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MARTINEZ Pauline
Master 2 de Science politique - Relations internationales et politiques de sécurité
Année universitaire 2013/2014
LA RHETORIQUE DE JUSTIFICATION DES
INTERVENTIONS MILITAIRES DANS LE SYSTEME
INTERNATIONAL CONTEMPORAIN : LE CAS DE
L’OPERATION FRANCAISE SERVAL AU MALI
DIRECTEUR DU MEMOIRE : M. Jean-Vincent HOLEINDRE
UNIVERSITE TOULOUSE 1 CAPITOLE
2 rue du Doyen-Gabriel-Marty - 31042 Toulouse cedex 9 - France - Tel. : 05 61 63 35 00 - Fax : 05 61 63 37 98 - www.ut-capitole.fr
- 2 -
LA RHETORIQUE DE JUSTIFICATION DES
INTERVENTIONS MILITAIRES DANS LE
SYSTEME INTERNATIONAL
CONTEMPORAIN : LE CAS DE L’OPERATION
FRANCAISE SERVAL AU MALI
- 3 -
Je tiens à remercier mon directeur de mémoire Jean-Vincent Holeindre pour avoir accepté de
suivre mon travail ainsi que pour sa disponibilité. Je remercie également Alexandre Durgue
pour son aide durant ces deux dernières années de recherches. Merci à Vincent pour son
soutien et sa patience.
- 4 -
INTRODUCTION GENERALE
« Grâce à l’opération Serval qui achève sa tâche, il n’y a plus de sanctuaire pour les
groupes terroristes au Mali. C’est une mission qui a été parfaitement accomplie » a déclaré le
chef de l’Etat, François Hollande, le 13 juillet dernier dans son allocutions aux armées1
.
L’opération Serval, lancée en janvier 2013 au Mali pour lutter contre les groupes djihadistes
aurait donc été «réussie en tous points, du début jusqu’à la fin»2
. Remplacée par l’opération
Barkhane, Serval aura duré plus d’un an et soulève de nombreuses questions quant à ses
motivations profondes.
Le Mali a connu plusieurs grandes étapes dans son histoire et notamment trois
périodes d'empires. Le premier, l'Empire du Ghana, s'est érigé au IV siècle et était
principalement fondé sur la production de sel et d'or. Suite aux percées berbères qui ont
installé l'Islam en Afrique occidentale, l'Empire est tombé. C'est au XI siècle que l'Empire du
Mali est créé, reposant quant à lui sur le commerce transsaharien du cuivre, du sel, de l'or et
des étoffes. Il sera remplacé par l'Empire Songhaï, qui sera démantelé en 1591, laissant place
à une mosaïque de petits Etats. Le Mali actuel est une ancienne colonie française, le Soudan
français. C'est à partir de 1878 que le premier territoire est conquis par la France. Pour assurer
sa domination, la France a mis en place un système centralisé. Le Soudan français s'est
ensuite joint au Sénégal pour former la Fédération du Mali en 1985. En 1960, l'indépendance
du Mali est proclamée. Une partie de la population malienne est composée de Touaregs.
Peuples sédentaires, ils sont à l'origine de rébellions marquant l'histoire du pays. En effet, ils
prônent une reconnaissance de leur peuple par le gouvernement malien. Reconnaissance qui
pourrait notamment se caractériser par une reconnaissance de territoire, à savoir l'Azawad,
partie du nord du pays qu'ils occupent en majorité. Cette population touarègue, dont nous
parlerons plus tard, a une rancœur contre la France qui, durant la décolonisation, a été
totalement inactive vis-à-vis d'eux. Les années suivant la décolonisation marquent une
orientation socialiste donnée au pays par Mobido Keita, le président. Renversé par un coup
d'Etat en 1968, Keita est remplacé par Moussa Traoré qui restera au pouvoir jusqu'en 1991.
Durant cette période, le pays est gouverné de façon autoritaire. Il y demeure un climat
1
AFP, « Mali : la mission de l’opération Serval « parfaitement accomplie » », Le Point.fr, 13 juillet 2014, en
ligne : < http://www.lepoint.fr/societe/mali-la-mission-de-l-operation-serval-parfaitement-accomplie-13-07-
2014-1845858_23.php>, consulté le 2 août 2014.
2
Allocution du président de la République, François Hollande, à l’hôtel de Brienne à l’attention du personnel du
ministère de la Défense, 13 juillet 2013, en ligne : < http://www.defense.gouv.fr/actualites/articles/13-juillet-
2013-allocution-du-president-de-la-republique-a-l-hotel-de-brienne-video>, consulté le 2 août 2014.
- 5 -
d'instabilité (rébellions touarègues et contestations sociales) et de pauvreté, ce qui entrainera
le renversement de Traoré. Son successeur, Alpha Oumar Konaré restera en place jusqu'en
2002, date à laquelle Amadou Toumani Touré (ATT) pris place en tant que président de la
république jusqu'au coup d'Etat du 22 mars 2012. Capitaine de l'armée malienne et professeur
d'anglais, Amadou Haya Sanogo, à la tête du coup d'Etat, a pris le pouvoir et est devenu le
président du Comité national pour le redressement de la démocratie et la restauration de l'Etat.
Pendant cette investiture de facto, le Mouvement National pour la Libération de l'Azawad
(MNLA), organisation politique et militaire touarègue, a conquis la moitié nord du Mali et a
déclaré l'indépendance de l'Azawad. Le coup d'Etat et l'auto proclamation d'indépendance
dénoncés par la communauté internationale, Dioncounda Traoré a été nommé chef de l'Etat
par intérim, le chef du gouvernement par intérim étant Diango Cissoko. Malgré tout, le Mali a
souvent été considéré comme étant un modèle de démocratie en Afrique.
Sur le plan de son insertion dans le système international, depuis son indépendance, le
Mali a conservé des liens avec la France1
. Depuis le coup d'Etat du 22 mars 2012, la France a
suspendu toutes ses coopérations régaliennes avec le Mali. La coopération s'orientait autour
des priorités fixées par le Document cadre de partenariat du 7 juillet 2006 pour la période
2006-2010. Il s'agissait de coopération sur les domaines de l'éducation et de la formation, de
l'eau et de l'assainissement et d'un appui au secteur productif. D'autres types de coopération
sont également menés entre les deux pays, comme par exemple de l'aide octroyée par la
France en matière de sécurité et de défense, une aide visant à renforcer les capacités de
contrôle de la souveraineté de l'Etat malien dans la lutte contre le terrorisme et la criminalité
organisée, etc.2
Le Mali, dans une perspective plus internationale, est membre de
l'Organisation des nations unies et de l'Organisation mondiale du commerce. En 2013, le Mali
se place au 38ème rang sur 177 Etats faillis3
(79ème en 2012). En effet, la crise politique et
sécuritaire a marqué son économie. Les recettes de l'Etat ont diminué notamment à cause de la
suspension de l'aide internationale (sauf pour les projets humanitaires et ceux touchant
directement à la population). Cependant, l'aide reprend progressivement depuis l'adoption de
la feuille de route par le Parlement malien, le 29 janvier 2013.
1
Il s'agit de relations politiques, économiques et de coopération. En ce qui concerne le versant politique de ces
relations, de nombreuses visites bilatérales ont été organisées depuis. Du fait de raisons historiques et culturelles
(avec la Francophonie) ou communautaires (avec une diaspora malienne importante en France), l'intensité de ces
relations est plutôt importante. D'un point de vue économique, le commerce bilatéral est conséquent. La France
n'est pas le premier investisseur étranger au Mali mais conserve une place prépondérante.
2
Site du Ministère des affaires étrangères: <http://www.diplomatie.gouv.fr/fr/pays-zones-geo/mali/la-france-et-
le-mali/>, consulté le 3 mai 2013.
3
Voir annexe A.
- 6 -
La France a décidé d'intervenir au Mali à la demande des autorités maliennes et dans
le cadre de la résolution 2085 du Conseil de sécurité des Nations unies1
.
C'est dans ce cadre que la France a pour but officiel de stopper l'avancée des groupes
djihadistes vers le sud du Mali et d'assurer la sécurité des cinq mille ressortissants français
dans le pays2
. Sur ces ressortissants pèse le danger de la prise d'otages. Ils représentent la
cible parfaite pour toucher la France sans s'attaquer directement au territoire. En effet, le pays
est présent au Mali par ses infrastructures, les capitaux qu'elle y entretient et actuellement par
sa présence militaire. Donc prendre en otage ses ressortissants, c'est toucher symboliquement
à la France. Dans l'après-midi du 11 janvier 2013, un raid d'hélicoptères d'attaque a stoppé la
progression de djihadistes faisant route vers Konna. Plus de quatre mille hommes ont été
envoyés sur le terrain et six ont perdu la vie3
. Au 18 avril 2013, l'état des lieux était le suivant.
Les opérations ont été poursuivies avec une centaine de sorties aérienne dans la région de
Tessalit et le long de la boucle du Niger. Au sol, les troupes sont également mobilisées. A
Tombouctou, le bataillon burkinabé, chapeauté par l'armée française, commence à prendre le
relai. En effet, l'un des objectif officiel en intervenant sur place était aussi de ne pas rester
éternellement sur le terrain et pour ce faire, de former les armées maliennes et africaines de la
MISMA4
pour qu'elles soient efficaces face aux groupes terroristes présents sur le territoire
malien. Le but officiel final étant que les opérations de sécurisation permettent au
gouvernement malien de recouvrer et de contrôler son intégrité territoriale et son
indépendance politique.
Du fait de la situation politique, plus de deux cent mille individus ont été contraints de
se déplacer au sein même du pays. En outre, les pays voisins comptent environ deux cent
1
Cette résolution implique une opération militaire multinationale correspondant à l'opération Serval pour la
France, à la mission internationale de soutien au Mali sous conduite africaine (MISMA) pour l'Union africaine
et la communauté économique des Etats de l'Afrique de l'Ouest (CEDEAO) et aux forces armées tchadiennes
d'intervention (FATIM) pour le Tchad. La MISMA a été remplacée par la Mission multidimensionnelle intégrée
des Nations Unies pour la stabilisation au Mali (MINUSMA) en juillet 2013.
2
Récapitulatif de l'opération Serval sur le site du Ministère de la défense : <http://www.defense.gouv.fr/
operations/mali/actualite/mali-lancement-de-l-operation-serval>, consulté le 22 avril 2013.
3
Le Chef de bataillon Damien Boiteux (4e RHFS, le 11 janvier 2013), l'Adjudant Harold Vormezeele (2e REP,
le 19 février 2013), le Caporal-chef Cédric Charenton (1er RCP, le 2 mars 2013), le Maréchal des Logis Wilfried
Pingaud (68e RAA, le 6 mars 2013), le Caporal-chef Alexandre Van Dooren (1er RIMa, le 16 mars 2013) et le
Caporal-chef Stéphane Duval (1er RPIMa, le 29 avril 2013), Marcel Kalafut (2ème
régiment étranger de
parachutistes de Calvi, le 8 mai 2014), l’Adjudant-chef Dejvid Nikolic (sous-officier du 1er
régiment étranger de
Génie de Laudun-l’Ardoise).
4
La MISMA est la mission internationale de soutien au Mali sous conduite africaine. C'est une mission militaire
conduire par la CEDEAO pour porter assistance au Mali. Elle a été autorisée par la résolution 2085 du Conseil
de sécurité des Nations unies le 20 décembre 2012. Le Conseil de sécurité a autorisé son déploiement pour une
durée initiale de un an. Son rôle est d'aider à reconstituer une armée malienne forte pour reprendre le contrôle
des zones du nord, de protéger ses institutions et sa population.
- 7 -
mille réfugiés maliens. Selon le CIA World Factbook1
, la population était de quinze mille
quatre cent quatre-vingt quatorze habitants en 2012 avec une densité de 11.1 habitants/km²2
.
Quatre-vingt dix pour cent de la population a pour religion l'islam, neuf pour cent l'animisme
et un pour cent le christianisme. La population se divise en différentes ethnies. Vingt-trois
ethnies sont généralement comptabilisées, réparties en cinq principaux groupes: Mandingue,
Pulsar, Voltaïque, Saharien et Songhaï. Le groupe des Mandingues regroupe les deux
cinquièmes de la population du Mali. Au centre du pays, c'est l'ethnie peule (groupe Pulsar)
qui domine. Au nord-Mali, les touaregs acceptent peu les obligations et veulent imposer les
populations mandingues qui dominent le sud-ouest du pays. Les touaregs sont des éleveurs
nomades islamisés répartis sur l'ensemble du territoire et au delà, sur l'ensemble de la zone
sahélienne. Ce sont des guerriers, des chefs religieux, des acteurs politiques ou des
commerçants. Il s'agit d'un groupe hiérarchisé qui tente de maintenir son mode de vie et sa
langue, le tamahaq. Du fait de leur particularité qu’ils défendent, les touaregs ont multiplié les
revendications culturelles et politiques depuis les indépendances. Ils sont à l'origine de
différents mouvements de rébellion irrédentistes au Mali. C'est en 1963 que la première
grande rébellion touarègue touche le pays. La même année est créée l'Organisation de l'unité
africaine (OUA, aujourd'hui Union Africaine) dont tous les Etats sont membres, y compris le
Mali (à l'exception du Maroc). Les années 1990 voient les multiplications de heurts violents
entre les populations touarègues et le pouvoir central. En 2006, un nouveau soulèvement
touarègue touche le pays. S'en suivra des années de tensions jusqu'à cette rébellion de 2012,
conduite par le MNLA. Son aboutissement positif pour les touarègues a accéléré la déchéance
de l'armée régulière. Cependant, par la suite le MNLA (laïc et sécessionniste, à 90% peuplé de
groupes «noirs» -Songhaï et Peuls notamment-, ayant pour seul but une plus grande
reconnaissance de l'identité touarègue à travers l'obtention d'une autonomie de territoires) a
perdu le contrôle du territoire fraîchement conquis, au profit de mouvements se revendiquant
islamistes, non sécessionnistes et non «noirs» (à l'exception du Mouvement pour l'unicité et le
jihad en Afrique de l'Ouest -MUJAO). AlQaida au Maghreb Islamique (AQMI) est associé au
groupe d'Ansar Dine. Ce groupe est de composante touarègue d'obédience algérienne. Ansar
Dine a appelé une partie de l'effectif du MNLA, composé de rebelles d'obédience libyenne et
financé par AQMI. Alors que le MNLA ne voulait «qu'une» indépendance de l'Azawad,
rejoint par les membres d'Ansar Dine, ceux-ci ont réussi à changer l'orientation du MNLA,
1
Central Intelligence Agency, The world Factbook, Mali, en ligne :
<https://www.cia.gov/library/publications/the-world-factbook/geos/ml.html>, consulté le 18 avril 2014.
2 Présentation du Mali, en ligne: <http://www.diplomatie.gouv.fr/fr/pays-zones-geo/mali/presentation-du-mali/>,
consulté le 25 avril 2013.
- 8 -
car désireux d'imposer la Charia sur le territoire. Le MUJAO a également un accord avec
AQMI. Le groupe bénéficie de soutiens arabes du Golfe persique (Qatar), se compose de
groupes arabes maliens liés aux narcotrafiquants et de djihadistes sahéliens non arabes. Ils ont
pour la plupart la peau noire bien qu'ils se réfèrent à des individus ayant tous mené le jihad
contre l'irruption européenne du XIX siècle. Cette dynamique de groupes en concurrences
s'ancre dans un monde touareg marqué par une dislocation sociale et par des rivalités
politiques internes, tribales et sociales. L'argument islamique porté par les groupes est un outil
pour séduire la population touarègue et finalement supplanter leur objectif initial par un
objectif politique et religieux bien plus poussé qu'une simple revendication de reconnaissance
territoriale pour les peuples touaregs.
Pour comprendre la complexité du conflit, il est important de prendre en compte la
situation géographique du territoire malien1
. En effet, du fait de toutes ses caractéristiques
(des difficultés économiques à sa situation géographique) et étant implanté en plein cœur de la
région du Sahel, le Mali est un lieu d'échanges et de tensions. Les guerres, difficultés
économiques et conditions de migration ont entraîné un développement des trafics (cigarettes,
drogues, clandestins, armes...). Les frontières sont extrêmement poreuses. Le désert,
constituant la majeure partie du territoire, est emprunté par les marchands auxquels se sont
greffés les trafiquants. Des guerriers ont aussi rejoint ces trafics en se reconvertissant en
chauffeurs capables de déjouer les patrouilles militaires. Alors que la zone se limitait aux
1
Le Mali est voisin de sept pays. Il partage 2237km de frontière avec la Mauritanie, 1376km avec l'Algérie,
1000km avec le Burkina Faso, 858km avec la Guinée, 821km avec le Niger, 532km avec la Côte d'Ivoire et
419km avec le Sénégal. Quatre grands ensembles composent son relief: les plateaux gréseux soudano-sahélien,
les collines et plaines soudano-sahéliennes, le delta intérieur du Niger (le Niger parcourt le Mali sur 1700km) et
le massif de l'Adrar des Ifoghas (massif montagneux du Sahara, d'environ 250 000km² formé de blocs
granitiques très érodés) où se cachent la plupart des groupes armés. Le Sahara occupe une grande partie du
territoire malien au nord. Pour ce qui est du climat, quatre grandes zones découpent le territoire. Du nord au sud;
la zone saharienne avec son climat désertique, la zone sahélienne et son climat aride à semi-aride, la zone
soudanienne et la zone guinéenne où la pluviométrie est beaucoup plus élevée avec une saison des pluies allant
de 3 à 7 mois selon l'endroit. Depuis quelques décennies, le Mali connaît une accentuation de l'aridité, ajoutant à
la complexité de sa situation politico-économique. Ces données géographiques et démographiques ont été
récoltées à travers diverses sources: <http://www.diplomatie.gouv.fr/fr/> consulté le 19 avril 2014,
<http://www.larousse.fr/encyclopedie/pays/Mali/131330> consulté le 19 avril 2014. Questions internationales -
Le Sahel en crises, La Documentation française, n° 58, novembre - décembre 2012, p. 4-92.
- 9 -
trafics provenant de l'Algérie et de la Libye1
, les années 2000 ont marqué un nouveau départ ;
le Sahel est devenu la plaque tournante des trafics de cocaïne et d'héroïne venues d'Amérique
du sud via le Nigéria ou la Guinée. Les cartels sud-américains ont en effet été obligés de
changer de stratégie du fait du contrôle renforcé des Etats-Unis par la lutte antidrogue. Ceci,
nous le comprenons bien, a profité aux trafiquants de l'Ouest de l'Afrique où le contrôle
institutionnel des souverainetés semble connaître des difficultés. Le Mali ne déroge pas à la
règle et est devenu une zone d'intenses trafics. Malgré la pauvreté économique du pays, des
sommes importantes d'argent circulent par les trafics d'armes et de drogue.
Un an après le début de l’opération Serval, la mission continue toujours dans ce pays
aux caractéristiques historiques, géographiques, identitaires complexes. Le nord de la boucle
du Niger a été libérée, des djihadistes ont été tués. Quant au nombre de morts, l’armée ne
semble pas donner de précisions officielles. Nous savons en revanche que six français ont
perdu la vie. Selon le site officiel du ministère de la Défense, moins de deux mille militaires
français sont engagés dans l’opération aux côtés des militaires africains2
. Trois buts sont
énoncés à savoir : aider les forces armées maliennes à arrêter la progression des groupes
terroristes et à les repousser tout en assurant la sécurité des populations civiles, aider le Mali à
1
La guerre en Libye a eu des conséquences au Mali. La chute du colonel Kadhafi du fait de l'appui de la
«communauté internationale», dont la France fait partie, a entraîné des conséquences immédiates. Ces
conséquences ont été mal mesurées en Europe malgré l'avertissement des acteurs locaux. Le colonel Kadhafi
était un intermédiaire indispensable pour les gouvernements du Sahel. La Libye soutenait les régimes locaux, les
projets de développement, les investissement dans les infrastructures. Politiquement, le colonel était garant de la
paix. En effet, malgré un passé moins glorieux, depuis une dizaine d'années, la Libye cherchait une légitimité
suffisante pour diriger l'Union Africaine. Elle était souvent l'arbitre entre les groupes rebelles et les
gouvernements, finançait les projets de réinsertion ou encore jouait le rôle d'accueil d'ex-combattants,
notamment pour les combattants touarègues du Mali. L'intensification des combats de l'année 2011 en Lybie a
porté préjudice à tous ces migrants qui participaient à l'économie de leur pays d'origine en envoyant des sommes
d'argent considérables. Les évènements qui ont suivi, ont entrainé un retour des migrants sur leur sol d'origine.
Le territoire libyen a servi de camp d'entraînement et de zone de récupération d'armes qui ont alors été
acheminées dans les pays voisins. Le Mali en est un excellent exemple et a subi les conséquences indirectes de
l'intervention internationale en Libye. Dans le contexte défavorable dans lequel était le pays (corruption,
faiblesse de l'Etat, implantation d'Al-Qaida au Maghreb Islamique -AQMI), les touaregs ont pu lancer la
rébellion avec l'appui des anciens migrants revenus de Lybie. La dimension économique et géographique de la
zone alimente la crise. Elle favorise les trafics et les rébellions. Les problèmes économiques ont engendré un
désordre politique qui lui même a favorisé la concurrence et l'impact des manipulations des puissances
régionales et internationales ainsi que des acteurs non étatiques. C'est dans ce cercle vicieux dans lequel était
l'Etat malien, que le coup d'Etat a été lancé, que l'Azawad a été pris et que la ville de Bamako est tombée,
révélant ainsi son impéritie. Mais rapidement, AQMI et d'autres groupes armés ont dépassé la rébellion des
touaregs. Le conflit s'est internationalisé par, d'une part, l'intervention des groupes armés islamistes ayant des
objectifs politiques tel que c'est le cas pour le groupe armé Boko Haram (d'origine nigériane) et par, d'autre part,
les intérêts de certaines puissances étrangères. C'est la première fois dans l'histoire du Mali que l'instabilité
chronique de ce pays, initiée par des rébellions à l'origine touarègues, se connecte aux zones d'instabilités
limitrophes au niveau régional. Source : Frédéric DEYCARD, « Une région à l’importance internationale
croissante », Questions internationales - Le Sahel en crises, La Documentation française, n°58, novembre -
décembre 2012, p.14-16.
2
Ministère de la Défense, Rubrique « Actualité » dans le dossier sur le Mali, en ligne :
<http://www.defense.gouv.fr/operations/mali/actualite>, consulté le 19 avril 2014.
