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D E M É M O I R E D E M É D E C I N
LA REVUE DU PRATICIEN, VOL. 58, 31 JANVIER 2008 1
Dans le ghetto de Varsovie, contre l’horreur et la déchéance, au-dessus d’un commissariat
où l’on pratiquait la torture, la soif de connaissance et de dignité humaine réussirent
encore à s’exprimer avec force.
par Marta Aleksandra Balinska
I
maginez une vieille maison bourgeoise per-
due dans la campagne sarthoise. Imaginez
ensuite une petite fille qui passe ses étés avec
son arrière-grand-mère polonaise, entourée
de livres en polonais, français, anglais et russe,
qui lui raconte des histoires remontant au XIXe
siècle,
commente pour elle les reproductions de vieux
tableaux de Varsovie ornant sa maison et qui se
délecte en écoutant Chopin. L’arrière-grand-mère
meurt, la petite fille grandit. Un jour de pluie, elle
passe son temps à feuilleter les livres de l’immense
bibliothèque et elle tombe sur les mémoires de
son arrière-grand-oncle, l’immunologiste Ludwik
Hirszfeld (1884-1954) [fig. 1].* Intitulé modeste-
ment L’histoire d’une vie, cet ouvrage la marquera
à jamais: non seulement par les récits d’un jeune
médecin idéaliste qui fait deux grandes décou-
vertes en sérologie avant l’âge de 35 ans, qui soigne
les malades et blessés au sein de l’Armée d’Orient,
qui sillonne ainsi l’Europe, par la description
enthousiaste de sa participation à
la reconstruction de l’infrastructure
médicale et sanitaire de la Pologne
ressuscitée par le Traité de Versailles,
mais aussi et surtout par son expé-
rience de médecin dans le ghetto de
Varsovie, sa fuite de cette géhenne
et son regard lucide, humaniste et
tragique sur le siècle qui lui avait été
donné à vivre.
Ludwik
Hirszfeld.
Figure 1
L’écoledemédecine
dansleghettodeVarsovie
(1941-1942)
Une évocation personnelle
* Connu surtout comme cofondateur (avec Emil
von Dungern) du système ABO, considéré
comme le fondateur de la séro-anthropologie, Ludwik Hirszfeld est
également le premier à avoir prévu le conflit sérologique entre mère
et enfant, ensuite confirmé par la découverte du facteur Rhésus.
En Pologne, ses mémoires lui ont apporté une grande renommée.
Cette autobiographie n’a jamais été publiée en français (malgré
les efforts de Robert Debré), mais vient d’être traduite en anglais
par l’auteur du présent article, ainsi que commentée et éditée en
collaboration avec William Schneider, historien de la sérologie
(manuscrit soumis à la publication).
DR
D E M É M O I R E D E M É D E C I N
2 LA REVUE DU PRATICIEN, VOL. 58, 31 JANVIER 2008
LE TÉMOIGNAGE DE STANISLAS TOMKIEWICZ
Les années passent. Par un heureux concours de
circonstances, la jeune fille devenue adulte (moi-
même) rencontre Stanislas Tomkiewicz (fig. 2),
l’éminent pédopsychiatre connu de ses familiers
comme « Tom ». La première conversation dure
plusieurs heures et (je ne sais comment) je décou-
vre que Tom avait été l’élève de Hirszfeld à l’École
de médecine du ghetto de Varsovie. Non seule-
ment de Hirszfeld, mais également d’un groupe de
professeurs de médecine parmi les plus éminents
de la Varsovie d’avant-guerre, à peu près tous morts
du fait de la Shoah. Comme l’écrit Tomkiewicz dans
son ouvrage autobiographique:
« Tout enseignement [en Pologne] était puni de
mort dès décembre 1939, les chrétiens avaient droit à
l’école primaire, les juifs à rien du tout. Cependant,
paradoxe de l’histoire, les Allemands avaient autorisé
dans le ghetto, en 1941, quelques écoles “profession-
nelles”. L’une d’entre elles était destinée officiellement
à former les agents de lutte contre le typhus exanthé-
matique: elle devint en fait une excellente faculté de
