Comprendre l'islam Au Nom d’Allah Le Très-Miséricordieux, Le Tout-Miséricordieux
Djibouti et le monde des émergents
1. Djibouti et le "monde des émergents"
Le Monde.fr | 27.07.2012 à 09h13 • Mis à jour le 27.07.2012 à 10h54Par Jean-Sylvestre Mongrenier,
chercheur associé à l'Institut Thomas More
Le 2 juillet 2012, des firmes chinoises et turques
signaient un accord sur la construction d'une ligne
ferroviaire entre l'Ethiopie et le port djiboutien de
Tadjourah. Dans les semaines à venir, des intérêts
chinois devraient se voir confier la future ligne entre la
capitale de l'Ethiopie, Addis-Abeba, et le port de Djibouti.
L'affirmation de Djibouti comme " hub " global, à la
croisée de l'Afrique de l'Est et du grand axe
maritime Europe-Asie, se fait en liaison avec le "monde
des émergents".
Au vrai, il y a longtemps que Djibouti est la porte de l'Ethiopie – Henry de
Monfreidévoquait le fait – mais l'indépendance de l'Erythrée et la fermeture du port
d'Assab d'une part, les déchirements de la Somalie et la marginalisation du port de
Berbera d'autre part, ont donné une autre ampleur à la chose. Ce sont près des neuf
dixièmes des échanges extérieurs de l'Ethiopie qui transitent par le port de Djibouti.
Sur cette base, les dirigeants de la cité-Etat ont décidé, au début des années 2000,
d'en faire un "main port", c'est à dire un port de transbordement et d'éclatement des
flux.
Pour donner forme à cette ambition, la gestion du Port autonome international de
Djibouti (PAID) a été confiée à Dubaï Ports World. L'aire originelle du PAID étant
2. saturée, un autre site a été investi, celui de Doraleh, une dizaine de kilomètres à
l'ouest. Un terminal pétrolier, un port sec et un terminal à conteneurs y ont été
implantés. Un troisième site est en cours de construction, celui de Tadjourah, dans le
pays Afar, avec l'Ethiopie à l'arrière-plan. Sur la décennie, le trafic maritime a doublé
et le nombre de conteneurs traités en 2012 devrait être d'un million d'EVP
(Equivalent Vingt Pieds).
Les accords ferroviaires, récents et à venir, amplifieront cette croissance. Alors que
les Français sont historiquement à l'origine du port comme de la ligne Djibouti/Addis-
Abeba, la poussée des "émergents" dans la zone est hautement significative. Ainsi,
le 2 juillet dernier, l'Ethiopie a signé avec deux groupes chinois (China Railway
Engineering Corporation, China Civil Engineering Construction Corporation) et un
groupe turc (Yapi Merkezi) les contrats sur la construction d'une ligne vers le port de
Tadjourah, tourné vers l'exportation de potasse. Dans les semaines à venir,
la Chine pourrait enfin emporter la nouvelle ligne Djibouti/Addis-Abeba, les projets
européens n'ayant pu aboutir.
La présence chinoise ne se limite pas à l'ingénierie et au BTP. Les investissements
en Ethiopie se portent dans l'industrie textile, le cuir, l'automobile ou encore
l'hôtellerie. Djibouti est le point d'entrée d'une Afrique de l'Est en cours de
désenclavement, avec une possible extension de l'hinterland portuaire vers l'Afrique
centrale et les Grands Lacs. Au-delà, le projet d'une interconnexion entre Djibouti et
Dakar qui doublerait le canal de Suez, est esquissé. Déjà, Pékin a proposé
de moderniser la ligne Dakar/Bamako/Ouagadougou. Ce sont là quelques éléments
de la grande stratégie chinoise mise en oeuvre sur les réseaux de communication qui
relient la façade maritime asiatique à l'Europe.
Investisseurs et exportateurs turcs sont aussi très actifs sur les rives de la mer
Rouge, longtemps un "lac" turco-arabe, comme dans la Corne de l'Afrique. Là
encore, la présence est multiforme et Addis-Abeba est le lieu d'un important forum
commercial organisé par le patronat turc. Cette percée est renforcée par une sorte
de diplomatie religieuse, tant publique et privée. En novembre 2011, Istanbul
accueillait ainsi le "Second sommet africain des leaders religieux musulmans",
organisé par la Direction des Affaires religieuses de Turquie. L'Ethiopie comme
Djibouti y étaient représentées. Sur le plan scolaire, la confrérie Gülen est présente
dans la zone. C'est sur de telles dynamiques que la diplomatie multivectorielle turque
s'articule et se déploie.
L'affirmation du "monde des émergents" et le grand désenclavement de l'Afrique sont
autant d'opportunités pour Djibouti. De fait, la cité-Etat est l'un de ces points où l'on
peut prendre le pouls du monde et l'exercice met en évidence des phénomènes qui
auront leurs prolongements géopolitiques. Aussi faudra-t-il s'y intéresser plus
encore.
Jean-Sylvestre Mongrenier, chercheur associé à l'Institut Thomas More