Avec l'émergence des médias sociaux est apparu de nouvelles habitudes de communications, de partages et de créations. La plateforme Twitch est l'un des étendards de cette tendance.
A travers ce travail, j'ai voulu m'intéresser au rapport de force qui est apparu entre les joueurs/utilisateurs, de plus en plus créateurs de leur contenu, et l'industrie tentaculaire du jeu vidéo, aux discours aujourd'hui calibrés pour la consommation de masse.
Mémoire de fin d'études - Twitch : Quand l'utilisateur prend les manettes du marché du jeu vidéo
1. Université Catholique de LILLE
MEMOIRE DE STAGE DE FIN D’ETUDES EN MASTER 2 AIT
PARCOURS AFFAIRES INTERNATIONALES TRILINGUES – PARCOURS MARKETING INTERNATIONAL,
COMMUNICATION ET NEGOCIATION
Twitch : Quand l’utilisateur prend les manettes
du marché du jeu vidéo
______________________________
ANNEE : 2015/2016
Dubuis Guillaume
Stage effectué entre le 18/04/2016 et le 17/10/2016 au sein de l’entreprise Stocketmoi
2.
3. RERMERCIEMENTS
Je souhaite remercier toutes les personnes qui m’ont aidé, soutenu et accompagné tout au long
de mes recherches et de mon travail pour ce mémoire. Mes premiers remerciements vont à ma
famille qui m’a soutenu tout au long de cette année, et depuis bien plus longtemps encore. Un
merci tout particulier pour Théo pour son aide précieuse.
Mes remerciements s’adressent également à Monsieur Vincent Danel, mon tuteur de stage, pour
ses recommandations, sa confiance et l’opportunité qu’il m’a offerte durant ces six derniers
mois.
Un grand merci à la promo 2016 AIT-COM qui a pris part à l’accomplissement de ce travail.
Et plus spécialement, merci à Hélène, Junior et Guillaume pour leurs conseils avisés.
4. TABLE DES MATIERES
RERMERCIEMENTS
INTRODUCTION ....................................................................................................................................... 1
PREAMBULE............................................................................................................................................. 3
PARTIE I – SYNTHESE DES TRAVAUX DE RECHERCHE.............................................................................. 4
1.1. Aux origines du jeu vidéo ........................................................................................................ 4
1.2. L’industrie du jeu vidéo actuelle ............................................................................................. 5
1.2.1. Un pilier économique...................................................................................................... 5
1.2.2. Les composantes du marché........................................................................................... 5
1.3. Marketing classique du jeu vidéo............................................................................................ 8
1.3.1. A l’heure de la fusion du développeur et de l’éditeur .................................................... 8
1.3.2. GTA V : Une superproduction pour une super-communication ..................................... 9
1.3.3. Aux limites du système de promotion classique........................................................... 12
1.4. Emergence de nouvelles pratiques ....................................................................................... 13
1.4.1. Les studios indépendants.............................................................................................. 13
1.4.2. Les plateformes de téléchargement.............................................................................. 14
1.5. Le gamer et son image .......................................................................................................... 16
1.5.1. Le joueur : une catégorie démographique hétérogène ................................................ 16
1.5.2. La dimension sociale du jeu vidéo ................................................................................ 17
1.6. Twitch, le réseau social du gamer......................................................................................... 19
1.6.1. Présentation de la plateforme ...................................................................................... 19
1.6.2. Explosion de sa popularité ............................................................................................ 20
1.6.3. Fiche de personnage de l’utilisateur ............................................................................. 21
1.7. Les spécificités digitales de Twitch........................................................................................ 22
1.7.1. La communauté en ligne............................................................................................... 22
1.7.2. L’apport de l’utilisateur et l’inversion du pouvoir......................................................... 24
1.7.3. Les motivations des utilisateurs .................................................................................... 26
1.7.4. L’influence du créateur sur les spectateurs .................................................................. 28