médecinesemi-clandestine.L’objectifofficielétaitdecréer
des sortes de sous-infirmiers pour la lutte contre l’épi-
démie, apprendre à reconnaître les poux, à connaître
les microbes du typhus, à désinfecter les vêtements et
doucher la population. En réalité, ce fut une première
année de médecine de très haut niveau dont l’ensei-
gnement m’a encore servi plusieurs années dans mes
études en France. Je me souviens surtout de deux de
nos professeurs, qui m’ont profondément marqué, tous
deuxjuifsconvertis.LeprofesseurZweibaum,ungrand
histologiste d’une immense gentillesse. L’autre, encore
plus célèbre, le professeur Hirschfeld [sic] – adjoint de
Landsteiner**, prix Nobel pour sa découverte des grou-
pes sanguins – était un type tout à fait phénoménal:
juif converti au catholicisme, il avait été obligé par les
nazis à venir vivre dans le ghetto. Il était un enseignant
hors pair, et j’ai lu après la guerre son autobiogra-
phie, publiée à Varsovie en 1946. »
Plus tard, Tomkiewicz devait me dire: « Le
Pr
Ludwik Hirszfeld [était] le premier de mes grands
maîtres en médecine. C’est lui qui m’avait enseigné l’hé-
matologie et l’immunologie dans cette école complète-
ment surréaliste et héroïque qu’il avait réussi à orga-
niser, au milieu des cadavres, dans le ghetto de
Varsovie. »2
DANS L’HORREUR, UNE EXPÉRIENCE
DE DIGNITÉ
Le but de cet article n’est pas de revenir sur les
détails historiques de la création de l’école de méde-
cine, mais plutôt d’évoquer ce « surréalisme » dont
parle Tomkiewicz et de laisser entrevoir jusqu’où
l’être humain est capable de se hisser, malgré un
environnement effroyable (fig. 3). Le fait que le
Dr
Janusz Korczak maintenait l’oasis de son orphe-
linat dans les mêmes circonstances n’est pas une
coïncidence. Je dirais même que c’est l’éthique
médicale portée jusqu’à son apogée: dans les deux
cas*** (l’orphelinat de Korczak et l’école de méde-
cine), il s’agissait de donner à des jeunes, condam-
nés par avance à une mort atroce, une dernière
expérience de dignité dans un endroit propre,
entourés de gens bienveillants, en élevant leurs
esprits, et en leur permettant de voir qu’au-delà
de l’horreur perpétrée par l’homme, il existe des
valeurs (la générosité humaine) et des vérités (la
science) inébranlables quelles que soient les condi-
tions.
Revenons aux circonstances dans lesquelles
l’école de médecine a été créée. Hirszfeld com-
mence le chapitre qu’il consacre à ce sujet: « [Il
fallait] trouver les moyens d’accéder aux gens malgré
l’interdictionderassemblement».Sachant que les Alle-
mands demandaient aux responsables sanitaires
juifs de réunir périodiquement les médecins char-
gés de la vaccination contre la typhoïde, Hirszfeld
a décidé de leur faire une conférence, impromp-
tue, soi-disant sur la vaccination. Le président du
Conseil juif du ghetto de Varsovie, Adam Czer-
niakow, personne qui a soutenu Hirszfeld dans
ses démarches, était présent. En réalité, Hirszfeld
ne leur a pas parlé du tout de vaccination, mais a
appelé plutôt au courage et à la dignité: « L’en-
nemi veut nous enlever, à nous Polonais et Juifs, tout
ce qui est art et science. Il se peut que nous périssions,
DR
Stanislas
Tomkiewicz.
Figure 2
D E M É M O I R E D E M É D E C I N / L’ÉCOLE DE MÉDECINE DANS LE GHETTO DE VARSOVIE (1941-1942)
LA REVUE DU PRATICIEN, VOL. 58, 31 JANVIER 2008 3
mais si nous devons périr, faisons-le avec dignité. Notre
pensée doit pouvoir […] s’évader là où il nous est per-
mis de réfléchir et de créer. » Et il se lança dans un
exposé complexe sur la cellule bactérienne et les
plus récentes recherches en matière de biochimie.
