1. IAU Durban Conference, August 20-25, 2000
11th General Conference: Universities as Gateway to the Future
Plenary Keynotes II
Université et société cognitive
Amadou Top, Directeur délégué de Alliance Technology and Informatics, Président OSIRIS
(Observatoire sur les Systèmes d'Information les Réseaux et les Inforoutes au Sénégal), Vice-président
de la FIAM (International Federation of Multimedia Associations) (Fédération Internationale des
Associations de Multimédia)
Dans l'allocution qu'il a prononcée en octobre 1995 à l'occasion du 7éme forum international des
télécommunications à Genève le président Mandela déclarait notamment : "Les technologies de
communication ne doivent pas être considérées comme un luxe intervenant après le développement en
général du pays, mais comme l'une des conditions qui déterminent les capacités des pays en
développement à engager la modernisation de leur économie et de leur société"
Mondialisation ou marginalisation ?
S'Il semble aujourd'hui inconfortable de vouloir ignorer le phénomène de la mondialisation dont les
effets vont certainement affecter en profondeur les relations entre les peuples, les pays et les nations, il
est par contre indubitable que la lame de fond qui déferle sur le monde entier, portée par ce qu’on
désigne communément par Technologies de l’Information et de la Communication (TIC), menace de
marginaliser dangereusement tous ceux qui n'en auront pas saisi les enjeux.
Le téléphone, la radio, la télévision, et l'ordinateur pour ne citer que ces moyens de communication
marquant du 20ème siècle ont chacun évolué selon des modalités qui leur ont assigné des fonctions
précises auxquelles correspondent des formes spécifiques d'utilisation ; leur convergence dans Internet
laisse entrevoir des mutations structurelles dont il est difficile d’imaginer toutes les conséquences sur
l’évolution de nos sociétés.
Les effets des nouvelles technologies sur les manières dont nous travaillons, pensons, réagissons et
socialisons nos relations posent déjà des problèmes forts complexes aux décideurs et aux citoyens
entraînant quelques fois des réactions de rejet ou de suspicion qui témoignent de l'impréparation
manifeste de nos sociétés - du Nord comme du sud - à assumer le passage de l'ère industrielle à l'ère
informationnelle.
La révolution numérique qui impulse et organise la dématérialisation accélérée des relations
économiques, n'ignore aucun territoire de l'activité humaine contemporaine. L'information et les
technologies de communication qui la portent redessinent l'espace du savoir et élargissent le champ de
la connaissance.
Vers la Sociéte de l’information.
Le passage de la société industrielle à la société de l'information même s'il emprunte les tunnels lisses
et balisés de l'Internet, risque d'être aussi tumultueux que les précédentes révolutions, en considération
surtout des accélérations extrêmes qui seront imposées à tous les organes du corps social, dont les
marges de manœuvres seront limitées au possible quant à la capacité de négocier des rythmes
autonomes de mutation.
Le phénomène est si remarquable que la sphère économique se trouve sous l'emprise de la net-
économie dans laquelle les fournisseurs d'équipement, de logiciels et de services dans les domaines de
l'informatique et des télécommunications connaissent une croissance vigoureuse dont le rythme est
double de celui de la moyenne des autres industries.
Aux Etat-Unis d'Amérique qui vivent une euphorique croissance depuis bientôt une décennie, 8% du
produit intérieur brut est assuré par les nouvelles technologies et prés de 40% de cette croissance sont
dus selon le Département du Commerce aux effets induits de ces technologies sur la productivité,
l'innovation, l’offre des produits et de services de l’ensemble de l’industrie.
A l'évidence, cette révolution affectera tout à la fois la sphère publique et celle privée, englobera la
dimension professionnelle et celle de l'activité personnelle, et aura un impact local et global.
Trois Phénomenes.
2. Jusqu'au début des années 90, les technologies de l'information ont avant tout servi à automatiser des
tâches, sans transformer le fonctionnement même de l'économie ou de la société. Désormais, trois
phénomènes récents se conjuguent pour faire de ces technologies les moteurs d'une très profonde
mutation :
Le multimédia qui en faisant disparaître les barrières entre les différentes formes de communication
ouvre le champ à ce NEGROPONTE du MIT appelle l'UNIMEDIA;
Les technologies mobiles, qui détendent le lien entre l'individu et ses lieux d'évolution ( domicile,
travail, école) donnant ainsi une illusion d'ubiquité,
L'Internet, qui "réseaute" les conditions des échanges entre les individus ou entre les structures et rend
opératoire une nouvelle forme d'intelligence que Derrick de Kerckhove, directeur du programme
Mcluhan à l'université de Toronto appelle "l'intelligence connective".
