1. Cahier du « Monde » No 22237 daté Mercredi 13 juillet 2016 - Ne peut être vendu séparément
Comprendre et améliorer les
performances sportives était au cœur
des débats qui ont réuni physiciens
et athlètes, à l’Ecole polytechnique,
en juin. Cyclisme, football, haltérophilie,
badminton, surf, voile, cricket: petite
sélection de résultats
Aviron sur le Severn, fleuve côtier du Maryland (Etats-Unis).
JOHN G. ZIMMERMAN/SPORTS ILLUSTRATED/GETTY IMAGES
david larousserie
E
t si, pour marquer plus sûrement des
penaltys, le footballeur changeait de
chaussures pour une paire plus lourde,
propulsant la balle plus vite? Vaut-il
mieux, toujours lors de la séance des
tirs au but, mettre le meilleur tireur au début ou à
la fin? Faut-il s’étirer lors d’un échauffement?
Pour avoir moins froid, les surfeurs de l’extrême
devraient-ils adopter des combinaisons poilues
comme la peau des phoques? Est-ce que les
avirons avanceraient plus rapidement si les
rameurs ne plantaient pas en même temps leurs
rames dans l’eau mais en décalage, comme les
petites pattes d’une crevette? Toutes ces ques-
tions un peu folles ont été débattues lors d’une
conférence originale consacrée à la physique du
sport, la deuxième du nom, du 8 au 10 juin, à
l’Ecole polytechnique.
L’un des organisateurs, Christophe Clanet, est
spécialiste de mécanique des fluides au CNRS. Il
est tombé dans le sport et la science en révélant,
en 2011, les secrets d’un célèbre coup franc de
Roberto Carlos qui avait trompé, en 1997, le gar-
dien de but français à cause d’une trajectoire
étrange. Depuis, le chercheur a contribué à déve-
lopper ce domaine et réuni plusieurs collègues
attirés par les liens entre l’aérodynamique, la
mécanique, la statistique et le sport.
Au programme de cette réunion, cyclisme, foot-
ball, haltérophilie, badminton, surf, voile, cric-
ket… Même des champions sont venus évoquer
leur expérience, comme Alexis Contin (champion
du monde de roller, en 2013 et 2014, et médaillé de
bronze au championnat du monde de patinage de
vitesse sur glace en 2015) ou Alban Levier
(meilleur grimpeur de blocs à la Coupe du monde
de 2015). Comprendre et améliorer les performan-
ces est le terrain de jeu commun sur lequel physi-
ciens et athlètes se retrouvent. Quelques exem-
ples de résultats, souvent inédits.
Faut-ildegrandsbras
pourbiengrimper?
Guillaume Laffaye, enseignant-chercheur à
l’université d’Orsay (Essonne), n’a pas de boule de
cristal mais son obsession est de prédire les per-
formances des sportifs. Jusqu’où peuvent-ils sau-
ter, courir, taper, grimper…? C’est sur ce dernier
point qu’il a exposé ses résultats, récemment pu-
bliés dans le Scandinavian Journal of Medicine
& Science in Sports. Il y présente les facteurs im-
portants à mesurer et à améliorer pour les pas-
sionnés de blocs et de voies d’escalade.
Pour cela il a notamment utilisé un exercice mis
au point dans son laboratoire deux ans aupara-
vant, l’arm jump test, un test d’explosivité qui
consiste à taper le plus haut possible sur un mur à
partir d’une position suspendue par les bras. «Les
novices tapent 15 centimètres au-dessus du point de
suspension. Le champion de France de grimpe de
vitesse, Bassa Mawem, à 1,1 mètre», note
Guillaume Laffaye.
→LIRE LA SUITE PAGES 4-5
Monsanto
et l’universitaire
sous influence
Nommé dans une
revue de toxicologie,
un ex-chercheur
de la firme américaine
conservait des liens
étroits avec son ancien
employeur.
LIRE PAGE 2
Portrait
La science
vue d’en haut
Adrien Normier
et Clémentine Bacri
survolent le monde
en ULM pour apporter
leur aide à des pro-
grammes scientifiques.
LIRE PAGE 8
Santé
Maux de bouche
Enquête sur les patholo-
gies de l’émail dentaire,
qui sont de plus en plus
fréquentes. En cause:
les perturbateurs
endocriniens, tels le bis-
phénol A et le mercure.
LIRE PAGE 3
Plus haut,
plus vite,
plus physique
Du 20 juillet au 24 août,
retrouvez les deux pages de
la formule estivale du supplément
«Science & médecine» dans
le quotidien du mardi daté mercredi.
2. 2| ACTUALITÉLE MONDE ·SCIENCE & MÉDECINE
MERCREDI 13 JUILLET 2016
La discrète influence de Monsanto
AGROCHIMIE - Après sa nomination au sein d’une prestigieuse revue de toxicologie, un universitaire, ex-salarié de la firme américaine
championne des OGM, continuait d’entretenir des liens étroits avec son ancien employeur
L
a société Monsanto a-t-elle exercé des
pressionssurlarevueFoodandChemi-
cal Toxicology (FCT) pour voir rétractée
l’étude du biologiste français Gilles-
Eric Séralini (université de Caen),
qu’elle avait publiée en septembre 2012? Depuis
le retrait formel de celle-ci, en novembre 2013, la
rumeur va bon train. Pour en avoir le cœur net,
US Right to Know (USRTK), une association amé-
ricaine militant pour l’étiquetage des OGM, a
obtenu copie des échanges entre l’un des édi-
teurs de la revue et la firme de Saint Louis (Mis-
souri). Ces courriels, récupérés en vertu de la loi
américaine sur l’accès à l’information (Freedom
of Information Act, FOIA) et que Le Monde a pu
consulter, dévoilent l’influence des firmes agro-
chimiques sur certains personnels académiques
et sur la construction de la connaissance.
Les documents consultés par Le Monde ne
remettent pas en cause les critiques formulées à
l’encontre de l’étude française. Communiquée
auprès du public avec force photographies de
rats déformés par de gigantesques tumeurs, cel-
le-ci prétendait avoir montré la toxicité d’un
maïstransgéniquedeMonsanto(leNK603)etde
son herbicide compagnon, le célèbre Roundup.
Mais, depuis, tous les groupes d’experts l’ayant
examinée l’ont jugée «inconclusive» pour des
questions de puissance statistique, de protocole
expérimental inadéquat, etc.
Rapport de subordination
Son retrait n’en a pas moins ouvert une seconde
polémique. Une telle mesure est en effet tou-
jours motivée par la fraude, le plagiat ou encore
des erreurs avérées commises de bonne foi.
N’entrant dans aucune de ces catégories, l’étude
de M. Séralini a été la première à être retirée
pour «inconclusivité». Les soutiens du biolo-
giste français ont immédiatement mis en cause
– sans preuves – un nouveau venu au sein du
comité éditorial de FCT, chargé des biotechnolo-
gies. Et pour cause: professeur à l’université du
Nebraska à Lincoln (Etats-Unis) et spécialiste
des allergènes alimentaires, Richard Goodman
est un ancien employé de Monsanto, qu’il a
quitté en 2004…
Qu’en est-il? Les courriels obtenus par USRTK
montrent une singulière proximité entre
M. Goodman et son ancien employeur. Pas si
«ancien»,d’ailleurs:commelebiologisteaméri-
cain l’écrit lui-même dans un message de 2012,
«50 % de [son] salaire» provient en réalité d’un
projet financé par Monsanto, Bayer, BASF, Dow,
Dupont et Syngenta, et consistant à établir une
base de données des allergènes alimentaires.
Cela crée des liens. Voire un rapport de subor-
dination. Ainsi, en mai 2012, après la publication
d’un article de presse dans lequel il est cité,
M. Goodman, qui n’est alors pas encore éditeur
de FCT, est sèchement recadré par un responsa-
ble de Monsanto. Ce dernier signale au profes-
seur que son opinion semble avoir été interpré-
tée par le journaliste comme «laissant penser
que nous n’en savons pas assez sur les biotechno-
logies pour dire qu’elles sont sans danger». En
retour, le professeur fait un message collectif à
l’ensemble de ses correspondants au sein des six
entreprises de biotechnologies qui financent ses
travaux. «Je m’excuse auprès de vous et de vos
sociétés»,écrit-il,avantdepréciserqu’ilaétémal
compris par le journaliste.
Le financement de travaux scientifiques par
les industriels implique pour les chercheurs uni-
versitaires un engagement qui va bien au-delà
de la simple production de connaissances. Il im-
pose une forme de contrôle sur la parole publi-
que du chercheur. En août 2012, M. Goodman
prend cette fois les devants et prévient ses spon-
sors qu’il va être interrogé par la radio publique
américaine sur la sécurité des OGM. «Accepte-
riez-vous de participer à une session de media
training avant l’entretien?», lui demande l’un de
ses interlocuteurs. La suite ne dit pas si M. Good-
man a accepté ou non cette proposition – il n’a
pas répondu aux sollicitations du Monde.
En 2012, lorsque est publiée l’étude de Gilles-
EricSéralini,M.Goodmann’estpasencoremem-
bre du comité éditorial de FCT. Le 19 septembre, il
informe son correspondant de Monsanto de la
publication de l’article du chercheur français et
«apprécierait»quelafirmepuisseluifournirdes
éléments critiques. «Nous sommes en train de
passer en revue le papier, lui répond son corres-
pondant. Je vous enverrai les arguments que nous
avons développés.» Quelques jours plus tard, le
professeur Goodman est nommé «éditeur asso-
cié» de FCT, sur décision du toxicologue Wallace
Hayes, alors rédacteur en chef de la revue.
Cette nomination n’avait pas été annoncée
publiquement avant février 2013. L’arrivée de
M. Goodman au comité éditorial de la revue a en
réalité été une conséquence directe et immé-
diate de la publication de M. Séralini. Le 2 no-
vembre2012, alors que l’«affaire Séralini» bat
son plein, M. Hayes annonce par courriel à des
responsables de Monsanto que M. Goodman
sera désormais chargé des biotechnologies au
sein de la revue. Il ajoute: «Ma requête, en tant
que rédacteur en chef, et de la part du professeur
Goodman, est que ceux d’entre vous qui sont hau-
tement critiques du récent article de Séralini et de
ses coauteurs se portent volontaires comme
reviewers potentiels.»