Au fur et à mesure qu’il parlait, « [je voyais] que
j’avais bien ciblé, que ces gens désiraient terriblement
des réunions, des conférences, des échanges d’idées –
en un mot, tout ce qui pouvait leur rappeler leur vie
d’avant-guerre,meilleure.» Il leur proposa donc deux
conférences hebdomadaires de deux heures: une
heure de théorie et une heure de clinique. Cela
enthousiasma tant ses auditeurs, qu’on l’arrêtait
dans la rue pour le remercier de ces moments de
« clarté ». Bientôt, Hirszfeld adopta sa devise: « La
connaissance–c’estmonsoulagementetmonespérance;
sans elle, je ne pourrais subsister. »3
Une fois qu’il n’y eut plus de prétexte pour ensei-
gner les « vaccinateurs », ce furent les dentistes
qui se tournèrent vers Hirszfeld pour qu’il leur
organisât une série de conférences similaires. Sous
le couvert de « pathologie générale », il obtint
l’autorisation de la part des Allemands. Entre-temps,
le Dr
Zweibaum (dont Tomkiewicz se souvenait
si bien) s’était débrouillé pour organiser des cours
pour le personnel sanitaire. Mais, en réalité, cela
devait correspondre aux deux premières années
d’enseignement de la médecine. Ils réunirent donc
leurs efforts, réussirent à trouver un local (au-
dessus d’un poste de police où l’on torturait et tuait
les gens), à le nettoyer, et malgré le manque de
chauffage et d’électricité (les cours se faisaient par-
fois à la chandelle) à mettre en place un véritable
cursus médical.
« J’avais souvent l’impression [de faire cours] à
de petits oiselets effrayés, » se souvenait Hirszfeld****
bientôt après la mort
de sa propre fille. « Je
regardais leurs jeunes
visages et me disais que
si peu d’entre eux
allaient survivre. […]
Devais-je avant leur
mort leur parler d’in-
fections et faire passer
des examens en bacté-
riologie à des condam-
nés? Non, j’allais les
arracher [à la réalité]
par un grand envol de
la pensée […]. Quand
je leur parlais de mon
sujet préféré, les groupes sanguins, je les amenais sur
les bords du Gange et je disais que c’était là que je
m’attendaisàdécouvrirlesgrandsprincipesdelatrans-
formation des groupes sanguins.
« Écoutez, leur disais-je, je suis ici avec vous der-
rière ce mur, comme chacun d’entre vous, n’importe quel
petit soldat idiot peut me tuer par caprice. Mais la
pensée me permet d’errer dans les pays lointains, car
je suis tombé amoureux de la science.
« […] D’en bas, on entendait les coups de feu et les
cris des victimes. Mais [les étudiants] restaient assis,
complètement absorbés. […] Jamais je n’ai parlé avec
tant de plasticité ni avec tant d’ardeur. Je sentais qu’il
fallait que je remplace la vie à laquelle ces enfants
avaient droit, comme ils avaient droit à la jeunesse et
à l’amour. En fait, ce n’était pas moi qui parlais. Der-
rière moi se tenait l’esprit de l’empathie et de l’amour
qui me dictait mot par mot, phrase par phrase. »4
Stanislas Tomkiewicz n’était probablement pas
le seul survivant des élèves de l’école de méde-
cine du ghetto de Varsovie, mais je n’ai jamais
entendu parler d’aucun autre.
Marta Aleksandra Balinska-Peroutkova
Consultante en santé publique, via Graziano 57,
00165 Rome, Italie.
Courriel : mbalinska@gmail.com
1. Stanislas Tomkiewicz, l’adolescence volée. Paris:
Calmann-Lévy/Hachette Littératures, 1999:26.
2. Entretien avec Stanislaw Tomkiewicz. In: Marta
Aleksandra Balinska, Retour à la vie. Paris:
Éditions Odile Jacob, 2003.
3. Ludwik Hirszfeld, Historia jednego zycia.
Varsovie (Czytelnik), 2000:295-6.
4. Ibid:298-9.
Pour en savoir plus
● Marian Apfelbaum. Retour sur le ghetto
de Varsovie. Paris: Odile Jacob, 2002.
