Tout le monde connaît le Petit-Beurre ou a déjà dévoré un Petit Écolier, biscuits phares de la marque Lefèvre-Utile (LU).
Reconnaîtrez-vous l’odeur du biscuit chaud qui sortait à certaines heures de l’usine LU en plein cœur de Nantes ? Quelle émotion suscitera-t-elle en vous ? Pour le savoir, RDV à l’exposition LU, un siècle d’innovation (1846-1957) au Château des ducs de Bretagne (officiel) ! L’odeur a été reconstituée par la Maison Cinquieme Sens, et est diffusée par Scentys
1. L'HUMANITE DIMANCHE
Date : Du 30 juillet au
05 aout 2020
Pays : FR
Périodicité : Hebdomadaire
Journaliste : GÉRALD ROSSI
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CINQUIEME 6508619500507Tous droits réservés à l'éditeur
DÉCOUVRIR
Petit Écolier, Paille d’or, gaufrette, boudoir... ces célèbres biscuits sont
tous sortis des usines LU, à Nantes. L’exposition «Un siècle d’innovation»
retrace cette aventure industrielle aussi inventive que paternaliste.
LE PARFUM RETROUVÉ
DU PETIT LU
Une chaude et appétissante odeur de biscuit
sortant du four se répand sur la
ville de Nantes. Comme un em
blème industriel. Dans l’impo
sante usine installée sur le quai
Barco, la société LU produit,
au mieux de sa forme, jusqu’à
20 tonnes de biscuits chaque
jour... Telle est l’histoire que
raconte l’exposition présentée par
EXPOSITION
le musée du château des ducs de
Bretagne. Avec un souci du détail
qui laisse diffuser dans un coin de
l’exposition une fragrance de parfum pâtissier élabo
rée par les « nez » de la société parisienne Cinquième
Sens. Après un transfert des productions dans la com
mune voisine de La Haie-Fouassière dans les années
1987-1989, les locaux nantais ont été en partie démo
lis, devenant une éphémère friche d’artistes jusqu’à
ce que, le 30 décembre 1990, y soit inauguré le Lieu
unique, scène nationale de spectacle et de création.
1886. Le découpoirdu
Petit-Beurre... dont le
dessin symbolise un
calendrier. 52 dents
pour 52 semaines,
4 gros coins pour les
saisons, 24 trous pour
les heures, 7 cm pour
les jours de la semaine.
Entre-temps, les biscuits sont passés dans le giron
de groupes internationaux, aujourd’hui celui de
l’américain Mondelez. Mais « nous racontons une
autre histoire », précise Bertrand Guillet, le directeur
du musée. Celle «D’unsiècle d’innovation».
DU BEURRE ET DU LAIT PRODUITS SUR PLACE
Tout commence en 1845, quand lean-Romain Lefèvre
rejoint à Nancy son frère pour apprendre le métier
de pâtissier-biscuitier. Le jeune homme y fait aussi
la connaissance de Pauline-Isabelle Utile. Cinq ans
plus tard, tous deux s’installent à Nantes, se marient
et ouvrent une boutique dans la rue Boileau, où ils
vendent « à la sortie du four » leur production. Leur
commerce porte l’enseigne « la Renommée ». En 1882,
leur fils, Louis Lefèvre-Utile, prend la succession et,
très vite, « transforme la biscuiterie artisanale en une
usine moderne ». Dans l’ancienne filature Bureau, en
bord de Loire dans le centre de la ville, sont installés
fours et ateliers de fabrication, croqués par les tableaux
signés Albert Brenet qui rythment l’exposition. Puis,
en 1886, Louis Lefèvre-Utile lance un nouveau pro
duit. Le Petit-Beurre, au destin international, et dont
la forme symbolise un calendrier (52 dents pour les
52 semaines, 4 gros coins pour les 4 saisons, 24 trous
pour les 24 heures, 7 cm pour les 7 jours de la semaine).
Ce nouveau venu complète une gamme dépassant
alors les cent spécialités. Toutes sont fabriquées dans
cette usine qui, fait alors unique en France, dispose
sur place de sa propre laiterie pour le lait et le beurre
utilisés en grande quantité. La boutique du couple
lean-Romain et Pauline-Isabelle visait une clientèle
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Date : Du 30 juillet au
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Pays : FR
Périodicité : Hebdomadaire
Journaliste : GÉRALD ROSSI
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Alors que
son concurrent
direct, BN
(pour Biscuiterie
nantaise)
s’adresse plutôt
aux classes
populaires, LU
soigne l’image
du biscuit chic
et mise, déjà,
sur le packaging.
L’entreprise
fait appel à des
artistes, tel
Alfons Mucha,
peintre à la
pointe de l’Art
nouveau, ici pour
un calendrier de
l’année 1897.