Acceptation ou rejet
Enclair,M.Hayesinviteformellementlestoxico-
logues de Monsanto à expertiser les études trai-
tant des OGM et soumises à la revue, en vue de
leur acceptation ou de leur rejet. Les documents
consultés par LeMondenedisent pas si M. Hayes
– qui n’a pas répondu aux sollicitations du
Monde – a limité cette demande aux scientifi-
ques de la firme de Saint Louis.
Cela a-t-il eu un impact sur les articles acceptés
par la revue? Aucune certitude. Mais en 2013, se-
lon nos informations, FCT a rejeté la première
étude académique de toxicité chronique d’un
maïs transgénique de Monsanto – le MON810 –
sur Daphnia magna. L’étude suggérait des effets
délétères sur ce petit crustacé d’eau douce, uti-
lisé comme modèle d’étude par les écotoxicolo-
gues. C’est M. Goodman qui avait signifié aux
auteurs le rejet, mettant en avant les rapports
défavorables de reviewers. L’étude a en définitive
été publiée, en 2015, dans une autre revue. Au
contraire des travaux de M. Séralini, elle n’a
ensuite pas été contestée…
Dans certains cas, le professeur américain
semble s’en remettre au jugement des toxicolo-
gues de Monsanto, lorsqu’il doit évaluer un
article dont certains aspects dépassent ses
connaissances. «Je suis en train d’examiner un
papier anti, écrit-il en octobre 2014 à l’un de ses
correspondants de Monsanto. Ils citent une
étude sri-lankaise de 2014 sur un possible lien
entre exposition au glyphosate et une maladie
rénale, ainsi qu’un mécanisme [pour expliquer
cette toxicité].» M. Goodman ajoute: «Je ne suis
pas assez chimiste ou toxicologue pour com-
prendre les forces et les fragilités de leur logique:
pouvez-vous me donner des arguments scientifi-
ques solides pour savoir si cela est, ou non, plau-
sible.» Or le glyphosate, principe actif du célè-
bre Roundup, est l’un des éléments-clés de la
stratégie de Monsanto…
Cependant, rien dans les documents consultés
par Le Monde n’accrédite l’idée que M. Goodman
ait joué un rôle dans le retrait de l’étude de
M. Séralini – cette décision avait alors été assu-
mée par M. Hayes. En janvier 2015, M. Goodman
annonce qu’il quitte la revue, faute de temps. p
stéphane foucart
Quand, par malheur, un
verre tombe et se casse,
jamais vous ne verrez la
scène à l’envers: des
morceaux qui se recollent, puis
montent du sol vers la table, pour
reconstituer ce récipient à la
valeur inestimable.
Pourtant, c’est ce que vient d’ob-
server, sur un phénomène certes
différent, une équipe de l’Institut
Langevin,àParis,commeellel’ex-
plique dans la revue Nature Phy-
sics du 11 juillet. Ces chercheurs
créentdesvaguesàlasurfaced’un
bain d’eau, en soufflant briève-
ment par-dessus, ce qui est équi-
valent au fait d’y faire tomber un
caillou. Ils voient les ondulations
delasurfaces’écarterdelasource.
Et, d’un coup de baguette magi-
que, ils les «retournent» pour les
renvoyer d’où elles étaient par-
ties, au centre du bassin. Ils ont
même soufflé sur des motifs en
forme de carte de France ou de
tour Eiffel et réussi à retourner la
tempête ainsi créée: les contours
de la France ou de la tour réappa-
raissent dans le bassin…
«Dans quelques années, tout le
monde aura ce genre de bain de
jouvence: un coup de baguette et
hop vous rajeunissez!», s’exclame
Mathias Fink, coauteur de cette
surprenante découverte et spécia-
liste reconnu du contrôle des ul-
trasonsetautresondespourl’ima-
gerie biomédicale, les communi-
cations, les radars… Il a même déjà
inventé, il y a une vingtaine d’an-
nées, une technique pour retour-
ner les ondes, en l’occurrence des
ultrasons.
Celle-ci consiste à enregistrer
tous les sons en périphérie de la
source, puis à retourner le signal
dans le temps, à le rejouer pour re-
concentrer les ondes vers le point
d’émission et les «réentendre».
Mais ce n’est pas ainsi qu’il a pro-
cédécettefois-ci,carilestimpossi-
bled’enregistrertouteslesondula-
tions des vagues. L’opération a
consisté à soulever brièvement et
assez fort le bain en lui donnant
une secousse par en dessous. Cela
a pour effet de «casser» l’onde en
deux: une partie continue son
chemin et l’autre revient vers la
source. «Quand ça a marché, nous
étions contents. Puis ensuite on a
fait des calculs et vu qu’il y avait
beaucoupdephysiquederrière»,se
souvient Vincent Bacot, doctorant
dans l’équipe. «C’était dur à imagi-
ner, même pour nous!», se sou-
vient Emmanuel Fort, également
à l’Institut Langevin.
Miroir temporel
«L’une des beautés de cet effet est
qu’il correspond exactement à ce
qu’on appelait, au XIXe siècle, le
démon de Loschmidt, rappelle
Mathias Fink. C’est l’idée qu’on
pourrait, à un instant donné,
retourner d’un coup toutes les
vitesses des particules d’un gaz
dans une pièce pour les faire reve-
nir à leur point de départ.»
Tout se passe comme si la varia-
tion soudaine d’amplitude créait
une sorte de miroir temporel
contre lequel les ondes se brisent
et repartent. «Notre technique
coupe le temps comme un miroir
classique coupe l’espace, décrit
Emmanuel Fort. Et ça peut mar-
cher pour n’importe quelle onde, à
condition de pouvoir effectuer
rapidement la variation et avec
une forte amplitude.»
«Comprendre la nature du
temps fascine tous les physiciens.
C’estpourquoitouteslesméthodes
qui retournent le temps sont inté-
ressantes, estime Ulf Leonhardt,
professeur à l’Institut Weizmann,
en Israël. La surprise, dans ce cas,
est que l’expérience est simple et
peut être faite à la maison!» Le
physicien a été si séduit qu’il va
commencer une collaboration
avec les Parisiens en lien avec… la
cosmologie. «En fait, on peut
interpréter la variation de vitesse
de propagation des ondes, au mo-
ment où l’on fait le choc, comme
une modification de la relation
entre l’espace (les distances) et le
temps (celui mis pour les parcou-
rir). Donc comme un changement
de la métrique de l’espace-temps»,
indique Emmanuel Fort.
De quoi tester des effets analo-
gues à ceux créés par des ondes
gravitationnelles ou des trous
noirs, des phénomènes qui, juste-
ment, modifient considérable-
mentl’espace-tempsetquirestent
difficiles à appréhender depuis la
Terre. Cela fait d’ailleurs plusieurs
annéesquedesspécialistesdel’op-
tique, du son ou des atomes froids
essaient de construire en labora-
toire des modèles reproduisant
ces effets cosmiques violents. Ces
nouvelles vagues françaises don-
neront une petite cure de jou-
vence à ces tentatives. p
david larousserie
Des ondes de surface remontent le temps
PHYSIQUE -Des chercheurs ont réussi à retourner la propagation de vagues pour les faire revenir à leur point de départ. Un vieux rêve se réalise
3. ACTUALITÉLE MONDE ·SCIENCE & MÉDECINE
MERCREDI 13 JUILLET 2016 |3
Les perturbateurs
endocriniens altèrent
l’émail dentaire
SANTÉ - Des substances toxiques
(bisphénol A, mercure, biocide contenu
dans certains dentifrices…) augmenteraient
les pathologies liées aux dents
Présents dans de nombreux
objets de consommation
(plastiques,cosmétiques…),
les perturbateurs endocriniens
peuvent interférer avec le sys-
tèmehormonal(endocrinien)des
êtres vivants et agir à des doses
d’exposition très faibles. Ils sont
soupçonnés d’augmenter de
nombreuses maladies (certains
cancers, diabète, obésité, troubles
de l’attention, autisme) et d’agir
sur la fertilité. Le fait qu’ils altè-
rent l’émail des dents est beau-
coup moins connu.
Le constat de la profession den-
taire est unanime: les patholo-
giesdel’émailsontdeplusenplus
fréquentes. «Les perturbateurs
endocriniens créent des patholo-
gies dentaires, et des matériaux
utilisés peuvent contenir des subs-
tances toxiques, comme le bisphé-
nol A (BPA) dans les composites ou
le mercure dans les amalgames»,
explique la docteure Nathalie
Ferrand, membre de Réseau
environnement santé (RES) et
présidente de la commission éco-
responsabilité du Syndicat des
femmes chirurgiens-dentistes
(SFCD). Cette lanceuse d’alerte est
à l’initiative d’un colloque, «Vers
une dentisterie sans perturba-
teursendocriniens»,organisépar
RES au Sénat jeudi 23 juin.
Maladie émergente
Quasiment inexistante dans les
années1980,laMIH(hypominéra-
lisation des molaires et des incisi-
ves), pathologie de l’émail décrite
pourlapremièrefoisen2001,peut
être considérée comme une mala-
die émergente qui concerne 15 % à
18 % des enfants de 6 à 9ans (âge
moyen au moment du diagnos-
tic).LaMIHserévèlepardestaches
opaques, blanchâtres à brunâtres,
qui touchent sélectivement les
premières molaires permanentes
et, souvent, les incisives perma-
nentes, les premières à minérali-
ser, décrit Sylvie Babajko, du
CentrederecherchedesCordeliers
(Inserm, universités Paris-V,
Paris-VI et Paris-VII).