- 10 -
recouvrer son intégrité territoriale et sa souveraineté, faciliter la mise en œuvre des décisions
internationales en permettant le déploiement rapide de deux missions internationales
complémentaires (la mission internationale de soutien au Mali (MISMA) et la mission de
formation de l’armée malienne de l’Union Européenne (EUTM)1
. Si au départ de l’opération,
le président français François Hollande entendait que ses troupes ne restent pas sur le terrain
ad vitam aeternam, tout tend à prouver que l’armée française restera longtemps tout comme
elle l’a fait au Tchad avec l’opération Epervier ou encore en Côte d’Ivoire avec l’opération
Licorne. Dans le nord du pays le bilan indique que toutes les zones occupées par les
djihadistes ont été libérées. Malgré des attentats, la zone reste sous contrôle. Kidal en
revanche reste une zone de tensions accrues où des incidents ont pu avoir lieu comme le 28
novembre 2013 où, lors d’une manifestation contre la visite du premier ministre malien
Oumar Tatam à Kidal, l’armée a blessé à mort une manifestante. Ce genre d’évènement reste
contrôlé et minimisé par les autorités locales et françaises. Depuis le début de l’opération, un
président et un Parlement ont été élus démocratiquement. Ibrahim Boubacar Keïta,
connaissance de François Hollande depuis une trentaine d’années, a été élu mais cela n’a pas
entrainé un changement radical de la classe politique malienne et de ses pratiques. Peu d’actes
significatifs ont été engagés. La réforme de l’Etat n’est pas en marche, même si dans les
discours des actions doivent être lancées comme l’annonce d’une lutte prochaine contre la
corruption (lors de ses vœux pour l’année 2014). La force africaine sous l’égide de l’ONU
quant à elle ne compte que la moitié des effectifs prévus au départ (environ six mille sur
douze mille). Les principaux contingents viennent du Burkina Faso, du Tchad et du Niger.
Les principales étapes de l’opération, qui représentent à ce jour plus d’un an de
présence sur le territoire, répondent à trois objectifs : faire cesser l’agression et la progression
des djihadistes, sécuriser le pays pour éviter les effets de progression dans la sous-région où la
France compte plusieurs milliers de ressortissants et enfin permettre au Mali de recouvrer son
intégrité territoriale2
. Durant la première phase de l’opération, les éléments du
Commandement des opérations spéciales (COS) ainsi que la puissance aérienne ont pu
stopper l’offensive des groupes visés dispersant ou détruisant les groupements djihadistes. Les
premiers déploiements français se sont fait parallèlement à Bamako. Après une dizaine de
jours d’intervention, l’armée française choisit le schéma de dispersion, permettant de libérer
les villes et ainsi de reprendre, avec l’armée malienne, le contrôle des principaux axes et
1
Ibid.
2
GROS Philippe, PATRY Jean-Jacques, VILBOUX Nicole, « Serval : bilan et perspectives », Fondation pour la
recherche stratégique, note n°16/13, juin 2013, p. 7.
- 11 -
localités. La tâche n’a pas été simple au début de l’opération comme nous le rapporte le
Général Barrera commandant la brigade Serval : « On avait alors trois solutions. Aller sur
Gao et prendre la boucle du Niger à l’envers. Mais il n’y avait que deux ponts pour le
franchir, à Merkala ou Gao. La deuxième solution était de prendre la route bitumée via
Sévaré, puis plein nord. Mais on était tributaires des bacs pour franchir le Niger à 10km au
sud de Tombouctou. Les djihadistes nous voyant progresser ici nous auraient bloqués
facilement. Ils avaient d’ailleurs saboté les bacs. On a donc opté pour la troisième solution :
l’axe pris par le Lcl Joffre en 1894, via Niafounké et Goundam. On a mis cinq jours pour faire
1000 km. Tout cela en ambiance hostile. Les rapports de la DRM nous annonçaient une
possible présence hostile de djihadistes ici ou là. Mais ils avaient fui vers le nord devant la
colonne. Les premiers prisonniers ont été faits entre Léré et Goundam sur les renseignements
de la population par l’avant-garde malienne »1
. Les choix paraissent souvent compromis par
des données extérieures arrivant au compte-goutte. La « nature du territoire, les marécages et
le sable »2
ralentissent également l’armée française qui doit composer avec toutes ces données
afin de mener au mieux sa mission. La progression s’est faite jusqu’au nord de l’Adrar des
Ifoghas, terrain de jeu privilégié par les terroristes pour se retrancher. Recherche et
destruction dans le sanctuaire ont rythmé les mois de février à fin mars 2013, particulièrement
dans les vallées à l’est de Tessalit. Dans l’Adrar, la crainte du Général Barrera « était que les
djihadistes refusent le combat et se terrent dans les pays avoisinants. On ne savait pas s’ils
étaient là, le renseignement et les forces spéciales n’avaient alors rien décelé. Il fallait donc
aller au fond des oueds. Pour reconnaître, il faut mettre le pied sur le carrefour, c’est un
principe basique. Or les djihadistes étaient des as du camouflage, cela faisait dix ans qu’ils se
préparaient »3
.
Progressivement, le dispositif a basculé sur des opérations de contrôle pendant que les
djihadistes commençaient des opérations de types groupusculaire et que la MISMA se
déployait dans le sud du pays. Trois mois après le début de l’opération, un mécanisme de
défaite des djihadistes était en route à plusieurs niveaux. Au niveau tactique, une dé-
paramilitarisation des groupes a été engagée. Ils ont perdu le contrôle des localités, leur
infrastructure a été détruite en majeure partie et des combattants ont été blessés ou tués. Les
armes lourdes ont été saisies en grande partie. Les Katibas ont été dispersées et fractionnées,
1
BARRERA Bernard (Gal), (entretien avec) « Serval à travers les yeux du COMBRIG », RAIDS, n° 335, avril
2014, p.54.
2
Ibid.
3
Ibid, p.55.
- 12 -
les chefs clefs neutralisés. Des groupuscules du MUJAO et d’AQMI restent présents et
pourraient sur le long terme reprendre le contrôle de la région de Tombouctou1
. En revanche,
il faut admettre que si le Mali semble se débarrasser du gros du sanctuaire terroriste, le
problème ne fait que se déplacer dans les pays limitrophes. Au mois d’avril 2014, plus d’un
an et demi après le début de l’opération, l’armée française continue à œuvrer sur le terrain,
découvrant encore des caches d’armes et de terroristes. L’armée française demeure sur place
pour poursuivre la lutte contre les groupes armés terroristes et appuyer la montée en puissance
des forces de la MINUSMA et des forces armées du Mali (FAMA).
Très globalement, dans ce mémoire, il sera question de comprendre et de tenter
d’expliquer les enjeux politiques et stratégiques sous-jacents à l’opération française Serval au
Mali lancée le 11 janvier 2013 suite à une avancée vers le sud du Mali par les groupes rebelles
répandus au nord.
Or, aux vues de ces premières constatations de la situation sur le terrain malien, nous
avons décidé d’envisager d’analyser l’intervention politico-militaire française au Mali dans
ses dimensions plus idéelles que matérielles afin de cerner comment elle peut être justifiée par
les politiques qui mènent cette opération et, par là, comprendre comment les intérêts de
sécurité sont symboliquement voire idéologiquement fixés et défendus à travers de tels
évènements. En effet, pour justifier l’intervention, bien avant son déclanchement et jusqu’à
récemment encore, le gouvernement français parle de « lutte contre le terrorisme » mettant en
danger l’intégrité territoriale du Mali. Le gouvernement français s’est clairement engagé dans
une « lutte contre le terrorisme ». Le ministre de la Défense, Jean Yves le Drian, a ainsi
déclaré le 12 janvier 2013 : « [n]ous agissons en soutien des forces maliennes avec pour
objectif d’arrêter l’offensive des terroristes, de les empêcher de nuire et de sécuriser nos
ressortissants au Mali »2
. Le 15, c’est le président de la République qui déclarera, alors en
visite à Dubaï, qu’il faut «arrêter l’agression terroriste », « détruire » les islamistes, « les faire
prisonnier si c’est possible » et « faire en sorte qu’ils ne puissent plus nuire »3
. La France
s’est donnée pour mission de vaincre le terrorisme dans le pays concerné. Mais comment
justifier cette action qui est susceptible de présenter un coût en vies humaines (même
1
GROS Philippe, PATRY Jean- Jacques, VILBOUX Nicole, op. cit., p. 7-11.
2
Déclaration de M. LE DRIAN Jean-Yves, ministre de la défense, sur les interventions militaires au Mali et en
Somalie, Paris, le 12 janvier 2013, en ligne : < http://discours.vie-publique.fr/notices/133000062.html>, consulté
le 19 avril 2014.
3
Conférence de presse de M. François HOLLANDE, Président de la République, sur les relations entre la France
et les Emirats arabes unis et sur l’intervention militaire française au Mali, Dubaï, le 15 janvier 2013, en ligne
<http://discours.vie-publique.fr/notices/137000095.html>, consulté le 19 avril 2014.
- 13 -
« minimes ») et qui financièrement, n’est pas sans coût ? L’opinion publique, qui soutient ou
non son gouvernement aux élections internes, doit éprouver le sentiment que l’intervention,
malgré ses côtés négatifs (les coûts), est justifiée afin d’en accepter les conséquences. Ce que
l’on peut observer, c’est cette présence importante de discours tout au long de l’opération
visant à expliquer au mieux où en est l’armée française, rappeler les enjeux sécuritaires, et
faire comprendre à la population que cette intervention est justifiée et nécessaire. C’est alors
que l’on remarque la forte présence du thème du « terrorisme » dans les discours officiels. La
question que l’on se pose alors est de savoir si le risque est bien réel au delà du Mali pour
accepter une telle intervention où la France se trouve quasiment seule à combattre un ennemi,
le « terrorisme », que même la plus grande puissance mondiale n’a pas réussi à vaincre (Les
Etats-Unis en Afghanistan). D’ailleurs pouvons-nous vaincre le terrorisme ? Entendre le
président affirmer que le terrorisme « n’a pas encore été vaincu » dans une allocution le 2
février 20131
pour ensuite dire que la France n’a pas vocation à rester n’est-il pas
contradictoire lorsque l’on se donne pour but d’arrêter l’agression terroriste ? Si cela apparaît
effectivement contradictoire, il est alors nécessaire d’envisager de regarder comment l’intérêt
national et les intérêts de sécurité sont définis à cette occasion et par qui, afin de tenter déceler
la présence d’autres enjeux sous-jacents à l’opération militaire et absents de la rhétorique de
justification de cette dernière et de sa prolongation.
Il faudra donc plus précisément examiner, outre la situation géostratégique dans la
zone, le rôle joué par l'intervention des Français en terme de défense d’intérêts régionaux et
internationaux.
C’est pourquoi il nous a semblé pertinent de nous poser la question de recherche
suivante : Quelles sont les caractéristiques de la rhétorique de justification de l’intervention
militaire française au Mali en terme de défense de l’intérêt national français et des intérêts
de sécurité sous-jacents ?
Plusieurs concepts doivent être mis en lumière dans le cadre de notre étude. La
puissance inévitablement prend toute sa force dans l’intervention française. En effet, à la
poursuite de ses intérêts, l’Etat intégré dans le système international anarchique (selon
l’approche réaliste en général) demeure sans cesse à la recherche de la préservation de sa
1
Déclarations de MM. HOLLANDE François, Président de la République, et TRAORE Dioncounda, Président
de la République du Mali, sur les relations franco-maliennes et sur l’intervention militaire française au Mali,
Bamako, 2 février 2013, en ligne : < http://discours.vie-publique.fr/notices/137000295.html>, consulté le 19
avril 2014.
- 14 -
puissance. C’est cette notion que la France met implicitement en jeu dès lors qu’elle décide
d’une intervention comme celle au Mali. La notion de puissance revêt ici une dimension
stratégique (avec pour composante la neutralisation des groupes terroristes), une dimension
économique (protection des approvisionnements énergétiques), une dimension politico-
symbolique (volonté de «tenir le rang»1
) et une dimension politico-philosophique (protection
de la vie des ressortissants et libération des otages). Ces dimensions sont perceptibles dans les
discours de l’Exécutif français à travers une rhétorique utilisée de façon plus ou moins
ouverte et claire. Nous ne retiendrons, du fait des limites matérielles de cette recherche, que la
dimension stratégique, la dimension économique et, de façon résiduelle lorsque cela sera
nécessaire pour appuyer notre démonstration, la dimension politico-philosophique.
L’intervention militaire se précise en outre par rapport à la perception de la menace qu’en ont
les décideurs politiques elle-même influencée par des idées préétablies de l’intérêt national.
Rappelons ici que puissance, intérêt national et décision d’intervention se retrouvent tous trois
dans la définition de la politique étrangère. Pour H. Morgenthau en politique étrangère, «l'Etat
ne connaît qu'un seul impératif catégorique, un seul critère de raisonnement, un seul principe
d'action »2
: l'intérêt national égoïste défini en terme de puissance. Quel que soit le but ultime
de la politique extérieure d'un Etat, quels que soient les termes dans lesquels ce but est défini,
la recherche de la puissance est toujours son but immédiat, qu'il s'agisse de changer la
configuration du rapport de force existant par une politique impérialiste, ou au contraire de le
préserver par une politique de statu-quo [...] la politique de puissance est à l'origine de la
modération qui finit par caractériser la politique internationale3
. Et le politiste F. Charillon de
rajouter que la politique étrangère est «l'instrument par lequel un Etat tente de façonner son
environnement politique international»4
, par lequel il tente d'y préserver les situations qui lui
sont favorables et d'y modifier les situations qui lui sont le plus défavorables.
L’intérêt national fait partie intégrante des discours politiques concernant l’Etat et ses
actions, ses choix de politique étrangère et intérieure. Il s’agit en effet de définir un objectif
politique qui lui-même doit se révéler l’émanation de l’intérêt national. En y parvenant, alors
l’objectif est censé être plus facilement soutenu par l’opinion publique. Nous pouvons donc
constater que les décideurs politiques se réfugient derrière la notion d’intérêt national afin de
préciser leurs objectifs de politique étrangère. Ce concept leur permet de dépolitiser la
1
KESSLER Marie-Christine, La politique étrangère de la France, Paris, Presses de Sciences Po, 1999.
2
MORGENTHAU Hans, Defense of the national interest, New York, Knopf, 1951, p. 242.
3
BATTISTELLA Dario, Théories des relations internationales, Paris, SciencePo Les Presses, 2012, p. 134.
4
CHARILLON Frédéric (dir.), Politique étrangère. Nouveaux regards, Paris, Presses de Sciences Po, 2002, p
13.
- 15 -
politique étrangère, de la rendre plus accessible, plus à la portée de l’individu lambda, pour
trouver une certaine légitimité à leurs actions. Entendons ici qu’il s’agit de rendre plus
accessible et plus « socialisée » une branche de la politique qui ne peut, a priori, pas être
soumise, ou très difficilement, à l’exercice de la souveraineté populaire. En effet, cette
dernière ne dispose pas de l’information nécessaire pour prendre de telles décisions. C’est ce
que sous-entendait Henry Kissinger lorsqu’il a remarqué que « lorsque vous demandez aux
Américains de mourir, il faut que vous puissiez l’expliquer dans les termes de l’intérêt
national »1
. La légitimation passe par l’intérêt national.
L’intérêt national semble revêtir deux dimensions2
. Il semble que ce soit un moyen
pour parvenir à entretenir la puissance de l’Etat dans un premier temps. Mais il semble
également qu’une dimension plus idéelle entre en ligne de compte, à savoir plus
subjective. Nous verrons comment analyser ces différentes facettes du concept d’intérêt
national à travers les théories qui nous semblent les plus adéquates.
L’objectif officiel avoué par les autorités françaises dans notre étude est donc
l’éradication du terrorisme au Mali afin d’arrêter sa poussée vers le sud. Pour réaliser cet
objectif, c’est avec l’intervention militaire que la France a décidé d’opérer. Deux éléments
conceptuels sont ici mis en : le terrorisme et l’intervention.
Le terrorisme est un phénomène multidimensionnel. Il peut être religieux, politique,
économique, les trois en même temps et remettre en cause le concept de souveraineté. Dans sa
dimension religieuse, à travers les études réalisées depuis toujours et surtout depuis les
attaques du 11 septembre 2001 qui ont lancé la guerre mondiale contre le terrorisme, nous
voyons apparaître la volonté pour ses défenseurs de diffuser le Jihad et imposer la Charia, de
corrompre ou supplanter les pouvoirs locaux, et à plus grande échelle, combattre et punir la
« colonisation » des puissances occidentales. Le terrorisme peut être un terrorisme d’Etat ou
de groupe, relever de revendications politiques, économiques, religieuses, sociologiques mais
quelque soit sa dimension, le terrorisme remet en cause la souveraineté de l’Etat.
1
KISSINGER Henry cité par MORIN Jean-Frédéric, La Politique étrangère : Théories, méthodes et références,
Paris, Armand Colin, 2013, p24.
2
« Intérêt national : ensemble de facteurs qui, selon les réalistes et les dirigeants politiques, représente ce qu’il y
a de plus important pour l’Etat, l’essentiel étant la survie » : cf. BAYLIS John, SMITH Steve, OWENS Patricia,
La globalisation de la politique mondiale, Montréal, Modulo, 2012, p.561.
- 16 -
Etudier le concept de « terrorisme » implique le franchissement d’obstacles
épistémologiques assez redoutables1
. Souvent teinté de préjugés ou de représentations
biaisés2
, le « terrorisme » n’échappe pas à la règle. Or, selon Durkheim, c’est surtout dans les
sciences sociales que ces prénotions « sont en état de dominer les esprits et de se substituer
aux choses »3
. Il faut donc parvenir à rendre scientifique le concept par un travail de rupture
épistémologique permettant d’objectiver le phénomène. Pouvant être considéré comme un
terme fourre-tout ou un mot valise excessivement utilisé, il s’agit d’un concept qui n’a pas
trouvé de définition communément admise. Juristes, sociologues, politologues, diplomates,...
Tous se sont évertués à le définir, chacun avec sa sensibilité. Juridiquement, les Etats ont
souvent préféré se doter d’une législation spécifique à chacun. Le concept est vague et
recouvre en fait des situations ou phénomènes très hétérogènes. Selon J-M. Dasque, « A
l’origine, sous la Révolution française, furent baptisés « terroristes » les républicains
intransigeants partisans d’une politique de terreur. Au début du XIX siècle, ce terme désigna
des individus et des groupes favorables à une remise en cause violente du régime politique et
social. Plus tard il fut appliqué indifféremment aux membres des mouvements de résistance, à
des insurgés, à des nationalistes luttant contre le régime colonial, à des extrémistes de gauche
ou de droite. Sur un plan sémantique, le mot terrorisme peut désigner une personne, un
groupe, un acte, une méthode, une tactique de guerre. »4
, bref il révèle son caractère
polysémique5
. Finalement, dans sa dimension subjective, le terme peut être compris comme si
l’on désignait chaque ennemi comme « terroriste » alors que la situation peut ne pas relever
1
Les problèmes de définition du terrorisme sont « divers », des centaines de définitions ont été réalisées par les
chercheurs. Les observations faites dans les travaux sur le terrorisme sont rares et les situations trop hétérogènes
pour pouvoir, à l’heure actuelle, s’accorder sur une seule et même définition. Plusieurs définitions sont
acceptables et permettent alors de faire sortir des données empiriques similaires à chacune : cf. YOUNG Joseph
K., FINDLEY Mihael G., « Promise and Pitfalls of Terrorism Research », International Studies Review, Vol. 13,
n°3, September 2011, p. 414-416.
Ce travail de définition est « crucial et fait partie de l’évolution des études sur le terrorisme » : cf. ibid. p. 414.
Au lieu d’envisager la multitude de définitions existantes comme un obstacle, nous pouvons l’apprécier de façon
positive car cela nous permet d’engager, en tant que chercheur, divers analyses empiriques pour faire émerger
des différences entre les définitions ? De fait, il est plus facile de dire « ce que le terrorisme est » et surtout « ce
qu’il n’est pas » : cf. ibid, p. 416.
2
« [L]’homme ne peut pas vivre au milieu des choses sans s’en faire des idées d’après lesquelles il règle sa
conduite » : cf. DURKHEIM Emile, Les règles de la méthode sociologique, Paris, Flammarion, 2010,1ère
édition,
p.115.
3
Ibid, p.119.
4
DASQUE Jean-Michel, Géopolitique du terrorisme, Paris, Ellipses, 2013, p.11.
5
J-c. Passeron parle à ce sujet de concepts « polymorphes ». Ces concepts révèlent l’existence d’un obstacle
dans la délimitation du champ sémantique des concepts sociologiques par le chercheur. Cette difficulté est due
aux nombreux emplois descriptifs qui ont marqué l’histoire. L’hétérogénéité qui en découle peut être réduite à
l’instar des définitions des manuels mais cette lisibilité fait ressurgir les choix du chercheur (méthodologiques,
de raisonnement ou de formulation). Pour des concepts aussi problématiques que le « terrorisme », il semble
impossible de faire autrement que de délimiter le concept : Cf. PASSERON Jean-Claude, Le raisonnement
sociologique, Paris, Albin Michel, 2006, p.98.
- 17 -
de « terrorisme » à proprement parler. Nous pouvons toutefois comprendre le terrorisme
comme étant un moyen violent de revendiquer des causes. Ce moyen est souvent utilisé par
des groupes qui n’ont pas les capacités de se faire entendre autrement. Ils ne cherchent pas à
détruire un maximum de personnes ou de biens mais bel et bien à imposer un sentiment de
terreur sur l’opinion publique et ses dirigeants. C’est ce que Raymond Aron soutenait
« qu’une action est dénommée terroriste lorsque ses effets psychologiques sont hors de
proportion avec ses résultats purement physiques »1
. Ainsi, les attaques du 11 septembre ont
été spectaculaires et exceptionnelles dans le sens où elles ont fait perdre la vie à des milliers
de personnes mais en règle générale le terrorisme cherche à être publicisé et à toucher non pas
une armée régulière mais les civils principalement ainsi que des symboles politiques et
idéologiques. Quoi qu’il en soit, le terrorisme remet en cause la question de la souveraineté.
Voulant s’imposer comme nouvelle autorité en prenant une par une les villes, les groupes de
guérilla2
au Mali ont bafoué la souveraineté nationale.
Cette notion de souveraineté représente également la dimension à travers laquelle
envisager le concept d’intervention. L’intervention est une question centrale des relations
internationales. Selon Jean-Baptiste Jeangène-Vilmer, philosophe et juriste français, «toutes
les interventions militaires justifiées par des raisons humanitaires ont été, sont et seront
également motivées par des intérêts nationaux, pour la simple et bonne raison que les Etats ne
sont pas - et même ne doivent pas - être désintéressés puisque leur raison d'être est de
défendre les intérêts de leurs citoyens»3
. Le recours à la force étant en principe toujours
envisagé qu'après avoir usé de tous les moyens non coercitifs possibles, il faut, s'il y a recours
à la force, une bonne raison pour le faire. En effet l'intervention militaire est considérée
1
ARON Raymond, Paix et guerre entre les nations, Paris, Calmann-Levy, 1962, p.176.
