Science autonome, science pour et science avec le public
1. Science autonome, science pour
et science avec le public
Trois idéaux-types de la relation science et société mettant en jeu différentes
perceptions de l’incertitude.
Mélissa Lieutenant-Gosselin, doctorante en communication publique, Université Laval
20 novembre 2015, Les sciences et l'incertitude. Déterminismes, déterminations, normes,
discours. Les sciences sociales et la société ‐ IIIe édition.
2. Bouleversements de la relation
entre science et société
• Désintérêt et méfiance du public
• Justifier le soutien public et contribuer à la
croissance économique (économie du savoir)
• Réduction du soutien gouvernemental,
partenariat avec l’industrie très encouragé
• Institutions et éthos scientifiques ébranlés
• Mouvements sociaux remettent en question les
applications de la science, ses interactions avec la
politique, ses pratiques et méthodologies
3. Problèmeset possibilités
associés à ces bouleversements?
• Opinions diffèrent
• Hypothèses :
• différentes compréhensions de la science et de la
démocratie
• différentes perceptions de l’incertitude et des manières
d’y faire face
4. Trois idéaux-types
• Idéaux-types avec cohérence interne
• Cristallisent des positions courantes
→ Science autonome
→ Science pour le public
→ Science avec le public
5. Science
• Une ou plusieurs réalités
• Appréhension de cette (ces) réalité(s)
• Finalité
• Réalité (science pour la science)
• Mieux être société (contrôle, maîtrise du monde)
• Projet culturel du vivre ensemble
• Rapport au social, au politique
6. Démocratie
• Représentative-libérale
• Vote
• Choix des représentants, des priorités
• Contre-démocratie (Pierre Rosanvallon, 2006)
• Complémentaire à la démocratie représentative
• Société civile surveille, empêche, juge
• Méfiance continuelle nécessaire à la santé démocratique
• Démocratie participative
• Démocratie délibérative
• Dialogue, débat
7. Incertitude
• Imprécision, d’une mesure (erreur), d’une perception, d’une
image
• Caractère imprévisible du résultat (d’une action, évolution)
• Impossibilité d’une personne de connaître ou prévoir un fait,
un événement qui la concerne
• Sentiment de précarité qui en résulte
• État d’esprit d’une personne qui hésite à croire à la réalité
d’un fait, à la vérité d’un jugement
(CNRTL, 2012)
• Sous-détermination des sciences
• Nombre d’observations > Nombre de théories (ou modèles) les
expliquant (Quine, 1975)
8. Science autonome
Le problème
La science est pervertie par les influences extérieures
(politique, économie), les scientifiques n’atteignent donc
plus la vérité (ou moins efficacement).
Michel Polanyi. 1962. The Republic of Science: Its
Political and Economic Theory, p. 56 :
Any attempt to organise the group of helpers [les
scientifiques, qui collaborent par le libre partage des
connaissances] under a single authority would
eliminate their independent initiatives and thus
reduce their joint effectiveness to that of the single
person directing them from the centre.
9. Science autonome
Menaces pesant sur la science
• Politisation (incluant l’influence citoyenne)
• Utilitarisme (incluant la marchandisation)
10. Science autonome
Conceptions du savoir et des sciences
• UNE réalité, qui peut être appréhendée
• À cet effet, les scientifiques doivent être protégés des
influences externes, à l’inclusion de leurs propres valeurs,
par leurs méthodes, leur indépendance, le soutien des
recherches fondamentales et disciplinaires.
• Toute interférence est néfaste
11.
12. Science autonome
Incertitude dans cette perspective
• Outre l’incertitude liée à l’erreur des instruments de
mesures (imprécision)
→ Incertitude vient du manque d’études scientifiques
→ ET, s’il y a lieu, de l’ingérence du politique et de
l’économique
13. Science autonome
Démocratie dans cette perspective
• Science révèle la réalité permettant aux sociétés
démocratiques de prendre de meilleures décisions
• Science = vérité = progrès humain
• Science = certitudes (ou ↓ incertitudes) = progrès
• Science historiquement et philosophiquement liée à la
démocratie représentative mais extérieure à celle-ci
(dans sa propre république…) (Brown, 2009)
• Toutes deux s’appuient sur la division du travail : les élites
intellectuelles révèlent la réalité (scientifiques) et prennent les
décisions (politiciens); le peuple choisit ses représentants
• Toutes deux sont technocratiques
14.
15. Science autonome
Prérogatives des citoyens
• Bénéficier du savoir développé par les
scientifiques et de la réduction des incertitudes
(connaissance et maîtrise du monde)
Principes directeurs dans la relation
science-société
• Éducation, vulgarisation, accès au savoir
16. Science pour le public
Le problème
La science telle que pratiquée actuellement a des
effets néfastes importants (sur les humains, les
animaux, l’environnement) : elle pourrait être plus
utile ou moins nuisible.
Souvent le discours de la militance
environnementale ou de la critique éthique.
17. Science pour le public
Les menaces pesant sur la science
• Technocratie (orientations et applications en particulier)
• Manque de transparence
• Partisanerie (plutôt que la politisation)
• Marchandisation
18. Science pour le public
Conceptions du savoir et des sciences
• Qu’il y ait ou non une réalité unique, il y a différentes
façons de faire la science et de l’utiliser qui ont des
effets différents.
• Il est nécessaire de guider la science à certains niveaux –
classiquement aux applications ou aux grandes
orientations de la recherche (nucléaire, OGM, nano,
cellules souches embryonnaires…).
• Dans certaines circonstances, les savoirs « profanes »
peuvent être utiles (complémentaires) dans la production
de connaissances; les valeurs de la société doivent être
respectées.