Ses causes sont encore peu
connues mais «des faisceaux
d’arguments laissent penser que
les perturbateurs endocriniens y
contribuent certainement, dont le
BPA, les PCB et la dioxine», expli-
que Sylvie Babajko. La dernière
partie de la vie in utero et la pre-
mièreannéedeviesontdespério-
des de sensibilité maximale. «Les
taux urinaires de BPA semblent
plus élevés chez les enfants ayant
de nombreuses dents restaurées»,
ajoute cette chercheuse.
Le lien entre un défaut de miné-
ralisationdel’émailetuneexposi-
tion à faibles doses au BPA lors
d’une période du développement
aétémontrépourlapremièrefois
en 2013 et publié dans la revue
American Journal of Pathology en
juin de la même année. Deux
groupes de seize rats mâles ont
été étudiés par Katia Jedeon, du
Centre de recherche des Corde-
liers.Cesanimauxontétéexposés
par voie orale, dès la conception, à
une dose quotidienne de 5 micro-
grammes par jour et par kilo de
poids (5g/j/kg) de BPA,soit la dose
journalière autorisée. Au bout de
trente jours, les trois quarts des
rats exposés présentent des
taches opaques sur les incisives,
analoguesaufameuxMIHremar-
qué ces dernières années chez les
enfants. Aucun rat du groupe
témoin n’a développé l’anomalie
(Le Monde du 12 juin2013).
Sensibles, parfois douloureuses
et susceptibles aux caries, ces
dents nécessitent un suivi parti-
culier. «Il faut souvent dévitaliser
voire couronner la dent, ou l’ex-
traire, ce qui implique un traite-
ment orthodontique. Consé-
quence: un reste à charge impor-
tant»,alerteNathalieFerrand.«Le
MIH est un vrai problème de santé
publique, avertit Katia Jedeon. Les
dents touchées par le MIH peuvent
êtresoignéesenutilisantdesmaté-
riaux qui peuvent relarguer des
monomères contenant du BPA,
c’est un cercle vicieux.»
Résines, amalgames
Au-delà des pathologies dentai-
res,lesmatériauxutilisésdansles
résines et composites peuvent
contenir du BPA, ou les amalga-
mes du mercure. Le dentifrice
peut aussi contenir des biocides,
dont le banal triclosan. Le bisphé-
nol S, proposé en remplacement
du BPA dans certains composites,
doit aussi être regardé de près.
Nombre de professionnels ne
sont guère informés sur ce que
contiennentlesmatériauxmisen
bouche. D’autant plus que rien
n’impose aujourd’hui aux fabri-
cants de détailler cette composi-
tion. Ces derniers restent
d’ailleurs timorés. «Il faut raison
garder et ne pas jeter le bébé avec
l’eau du bain, dit Arnaud Pemzec,
trésorier du Comité de coordina-
tion des activités dentaires. On n’a
pas aujourd’hui de matériaux de
substitution. Des grandes sociétés
y travaillent depuis quatre ans.»
«Sommes-nous assez informés sur
la toxicité des matériaux?», ques-
tionne la docteure Patricia Hue-
ber-Tardot, présidente du Syndi-
cat des femmes chirurgiens-den-
tistes. «Il y a une prise de cons-
cience de la filière dentaire, qui
souhaite s’engager à réduire l’ex-
position de la population aux per-
turbateurs endocriniens, se félicite
la docteure Nathalie Ferrand. C’est
une première.»
Des actions concrètes ont été
engagées à l’issue du colloque.
Katia Jedeon a intégré la commis-
sion de la vigilance et des théra-
peutiquesduconseildel’ordredes
chirurgiens-dentistes. L’idée d’un
registre du MIH a été émise par la
professeure Ariane Berdal, vice-
doyenne de la faculté de chirurgie
dentaire (Paris-VII). Pour Sylvie
Babajko, «on a une signature
caractéristique d’exposition qui
nous aide à cerner la dent comme
un marqueur d’exposition». p
pascale santi
Photographie de plombages dentaires exposée dans le cadre des Rencontres d’Arles,
jusqu’au 25juillet. ELAD LASSRY, CNRI DENTAL FILLINGS. COURTESY OF THE ARTIST.
CANCÉROLOGIE
Un essai de thérapie cellulaire
suspendu après trois décès
Un essai thérapeutique d’immunothérapie
contre une forme résistante de leucémie
aiguë a été interrompu aux Etats-Unis à la
suite du décès de trois jeunes patients (l’un
en mai et les deux autres récemment) par
œdème cérébral. L’étude, conduite par la
firme américaine Juno Therapeutics, teste
une thérapie appelée «CAR-T», qui consiste à
prélever des lymphocytes T chez un malade
et à les lui réinjecter après les avoir repro-
grammés génétiquement pour qu’ils détrui-
sent les cellules cancéreuses. Cette approche
a déjà obtenu des résultats spectaculaires
chez des patients atteints d’une leucémie
ou d’un lymphome. Selon les responsables
du laboratoire, les décès seraient dus à l’ajout
récent, dans le protocole thérapeutique,
d’une chimiothérapie, la fludarabine. L’essai
devrait reprendre prochainement.
ZOOLOGIE
La chèvre cherche l’aide
de son maître
Comme le chien, le cheval ou le petit enfant
– mais pas le loup –, la chèvre semble cher-
cher du regard l’assistance d’un humain
lorsqu’elle doit faire face à un problème in-
soluble. Ce comportement pourrait signifier
que l’animal, domestiqué pour sa produc-
tion laitière, entretient des liens plus étroits
qu’on ne le pensait avec la gent humaine.
Il a été mis en évidence par une équipe de
l’université Queen Mary de Londres: après
avoir été entraînées à récupérer de la nour-
riture dans une boîte en plastique, des chè-
vres se trouvaient confrontées à une boîte
impossible à ouvrir, en présence de l’expéri-
mentateur. Face à cette «tâche impossible»,
les chèvres avaient plus tendance à se tour-
ner vers l’expérimentateur s’il leur faisait
face et à chercher son regard que lorsqu’il
avait le dos tourné. La domestication pour-
rait, selon les chercheurs, expliquer ce
comportement de communication visuelle
entre espèces, mieux étudié chez le chien.
> Nawroth et al., «Biology Letters» du 7 juillet.
MÉDECINE
Sucer son pouce et se ronger les
ongles: de mauvaises habitudes?
La théorie selon laquelle l’exposition pré-
coce aux microbes offrirait une protection
contre les allergies vient de trouver un nou-
vel argument: sucer son pouce ou se ronger
les ongles, et plus encore coupler ces deux
«mauvaises habitudes», semble renforcer le
système immunitaire. Une étude conduite
auprès de 1000 enfants néo-zélandais
de 5 à 11ans a montré que 31 % d’entre eux
étaient des suceurs de pouce et des ron-
geurs d’ongles. A l’âge de 13ans, 45 % de
l’échantillon présentait une sensibilité aller-
gique. Mais chez ceux qui avaient une mau-
vaise habitude orale, elle tombait à 40 %
et à 31 % chez ceux qui cumulaient les deux.
Mesurées à 32ans, ces proportions restaient
les mêmes. «Même si nous ne recomman-
dons pas d’encourager ces habitudes, indi-
que Malcolm Sears (université McMaster),
elles semblent avoir un côté positif.» Elles
ne protègent cependant pas contre l’asthme
ou le rhume des foins.
> Sears et al., «Pediatrics» du 11 juillet.
5%C’est la part d’adultes américains ayant utilisé
des antibiotiques sans prescription au cours de
l’année écoulée, selon une étude portant sur
un échantillon de 400 personnes, représentatif
de la population des Etats-Unis. Ces résultats
ont été publiés le 11 juillet dans la revue
Antimicrobial Agents and Chemotherapy (AAC).
40 % de ces antibiotiques avaient été achetés
dans des magasins et pharmacies – une prati-
que illégale hors prescription –, 24 % obtenus
hors des Etats-Unis, 20 % auprès d’amis ou de
membres de la famille et 12 % provenaient de
prescriptions précédentes. 4 % du total étaient
des antibiotiques vétérinaires. Le mal de gorge
ou la toux étaient les symptômes visés, pour
lesquels les antibiotiques sont généralement
inefficaces. La majorité des patients y ayant
recours avaient de faibles revenus et souhai-
taient économiser une visite chez un médecin.
Le même numéro d’AAC fait état du dépistage,
pour la seconde fois aux Etats-Unis, d’une
lignée de la bactérie E. coli présentant un gène
de résistance à la colistine, un antibiotique
– l’antibiorésistance étant l’une des consé-
quences du mésusage des antibiotiques.
T É L E S C O P E
b
LE MERCURE POINTÉ DU DOIGT
Alors âgée de 44 ans,
Emmanuelle Gunther
demande à son dentiste,
à Issoudun (Indre), de lui enlever
un «plombage» (amalgame den-
taire) en avril 2013. Quelques
semaines plus tard, elle ressent
des douleurs inexpliquées, une
immense fatigue et découvre un
nodule thyroïdien. Suivront de
longs mois d’errance médicale,
elle sera hospitalisée dix fois. Elle
estalorsconvaincuequec’estl’ex-
traction de son plombage qui est
à l’origine de ses maux. Face à des
médecins qui lui disent qu’elle
«somatise», elle se débat seule,
fait de nombreuses recherches.
Elle était, jusqu’ici, en parfaite
santé et courait une trentaine de
kilomètres par semaine. Cette
jeune femme effectue des tests
urinaires qui confirment ce
qu’elle pensait. Ses urines
contiennent 76 fois plus de mer-
cure que la moyenne. Elle va alors
se soigner en Suisse, où elle effec-
tue des traitements de chélation,
qui permettent d’aider le corps à
«éliminer» le mercure.
Rares sont les établissements
hospitaliers à le faire en France, et
ce n’est pas pris en charge.
Aujourd’hui, Emmanuelle Gun-
ther va mieux, mis à part des
allergies et douleurs articulaires
qui l’obligent à prendre des antal-
giques. Elle ne veut pas en rester là
et envisage de porter plainte. Son
dentiste n’aurait pas suivi les
recommandations de l’Agence
nationale de sécurité du médica-
ment et des produits de santé
(ANSM) lors de la dépose d’un
amalgame.Lesprofessionnelsdoi-
vent utiliser des séparateurs pour
éviter le rejet des déchets d’amal-
games, qui représentent un risque
toxique élevé.