2
Ces groupes, que l’on trouvera dénommés par des termes comme « djihadistes », « terroristes », « rebelles »,
« groupes armés » (comprenons ici qu’ils n’ont pas de dénomination nette) instrumentalisent des revendications
initiales -celles des touarègues en l’espèce- qu’ils associent aux leurs (en résumé, l’imposition de la Charia- par
des manœuvres terroristes) conséquentes de décennies de conflits au Mali.Au sujet de la qualification des
groupes transnationaux illégitimes, nous préfèrerons le terme de groupes de guérilla dans l’optique de ce que
propose Peter Willets. En effet, il explique que « La violence politique éclate le plus souvent lorsqu’une minorité
ethnique ou un mouvement nationaliste bien implanté rejette la légitimité d’un gouvernement. Un tel mouvement
porte plusieurs noms : il est appelé groupe terroriste par ceux qui désapprouvent son action, groupe de guérilla
par ceux qui sont plus neutres ou mouvement de libération nationale par ceux qui l’appuient ». Cf. WILLETS
Peter, « Les acteurs transantionaux et les organisations internationales en politique mondiale », dans BAYLIS
John, SMITH Steve, OWENS Patricia, op. cit, p. 344. Nous tenterons précisément de démontrer que les
discours politiques sont imprégnés de la première façon de désigner le mouvement, et cela, non sans intérêts par
ailleurs.
3
JEANGENE VILMER Jean-Baptiste, "Intervention en Libye : ni droit d’ingérence, ni désintéressement", Le
Monde.fr, 28 mars 2011 <http://www.lemonde.fr/idees/article/2011/03/28/intervention-en-libye-ni-droit-d-
ingerence-ni-desinteressement_1498608_3232.html>, consulté le 25 avril 2013.
- 18 -
comme «une mesure exceptionnelle et extraordinaire»1
. La Commission internationale de
l'intervention et de la souveraineté des Etats propose six critères tendant à justifier une
intervention militaire dont le critère de la «juste cause». Deux situations permettent la
violation du principe de non-ingérence : «lorsqu’il s’agit d’arrêter ou d’éviter des pertes
considérables en vies humaines, effectives ou appréhendées, qu’il y ait ou non intention
génocidaire, qui résultent soit de l’action délibérée de l’État, soit de sa négligence ou de son
incapacité à agir (Etats-faillis), soit encore d’une défaillance dont il est responsable», ou
lorsque survient un «nettoyage ethnique» à grande échelle, effectif ou appréhendé, qu’il soit
perpétré par des tueries, l’expulsion forcée, la terreur ou le viol.2
Pour l’approche réaliste, les
Etats sont les acteurs dominants dans les relations internationales. Donc d’un point de vue
ontologique le respect de la souveraineté reste primordial dans les relations internationales.
Malgré l’accroissement du nombre d’acteurs émergeants, nous nous trouvons toujours dans
une société interétatique où l’intervention s’étend au delà des frontières et donc devient une
composante omniprésente des relations internationales. Juridiquement, les Etats sont égaux
sur le plan de la souveraineté ce qui rend dès lors l’intervention contradictoire avec ce
principe d’égalité du fait de l’ingérence qu’elle caractérise. Il est donc nécessaire d’envisager
l’intervention, quelque soit sa forme, dans une dimension ponctuelle voire extraordinaire du
fait de la remise en cause d’une coutume devenue norme des relations internationales.
Lorsqu’elle est utilisée comme outil de politique étrangère, elle doit alors être justifiée avec
des arguments montrant que l’Etat où l’intervention a eu lieu a déjà perdu ses caractéristiques
déterminant sa souveraineté (territoire maîtrisé, sécurité de sa population locale ou étrangère,
etc.) devenant alors dans notre cas d’espèce un Etat failli.
Christian Reus-Smit a entrepris tout récemment un travail d’analyse du concept
d’intervention. Il expose en effet une vision alternative qui s’accommode des idées et
pratiques diverses qui ont caractérisé les différents ordres internationaux depuis tout temps.
Que ce soit avant 1970 où la souveraineté était conjointe à l’empire ou après 1970 où la
souveraineté est devenue universelle3
, il propose une conception adaptée à ces changements
ainsi qu’aux différents ordres politiques existants. Il envisage les configurations systémiques
de l’autorité politique comme étant organisées autour de quelques principes de différentiation.
Ces différentiations ne sont pas nécessairement basées sur le territoire mais elles peuvent être
1
Rapport de la Commission internationale de l’intervention et de la souveraineté des États CIISE, La
responsabilité de protéger, Ottawa, Centre de recherche pour le développement international, décembre 2001.
2
Rapport de la Commission internationale de l’intervention et de la souveraineté des États CIISE, Ibid.
3
REUS-SMIT Christian, « The concept of intervention », Review of international Studies, vol. 39, n° 15,
december 2013, p. 1058
- 19 -
fonctionnelles. De fait, l’intervention est la transgression du domaine propre d’un Etat afin de
reconfigurer les identités, les institutions ou encore les pratiques internes. Elles sont toujours
justifiées et requièrent cette justification dans la mesure où l’intervention est une violation de
la souveraineté1
. Le concept clef des relations internationales de souveraineté étant bafoué, il
est obligatoire de légitimer cette action. Reus-Smit propose une vision complémentaire pour
expliquer l’intervention. Pour lui, l’intervention doit être consciente, voulue et ce, dans le but
de modifier un résultat et non pas simplement d’observer une situation2
. L’intervention remet
en cause le principe de souveraineté à notre époque dans un ordre international définit comme
étant une configuration systémique d’autorités politiques3
. Aujourd’hui cet ordre international
est global et les autorités qui le constituent survivent par la reconnaissance qu’elles se font
entre elles comme étant légitimes. La reconnaissance n’est pas forcément égalitaire comme
peut l’être la souveraineté4
. C’est donc cette reconnaissance qui joue un rôle primordial parce
qu’elle permet de construire et déconstruire un ordre international. Intervenir permet alors de
trouver les délimitations de l’ordre international et des unités d’autorités politiques à
l’intérieur de celui-ci. Les interventions demeurent au cœur de controverses car elles sont par
définition des transgressions. Il faut donc absolument les justifier pour l’opinion publique et
pour les autres acteurs politiques. Trois types de justifications existent. « L’état d’exception »
d’une part, qui caractérise un état d’urgence où il est nécessaire de soutenir l’ordre
international (c’est le cas des interventions autorisées par le Conseil de Sécurité de l’ONU,
comme dans le cas de l’opération de la France au Mali). Il y a les justifications « permises par
la norme » d’autre part, où la norme est interprétée pour justifier l’action (c’est ici le cas de la
« responsabilité de protéger » afin d’éviter une violation des droits humains). Et enfin la
« justification révolutionnaire » où les normes classiques de l’ordre international sont
bafouées5
.
Par ailleurs, les officiels français parlent de « guerre au Mali ». Or, la guerre, qui est
également un concept central des relations internationales, se doit d’être définie ici. Le
concept ne fait pas, lui non plus, l’objet d’une définition consensuelle. Classiquement,
Clausewitz la définissait comme étant un acte de violence destiné à contraindre l’adversaire à
exécuter sa volonté, un acte permettant la continuation des relations politiques par d’autres
moyens. Il s’agit d’un duel à grande échelle impliquant des armées nombreuses, massives,
1
Ibid.
2
Ibid, p. 1065.
3
Ibid.
4
Ibid, p.1066.
5
Ibid, p.1067.
- 20 -
d’un duel illustré par un affrontement sanglant se caractérisant par la violence de ceux qui en
sont partie1
. Sans aller plus loin dans la définition, là demeure un premier obstacle de
caractérisation des acteurs prenant part à la guerre. En l’espèce, la France a envoyé ses
troupes sur le territoire malien. Mais la question est de savoir contre qui l’armée se bat. Il
s’agit d’acteurs non-étatiques, d’acteurs transnationaux illégitimes2
, nous ne sommes pas dans
la configuration décrite classiquement par Clausewitz où les acteurs auraient des objectifs de
même nature3
. Le concept de guerre asymétrique semble donc être plus conforme à la
situation. La guerre asymétrique n’est pas nouvelle. Des guérillas des années soixante au
terrorisme des années soixante-dix, quatre-vingt, nous avons eu à faire à ce type de conflit. La
conceptualisation de ce phénomène n’est que rudimentaire4
. D’ailleurs plusieurs définitions
existent et montrent que la notion est comprise de différentes manières par les différents
auteurs. Jacques Baud assimile l’asymétrie à un concept stratégique où le belligérant va plutôt
exploiter l’effet médiatique, le soutien populaire et utiliser les réseaux informels. Aujourd’hui
l’opinion publique mondiale se sent concernée par les conflits donc les groupes de guérillas
par exemple vont pouvoir trouver une caisse de résonance à exploiter pour donner du poids à
leur action5
.
A la lumière de ces concepts issus de la question de départ, et en vue de la
construction de notre cadre théorique, nous pensons mettre en évidence plusieurs courants
théoriques des relations internationales utilisant certains de ces opérateurs analytiques, et qui,
de fait, semblent adaptés à notre problématique. Ces différentes écoles de pensée nous
permettront d’analyser le phénomène de façon pertinente. Ces approches théoriques sont
1
TERRAY Emmanuel, « Violence et calcul. Raymond Aron lecteur de Clausewitz », Revue française de science
politique, 36e année, n°2, 1986. p 248-249.
2
WILLIAMS Phil, "Strategy for a new world : combating terrorism and transnational organized crime", in
BAYLIS John, WIRTZ James J., GRAY Colin S., COHEN Eliot, Strategy in the contemporary world, Oxford,
Oxford University Press, 2006, p.192.
3
« Guerre classique : guerre fondée sur l’utilisation d’unités militaires nationales permanentes en uniforme pour
atteindre des objectifs militaires ou politiques. La guerre classique se distingue de la guerre nucléaire et de la
guerre non classique, cette dernière reposant sur des techniques de guérilla ou de terrorisme » BAYLIS John,
SMITH Steve, OWENS Patricia, La globalisation de la politique mondiale, Montréal, Modulo, 2012, p. 560.
4
BRAUD Jacques, La guerre asymétrique ou la défaite du vainqueur, Mayenne, Editions du Rocher, 2003, p.
84-85.
5
Nous retiendrons la définition de Jonathan B. Tucker tant elle nous semble la plus proche de la réalité de notre
cas d’espèce : « La guerre asymétrique consiste à tirer parti de la faiblesse de l’adversaire en recourant à eds
armes et à des tactiques innovatrices et bon marché à la fois, conçues pour affaiblir la détermination de la
puissance la plus forte et sa capacité à utiliser de manière efficace sa supériorité en termes de moyens
conventionnels » cf. TUCKER Jonathan B., Asymmetric warfare, Forum for Applied research and public policy,
summer 1999, en ligne : < http://forum.ra.utk.edu/1999summer/asymmetric.htm>, consulté le 3 mai 2014, traduit
par BAUD Jacques, Ibid, p. 90.
- 21 -
d’abord et avant tout le réalisme néo-classique, le constructivisme et de façon plus ponctuelle,
le réalisme classique.
Dans l’approche réaliste classique des relations internationales, à la poursuite de ses
intérêts, la motivation première d'un Etat lorsqu'il conduit une action, est de préserver sa
puissance dans un système international hostile. Cette notion de «puissance» , la France la
met en jeu lorsqu'elle décide d'intervenir (notamment à cause des intérêts économiques
présents dans la zone). Mais l'intervention n'a pu se révéler possible que dans le cadre d'une
perception de la menace fondée par les décideurs politiques et soutenue par l'opinion publique
française.
En Relations internationales, le paradigme réaliste pose l'un des postulats suivants :
quand la politique extérieure ne parvient pas à atteindre l'intérêt national par des moyens
pacifiques, le recours à la guerre est envisageable. La guerre ne saurait alors être jugée
d'après les critères éthiques applicables aux comportements individuels1
. Nous voyons bien ici
que pour un Etat, le basculement d'un comportement pacifique à un comportement de guerre,
représente une solution pour contrer le fait que l'intérêt national n'arrive pas à être atteint. Or,
n'est-ce pas subjectif que de dire, « l'intérêt national est atteint », ou inversement ? Quelle est
la substance de cet intérêt national ? Sur quels critères politiques est-il déterminé ? N’est-il
pas en lui même subjectif ? Pourquoi un Etat aurait-il intérêt à intervenir dans un conflit qui
ne le concerne, a priori, pas directement puisqu'il n'en est pas partie ? Dans le cas du conflit au
Mali, la situation a dangereusement dégénéré, ce qui a contribué largement à son
internationalisation. Et d'ailleurs, dans la conférence de presse conjointe du président français,
M. François Hollande, et du président nigérien, M. Mahamadou Issoufou, ce dernier dira une
phrase lourde de sens : «Qui met la main sur l'Afrique, met la main sur l'Europe et donc sur le
Monde» 2
.
Les théoriciens réalistes pensent les relations internationales en terme de puissance
qu’elle soit considérée comme une fin, un moyen ou une cause. Il sera essentiel d'analyser les
agissements des officiels français tant dans leurs discours que dans leurs décisions à la
lumière de cette notion de puissance.
1
Ibid., p. 125.
2
Conférence de presse avec M. Mahamadou ISSOUFOU, président de la République du Niger, 11 juin 2012, en
ligne: <http://www.elysee.fr/conferences-de-presse/article/conference-de-presse-conjointe-de-m-le-president-de-
la-republique-et-de-m-mahamadou-issoufou-president-de-la-republique-du-niger/>, consulté le 21 avril 2013.
- 22 -
Pour autant, la théorie réaliste classique n’intègre pas suffisamment la subjectivité de
la définition des intérêts étatiques. Focalisant les recherches autour de la recherche de
puissance, nous nous trouvons avec ce paradigme dans une ontologie politique matérialiste
n’accordant que peu de place aux perceptions des menaces que peut avoir l’Exécutif politique
qui prend les décisions. Or, si à l’instar du réalisme classique, les réalistes néoclassiques
intègrent la variable systémique (impliquant notamment la distribution de la puissance
matérielle entre Etats par exemple) comme étant une variable explicative importante de la
politique étrangère d’un Etat, il n’en demeure pas moins que les facteurs idéels et
internes (Innenpolitik) soient également à l’origine des décisions et actions de l’Etat. Ces
facteurs internes sont la perception et les calculs des leaders ainsi que la capacité d’extraction
des ressources de la société pour les affecter à la politique étrangère. Impossible en revanche
d’ignorer le lien avec le réalisme classique. En effet, les théoriciens réalistes néoclassiques
reprennent Raymond Aron en situant le chef du pouvoir exécutif à la jonction entre l’Etat et le
système international, et reconnaissant que, du fait qu’il détienne de l’information privilégiée
provenant de l’appareil politico-militaire de l’Etat (« Exécutif de sécurité nationale»), il est le
mieux placé pour percevoir les contraintes systémiques et de fait, en déduire l’intérêt
national1
. Le réalisme néoclassique pose le postulat selon lequel la politique étrangère et la
politique de sécurité d’un Etat sont entrainées par la position de l’Etat dans le système
international et par ses capacités relatives. Ces capacités ont un impact complexe sur la
politique choisie dans la mesure où la pression systémique est traduite à travers des variables
intermédiaires telles que la culture stratégique, la perception des leaders, les relations entre
l’Etat et la société ou encore la nature du système politique interne2
. Le chef de l’Exécutif est
un acteur crucial dans la définition de l’intérêt national. Il a son propre avis et sa propre
perception de ce qu’est cet intérêt, de ce qui est le mieux pour l’Etat3
. Pour Colin Dueck qui
propose précisément un modèle théorique réaliste néo-classique de l’intervention militaire, le
chef de l’Exécutif a nécessairement des intérêts en jeu dans la décision d’intervention mais
cela ne veut pas dire pour autant que la décision est exclusivement motivée par ces intérêts4
.
En effet, il est ensuite question du poids de l’opinion publique qui peut décider de punir, de
façon électorale, le chef de l’Exécutif, si elle se rend compte que ce dernier a pris une décision
1
TALIAFERRO Jeffrey W., LOBELL Steven E., RIPSMAN Norrin M., « Introduction : Neoclassical realism,
the state and foreign policy », in TALIAFERRO Jeffrey W., LOBELL Steven E., RIPSMAN Norrin M.,
Neoclassical realism, the state, and foreign policy, Cambridge University Press, 2009, p. 25.
2
TOJE Asle, KUNZ Barbara, « Introduction : neoclassical realism in Europe », in TOJE Asle, KUNZ Barbara,
Neoclassical realism in European politics, Manchester, Manchester University Press, 2012, p.4.
3
DUECK Colin, « Neoclassical realism and the national interest : presidents, domestic politics, and major
military interventions », in., LOBELL Steven E., RIPSMAN Norrin M., TALIAFERRO Jeffrey W, op.cit, p.144.
4
Ibid, p. 145.
- 23 -
a priori impopulaire (faire la guerre via l’intervention militaire) parce qu’il était motivé
uniquement par ses intérêts personnels1
. Mais ces derniers font partie des variables permettant
la prise de décision dans la mesure où les menaces qui sont à l’origine de la décision de
l’intervention ne sont pas tout à fait subjectives. Selon Colin Dueck, le président doit y
répondre avec discrimination, c’est-à-dire avec des considérations subjectives2
. Les
contraintes externes exercées par le système international et les contraintes internes de
perception de la menace et dues à des considérations de politique interne (contraintes exercées
par les groupes d’intérêts, l’opinion publique, les normes, les pressions électorales, les
prérogatives législatives, c’est-à-dire, toutes les contraintes dues au système démocratique)
sont donc à prendre en compte lors de l’analyse d’une décision d’intervention3
. Le pouvoir
Exécutif dispose d’une certaine autonomie pour prendre la décision, formuler et poursuivre
les buts fixés dans le cadre de la politique étrangère et même si les contraintes internes jouent
sur la prise de décision par le chef de l’Exécutif, celui-ci a la capacité de faire faiblir, par sa
décision, les contraintes internes qui pèsent sur lui4
. La question empirique qui se pose est
donc de savoir pourquoi le président décide d’intervenir militairement dans un conflit hors de
son territoire. S’il peut être poussé par des considérations internes, il ne peut se prévaloir
d’une telle justification exclusive. Il se doit par contre de provoquer un support politique
interne, de la part de « l’opinion publique », et ceci, pour C. Dueck, passe par la simplification
de la rhétorique utilisée pour expliquer la situation d’une part, et la décision prise d’autre
part5
. Ici encore, nous voyons l’intérêt d’étudier les discours politiques prononcés par
l’appareil exécutif de la France dans sa justification de la prise de décision du lancement de
l’opération Serval et de son maintien dans le temps. Le modèle réaliste néoclassique de
l’intervention militaire proposé par Colin Dueck semble donc plutôt bien adapté à notre
question de départ et donc à notre problématique (et ce, même si ce que propose C. Dueck
reste une théorisation américano-centrée6
).
Une intégration plus poussée encore de la dimension idéelle de la politique
internationale est repérable dans l’approche constructiviste. C’est pourquoi nous trouvons
approprié d’analyser également notre cas à la lumière du constructivisme. Le constructivisme
pousse plus loin encore le débat agence-structure, c’est-à-dire des contraintes du système
1
Ibid.
2
Ibid.
3
Ibid, p. 147.
4
Ibid.
5
Ibid, p.148.
6
De fait, nous nous livrerons ici à un travail de transposition de sa théorie au cas français.
- 24 -
international comme vu dans la théorie réaliste, mais en rajoutant les considérations propres à
l’agent, celui qui décide et qui se meut dans ces contraintes externes. C’est cette dimension
idéelle dans la définition des intérêts propre à l’agent qui manquait dans les théories réalistes
et que le constructivisme tend à compléter1
. Si l’on peut observer chez les réalistes
néoclassiques l’interaction entre la structure du système international et les agents du système
international, le constructivisme en donne des explications plus développées pour déterminer
comment est défini l’intérêt national et par là même répondre à la question empirique de
savoir pourquoi la décision est prise d’intervenir militairement dans un conflit sur un territoire
qui n’est pas celui du protagoniste qui s’ingère. Le constructivisme s’intéresse à la
construction sociale de la nature des politiques internationales2
. Ontologiquement parlant, il
envisage l’être humain comme un être social plutôt qu’un être systématiquement guidé par
des choix rationnels. Marta Finnemore cherche ainsi à développer un modèle théorique
constructiviste de l’intérêt national par une approche systémique, en vue de comprendre les
intérêts des Etats et leurs actions, selon une conception de la structure internationale non pas
en terme de puissance mais de significations et de valeurs sociales dans laquelle se trouvent
les agents3
. Pour Marta Finnemore, il est évident que le système international exerce une
contrainte sur les Etats mais ces derniers ne savent pas ce qu’ils désirent par avance. Leurs
préférences sont malléables4
dans la mesure où ils se trouvent dans un système de normes et
de valeurs, qui changent elles-mêmes au gré du temps. Selon Marta Finnemore, le système
change ce que veulent les Etats, et de fait, crée de nouvelles normes et intérêts pour les acteurs
en changeant leurs préférences et non pas en les contraignant5
. Les préférences sont
endogènes et influencées par les normes sociales, les rôles et la culture, les discours et
l’histoire.6
Les normes sont des standards sociologiques où des attentes sont partagées par
rapport à un même comportement que doit avoir une communauté d’acteurs. Certaines de ces
normes sont tellement internalisées qu’il est difficile de savoir si elles ont été violées ou non7
.
non7
. Les normes que l’on peut trouver dans les discours8
nous permettent alors de justifier la
1
FINNEMORE Marta, « Defining state interests », in FINNEMORE Marta, National interests in international
society, Cornell University Press, 1996, p.6.
2
Ibid, p.3.
3
Ibid, p.2.
4
Ibid, p.11.
5
Ibid, p. 5.
6
Ibid, p. 15.
7
Ibid. p. 23.
8
Ibid.
- 25 -
la pertinence d’une analyse de discours dans notre étude sur l’intervention française au Mali1
.
Les décideurs politiques vont justifier leur action par les normes socialement partagées ou
bien encore persuader les autres d’agir ou d’accepter l’action notamment par le discours qui
l’accompagne2
. Marta Finnemore ne dit donc pas que les normes seules comptent et pas les
intérêts, ou que les premières sont plus importantes mais selon sa thèse, les normes
déterminent les intérêts3
. Le constructivisme est pertinent dans notre cas parce qu’il représente
représente une approche théorique complémentaire et très compatible avec le réalisme néo-
classique. C’est une approche plus « subjectiviste », permettant de découvrir les liens entre les
forces structurelles et les agents (« co-constitution » agence-structure). Les variables idéelles
sont dès lors aussi importantes dans la construction de l’intérêt national que les variables
matérielles du réalisme. Les constructivistes se concentrent sur la structure idéelle du système
international alors que les réalistes donnent plus d’importance à la structure matérielle du
système (les Etats agissent avec la puissance matérielle dont ils disposent). En revanche les
constructivistes (et c’est en cela que nous pensons qu’il est pertinent d’analyser le phénomène
sous cet angle) sont guidés par des normes qui définissent les identités des acteurs qui ont le
pouvoir de décision et d’action dans le système international4
. Cela sans exclure une approche
approche plus matérialiste avec les théories réalistes (d’où le choix de la triangulation
théorique). En effet, selon A. Wendt, « [i]l ne s’agit pas de dire que les idées sont plus
importantes que la puissance et l’intérêt, ou qu’elles sont autonomes vis-à-vis de ces derniers.