● Adina Blady-Szwajger. Je ne me souviens
de rien d’autre. Paris: Calmann-Lévy, 1994.
● Adam Czerniakow. Carnets du ghetto
de Varsovie. Paris: La Découverte, 2003.
● Betty-Jean Lifton. Janusz Korczak, le roi
des enfants. Paris: Robert Laffont, 1989.
● Charles G. Roland. Courage Under Siege:
Disease, Starvation and Death in the Warsaw
Ghetto. New York: Oxford University Press, 1992.
● Paul J.Weindling. Epidemics and Genocide
in Eastern Europe, 1890-1945. New York: Oxford
University Press, 2000.
R É F É R E N C E S
©UnitedStatesHolocaustMemorialMuseum.
Enfants du ghetto de Varsovie.Figure 3
** Cela est inexact. Hirszfeld connaissait bien Landsteiner ainsi
que ses travaux, mais n’a jamais été son adjoint.
*** Soulignons qu’il y a eu de nombreuses autres initiatives qui
tentaient d’atténuer la souffrance non seulement matérielle et phy-
sique mais aussi morale des milliers d’emprisonnés dans les murs
du ghetto de Varsovie. Celles de Korczak et de Hirszfeld et ses
collègues sont loin d’être isolées.
**** À l’origine, Ludwik Hirszfeld avait consacré tout un chapitre
de son autobiographie à sa fuite du ghetto qui fut largement orches-
trée par l’Armia krajowa (l’armée polonaise de résistance), mais,
dans les conditions d’après-guerre, il a supprimé et même détruit
cette partie de son récit. Ludwik et Hanna Hirszfeld ont décidé
de quitter le ghetto (après plusieurs propositions) début 1943 en
espérant ainsi sauver leur fille unique, gravement malade. Ils réus-
sirent tous les trois à sortir de l’enceinte en se déguisant en ouvriers.
Jusqu’à la fin de la guerre, ils se sont cachés ensemble et séparé-
ment à Varsovie ainsi que dans diverses petites villes de province.
Leur fille est décédée dans des circonstances tragiques, ce qui a
d’ailleurs incité Hirszfeld à écrire ses mémoires. Au moment d’un
de leurs nombreux déplacements, il a enterré le manuscrit sous le
parquet d’une maisonnette de campagne et et l’a retrouvé intact
après la guerre…

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Hirszfeld.Balinska

  • 1. D E M É M O I R E D E M É D E C I N LA REVUE DU PRATICIEN, VOL. 58, 31 JANVIER 2008 1 Dans le ghetto de Varsovie, contre l’horreur et la déchéance, au-dessus d’un commissariat où l’on pratiquait la torture, la soif de connaissance et de dignité humaine réussirent encore à s’exprimer avec force. par Marta Aleksandra Balinska I maginez une vieille maison bourgeoise per- due dans la campagne sarthoise. Imaginez ensuite une petite fille qui passe ses étés avec son arrière-grand-mère polonaise, entourée de livres en polonais, français, anglais et russe, qui lui raconte des histoires remontant au XIXe siècle, commente pour elle les reproductions de vieux tableaux de Varsovie ornant sa maison et qui se délecte en écoutant Chopin. L’arrière-grand-mère meurt, la petite fille grandit. Un jour de pluie, elle passe son temps à feuilleter les livres de l’immense bibliothèque et elle tombe sur les mémoires de son arrière-grand-oncle, l’immunologiste Ludwik Hirszfeld (1884-1954) [fig. 1].* Intitulé modeste- ment L’histoire d’une vie, cet ouvrage la marquera à jamais: non seulement par les récits d’un jeune médecin idéaliste qui fait deux grandes décou- vertes en sérologie avant l’âge de 35 ans, qui soigne les malades et blessés au sein de l’Armée d’Orient, qui sillonne ainsi l’Europe, par la description enthousiaste de sa participation à la reconstruction de l’infrastructure médicale et sanitaire de la Pologne ressuscitée par le Traité de Versailles, mais aussi et surtout par son expé- rience de médecin dans le ghetto de Varsovie, sa fuite de cette géhenne et son regard lucide, humaniste et tragique sur le siècle qui lui avait été donné