Le 15 décembre 2016, Aurélie Landon, chercheure en urbanisme à la Fabrique des Territoires Innovants, organisait l'atelier de recherche collaborative "Lieux partagés et approche communautaire dans la fabrique de la ville".
Après avoir été partenaire de la FING dans le cadre de l'expédition SoftPlace sur les lieux partagés et après de premiers résultats de recherche en urbanisme, la FTI propose de continuer à explorer ces pistes.
Ce premier atelier abordait deux grandes questions : Pourquoi et comment créer des projets urbains gérés de façon communautaire ? Comment les lieux partagés s'inscrivent-ils dans la chaîne de fabrication (conception et gestion) de la ville ?
Il s'articulait autour de trois interventions :
- Flavie Ferchaud, doctorante en aménagement de l’espace
et science politique à l’Université Rennes 2 et
au sein du laboratoire ESO,
- Bastien Vernier, consultant
indépendant (Urbanim) en charge de la
mission « Tiers Lieu & Campus International »
par la ComUE Université Paris-Seine,
- Gwénaelle Dralou, chargée d’évaluation et
de développement économique au Conseil
Général des Hauts de Seine, qui oeuvre à la mise en place de tiers-lieux portés par des collectivités.
Un prochain atelier devrait être programmé bientôt pour poursuivre la réflexion.
Observatoire citoyen de la donnée dans le quartier Marx Dormoy La Chapelle (P...
2017 CR Atelier Lieux partagés et approches communautaires dans la fabrique de la ville
1. Compte rendu
Lieux partagés et approches commu-
nautaires dans la fabrique de la ville
Le 15 décembre 2016, rédigé par Aurélie Landon
L
a Fabrique des Territoires Innovants a proposé de réunir un atelier think-tank
pour s’interroger et échanger sur la place du lieu partagé dans la fabrique de
la ville. Cet atelier s’inscrit dans la suite d’une recherche collaborative entre la
Fing et la Fabrique des Territoires Innovants dans le cadre de l’expédition Soft-
Place. Ce programme avait pour objectif de proposer des pistes de réflexion autour d’un
double processus à l’œuvre : d’une part, la menace d’obsolescence de certains lieux
comme les agences bancaires suite à la dématérialisation croissante des services et
d’autre part l’émergence de nouveaux lieux plus hybrides sur les territoires comme la
Quincaillerie Numérique, portée par l’agglomération du Grand Guéret, ou le réseau de
Maison de Services au Public dans le département de la Lozère.
D
ans le cadre de ce programme, trois pistes urbaines ont été explorées : l’urba-
nisme des lieux hybrides ; les nouvelles représentations des systèmes territo-
riaux et les dispositifs d’appariement. Lors de cet atelier, il s’agissait de pour-
suivre deux pistes de travail :
• L’approche communautaire de la fabrique de la ville : tout au long de l’expédi-
tion SoftPlace, nous avons observé que les lieux partagés, au-delà d’être un espace
physique, étaient des lieux autour desquels gravite une communauté. La création et
le développement de lieux partagés pose donc la question de leur appropriation et de
leur animation tout au long du projet et à l’issue de celui-ci. Pourquoi et comment créer
des projets urbains gérés de façon communautaire ?
• Le lieu partagé dans la chaîne de fabrication de la ville : les lieux partagés font
émerger de nouveaux.elles acteur.trice.s dans les projets urbains mais également de
nouvelles pratiques professionnelles dans la conception puis la gestion de la ville. Or
ces deux temps de la fabrication de la ville, conception / réalisation et gestion, ont ten-
dance à être séparés. Comment accompagner la communauté sur la continuité, sans
séparer les moments de conception et de gestion ?
P
our échanger autour de ces questions, Flavie Ferchaud (Univ. Renne 2, ESO,
Rennes Métropole) ; Bastien Vernier (Urbanim) et Gwénaelle Dralou (CG 92)
nous ont fait part de leur point de vue, analyse et expérience sur le sujet.
1
2. 2
Quelques points de vigilance autour
de l’engouement pour les tiers lieux
Flavie Ferchaud est en fin de troisième an-
née de thèse en aménagement de l’espace
et science politique à l’Université Rennes 2 et
au sein du laboratoire ESO. Sa thèse se dé-
roule dans le cadre d’un contrat CIFRE à l’ag-
glomération Rennes Métropole.
Son travail de recherche porte sur deux types
de lieux : les fablabs et les hackerspaces. Dans
sa thèse, Flavie Ferchaud interroge l’articula-
tion entre ces lieux et leurs territoires d’implan-
tation. Elle s’appuie sur une enquête de terrain
menée en France et en Belgique. Elle nous a
présenté quelques points de sa recherche en
rapport avec les questionnements de l’atelier.
Le premier point est un appel à la vigilance
sur l’engouement des décideur.se.s et aména-
geur.se.s autour de ces lieux, qui se traduit par
de nombreuses commandes pour monter des
fablabs, des espaces de coworking, etc. Or ces
lieux étaient initialement créés par des com-
munautés locales préexistantes partageant
des centres d’intérêts et souhaitant mutualiser
leurs ressources. De nombreux projets récents
se révèlent en fait être des coquilles vides, car
le partage d’un lieu ne peut pas se décréter.