Tous trois sont aussi importants les uns que les autres »5
. Pour lui, la puissance et l’intérêt
sont nourris par les idées et ne sont donc pas exclus d’une explication idéationnelle des
relations internationales dans lesquelles ils s’intègrent6
.
Lorsque l’agent décide d’intervenir, c’est l’intervention en elle-même qu’il faut
analyser. Est-elle légitime ? Qui a décidé d’intervenir et sous quelles conditions ? Qu’est ce
1
A propos des discours politiques A. Klotz et C. Lynch mettent en évidence que les « politiques de discours,
comme les déclarations, les débats politiques secrets, et les interviews », sont compatibles avec les formulations
des études de sécurité positivistes et post-positivistes. Les discours peuvent être parlés ou non parlés comme les
textes de lois, traités, conventions, négociations... En effet, ces études de langage (écrits ou non) peuvent montrer
l’existence de « compréhensions intersubjectives particulières ». C’est tout à fait ce que nous cherchons dans
notre démarche. Comprendre comment la rhétorique est utilisée pour cacher certains points délicats et faire en
sorte que la population se rallie à la cause politique en question. Cf. KLOTZ Audie, LYNCH Cecelia, Strategies
for research in constructivist international relations, New-York, M.E. Sharpe, 2007, p. 18-19.
2
Ibid, p. 24.
3
Ibid, p. 27.
4
FARRELL Theo, « Constructivist security studies : portrait of a research program », International studies
review, vol. 4, n°1, winter 2002, p.52.
5
WENDT Alexander, Social theory of international politics, Cambridge, Cambridge university press, 2006, p.
135.
6
Ibid.
- 26 -
qui est à l’origine de la décision ? Autant de questions que les auteurs se posent en général
mais peu s’intéressent au concept en lui-même. Nous allons en revanche d’avantage
rencontrer des études sur l’adjectif accolé au concept. Nous trouvons alors des analyses sur
l’intervention « humanitaire », « militaro-humanitaire », etc. Marta Finnemore n’envisage
pas un évènement en se demandant si c’est une intervention ou pas. Cependant, elle préfère
regarder ce que les agents conçoivent comme étant une « intervention ». Elle se demande
ensuite, de façon inductive si il s’agit bien d’une intervention ou pas. Mais cette démarche
semble rencontrer quelques obstacles épistémologiques notamment parce qu’il s’agit de la
conception exclusive de l’individu par rapport à l’évènement. Il a ses propres perceptions.
Nous préfèrerons alors une approche réaliste néoclassique. Il nous faut en effet une définition
ou une conception nette qui distinguerait de façon analytique les pratiques et les buts d’un tel
évènement1
.
C’est la justification de l’intervention qui passe par la rhétorique qui sera au cœur de
notre analyse dans la mesure où le président de la République à la tête de l’action s’est efforcé
de légitimer son action auprès de l’opinion publique interne et internationale. Malgré le fait
que nous soyons dans le cadre d’une intervention autorisée par une résolution du Conseil de
Sécurité de l’ONU, il apparaîtra nécessaire de chercher à savoir si l’instrumentalisation de la
peur par le discours a pu justifier l’intervention bien que légitimée antérieurement par la
résolution, afin de défendre en fait des intérêts matériels pour la France. En effet, nous
assistons en matière de lutte anti-terroriste à une « surestimation » (instrumentale) de la
menace, c’est-à-dire à une focalisation des élites sur une menace particulière conférant un
caractère d’urgence aux politiques d’élimination de celle-ci2
. Les réalistes attachent cette
« surestimation de la menace » au caractère d’incertitude qui touchent les décideurs politiques
vis-à-vis des agissements des autres Etats3
. Il convient cependant d’ajouter que les décideurs
politiques se font une représentation de la menace comme ils se font une représentation de
l’intérêt national par exemple. Ils en ont une idée subjective, propre à chacun. Les tenants de
la théorie constructiviste précisent d’ailleurs que la menace est ce que l’on en fait. Les
menaces existent objectivement mais les normes et identités partagées par les agents ont un
1
REUS-SMIT Christian, « The concept of intervention », Review of international Studies, vol. 39, n° 15,
december 2013, p.1064.
2
MUELLER John, «Inflating terrorism », in THRALL Trevor A., CRAMER Jane K. (eds), American foreign
policy and the politics of fear : threat inflation since 9/11, New York : Routledge, 2009, p.2.
3
Ibid, p. 4.
- 27 -
rôle à jouer dans la perception de la menace et de ce fait, dans les mécanismes de
surexposition et de surestimation de la menace terroriste1
.
Arrivés au terme de nos considérations théoriques, il semble que l’inscription de notre
analyse dans une démarche de triangulation théorique soit pertinente. En effet, réalisme et
constructivisme ne sont pas incompatibles. Si le réalisme avance que les hommes cherchent
toujours à défendre leurs intérêts, et, par extension, les Etats, leur intérêt national, ils ne
présupposent pas que les normes soient immuables2
. Pour Jean-Jacques Roche, le
constructivisme s’intéresse aux mêmes objets que le réalisme3
. Pourtant le réalisme est a
priori exclusivement matérialiste. Cependant, la conception contraire au constructivisme selon
laquelle les Etats sont rationnels et unitaires et que seules les capacités matérielles sont
pertinentes, « n’est en réalité défendue par personne » selon Jeffrey Legro et Andrew
Moravcsik4
. Le réalisme classique progressiste du milieu du XXe siècle est compatible avec
le constructivisme dans la mesure où il n’est pas rationaliste dans le sens où il faudrait
appliquer des règles à des situations politiques mais où il faut selon S. Barkin « penser la
politique telle qu’elle est et qu’elle a historiquement été »5
. De plus, si les réalistes classiques
comme Morgenthau ou Wolfers accordent une grande importance aux facteurs matériels et
notamment à la capacité militaire, ils ne rejettent pas pour autant la pertinence des facteurs
non matériels6
, facteurs que le constructivisme prend en compte de façon beaucoup plus
appuyée. Ajoutons également que, dans cette idée que les deux écoles sont pour partie
ontologiquement compatibles, réalisme classique et constructivisme partagent une même
« logique du social » selon laquelle « le comportement humain ne peut raisonnablement pas
être étudié en dehors de structures sociales au sein desquelles il se trouve, et qui lui donnent
son sens »7
. Dans notre cas, l’architecture théorique hybride que nous avons adopté consiste à
1
Ibid, p. 9-10.
2
JEANGENE-VILMER Jean-Baptiste, La guerre au nom de l’humanité. Tuer ou laisser mourir, Paris, Presses
Universitaires de France, 2012, p.26.
3
Ibid., p. 27.
4
Ibid., p. 27.
5
Ibid., p. 28.
6
Ibid., p.30.
7
Ibid.. p. 31.
- 28 -
à connecter le réalisme néo-classique au constructivisme par le biais de l’utilisation d’un
opérateur analytique commun qu’est le concept d’intérêt national1
.
A partir des cadres conceptuels et théoriques mis en place, notre question de départ est
reformulée à partir des opérateurs analytiques suivants : intérêts, intervention, et leurs
dimensions matérielles et idéelles, et systémiques et internes respectives. Le concept principal
d’intérêt national a plusieurs dimensions et composantes. Nous décomposerons le concept en
deux dimensions : matérielle (à savoir de définir l’intérêt national pour l’utiliser comme un
moyen de puissance afin de garder sa place sur le Continent Noir politiquement et
économiquement) et idéelle (l’intérêt national tel qu’il est définit étant alors un fait
socialement constitué pouvant servir de justification, voire de légitimation des politiques
entreprises qui ne relèvent pas, objectivement, de l’intérêt national en terme de sécurité vis-à-
vis de la menace terroriste qui pèserait sur la France). L’intervention est quant à elle la
variable dépendante du phénomène. Elle est le fruit d’une décision politique prise par le
pouvoir exécutif qui a du composer avec les variables indépendantes que sont la menace
terroriste (effective et surestimée) et l’opinion publique qui agit en tant que contrainte sur
l’Exécutif. Alors, nous nous poserons la question de savoir comment, pourquoi et à quel
degré les dimensions matérielles et idéelles, systémiques et internes, composant les intérêts
nationaux et de sécurité sous-jacents de l’opération Serval, influencent la rhétorique de
justification officielle de cette intervention militaire par l’Exécutif de sécurité nationale
français ?
Afin de répondre à cette question, nous avons construit un corps d’hypothèses qui
nous permettra de développer une analyse où nos concepts seront utilisés à la lumière des
évènements sur le terrain dont il est question.
Hypothèse principale
Les motivations de la France à participer à l’action multinationale d’opération
militaire au Mali et à la légitimer par l’utilisation d’une rhétorique inflationniste de la
1
A ce sujet, J-B Jeangène Vilmer explique que si les « matérialistes affirment que le pouvoir (militaire
économique, dérivé des ressources naturelles, du poids démographique, etc.) et l’intérêt (défini comme le désir
des Etats pour le pouvoir, la sécurité et la richesse) dirigent la politique étrangère », le constructivisme accepte
cela (c’est ce qui fait le lien de compatibilité entre le constructivisme et le réalisme) mais « ajoute que la
signification de « pouvoir » et « intérêt » n’est pas essentialiste : l’identité vient avant l’intérêts ». C’est ce
qu’explique A. Wendt lorsqu’il avance que les explications basées sur le pouvoir et l’intérêt [c’est-à-dire le
réalisme] présupposent des idées, et de ce point de vue ne sont pas du tout concurrentes des explications basées
sur les idées [c’est-à-dire l’idéalisme] » : cf. JEANGENE-VILMER Jean-Baptiste, op.cit, p. 30-31.
- 29 -
menace terroriste procède de sa volonté de défendre ses intérêts matériels stratégiques et
économiques dans sa zone d’influence traditionnelle que représente le continent africain.
Hypothèses secondaires
 La rhétorique de surestimation volontaire de la menace par l’Exécutif de
sécurité nationale, mettant en lumière le danger qui pèse sur l’intérêt national
français, est utilisée dans le but de rallier l’opinion publique à la décision de
mise en œuvre et de maintien de l’intervention militaire au Mali.
 La rhétorique de dissimulation d’un quelconque intérêt économique pour
s’assurer le ralliement de l’opinion publique est employée afin de ne pas
dévoiler les enjeux stratégiques existants du fait de la concurrence d’Etats
étrangers sur les marchés miniers et énergétiques.
Dans le cadre des nouvelles « guerres » du XXIème siècle, l'illustration des enjeux de
l'intervention française au Mali est pertinente à analyser. En effet, il s'agit d'une puissance
occidentale qui s'ingère dans les affaires d'un pays qui est une de ses anciennes colonies et
avec laquelle les relations économiques, politiques, de développement etc. sont toujours
présentes. L'intervention se fait non pas dans le but de mener une guerre classique mais une
guerre contre des groupuscules désignés comme étant terroristes sévissant dans le pays en
question. S'il n'y a pas guerre à proprement parler, nous pouvons nous interroger sur la finalité
de l'intervention française, savoir s’il est légitime d'envisager de « gagner » une guerre qui
n'en est pas une et donc de se retirer du pays une fois l'effort de guerre accompli, savoir si au
contraire cela n'est pas une couverture afin de protéger des intérêts en danger du fait de la
déchéance d'un gouvernement avec lequel les diplomates français avaient de bonnes relations
(cf. Coup d'Etat qui a renversé l'ancien président). Toutes ces questions sont à traiter dans la
mesure où la France vient encore de s'engager dans une intervention extérieure en République
Centrafricaine. L'affaire du Mali, bien que récente, présente des enjeux du point de vue de la
science politique. Au delà de la mise en œuvre de puissance matérielle, la politique de défense
est porteuse d’idées politiques souvent mises en retrait car la seule chose que l’on voit à priori
lorsqu’un pays entre en guerre c’est le nombre de soldats et sa qualité d’armement1
. Ce sont
ces idées qui vont nous permettre de comprendre le phénomène étudié. Le but étant de
1
VENNESSON Pascal, « Idées, politiques de défense et stratégie : enjeux et niveaux d’analyse », Revue
Française de Science politique, vol. 54, n°5, octobre 2004, p.752.
- 30 -
chercher à faire apparaître des enjeux officiels et officieux que la France avoue ou non
derrière le rôle qu'elle se donne à raison ou à tord de « nation des droits de l'homme » et de
combattante contre les nouvelles formes de violence comme le terrorisme.
Notons que pour mener à bien notre recherche nous avons recueillis des preuves
empiriques (sources primaires) telles que les discours et les documents officiels pour valider
ou invalider nos hypothèses et estimer le degré de validité de la partie du cadre théorique
correspondant à chaque hypothèse. Une autre étape consiste à interpréter ces tests empiriques
grâce à des sources secondaires sélectionnées de façon pertinente (soit des articles de
journaux, soit des articles scientifiques dont les auteurs correspondent au courant de recherche
du cadre théorique choisi). Les recherches ont cependant rencontré certains obstacles. Si nous
pouvons aujourd’hui compter sur la publication progressive d’ouvrages et d’articles
scientifiques sur le sujet, le caractère récent de l’évènement ne permet sans doute pas d’avoir
le recul nécessaire pour pouvoir espérer obtenir toutes les réponses souhaitées. La situation
problématique malienne n’est certes pas récente (les conflits touarègues datent de centaines
d’années), mais pour ce qui est de l’intervention française en elle même, celle-ci étant jeune
d’un peu plus d’une année maintenant, nous ne pouvons pas espérer une multitude de
réflexions scientifiques poussées sur le sujet. En effet, elles commencent à peine à fleurir. En
revanche, il est plus question d’un comportement général d’une France interventionniste sur
le Continent Noir avec le cas d’espèce malien, donc nous pouvons raisonnablement penser
arriver à certains résultats. Malgré tout, les techniques d'observation utilisées ont apporté
quelques réponses. Nous avons recueilli des données empiriques grâce à un petit nombre
d'ouvrages théoriques, d'ouvrages collectifs, d'ouvrages de scientifiques ou d'experts
militaires comme Jean Fleury, conseiller de François Mitterrand et chef d'état major de
l'armée de l'Air pendant la première guerre du Golfe. Le tout étant de récolter des preuves
empiriques afin de tester nos hypothèses. Les revues spécialisées ont été une riche mine
d'informations pour compléter nos analyses. Les documents officiels ont été un passage obligé
pour rendre compte du discours officiel français (site internet du Quai d'Orsay et Livres
Blancs notamment). Nous avons également étudié de près, interviews, conférences de presse
et autre programmes audio-visuels ayant diffusé les discours d'officiels, français et africains.
Il a fallu, avec toute la difficulté qu'implique l'interprétation des discours, prendre du recul par
rapport aux impressions spontanées dues à l'écoute ou la lecture des discours, ainsi que par
rapport à toute opinion que nous aurions pu avoir sur le gouvernement en place actuellement
et son action. L'usage de telles interviews et apparitions de décideurs politiques est justifié par
- 31 -
le fait qu'il nous aurait été évidemment impossible d'interviewer directement ces officiels
(comme le Président de la République française, les diplomatiques africains, ministres, etc.).
En tant que chercheur, nous avons fait face à des difficultés matérielles nous empêchant de
réaliser tout déplacement dans les lieux de prises de décisions de politique étrangère. Nous
essaierons donc d’interpréter les discours et interviews rapportés dans diverses sources en
prenant en compte le fait que l'interprétation et la retranscription faite par celui qui a diffusé
les informations ont déjà pu altérer les propos de ces personnalités (sorties de contextes,
paroles délibérément supprimées, etc.).
Compte tenu des types de matériaux empiriques accumulés, nous réaliserons une
analyse de contenu (qui sera donc plus précisément une analyse de discours). En effet, dans
l’optique d’analyse de surestimation de la menace terroriste, la rhétorique utilisée par
l’Exécutif semble être d’un poids considérable. La vie politique est ponctuée de discours et
débats afin de rendre accessible l’information et les idées à l’opinion publique, souvent dans
un but électoral à terme1
. La communication fait partie de notre quotidien tant privé que
public et dans cette intention permanente de communiquer, il y a un objectif à atteindre :
« [...] rendre manifestes à un destinataire les informations essentielles. »2
. Nous nous trouvons
dans un système de persuasion où le locuteur va « se montrer persuasif pour convaincre son
interlocuteur du bien-fondé des idées qui lui semblent déterminantes »3
. Du fait du caractère
impopulaire de l’évènement en question, l’intervention (ou la guerre), il est important pour le
décideur politique, en l’occurrence, le chef de l’Etat, de légitimer la décision4
. Les décideurs
ont pour but de construire un support interne et pour ce faire vont utiliser le discours politique
comme outil. Ils vont par exemple simplifier la situation par la rhétorique afin d’obtenir le
soutien nécessaire5
.
Dans le cadre de notre recherche, limités par le temps notamment, nous avons fait le
choix d’analyser des discours retranscrits à l’écrit et donc d’évacuer une analyse visuelle qui
n’en demeurerait pas moins pertinente. De plus, nous avons choisi de nous limiter au noyau
dur6
de l’Exécutif de sécurité nationale1
tout en privilégiant quand même les allocutions du
1
BEHAGUE Dominique, Le jeu de séduction dans les discours politiques, Paris, L’Harmattan, 2012, p.15.
2
Ibid, p.11.
3
Ibid.
4
Colin DUECK, « Neoclassical realism and the national interest : presidents, domestic politics, and major
military interventions », in Jeffrey W. TALIAFERRO, Steven E. LOBELL, Norrin M. RIPSMAN, Neoclassical
realism, the state, and foreign policy, Cambridge, Cambridge University Press, 2009, p 143.
5
Ibid, p. 148.
6
François Hollande, Jean-Marc Ayrault, Jean-Yves le Drian, Laurent Fabius.
- 32 -
président de la République dans la mesure où il est le décideur ultime, le chef des armées2
. Il
s’agira donc d’une analyse de contenu non pas pour comprendre le fonctionnement du
langage en tant que tel, mais pour tenter de comprendre comment la rhétorique est utilisée à
des fins de persuasion de l’opinion publique. « Le choix des termes utilisés par le locuteur,
leur fréquence et leur mode d’agencement, la construction du « discours » et son
développement constituent des sources d’information à partir desquelles le chercheur tente de
construire une connaissance.» 3
. C’est effectivement dans ces allocutions publiques que nous
pourrons trouver la preuve de l’existence de normes. Ce travail est sans aucun doute le
challenge à relever par les chercheurs. Il s’agit de prouver l’inobservable : la présence de
normes entraînant des comportements particuliers4
. Nous réaliserons donc, à partir des
discours choisis en fonction de leur importance depuis le 11 janvier 2013, une analyse
thématique catégorielle. Nous calculerons et comparerons les fréquences de thèmes évoqués
dans les discours. Cette analyse quantitative « se fonde sur l’hypothèse qu’une caractéristique
est d’autant plus importante pour le locuteur qu’elle est fréquemment citée »5
. Afin de
faciliter et de rendre plus pratique vis-à-vis du temps qui nous est imparti pour réaliser
l’analyse, nous utiliserons logiciel Tropes V.F 8.4a, avec lequel nous pourrons mesurer la
richesse lexicale des discours en établissant la fréquence des termes utilisés que nous aurons
auparavant catégorisés sous des thématiques précises6
.
1
Ce choix est justifié par le rôle important joué par l’Exécutif de sécurité nationale qui se trouve à la frontière de
l’Etat et du système international, et ayant un accès privilégié à l’information. De ce fait, ce corps exécutif est le
mieux placé pour percevoir les contraintes et déduire l’intérêt national. Cf. Jeffrey W. TALIAFERRO, Steven E.
LOBELL, Norrin M. RIPSMAN, op.cit, p.25.
2
Article 15 de la Constitution du 4 octobre 1958, Constitution de la République française, texte intégral présenté
par Ferdinand MELINSOUSCRAMANIEN, Dalloz, 2009.
3
Raymond QUIVY, Luc Van CAMPENHOUDT, Manuel de recherche en sciences sociales, Paris, Dunod,
1997, p.206.
4
FARRELL Theo, « Constructivist security studies : portrait of a research program », International studies
review, vol. 4, n°1, winter 2002, p.60. Theo Farrell énonce ici la liste des matériaux dans lesquels nous pouvons
prouver l’existence de normes à savoir par exemple les lois internationales, les documents confidentiels, les
décisions juridiques de corps légaux internationaux, les sondages d’opinions ou encore, donc, les allocutions
publiques.
5
Ibid, p.208.
6
Tropes a été développé par Pierre Molette et Agnès André en 1994 sur la base des travaux de Rodolphe
Ghiglione. Le logiciel propose plusieurs analyses dont le style du texte. Il permet de comptabiliser les
récurrences par univers de référence (grands thèmes), il catégorise les mots par verbes, modalisations, adjectifs,
connecteurs et pronoms personnels sous forme d’indices. Cf. BEHAGUE Dominique, Le jeu de séduction dans
les discours politiques, Paris, L’Harmattan, 2012, p. 24.
- 33 -
Parmi les sources primaires recensées, nous nous arrêterons plus particulièrement sur
quatre d’entre elles dans la mesure où elles nous semblent être en adéquation avec le type de
questionnements que nous nous posons :
- Les discours officiels des présidents ou membres de gouvernements qui ont pris une
place importante dans le soutien de l’opération Serval à travers le temps.
- Le Rapport d'information n°513 du Sénat (enregistré à la Présidence du Sénat le 16
avril 2013) fait au nom de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces
armées par le groupe de travail «Sahel», en vue du débat et du vote sur l'autorisation de
prolongation de l'intervention des forces armées au Mali selon l'article 35 de la Constitution.
Ce rapport fait état du discours officiel, justifie l'intervention par rapport à la France elle-
même et aux maliens assurant que la France n’a pas vocation à rester au Mali. Il expose les
arguments de justification de l’engagement de la France dans la « guerre au Mali ».
- Les Livre Blanc1
exposant la doctrine stratégique à partir de laquelle s’articule le
discours officiel français qui nous permet de comprendre les actions du gouvernement. Les
documents officiels sont incontournables dans notre recherche car du discours officiel dépend
les informations que l'on peut espérer trouver par la suite.
- Les sites Internet officiels gouvernementaux (du Ministère de la défense ou des
affaires étrangères par exemple) constituent une source primaire donnant un aperçu quant aux
orientations gouvernementales pour les ministères.
Le résultat de ce test a été organisé dans le cadre d’une démonstration reposant sur le
plan suivant :
La première partie traitera exclusivement des justifications officielles de l’intervention
à travers les discours et le phénomène de l’inflation de la menace terroriste. Il s’agira ici de
tester la première hypothèse. La seconde partie qui aura pour but de tester l’autre hypothèse
1
LONG Marceau, BALLADUR Edouard, LEOTARD François, Livre Blanc sur la Défense 1994, Paris, La
Documentation française, 1994. ‒‒ Secrétariat général de la défense nationale, La France face au terrorisme.