1.7.5. Les motivations dans le jeu vidéo.................................................................................. 30
1.7.6. L’importance du gameplay............................................................................................ 32
PARTIE II – ENJEUX PROFESSIONNELS................................................................................................... 35
2.1.Twitch, le perturbateur du marché............................................................................................. 35
2.2. Problématique............................................................................................................................ 35
PARTIE III – DEVELOPPEMENT DES HYPOTHESES.................................................................................. 35
5. 3.1. Hypothèse 1 : Twitch permet une pratique qualitative du
marketing envers les utilisateurs. ..................................................................................................... 36
3.1.1. Twitch est un média spécialisé...................................................................................... 36
3.1.2. Des outils publicitaires déjà présents............................................................................ 36
3.1.3. L’influence des streamers.............................................................................................. 37
3.1.4. Le marketing par l’appropriation de la plateforme....................................................... 39
3.2. Hypothèse 2 : Les jeux pensés pour Twitch sont recherchés par les utilisateurs................. 40
3.2.1. Une nouvelle forme de jeu collaborative...................................................................... 42
3.3. Hypothèse 3 : Twitch est adapté à l’industrie actuelle du jeu vidéo .................................... 43
3.3.1. La massification du jeu vidéo ........................................................................................ 43
3.3.2. L’apparition d’une concurrence pour Twitch................................................................ 43
3.3.3. Le rachat de Twitch par Amazon................................................................................... 45
CONCLUSION......................................................................................................................................... 46
BIBLIOGRAPHIE...................................................................................................................................... 50
BILAN DE STAGE
6. 1
INTRODUCTION
Au cours de sa jeune existence, le jeu vidéo a connu différentes phases d’appropriation.
Originellement utilisé pour la recherche en informatique, il est ensuite devenu un outil de
divertissement et, plus récemment, d’apprentissage. Aujourd’hui, si son statut d’art à part
entière reste controversé et discuté, il est incontestable que le jeu vidéo est devenu une industrie
tentaculaire. Bénéficiant des avancées technologiques, le support vidéoludique s’est propagé à
nos modes de consommation, à notre façon de voir le monde et à notre culture.
Parallèlement, l’évolution des habitudes et des besoins digitaux a façonné au cours des dernières
décennies un ensemble complexe de médias. Réseaux sociaux, plateformes vidéo, journaux en
ligne, e-commerce, etc… sont venus compléter, voir remplacer, un univers médiatique
traditionnel déjà riche. Poussée par la démocratisation des objets connectés, cette transition a
apporté une nouvelle ère de l’Internet : Le Web 2.0. Un monde dans lequel l’internaute participe
et interagit avec le média. Redéfinissant ainsi la place et le rôle des acteurs et des
consommateurs de médias.
Pour bien comprendre le concept de Web 2.0, la définition de l’initiateur de ce terme, Tim
O’Reilly, semble la plus complète : « Web 2.0 is the network as platform, spanning all
connected devices; Web 2.0 applications are those that make the most of the intrinsic
advantages of that platform: delivering software as a continually-updated service that gets better
the more people use it, consuming and remixing data from multiple sources, including
individual users, while providing their own data and services in a form that allows remixing by
others, creating network effects through an “architecture of participation,” and going beyond
the page metaphor of Web 1.0 to deliver rich user experiences »1
.
1
« Le Web 2.0 est un réseau en plateformes qui couvre tous les objets connectés. Les applications Web 2.0 sont
ce qui apporte le plus d’avantages intrinsèques à cette plateforme : offrir des logiciels continuellement mises à
jour et qui s’améliorent via l’utilisation des individus. Engranger et recouper des données venant de sources
multiples, comprenant de simples utilisateurs. Ces derniers apportant leurs propres données et services sous
une forme qui permet d’être recoupée par les autres, créant ainsi un effet de réseau à travers une « architecture
de participation », et allant au-delà la page du Web 1.0 afin d’apporter une expérience plus riche. », Tim O’Reilly ;
Web2.0 : Compact Definition ; radar.oreilly.com.