Appelés à tort plombages, les
amalgames dentaires sont un
mélange de poudre d’alliage mé-
tallique (argent, étain, cuivre et
zinc) et de mercure liquide, à hau-
teur de 40 % à 50 %, qui sont
encapsulés. Classé comme subs-
tance très toxique, le mercure est
considéréparl’Organisationmon-
diale de la santé (OMS) comme
«extrêmement préoccupant pour
la santé publique». Il peut agir sur
les systèmes nerveux, digestif et
immunitaire, sur les poumons et
les reins… Le mercure est pointé
du doigt par des patients et méde-
cins qui accusent les amalgames
dentairesd’êtreàl’originedemala-
dies auto-immunes.
Question de l’innocuité
Nombre de dentistes en France
n’enposentplusenvertuduprin-
cipe de précaution. Les positions
sont très tranchées. Marie Gros-
man, conseillère scientifique de
l’association française Non au
mercure dentaire (NAMD), milite
pour « son interdiction pure et
simple ». Tandis que Christian
Couzinou, président de l’ordre
national des chirurgiens-dentis-
tes, écrivait début 2015: «Le mer-
cure est utilisé dans le monde
depuis deux cents ans. La démons-
tration scientifique de sa dangero-
sité n’a jamais été établie.»
En avril 2015, l’ANSM, dans un
rapport sur l’actualisation des
données du mercure des amalga-
mes,indiquecertesnepaspouvoir
«établir formellement un lien entre
le mercure des amalgames dentai-
res et les pathologies observées».
Mais l’agence «réaffirme sa
volontédevoirréduiredefaçonim-
portante l’utilisation des amalga-
mesàbasedemercuredanslecadre
dutraitementsurlacariedentaire»
etstipulequ’ilsnedoiventêtreuti-
lisésques’iln’yapasd’alternative.
La question de l’innocuité se
pose aussi pour les dentistes et
leurs assistantes, et tout contact
avec le mercure est fortement
déconseilléencasdegrossesse.Or
80 % à 90 % des assistants dentai-
res sont des femmes. p
p.sa.
4. 4| ÉVÉNEMENTLE MONDE ·SCIENCE & MÉDECINE
MERCREDI 13 JUILLET 2016
Lesport,
nouveauterrain
dejeudes
physiciens
Une quarantaine de participants, de novices à
experts en passant par des amateurs, ont subi ce
test ainsi qu’une batterie d’autres pour mesurer
leur force musculaire générale, la force de leurs
doigts, l’endurance… Bien entendu, envergure,
taille et poids ont aussi été pris en compte.
Notamment pour calculer un indice bien connu,
«l’indice du singe», qui compare l’envergure à la
taille. Pour un individu normal, cet indice vaut 1.
Pour le judoka David Douillet, 1,10. Les bons
grimpeurs ont certes un indice différent des
novices mais, selon les calculs de Guillaume
Laffaye, ce paramètre anthropométrique expli-
que moins de 5 % de la performance.
De même, les facteurs musculaires généraux
comme la force brute comptent peu, également
moins de 5 %. Les différences marquantes entre
les grimpeurs de l’étude concernent, sans sur-
prise, la force des doigts (mais pas de la main
dans son ensemble), qui explique plus de la moi-
tié de la performance, le reste étant la «techni-
que». C’est donc ce point que les sportifs ont
intérêtàtravaillerpardesentraînementsspécifi-
ques. L’équipe est d’ailleurs en train d’étudier
l’effet d’un protocole d’amélioration de la force
des doigts aux premiers résultats prometteurs.
Quelestlecoupdepédaleidéal?
Il n’y a pas d’âge pour apprendre à faire du vélo.
Au point que les chercheurs se demandent tou-
jours quelle est la méthode la plus efficace pour
bien pédaler! A la conférence, Juan Garcia-Lopez,
de l’université de Leon (Espagne), a commencé
sonexposéenévoquant cettepolémique: certai-
nes études montrent que les pros pédalent
comme les amateurs, d’autres, au contraire,
qu’ils sont plus efficaces sur le pédalier. Pour
trancher cet insoutenable dilemme, il a convo-
qué dans son laboratoire 37 cyclistes de niveaux
différents, certains roulant plus de 30000 kilo-
mètresparan(lespros),d’autres15000etlesder-
niers 5000. En moyenne, les sportifs de ces trois
groupes avaient tous le même poids et la même
taille afin d’éviter l’effet des «grosses» jambes
qui augmentent l’inertie sur les pédales et sont
connues pour biaiser les mesures.
Après des séances de quelques minutes à diffé-
rentes puissances, le verdict est tombé. Les pros
ont bien une manière différente de pédaler.
Notamment,lecouplequ’ilsexercentpourpous-
sersurlapédalelorsqu’elleestenhautestunpeu
plus faible que celui des amateurs. De même, ce
couple est plus faible lors du retour de la pédale.
En fait, ces cyclistes poussent avec un pied sur
une pédale et tirent sur l’autre avec le pied
opposé, adoptant la technique dite du pédalage
circulaire. «C’est cohérent avec un autre résultat,
publié en 2012, qui montrait que, contrairement à
ce qui était considéré jusqu’alors, cette technique
ne coûte pas plus d’énergie», indique Juan Garcia-
Lopez. Selon cette étude de 2012, le pédalage cir-
culaire est plus coûteux en énergie pour les
efforts courts mais, si l’exercice se prolonge,
d’autresmusclesprennentlerelaisetfinalement
parviennent à rééquilibrer le bilan.
Le chercheur espagnol tire deux autres conclu-
sions. Ce n’est pas l’entraînement ni la morpho-
logie qui expliquent ces différences, mais l’expé-
rience, c’est-à-dire la quantité de kilomètres par-
courus. Il pense surtout que des améliorations
sont possibles en jouant sur la position du cou-
reur et notamment la position des cales sur les
pédales afin de «fluidifier» le mouvement des
hanches et des chevilles. La «circularité» du
mouvement n’est en réalité pas parfaite et pour-
rait donc être optimisée. «Même si une action de
traction sur la pédale semble présenter un avan-
tagemécanique,l’intérêtdupointdevuedelaper-
formance reste à démontrer», concluait cepen-
dant une autre étude de 2012 parue dans Science
& Motricité. Autrement dit, avant qu’un coureur
décide de s’engager dans un plan de deux ou
trois mois d’entraînement pour améliorer sa
technique, et de sacrifier ainsi une saison, il fau-
drait qu’il soit convaincu de gains substantiels.
Pourquoilevolantdebadminton
file-t-il si vite?
Le 28 juillet2013, le Malaisien Tan Boon Heong,
numéro 1 mondial de badminton en 2007, e-
nvoie un smash à la vitesse record de 493 km/h
(ou 137 m/s). C’est plus de deux fois plus rapide
que la balle d’un tennisman ou d’un joueur de
squash. Près de quatre fois et demie plus rapide
que celle d’un handballeur ou d’un pongiste.
«C’est impressionnant. Comment, avec les mêmes
mouvements de bras, peut-il y avoir de tels
écarts?», s’interroge Guillaume Laffaye, qui a in-
vité son étudiant Michael Phomsoupha à relever
le défi de répondre à cette question. Ce dernier y
est parvenu pour sa thèse, avec des résultats à
paraître, portant sur 34 smasheurs volontaires.
Trois paramètres expliquent la performance
et prédisent que le plafond n’est pas atteint. Le
premier, c’est l’effet levier. A la longueur du bras
s’ajoute celle de la raquette, ce qui augmente
mécaniquement la vitesse de l’endroit où la
balle est frappée.
Ledeuxièmeestliéaucoefficientderestitution
lors du contact, autrement dit la quantité d’éner-
gie restituée au volant lorsqu’il tape le tamis. Ce
paramètre vaut environ 60 %. Il faut aussi pren-
dre en compte la masse du volant, particulière-
ment léger. Plus précisément, c’est le rapport en-
tre la masse de la raquette et de la balle qui est
important. Ce dernier est plus favorable au bad-
minton (une raquette de 80 g, seize fois plus
lourde que le volant) qu’au tennis (une raquette
de 280 g, cinq fois plus lourde que la balle).
Enfin, dernier paramètre, presque aussi
important que le premier: la déformation de la
raquette, particulièrement grande dans ce
sport. Le coup est parfait si la déflection de la
raquette est maximale au moment de l’impact
avec le volant. Il doit donc y avoir une adéqua-
tion entre la fréquence d’oscillation de la
raquette et celle du bras afin de maximiser le
coup. A cette condition, le record pourra tom-
ber et se rapprocher du seuil prévu par le mo-
dèle de 156 m/s (560 km/h).
Lesmanchonsdecompression
descoureurssont-ilsutiles?
Sur les routes et chemins, un accessoire connaît
un grand succès du côté des coureurs de fond: la
chaussette ou le manchon de compression. Ce
textile serre le mollet fortement afin de favoriser
la circulation sanguine et d’éviter le phénomène
des jambes lourdes. «Mais beaucoup d’évalua-
tions de cet accessoire sont faites en laboratoire et
surdesdistancescourtes.Nousavonsvoululesétu-
dier en plein air et sur des efforts d’environ 2h30»,
explique Hugo Kerhervé, qui a participé à ce tra-
vail mené par l’université Savoie-Mont-Blanc
(Chambéry) et l’entreprise Thuasne (qui commer-
cialise ces équipements).
Quatorzejeunescoureursdetrailontcouruavec
etsansmanchon(leschaussettesn’ontpasététes-
tées), équipés de capteurs d’oxygénation muscu-
laire pendant toute la course. Régulièrement, ils
passaient aussi sur une portion du parcours équi-
pée de capteurs permettant de mesurer le temps
que leur foulée reste au sol ou est en l’air.
