1. En quoi la rédaction par Jean-Michel Charpin d’un rapport sur la
régulation et le développement de la filière photovoltaïque en France
constitue-t-il un conflit d’intérêt majeur
Depuis la publication du fameux « rapport Charpin » sur la filière photovoltaïque, beaucoup de voix se sont
élevées pour s’interroger sur l’impartialité de cette mission, dont les conclusions constituent un tel rapport à
charge et dont les chiffres sont si erronés, qu’il semble inconcevable qu’il ait pu être rédigé sans un parti pris
évident contre l’énergie photovoltaïque.
En (re)découvrant le CV de Jean-Michel Charpin, l’explication paraît immédiatement plus limpide, dans l’ombre
à peine voilée du lobbying nucléaire dont la mainmise sur la politique énergétique française est patente depuis
plusieurs décennies.
Le conflit d’intérêt évident que la présence de Jean-Michel Charpin crée, et qui aurait dû alerter le
Gouvernement, repose sur 3 éléments de son parcours :
- Ses convictions personnelles et son engagement historique en faveur de l’énergie nucléaire,
- Son ancien poste d’administrateur d’EDF,
- Son actuel mandant d’administrateur d’ERDF.
Ces 3 éléments présentent en effet 3 risques majeurs pour l’objectivité de ce rapport, qui auraient dû conduire le
Gouvernement à ne pas confier à Jean-Michel Charpin la responsabilité de cette mission, ou à ce dernier, par
souci d’intégrité, à la décliner.
1. Le risque que Jean-Michel Charpin influence les conclusions du rapport en raison de ses affinités
avec l’énergie nucléaire, qu’il considère comme la seule voie viable dans la politique énergétique
française
Il est édifiant de (re)lire le rapport que Jean-Michel Charpin a co-rédigé en juillet 2000 (date à laquelle il était
encore administrateur d’EDF), intitulé « Etude Economique Prospective de la Filière Electrique Nucléaire ».
Non seulement ce rapport passe sous silence un grand nombre de questions légitimes (notamment d’un point de
vue économique) sur le coût réel de l’énergie nucléaire (c'est-à-dire incluant le démantèlement des centrales, le
traitement des déchets ainsi que les aléas du renouvellement), mais il ne présente comme unique alternative à la
disparition du nucléaire, que les centrales à gaz, beaucoup plus émettrice de CO2, ce qui justifierait le recours au
nucléaire.
Aucun autre scénario n’est jugé crédible par Jean-Michel Charpin, et en tout état de cause, aucun n’est étudié en
détail dans le rapport. La part prospective de l’éolien à horizon 2020 varie de 1% dans son scénario central
à un grand maximum de 3% dans son scénario « catastrophe » (disparition du nucléaire). Chiffres à
comparer avec le 10% d’éolien que ce même Jean-Michel Charpin utilise comme argument pour justifier
l’absence de nécessité du photovoltaïque dans le respect des objectifs européens de 23% d’énergie renouvelables
en 2020, à la page 7 de son présent rapport. Pour information, la production éolienne totale en 2010 avoisine les
2%, donc il semblerait que Jean-Michel Charpin juge désormais légitime de multiplier par 5 le nombre
d’éoliennes en France d’ici à 20201, alors même que la réglementation vient d’être durcie et que l’on connaît
tous les très grandes difficultés à développer des parcs éoliens de nos jours en France !
Inutile de préciser que le photovoltaïque n’apparaît même pas dans les données de ce rapport de 2000, alors
même que l’Allemagne et le Japon prenaient à la même période la décision de miser sur cette énergie pour créer
une filière industrielle de plusieurs centaines de milliers d’emplois.
Les mêmes causes produisant les mêmes effets, la vision « atom-centrée » de Jean-Michel Charpin, qui
entachait déjà la crédibilité des conclusions de son rapport de 2000, ne lui permet pas 10 ans plus tard
d’afficher plus d’impartialité lorsqu’on lui demande d’exprimer son avis sur la question du
photovoltaïque.
1
Ministère de l’Ecologie, tableau de bord éolien-photovoltaïque du 2ème trimestre 2010
2. 2. Le risque que Jean-Michel Charpin, en tant qu’ancien Administrateur d’EDF, défende les
intérêts de son ancienne société, qui sont clairement contraires à ceux de la filière photovoltaïque
Certes EDF nous abreuve depuis de longs mois de messages publicitaires écologiques, de ciels bleus et de
visages rayonnants se reflétant sur des panneaux solaires étincelants. La réalité économique de la quatrième
capitalisation boursière française est toute autre.