L'évolution des modes de travail qui en découle est bien résumée ainsi par Multimania
Période Type Façon de travailler Exemple
1980 Dépendance On s'occupe de moi Salariés
1990 Indépendance Je m'occupe de moi Indépendants, professions libérales
2000 Interdépendance On est meilleurs quand Clients et adhérents de
on s'occupe les uns des Télé_missions_informatiques
autres
Dans le cyberespace, miroir du monde réel dont l'évolution imprévisible pourrait en faire un monde
virtuel déconnecté des contingences "matérielles", on ne sait en réalité qui des outils ou des usages
conduit le mouvement tant ils s'influencent mutuellement pour entraîner un rythme de progression
encore inconnu dans l'histoire des technologies, qui engendre des systèmes "socio-techniques"
porteurs d'évolutions fondamentales dans les domaines intellectuel, culturel, social, économique,
politique et autres.
Gordon Moore, co-fondateur d'Intel a formulé une loi qui porte son nom ("loi de Moore") selon
laquelle le nombre de transistors dans un circuit intégré doublerait tous les 18 mois. En accord avec
cette loi, Andy Grove, l'ancien P-DG d'Intel, a déclaré en 1996 qu'Intel commercialiserait alors en
2011 un microprocesseur contenant 1 milliard de transistors et fonctionnant à 10 GHz. Utilisant une
technologie de gravure 0,07 micron, il serait ainsi capable d'effectuer 100 milliards d'opérations par
seconde.
Déjà La multiplication des offres d'accès haut débit qui garantissent des vitesses de transfert de
quelques centaines de kilobits à plusieurs mégabits par seconde, combinée à des algorithmes de
compression/décompression des données performantes et de nouvelles fonctionnalités interactives,
annoncent une modification profonde de l'usage d'Internet.
La Place de l’Individu.
Quel sera la place de l'individu dans ce nouvel espace aux contours flous ?
Assurément, nous allons vers un effondrement des pyramides hiérarchiques, avec des sociétés ou les
rapports de commandement céderont la place à des formes d'autorité négociée dont le souci de libérer
les initiatives se reflète bien dans le concept "d'empowerment".
Parce que dans un avenir proche il pourra fonctionner en réseau avec des partenaires distants et variés,
l'individu connecté fort de ses connaissances s'affirmera comme le mutant du prochain siècle.
La Place de l’Université.
L'Université qui à été au cœur des turbulences qui ont agité le monde des idées et fortement influencé
la marche des sociétés, se trouve comme à l'accoutumée obligée de s'auto-saisir pour proposer une
grille de compréhension de ces nouveautés radicales auxquelles il faut rapidement donner sens.
EDGAR MORIN dans son essai "De la réforme de l'Université " se pose la question suivante :
"L'Université doit-elle s'adapter à la société ou la société doit-elle s'adapter à l'Université? " La
réponse à mon avis ne peut être qu'hésitante, en raison précisément du moment qui coïncide avec cette
période où les repères se fondent dans les mirages de l'univers virtuel en travail.
Mais comme il le dit "L'Université est conservatrice, régénératrice, génératrice. Elle conserve,
mémorise, intègre, ritualise un héritage cognitif; elle le régénère en le réexaminant, l'actualisant, le
transmettant ; elle génère du savoir et de la culture qui vont alors rentrer dans l'héritage.
3. A ce titre l'Université a une mission et une fonction trans-séculaire, qui, via le présent, va du passé
vers le futur ; elle a une mission trans-nationale qu'elle a gardée en dépit de la tendance à la clôture
nationaliste des nations modernes. Elle dispose d'une autonomie qui lui permet d'effectuer cette
mission.
Selon les deux sens du terme conservation, le caractère conservateur de l'Université peut être soit
vital, soit stérile. La conservation est vitale si elle signifie sauvegarde et préservation, car on ne peut
préparer un futur qu'en sauvant un passé, et nous sommes dans un siècle où de multiples et puissantes
forces de désintégration culturelle sont en œuvre. Mais la conservation est stérile si elle est
dogmatique, figée, rigide….