7. 2
L’ensemble des utilisateurs deviennent donc l’acteur essentiel de ces plateformes dans le sens
où ils apportent, corrigent et enrichissent directement le contenu. Cela s’inscrit dans divers
concepts et pratiques comme l’appartenance à une communauté et la création de contenu généré
par l’utilisateur par exemple.
A la croisée de ces deux domaines apparaît TwitchTV. Twitch est une plateforme numérique
permettant à chacun de diffuser en ligne en direct, ou non, ses parties de jeu vidéo, et de discuter
avec les spectateurs. Le site, lancé en 2012, a rapidement connu un énorme succès auprès des
communautés de joueurs à travers le monde. Devenant ainsi l’un des sites de vidéos les plus
visités. De plus, Twitch s’inscrit dans une dynamique de mutation l’industrie vidéoludique,
devenue calibrée et globalisée, avec l’apparition de nouveaux acteurs adaptés aux besoins et
aux habitudes des consommateurs de jeu vidéo.
8. 3
PREAMBULE
L’origine du mémoire
Le rapport entre les plateformes numériques proposant de nouvelles interactions et leur
appropriation par les utilisateurs est depuis quelques années au centre de mes études
universitaires. D’ailleurs, en première année de Master j’ai réalisé mon mémoire sur
l’utilisation de la ludification et du transmedia dans la création de contenus narratifs. Deux
principes fortement lié au Web 2.0 et se rapprochant aussi du jeu vidéo. J’ai donc voulu
continuer sur un sujet comprenant un rapport similaire.
Délimitation du champ de recherche
Malgré de nombreuses études américaines portant sur le jeu vidéo, peu de travaux se sont
attaqués à Twitch. Dans un premier temps, il m’est donc paru intéressant d’étudier les
mécanismes de Twitch, et surtout le rôle de l’utilisateur sur cette plateforme. Durant mes
recherches, je me suis rendu compte que ses composantes internes apportaient à Twitch un
potentiel marketing unique pour les annonceurs. Pour restreindre ce champ d’investigation, je
me suis logiquement limité aux acteurs de l’industrie du jeu vidéo. Editeurs et développeurs de
grandes entreprises ou de studios indépendants. Qui, de par leur activité, auraient naturellement
intérêt à se tourner vers Twitch. J’ai donc approfondi mon étude initiale sur l’industrie du jeu
vidéo, mais aussi sur les mécanismes inhérents au médium qu’est le jeu vidéo : types de jeu,
« gameplay »2
ou encore motivations et expériences du joueur.
Enfin, pour assurer une certaine finesse dans mon analyse, j’ai, dans la limite du possible, limité
la zone géographique au marché français. Toutefois, j’ai conservé certaines informations ou
statistiques concernant d’autres marchés lorsque celles-ci me paraissaient pertinentes dans mon
développement.
2
Gameplay : Essence même du jeu qui cumule jouabilité et plaisir de jeu.
9. 4
PARTIE I – SYNTHESE DES TRAVAUX DE RECHERCHE
Pour cette partie, j’ai souhaité me diriger vers un développement thématique sous la forme d’un
entonnoir. C’est-à-dire, diviser les grands sujets de recherche, et les traiter du plus général au
plus précis. La première partie porte sur la définition du cadre de l’industrie du jeu vidéo. Son
marché, son fonctionnement et ses consommateurs. La deuxième partie présente Twitch et
l’étude des composantes internes de la plateforme, ainsi que les pratiques de ces utilisateurs,
avant de terminer par la présentation des types de gameplay qui y sont proposés.
1.1.Aux origines du jeu vidéo
En 60 ans d’existence, ce n’est pas tant le fonctionnement technique de l’informatique que ses
applications qui ont évolué. Alors que le système binaire régit encore aujourd’hui le calcul
informatique, nous avons vu voir se développer et se démocratiser la télévision et l’ordinateur
dans tous les foyers. Quant aux jeux vidéo, ils furent créés, à l’origine, pour tester le potentiel
des machines primitives. On attribue généralement le titre de premier jeu vidéo à Pong,
développé en 1972 par la société Atari. Pourtant, on peut remonter vingt ans auparavant, en
1952, avec OXO3
conçu par le professeur Alexander S. Douglas. Un jeu de morpion opposant
une personne à la machine. Son innovation réside dans la présence d’un écran électronique
retranscrivant en différé les choix des joueurs.