Les conclusions sont plutôt riches et inatten-
dues.Cesmanchonsn’ontpasd’effetsurlaperfor-
mance, les coureurs ayant maintenu leur fré-
quence cardiaque par exemple. L’oxygénation du
mollet est la même pendant la course avec ou
sans manchon. En outre, la récupération est
meilleure avec cet équipement. Et la douleur au
tendond’Achillemoinsforte.Enfin,illimitelafati-
gue par un effet encore mal compris: ce textile fa-
voriserait la dynamique de la jambe (on reste plus
longtemps en l’air!) par un maintien des tissus
mous du mollet. La jambe serait aussi plus raide.
«J’étaisunpeucirconspectaudébutetjelesuisun
peu moins maintenant. Surtout, cela motive pour
étudier l’effet sur la performance sur les courses
vraiment longues», estime Hugo Kerhervé, dont
l’étude est en cours de publication.
Dernier détail: tous les manchons ne se valent
pas.Lespressionsexercéessontvariablesselonles
fabricants et… la forme des mollets.
S’agitersurunbateaufait-il
avancerplusvite?
Tels les Shadoks, les marins pompent, pom-
pent. Mais eux savent pourquoi: pour avancer
plus vite contre le vent. Plus précisément, sur les
dériveurs ou les planches à voile, il est possible,
pour gagner en vitesse, de périodiquement tirer
sur l’écoute ou sur la voile pour la faire osciller,
tellel’ailed’unoiseau.Onpeutaussis’agiterense
balançant afin de faire osciller le mât et d’obtenir
le même gain. Le navigateur britannique Ben
Ainslie,plusieursfoischampionolympiquea,par
exemple, popularisé cette technique dite du
pompage ou du roulis volontaire.
Mais pourquoi un tel effet profitable? Et quelle
est la fréquence optimale à appliquer pour être
meilleur? Deux équipes, spécialistes de mécani-
que des fluides et de voile, font la course pour y
répondre. Elles se sont retrouvées à l’Ecole poly-
technique, en juin, comme elles l’avaient fait trois
mois avant à Annapolis (Maryland) lors d’une
autreconférence.CharlesWilliamson,del’univer-
sitéCornell(NewYork),aéquipéunbateaudecap-
teurs pour comprendre le mouvement du mât et
de la voile. Nicolas Aubin, doctorant à l’Institut de
recherche de l’Ecole navale à Brest a, lui, collaboré
avec la Nouvelle-Zélande pour étudier en souffle-
rie une voile battante à l’échelle 1/13.
Ce dernier confirme l’existence d’une fré-
quence optimale au-delà de laquelle il est inutile
de pomper, sous peine de s’épuiser sans gain de
EN 2013, LE CHAMPION
DE BADMINTON TAN BOON
HEONG ENVOIE UN SMASH
À 493 KM/H. C’EST PLUS
DE DEUX FOIS PLUS RAPIDE
QUE LA BALLE D’UN
TENNISMAN. POURQUOI?
▶ SUITE DE LA PREMIÈRE PAGE
5. ÉVÉNEMENTLE MONDE ·SCIENCE & MÉDECINE
MERCREDI 13 JUILLET 2016 |5
vitesse. Cette fréquence dépend de la force du
vent mais aussi du temps qu’il met pour parcou-
rir la longueur de la voile – ce temps étant lié au
profildelavoile.«Lathéoriesembleconformeàla
pratique», confirme Nicolas Aubin. Encore une
fois,lesphysicienssontenretardsurleshommes
de l’art… Charles Williamson, par ailleurs naviga-
teur lui-même et conseiller de l’équipe de l’uni-
versité, a également confirmé l’effet.
Il dispose en outre des premières pistes pour
en expliquer l’origine. En réalisant, dans l’eau,
un modèle réduit de la voile, il a observé l’effet
de l’oscillation du mât sur l’écoulement. En l’ab-
sence de bascule, de petits tourbillons alternent
dans le sillage. Mais lorsque le mât bouge, ces
tourbillons grossissent et n’alternent plus de la
même façon. Ils tournent même à une fré-
quence proche de celle imposée au mât par le
marin. Reste à calculer si ces vortex créent la
force effectivement observée.
Mais si les physiciens n’arrivent pas à résoudre
complètement ce problème, ce ne sera pas un
drame: le pompage ou la bascule périodique du
corps sont interdits par la règle 42 des courses à
la voile!
Faut-ilêtretrapupourlever
deshaltères?
«Un peu comme dans le mythe de la caverne de
Platon, les mouvements de l’homme sont comme
les ombres sur les murs et nous disent quelque
chose sur son fonctionnement interne», lance,
énigmatique, Christophe Clanet. Avec son
équipe, il tente de rendre plus concrète cette
vision en s’intéressant aux… haltérophiles. Que
révèlent leurs impressionnants épaulés-jetés ou
arrachés sur la nature de leurs muscles? Pour le
savoir, les chercheurs ont fait faire plusieurs
exercices de développé-couché à sept volontai-
res, amateurs ou expérimentés dans cet effort
consistant à soulever un haltère à partir d’une
positionallongée.Ilsontprincipalementmesuré
la vitesse verticale avec laquelle la barre est pro-
pulsée. Evidemment, plus l’effort demandé est
grand, plus cette vitesse chute, mais l’évolution
de cette vitesse dans le temps de l’effort a mis les
chercheurs sur la voie d’une belle découverte,
qu’ils ont publiée, en décembre 2015, dans les
Proceedings of the Royal Society.
Pour reproduire ces résultats, ils ont en effet dû
aller toujours plus profond dans le fonctionne-
ment musculaire, jusqu’aux deux protéines, l’ac-
tine et la myosine, qui sont les moteurs molécu-
laires responsables de l’élasticité musculaire. Ces
protéines forment des filaments qui, eux-mê-
mes, sont regroupés en sarcomères, eux-mêmes
assemblés en myofibrilles, puis en muscles. Le
secret du champion iranien mythique d’haltéro-
philie Hossein Reza Zadeh, avec ses 190 kg pour
1,86 mètre, siège en fait dans la manière dont des
molécules de quelques milliardièmes de mètres
de large s’accrochent et se décrochent! Accessoi-
rement, le modèle explique pourquoi les trapus
sont plus efficaces dans cet exercice et pourquoi
la masse soulevée est proportionnelle à la puis-
sance 2/3 de leur poids.
Mais ce n’est pas tout. Les chercheurs ont
aussi remarqué, dans les profils de développé-
couché, une différence entre un body-builder
costaud et un volontaire peu musclé. «Nous
pensons que cela est lié à une différence entre les
quantités de fibres lentes, favorisant l’endurance,
et les fibres rapides, liées à la puissance», indique
Caroline Cohen, en postdoc à l’université Paris-
VII. En outre, un autre volontaire, atteint de
sclérose latérale amyotrophique (maladie de
Charcot), avait un profil de vitesse encore diffé-
rent. D’où l’idée de trouver un test d’effort sim-
ple permettant d’estimer correctement la pro-
portion fibre lente/rapide, voire de proposer
des diagnostics ou des suivis simples de patho-
logies musculaires. Aujourd’hui, pour avoir de
telles connaissances, des biopsies locales sont
nécessaires. L’exercice suggéré, également clas-
sique dans les salles de musculation, est la
presse oblique. Il consiste à pousser avec les
jambes des masses de plus en plus lourdes sur
un plan incliné. Reste à trouver les volontaires
et les médecins pour quitter l’hôpital au profit
de la salle de musculation. p
david larousserie
«RELIER LE SAVOIR
DES SPORTIFS AUX LOIS
FONDAMENTALES»
Christophe Clanet est direc-
teur de recherche au CNRS
au laboratoire d’hydrody-
namique de l’Ecole polytechnique.
Il est à l’initiative de la première
conférence Sports Physics, en 2012,
et avec sa collègue du Massachu-
setts Institute of Technology (MIT),
Peko Hosoi, de la deuxième qui
s’est tenue du 8 au 10 juin.
Pourquoi vous êtes-vous
intéressé à la physique du sport?
Parce que c’est une façon de trou-
ver de beaux problèmes scientifi-
ques! Sport et handisport consti-
tuent un vrai domaine de recher-
che,originaletprofond.Depuissept
ans maintenant, cela m’a conduit à
étudierleskitesurfsetlastabilitédu
vol de ces ailes «attachées», le surf
et la propulsion par les ondes et,
dernièrement, le fartage…
Cesontclairementdessujetsaux-
quels je ne me serais jamais inté-
ressé sans le sport. Ils sont souvent
apparus en discutant avec les spor-
tifs qui sont en constante recher-
che d’idées pour améliorer leurs
performances: le navigateur Yves
Parlier pour le kite et le biathlète
Martin Fourcade pour le fart.
Football, surf, cerf-volant… Cela
ne fait pas très sérieux, non?
Certains trouvent en effet qu’il
n’est pas politiquement correct de
s’intéresser à de tels sujets. Cela tra-
duit le découplage qui existe dans
nos sociétés entre le corps et l’es-
prit et que l’on retrouve quand on
discute des métiers manuels et
intellectuels. Mais le CNRS nous
permet d’explorer, et nous devons
absolument profiter de cette
chance et prendre des risques pour
ouvrir de nouvelles voies.
Je dois avouer que, lorsque j’ai
lancélapremièreconférencePhysi-
que du sport, en 2012, un des objec-
tifs était de mesurer la profondeur
scientifique du domaine. Jusque-là,
j’étais convaincu que le sport était
un bon vecteur de diffusion de la
science,maiscelanesuffitpaspour
définir un domaine de recherche.
Ensuite, notamment après des ex-
poséssurlesmuscles,j’étaisfasciné
et résolu à approfondir ce sujet.
Vos résultats confirment
souvent l’intuition des sportifs.
N’avez-vous pas l’impression
de réinventer la roue?
Les avions volaient bien avant
que les physiciens n’apportent une
description complète de ce qu’on
appelle l’aile portante. Idem pour
les fusées. Notre rôle de physicien
est de comprendre comment relier
le savoir des ingénieurs (ou des
sportifs, dans notre cas) aux lois
fondamentales. L’intérêt de cette
démarche est qu’elle explique
l’existant (réinvente la roue) et
identifie des pistes inexplorées.