Depuis quelques années EDF est confronté à une problématique majeure, celle du renouvellement de son parc de
production nucléaire, donc l’obsolescence conduit la France à acheter de plus en plus souvent de l’électricité
chez ses voisins européens, du démantèlement des centrales et du traitement des déchets.
EDF ne communique jamais les coûts de ces chantiers. Et pourtant le démantèlement « exemplaire » de la
centrale de Brennilis en Bretagne, qui dure depuis 25 ans aurait coûté la bagatelle de 600 M€ 2, ce qui fait
frémir et nous donne une petite mesure de ce qui attend EDF dans les années à venir pour la vingtaine de
réacteurs qui doivent être fermés.
Pour faire face à ces coûts colossaux, EDF mène une politique de hausse régulière des tarifs de l’électricité (la
dernière ayant eu lieu au cours de l’été, +3% pour les particuliers et +4,5% pour les entreprises). L’ancien PDG
du groupe, Pierre Gadonneix avait même demandé officiellement en juillet 2009 à l’Etat une augmentation de
20% de ces tarifs d’ici à 2012. Ces hausses étant nécessaires pour permettre à EDF de couvrir l’explosion de ses
coûts tout en maintenant son cours de bourse.
Si on décompose de manière schématique une facture d’électricité en deux blocs, une part très minoritaire, la
CSPE (Contribution au Service Public d’Electricité) et une part principale, le tarif de l’électricité, constituant
directement le chiffre d’affaires d’EDF, on observe aisément que toute augmentation de la CSPE se fait au
détriment du tarif de l’électricité, toutes choses égales par ailleurs (et en particulier la production d’électricité), et
par conséquent de la marge financière d’EDF .
Autrement dit, pour une augmentation donnée de la facture d’électricité des français, décidée par le
Gouvernement, chaque euro supplémentaire affecté chaque année à la CSPE est 1 euro de moins affecté
au chiffre d’affaires d’EDF. On comprend mieux l’acharnement de Jean-Michel Charpin, à chaque page du
rapport, à vouloir réduire coûte que coûte « l’explosion de la CSPE ».
Illustrons ce propos avec les chiffres de Jean-Michel Charpin lui-même : en partant du principe que le prix de
l’électricité devrait croître en moyenne de 4% sur les 10 prochaines années, ce qui semble être le maximum
acceptable par les consommateurs français (et qui reprend les hypothèses avancées par Jean-Michel Charpin en
page 18 de son rapport), on obtient les graphiques suivants3 :
Scénario du Grenelle de l’Environnement – puissance produite par l’énergie photovoltaïque : 5,4 GWc en
2020
2
Le Canard Enchaîné, mercredi 28 juillet 2010
3
Hypothèses : facture moyenne d’électricité hors chauffage de 500 € (Rapport Charpin), hausse de 4% des
factures d’électricité chaque année entre 2010 et 2020, hausse de la CSPE hors photovoltaïque de 5% chaque
année, montant de la CSPE pour 2010, 2,4 milliards d’Euros
3. Proposition de l’Association Hespul – puissance produite par l’énergie photovoltaïque : 11 GWc en 2020
Scénario « catastrophe » du rapport Charpin – puissance produite par l’énergie photovoltaïque : 5,4
GWc en 2011 et 17 GWc Wc en 2020
Puisque l’on est parti du principe que l’augmentation de la facture d’électricité ne devait pas dépasser un seuil
inacceptable (fixée à 4%/an), par définition ces scénarios sont tous neutres pour la facture des Français. Seule la
répartition du montant payé à EDF change :
- Dans le 1er scénario, le plus faible pour le développement du photovoltaïque, 94% du montant d’une
facture d’électricité est versée à la filière traditionnelle (EDF et ses filiales), tandis que seulement 2% de
cette facture est dédiée au photovoltaïque,
- Dans le 3ème scénario jugé le plus « dangereux » par Jean-Michel Charpin, EDF doit se contenter de
90% de ce montant tandis que le photovoltaïque bénéficie de la différence.
Entre les deux hypothèses extrêmes, le manque à gagner pour EDF est de l’ordre de 338€ par foyer sur toute la
période, soit une trentaine d’euros par an et par foyer. L’augmentation du chiffre d’affaires d’EDF ne serait
alors que de 3% par an contre 3,8% dans le cas où le photovoltaïque serait plafonné au niveau prévu par
le Grenelle de l’Environnement.
4. En tout état de cause, il ne s’agit pas là d’une question de protection du portefeuille des Français, mais de
savoir si ces 338 € versés inéluctablement par les Français au cours des 10 années à venir doivent être
utilisés pour augmenter la rentabilité d’EDF ou pour financer le développement du photovoltaïque.
Et il est à craindre qu’un ancien administrateur d’EDF ne soit pas la personne la plus impartiale pour trancher
cette question.