à vivre. Ludwik Hirszfeld. Figure 1 L’écoledemédecine dansleghettodeVarsovie (1941-1942) Une évocation personnelle * Connu surtout comme cofondateur (avec Emil von Dungern) du système ABO, considéré comme le fondateur de la séro-anthropologie, Ludwik Hirszfeld est également le premier à avoir prévu le conflit sérologique entre mère et enfant, ensuite confirmé par la découverte du facteur Rhésus. En Pologne, ses mémoires lui ont apporté une grande renommée. Cette autobiographie n’a jamais été publiée en français (malgré les efforts de Robert Debré), mais vient d’être traduite en anglais par l’auteur du présent article, ainsi que commentée et éditée en collaboration avec William Schneider, historien de la sérologie (manuscrit soumis à la publication). DR
  • 2. D E M É M O I R E D E M É D E C I N 2 LA REVUE DU PRATICIEN, VOL. 58, 31 JANVIER 2008 LE TÉMOIGNAGE DE STANISLAS TOMKIEWICZ Les années passent. Par un heureux concours de circonstances, la jeune fille devenue adulte (moi- même) rencontre Stanislas Tomkiewicz (fig. 2), l’éminent pédopsychiatre connu de ses familiers comme « Tom ». La première conversation dure plusieurs heures et (je ne sais comment) je décou- vre que Tom avait été l’élève de Hirszfeld à l’École de médecine du ghetto de Varsovie. Non seule- ment de Hirszfeld, mais également d’un groupe de professeurs de médecine parmi les plus éminents de la Varsovie d’avant-guerre, à peu près tous morts du fait de la Shoah. Comme l’écrit Tomkiewicz dans son ouvrage autobiographique: « Tout enseignement [en Pologne] était puni de mort dès décembre 1939, les chrétiens avaient droit à l’école primaire, les juifs à rien du tout. Cependant, paradoxe de l’histoire, les Allemands avaient autorisé dans le ghetto, en 1941, quelques écoles “profession- nelles”. L’une d’entre elles était destinée officiellement à former les agents de lutte contre le typhus exanthé- matique: elle devint en fait une excellente faculté de médecinesemi-clandestine.L’objectifofficielétaitdecréer des sortes de sous-infirmiers pour la lutte contre l’épi- démie, apprendre à reconnaître les poux, à connaître les microbes du typhus, à désinfecter les vêtements et doucher la population. En réalité, ce fut une première année de médecine de très haut niveau dont l’ensei- gnement m’a encore servi plusieurs années dans mes études en France. Je me souviens surtout de deux de nos professeurs, qui m’ont profondément marqué, tous deuxjuifsconvertis.LeprofesseurZweibaum,ungrand histologiste d’une immense gentillesse. L’autre, encore plus célèbre, le professeur Hirschfeld [sic] – adjoint de Landsteiner**, prix Nobel pour sa découverte des grou- pes sanguins – était un type tout à fait phénoménal: juif converti au catholicisme, il avait été obligé par les nazis à venir vivre dans le ghetto. Il était un enseignant hors pair, et j’ai lu après la guerre son autobiogra- phie, publiée à Varsovie en 1946. » Plus tard, Tomkiewicz devait me dire: « Le Pr Ludwik Hirszfeld [était] le premier de mes grands maîtres en médecine. C’est lui qui m’avait enseigné l’hé- matologie et l’immunologie dans cette école complète- ment surréaliste et héroïque qu’il avait réussi à orga- niser, au milieu des cadavres, dans le ghetto de Varsovie. »2 DANS L’HORREUR, UNE EXPÉRIENCE DE DIGNITÉ Le but de cet article n’est pas de revenir sur les détails historiques de la création de l’école de méde- cine, mais plutôt d’évoquer ce « surréalisme » dont parle Tomkiewicz et de laisser entrevoir jusqu’où l’être humain est capable de se hisser, malgré un environnement effroyable (fig. 3). Le fait que le Dr Janusz Korczak maintenait l’oasis de son orphe- linat dans les mêmes circonstances n’est pas une coïncidence. Je