Dans le cas des avions, par exem-
ple, cela a permis de calculer la
forme optimale des ailes. Pour
nous, il est encore tôt pour faire le
bilan, mais nos résultats sur le
muscle sont ceux qui me semblent
les plus intéressants.
Comment voyez-vous
l’évolution de ce domaine?
Je le vois se structurer en quatre
grands champs: la mécanique de
l’homme, les matériaux, l’énergie
et les statistiques.
Sur le premier sujet, il s’agit de
faire le lien entre ce qui est appa-
rent, le mouvement, et le fonction-
nement interne du corps humain.
Faire ce lien permettra de dévelop-
per de nouveaux outils pour les
entraînements des sportifs, mais
aussi peut-être de diagnostiquer
des pathologies de façon précoce.
Pour les matériaux, il y a deux
axes de recherche: la friction et les
textiles fonctionnalisés par diffé-
rents capteurs (fréquence cardia-
que, accéléromètre…). Côté énergie,
dans des sports tels que la voile, le
vélo…, on cherche à maximiser la
vitesse pour une énergie donnée.
Cet enjeu n’est pas si différent de
celui, quotidien, où l’on cherche
pour une vitesse donnée (50 km/h
en ville) à minimiser l’énergie. En
étudiant l’optimisation des systè-
mes propulsifs en sport, on étudie
en réalité des systèmes où la
question de l’optimisation énergé-
tique se pose.
Enfin, de beaux défis sont à rele-
ver par les statistiques: la relation
vitesse-précision, par exemple.
Une caractéristique commune à
beaucoup de sports est que l’on
n’utilise jamais la vitesse maxi-
male lorsqu’on veut être précis.
Pourquoi? C’est une jolie question
pour un physicien.
Comment allez-vous développer
ces activités?
Nous lançons un programme en-
tre l’Ecole polytechnique et le MIT
mêlant enseignement et recherche
autour de l’optimisation et la res-
tauration des performances. Côté
enseignement, un cours de méca-
nique de l’homme sera proposé à
l’Ecole polytechnique ainsi qu’un
master avec le MIT sur «physique
du sport et technologie».
Côté recherche, nous aurons une
collaboration avec l’Institut natio-
nal du sport, de l’expertise et de la
performance (Insep) sur le sport et
le handisport de haut niveau.
Les premiers sujets envisagés
sont le suivi GPS des joueurs de
rugby avec évaluation des accéléra-
tions associées aux chocs, en vue
de prévenir les blessures. Un autre
porte sur le dribble dans les sports
collectifs.Unautreencoresurl’évo-
lution des performances avec l’âge.
Sur le handisport, avec ma collègue
du MIT, Peko Hosoi, nous cherche-
rons à optimiser les patins du hoc-
key sur luge.
Enfin, cela s’accompagnera de
conférences internationales, tous
les deux ans, pour coller au rythme
olympique (été-hiver). La pro-
chaine aura donc lieu à Boston, au
MIT, en 2018. p
propos recueillis par d.l.
Le champion iranien
d’haltérophilie
Hossein Reza Zadeh,
médaille d’or
aux Jeux olympiques
d’été 2004.
Durant l’épreuve,
il bat le record
du monde
à l’épaulé-jeté
(262,5kg)
et réalise 472,5kg
au total des deux
mouvements.
BOLCINA/DPPI-SIPA
7. RENDEZ-VOUSLE MONDE ·SCIENCE & MÉDECINE
MERCREDI 13 JUILLET 2016 |7
Le virage ambulatoire, pour l’autisme aussi
TRIBUNE - Deux députés et le porte-parole d’une association d’autistes plaident
pour un redéploiement des ressources allouées à cette pathologie, avec davantage
de moyens pour les recherches sur les facteurs de risque
Les troubles autistiques tou-
chent près de 600000 person-
nes en France, et concernent
désormais une naissance sur cent, ce
qui correspond à 8000 nouveaux cas
par an. Mais la situation des familles
est particulièrement critique. La qua-
lité de la prise en charge est même
qualifiée par l’ensemble des observa-
teurs de désastreuse.
Aux Etats-Unis, alors que ces patholo-
giessemblaientencoreexceptionnelles
il y a quelques décennies (1 enfant sur
2500 en 1970 puis sur 500 en 2000),
l’estimation du Centre pour le contrôle
etlapréventiondesmaladiesestdésor-
mais de 1 enfant sur 45. L’ONU affirme
d’ailleurs que, parmi tous les troubles
gravesdedéveloppement,l’autismeest
celui qui connaît la plus rapide expan-
sion dans le monde et que cette épidé-
mie va bousculer nos systèmes de
protection sociale.
Ces chiffres alarmants doivent, en
France aussi, inquiéter et mobiliser
fortement les pouvoirs publics. Or le
problème reste sous-estimé et notre
pays accuse toujours un retard de
trente ans par rapport aux autres pays
développés. Ainsi, 90 % des adultes ne
disposant pas de prise en charge spé-
cialiséesontreléguésdansdesstructu-
resinadaptées,desmilliersviventchez
leursparents,sansqu’uneétudeépidé-
miologique permette de chiffrer préci-
sément cette réalité très douloureuse
et destructrice.
Enfin, les listes d’attente pour obtenir
un diagnostic et mettre en place un
accompagnement spécifique sont
interminables. Une étude du Collectif
autisme, réalisée en 2014 auprès de
500 familles concernées, a démontré
que77,4%d’entreellesn’avaientfinale-
ment pas eu, ou seulement de manière
partielle, accès à un diagnostic appro-
prié à l’âge requis.
Nous sommes face à un paradoxe: si
lasituationestmieuxconnuedugrand
public, que trois plans Autisme se sont
succédé et que la volonté affichée du
gouvernement est de développer les
approches éducatives et comporte-
mentales qui ont fait la preuve de leur
efficacité,lesmoyensmisenœuvreres-
tent insuffisants, si bien que la situa-
tion est quasi inchangée. Il y a urgence
sanitaire, sociale et budgétaire.
Cette situation impose d’apporter
des réponses à ces deux questions:
pourquoi? et comment? Pourquoi
parle-t-on d’épidémie? Sur le plan
étiologique, les experts s’accordent à
dire que les progrès dans le diagnostic
ne sauraient expliquer plus de la moi-
tié de la hausse de la prévalence. Ils
considèrent par ailleurs que la généti-
que n’est pas seule en cause et que les
facteurs environnementaux en parti-
culier doivent être recherchés pour
guider la prévention.
Ces facteurs sont variés et de plus en
plus d’études les pointent désormais…
En 2014, des chercheurs de l’université
deCalifornieàDavisontconstatéquele
risque d’autisme augmentait pour une
femme enceinte en fonction du degré
d’exposition aux pesticides. Ceux de
Harvard à Boston ont constaté, sur une
cohortedeplusde100000infirmières,
que les plus exposées à certaines pollu-
tions de l’air voyaient doubler le risque
pourleurenfant.Unelisted’agentspos-
siblement en cause a été dressée,
notamment le plomb, les PCB, le bis-
phénol A, des pesticides… auxquels il
faut ajouter le risque médicamenteux,
enpremierlieulevalproate,unmédica-
ment antiépileptique.
Il est impératif de mobiliser des
moyens pour que la recherche sur ces
facteurs de risque soit développée et
que des mesures de prévention soient
prises en conséquence.
Comment s’y prendre? La psychiatri-
sation de l’autisme en France repré-
sente une lourde charge économique,
notamment du fait de son coût hospi-
talier.L’Inspectiongénéraledesaffaires
sociales a indiqué en 2011 que les deux
tiers des personnes placées pendant
plus de trente jours en hôpital psychia-
trique étaient des autistes ou apparen-
tés; 77 % des personnes autistes n’ont
pas accès à un accompagnement
adapté et resteront soit en hospitalisa-
tion psychiatrique, soit en Institut
médico-éducatif inadapté, soit chez
eux à la charge de leur famille, la plu-
part du temps totalement démunie. Le
coût de la prise en charge dans un éta-
blissement est 30 % à 40 % plus élevé
que le recours à l’accompagnement
éducatif permanent recommandé par
la Haute Autorité de santé (HAS). Pour-
tant, le financement des pratiques
recommandées reste majoritairement
supporté par les parents qui y ont re-
cours (avec un reste à charge de l’ordre
de 1500 euros par mois)…
Pour les familles qui n’y ont pas
accès, l’enfant ne deviendra jamais
autonome, son absence de progrès le
conduira à un placement en institu-
tion «spécialisée», il ne vivra ainsi
jamais parmi nous…
Au scandale éthique s’ajoute une
absurdité budgétaire! Une meilleure
prise en charge évitant l’enfermement
pourrait générer à moyen terme des
économies budgétaires notables de
l’ordre de 1,5 milliard d’euros par an
pourl’Assurance-maladie…etunbéné-
fice social bien supérieur.
Promouvoir les méthodes éducati-
ves et comportementales recomman-
dées par la HAS, à l’inverse des appro-
ches basées sur la psychanalyse,
permettra de redéployer les ressour-
ces vers un accompagnement effi-
cient,larecherchethérapeutiqueetles
mesures de prévention.
Ethique,efficienceetpréventiondoi-
vent converger face à l’épidémie
d’autisme. p
CARTE
BLANCHE
Par NICOLAS GOMPEL
ET BENJAMIN PRUD’HOMME
La peste a si durement marqué l’hu-
manité que le mot est devenu méta-
phore de tous nos maux. Si la bacté-
rie responsable de cette maladie, Yersinia
pestis, est connue depuis 1894, son histoire
évolutive a été progressivement révélée au
cours des vingt dernières années par un
travail de détective de quelques cher-
cheurs. Dans un article tout juste paru dans
Infection and Immunity, Joseph Hinne-
busch, l’un des protagonistes de cette lon-
gue enquête, et ses collègues retracent l’ori-
gine et les changements génétiques qui ont
conduit à l’émergence de la peste.