Livre blanc du Gouvernement sur la sécurité intérieure face au terrorisme, Paris, Documentation française,
2006. ‒‒ JUPPE Alain (Prés.), SCHWEITZER Louis, La France et l'Europe dans le monde. Livre Blanc sur la
politique étrangère et européenne de la France 2008-2020, Paris, La Documentation française, 2008. ‒‒ JUPPE
Alain, SCHWEITZER Louis, Livre Blanc sur la politique étrangère et européenne de la France 2008 - 2020,
Paris, Documentation française, 2008. ‒‒ MALLET Jean-Claude, Défense et sécurité nationale: le Livre blanc,
Paris, La Documentation française, 2008.
- 34 -
traitera des enjeux matériels et particulièrement économiques défendus mais cachés derrière le
ralliement de l’opinion publique à se battre contre le terrorisme.
- 35 -
PREMIERE PARTIE
LES FACTEURS IDEELS, SYSTEMIQUES ET
INTERNES, ENCADRANT L’UTILISATION DE LA
RHETORIQUE DE JUSTIFICATION OFFICIELLE DE
L’INTERVENTION MILITAIRE FRANÇAISE AU
MALI.
Mémoire de recherche : La rhétorique de justification des interventions militaires dans le système international contemporain : le cas de l’opération française Serval au Mali
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  • 1. MARTINEZ Pauline Master 2 de Science politique - Relations internationales et politiques de sécurité Année universitaire 2013/2014 LA RHETORIQUE DE JUSTIFICATION DES INTERVENTIONS MILITAIRES DANS LE SYSTEME INTERNATIONAL CONTEMPORAIN : LE CAS DE L’OPERATION FRANCAISE SERVAL AU MALI DIRECTEUR DU MEMOIRE : M. Jean-Vincent HOLEINDRE UNIVERSITE TOULOUSE 1 CAPITOLE 2 rue du Doyen-Gabriel-Marty - 31042 Toulouse cedex 9 - France - Tel. : 05 61 63 35 00 - Fax : 05 61 63 37 98 - www.ut-capitole.fr
  • 2. - 2 - LA RHETORIQUE DE JUSTIFICATION DES INTERVENTIONS MILITAIRES DANS LE SYSTEME INTERNATIONAL CONTEMPORAIN : LE CAS DE L’OPERATION FRANCAISE SERVAL AU MALI
  • 3. - 3 - Je tiens à remercier mon directeur de mémoire Jean-Vincent Holeindre pour avoir accepté de suivre mon travail ainsi que pour sa disponibilité. Je remercie également Alexandre Durgue pour son aide durant ces deux dernières années de recherches. Merci à Vincent pour son soutien et sa patience.
  • 4. - 4 - INTRODUCTION GENERALE « Grâce à l’opération Serval qui achève sa tâche, il n’y a plus de sanctuaire pour les groupes terroristes au Mali. C’est une mission qui a été parfaitement accomplie » a déclaré le chef de l’Etat, François Hollande, le 13 juillet dernier dans son allocutions aux armées1 . L’opération Serval, lancée en janvier 2013 au Mali pour lutter contre les groupes djihadistes aurait donc été «réussie en tous points, du début jusqu’à la fin»2 . Remplacée par l’opération Barkhane, Serval aura duré plus d’un an et soulève de nombreuses questions quant à ses motivations profondes. Le Mali a connu plusieurs grandes étapes dans son histoire et notamment trois périodes d'empires. Le premier, l'Empire du Ghana, s'est érigé au IV siècle et était principalement fondé sur la production de sel et d'or. Suite aux percées berbères qui ont installé l'Islam en Afrique occidentale, l'Empire est tombé. C'est au XI siècle que l'Empire du Mali est créé, reposant quant à lui sur le commerce transsaharien du cuivre, du sel, de l'or et des étoffes. Il sera remplacé par l'Empire Songhaï, qui sera démantelé en 1591, laissant place à une mosaïque de petits Etats. Le Mali actuel est une ancienne colonie française, le Soudan français. C'est à partir de 1878 que le premier territoire est conquis par la France. Pour assurer sa domination, la France a mis en place un système centralisé. Le Soudan français s'est ensuite joint au Sénégal pour former la Fédération du Mali en 1985. En 1960, l'indépendance du Mali est proclamée. Une partie de la population malienne est composée de Touaregs. Peuples sédentaires, ils sont à l'origine de rébellions marquant l'histoire du pays. En effet, ils prônent une reconnaissance de leur peuple par le gouvernement malien. Reconnaissance qui pourrait notamment se caractériser par une reconnaissance de territoire, à savoir l'Azawad, partie du nord du pays qu'ils occupent en majorité. Cette population touarègue, dont nous parlerons plus tard, a une rancœur contre la France qui, durant la décolonisation, a été totalement inactive vis-à-vis d'eux. Les années suivant la décolonisation marquent une orientation socialiste donnée au pays par Mobido Keita, le président. Renversé par un coup d'Etat en 1968, Keita est remplacé par Moussa Traoré qui restera au pouvoir jusqu'en 1991. Durant cette période, le pays est gouverné de façon autoritaire. Il y demeure un climat 1 AFP, « Mali : la mission de l’opération Serval « parfaitement accomplie » », Le Point.fr, 13 juillet 2014, en ligne : < http://www.lepoint.fr/societe/mali-la-mission-de-l-operation-serval-parfaitement-accomplie-13-07- 2014-1845858_23.php>, consulté le 2 août 2014. 2 Allocution du président de la République, François Hollande, à l’hôtel de Brienne à l’attention du personnel du ministère de la Défense, 13 juillet 2013, en ligne : < http://www.defense.gouv.fr/actualites/articles/13-juillet- 2013-allocution-du-president-de-la-republique-a-l-hotel-de-brienne-video>, consulté le 2 août 2014.
  • 5. - 5 - d'instabilité (rébellions touarègues et contestations sociales) et de pauvreté, ce qui entrainera le renversement de Traoré. Son successeur, Alpha Oumar Konaré restera en place jusqu'en 2002, date à laquelle Amadou Toumani Touré (ATT) pris place en tant que président de la république jusqu'au coup d'Etat du 22 mars 2012. Capitaine de l'armée malienne et professeur d'anglais, Amadou Haya Sanogo, à la tête du coup d'Etat, a pris le pouvoir et est devenu le président du Comité national pour le redressement de la démocratie et la restauration de l'Etat. Pendant cette investiture de facto, le Mouvement National pour la Libération de l'Azawad (MNLA), organisation politique et militaire touarègue, a conquis la moitié nord du Mali et a déclaré l'indépendance de l'Azawad. Le coup d'Etat et l'auto proclamation d'indépendance dénoncés par la communauté internationale, Dioncounda Traoré a été nommé chef de l'Etat par intérim, le chef du gouvernement par intérim étant Diango Cissoko. Malgré tout, le Mali a souvent été considéré comme étant un modèle de démocratie en Afrique. Sur le plan de son insertion dans le système international, depuis son indépendance, le Mali a conservé des liens avec la France1 . Depuis le coup d'Etat du 22 mars 2012, la France a suspendu toutes ses coopérations régaliennes avec le Mali. La coopération s'orientait autour des priorités fixées par le Document cadre de partenariat du 7 juillet 2006 pour la période 2006-2010. Il s'agissait de coopération sur les domaines de l'éducation et de la formation, de l'eau et de l'assainissement et d'un appui au secteur productif. D'autres types de coopération sont également menés entre les deux pays, comme par exemple de l'aide octroyée par la France en matière de sécurité et de défense, une aide visant à renforcer les capacités de contrôle de la souveraineté de l'Etat malien dans la lutte contre le terrorisme et la criminalité organisée, etc.2 Le Mali, dans une perspective plus internationale, est membre de l'Organisation des nations unies et de l'Organisation mondiale du commerce. En 2013, le Mali se place au 38ème rang sur 177 Etats faillis3 (79ème en 2012). En effet, la crise politique et sécuritaire a marqué son économie. Les recettes de l'Etat ont diminué notamment à cause de la suspension de l'aide internationale (sauf pour les projets humanitaires et ceux touchant directement à la population). Cependant, l'aide reprend progressivement depuis l'adoption de la feuille de route par le Parlement malien, le 29 janvier 2013. 1 Il s'agit de relations politiques, économiques et de coopération. En ce qui concerne le versant politique de ces relations, de nombreuses visites bilatérales ont été organisées depuis. Du fait de raisons historiques et culturelles (avec la Francophonie) ou communautaires (avec une diaspora malienne importante en France), l'intensité de ces relations est plutôt importante. D'un point de vue économique, le commerce bilatéral est conséquent. La France n'est pas le premier investisseur étranger au Mali mais conserve une place prépondérante. 2 Site du Ministère des affaires étrangères: <http://www.diplomatie.gouv.fr/fr/pays-zones-geo/mali/la-france-et- le-mali/>, consulté le 3 mai 2013. 3 Voir annexe A.
  • 6. - 6 - La France a décidé d'intervenir au Mali à la demande des autorités maliennes et dans le cadre de la résolution 2085 du Conseil de sécurité des Nations unies1 . C'est dans ce cadre que la France a pour but officiel de stopper l'avancée des groupes djihadistes vers le sud du Mali et d'assurer la sécurité des cinq mille ressortissants français dans le pays2 . Sur ces ressortissants pèse le danger de la prise d'otages. Ils représentent la cible parfaite pour toucher la France sans s'attaquer directement au territoire. En effet, le pays est présent au Mali par ses infrastructures, les capitaux qu'elle y entretient et actuellement par sa présence militaire. Donc prendre en otage ses ressortissants, c'est toucher symboliquement à la France. Dans l'après-midi du 11 janvier 2013, un raid d'hélicoptères d'attaque a stoppé la progression de djihadistes faisant route vers Konna. Plus de quatre mille hommes ont été envoyés sur le terrain et six ont perdu la vie3 . Au 18 avril 2013, l'état des lieux était le suivant. Les opérations ont été poursuivies avec une centaine de sorties aérienne dans la région de Tessalit et le long de la boucle du Niger. Au sol, les troupes sont également mobilisées. A Tombouctou, le bataillon burkinabé, chapeauté par l'armée française, commence à prendre le relai. En effet, l'un des objectif officiel en intervenant sur place était aussi de ne pas rester éternellement sur le terrain et pour ce faire, de former les armées maliennes et africaines de la MISMA4 pour qu'elles soient efficaces face aux groupes terroristes présents sur le territoire malien. Le but officiel final étant que les opérations de sécurisation permettent au gouvernement malien de recouvrer et de contrôler son intégrité territoriale et son indépendance politique. Du fait de la situation politique, plus de deux cent mille individus ont été contraints de se déplacer au sein même du pays. En outre, les pays voisins comptent environ deux cent 1 Cette résolution implique une opération militaire multinationale correspondant à l'opération Serval pour la France, à la mission internationale de soutien au Mali sous conduite africaine (MISMA) pour l'Union africaine et la communauté économique des Etats de l'Afrique de l'Ouest (CEDEAO) et aux forces armées tchadiennes d'intervention (FATIM) pour le Tchad. La MISMA a été remplacée par la Mission multidimensionnelle intégrée des Nations Unies pour la stabilisation au Mali (MINUSMA) en juillet 2013. 2 Récapitulatif de l'opération Serval sur le site du Ministère de la défense : <http://www.defense.gouv.fr/ operations/mali/actualite/mali-lancement-de-l-operation-serval>, consulté le 22 avril 2013. 3 Le Chef de bataillon Damien Boiteux (4e RHFS, le 11 janvier 2013), l'Adjudant Harold Vormezeele (2e REP, le 19 février 2013), le Caporal-chef Cédric Charenton (1er RCP, le 2 mars 2013), le Maréchal des Logis Wilfried Pingaud (68e RAA, le 6 mars 2013), le Caporal-chef Alexandre Van Dooren (1er RIMa, le 16 mars 2013) et le Caporal-chef Stéphane Duval (1er RPIMa, le 29 avril 2013), Marcel Kalafut (2ème régiment étranger de parachutistes de Calvi, le 8 mai 2014), l’Adjudant-chef Dejvid Nikolic (sous-officier du 1er régiment étranger de Génie de Laudun-l’Ardoise). 4 La MISMA est la mission internationale de soutien au Mali sous conduite africaine. C'est une mission militaire conduire par la CEDEAO pour porter assistance au Mali. Elle a été autorisée par la résolution 2085 du Conseil de sécurité des Nations unies le 20 décembre 2012. Le Conseil de sécurité a autorisé son déploiement pour une durée initiale de un an. Son rôle est d'aider à reconstituer une armée malienne forte pour reprendre le contrôle des zones du nord, de protéger ses institutions et sa population.
  • 7. - 7 - mille réfugiés maliens. Selon le CIA World Factbook1 , la population était de quinze mille quatre cent quatre-vingt quatorze habitants en 2012 avec une densité de 11.1 habitants/km²2 . Quatre-vingt dix pour cent de la population a pour religion l'islam, neuf pour cent l'animisme et un pour cent le christianisme. La population se divise en différentes ethnies. Vingt-trois ethnies sont généralement comptabilisées, réparties en cinq principaux groupes: Mandingue, Pulsar, Voltaïque, Saharien et Songhaï. Le groupe des Mandingues regroupe les deux cinquièmes de la population du Mali. Au centre du pays, c'est l'ethnie peule (groupe Pulsar) qui domine. Au nord-Mali, les touaregs acceptent peu les obligations et veulent imposer les populations mandingues qui dominent le sud-ouest du pays. Les touaregs sont des éleveurs nomades islamisés répartis sur l'ensemble du territoire et au delà, sur l'ensemble de la zone sahélienne. Ce sont des guerriers, des chefs religieux, des acteurs politiques ou des commerçants. Il s'agit d'un groupe hiérarchisé qui tente de maintenir son mode de vie et sa langue, le tamahaq. Du fait de leur particularité qu’ils défendent, les touaregs ont multiplié les revendications culturelles et politiques depuis les indépendances. Ils sont à l'origine de différents mouvements de rébellion irrédentistes au Mali. C'est en 1963 que la première grande rébellion touarègue touche le pays. La même année est créée l'Organisation de l'unité africaine (OUA, aujourd'hui Union Africaine) dont tous les Etats sont membres, y compris le Mali (à l'exception du Maroc). Les années 1990 voient les multiplications de heurts violents entre les populations touarègues et le pouvoir central. En 2006, un nouveau soulèvement touarègue touche le pays. S'en suivra des années de tensions jusqu'à cette rébellion de 2012, conduite par le MNLA. Son aboutissement positif pour les touarègues a accéléré la déchéance de l'armée régulière. Cependant, par la suite le MNLA (laïc et sécessionniste, à 90% peuplé de groupes «noirs» -Songhaï et Peuls notamment-, ayant pour seul but une plus grande reconnaissance de l'identité touarègue à travers l'obtention d'une autonomie de territoires) a perdu le contrôle du territoire fraîchement conquis, au profit de mouvements se revendiquant islamistes, non sécessionnistes et non «noirs» (à l'exception du Mouvement pour l'unicité et le jihad en Afrique de l'Ouest -MUJAO). AlQaida au Maghreb Islamique (AQMI) est associé au groupe d'Ansar Dine. Ce groupe est de composante touarègue d'obédience algérienne. Ansar Dine a appelé une partie de l'effectif du MNLA, composé de rebelles d'obédience libyenne et financé par AQMI. Alors que le MNLA ne voulait «qu'une» indépendance de l'Azawad, rejoint par les membres d'Ansar Dine, ceux-ci ont réussi à changer l'orientation du MNLA, 1 Central Intelligence Agency, The world Factbook, Mali, en ligne : <https://www.cia.gov/library/publications/the-world-factbook/geos/ml.html>, consulté le 18 avril 2014. 2 Présentation du Mali, en ligne: <http://www.diplomatie.gouv.fr/fr/pays-zones-geo/mali/presentation-du-mali/>, consulté le 25 avril 2013.
  • 8. - 8 - car désireux d'imposer la Charia sur le territoire. Le MUJAO a également un accord avec AQMI. Le groupe bénéficie de soutiens arabes du Golfe persique (Qatar), se compose de groupes arabes maliens liés aux narcotrafiquants et de djihadistes sahéliens non arabes. Ils ont pour la plupart la peau noire bien qu'ils se réfèrent à des individus ayant tous mené le jihad contre l'irruption européenne du XIX siècle. Cette dynamique de groupes en concurrences s'ancre dans un monde touareg marqué par une dislocation sociale et par des rivalités politiques internes, tribales et sociales. L'argument islamique porté par les groupes est un outil pour séduire la population touarègue et finalement supplanter leur objectif initial par un objectif politique et religieux bien plus poussé qu'une simple revendication de reconnaissance territoriale pour les peuples touaregs. Pour comprendre la complexité du conflit, il est important de prendre en compte la situation géographique du territoire malien1 . En effet, du fait de toutes ses caractéristiques (des difficultés économiques à sa situation géographique) et étant implanté en plein cœur de la région du Sahel, le Mali est un lieu d'échanges et de tensions. Les guerres, difficultés économiques et conditions de migration ont entraîné un développement des trafics (cigarettes, drogues, clandestins, armes...). Les frontières sont extrêmement poreuses. Le désert, constituant la majeure partie du territoire, est emprunté par les marchands auxquels se sont greffés les trafiquants. Des guerriers ont aussi rejoint ces trafics en se reconvertissant en chauffeurs capables de déjouer les patrouilles militaires. Alors que la zone se limitait aux 1 Le Mali est voisin de sept pays. Il partage 2237km de frontière avec la Mauritanie, 1376km avec l'Algérie, 1000km avec le Burkina Faso, 858km avec la Guinée, 821km avec le Niger, 532km avec la Côte d'Ivoire et 419km avec le Sénégal. Quatre grands ensembles composent son relief: les plateaux gréseux soudano-sahélien, les collines et plaines soudano-sahéliennes, le delta intérieur du Niger (le Niger parcourt le Mali sur 1700km) et le massif de l'Adrar des Ifoghas (massif montagneux du Sahara, d'environ 250 000km² formé de blocs granitiques très érodés) où se cachent la plupart des groupes armés. Le Sahara occupe une grande partie du territoire malien au nord. Pour ce qui est du climat, quatre grandes zones découpent le territoire. Du nord au sud; la zone saharienne avec son climat désertique, la zone sahélienne et son climat aride à semi-aride, la zone soudanienne et la zone guinéenne où la pluviométrie est beaucoup plus élevée avec une saison des pluies allant de 3 à 7 mois selon l'endroit. Depuis quelques décennies, le Mali connaît une accentuation de l'aridité, ajoutant à la complexité de sa situation politico-économique. Ces données géographiques et démographiques ont été récoltées à travers diverses sources: <http://www.diplomatie.gouv.fr/fr/> consulté le 19 avril 2014, <http://www.larousse.fr/encyclopedie/pays/Mali/131330> consulté le 19 avril 2014. Questions internationales - Le Sahel en crises, La Documentation française, n° 58, novembre - décembre 2012, p. 4-92.
  • 9. - 9 - trafics provenant de l'Algérie et de la Libye1 , les années 2000 ont marqué un nouveau départ ; le Sahel est devenu la plaque tournante des trafics de cocaïne et d'héroïne venues d'Amérique du sud via le Nigéria ou la Guinée. Les cartels sud-américains ont en effet été obligés de changer de stratégie du fait du contrôle renforcé des Etats-Unis par la lutte antidrogue. Ceci, nous le comprenons bien, a profité aux trafiquants de l'Ouest de l'Afrique où le contrôle institutionnel des souverainetés semble connaître des difficultés. Le Mali ne déroge pas à la règle et est devenu une zone d'intenses trafics. Malgré la pauvreté économique du pays, des sommes importantes d'argent circulent par les trafics d'armes et de drogue. Un an après le début de l’opération Serval, la mission continue toujours dans ce pays aux caractéristiques historiques, géographiques, identitaires complexes. Le nord de la boucle du Niger a été libérée, des djihadistes ont été tués. Quant au nombre de morts, l’armée ne semble pas donner de précisions officielles. Nous savons en revanche que six français ont perdu la vie. Selon le site officiel du ministère de la Défense, moins de deux mille militaires français sont engagés dans l’opération aux côtés des militaires africains2 . Trois buts sont énoncés à savoir : aider les forces armées maliennes à arrêter la progression des groupes terroristes et à les repousser tout en assurant la sécurité des populations civiles, aider le Mali à 1 La guerre en Libye a eu des conséquences au Mali. La chute du colonel Kadhafi du fait de l'appui de la «communauté internationale», dont la France fait partie, a entraîné des conséquences immédiates. Ces conséquences ont été mal mesurées en Europe malgré l'avertissement des acteurs locaux. Le colonel Kadhafi était un intermédiaire indispensable pour les gouvernements du Sahel. La Libye soutenait les régimes locaux, les projets de développement, les investissement dans les infrastructures. Politiquement, le colonel était garant de la paix. En effet, malgré un passé moins glorieux, depuis une dizaine d'années, la Libye cherchait une légitimité suffisante pour diriger l'Union Africaine. Elle était souvent l'arbitre entre les groupes rebelles et les gouvernements, finançait les projets de réinsertion ou encore jouait le rôle d'accueil d'ex-combattants, notamment pour les combattants touarègues du Mali. L'intensification des combats de l'année 2011 en Lybie a porté préjudice à tous ces migrants qui participaient à l'économie de leur pays d'origine en envoyant des sommes d'argent considérables. Les évènements qui ont suivi, ont entrainé un retour des migrants sur leur sol d'origine. Le territoire libyen a servi de camp d'entraînement et de zone de récupération d'armes qui ont alors été acheminées dans les pays voisins. Le Mali en est un excellent exemple et a subi les conséquences indirectes de l'intervention internationale en Libye. Dans le contexte défavorable dans lequel était le pays (corruption, faiblesse de l'Etat, implantation d'Al-Qaida au Maghreb Islamique -AQMI), les touaregs ont pu lancer la rébellion avec l'appui des anciens migrants revenus de Lybie. La dimension économique et géographique de la zone alimente la crise. Elle favorise les trafics et les rébellions. Les problèmes économiques ont engendré un désordre politique qui lui même a favorisé la concurrence et l'impact des manipulations des puissances régionales et internationales ainsi que des acteurs non étatiques. C'est dans ce cercle vicieux dans lequel était l'Etat malien, que le coup d'Etat a été lancé, que l'Azawad a été pris et que la ville de Bamako est tombée, révélant ainsi son impéritie. Mais rapidement, AQMI et d'autres groupes armés ont dépassé la rébellion des touaregs. Le conflit s'est internationalisé par, d'une part, l'intervention des groupes armés islamistes ayant des objectifs politiques tel que c'est le cas pour le groupe armé Boko Haram (d'origine nigériane) et par, d'autre part, les intérêts de certaines puissances étrangères. C'est la première fois dans l'histoire du Mali que l'instabilité chronique de ce pays, initiée par des rébellions à l'origine touarègues, se connecte aux zones d'instabilités limitrophes au niveau régional. Source : Frédéric DEYCARD, « Une région à l’importance internationale croissante », Questions internationales - Le Sahel en crises, La Documentation française, n°58, novembre - décembre 2012, p.14-16. 2 Ministère de la Défense, Rubrique « Actualité » dans le dossier sur le Mali, en ligne : <http://www.defense.gouv.fr/operations/mali/actualite>, consulté le 19 avril 2014.