Pour revenir à Pong, si ce n’est pas le premier à avoir été développé, il reste le premier à avoir
connu un succès auprès du grand public. Comme son nom l’évoque, ce jeu vidéo reprend le
principe du tennis de table opposant donc deux joueurs. Devenant un véritable phénomène,
Pong a très vite envahi les salles d’arcades prisées par les jeunes durant les années 704
. Et c’est
cette popularité qui l’a placé au rang de premier succès commercial de l’industrie du jeu vidéo.
Parallèlement, les ordinateurs personnels apparaissent lentement dans les foyers. Très chers,
pauvres en nombre de programme et nécessitant une bonne connaissance du langage
informatique, l’ordinateur personnel n’apparait progressivement que dans les entreprises et
chez quelques passionnés aisés.
3
Tony Hey et Gyuri Papay; The computing Universe : A Journey through a Revolution; New York; Cambridge
University Press; p.174
4
Steven Kent; And Then There Was Pong. Ultimate History of Video Games; New York; Three Rivers; 2001; p40
à 43
10. 5
A cette époque et jusqu’aux années 80, le jeu vidéo reste donc globalement limité aux
recherches et aux salles d’arcades qui pullulent un peu partout dans le monde. 1985 marque
réellement la fin de cette ère avec le lancement aux Etats-Unis de la première console de salon
dédiée au grand public : la NES (Nintendo Entertainment System). Cette machine permet au
japonais Nintendo de s’imposer sur le marché mondial, et de dévoiler Mario, le personnage le
plus célèbre du jeu vidéo.
1.2.L’industrie du jeu vidéo actuelle
1.2.1. Un pilier économique
S’il on ne devait retenir qu’une donnée illustrant la place actuelle des jeux vidéo dans
l’économie, ce devrait être celle-ci : le jeu vidéo est la première industrie culturelle au monde5
.
Elle dépasse le cinéma et la musique, chacun pesant environ 50 milliards de dollars de chiffre
d’affaires, pour atteindre les 91,8 milliards de dollars en 2015. Les marchés les plus importants
étant les Etats-Unis, l’Asie, Chine en tête, et l’Europe.
En France, pour la même année, ce chiffre s’élève à 2,87 milliards d’euros (soit 3,22 milliards
de dollars) avec une croissance de 5,5% par rapport à 2014 et place le jeu vidéo en deuxième
position des industries culturelles juste derrière le livre, et devant le cinéma.6
On retrouve
d’ailleurs la France sur le podium européen des consommateurs de jeu vidéo derrière le
Royaume-Uni et l’Allemagne.
1.2.2. Les composantes du marché
Pour mieux comprendre l’ampleur de ce marché, il est intéressant d’établir les multiples
segments qui le compose, et que l’on peut diviser en deux grandes catégories :
- Le Hardware
Il s’agit de la machine en elle-même (et ses périphériques) qui va accueillir les
programmes de jeu vidéo, et plus communément appelé console de jeu. Actuellement,
nous arrivons au terme de la 8ème
génération de console dont les représentants sont la
Wii U de Nintendo, la Playstation 4 de Sony et la Xbox One de Microsoft pour les
5
Newzoo; The Global Games Market Reaches $99.6 Billion 2016, Mobile Generating 37%; Newzoo.com
6
Syndicat des Editeurs et Logiciels de Loisirs (SELL); L’Essentiel du Jeu Vidéo – Février 2016; essentiel-jeu-
video.fr
11. 6
consoles de salon. Du côté des consoles portables, avec la Nintendo 3DS et la
Playstation Vita, Nintendo et Sony dominent ce segment de marché.