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Date : Du 30 juillet au
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Pays : FR
Périodicité : Hebdomadaire
Journaliste : GÉRALD ROSSI
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)» aisée. Alors que les autres biscuitiers
locaux, comme la rivale BN (pour Biscuiterie
nantaise), lancée en 1896, recherchent un
marché plus populaire, LU soigne l’image
du biscuit chic. Par exemple, la firme spon
sorise une expédition de Charcot au pôle
Nord en 1908 et crée pour l’événement la
gaufrette Iceberg à la vanille.
SÉDUIRE LES MÈRES DE FAMILLE
Le peintre Luigi Loir est sollicité pour
réaliser le décor des boîtes. LU, qui a raté
la propriété exclusive du Petit-Beurre,
une spécialité toujours réalisée avec
plus ou moins de bonheur par de nom
breux fabricants, ne rate pas le tour
nant du packaging. Il en est même un
des militants. « Il fait ainsi travailler
des peintres célèbres, comme Alfons
Mucha », explique Olivier Fruneau-
Maigret, expert et collectionneur.
« Mucha a donné aux boîtes de biscuits des
allures d’œuvres d’art que l’on conserve. »
À la même époque, cet artiste, à la pointe
La légende selon laquelle les femmes auraient
été affectées aux tâches les moins pénibles
sur les chaînes de fabrication est aussi, selon
les archives, une «vérité» seulement publicitaire.
de l’Art nouveau et du succès, réalise les
affiches de plusieurs spectacles de Sarah
Bernhardt collées sur les murs de Paris et
que volent des collectionneurs. Les boîtes
des gaufrettes au muscat ou au praliné,
des boudoirs, des Pailles d’or, premières
gaufrettes au jus de fruits (framboise, abri
cot, cerise), des biscuits au muscadet ou
au madère... que l’on peut voir dans les
vitrines de l’exposition, sont effective
ment de belles réalisations, bien au-delà
d’un simple emballage. Ce début de siècle
devient aussi celui des boîtes en métal
imprimé. «Elles arrivent chez LU dès
1889 », précise d’ailleurs Olivier Fruneau-
Maigret. Des sceaux à biscuits, des boîtes
carrées dites « tines », décorées souvent
par Mucha, figurent dans la riche collec
tion que possède le musée. L’époque n’est
plus à la vente en vrac des biscuits secs.
La collection permet aussi de découvrir
un manuscrit de 1896, signalant comment
les salariés (qui ont été jusqu’à 1200 dans
les ateliers de Nantes) ont fêté les 50 ans
de l’usine, avec « Un poème à la gloire du
Petit-Beurre et un biscuit en argent massif
qu’ils ont offerts au patron », selon Olivier
Fruneau-Maigret. Et il est notoire que les
dirigeants pratiquaient un paternalisme
sans retenue, des documents en témoignent
aussi, offrant robes de première commu
nion ou petit cadeau pour le dernier-né.
Dans la famille Lefèvre-Utile, on veillait
aussi de très près à la publicité de la maison
au-delà des décors charmeurs des embal
lages. On savait, pour aiguiser les envies
des bambins, qu’il fallait d’abord séduire
les mamans, acheteuses des biscuits.
Les publicités d’alors les montrent sou
riantes, un brin réservées et épanouies, et
les gamins espiègles sans excès, comme en
témoignent les effigies des Petits Écoliers,
un des biscuits phares, et dont le portrait
de départ a été réalisé d’après celui du fils
de la famille.
Poussant loin le souci de monde « bien
ordonné », les descendants de la famille
LU ont perpétué « la diffusion élargie des
codes sociaux et moraux reposant sur
l’autorité masculine », souligne Bertrand
Guillet. Et la légende selon laquelle les
femmes auraient été affectées aux tâches
les moins pénibles sur les chaînes de
fabrication est aussi, selon les archives,
une «vérité » seulement publicitaire.
En 1957, Raymond Loewy, le créateur de
la bouteille Coca-Cola, crée le logo final de
LU. L’heure tourne à la grande distribu
tion. L’exposition a fait le tour du cadran.
Le parfum des biscuits s’est envolé, "k
ENVOYÉ SPÉCIAL. GÉRALD ROSSI
gerald.rossi@humanite.fr
Exposition «LU, un siècle
d’innovation (1846-1947)»,
au musée du château des ducs
de Bretagne, place Marc-Elder
à Nantes. Jusqu’au 31 août,
tous les jours de 10 heures
à 18 heures.
Réservations/renseignements :
0811464644.
Aux origines de LU,
un couple de pâtissiers,
Jean-Romain Lefèvre
et Pauline-Isabelle
Utile, qui ouvre une
boutique de biscuits
à Nantes. C’est son fils,
Louis Lefêvre-Utile
(en bas) qui va faire
de cette maison
artisanale une industrie
florissante
(qui comptera jusqu’à
1200 salariés à Nantes)
avec jolies boîtes
en métal imprimé
et publicités soignées.