  • 10. - 10 - recouvrer son intégrité territoriale et sa souveraineté, faciliter la mise en œuvre des décisions internationales en permettant le déploiement rapide de deux missions internationales complémentaires (la mission internationale de soutien au Mali (MISMA) et la mission de formation de l’armée malienne de l’Union Européenne (EUTM)1 . Si au départ de l’opération, le président français François Hollande entendait que ses troupes ne restent pas sur le terrain ad vitam aeternam, tout tend à prouver que l’armée française restera longtemps tout comme elle l’a fait au Tchad avec l’opération Epervier ou encore en Côte d’Ivoire avec l’opération Licorne. Dans le nord du pays le bilan indique que toutes les zones occupées par les djihadistes ont été libérées. Malgré des attentats, la zone reste sous contrôle. Kidal en revanche reste une zone de tensions accrues où des incidents ont pu avoir lieu comme le 28 novembre 2013 où, lors d’une manifestation contre la visite du premier ministre malien Oumar Tatam à Kidal, l’armée a blessé à mort une manifestante. Ce genre d’évènement reste contrôlé et minimisé par les autorités locales et françaises. Depuis le début de l’opération, un président et un Parlement ont été élus démocratiquement. Ibrahim Boubacar Keïta, connaissance de François Hollande depuis une trentaine d’années, a été élu mais cela n’a pas entrainé un changement radical de la classe politique malienne et de ses pratiques. Peu d’actes significatifs ont été engagés. La réforme de l’Etat n’est pas en marche, même si dans les discours des actions doivent être lancées comme l’annonce d’une lutte prochaine contre la corruption (lors de ses vœux pour l’année 2014). La force africaine sous l’égide de l’ONU quant à elle ne compte que la moitié des effectifs prévus au départ (environ six mille sur douze mille). Les principaux contingents viennent du Burkina Faso, du Tchad et du Niger. Les principales étapes de l’opération, qui représentent à ce jour plus d’un an de présence sur le territoire, répondent à trois objectifs : faire cesser l’agression et la progression des djihadistes, sécuriser le pays pour éviter les effets de progression dans la sous-région où la France compte plusieurs milliers de ressortissants et enfin permettre au Mali de recouvrer son intégrité territoriale2 . Durant la première phase de l’opération, les éléments du Commandement des opérations spéciales (COS) ainsi que la puissance aérienne ont pu stopper l’offensive des groupes visés dispersant ou détruisant les groupements djihadistes. Les premiers déploiements français se sont fait parallèlement à Bamako. Après une dizaine de jours d’intervention, l’armée française choisit le schéma de dispersion, permettant de libérer les villes et ainsi de reprendre, avec l’armée malienne, le contrôle des principaux axes et 1 Ibid. 2 GROS Philippe, PATRY Jean-Jacques, VILBOUX Nicole, « Serval : bilan et perspectives », Fondation pour la recherche stratégique, note n°16/13, juin 2013, p. 7.
  • 11. - 11 - localités. La tâche n’a pas été simple au début de l’opération comme nous le rapporte le Général Barrera commandant la brigade Serval : « On avait alors trois solutions. Aller sur Gao et prendre la boucle du Niger à l’envers. Mais il n’y avait que deux ponts pour le franchir, à Merkala ou Gao. La deuxième solution était de prendre la route bitumée via Sévaré, puis plein nord. Mais on était tributaires des bacs pour franchir le Niger à 10km au sud de Tombouctou. Les djihadistes nous voyant progresser ici nous auraient bloqués facilement. Ils avaient d’ailleurs saboté les bacs. On a donc opté pour la troisième solution : l’axe pris par le Lcl Joffre en 1894, via Niafounké et Goundam. On a mis cinq jours pour faire 1000 km. Tout cela en ambiance hostile. Les rapports de la DRM nous annonçaient une possible présence hostile de djihadistes ici ou là. Mais ils avaient fui vers le nord devant la colonne. Les premiers prisonniers ont été faits entre Léré et Goundam sur les renseignements de la population par l’avant-garde malienne »1 . Les choix paraissent souvent compromis par des données extérieures arrivant au compte-goutte. La « nature du territoire, les marécages et le sable »2 ralentissent également l’armée française qui doit composer avec toutes ces données afin de mener au mieux sa mission. La progression s’est faite jusqu’au nord de l’Adrar des Ifoghas, terrain de jeu privilégié par les terroristes pour se retrancher. Recherche et destruction dans le sanctuaire ont rythmé les mois de février à fin mars 2013, particulièrement dans les vallées à l’est de Tessalit. Dans l’Adrar, la crainte du Général Barrera « était que les djihadistes refusent le combat et se terrent dans les pays avoisinants. On ne savait pas s’ils étaient là, le renseignement et les forces spéciales n’avaient alors rien décelé. Il fallait donc aller au fond des oueds. Pour reconnaître, il faut mettre le pied sur le carrefour, c’est un principe basique. Or les djihadistes étaient des as du camouflage, cela faisait dix ans qu’ils se préparaient »3 . Progressivement, le dispositif a basculé sur des opérations de contrôle pendant que les djihadistes commençaient des opérations de types groupusculaire et que la MISMA se déployait dans le sud du pays. Trois mois après le début de l’opération, un mécanisme de défaite des djihadistes était en route à plusieurs niveaux. Au niveau tactique, une dé- paramilitarisation des groupes a été engagée. Ils ont perdu le contrôle des localités, leur infrastructure a été détruite en majeure partie et des combattants ont été blessés ou tués. Les armes lourdes ont été saisies en grande partie. Les Katibas ont été dispersées et fractionnées, 1 BARRERA Bernard (Gal), (entretien avec) « Serval à travers les yeux du COMBRIG », RAIDS, n° 335, avril 2014, p.54. 2 Ibid. 3 Ibid, p.55.
  • 12. - 12 - les chefs clefs neutralisés. Des groupuscules du MUJAO et d’AQMI restent présents et pourraient sur le long terme reprendre le contrôle de la région de Tombouctou1 . En revanche, il faut admettre que si le Mali semble se débarrasser du gros du sanctuaire terroriste, le problème ne fait que se déplacer dans les pays limitrophes. Au mois d’avril 2014, plus d’un an et demi après le début de l’opération, l’armée française continue à œuvrer sur le terrain, découvrant encore des caches d’armes et de terroristes. L’armée française demeure sur place pour poursuivre la lutte contre les groupes armés terroristes et appuyer la montée en puissance des forces de la MINUSMA et des forces armées du Mali (FAMA). Très globalement, dans ce mémoire, il sera question de comprendre et de tenter d’expliquer les enjeux politiques et stratégiques sous-jacents à l’opération française Serval au Mali lancée le 11 janvier 2013 suite à une avancée vers le sud du Mali par les groupes rebelles répandus au nord. Or, aux vues de ces premières constatations de la situation sur le terrain malien, nous avons décidé d’envisager d’analyser l’intervention politico-militaire française au Mali dans ses dimensions plus idéelles que matérielles afin de cerner comment elle peut être justifiée par les politiques qui mènent cette opération et, par là, comprendre comment les intérêts de sécurité sont symboliquement voire idéologiquement fixés et défendus à travers de tels évènements. En effet, pour justifier l’intervention, bien avant son déclanchement et jusqu’à récemment encore, le gouvernement français parle de « lutte contre le terrorisme » mettant en danger l’intégrité territoriale du Mali. Le gouvernement français s’est clairement engagé dans une « lutte contre le terrorisme ». Le ministre de la Défense, Jean Yves le Drian, a ainsi déclaré le 12 janvier 2013 : « [n]ous agissons en soutien des forces maliennes avec pour objectif d’arrêter l’offensive des terroristes, de les empêcher de nuire et de sécuriser nos ressortissants au Mali »2 . Le 15, c’est le président de la République qui déclarera, alors en visite à Dubaï, qu’il faut «arrêter l’agression terroriste », « détruire » les islamistes, « les faire prisonnier si c’est possible » et « faire en sorte qu’ils ne puissent plus nuire »3 . La France s’est donnée pour mission de vaincre le terrorisme dans le pays concerné. Mais comment justifier cette action qui est susceptible de présenter un coût en vies humaines (même 1 GROS Philippe, PATRY Jean- Jacques, VILBOUX Nicole, op. cit., p. 7-11. 2 Déclaration de M. LE DRIAN Jean-Yves, ministre de la défense, sur les interventions militaires au Mali et en Somalie, Paris, le 12 janvier 2013, en ligne : < http://discours.vie-publique.fr/notices/133000062.html>, consulté le 19 avril 2014. 3 Conférence de presse de M. François HOLLANDE, Président de la République, sur les relations entre la France et les Emirats arabes unis et sur l’intervention militaire française au Mali, Dubaï, le 15 janvier 2013, en ligne <http://discours.vie-publique.fr/notices/137000095.html>, consulté le 19 avril 2014.
  • 13. - 13 - « minimes ») et qui financièrement, n’est pas sans coût ? L’opinion publique, qui soutient ou non son gouvernement aux élections internes, doit éprouver le sentiment que l’intervention, malgré ses côtés négatifs (les coûts), est justifiée afin d’en accepter les conséquences. Ce que l’on peut observer, c’est cette présence importante de discours tout au long de l’opération visant à expliquer au mieux où en est l’armée française, rappeler les enjeux sécuritaires, et faire comprendre à la population que cette intervention est justifiée et nécessaire. C’est alors que l’on remarque la forte présence du thème du « terrorisme » dans les discours officiels. La question que l’on se pose alors est de savoir si le risque est bien réel au delà du Mali pour accepter une telle intervention où la France se trouve quasiment seule à combattre un ennemi, le « terrorisme », que même la plus grande puissance mondiale n’a pas réussi à vaincre (Les Etats-Unis en Afghanistan). D’ailleurs pouvons-nous vaincre le terrorisme ? Entendre le président affirmer que le terrorisme « n’a pas encore été vaincu » dans une allocution le 2 février 20131 pour ensuite dire que la France n’a pas vocation à rester n’est-il pas contradictoire lorsque l’on se donne pour but d’arrêter l’agression terroriste ? Si cela apparaît effectivement contradictoire, il est alors nécessaire d’envisager de regarder comment l’intérêt national et les intérêts de sécurité sont définis à cette occasion et par qui, afin de tenter déceler la présence d’autres enjeux sous-jacents à l’opération militaire et absents de la rhétorique de justification de cette dernière et de sa prolongation. Il faudra donc plus précisément examiner, outre la situation géostratégique dans la zone, le rôle joué par l'intervention des Français en terme de défense d’intérêts régionaux et internationaux. C’est pourquoi il nous a semblé pertinent de nous poser la question de recherche suivante : Quelles sont les caractéristiques de la rhétorique de justification de l’intervention militaire française au Mali en terme de défense de l’intérêt national français et des intérêts de sécurité sous-jacents ? Plusieurs concepts doivent être mis en lumière dans le cadre de notre étude. La puissance inévitablement prend toute sa force dans l’intervention française. En effet, à la poursuite de ses intérêts, l’Etat intégré dans le système international anarchique (selon l’approche réaliste en général) demeure sans cesse à la recherche de la préservation de sa 1 Déclarations de MM. HOLLANDE François, Président de la République, et TRAORE Dioncounda, Président de la République du Mali, sur les relations franco-maliennes et sur l’intervention militaire française au Mali, Bamako, 2 février 2013, en ligne : < http://discours.vie-publique.fr/notices/137000295.html>, consulté le 19 avril 2014.
  • 14. - 14 - puissance. C’est cette notion que la France met implicitement en jeu dès lors qu’elle décide d’une intervention comme celle au Mali. La notion de puissance revêt ici une dimension stratégique (avec pour composante la neutralisation des groupes terroristes), une dimension économique (protection des approvisionnements énergétiques), une dimension politico- symbolique (volonté de «tenir le rang»1 ) et une dimension politico-philosophique (protection de la vie des ressortissants et libération des otages). Ces dimensions sont perceptibles dans les discours de l’Exécutif français à travers une rhétorique utilisée de façon plus ou moins ouverte et claire. Nous ne retiendrons, du fait des limites matérielles de cette recherche, que la dimension stratégique, la dimension économique et, de façon résiduelle lorsque cela sera nécessaire pour appuyer notre démonstration, la dimension politico-philosophique. L’intervention militaire se précise en outre par rapport à la perception de la menace qu’en ont les décideurs politiques elle-même influencée par des idées préétablies de l’intérêt national. Rappelons ici que puissance, intérêt national et décision d’intervention se retrouvent tous trois dans la définition de la politique étrangère. Pour H. Morgenthau en politique étrangère, «l'Etat ne connaît qu'un seul impératif catégorique, un seul critère de raisonnement, un seul principe d'action »2 : l'intérêt national égoïste défini en terme de puissance. Quel que soit le but ultime de la politique extérieure d'un Etat, quels que soient les termes dans lesquels ce but est défini, la recherche de la puissance est toujours son but immédiat, qu'il s'agisse de changer la configuration du rapport de force existant par une politique impérialiste, ou au contraire de le préserver par une politique de statu-quo [...] la politique de puissance est à l'origine de la modération qui finit par caractériser la politique internationale3 . Et le politiste F. Charillon de rajouter que la politique étrangère est «l'instrument par lequel un Etat tente de façonner son environnement politique international»4 , par lequel il tente d'y préserver les situations qui lui sont favorables et d'y modifier les situations qui lui sont le plus défavorables. L’intérêt national fait partie intégrante des discours politiques concernant l’Etat et ses actions, ses choix de politique étrangère et intérieure. Il s’agit en effet de définir un objectif politique qui lui-même doit se révéler l’émanation de l’intérêt national. En y parvenant, alors l’objectif est censé être plus facilement soutenu par l’opinion publique. Nous pouvons donc constater que les décideurs politiques se réfugient derrière la notion d’intérêt national afin de préciser leurs objectifs de politique étrangère. Ce concept leur permet de dépolitiser la 1 KESSLER Marie-Christine, La politique étrangère de la France, Paris, Presses de Sciences Po, 1999. 2 MORGENTHAU Hans, Defense of the national interest, New York, Knopf, 1951, p. 242. 3 BATTISTELLA Dario, Théories des relations internationales, Paris, SciencePo Les Presses, 2012, p. 134. 4 CHARILLON Frédéric (dir.), Politique étrangère. Nouveaux regards, Paris, Presses de Sciences Po, 2002, p 13.
  • 15. - 15 - politique étrangère, de la rendre plus accessible, plus à la portée de l’individu lambda, pour trouver une certaine légitimité à leurs actions. Entendons ici qu’il s’agit de rendre plus accessible et plus « socialisée » une branche de la politique qui ne peut, a priori, pas être soumise, ou très difficilement, à l’exercice de la souveraineté populaire. En effet, cette dernière ne dispose pas de l’information nécessaire pour prendre de telles décisions. C’est ce que sous-entendait Henry Kissinger lorsqu’il a remarqué que « lorsque vous demandez aux Américains de mourir, il faut que vous puissiez l’expliquer dans les termes de l’intérêt national »1 . La légitimation passe par l’intérêt national. L’intérêt national semble revêtir deux dimensions2 . Il semble que ce soit un moyen pour parvenir à entretenir la puissance de l’Etat dans un premier temps. Mais il semble également qu’une dimension plus idéelle entre en ligne de compte, à savoir plus subjective. Nous verrons comment analyser ces différentes facettes du concept d’intérêt national à travers les théories qui nous semblent les plus adéquates. L’objectif officiel avoué par les autorités françaises dans notre étude est donc l’éradication du terrorisme au Mali afin d’arrêter sa poussée vers le sud. Pour réaliser cet objectif, c’est avec l’intervention militaire que la France a décidé d’opérer. Deux éléments conceptuels sont ici mis en : le terrorisme et l’intervention. Le terrorisme est un phénomène multidimensionnel. Il peut être religieux, politique, économique, les trois en même temps et remettre en cause le concept de souveraineté. Dans sa dimension religieuse, à travers les études réalisées depuis toujours et surtout depuis les attaques du 11 septembre 2001 qui ont lancé la guerre mondiale contre le terrorisme, nous voyons apparaître la volonté pour ses défenseurs de diffuser le Jihad et imposer la Charia, de corrompre ou supplanter les pouvoirs locaux, et à plus grande échelle, combattre et punir la « colonisation » des puissances occidentales. Le terrorisme peut être un terrorisme d’Etat ou de groupe, relever de revendications politiques, économiques, religieuses, sociologiques mais quelque soit sa dimension, le terrorisme remet en cause la souveraineté de l’Etat. 1 KISSINGER Henry cité par MORIN Jean-Frédéric, La Politique étrangère : Théories, méthodes et références, Paris, Armand Colin, 2013, p24. 2 « Intérêt national : ensemble de facteurs qui, selon les réalistes et les dirigeants politiques, représente ce qu’il y a de plus important pour l’Etat, l’essentiel étant la survie » : cf. BAYLIS John, SMITH Steve, OWENS Patricia, La globalisation de la politique mondiale, Montréal, Modulo, 2012, p.561.
  • 16. - 16 - Etudier le concept de « terrorisme » implique le franchissement d’obstacles épistémologiques assez redoutables1 . Souvent teinté de préjugés ou de représentations biaisés2 , le « terrorisme » n’échappe pas à la règle. Or, selon Durkheim, c’est surtout dans les sciences sociales que ces prénotions « sont en état de dominer les esprits et de se substituer aux choses »3 . Il faut donc parvenir à rendre scientifique le concept par un travail de rupture épistémologique permettant d’objectiver le phénomène. Pouvant être considéré comme un terme fourre-tout ou un mot valise excessivement utilisé, il s’agit d’un concept qui n’a pas trouvé de définition communément admise. Juristes, sociologues, politologues, diplomates,... Tous se sont évertués à le définir, chacun avec sa sensibilité. Juridiquement, les Etats ont souvent préféré se doter d’une législation spécifique à chacun. Le concept est vague et recouvre en fait des situations ou phénomènes très hétérogènes. Selon J-M. Dasque, « A l’origine, sous la Révolution française, furent baptisés « terroristes » les républicains intransigeants partisans d’une politique de terreur. Au début du XIX siècle, ce terme désigna des individus et des groupes favorables à une remise en cause violente du régime politique et social. Plus tard il fut appliqué indifféremment aux membres des mouvements de résistance, à des insurgés, à des nationalistes luttant contre le régime colonial, à des extrémistes de gauche ou de droite. Sur un plan sémantique, le mot terrorisme peut désigner une personne, un groupe, un acte, une méthode, une tactique de guerre. »4 , bref il révèle son caractère polysémique5 . Finalement, dans sa dimension subjective, le terme peut être compris comme si l’on désignait chaque ennemi comme « terroriste » alors que la situation peut ne pas relever 1 Les problèmes de définition du terrorisme sont « divers », des centaines de définitions ont été réalisées par les chercheurs. Les observations faites dans les travaux sur le terrorisme sont rares et les situations trop hétérogènes pour pouvoir, à l’heure actuelle, s’accorder sur une seule et même définition. Plusieurs définitions sont acceptables et permettent alors de faire sortir des données empiriques similaires à chacune : cf. YOUNG Joseph K., FINDLEY Mihael G., « Promise and Pitfalls of Terrorism Research », International Studies Review, Vol. 13, n°3, September 2011, p. 414-416. Ce travail de définition est « crucial et fait partie de l’évolution des études sur le terrorisme » : cf. ibid. p. 414. Au lieu d’envisager la multitude de définitions existantes comme un obstacle, nous pouvons l’apprécier de façon positive car cela nous permet d’engager, en tant que chercheur, divers analyses empiriques pour faire émerger des différences entre les définitions ? De fait, il est plus facile de dire « ce que le terrorisme est » et surtout « ce qu’il n’est pas » : cf. ibid, p. 416. 2 « [L]’homme ne peut pas vivre au milieu des choses sans s’en faire des idées d’après lesquelles il règle sa conduite » : cf. DURKHEIM Emile, Les règles de la méthode sociologique, Paris, Flammarion, 2010,1ère édition, p.115. 3 Ibid, p.119. 4 DASQUE Jean-Michel, Géopolitique du terrorisme, Paris, Ellipses, 2013, p.11. 5 J-c. Passeron parle à ce sujet de concepts « polymorphes ». Ces concepts révèlent l’existence d’un obstacle dans la délimitation du champ sémantique des concepts sociologiques par le chercheur. Cette difficulté est due aux nombreux emplois descriptifs qui ont marqué l’histoire. L’hétérogénéité qui en découle peut être réduite à l’instar des définitions des manuels mais cette lisibilité fait ressurgir les choix du chercheur (méthodologiques, de raisonnement ou de formulation). Pour des concepts aussi problématiques que le « terrorisme », il semble impossible de faire autrement que de délimiter le concept : Cf. PASSERON Jean-Claude, Le raisonnement sociologique, Paris, Albin Michel, 2006, p.98.
  • 17. - 17 - de « terrorisme » à proprement parler. Nous pouvons toutefois comprendre le terrorisme comme étant un moyen violent de revendiquer des causes. Ce moyen est souvent utilisé par des groupes qui n’ont pas les capacités de se faire entendre autrement. Ils ne cherchent pas à détruire un maximum de personnes ou de biens mais bel et bien à imposer un sentiment de terreur sur l’opinion publique et ses dirigeants. C’est ce que Raymond Aron soutenait « qu’une action est dénommée terroriste lorsque ses effets psychologiques sont hors de proportion avec ses résultats purement physiques »1 . Ainsi, les attaques du 11 septembre ont été spectaculaires et exceptionnelles dans le sens où elles ont fait perdre la vie à des milliers de personnes mais en règle générale le terrorisme cherche à être publicisé et à toucher non pas une armée régulière mais les civils principalement ainsi que des symboles politiques et idéologiques. Quoi qu’il en soit, le terrorisme remet en cause la question de la souveraineté. Voulant s’imposer comme nouvelle autorité en prenant une par une les villes, les groupes de guérilla2 au Mali ont bafoué la souveraineté nationale. Cette notion de souveraineté représente également la dimension à travers laquelle envisager le concept d’intervention. L’intervention est une question centrale des relations internationales. Selon Jean-Baptiste Jeangène-Vilmer, philosophe et juriste français, «toutes les interventions militaires justifiées par des raisons humanitaires ont été, sont et seront également motivées par des intérêts nationaux, pour la simple et bonne raison que les Etats ne sont pas - et même ne doivent pas - être désintéressés puisque leur raison d'être est de défendre les intérêts de leurs citoyens»3 . Le recours à la force étant en principe toujours envisagé qu'après avoir usé de tous les moyens non coercitifs possibles, il faut, s'il y a recours à la force, une bonne raison pour le faire. En effet l'intervention militaire est considérée 1 ARON Raymond, Paix et guerre entre les nations, Paris, Calmann-Levy, 1962, p.176. 2 Ces groupes, que l’on trouvera dénommés par des termes comme « djihadistes », « terroristes », « rebelles », « groupes armés » (comprenons ici qu’ils n’ont pas de dénomination nette) instrumentalisent des revendications initiales -celles des touarègues en l’espèce- qu’ils associent aux leurs (en résumé, l’imposition de la Charia- par des manœuvres terroristes) conséquentes de décennies de conflits au Mali.Au sujet de la qualification des groupes transnationaux illégitimes, nous préfèrerons le terme de groupes de guérilla dans l’optique de ce que propose Peter Willets. En effet, il explique que « La violence politique éclate le plus souvent lorsqu’une minorité ethnique ou un mouvement nationaliste bien implanté rejette la légitimité d’un gouvernement. Un tel mouvement porte plusieurs noms : il est appelé groupe terroriste par ceux qui désapprouvent son action, groupe de guérilla par ceux qui sont plus neutres ou mouvement de libération nationale par ceux qui l’appuient ». Cf. WILLETS Peter, « Les acteurs transantionaux et les organisations internationales en politique mondiale », dans BAYLIS John, SMITH Steve, OWENS Patricia, op. cit, p. 344. Nous tenterons précisément de démontrer que les discours politiques sont imprégnés de la première façon de désigner le mouvement, et cela, non sans intérêts par ailleurs. 3 JEANGENE VILMER Jean-Baptiste, "Intervention en Libye : ni droit d’ingérence, ni désintéressement", Le Monde.fr, 28 mars 2011 <http://www.lemonde.fr/idees/article/2011/03/28/intervention-en-libye-ni-droit-d- ingerence-ni-desinteressement_1498608_3232.html>, consulté le 25 avril 2013.