A noter que le hardware est aussi présent pour les ordinateurs à travers les cartes
graphiques, cartes mères et autres processeurs. Mais le fait que son emploi ne soit pas
forcément destiner au jeu vidéo ne permet pas de le comptabiliser dans le chiffre
d’affaires du marché.
- Le Software
C’est le jeu vidéo lui-même, le logiciel qui anime les polygones sur l’écran. Et depuis
quelques années se dessine une tendance forte. Historiquement commercialisés sur un
support physique (cartouche puis CD) pour consoles et PC, les jeux vidéo voient leur
vente progresser dans leur version dématérialisée. Plus besoin d’aller acheter la boite
du jeu en magasin, le simple téléchargement sur des plateformes comme Steam de Valve
ou Origin d’Electronic Arts permet d’installer le jeu sur son ordinateur. La rapidité des
connexions Internet aidant, cette méthode d’achat a envahi tous les supports de jeu. En
France, sur les consoles, les ventes dématérialisées ont progressé de 20% entre 2014 et
2016 pour atteindre 50% des ventes totales.7
Le téléphone mobile vient clore cette catégorie. Il est le support en plein développement
qui apporte de nouvelles perspectives au marché du jeu vidéo. Il est si important qu’il
devrait dépasser, en 2016 dans le monde, le chiffre d’affaires des ventes de jeu vidéo de
l’ensemble des autres supports (consoles de salons et portables, et PC). Ce qui équivaut
à 36,9 milliards de dollars, soit 37% des 99,6 milliards de dollars prévus pour l’ensemble
du marché mondial.
7
La Tribune; Jeux vidéo : Pourquoi la dématérialisation ne fait pas baisser les prix; Latribune.fr
12. 7
Pour ce qui est de l’importance de chaque segment en France, on peut dire que, globalement,
les consoles et les supports physiques représentent encore les valeurs sures du jeu vidéo. Les
consoles génèrent près de 80% du chiffre d’affaires total. Le software physique atteint, tout
support confondu, 53% du segment du software, contre 47% pour le dématérialisé.
Cependant, cette part du dématérialisé, qui génère 26% de l’ensemble du marché du jeu vidéo,
n’est pas forcément représentatif de la réalité. Comme le dit le Centre National du Cinéma et
de l’image animée (CNC) dans son rapport8
: « Le marché du jeu vidéo dématérialisé ne pouvant
être mesuré avec précision à ce jour, il fait l’objet d’estimations ». C’est notamment les chiffres
sur PC qui sont remis en question du fait de la pratique du piratage qui est pointée du doigt par
l’industrie depuis des années. Quand bien même, il existe un vrai monde parallèle et illégal du
jeu vidéo sur Internet, les chiffres montrent que son impact sur la santé du marché semble
anecdotique.
8
CNC et IFOP; Les pratiques de consommation de jeux vidéo des français; cnc.fr
FIGURE 1 - SEGMENTATION DU MARCHE DU JEU VIDEO EN
FRANCE EN 2015
13. 8
Bien que l’industrie du jeu vidéo soit encore relativement récente, du moins quand on la
compare à celle du cinéma ou de la musique par exemple, elle a incontestablement pris une
place majeure sur le marché économique. Ce qui nous amène à nous intéresser aux entreprises
qui bâtissent ce secteur et à nous concentrer sur leur stratégie communicationnelle.
1.3.Marketing classique du jeu vidéo
1.3.1. A l’heure de la fusion du développeur et de l’éditeur
Concentrons-nous maintenant sur ces acteurs qui créés les jeux vidéo. Ceux qui apportent le
contenu vidéoludique recherché par les joueurs.
La création d’un jeu vidéo peut s’apparenter à la réalisation d’un film. D’un côté comme de
l’autre, on peut distinguer deux acteurs principaux aux rôles bien définis et travaillant
conjointement.
- Le développeur du jeu
Souvent appelé « studio de développement », le développeur assure la conception et la création
du jeu. Il est là pour programmer et donner vie à l’idée de base. Au cinéma, son rôle se
rapproche du réalisateur. Il créé l’univers du jeu, son histoire et la mise en scène.
