder une cohérence qui portera notre crédibilité et préservera nos intérêts comme nos valeurs qui sont les deux faces d’une même notion d’intérêt national. Pour cela, il faut pouvoir propo- ser le fruit d’analyses indépendantes sur une base réaliste.Une vision pour l’action donc,ancrée dans le réel et ses possibles. J’ai donc réuni des personnalités éclec- tiques, toutes mues par l’amour de notre pays, un regard singulier et libre sur le monde,leshommesetlaconflictualité,des expériences de vie et des expertises théma- tiques ou géographiques riches et recon- nues. Notre plateforme d’innovation stratégiqueagrègedesexpertssouventisolés au sein d’un écosystème qui préfère le fan- tasmeàlaluciditéetmépriseleréalismecar il le confond avec le cynisme. C’est tout le contraire.Notreapproche,nonidéologique etnondogmatique,estfondéesurunpara- doxequ’onnepeutplusignorer:l’idéalisme moralisateurestinefficaceethumainement plus destructeur que le pragmatisme éthique.Nous ne sommes en conséquence ni«pro»ni«anti»quoiouquiquecesoit… sauf proFranceévidemment! Concrètement,que pouvez-vous apporter aux entreprises? Encequiconcernel’aspectActionTank, nous proposons des offres très ciblées et sur mesure. Ces réseaux d’experts qui nous rejoignent sont à même d’aider les entreprisesfrançaisesàréfléchiretagiren adéquation avec les réalités du terrain où elles veulent se déployer. Nous comptons dansnosrangsaussibiend’anciensdiplo- mates que des journalistes, autant d’an- ciens militaires de haut rang familiers de théâtres d’opération difficiles que des jeunes chercheurs ou des universitairesexpérimen- tésayantunefineconnais- sance de zones sensibles et/ou méconnues. Grâce àlaréuniontransdiscipli- naire de ces ressources humaines généralement ignorées des canaux offi- ciels ou académiques, nous sommes à même d’établir des cartogra- phies précises, puis d’éta- blir des stratégies pour mettreenœuvresurleter- raindesmoyensd’action, et surtout de créer des réseaux : rencontre avec des personnalités ad hoc, organisations de groupes de travail pour coller aux objectifs,aideàladécision et à la création de parte- nariats, analyse de retours d’expérience, déclinaison de toutes les Pour une géopolitique pragmatique EXPLORE LE CHAMP DES RAPPORTS ENTRE LA GéOPOLITIQUE ET LES ENTREPRISES Docteur en science politique, auditeur de l’IHEDN, géopolitologue, chroni- queuse au Point.fr, ayant longtemps travaillé dans les services d’évaluation etPoint.fr, ayant longtemps travaillé dans les services d’évaluation etPoint.fr de prospective stratégique du Premier ministre, Caroline Galactéros (ici avec David Simonnet) a récemment créé,avec plusieurs associés,Geopragma.Pour elle,il faut en finir avec le cynisme des « bons sentiments » et l’humanitarisme moralisateur,bien plus destructeur en matière de relations internationales que le réalisme éthique.Un changement de cap s’impose donc pour notre politique étrangère,qui doitd’abordprivilégierl’intérêtde notre pays.Caroline Galactéros a notamment publié Manières du monde,Manières de guerre(Nuvis,2013) et Guerre,Technologieetsociété(avecRégisDebrayetlegénéralVincentDesportes, Nuvis,2014).