  • 18. - 18 - comme «une mesure exceptionnelle et extraordinaire»1 . La Commission internationale de l'intervention et de la souveraineté des Etats propose six critères tendant à justifier une intervention militaire dont le critère de la «juste cause». Deux situations permettent la violation du principe de non-ingérence : «lorsqu’il s’agit d’arrêter ou d’éviter des pertes considérables en vies humaines, effectives ou appréhendées, qu’il y ait ou non intention génocidaire, qui résultent soit de l’action délibérée de l’État, soit de sa négligence ou de son incapacité à agir (Etats-faillis), soit encore d’une défaillance dont il est responsable», ou lorsque survient un «nettoyage ethnique» à grande échelle, effectif ou appréhendé, qu’il soit perpétré par des tueries, l’expulsion forcée, la terreur ou le viol.2 Pour l’approche réaliste, les Etats sont les acteurs dominants dans les relations internationales. Donc d’un point de vue ontologique le respect de la souveraineté reste primordial dans les relations internationales. Malgré l’accroissement du nombre d’acteurs émergeants, nous nous trouvons toujours dans une société interétatique où l’intervention s’étend au delà des frontières et donc devient une composante omniprésente des relations internationales. Juridiquement, les Etats sont égaux sur le plan de la souveraineté ce qui rend dès lors l’intervention contradictoire avec ce principe d’égalité du fait de l’ingérence qu’elle caractérise. Il est donc nécessaire d’envisager l’intervention, quelque soit sa forme, dans une dimension ponctuelle voire extraordinaire du fait de la remise en cause d’une coutume devenue norme des relations internationales. Lorsqu’elle est utilisée comme outil de politique étrangère, elle doit alors être justifiée avec des arguments montrant que l’Etat où l’intervention a eu lieu a déjà perdu ses caractéristiques déterminant sa souveraineté (territoire maîtrisé, sécurité de sa population locale ou étrangère, etc.) devenant alors dans notre cas d’espèce un Etat failli. Christian Reus-Smit a entrepris tout récemment un travail d’analyse du concept d’intervention. Il expose en effet une vision alternative qui s’accommode des idées et pratiques diverses qui ont caractérisé les différents ordres internationaux depuis tout temps. Que ce soit avant 1970 où la souveraineté était conjointe à l’empire ou après 1970 où la souveraineté est devenue universelle3 , il propose une conception adaptée à ces changements ainsi qu’aux différents ordres politiques existants. Il envisage les configurations systémiques de l’autorité politique comme étant organisées autour de quelques principes de différentiation. Ces différentiations ne sont pas nécessairement basées sur le territoire mais elles peuvent être 1 Rapport de la Commission internationale de l’intervention et de la souveraineté des États CIISE, La responsabilité de protéger, Ottawa, Centre de recherche pour le développement international, décembre 2001. 2 Rapport de la Commission internationale de l’intervention et de la souveraineté des États CIISE, Ibid. 3 REUS-SMIT Christian, « The concept of intervention », Review of international Studies, vol. 39, n° 15, december 2013, p. 1058
  • 19. - 19 - fonctionnelles. De fait, l’intervention est la transgression du domaine propre d’un Etat afin de reconfigurer les identités, les institutions ou encore les pratiques internes. Elles sont toujours justifiées et requièrent cette justification dans la mesure où l’intervention est une violation de la souveraineté1 . Le concept clef des relations internationales de souveraineté étant bafoué, il est obligatoire de légitimer cette action. Reus-Smit propose une vision complémentaire pour expliquer l’intervention. Pour lui, l’intervention doit être consciente, voulue et ce, dans le but de modifier un résultat et non pas simplement d’observer une situation2 . L’intervention remet en cause le principe de souveraineté à notre époque dans un ordre international définit comme étant une configuration systémique d’autorités politiques3 . Aujourd’hui cet ordre international est global et les autorités qui le constituent survivent par la reconnaissance qu’elles se font entre elles comme étant légitimes. La reconnaissance n’est pas forcément égalitaire comme peut l’être la souveraineté4 . C’est donc cette reconnaissance qui joue un rôle primordial parce qu’elle permet de construire et déconstruire un ordre international. Intervenir permet alors de trouver les délimitations de l’ordre international et des unités d’autorités politiques à l’intérieur de celui-ci. Les interventions demeurent au cœur de controverses car elles sont par définition des transgressions. Il faut donc absolument les justifier pour l’opinion publique et pour les autres acteurs politiques. Trois types de justifications existent. « L’état d’exception » d’une part, qui caractérise un état d’urgence où il est nécessaire de soutenir l’ordre international (c’est le cas des interventions autorisées par le Conseil de Sécurité de l’ONU, comme dans le cas de l’opération de la France au Mali). Il y a les justifications « permises par la norme » d’autre part, où la norme est interprétée pour justifier l’action (c’est ici le cas de la « responsabilité de protéger » afin d’éviter une violation des droits humains). Et enfin la « justification révolutionnaire » où les normes classiques de l’ordre international sont bafouées5 . Par ailleurs, les officiels français parlent de « guerre au Mali ». Or, la guerre, qui est également un concept central des relations internationales, se doit d’être définie ici. Le concept ne fait pas, lui non plus, l’objet d’une définition consensuelle. Classiquement, Clausewitz la définissait comme étant un acte de violence destiné à contraindre l’adversaire à exécuter sa volonté, un acte permettant la continuation des relations politiques par d’autres moyens. Il s’agit d’un duel à grande échelle impliquant des armées nombreuses, massives, 1 Ibid. 2 Ibid, p. 1065. 3 Ibid. 4 Ibid, p.1066. 5 Ibid, p.1067.
  • 20. - 20 - d’un duel illustré par un affrontement sanglant se caractérisant par la violence de ceux qui en sont partie1 . Sans aller plus loin dans la définition, là demeure un premier obstacle de caractérisation des acteurs prenant part à la guerre. En l’espèce, la France a envoyé ses troupes sur le territoire malien. Mais la question est de savoir contre qui l’armée se bat. Il s’agit d’acteurs non-étatiques, d’acteurs transnationaux illégitimes2 , nous ne sommes pas dans la configuration décrite classiquement par Clausewitz où les acteurs auraient des objectifs de même nature3 . Le concept de guerre asymétrique semble donc être plus conforme à la situation. La guerre asymétrique n’est pas nouvelle. Des guérillas des années soixante au terrorisme des années soixante-dix, quatre-vingt, nous avons eu à faire à ce type de conflit. La conceptualisation de ce phénomène n’est que rudimentaire4 . D’ailleurs plusieurs définitions existent et montrent que la notion est comprise de différentes manières par les différents auteurs. Jacques Baud assimile l’asymétrie à un concept stratégique où le belligérant va plutôt exploiter l’effet médiatique, le soutien populaire et utiliser les réseaux informels. Aujourd’hui l’opinion publique mondiale se sent concernée par les conflits donc les groupes de guérillas par exemple vont pouvoir trouver une caisse de résonance à exploiter pour donner du poids à leur action5 . A la lumière de ces concepts issus de la question de départ, et en vue de la construction de notre cadre théorique, nous pensons mettre en évidence plusieurs courants théoriques des relations internationales utilisant certains de ces opérateurs analytiques, et qui, de fait, semblent adaptés à notre problématique. Ces différentes écoles de pensée nous permettront d’analyser le phénomène de façon pertinente. Ces approches théoriques sont 1 TERRAY Emmanuel, « Violence et calcul. Raymond Aron lecteur de Clausewitz », Revue française de science politique, 36e année, n°2, 1986. p 248-249. 2 WILLIAMS Phil, "Strategy for a new world : combating terrorism and transnational organized crime", in BAYLIS John, WIRTZ James J., GRAY Colin S., COHEN Eliot, Strategy in the contemporary world, Oxford, Oxford University Press, 2006, p.192. 3 « Guerre classique : guerre fondée sur l’utilisation d’unités militaires nationales permanentes en uniforme pour atteindre des objectifs militaires ou politiques. La guerre classique se distingue de la guerre nucléaire et de la guerre non classique, cette dernière reposant sur des techniques de guérilla ou de terrorisme » BAYLIS John, SMITH Steve, OWENS Patricia, La globalisation de la politique mondiale, Montréal, Modulo, 2012, p. 560. 4 BRAUD Jacques, La guerre asymétrique ou la défaite du vainqueur, Mayenne, Editions du Rocher, 2003, p. 84-85. 5 Nous retiendrons la définition de Jonathan B. Tucker tant elle nous semble la plus proche de la réalité de notre cas d’espèce : « La guerre asymétrique consiste à tirer parti de la faiblesse de l’adversaire en recourant à eds armes et à des tactiques innovatrices et bon marché à la fois, conçues pour affaiblir la détermination de la puissance la plus forte et sa capacité à utiliser de manière efficace sa supériorité en termes de moyens conventionnels » cf. TUCKER Jonathan B., Asymmetric warfare, Forum for Applied research and public policy, summer 1999, en ligne : < http://forum.ra.utk.edu/1999summer/asymmetric.htm>, consulté le 3 mai 2014, traduit par BAUD Jacques, Ibid, p. 90.
  • 21. - 21 - d’abord et avant tout le réalisme néo-classique, le constructivisme et de façon plus ponctuelle, le réalisme classique. Dans l’approche réaliste classique des relations internationales, à la poursuite de ses intérêts, la motivation première d'un Etat lorsqu'il conduit une action, est de préserver sa puissance dans un système international hostile. Cette notion de «puissance» , la France la met en jeu lorsqu'elle décide d'intervenir (notamment à cause des intérêts économiques présents dans la zone). Mais l'intervention n'a pu se révéler possible que dans le cadre d'une perception de la menace fondée par les décideurs politiques et soutenue par l'opinion publique française. En Relations internationales, le paradigme réaliste pose l'un des postulats suivants : quand la politique extérieure ne parvient pas à atteindre l'intérêt national par des moyens pacifiques, le recours à la guerre est envisageable. La guerre ne saurait alors être jugée d'après les critères éthiques applicables aux comportements individuels1 . Nous voyons bien ici que pour un Etat, le basculement d'un comportement pacifique à un comportement de guerre, représente une solution pour contrer le fait que l'intérêt national n'arrive pas à être atteint. Or, n'est-ce pas subjectif que de dire, « l'intérêt national est atteint », ou inversement ? Quelle est la substance de cet intérêt national ? Sur quels critères politiques est-il déterminé ? N’est-il pas en lui même subjectif ? Pourquoi un Etat aurait-il intérêt à intervenir dans un conflit qui ne le concerne, a priori, pas directement puisqu'il n'en est pas partie ? Dans le cas du conflit au Mali, la situation a dangereusement dégénéré, ce qui a contribué largement à son internationalisation. Et d'ailleurs, dans la conférence de presse conjointe du président français, M. François Hollande, et du président nigérien, M. Mahamadou Issoufou, ce dernier dira une phrase lourde de sens : «Qui met la main sur l'Afrique, met la main sur l'Europe et donc sur le Monde» 2 . Les théoriciens réalistes pensent les relations internationales en terme de puissance qu’elle soit considérée comme une fin, un moyen ou une cause. Il sera essentiel d'analyser les agissements des officiels français tant dans leurs discours que dans leurs décisions à la lumière de cette notion de puissance. 1 Ibid., p. 125. 2 Conférence de presse avec M. Mahamadou ISSOUFOU, président de la République du Niger, 11 juin 2012, en ligne: <http://www.elysee.fr/conferences-de-presse/article/conference-de-presse-conjointe-de-m-le-president-de- la-republique-et-de-m-mahamadou-issoufou-president-de-la-republique-du-niger/>, consulté le 21 avril 2013.
  • 22. - 22 - Pour autant, la théorie réaliste classique n’intègre pas suffisamment la subjectivité de la définition des intérêts étatiques. Focalisant les recherches autour de la recherche de puissance, nous nous trouvons avec ce paradigme dans une ontologie politique matérialiste n’accordant que peu de place aux perceptions des menaces que peut avoir l’Exécutif politique qui prend les décisions. Or, si à l’instar du réalisme classique, les réalistes néoclassiques intègrent la variable systémique (impliquant notamment la distribution de la puissance matérielle entre Etats par exemple) comme étant une variable explicative importante de la politique étrangère d’un Etat, il n’en demeure pas moins que les facteurs idéels et internes (Innenpolitik) soient également à l’origine des décisions et actions de l’Etat. Ces facteurs internes sont la perception et les calculs des leaders ainsi que la capacité d’extraction des ressources de la société pour les affecter à la politique étrangère. Impossible en revanche d’ignorer le lien avec le réalisme classique. En effet, les théoriciens réalistes néoclassiques reprennent Raymond Aron en situant le chef du pouvoir exécutif à la jonction entre l’Etat et le système international, et reconnaissant que, du fait qu’il détienne de l’information privilégiée provenant de l’appareil politico-militaire de l’Etat (« Exécutif de sécurité nationale»), il est le mieux placé pour percevoir les contraintes systémiques et de fait, en déduire l’intérêt national1 . Le réalisme néoclassique pose le postulat selon lequel la politique étrangère et la politique de sécurité d’un Etat sont entrainées par la position de l’Etat dans le système international et par ses capacités relatives. Ces capacités ont un impact complexe sur la politique choisie dans la mesure où la pression systémique est traduite à travers des variables intermédiaires telles que la culture stratégique, la perception des leaders, les relations entre l’Etat et la société ou encore la nature du système politique interne2 . Le chef de l’Exécutif est un acteur crucial dans la définition de l’intérêt national. Il a son propre avis et sa propre perception de ce qu’est cet intérêt, de ce qui est le mieux pour l’Etat3 . Pour Colin Dueck qui propose précisément un modèle théorique réaliste néo-classique de l’intervention militaire, le chef de l’Exécutif a nécessairement des intérêts en jeu dans la décision d’intervention mais cela ne veut pas dire pour autant que la décision est exclusivement motivée par ces intérêts4 . En effet, il est ensuite question du poids de l’opinion publique qui peut décider de punir, de façon électorale, le chef de l’Exécutif, si elle se rend compte que ce dernier a pris une décision 1 TALIAFERRO Jeffrey W., LOBELL Steven E., RIPSMAN Norrin M., « Introduction : Neoclassical realism, the state and foreign policy », in TALIAFERRO Jeffrey W., LOBELL Steven E., RIPSMAN Norrin M., Neoclassical realism, the state, and foreign policy, Cambridge University Press, 2009, p. 25. 2 TOJE Asle, KUNZ Barbara, « Introduction : neoclassical realism in Europe », in TOJE Asle, KUNZ Barbara, Neoclassical realism in European politics, Manchester, Manchester University Press, 2012, p.4. 3 DUECK Colin, « Neoclassical realism and the national interest : presidents, domestic politics, and major military interventions », in., LOBELL Steven E., RIPSMAN Norrin M., TALIAFERRO Jeffrey W, op.cit, p.144. 4 Ibid, p. 145.
  • 23. - 23 - a priori impopulaire (faire la guerre via l’intervention militaire) parce qu’il était motivé uniquement par ses intérêts personnels1 . Mais ces derniers font partie des variables permettant la prise de décision dans la mesure où les menaces qui sont à l’origine de la décision de l’intervention ne sont pas tout à fait subjectives. Selon Colin Dueck, le président doit y répondre avec discrimination, c’est-à-dire avec des considérations subjectives2 . Les contraintes externes exercées par le système international et les contraintes internes de perception de la menace et dues à des considérations de politique interne (contraintes exercées par les groupes d’intérêts, l’opinion publique, les normes, les pressions électorales, les prérogatives législatives, c’est-à-dire, toutes les contraintes dues au système démocratique) sont donc à prendre en compte lors de l’analyse d’une décision d’intervention3 . Le pouvoir Exécutif dispose d’une certaine autonomie pour prendre la décision, formuler et poursuivre les buts fixés dans le cadre de la politique étrangère et même si les contraintes internes jouent sur la prise de décision par le chef de l’Exécutif, celui-ci a la capacité de faire faiblir, par sa décision, les contraintes internes qui pèsent sur lui4 . La question empirique qui se pose est donc de savoir pourquoi le président décide d’intervenir militairement dans un conflit hors de son territoire. S’il peut être poussé par des considérations internes, il ne peut se prévaloir d’une telle justification exclusive. Il se doit par contre de provoquer un support politique interne, de la part de « l’opinion publique », et ceci, pour C. Dueck, passe par la simplification de la rhétorique utilisée pour expliquer la situation d’une part, et la décision prise d’autre part5 . Ici encore, nous voyons l’intérêt d’étudier les discours politiques prononcés par l’appareil exécutif de la France dans sa justification de la prise de décision du lancement de l’opération Serval et de son maintien dans le temps. Le modèle réaliste néoclassique de l’intervention militaire proposé par Colin Dueck semble donc plutôt bien adapté à notre question de départ et donc à notre problématique (et ce, même si ce que propose C. Dueck reste une théorisation américano-centrée6 ). Une intégration plus poussée encore de la dimension idéelle de la politique internationale est repérable dans l’approche constructiviste. C’est pourquoi nous trouvons approprié d’analyser également notre cas à la lumière du constructivisme. Le constructivisme pousse plus loin encore le débat agence-structure, c’est-à-dire des contraintes du système 1 Ibid. 2 Ibid. 3 Ibid, p. 147. 4 Ibid. 5 Ibid, p.148. 6 De fait, nous nous livrerons ici à un travail de transposition de sa théorie au cas français.
  • 24. - 24 - international comme vu dans la théorie réaliste, mais en rajoutant les considérations propres à l’agent, celui qui décide et qui se meut dans ces contraintes externes. C’est cette dimension idéelle dans la définition des intérêts propre à l’agent qui manquait dans les théories réalistes et que le constructivisme tend à compléter1 . Si l’on peut observer chez les réalistes néoclassiques l’interaction entre la structure du système international et les agents du système international, le constructivisme en donne des explications plus développées pour déterminer comment est défini l’intérêt national et par là même répondre à la question empirique de savoir pourquoi la décision est prise d’intervenir militairement dans un conflit sur un territoire qui n’est pas celui du protagoniste qui s’ingère. Le constructivisme s’intéresse à la construction sociale de la nature des politiques internationales2 . Ontologiquement parlant, il envisage l’être humain comme un être social plutôt qu’un être systématiquement guidé par des choix rationnels. Marta Finnemore cherche ainsi à développer un modèle théorique constructiviste de l’intérêt national par une approche systémique, en vue de comprendre les intérêts des Etats et leurs actions, selon une conception de la structure internationale non pas en terme de puissance mais de significations et de valeurs sociales dans laquelle se trouvent les agents3 . Pour Marta Finnemore, il est évident que le système international exerce une contrainte sur les Etats mais ces derniers ne savent pas ce qu’ils désirent par avance. Leurs préférences sont malléables4 dans la mesure où ils se trouvent dans un système de normes et de valeurs, qui changent elles-mêmes au gré du temps. Selon Marta Finnemore, le système change ce que veulent les Etats, et de fait, crée de nouvelles normes et intérêts pour les acteurs en changeant leurs préférences et non pas en les contraignant5 . Les préférences sont endogènes et influencées par les normes sociales, les rôles et la culture, les discours et l’histoire.6 Les normes sont des standards sociologiques où des attentes sont partagées par rapport à un même comportement que doit avoir une communauté d’acteurs. Certaines de ces normes sont tellement internalisées qu’il est difficile de savoir si elles ont été violées ou non7 . non7 . Les normes que l’on peut trouver dans les discours8 nous permettent alors de justifier la 1 FINNEMORE Marta, « Defining state interests », in FINNEMORE Marta, National interests in international society, Cornell University Press, 1996, p.6. 2 Ibid, p.3. 3 Ibid, p.2. 4 Ibid, p.11. 5 Ibid, p. 5. 6 Ibid, p. 15. 7 Ibid. p. 23. 8 Ibid.
  • 25. - 25 - la pertinence d’une analyse de discours dans notre étude sur l’intervention française au Mali1 . Les décideurs politiques vont justifier leur action par les normes socialement partagées ou bien encore persuader les autres d’agir ou d’accepter l’action notamment par le discours qui l’accompagne2 . Marta Finnemore ne dit donc pas que les normes seules comptent et pas les intérêts, ou que les premières sont plus importantes mais selon sa thèse, les normes déterminent les intérêts3 . Le constructivisme est pertinent dans notre cas parce qu’il représente représente une approche théorique complémentaire et très compatible avec le réalisme néo- classique. C’est une approche plus « subjectiviste », permettant de découvrir les liens entre les forces structurelles et les agents (« co-constitution » agence-structure). Les variables idéelles sont dès lors aussi importantes dans la construction de l’intérêt national que les variables matérielles du réalisme. Les constructivistes se concentrent sur la structure idéelle du système international alors que les réalistes donnent plus d’importance à la structure matérielle du système (les Etats agissent avec la puissance matérielle dont ils disposent). En revanche les constructivistes (et c’est en cela que nous pensons qu’il est pertinent d’analyser le phénomène sous cet angle) sont guidés par des normes qui définissent les identités des acteurs qui ont le pouvoir de décision et d’action dans le système international4 . Cela sans exclure une approche approche plus matérialiste avec les théories réalistes (d’où le choix de la triangulation théorique). En effet, selon A. Wendt, « [i]l ne s’agit pas de dire que les idées sont plus importantes que la puissance et l’intérêt, ou qu’elles sont autonomes vis-à-vis de ces derniers. Tous trois sont aussi importants les uns que les autres »5 . Pour lui, la puissance et l’intérêt sont nourris par les idées et ne sont donc pas exclus d’une explication idéationnelle des relations internationales dans lesquelles ils s’intègrent6 . Lorsque l’agent décide d’intervenir, c’est l’intervention en elle-même qu’il faut analyser. Est-elle légitime ? Qui a décidé d’intervenir et sous quelles conditions ? Qu’est ce 1 A propos des discours politiques A. Klotz et C. Lynch mettent en évidence que les « politiques de discours, comme les déclarations, les débats politiques secrets, et les interviews », sont compatibles avec les formulations des études de sécurité positivistes et post-positivistes. Les discours peuvent être parlés ou non parlés comme les textes de lois, traités, conventions, négociations... En effet, ces études de langage (écrits ou non) peuvent montrer l’existence de « compréhensions intersubjectives particulières ». C’est tout à fait ce que nous cherchons dans notre démarche. Comprendre comment la rhétorique est utilisée pour cacher certains points délicats et faire en sorte que la population se rallie à la cause politique en question. Cf. KLOTZ Audie, LYNCH Cecelia, Strategies for research in constructivist international relations, New-York, M.E. Sharpe, 2007, p. 18-19. 2 Ibid, p. 24. 3 Ibid, p. 27. 4 FARRELL Theo, « Constructivist security studies : portrait of a research program », International studies review, vol. 4, n°1, winter 2002, p.52. 5 WENDT Alexander, Social theory of international politics, Cambridge, Cambridge university press, 2006, p. 135. 6 Ibid.