Y. pestis infecte divers mammifères,
essentiellement les rats et occasionnelle-
ment les hommes, par des piqûres de
puces. Y. pestis est apparue il y a environ six
mille ans à partir d’une autre bactérie,
Yersinia pseudotuberculosis. Ces deux bac-
téries infectent les puces, mais les consé-
quences sont très différentes. Y. pseudotu-
berculosis tue la plupart des puces infec-
tées, limitant de fait sa transmission. Au
contraire de son ancêtre, Y. pestis ne tue pas
les puces. Elle prolifère dans leur tube
digestif, les faisant vomir lors du repas sui-
vant, assurant ainsi la transmission des
bactéries d’un mammifère à un autre.
Grand banditisme pandémique
Ces nouveautés, la capacité à proliférer
dans l’intestin des puces et la nausée passa-
gère occasionnée à la puce, ont constitué
des étapes clés dans l’évolution de Y. pestis.
Leurs origines génétiques ont été élucidées
en comparant le génome de Y. pestis à celui
de son ancêtre. C’est par l’acquisition de
quelques gènes et l’inactivation par muta-
tion de pas mal d’autres que Y. pestis est
passée de la petite délinquance bacté-
rienne au grand banditisme pandémique.
D’abord, ne pas se faire repérer par l’hôte.
Un des gènes de Y. pestis, absent chez
Y. pseudotuberculosis, permet à la bactérie
de coloniser le tube digestif de la puce tout
en se protégeant de ses défenses immuni-
taires. Ce nouveau gène, Y. pestis l’a obtenu
d’une autre bactérie par transfert horizon-
tal de matériel génétique, un mécanisme
très courant chez les bactéries qui décuple
leur succès évolutif.
Ensuite, ne pas scier la branche sur la-
quelle on est assis. Le gène que Y. pseudotu-
berculosis utilisait pour tuer les puces a été
inactivé par quelques mutations chez
Y. pestis, changeant ainsi radicalement la
relation à son hôte, devenu porteur sain,
juste un peu ballonné.
Enfin, ménager sa sortie. En s’agrégeant
en biofilm à l’entrée de l’estomac de la
puce, Y. pestis bloque le passage des ali-
ments, ce qui déclenche la régurgitation
lorsque la puce pique à nouveau pour se
nourrir, et donc la transmission des bacté-
ries. Y. pseudotuberculosis peut aussi for-
mer des biofilms, mais ce processus est
réprimé par l’action de certains gènes.
L’inactivation de trois de ces gènes chez
Y. pestis lui permet de former des biofilms
de manière constitutive et facilite sa propa-
gation d’un animal à un autre.
Ces résultats mettent en lumière la
manière dont une poignée d’événements
génétiques, transferts de gènes et inactiva-
tions fonctionnelles, ont rapidement
transformé une bactérie inoffensive pour
l’homme en une tueuse implacable, res-
ponsable de dizaines de millions de morts
à travers l’histoire. Ils illustrent aussi com-
ment une nouvelle discipline, la médecine
évolutive, a changé notre compréhension
des épidémies. p
La bactérie qui
donnait la nausée
aux puces
L’ONU AFFIRME
QUE L’AUTISME
VA CONNAÎTRE UNE
RAPIDE EXPANSION
DANS LE MONDE
ET BOUSCULER
NOS SYSTÈMES
DE PROTECTION
SOCIALE
LE MINILABORATOIRE QUI FAIT MILLE RÉACTIONS PAR MINUTE
Tester des centaines de recettes en un
clind’œilestdésormaispossiblegrâceà
lamicrofluidique,unetechniquedemi-
niaturisationpermettantdemanipuler
de nombreux et petits échantillons.
Une équipe franco-japonaise (CNRS et
université de Tokyo) vient d’en faire la
démonstration. Pas pour de la cuisine
mais pour de la chimie. Elle a notam-
mentétudié,grâceàceminilaboratoire,
une réaction biochimique dite bistable,
c’est-à-dire un processus qui, en fonc-
tiondesquantitésdeproduitsentrants,
donne deux types de réponses. Par
exemple, un virus peut se retrouver
dormant ou, au contraire, lancer la ré-
plicationdesonmatérielgénétique.Les
chercheursétudientdetellessituations
modèlespoursavoirquellesconcentra-
tions de brins d’ADN ou de certains en-
zymes influencent le résultat. D’où l’in-
térêt de tester rapidement des milliers
decombinaisonsderéactifs. p
david larousserie
Le supplément «Science & médecine» publie chaque semaine une tribune libre. Si vous souhaitez soumettre un texte, prière de l’adresser à sciences@lemonde.fr.
SOURCES : GENOT ET AL., NATURE CHEMISTRY, 20 JUININFOGRAPHIE : JACQUES LOURADOUR
Huile
P Q
Huile
Goutte de
composition
variable
Analyse au
microscope
Excitation des gouttes
par laser
Incubation
1 2 3
4 5
Le processus
Plusieurs produits sont mélangés dans de l’eau à des concentrations différentes (1).
Le contact avec l’huile (2) crée un chapelet de 10 000 gouttes de 50 micromètres
de diamètre (3). Des marqueurs fluorescents « étiquettent » chacune de ces
gouttes. Les produits peuvent être des brins d’ADN susceptibles de se répliquer
ou bien des enzymes agissant sur ces brins.
Après incubation (4) de plusieurs heures, un laser rend chaque goutte fluorescente,
révélant ainsi sa composition. L’analyse (5) indique alors l’effet des différentes
combinaisons de réactifs sur l’état final. Par exemple, la réaction est-elle stable
ou oscillante ?
La puce
Le minilaboratoire est fabriqué dans un polymère
et son cœur mesure 55 micromètres d’épaisseur.
Différents tubes l’alimentent en liquides de
composition variée.
Fluorescence
Laser
+ marqueur
fluorescent
Espèce P
+ marqueur
fluorescent
Espèce Q
Eau
Nicolas Gompel, Benjamin Prud’homme
Généticiens, LMU de Munich,
Institut de biologie du développement
de Marseille-Luminy (CNRS)
¶
Gérard Bapt, député de la Haute-
Garonne, rapporteur du budget de la
Sécurité sociale; Florent Chapel,
porte-parole d’Autistes sans frontières,
coauteur d’Autisme, la grande enquête
(Les Arènes, 244 p., 21,90€); Bernadette
Laclais, députée de la Savoie,
rapporteuse du budget Santé publique.
8. 8| RENDEZ-VOUSLE MONDE ·SCIENCE & MÉDECINE
MERCREDI 13 JUILLET 2016
Adrien et Clémentine,
messagers ailés de la science
PORTRAIT - Ce couple, l’un pilote, l’autre avocate, parcourt le monde à bord d’un ULM
pour réaliser des expériences à destination des scientifiques et des écoliers
Q
uand vous lirez ces lignes, Clé-
mentine Bacri et Adrien Nor-
mier seront en train de comp-
ter des dauphins noirs au-des-
sus du Pacifique, au large du
Chili. A moins qu’ils soient
déjà en plein survol du rio Rahue et de la ville
d’Osorno,à800kilomètresausuddeSantiago,
pour recenser d’éventuels sites polluant la
rivière. Ou alors qu’ils soient bloqués sur un
aérodrome perdu au milieu de nulle part.
C’est comme ça, avec ce couple de trentenai-
res: ils ne tiennent pas en place. Même dans le
café parisien où nous les rencontrons juste
avant leur départ pour l’Amérique du Sud.
Chacun avec son ordinateur portable, ils se
battent pour montrer leurs photos et vidéos
des pays qu’ils ont déjà visités. Ils se coupent,
seregardent,reprennentlefildeladiscussion,
hésitent sur le nombre de déménagements
ces dernières années (cinq ou six?) ou sur le
nombre d’Etats corrompus traversés… Un vrai
tourbillon de passion et d’envie de partager
leur expérience.
«Quelque chose d’utile»
Cesdeuxenthousiastesnesontpasdesscienti-
fiques, mais ils en ont rencontré des dizaines
depuis qu’ils se sont lancés dans un projet fou:
effectuer un tour du monde en ULM, seuls aux
manettes, pour apporter leur aide à des pro-
grammes scientifiques en archéologie, volca-
nologie, biologie marine, environnement,
géologie, urbanisme… grâce à des photos
aériennes ou des capteurs embarqués. A cela
s’ajoute un volet éducatif, car ils rencontrent
des classes pour des conférences, voire pour
contribuer à des expériences. Par exemple, ils
ontembarqué,àborddeleurVirusSW S80,des
bouteillesvidespourvérifierl’effetdel’altitude
surlapression.Ilsontaussimontréqu’enAmé-
riqueduSuddesgrainsdesableduSaharapeu-
vent salir les ailes de leur aéronef. «Nous vou-
lions faire quelque chose d’utile. Au départ je
pensais plutôt à de l’humanitaire, mais c’était
assez dangereux. Et nous avons choisi la science
pour son impact positif sur la société», résume
Clémentine Bacri.
Leur premier tour du monde a duré un an,
de mai 2012 à juin 2013. Il les a fait passer
au-dessus de 50 pays, parcourir plus de
50000 kilomètres, se poser 120 fois pour
aider une vingtaine d’équipes de recherche et
rencontrerunedouzainedeclasses,etrappor-
ter 14 téraoctets de films et de photos.
Le second périple a débuté en février 2016,
s’estarrêtéquinzejoursàParispourlapromo-
tion du second tome de leurs aventures, Rou-
tards du ciel. Des ailes pour la science (Le Pom-
mier, 268 p., 20 euros), avant de se poursuivre
pour deux ans, à partir du 6 juillet au départ
du Chili, en Amérique du Nord, en Europe, en
AfriqueetenAsie…L’avionachangé,unSuper
Petrel LS amphibie fabriqué au Brésil. «C’est
extraordinaire, on peut se poser sur l’eau et sur
terre!», se félicite Adrien, en montrant des
photos de l’engin sur un lac quasi inaccessible
près d’un glacier de Patagonie.