19. Science pour le public
Incertitude dans cette perspective
• Incertitude liée aux risques éventuels plus ou moins
imprévisibles et hors du contrôle des gens :
→ Caractère imprévisible des résultats des actions
technoscientifiques et de leur évolution
→ Capacité limitée (des personnes, sociétés,
environnements…) à s’en prémunir
→ Sentiment de précarité
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21.
22.
23. Science pour le public
Relation avec la démocratie
• Extension de la démocratie représentative au monde
scientifique. La population détermine les objectifs et
limite les moyens, les élites politiques et intellectuelles
proposent (voire, choisissent) les moyens.
• Les citoyens font également un travail de contre-
démocratie : surveillance, jugement, empêchement.
(Pierre Rosanvallon. 2006. La contre-démocratie. La politique à l’âge de la
défiance. Éditions du Seuil, 345 p.)
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26. Science pour le public
Prérogative des citoyens
• Choisir ce à quoi la science servira
• Contraindre son évolution au nom de ses effets et de
valeurs éthiques
• Surveiller, empêcher, juger
Principes directeurs dans la relation science-
société
• Surveillance
• Principe de précaution (limiter les risques)
• Reddition de compte (effets néfastes)
• Accès aux savoirs et aux données
27. Science avec le public
Le problème
Le fonctionnement des sciences est fondamentalement
injuste : les sciences devraient être plus inclusives
• autorité élitiste (Guston, 1993)
• colonialisme intellectuel (Fourez, 2002)
• normalisante (Stengers, 1997)
• sa posture de la distance entraîne la déresponsabilisation (Brown,
2009)
• voire la constitution d’une « société du déni » (Salomon, 2006)
• Injustice cognitive quant aux autres manières de connaître le
monde (de Sousa Santos , 2007; Visvanathan , 2009)
28. Science avec le public
Les menaces pesant sur la science
• Élitisme
• Technocratie
• Manque de transparence
• Instrumentalisation
• Marchandisation
• Colonialisme intellectuel
• Survalorisation du savoir, de l’expertise et des institutions
scientifiques (manque d’humilité)
29.
30. Science avec le public
Conceptions du savoir et des sciences
• Qu’il y ait ou non une réalité unique, les humains n’ont
accès qu’aux constructions qu’ils s’en font.
• Ces constructions sont non seulement imparfaites, mais
historiquement et socialement situées. Bien souvent,
elles favorisent les puissants.
• Pour qu’elles soient équitables (et, selon certaines
compréhensions, efficaces), elles doivent être construites
par tous.
• De plus, il importe de reconnaître la valeur des autres
types de savoirs.
31. Science avec le public
Incertitude dans cette perspective
• Incertitude liée à la nature même des sciences :
→ En plus du caractère imprévisible des résultats des
actions technoscientifiques et de leur évolution
→ Sous-détermination des sciences
• Science = modèles explicatifs du monde situés
• Autres modèles possibles
→ Pas un problème en tant que tel, mais nécessaire d’en tenir
compte (humilité, inclusion, précaution) : slow science
32. Science avec le public
Relation avec la démocratie
• Valorisation de la participation citoyenne directe à toutes
les étapes (démocratie participative)
• L’idée de délibération est aussi très souvent au cœur des
approches prônées (démocratie délibérative)
33. Science avec le public
Prérogative des citoyens
• Tous peuvent participer à la production de savoirs, tous
ont leur mot à dire sur la pratique scientifique.
Principes directeurs dans la relation science-
société
• Égalité
• Empowerment (↓ sentiment de précarité)
• Pluralisme
34. Science autonome = la science comme une quête
indépendante et idéaliste de la vérité. Réduit l’incertitude.
• Institution extérieure à la démocratie réservée aux personnes
ayant reçu une éducation scientifique et employant la
méthode scientifique. La science sert la démocratie en
révélant la réalité : moins d’incertitude, plus de contrôle.
Science pour le public = outil pour une vie meilleure
• La pratique de la science et ses usages peuvent avoir des
effets néfastes (bénéfices sont incertains). Les sociétés doivent
pouvoir influencer les orientations de la technoscience et
empêcher certains projets.
Science avec le public = science comme projet culturel
• Incertitude intrinsèque (sous-détermination) : être ouverte à
la participation, aux demandes, aux critiques et aux savoirs
des citoyens. Reconnaître la valeur des autres systèmes de
connaissances (cosmologies).
38. Références
Brown, Mark B. 2009. Science in Democracy. Expertise, Institutions, and
Representation. Cambridge : The MIT Press, 354 p.
Centre national de ressources textuelles et lexicales (CNRTL). 2012. Incertitude.
http://www.cnrtl.fr/definition/incertitude
de Sousa Santos, Boaventura (ed.). 2007. Another knowledge is possible: beyond
northern epistemologies. Verso, 447 p.
Fourez, Gérard. 2002. La construction des sciences. Les logiques des inventions
scientifiques, 4e édition augmentée. De Boeck Université, 382 p.
Guston, David. 1993. « The essential tension in science and democracy ». Social
epistemology, 7(1) : 3-23.
Quine, V. W. 1975. « On Empirically Equivalent Systems of the World ». Erkenntnis,
9(3) : 313-328.
Rosanvallon, Pierre. 2006. La contre-démocratie. La politique à l’âge de la défiance.
Éditions du Seuil, 345 p.
Salomon, Jean-Jacques. 2006. Les Scientifiques : Entre savoir et pouvoir. Paris : Albin
Michel, 435 p.
Stengers, Isabelle. 1997. Sciences et pouvoirs. La démocratie face à la
technoscience. Paris : Éditions la découverte, 120 p.
Visvanathan, Shiv. 2009. The Search for Cognitive Justice. http://www.india-
seminar.com/2009/597/597_shiv_visvanathan.htm