dirais même que c’est l’éthique médicale portée jusqu’à son apogée: dans les deux cas*** (l’orphelinat de Korczak et l’école de méde- cine), il s’agissait de donner à des jeunes, condam- nés par avance à une mort atroce, une dernière expérience de dignité dans un endroit propre, entourés de gens bienveillants, en élevant leurs esprits, et en leur permettant de voir qu’au-delà de l’horreur perpétrée par l’homme, il existe des valeurs (la générosité humaine) et des vérités (la science) inébranlables quelles que soient les condi- tions. Revenons aux circonstances dans lesquelles l’école de médecine a été créée. Hirszfeld com- mence le chapitre qu’il consacre à ce sujet: « [Il fallait] trouver les moyens d’accéder aux gens malgré l’interdictionderassemblement».Sachant que les Alle- mands demandaient aux responsables sanitaires juifs de réunir périodiquement les médecins char- gés de la vaccination contre la typhoïde, Hirszfeld a décidé de leur faire une conférence, impromp- tue, soi-disant sur la vaccination. Le président du Conseil juif du ghetto de Varsovie, Adam Czer- niakow, personne qui a soutenu Hirszfeld dans ses démarches, était présent. En réalité, Hirszfeld ne leur a pas parlé du tout de vaccination, mais a appelé plutôt au courage et à la dignité: « L’en- nemi veut nous enlever, à nous Polonais et Juifs, tout ce qui est art et science. Il se peut que nous périssions, DR Stanislas Tomkiewicz. Figure 2
  • 3. D E M É M O I R E D E M É D E C I N / L’ÉCOLE DE MÉDECINE DANS LE GHETTO DE VARSOVIE (1941-1942) LA REVUE DU PRATICIEN, VOL. 58, 31 JANVIER 2008 3 mais si nous devons périr, faisons-le avec dignité. Notre pensée doit pouvoir […] s’évader là où il nous est per- mis de réfléchir et de créer. » Et il se lança dans un exposé complexe sur la cellule bactérienne et les plus récentes recherches en matière de biochimie. Au fur et à mesure qu’il parlait, « [je voyais] que j’avais bien ciblé, que ces gens désiraient terriblement des réunions, des conférences, des échanges d’idées – en un mot, tout ce qui pouvait leur rappeler leur vie d’avant-guerre,meilleure.» Il leur proposa donc deux conférences hebdomadaires de deux heures: une heure de théorie et une heure de clinique. Cela enthousiasma tant ses auditeurs, qu’on l’arrêtait dans la rue pour le remercier de ces moments de « clarté ». Bientôt, Hirszfeld adopta sa devise: « La connaissance–c’estmonsoulagementetmonespérance; sans elle, je ne pourrais subsister. »3 Une fois qu’il n’y eut plus de prétexte pour ensei- gner les « vaccinateurs », ce furent les dentistes qui se tournèrent vers Hirszfeld pour qu’il leur organisât une série de conférences similaires. Sous le couvert de « pathologie générale », il obtint l’autorisation de la part des Allemands. Entre-temps, le Dr Zweibaum (dont Tomkiewicz se souvenait si bien) s’était débrouillé pour organiser des cours pour le personnel sanitaire. Mais, en réalité, cela devait correspondre aux deux premières années d’enseignement de la médecine. Ils réunirent donc leurs efforts, réussirent à trouver un local (au- dessus d’un poste de police où l’on torturait et tuait les gens), à le nettoyer, et malgré le manque de chauffage et d’électricité (les cours se faisaient par- fois à la chandelle) à mettre en place un véritable cursus médical. « J’avais souvent l’impression [de faire cours] à de petits oiselets effrayés, » se souvenait Hirszfeld**** bientôt après la mort de sa propre fille. « Je regardais leurs jeunes visages et me disais que si peu d’entre eux allaient survivre. […] Devais-je avant leur mort leur parler d’in- fections et faire passer des examens en bacté- riologie à des condam- nés? Non, j’allais les arracher [à la réalité] par