  • 26. - 26 - qui est à l’origine de la décision ? Autant de questions que les auteurs se posent en général mais peu s’intéressent au concept en lui-même. Nous allons en revanche d’avantage rencontrer des études sur l’adjectif accolé au concept. Nous trouvons alors des analyses sur l’intervention « humanitaire », « militaro-humanitaire », etc. Marta Finnemore n’envisage pas un évènement en se demandant si c’est une intervention ou pas. Cependant, elle préfère regarder ce que les agents conçoivent comme étant une « intervention ». Elle se demande ensuite, de façon inductive si il s’agit bien d’une intervention ou pas. Mais cette démarche semble rencontrer quelques obstacles épistémologiques notamment parce qu’il s’agit de la conception exclusive de l’individu par rapport à l’évènement. Il a ses propres perceptions. Nous préfèrerons alors une approche réaliste néoclassique. Il nous faut en effet une définition ou une conception nette qui distinguerait de façon analytique les pratiques et les buts d’un tel évènement1 . C’est la justification de l’intervention qui passe par la rhétorique qui sera au cœur de notre analyse dans la mesure où le président de la République à la tête de l’action s’est efforcé de légitimer son action auprès de l’opinion publique interne et internationale. Malgré le fait que nous soyons dans le cadre d’une intervention autorisée par une résolution du Conseil de Sécurité de l’ONU, il apparaîtra nécessaire de chercher à savoir si l’instrumentalisation de la peur par le discours a pu justifier l’intervention bien que légitimée antérieurement par la résolution, afin de défendre en fait des intérêts matériels pour la France. En effet, nous assistons en matière de lutte anti-terroriste à une « surestimation » (instrumentale) de la menace, c’est-à-dire à une focalisation des élites sur une menace particulière conférant un caractère d’urgence aux politiques d’élimination de celle-ci2 . Les réalistes attachent cette « surestimation de la menace » au caractère d’incertitude qui touchent les décideurs politiques vis-à-vis des agissements des autres Etats3 . Il convient cependant d’ajouter que les décideurs politiques se font une représentation de la menace comme ils se font une représentation de l’intérêt national par exemple. Ils en ont une idée subjective, propre à chacun. Les tenants de la théorie constructiviste précisent d’ailleurs que la menace est ce que l’on en fait. Les menaces existent objectivement mais les normes et identités partagées par les agents ont un 1 REUS-SMIT Christian, « The concept of intervention », Review of international Studies, vol. 39, n° 15, december 2013, p.1064. 2 MUELLER John, «Inflating terrorism », in THRALL Trevor A., CRAMER Jane K. (eds), American foreign policy and the politics of fear : threat inflation since 9/11, New York : Routledge, 2009, p.2. 3 Ibid, p. 4.
  • 27. - 27 - rôle à jouer dans la perception de la menace et de ce fait, dans les mécanismes de surexposition et de surestimation de la menace terroriste1 . Arrivés au terme de nos considérations théoriques, il semble que l’inscription de notre analyse dans une démarche de triangulation théorique soit pertinente. En effet, réalisme et constructivisme ne sont pas incompatibles. Si le réalisme avance que les hommes cherchent toujours à défendre leurs intérêts, et, par extension, les Etats, leur intérêt national, ils ne présupposent pas que les normes soient immuables2 . Pour Jean-Jacques Roche, le constructivisme s’intéresse aux mêmes objets que le réalisme3 . Pourtant le réalisme est a priori exclusivement matérialiste. Cependant, la conception contraire au constructivisme selon laquelle les Etats sont rationnels et unitaires et que seules les capacités matérielles sont pertinentes, « n’est en réalité défendue par personne » selon Jeffrey Legro et Andrew Moravcsik4 . Le réalisme classique progressiste du milieu du XXe siècle est compatible avec le constructivisme dans la mesure où il n’est pas rationaliste dans le sens où il faudrait appliquer des règles à des situations politiques mais où il faut selon S. Barkin « penser la politique telle qu’elle est et qu’elle a historiquement été »5 . De plus, si les réalistes classiques comme Morgenthau ou Wolfers accordent une grande importance aux facteurs matériels et notamment à la capacité militaire, ils ne rejettent pas pour autant la pertinence des facteurs non matériels6 , facteurs que le constructivisme prend en compte de façon beaucoup plus appuyée. Ajoutons également que, dans cette idée que les deux écoles sont pour partie ontologiquement compatibles, réalisme classique et constructivisme partagent une même « logique du social » selon laquelle « le comportement humain ne peut raisonnablement pas être étudié en dehors de structures sociales au sein desquelles il se trouve, et qui lui donnent son sens »7 . Dans notre cas, l’architecture théorique hybride que nous avons adopté consiste à 1 Ibid, p. 9-10. 2 JEANGENE-VILMER Jean-Baptiste, La guerre au nom de l’humanité. Tuer ou laisser mourir, Paris, Presses Universitaires de France, 2012, p.26. 3 Ibid., p. 27. 4 Ibid., p. 27. 5 Ibid., p. 28. 6 Ibid., p.30. 7 Ibid.. p. 31.
  • 28. - 28 - à connecter le réalisme néo-classique au constructivisme par le biais de l’utilisation d’un opérateur analytique commun qu’est le concept d’intérêt national1 . A partir des cadres conceptuels et théoriques mis en place, notre question de départ est reformulée à partir des opérateurs analytiques suivants : intérêts, intervention, et leurs dimensions matérielles et idéelles, et systémiques et internes respectives. Le concept principal d’intérêt national a plusieurs dimensions et composantes. Nous décomposerons le concept en deux dimensions : matérielle (à savoir de définir l’intérêt national pour l’utiliser comme un moyen de puissance afin de garder sa place sur le Continent Noir politiquement et économiquement) et idéelle (l’intérêt national tel qu’il est définit étant alors un fait socialement constitué pouvant servir de justification, voire de légitimation des politiques entreprises qui ne relèvent pas, objectivement, de l’intérêt national en terme de sécurité vis-à- vis de la menace terroriste qui pèserait sur la France). L’intervention est quant à elle la variable dépendante du phénomène. Elle est le fruit d’une décision politique prise par le pouvoir exécutif qui a du composer avec les variables indépendantes que sont la menace terroriste (effective et surestimée) et l’opinion publique qui agit en tant que contrainte sur l’Exécutif. Alors, nous nous poserons la question de savoir comment, pourquoi et à quel degré les dimensions matérielles et idéelles, systémiques et internes, composant les intérêts nationaux et de sécurité sous-jacents de l’opération Serval, influencent la rhétorique de justification officielle de cette intervention militaire par l’Exécutif de sécurité nationale français ? Afin de répondre à cette question, nous avons construit un corps d’hypothèses qui nous permettra de développer une analyse où nos concepts seront utilisés à la lumière des évènements sur le terrain dont il est question. Hypothèse principale Les motivations de la France à participer à l’action multinationale d’opération militaire au Mali et à la légitimer par l’utilisation d’une rhétorique inflationniste de la 1 A ce sujet, J-B Jeangène Vilmer explique que si les « matérialistes affirment que le pouvoir (militaire économique, dérivé des ressources naturelles, du poids démographique, etc.) et l’intérêt (défini comme le désir des Etats pour le pouvoir, la sécurité et la richesse) dirigent la politique étrangère », le constructivisme accepte cela (c’est ce qui fait le lien de compatibilité entre le constructivisme et le réalisme) mais « ajoute que la signification de « pouvoir » et « intérêt » n’est pas essentialiste : l’identité vient avant l’intérêts ». C’est ce qu’explique A. Wendt lorsqu’il avance que les explications basées sur le pouvoir et l’intérêt [c’est-à-dire le réalisme] présupposent des idées, et de ce point de vue ne sont pas du tout concurrentes des explications basées sur les idées [c’est-à-dire l’idéalisme] » : cf. JEANGENE-VILMER Jean-Baptiste, op.cit, p. 30-31.
  • 29. - 29 - menace terroriste procède de sa volonté de défendre ses intérêts matériels stratégiques et économiques dans sa zone d’influence traditionnelle que représente le continent africain. Hypothèses secondaires  La rhétorique de surestimation volontaire de la menace par l’Exécutif de sécurité nationale, mettant en lumière le danger qui pèse sur l’intérêt national français, est utilisée dans le but de rallier l’opinion publique à la décision de mise en œuvre et de maintien de l’intervention militaire au Mali.  La rhétorique de dissimulation d’un quelconque intérêt économique pour s’assurer le ralliement de l’opinion publique est employée afin de ne pas dévoiler les enjeux stratégiques existants du fait de la concurrence d’Etats étrangers sur les marchés miniers et énergétiques. Dans le cadre des nouvelles « guerres » du XXIème siècle, l'illustration des enjeux de l'intervention française au Mali est pertinente à analyser. En effet, il s'agit d'une puissance occidentale qui s'ingère dans les affaires d'un pays qui est une de ses anciennes colonies et avec laquelle les relations économiques, politiques, de développement etc. sont toujours présentes. L'intervention se fait non pas dans le but de mener une guerre classique mais une guerre contre des groupuscules désignés comme étant terroristes sévissant dans le pays en question. S'il n'y a pas guerre à proprement parler, nous pouvons nous interroger sur la finalité de l'intervention française, savoir s’il est légitime d'envisager de « gagner » une guerre qui n'en est pas une et donc de se retirer du pays une fois l'effort de guerre accompli, savoir si au contraire cela n'est pas une couverture afin de protéger des intérêts en danger du fait de la déchéance d'un gouvernement avec lequel les diplomates français avaient de bonnes relations (cf. Coup d'Etat qui a renversé l'ancien président). Toutes ces questions sont à traiter dans la mesure où la France vient encore de s'engager dans une intervention extérieure en République Centrafricaine. L'affaire du Mali, bien que récente, présente des enjeux du point de vue de la science politique. Au delà de la mise en œuvre de puissance matérielle, la politique de défense est porteuse d’idées politiques souvent mises en retrait car la seule chose que l’on voit à priori lorsqu’un pays entre en guerre c’est le nombre de soldats et sa qualité d’armement1 . Ce sont ces idées qui vont nous permettre de comprendre le phénomène étudié. Le but étant de 1 VENNESSON Pascal, « Idées, politiques de défense et stratégie : enjeux et niveaux d’analyse », Revue Française de Science politique, vol. 54, n°5, octobre 2004, p.752.
  • 30. - 30 - chercher à faire apparaître des enjeux officiels et officieux que la France avoue ou non derrière le rôle qu'elle se donne à raison ou à tord de « nation des droits de l'homme » et de combattante contre les nouvelles formes de violence comme le terrorisme. Notons que pour mener à bien notre recherche nous avons recueillis des preuves empiriques (sources primaires) telles que les discours et les documents officiels pour valider ou invalider nos hypothèses et estimer le degré de validité de la partie du cadre théorique correspondant à chaque hypothèse. Une autre étape consiste à interpréter ces tests empiriques grâce à des sources secondaires sélectionnées de façon pertinente (soit des articles de journaux, soit des articles scientifiques dont les auteurs correspondent au courant de recherche du cadre théorique choisi). Les recherches ont cependant rencontré certains obstacles. Si nous pouvons aujourd’hui compter sur la publication progressive d’ouvrages et d’articles scientifiques sur le sujet, le caractère récent de l’évènement ne permet sans doute pas d’avoir le recul nécessaire pour pouvoir espérer obtenir toutes les réponses souhaitées. La situation problématique malienne n’est certes pas récente (les conflits touarègues datent de centaines d’années), mais pour ce qui est de l’intervention française en elle même, celle-ci étant jeune d’un peu plus d’une année maintenant, nous ne pouvons pas espérer une multitude de réflexions scientifiques poussées sur le sujet. En effet, elles commencent à peine à fleurir. En revanche, il est plus question d’un comportement général d’une France interventionniste sur le Continent Noir avec le cas d’espèce malien, donc nous pouvons raisonnablement penser arriver à certains résultats. Malgré tout, les techniques d'observation utilisées ont apporté quelques réponses. Nous avons recueilli des données empiriques grâce à un petit nombre d'ouvrages théoriques, d'ouvrages collectifs, d'ouvrages de scientifiques ou d'experts militaires comme Jean Fleury, conseiller de François Mitterrand et chef d'état major de l'armée de l'Air pendant la première guerre du Golfe. Le tout étant de récolter des preuves empiriques afin de tester nos hypothèses. Les revues spécialisées ont été une riche mine d'informations pour compléter nos analyses. Les documents officiels ont été un passage obligé pour rendre compte du discours officiel français (site internet du Quai d'Orsay et Livres Blancs notamment). Nous avons également étudié de près, interviews, conférences de presse et autre programmes audio-visuels ayant diffusé les discours d'officiels, français et africains. Il a fallu, avec toute la difficulté qu'implique l'interprétation des discours, prendre du recul par rapport aux impressions spontanées dues à l'écoute ou la lecture des discours, ainsi que par rapport à toute opinion que nous aurions pu avoir sur le gouvernement en place actuellement et son action. L'usage de telles interviews et apparitions de décideurs politiques est justifié par
  • 31. - 31 - le fait qu'il nous aurait été évidemment impossible d'interviewer directement ces officiels (comme le Président de la République française, les diplomatiques africains, ministres, etc.). En tant que chercheur, nous avons fait face à des difficultés matérielles nous empêchant de réaliser tout déplacement dans les lieux de prises de décisions de politique étrangère. Nous essaierons donc d’interpréter les discours et interviews rapportés dans diverses sources en prenant en compte le fait que l'interprétation et la retranscription faite par celui qui a diffusé les informations ont déjà pu altérer les propos de ces personnalités (sorties de contextes, paroles délibérément supprimées, etc.). Compte tenu des types de matériaux empiriques accumulés, nous réaliserons une analyse de contenu (qui sera donc plus précisément une analyse de discours). En effet, dans l’optique d’analyse de surestimation de la menace terroriste, la rhétorique utilisée par l’Exécutif semble être d’un poids considérable. La vie politique est ponctuée de discours et débats afin de rendre accessible l’information et les idées à l’opinion publique, souvent dans un but électoral à terme1 . La communication fait partie de notre quotidien tant privé que public et dans cette intention permanente de communiquer, il y a un objectif à atteindre : « [...] rendre manifestes à un destinataire les informations essentielles. »2 . Nous nous trouvons dans un système de persuasion où le locuteur va « se montrer persuasif pour convaincre son interlocuteur du bien-fondé des idées qui lui semblent déterminantes »3 . Du fait du caractère impopulaire de l’évènement en question, l’intervention (ou la guerre), il est important pour le décideur politique, en l’occurrence, le chef de l’Etat, de légitimer la décision4 . Les décideurs ont pour but de construire un support interne et pour ce faire vont utiliser le discours politique comme outil. Ils vont par exemple simplifier la situation par la rhétorique afin d’obtenir le soutien nécessaire5 . Dans le cadre de notre recherche, limités par le temps notamment, nous avons fait le choix d’analyser des discours retranscrits à l’écrit et donc d’évacuer une analyse visuelle qui n’en demeurerait pas moins pertinente. De plus, nous avons choisi de nous limiter au noyau dur6 de l’Exécutif de sécurité nationale1 tout en privilégiant quand même les allocutions du 1 BEHAGUE Dominique, Le jeu de séduction dans les discours politiques, Paris, L’Harmattan, 2012, p.15. 2 Ibid, p.11. 3 Ibid. 4 Colin DUECK, « Neoclassical realism and the national interest : presidents, domestic politics, and major military interventions », in Jeffrey W. TALIAFERRO, Steven E. LOBELL, Norrin M. RIPSMAN, Neoclassical realism, the state, and foreign policy, Cambridge, Cambridge University Press, 2009, p 143. 5 Ibid, p. 148. 6 François Hollande, Jean-Marc Ayrault, Jean-Yves le Drian, Laurent Fabius.
  • 32. - 32 - président de la République dans la mesure où il est le décideur ultime, le chef des armées2 . Il s’agira donc d’une analyse de contenu non pas pour comprendre le fonctionnement du langage en tant que tel, mais pour tenter de comprendre comment la rhétorique est utilisée à des fins de persuasion de l’opinion publique. « Le choix des termes utilisés par le locuteur, leur fréquence et leur mode d’agencement, la construction du « discours » et son développement constituent des sources d’information à partir desquelles le chercheur tente de construire une connaissance.» 3 . C’est effectivement dans ces allocutions publiques que nous pourrons trouver la preuve de l’existence de normes. Ce travail est sans aucun doute le challenge à relever par les chercheurs. Il s’agit de prouver l’inobservable : la présence de normes entraînant des comportements particuliers4 . Nous réaliserons donc, à partir des discours choisis en fonction de leur importance depuis le 11 janvier 2013, une analyse thématique catégorielle. Nous calculerons et comparerons les fréquences de thèmes évoqués dans les discours. Cette analyse quantitative « se fonde sur l’hypothèse qu’une caractéristique est d’autant plus importante pour le locuteur qu’elle est fréquemment citée »5 . Afin de faciliter et de rendre plus pratique vis-à-vis du temps qui nous est imparti pour réaliser l’analyse, nous utiliserons logiciel Tropes V.F 8.4a, avec lequel nous pourrons mesurer la richesse lexicale des discours en établissant la fréquence des termes utilisés que nous aurons auparavant catégorisés sous des thématiques précises6 . 1 Ce choix est justifié par le rôle important joué par l’Exécutif de sécurité nationale qui se trouve à la frontière de l’Etat et du système international, et ayant un accès privilégié à l’information. De ce fait, ce corps exécutif est le mieux placé pour percevoir les contraintes et déduire l’intérêt national. Cf. Jeffrey W. TALIAFERRO, Steven E. LOBELL, Norrin M. RIPSMAN, op.cit, p.25. 2 Article 15 de la Constitution du 4 octobre 1958, Constitution de la République française, texte intégral présenté par Ferdinand MELINSOUSCRAMANIEN, Dalloz, 2009. 3 Raymond QUIVY, Luc Van CAMPENHOUDT, Manuel de recherche en sciences sociales, Paris, Dunod, 1997, p.206. 4 FARRELL Theo, « Constructivist security studies : portrait of a research program », International studies review, vol. 4, n°1, winter 2002, p.60. Theo Farrell énonce ici la liste des matériaux dans lesquels nous pouvons prouver l’existence de normes à savoir par exemple les lois internationales, les documents confidentiels, les décisions juridiques de corps légaux internationaux, les sondages d’opinions ou encore, donc, les allocutions publiques. 5 Ibid, p.208. 6 Tropes a été développé par Pierre Molette et Agnès André en 1994 sur la base des travaux de Rodolphe Ghiglione. Le logiciel propose plusieurs analyses dont le style du texte. Il permet de comptabiliser les récurrences par univers de référence (grands thèmes), il catégorise les mots par verbes, modalisations, adjectifs, connecteurs et pronoms personnels sous forme d’indices. Cf. BEHAGUE Dominique, Le jeu de séduction dans les discours politiques, Paris, L’Harmattan, 2012, p. 24.
  • 33. - 33 - Parmi les sources primaires recensées, nous nous arrêterons plus particulièrement sur quatre d’entre elles dans la mesure où elles nous semblent être en adéquation avec le type de questionnements que nous nous posons : - Les discours officiels des présidents ou membres de gouvernements qui ont pris une place importante dans le soutien de l’opération Serval à travers le temps. - Le Rapport d'information n°513 du Sénat (enregistré à la Présidence du Sénat le 16 avril 2013) fait au nom de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées par le groupe de travail «Sahel», en vue du débat et du vote sur l'autorisation de prolongation de l'intervention des forces armées au Mali selon l'article 35 de la Constitution. Ce rapport fait état du discours officiel, justifie l'intervention par rapport à la France elle- même et aux maliens assurant que la France n’a pas vocation à rester au Mali. Il expose les arguments de justification de l’engagement de la France dans la « guerre au Mali ». - Les Livre Blanc1 exposant la doctrine stratégique à partir de laquelle s’articule le discours officiel français qui nous permet de comprendre les actions du gouvernement. Les documents officiels sont incontournables dans notre recherche car du discours officiel dépend les informations que l'on peut espérer trouver par la suite. - Les sites Internet officiels gouvernementaux (du Ministère de la défense ou des affaires étrangères par exemple) constituent une source primaire donnant un aperçu quant aux orientations gouvernementales pour les ministères. Le résultat de ce test a été organisé dans le cadre d’une démonstration reposant sur le plan suivant : La première partie traitera exclusivement des justifications officielles de l’intervention à travers les discours et le phénomène de l’inflation de la menace terroriste. Il s’agira ici de tester la première hypothèse. La seconde partie qui aura pour but de tester l’autre hypothèse 1 LONG Marceau, BALLADUR Edouard, LEOTARD François, Livre Blanc sur la Défense 1994, Paris, La Documentation française, 1994. ‒‒ Secrétariat général de la défense nationale, La France face au terrorisme. Livre blanc du Gouvernement sur la sécurité intérieure face au terrorisme, Paris, Documentation française, 2006. ‒‒ JUPPE Alain (Prés.), SCHWEITZER Louis, La France et l'Europe dans le monde. Livre Blanc sur la politique étrangère et européenne de la France 2008-2020, Paris, La Documentation française, 2008. ‒‒ JUPPE Alain, SCHWEITZER Louis, Livre Blanc sur la politique étrangère et européenne de la France 2008 - 2020, Paris, Documentation française, 2008. ‒‒ MALLET Jean-Claude, Défense et sécurité nationale: le Livre blanc, Paris, La Documentation française, 2008.
  • 34. - 34 - traitera des enjeux matériels et particulièrement économiques défendus mais cachés derrière le ralliement de l’opinion publique à se battre contre le terrorisme.
  • 35. - 35 - PREMIERE PARTIE LES FACTEURS IDEELS, SYSTEMIQUES ET INTERNES, ENCADRANT L’UTILISATION DE LA RHETORIQUE DE JUSTIFICATION OFFICIELLE DE L’INTERVENTION MILITAIRE FRANÇAISE AU MALI.