Le développement d'une démocratie cognitive n'est possible que dans une réorganisation du savoir,
laquelle appelle une réforme de pensée qui permettrait, non seulement de séparer pour connaître,
mais aussi de relier ce qui est séparé.
Il s'agit d'une réforme beaucoup plus profonde et ample que celle d'une démocratisation de
l'enseignement universitaire, et de la généralisation de l'état d'étudiant. Il s'agit d'une réforme, non
pas programmatique, mais paradigmatique qui concerne notre aptitude à organiser la connaissance .
Toute réforme de ce type suscite un paradoxe : on ne peut réformer l'institution (les structures
universitaires) que si l'on a réformé au préalable les esprits ; mais on ne peut réformer les esprits que
si on a au préalable réformé l'institution.
C'est là une impossibilité logique, mais c'est de ce type d'impossibilité logique dont se moque la vie.
Qui éduquera les éducateurs ? Il faut qu'ils s'auto-éduquent et s'éduquent à l'écoute des besoins
criants du siècle, dont sont porteurs aussi leurs étudiants. "
Ce regard lucide, ce questionnement résigné sur l'avenir de l'institution universitaire a l'avantage d'être
particulièrement réaliste face aux bouleversements technologiques, sociaux et culturels qui annoncent
ce que Michael Dertouzos appelle "l'individualisation de masse" dans son ouvrage intitulé "DEMAIN
comment les nouvelles technologies vont changer notre vie".
La Numérisation et l’Université.
Dans la société de l'information qui se structure, la numérisation développe des capacités jusque là
inconnues de reproduire à l'infini la matière première qu'est l'information, sans l'altérer et sans lui ôter
sa valeur malgré l'économie d'abondance qui en découle. C'est là certainement un tournant décisif qui
s'ouvre dans le fonctionnement même de l'Université dont la double mission d'assurer la transmission
des connaissances et d'organiser la recherche sera à l'évidence affectée dans ses processus
d'acquisition, de transmission et d'apprentissage.
On le sait bien, en matière d’acquisition des connaissances et de recherche fondamentale – domaines
fortement tributaires de l’accès à l’information et de la mise en commun des expériences –, la
puissance future des Technologies de l'information ouvrira de nouvelles perspectives. Les possibilités
en matière de "réalité virtuelle" autoriseront des simulations convaincantes et complexes et devraient
par exemple permettre d’apprendre pendant l’utilisation même de la technologie. Elles faciliteront la
collaboration dans la recherche expérimentale et devraient accroître l’autonomie des étudiants en leur
permettant de travailler à leur rythme.
Nouveau Rapport au Savoir.
De fait, les systèmes éducatifs en général, l'Université en particulier sont directement interpellés par le
développement des technologies interactives de réseau, composantes majeures de la société de
l’information et de la communication qui se construit sous nos yeux. Au-delà de la nécessité pour
chacun de maîtriser les nouveaux outils qu’elles constituent, se pose la question du nouveau rapport au
savoir qu’elles induisent et de l’évolution du rôle de l’enseignant (ex: comment maîtriser les processus
de connaissance dans cet océan d'informations en constante expansion ?).
Ces technologies de l’information et de communication (TIC) ouvrent bien des perspectives nouvelles
et efficaces en matière de processus d’acquisition des savoirs (ex : travail coopératif entre groupes
distants) mais heurtent un système éducatif globalement structuré autour de la centralisé du discours
du maître et du recours à des outils (livre, tableau, cahier...) localisés. Ainsi apparaît un hiatus entre la
logique de fonctionnement de l’Ecole et la logique d’usage des TIC. Un programme y compris
volontariste, articulé sur la seule injonction à utiliser les TIC dans les démarches éducatives ne peut
dès lors suffire.
…et les Etudiants.
4. Toutefois, il convient de reconnaître que grâce au développement des moyens de télécommunication,
des outils micro-informatiques, et à la baisse constante de leurs coûts, la formation à distance est
désormais une alternative pédagogiquement et économiquement viable. Grâce à la mise sur réseau en
continu des nouvelles connaissances disponibles dans tous les domaines du savoir humain, les
étudiants peuvent maintenant avoir rapidement accès à une masse presque infinie d'information
diversifiée et à jour. Ils sont donc beaucoup moins dépendants des professeurs pour accéder aux
connaissances nécessaires à leur formation
Certaines innovations, par exemple, sur les "réseaux de savoir" vont dans le sens de la mise en place
d'un système de validation et de transmission des connaissances dans des réseaux de communication
reconnus par les entreprises, court-circuitant ainsi les systèmes d'éducation publics.