Par ailleurs, l’approche descendante qui peut
être adoptée par les collectivités pour pro-
grammer ces lieux est contraire à l’approche
par laquelle sont apparus ces lieux dans les
mouvements contre-culturels aux Etats-Unis,
avec une tendance libertaire. La relation entre
les occupant.e.s de ces lieux et les institutions
est donc complexe.
Le deuxième point concerne la sémantique
autour du terme « communauté ». Ce terme
est très utilisé pour décrire les systèmes des
tiers-lieux avec une connotation vertueuse et
positive. Cependant, dans son enquête, Flavie
Ferchaud souligne que cette notion de « com-
munauté » met en tension ouverture et sen-
timent d’appartenance. En effet, beaucoup de
lieux enquêtés sont constitués par des com-
munautés d’individus aux profils homogènes
et l’ouverture à de nouveaux publics peut être
perçue comme une source de danger. De
plus, ces lieux mettent l’accent sur des com-
pétences spécifiques, celles du « faire », qui
ne sont pas accessibles à tou.te.s.
Le troisième point concerne la conception
et la gestion des lieux. Lorsque les futurs
usages des lieux ne sont pas identifiés pen-
dant la conception, ces espaces ont rapide-
ment tendance à se transformer en espace de
consommation de temps sur des machines.
Les horaires rigides ou une mauvaise visibilité
sur rue tendent à transformer ces endroits en
un magasin comme un autre, perdant ainsi la
dimension de partage.
Enfin, Flavie Ferchaud propose de voir en quoi
ces lieux viennent réinterroger les modalités
de fabrique de la ville. En effet, les pratiques
du « faire », du bidouillage, etc. accompagnent
des pratiques d’expérimentations qui se déve-
loppent de plus en plus dans l’urbain. On le voit
avec le développement des friches urbaines
et des événements tels que Gare Remix à Lyon
qui montre la capacité de ces acteur.trice.s à
jouer un rôle dans l’espace urbain.
Comment co-construire un lieu avec
une communauté dans le cadre
d’une commande publique ?
Bastien Vernier se définit comme un néo-ur-
bain, un animateur, un citoyen, un voyageur
et un géographe urbaniste. Il est consultant
indépendant (Urbanim) et est en charge de la
mission « Tiers Lieu & Campus International »
par la ComUE Université Paris-Seine.
Il a pour mission de développer une mobilisa-
tion autour de la préfiguration d’un fablab sur
le territoire de Cergy. Il nous a présenté le fruit
de ses réflexions issues de cette expérimenta-
tion qui vise à mobiliser une communauté pour
développer un lieu à partir d’une commande
institutionnelle.
Bastien Vernier a tout d’abord souhaité aborder
le rôle des pratiques et de la culture numé-
rique dans la fabrique de la ville. Sur ce point,
le numérique ouvre de nouvelles formes de
rapprochement pour les habitant.e.s du terri-
toire, même s’il peut également conduire de
manière opposée à une forme d’isolement. Les
enjeux sont donc de « faire » le territoire mais
également de « l’animer ». Ce qui interroge la
place de l’habitant.e : fait-on la ville « pour » ou
3. 3
« avec » les habitant.e.s ? Depuis quelques an-
nées se pose la question de la pérennité de ce
qu’on appelle les usages de l’urbanisme tem-
poraire qui s’est développé dans les friches ur-
baines : comment le.a propriétaire ou l’investis-
seur.se peut valoriser un bien abandonné ? De
leur côté, comment les porteur.se.s de projet
peuvent être mis en lien avec ces derniers afin
de réaliser des projets ensemble ?
Autour de ces lieux, qu’ils soient permanents
ou éphémères, se jouent deux dynamiques
opposées : celle de l’autogestion et celle de
l’instrumentalisation de ces lieux pour en faire
un outil économique et/ou institutionnel. Or,
Bastien Vernier rappelle que si un lieu inno-
vant ne peut être décrété (tout comme on ne
peut décréter le partage), on peut en créer
les conditions : la gouvernance horizontale, la
confiance et la vision long terme avec une prise
de risques. Il faut donc questionner plusieurs
points dans la fabrique de la ville lorsque l’on
développe un tiers-lieu : est-ce une commu-
nauté ou une institution qui est à l’origine de
la création du lieu ? De là va dépendre un cer-
tain degré de liberté. Comment va être géré ce
lieu après sa conception ? Cette question doit
être posée très en amont puis tout au long du
projet.
Bastien Vernier a été en charge de la préfigura-
tion pour développer un fablab sur le territoire
de Cergy-Pontoise qui émane d’une demande
institutionnelle mais qui favoriserait une ap-
proche bottom-up. La demande émane de
quatre institutions qui ont trouvé des intérêts
partagés à mutualiser et à coopérer : l’Europe,
le département, la ComUE et l’agglomération.