3. Le risque que Jean-Michel Charpin, en tant qu’actuel Administrateur d’ERDF, défende les
intérêts de cette société, que l’émergence du photovoltaïque tend à fragiliser
Il est de prime abord assez étonnant de considérer que les producteurs d’électricité photovoltaïque et ERDF ont
des intérêts divergents. ERDF est en effet le gestionnaire du réseau de distribution, et quoique filiale à 100%
d’EDF, il demeure assez insensible aux problématiques de financement auxquelles est confronté sa société mère.
Les problèmes soulevés par l’émergence de la filière photovoltaïque sont de deux ordres :
- La complexité technique de l’équilibrage du réseau,
- La fragilisation de la société dans un contexte de mise en concurrence pour le renouvellement de ses
concessions.
Tout d’abord, la multiplication des sources de production d’électricité décentralisée sur le territoire français, dont
les capacités installées peuvent varier de quelques kWc (installations sur des toitures de particuliers) jusqu’à
plusieurs dizaines de MWc (centrales au sol), sont de nature à complexifier les procédures d’équilibrage du
réseau.
La nouvelle présidente d’ERDF s’est même plainte de cette nouvelle difficulté à laquelle est confrontée ERDF,
le 22 juin 2010. Dans son communiqué4, Mme Bellon évoquait le risque majeur que le photovoltaïque faisait
peser sur l’ensemble du réseau (envisageant même des coupures d’électricité massives), alors que le
photovoltaïque ne représente aujourd’hui que 0,1% de la production française et que l’Allemagne produit à peu
près 25 fois plus d’électricité photovoltaïque.
Implicitement, cette montée au créneau de Mme Bellon, constitue un aveu de faiblesse devant un enjeu que la
plupart de ses homologues européens sont parvenu à résoudre. Ce n’est clairement pas rendre hommage à la
qualité et aux compétences des ingénieurs qui composent son entreprise.
Le second point est plus stratégique pour ERDF. La multiplication des demandes de raccordement, par des
producteurs photovoltaïques, sur des portions de réseau relativement excentrées et sur des postes rarement
sollicités par de nouvelles connexions, ont mis en évidences ces derniers mois une saturation de certaines parties
du réseau n’ayant pas fait l’objet de suffisamment de réinvestissements et de renforcement.
Ce constat fait d’ailleurs l’objet d’une prise de conscience commune d’ERDF et de RTE, ce dernier ayant
annoncé courant 2010 un programme d’investissement d’1 milliards d’euros pour intégrer les énergies
renouvelables sur le réseau français.
Néanmoins, cette mise en évidence des faiblesses du réseau français peuvent avoir pour ERDF une conséquence
plus grave et plus inattendue, la perte de ses contrats de concessions dans le cadre de leur renouvellement.
Rappelons en effet qu’ERDF n’est pas propriétaire de ce réseau, mais seulement concessionnaire (de 95% du
réseau) ; ce sont les communes et les syndicats d’électricité qui détiennent la propriété de ces infrastructures,
dont beaucoup devraient être renouvelées dans les années qui viennent5, et pour lesquelles de nombreux acteurs
concurrents d’ERDF tentent aujourd’hui de se positionner.
4
Communiqué de presse du 22/06/2010, ERDF
5
Source : Energie 2007 - http://www.energie2007.fr/actualites/fiche/2380
5. Depuis l’émergence de la filière photovoltaïque, de nombreuses collectivités, confrontées à des délais de
raccordement trop importants, à des saturations de postes et à une augmentation des coupures, envisagent
sérieusement de ne pas renouveler leur contrat de concession auprès d’ERDF, mais de le confier à un de ses
concurrents. Et les récentes déclarations de la Présidente d’ERDF ne semblent pas contribuer à réconcilier
l’entreprise de distribution avec les élus locaux6.
Inutile de préciser qu’ERDF aurait sans doute préféré que le développement du photovoltaïque en France
fût décalé de quelques années, le temps de consolider sa position et sa part de marché. Jean-Michel
Charpin ne peut pas être insensible à cette problématique qui est le sujet stratégique majeur auquel le
Conseil d’Administration et la Présidente d’ERDF sont confrontés aujourd’hui.
Contact Presse : Agence FARGO – Vanessa Talbi - Tél. : 01 44 82 95 48 – Mail : vtalbi@fargo-media.com
6
Le Monde, 20/07/10, « Mais quelle mouche a donc piqué la présidente d'ERDF », tribune conjointe d’Hélène
Gassin, vice-présidente de la Région Ile-de-France, de Denis Baupin, maire-adjoint de la Ville de Paris et de
Didier Lenoir, vice-président du CLER