Nouvelle Configuration du livre.
Il n'est pas jusqu'à la nouvelle configuration du livre électronique qui n'annonce une réorganisation de
l'espace de l'apprentissage et de l'accès à l'information. Côté contenu, les livres en téléchargement sur
Internet sont de plus en plus nombreux, et un standard international, Open eBook Standard, sera
chargé d'unifier le codage des ouvrages et, à terme, offrira des solutions sécurisées pour protéger les
ayants droit.
Force est cependant d'admettre que si une grande partie des connaissances complémentaires peut
s'acquérir grâce à des supports et des méthodes d'auto-formation, ou même l'exploitation des
immenses potentialités des "agents intelligents" qui peuplent l'univers Internet, la relation directe avec
un enseignant, de même que le travail en groupe, s'avèrent indispensables pour la nécessaire
socialisation de la formation.
…et les Enseignants.
Les enseignants sont obligés, particulièrement dans les domaines de pointe en constante mutation,
d'être plus que jamais aux aguets des derniers développements dans leur champ d'expertise pour éviter
d'être rapidement dépassés par certains de leurs étudiants les plus dynamiques. Malgré les inquiétudes
de plusieurs à cet égard, il y a là, pour le milieu universitaire, un défi stimulant qui, s'il est relevé avec
succès, devrait permettre à l'université de garder la place qui lui revient dans la société du savoir. Aux
professeurs qui accepteront d'y faire face, ce défi devrait aussi permettre de mieux développer leur
mission d'accompagnateur et de tuteur, plutôt que de se cantonner dans un rôle de «diffuseur» de
connaissances de plus en plus rapidement désuètes.
Comme le dit Denis HARVEY - Professeur, responsable de l'intégration des NTIC de la Faculté de
médecine vétérinaire, Université de Montréal : " Les défis pédagogiques que doivent relever les
universités sont majeurs et incontournables. L'exposé magistral avec tous ses attraits «administratifs»
et ses lacunes pédagogiques reste pour le moment l'approche dominante en pédagogie universitaire.
Les nouvelles technologies de l'information et des communications (NTIC) offrent des avantages
pédagogiques indéniables mais souffrent aussi de certaines faiblesses qu'il est essentiel de connaître
si on veut pouvoir en prescrire efficacement l'utilisation. Il est aussi urgent que les universités mettent
en place les infrastructures humaines et matérielles nécessaires à l'implantation et au développement
des NTIC «pédagogiques» dans ces institutions".
Pédagogies nouvelles.
S'agissant des métiers spécifiquement apparus avec le développement de Internet et des technologies
du multimédia, presque aucune structure de formation universitaire n’avait prévu de modules
réellement adaptés à leur prise en charge; ce qui explique que devant l’urgence et face à la pénurie, des
formations diplômantes "privées" fleurissent en particulier sous l’impulsion de fabricants de logiciels
qui tels que Microsoft, Oracle ou Cisco ont développé des approches pédagogiques nouvelles, et des
méthodes inspirées des "fast food", qui permettent des se former en 2 à 3 semaines sur des modules sur
mesure puis de passer électroniquement ses examens de certification sans préréquis académique
notable.
Effets pervers.
Malgré l’apparence bâclée de ces formations, elles sont devenues le moyen obligé pour nombre de
sociétés de services de faire face à la demande exponentielle. Compte tenu des niveaux de
rémunération de ces nouveaux "experts clé en main", il n’est pas rare de voir des ingénieurs issus de la
filière traditionnelle faire un tour dans les centres de formation agréés pour glaner quelques
certifications leur assurant toutes les chances d’obtenir rapidement un travail avec des rémunérations
souvent consistantes.
5. Conclusion.
La flexibilité de ce nouveau type de formation correspond bien à l’extrême rapidité avec laquelle
évoluent les demandes des entreprises de la nouvelle économie et sera d'une grande utilité pour les
pays en développement dont les ressources sont rares et les besoins immenses.
En tout état de cause sur les questions que nous avons agitées, la maxime "Il n'y a pas de vent
favorable pour celui qui ne sait où il va" semble être une boussole adaptée à une université apprenante
qui est investie de la lourde charge d'organiser et de transmettre le savoir.