- L’éditeur
En continuant sur le parallèle avec le cinéma, l’éditeur serait le producteur. Il fournit le budget
et le cahier des charges de la demande. Cette demande faisant généralement suite à un travail
d’analyse du marché pour cerner les tendances et les envies des consommateurs. L’éditeur est
aussi responsable de la communication et de la distribution du produit final. Comme pour le
cinéma, c’est à l’éditeur qu’appartiennent les droits de la licence une fois créée.
Cependant, le succès de certaines entreprises leur a permis de rassembler ces deux entités sous
la même bannière. C’est notamment le cas d’Activision Blizzard. En 2007, Activision, connu
pour sa licence de FPS Call Of Duty, fusionne avec Blizzard, le studio qui a développé le
MMORPG populaire World Of Warcraft. Ensemble, en 2012, ils pèsent 11,49 milliards de
14. 9
dollars pour un chiffre d’affaires de 4,8 milliards de dollars, et deviennent la plus grosse
entreprise de l’industrie du jeu vidéo.9
Ces géants du jeu vidéo sont aujourd’hui les acteurs principaux du marché. En France par
exemple, les studios Activision Blizzard, Electronic Arts et le français Ubisoft se partagent la
majorité du marché. Cet oligopole apporte à ces grandes entreprises des moyens colossaux pour
créer et promouvoir leur jeu vidéo, et gagner la bataille de la visibilité au sein d’un secteur
dense. Car, sur un marché composé d’environ 4300 studios10
dispersés à travers le monde, se
faire connaître est devenu une priorité pour survivre.
1.3.2. GTA V : Une superproduction pour une super-communication
Pour comprendre la stratégie de communication actuelle des grands éditeurs de jeu vidéo, nous
allons nous intéresser au jeu vidéo qui a battu tous les records lors de sa sortie en Septembre
2013 : Grand Theft Auto V (GTA V).
Il s’agit d’un jeu d’action/aventure prenant place dans la ville fictive de Los Santos (inspiré de
Los Angeles aux Etats-Unis). Le joueur peut incarner à tour de rôle trois gangsters et effectuer
des missions pour asseoir son emprise sur la ville. Le joueur peut aussi choisir, quand il le veut,
de ne pas suivre l’histoire et de découvrir librement les quatre coins du vaste monde qu’il lui
est proposé.
Ce dernier volet de GTA développé et édité par RockstarGames est le cinquième jeu de la série
originelle (cette dernière ayant connu de nombreux « spin-off »). Il a nécessité 5 ans de
développement et 300 personnes pour un budget total de 270 millions de dollars. Rivalisant
ainsi avec les plus grosses productions du cinéma hollywoodien. Ce chiffre comprend le
développement du jeu mais aussi sa communication de l’annonce au lancement du produit.
9
Activision; 2012 Annual Report; investor.activision.com
10
Gamedevmap; gamedevmap.com
15. 10
L’annonce de développement au grand public est le point de départ d’une campagne de
communication 360 degrés de la part de RockstarGames. Cette forme de communication se
rapproche de la Communication Marketing Intégrée (Integrated Marketing Communications)
théorisée par l’American Association of Advertising Agencies en 1989:
« [Integrated Marketing Communications is] a concept of marketing communications planning
that recognizes the added value of a comprehensive plan that evaluated the strategic role of a
variety of communications disciplines, e.g. general advertising, direct response, sales
promotion and public relations- and combines these disciplines to provide clarity, consistency
and maximum communications impact”.11
Grâce à leurs ressources, les groupes internationaux vont donc inonder les médias d’images et
de vidéos en utilisant tous les supports possibles. Pour les superproductions comme GTA 5, il
est estimé que jusqu’à 50% du budget total d’un jeu est utilisé pour la campagne
communicationnelle. Dans le cas présent, cela représenterait une enveloppe de 135 millions de
dollars.