Pour cela, il a organisé des ateliers réunissant
les associations, les étudiant.e.s et les entre-
prises du territoires afin de co-construire le
lieu. Pour la suite de ce projet, il faut continuer
à s’interroger sur la place de la communauté
: quelle place laisse-t-on aux usager.e.s dans la
prise de décisions ? Les institutions sont-elles
prêtes à s’effacer pour que le lieu ne pâtisse
pas d’une image trop institutionnelle ? Com-
ment assurer un portage public avec des ser-
vices privés ? Et enfin, comment ne pas abuser
du bénévolat de la communauté pour le déve-
loppement du lieu ?
Limites et tensions autour des lieux
portés par des collectivités
Gwénaelle Dralou est chargée d’évaluation et
de développement économique au Conseil
Général des Hauts de Seine. Elle s’intéresse
depuis quelques années aux tiers-lieux, ainsi
qu’aux freins et aux limites à les faire porter
par des collectivités.
Gwénaelle Dralou s’est intéressée à la « mode »
des tiers-lieux au sein des collectivités locales,
qui s’explique par plusieurs facteurs. Le pre-
mier est la méconnaissance des institutions
de ce qu’est un tiers-lieu, dispositif qui semble
souvent peu cher et dont l’animation est large-
ment sous-estimée. Par ailleurs, les collectivi-
tés financent de plus en plus difficilement leur
fonctionnement et veulent donc développer
l’investissement sur leur territoire. Elle évoque
aussi l’effet « couper le ruban », les élu.e.s vou-
lant souvent marquer leur mandat par des ac-
tions symboliques. Ce qui est rarement pris en
compte, c’est que développer ces tiers-lieux
par et dans les collectivités nécessite un re-
tournement de postures de ces dernières
ainsi qu’une réflexion sur la création de nou-
veaux métiers.
Gwénaelle Dralou a identifié plusieurs diffi-
cultés à faire porter un tiers-lieu par une col-
lectivité. La première est le droit à l’expéri-
mentation et à l’erreur revendiqué dans les
tiers-lieux, ce qui est très difficile à assumer
pour un.e élu.e et une collectivité. De plus, les
tiers-lieux sont des espaces de liberté qui vont
faire émerger des demandes ou des remises
en cause, cela interroge les collectivités sur
leurs capacités à y répondre. Le second aspect
est que le métier d’animateur.trice de lieu en
tant que tel n’existe pas dans la grille des
métiers de la fonction publique territoriale,
les compétences existent mais elles sont ré-
parties entre plusieurs personnes différentes.
Le fonctionnement hiérarchique fort des col-
lectivités contraste avec le fonctionnement «
à la personne » des lieux. Il est, par exemple,
difficile d’utiliser et de mobiliser via les réseaux
sociaux dans une collectivité car l’usage en est
très contrôlé.
Enfin la question de la mise aux normes des
lieux contraint fortement les collectivités. Il y a
4. La collaboration SoftPlace avec la Fing s’inscrit dans le programme
d’innovation et de recherche URBA_CREA de la Fabrique
des Territoires Innovants a vocation à s’intéresser aux initiatives
entrepreneuriales et collaboratives qui
veulent réinventer à la fois les processus
de conception des projets urbains et
la programmation de ces projets. Ce
programme s’appuie sur plusieurs
expérimentations et fait l’objet d’une
recherche doctorale menée par A.
Landon (CRH-Lavue, Paris 8)
Dans le cadre de ce programme,
la FTI développe des process
de recherche-action participative et
de design pour aligner les intérêts
des acteurs d’un territoire qui n’ont
pas l’habitude de travailler ensemble
et impliquer les citoyens à toutes les
étapes du projet pour intégrer les
nouveaux usages.
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Aurélie Landon
Chercheuse en urbanisme
aurelie.landon@territoiresinnovants.org
tout d’abord une difficulté à accepter des es-
paces aménagés avec de la récupération. Les
élu.e.s ont une culture de l’équipement neuf et
se sentent évalué.e.s sur ce point. Par ailleurs,
ces lieux ouverts et permettant de nombreux
usages présentent actuellement un risque
juridique élevé et non maitrisé pour une col-
lectivité. En revanche, sur plusieurs aspects,
les collectivités peuvent soutenir le dévelop-
pement des lieux sur leur territoire : en com-
muniquant pour les rendre accessibles, en
accompagnant la mise en réseau des lieux et
jouant le rôle de caution morale pour leur dé-
veloppement.
Pour aller plus loin
Lors de cet atelier, les échanges ont fait émer-
ger le besoin de circulation des connaissances
et d’échanges des porteurs de lieux. Il pourrait
être intéressant en ce sens de développer un
observatoire des tiers-lieux, qui permettrait
de répertorier les pratiques mais également
de mettre en lien des animateurs de lieux qui
se sentent souvent isolés dans leurs missions.
Par ailleurs, le tiers-lieu développé par les ins-
titutions réinterroge la fabrique de la ville et les
modalités des partenariats privés-publics.
De nombreux échanges ont émergé à la suite
de ces interventions qui seront à poursuivre
lors du prochain atelier.