un grand envol de la pensée […]. Quand je leur parlais de mon sujet préféré, les groupes sanguins, je les amenais sur les bords du Gange et je disais que c’était là que je m’attendaisàdécouvrirlesgrandsprincipesdelatrans- formation des groupes sanguins. « Écoutez, leur disais-je, je suis ici avec vous der- rière ce mur, comme chacun d’entre vous, n’importe quel petit soldat idiot peut me tuer par caprice. Mais la pensée me permet d’errer dans les pays lointains, car je suis tombé amoureux de la science. « […] D’en bas, on entendait les coups de feu et les cris des victimes. Mais [les étudiants] restaient assis, complètement absorbés. […] Jamais je n’ai parlé avec tant de plasticité ni avec tant d’ardeur. Je sentais qu’il fallait que je remplace la vie à laquelle ces enfants avaient droit, comme ils avaient droit à la jeunesse et à l’amour. En fait, ce n’était pas moi qui parlais. Der- rière moi se tenait l’esprit de l’empathie et de l’amour qui me dictait mot par mot, phrase par phrase. »4 Stanislas Tomkiewicz n’était probablement pas le seul survivant des élèves de l’école de méde- cine du ghetto de Varsovie, mais je n’ai jamais entendu parler d’aucun autre. Marta Aleksandra Balinska-Peroutkova Consultante en santé publique, via Graziano 57, 00165 Rome, Italie. Courriel : mbalinska@gmail.com 1. Stanislas Tomkiewicz, l’adolescence volée. Paris: Calmann-Lévy/Hachette Littératures, 1999:26. 2. Entretien avec Stanislaw Tomkiewicz. In: Marta Aleksandra Balinska, Retour à la vie. Paris: Éditions Odile Jacob, 2003. 3. Ludwik Hirszfeld, Historia jednego zycia. Varsovie (Czytelnik), 2000:295-6. 4. Ibid:298-9. Pour en savoir plus ● Marian Apfelbaum. Retour sur le ghetto de Varsovie. Paris: Odile Jacob, 2002. ● Adina Blady-Szwajger. Je ne me souviens de rien d’autre. Paris: Calmann-Lévy, 1994. ● Adam Czerniakow. Carnets du ghetto de Varsovie. Paris: La Découverte, 2003. ● Betty-Jean Lifton. Janusz Korczak, le roi des enfants. Paris: Robert Laffont, 1989. ● Charles G. Roland. Courage Under Siege: Disease, Starvation and Death in the Warsaw Ghetto. New York: Oxford University Press, 1992. ● Paul J.Weindling. Epidemics and Genocide in Eastern Europe, 1890-1945. New York: Oxford University Press, 2000. R É F É R E N C E S ©UnitedStatesHolocaustMemorialMuseum. Enfants du ghetto de Varsovie.Figure 3 ** Cela est inexact. Hirszfeld connaissait bien Landsteiner ainsi que ses travaux, mais n’a jamais été son adjoint. *** Soulignons qu’il y a eu de nombreuses autres initiatives qui tentaient d’atténuer la souffrance non seulement matérielle et phy- sique mais aussi morale des milliers d’emprisonnés dans les murs du ghetto de Varsovie. Celles de Korczak et de Hirszfeld et ses collègues sont loin d’être isolées. **** À l’origine, Ludwik Hirszfeld avait consacré tout un chapitre de son autobiographie à sa fuite du ghetto qui fut largement orches- trée par l’Armia krajowa (l’armée polonaise de résistance), mais, dans les conditions d’après-guerre, il a supprimé et même détruit cette partie de son récit. Ludwik et Hanna Hirszfeld ont décidé de quitter le ghetto (après plusieurs propositions) début 1943 en espérant ainsi sauver leur fille unique, gravement malade. Ils réus- sirent tous les trois à sortir de l’enceinte en se déguisant en ouvriers. Jusqu’à la fin de la guerre, ils se sont cachés ensemble et séparé- ment à Varsovie ainsi que dans diverses petites villes de province. Leur fille est décédée dans des circonstances tragiques, ce qui a d’ailleurs incité Hirszfeld à écrire ses mémoires. Au moment d’un de leurs nombreux déplacements, il a enterré le manuscrit sous le parquet d’une maisonnette de campagne et et l’a retrouvé intact après la guerre…