Les débuts ont été chaotiques avec l’échec,
au dernier moment, d’un projet avec une
agence de l’ONU sur le climat. Une rencontre
fortuite avec l’astronome et académicien
Pierre Léna les remobilise sur la science et
l’éducation par l’intermédiaire de l’associa-
tion La Main à la pâte, dont l’astronome est
cofondateur et qui promeut un apprentissage
expérimental dans les écoles. L’association
mettra à leur disposition son réseau interna-
tional declasses. Universcienceles soutiendra
aussi, ainsi que beaucoup de fabricants de
matériel. Ils créent une ONG, Des ailes pour la
science (Wingsforscience.com), prennent une
année sabbatique et s’envolent.
D’abord, en guise de rodage, au-dessus des
volcans d’Auvergne et des plaines de l’Oise, où
Adrien montre les bénéfices d’une technolo-
gie développée avec des étudiants de l’Ecole
centrale de Lyon: la constitution de représen-
tations numériques en trois dimensions à
partir de photos aériennes. A Noyon (Oise), ils
fontleurpremièredécouverte.Grâceauxpho-
tos aériennes, l’Institut national de recher-
ches archéologiques préventives confirme
l’existence d’une villa gallo-romaine du Ier siè-
cle, de 480 m de long et 270 m de large, parmi
les plus grandes de la région.
Puis les succès s’enchaînent. On trouve leurs
noms parmi les signataires de publications
scientifiques ou dans leurs remerciements,
notamment en ce qui concerne les premières
mesures des émissions de soufre du volcan
géant d’Indonésie, le Krakatoa. Les découver-
tes, aussi: celle d’un lac inconnu au milieu de
50 km2 de territoires vierges au Chili en début
d’année, des géoglyphes péruviens de
5000ans photographiés fin 2012… Ils pour-
raient même contribuer à influencer des
réglementations environnementales, comme
dans la ville d’Osorno où des élèves, pour un
projet de sciences participatives, mesurent la
pollution de la rivière et essaient d’en com-
prendre l’origine. Leurs photos aériennes les
aident à recenser les sites suspects, suscepti-
bles d’être sanctionnés.
«On apprend la patience»
«Ilsn’ontpeurderien!Ontremblepoureuxmais
tout finit bien», souligne Pierre Léna, admiratif
de leurs expéditions et se souvenant de leur
timidité lors d’une première rencontre. Clé-
mentine avoue quand même avoir eu peur de
mourir lors d’une chute brutale au-dessus de
l’Atlantique à cause d’une défaillance techni-
que.Oubienàlasuited’unefuited’essenceaux
Bahamas. Ou lorsqu’ils étaient coincés sur un
aéroportpakistanaispardesmilitairespeusou-
riants. A ces évocations, Adrien sourit. Est-ce
parce qu’il est pilote de ligne d’A340 alors que
son épouse est avocate et n’a qu’un brevet de
pilote pour leur petit coucou aux ailes de toile?
«C’est le périph en scooter qui est dangereux!»,
concède Adrien qui, par ailleurs, n’était pas à
l’aisedevantplusde200élèves,car«impossible
de bien travailler avec autant d’enfants». Côté
bons souvenirs: «Tout!» pour Clémentine.
«Avoir pris des lions de mer pour des dauphins
noirs et les voir sauter à plus de 300 autour de
nous», pour Adrien.
Leurs deux livres, leurs nombreux films (dif-
fusésparPlanète+,ThalassaouUniverscience),
leurs rendez-vous réguliers sur le site L’Esprit
sorcier…regorgentd’anecdotes,d’informations
etderencontres.Ilfautdirequ’ilssonthébergés
etnourrisparleséquipesqu’ilsaident.Souvent,
le plus difficile pour eux concerne les autorisa-
tions d’atterrir et les plans de vol. «On s’instruit
beaucoupsurunpaysetsaculturedanslesaéro-
dromes», témoigne Adrien. «Et aussi sur la
façon dont l’administration gère ce qui sort du
cadre ». «On apprend la patience, et parfois ça
finit par être risible», complète Clémentine.
Surletarmacouautour,lespremierscontacts
se font, même si les improvisations sont rares.
En retour, les deux aventuriers incitent les
chercheurs qu’ils ont aidés à solliciter les pilo-
tes locaux pour continuer les mesures. «Ils
sont chaleureux, disponibles envers les autres,
rigoureux techniquement. Ils sont très atta-
chants», souligne Pierre Léna.
Les projets ne manquent pas, et le couple
peut se permettre de choisir ceux qu’il veut
soutenir. «Il faut que ce soit utile scientifique-
ment et que l’avion apporte quelque chose»,
précise Clémentine en citant comme contre-
exempleunchercheurqui voulait compterles
chapeaux sur une plage. «Il faut qu’il n’y ait
jamais eu d’accès aux sites avant nous et que
cela soit faisable», précise Adrien, en rappe-
lant qu’ils refusent les rase-mottes ou les vols
au-dessus de 5000 mètres d’altitude. «Et on
doitapprendredeschoses.Quandj’apprends,je
me sens vivre», termine Clémentine.
On sent poindre alors comme l’envie d’un
nouveau départ. «On s’interroge toujours sur
le sens de tout cela. Nous cherchons à maximi-
ser notre impact. Pour l’instant nous sommes
satisfaits, mais est-ce la meilleure manière
d’être utile? On verra», souffle Clémentine qui
songe,pourquoipas?,àl’aideauxmigrantsen
Méditerranée par le repérage aérien des
embarcations. p
david larousserie
Adrien Normier et Clémentine Bacri,
à Paris, le 4 juillet.
SAMUEL KIRSZENBAUM POUR «LE MONDE»
ZOOLOGIE
Serait-ce une des recettes de sa nage
ultrarapide,desaglisseexceptionnelle
dans l’eau? Ce poisson mythique est
un des plus grands champions de nage océa-
nique. Jugez plutôt: de la pointe de son épée,
cechevalierdesmersfendl’eauàdesvitesses
de pointe proches de 100 km/h! «C’est
énorme, pour un poisson dont la taille
moyenneestdedeuxàtroismètres»,s’étonne
Médéric Argentina, du CNRS (université Côte
d’Azur), qui a modélisé la locomotion aquati-
que de nombreux animaux marins.
Ce nageur hors pair, vous l’aurez reconnu:
c’est l’espadon. Une créature marine fasci-
nante, avec son œil immense, son corps
élancé, ses bonds spectaculaires en l’air. Et
surtout ce rostre immense, aplati comme un
glaive, auquel il doit son nom scientifique,
Xiphias gladius. Quel autre poisson inspira
un roman de légende, Le Vieil Homme et la
mer, récit du combat épique entre un valeu-
reux espadon et un vieux pêcheur? Autre
curiosité, ce grand migrateur ne s’adapte pas
à la vie en captivité.
«Longues chaînes d’acides gras»
Sonderniermystèreétaitenfouidansunepe-
tite cavité, elle-même nichée à la base de sa
tête.Publiéele6juilletdansleJournalofExpe-
rimental Biology, sa révélation est une aven-
ture pleine de rebondissements. Elle com-
mence en 1996, deux spécimens d’espadon,
pêchés en Corse, sont offerts à John Videler,
professeur de biologie marine à l’université
de Groningen (Pays-Bas). Il ne résiste pas à la
tentation de les passer au crible de l’imagerie
par résistance magnétique (IRM). Direction
l’hôpitaldeGroningen:enpleinenuit,onpro-
cède à l’IRM de ces poissons… avec force déso-
dorisant, pour rendre très vite aux patients
l’usage de cet équipement.
A l’époque, rien de marquant n’est trouvé.
Mais en 2015, une étonnante observation, à
l’universitédeFlorideduSud,relancel’affaire.
Justesousl’endroitoùlerostres’insèredansla
tête, la tomodensitométrie révèle une «zone
de faiblesse». Intrigué, John Videler décide de
réexaminer ses clichés d’IRM pris vingt ans
plus tôt. «J’ai instantanément vu cette zone de
faiblesse», note le chercheur de Groningen,
premier auteur de l’article: une glande, en
réalité, de fonction inconnue. Le hasard s’en
mêle: un scientifique de l’équipe laisse tom-
ber une ampoule sur la tête du poisson. Cette
maladresse révèle le réseau de fins capillaires
reliés à cette glande… et l’huile qu’elle déverse
par de minuscules pores à la surface de la
peau. La microscopie électronique à balayage
montre l’étendue de ce réseau.
Selon les auteurs, cette huile rendrait la
peau de l’espadon très hydrofuge. «Cette
hypothèse est cohérente avec les résultats d’un
chimiste,Toms.En1948,ilamontréqu’enajou-
tant très peu de polymères dans un liquide, on
peutréduirelafrictionde80%.Orcettehuilede
l’espadon contient de longues chaînes d’acides
gras, sans doute très polymérisées», estime
Médéric Argentina.
D’autres particularités anatomiques contri-
buentàaccélérerlanagedel’espadon.Ainsi,le
rostre réduit les forces de traînée dans l’eau:
ses rugosités créent alentour des micro-
turbulences. Un peu comme les alvéoles
d’une balle de golf limitent son freinage et
augmentent sa portée. «La forme de l’espa-
don, très profilée, diminue aussi la traînée»,
ajoute Médéric Argentina. Mais, pour lui, la
glande qui vient d’être découverte pourrait
avoir une autre fonction: elle pourrait servir
de«tubedePitot»,uncapteurdepressionqui
équipe les avions. Elle permettrait alors à l’es-
padon de détecter la présence de proies.
Avisauxchampionsdesbassinsquiseraient
tentésd’imitercetasmarin:nil’épéenil’huile
de tête ne sont autorisées en compétition. En
revanche, l’espadon pourrait inspirer des sur-
faces biomimétiques de faible friction. p
florence rosier
L’espadon,
nageur hors pair
L’espadon fend l’eau à des vitesses de pointe
proches de 100 km/h. NORBERT WU/MINDEN
PICTURES/GETTY IMAGES/MINDEN PICTURES RM