11
« La communication Marketing Intégrée est un concept de planification des communication de marketing qui
comprend la valeur ajoutée d’un plan global évaluant le rôle stratégique de divers disciplines de communication,
e.g. la publicité, la réponse directe, la promotion des ventes et les relations publiques – et combine ces disciplines
pour apporter une clarté, une cohérence et un impact maximum de la communication » ; Duncan Tom et Clarke
Caywood ; The concept, Process and Evolution of Integrated Marketing Communication ; New Jersey ; Lawrence
Erlbaum Associates ; 1996 ; p18.
FIGURE 2 - BUDGET (EN MILLIONS DE $) DE GTA V COMPARE AUX SUPERPRODUCTIONS AMERICAINES
16. 11
En se basant sur la communication de RockstarGames et son jeu GTA V, nous allons analyser
la manière dont les plus gros acteurs du secteur atteignent les consommateurs.
La première action de communication se déroule en Octobre 2011. Le studio dévoile le premier
« trailer » (bande-annonce) du jeu en même temps que l’annonce d’un retard de 5 mois pour la
date de lancement. Cette annonce est faite sur leur compte Twitter. Les réseaux sociaux sont
un canal privilégié par le studio. Ils leur permettent d’informer sur l’avancement du
développement et de dévoiler des images au compte-goutte. C’est par ces médias sociaux que
l’intérêt des joueurs va croître dans un premier temps. En effet, ces informations sont
régulièrement relayées, non seulement sur les réseaux sociaux, mais aussi dans la presse
spécialisée en ligne. Comme nous l’avons vu précédemment, cette dernière est particulièrement
suivie par les « passionnés » de jeu vidéo. Il s’agit pour le studio de rester dans le paysage
médiatique spécialisé sans pour autant investir du temps et de l’argent dans une communication
plus massive qui, non seulement, ne serait pas tenable sur la durée mais ne toucherait pas le
grand public qui attend des informations plus concrètes.
Toujours sur leurs réseaux sociaux, quelques moins avant la sortie, le studio va intensifier ses
publications. Au mois de Juillet 2013, ils publient une série de vidéos présentant le gameplay
du jeu. En un mois, le nombre d’abonnés à leur chaîne YouTube va augmenter de 400 000. Il
diffuse un total de 9 vidéos qui engendre 110,3 millions de vues.
FIGURE 3 - PIC D'AUGMENTATION DU NOMBRE D'ABONNES SUR LA CHAINE YOUTUBE DE ROCKSTAR12
Sur Facebook, la communication aussi est travaillée. De Janvier à Septembre 2013, le studio
partage 44 publications, au rythme d’une par semaine environ. Certaines redirigeant vers les
autres réseaux sociaux (Twitter et YouTube), mais aussi sur un site dédié à l’univers du jeu.
Cette plateforme offre la possibilité aux fans et aux curieux de découvrir les décors dans
lesquels ils vont évoluer dans le jeu. Topographie, effets météorologiques, design de certains
12
Données du site Sociablade.com sur le compte YouTube de RockstarGames
17. 12
personnages, objets ou voitures, le site a pour but de donner un aperçu et d’entretenir l’intérêt
dans les communautés de joueur.
Dans l’application de sa stratégie de communication web, RockstarGames a bien compris les
enjeux principaux de ce média. Susciter la curiosité, et laisser l’effervescence numérique faire
son œuvre. Par ailleurs, le studio a aussi réalisé des campagnes digitales plus « classiques »
avec l’achat d’espace publicitaire sur les sites Internet. Via la publicité vidéo sur YouTube ou
les displays sur des sites d’information de jeu vidéo par exemple.
En dehors d’Internet, à l’approche de la sortie du jeu RockstarGames s’est aussi attaqué aux
médias traditionnels. Affichage urbain partout dans le monde, doubles pages dans les
magazines généralistes, spots publicitaires à la télévision, etc…
Avec tout cela, le jeu a battu des records de vente. Plus de 11 millions d’exemplaires se sont
vendus les premières 24 heures. Il est devenu l’objet de divertissement générant le plus de
revenu le jour de sa sortie avec 815 millions de dollars. Mais un succès comme celui-ci peut-il
n’être dû qu’à l’investissement promotionnel qu’il a reçu ? La réponse est non. Connu pour la
qualité de sa franchise, il ne faisait aucun doute que RockstarGames allait rencontrer un énorme
succès avec ce nouvel opus.13
1.3.3. Aux limites du système de promotion classique
Cependant, bien des studios appliquent une stratégie de communication intensive comme
RockstarGames. Et, lorsque le résultat déçoit ou ne répond pas aux fortes attentes des joueurs,
générées par les studios eux-mêmes, les consommateurs deviennent peu à peu méfiant face à
ces machines marketing que sont devenues certaines productions vidéoludiques.
Un rapport de l’UFC-Que Choisir réalisé en 201114
compile plus de 500 témoignages faisant
état de pratiques commerciales douteuses. C’est notamment la qualité du jeu lors de sa mise sur
le marché qui est montrée du doigt. Des dysfonctionnements techniques empêchent le joueur
de profiter entièrement de son expérience. Bugs graphiques, arrêts du jeu, suppressions de la
mémoire pendant une partie… Ce sont trois studios qui concentrent le plus de plainte.
13
GTA V : Une opération marketing exceptionnelle pour le jeu le plus attendu de l'année ! ; Danstapub.com.
14
Des jeux vidéo qui n’en valent plus la chandelle ! ; quechoisir.org
18. 13
Electronics Arts, Activision et le français Ubisoft, qui font partie des 5 plus importants studios
de développement dans le monde, sont concernés par 50% des critiques.
Un autre phénomène marketing fait polémique depuis quelques années chez les communautés
de joueur. Le DLC (Download Content, ou contenu téléchargeable) est une pratique consistant
à proposer un contenu supplémentaire à un jeu vidéo via un téléchargement. En soit, cet apport
de contenu est agréable pour le joueur. Il vient continuer l’histoire, offrir un nouveau
personnage ou simplement apporter de nouvelles possibilités cosmétiques, chères au joueur
passionné. Là où le bât blesse, c’est que ces « bonus » sont bien souvent payants. Et les
pratiques de certains éditeurs font parfois hurler les communautés de joueurs. Par exemple, en
2009 sort le jeu de plateforme Prince of Persia développé par Ubisoft.15
En plus du prix du jeu,
aux alentours de 60€, le joueur devait acheter le DLC Epilogue qui contenait la fin du jeu. Ce
dernier était proposé à 10€. Scandaleux pour les joueurs qui, ne sachant évidemment pas cela
en achetant le jeu, se sont retrouvés bloqués. Devant au choix, ne pas profiter de la fin du jeu,
ou bien être contraint de payer un contenu qu’il pensait déjà avoir acheté.
Cette impression d’être dupée est un sentiment qui revient de plus en plus dans la communauté
des joueurs. Les éditeurs présentent à grand renfort de communication de masse un produit
séduisant pour le joueur, sensible aux belles images et mise en scène. Mais son intérêt et sa
connaissance pour le jeu vidéo grandissent, et il reconnait les coquilles vides de l’industrie du
jeu vidéo. Pour retrouver une expérience de jeu de qualité, il va alors se tourner vers d’autres
acteurs.
1.4.Emergence de nouvelles pratiques
1.4.1. Les studios indépendants
De l’autre côté de l’échiquier du jeu vidéo, se développent ces derniers temps de petites
structures qui misent sur la qualité, l’originalité et l’expérience offertes aux joueurs pour se
démarquer des blockbusters : les studios indépendants.
15
Les pires arnaques en DLC ; gameblog.fr
19. 14
L’indépendance s’entend ici à deux niveaux :
- L’indépendance financière. Le studio développant le jeu n’est pas subventionné par un
éditeur et ne doit donc pas rendre de compte à une autre entité.
- L’indépendance créative. Elle est possible par l’indépendance financière. Comme il n’y
pas d’éditeur, le studio à la main sur la direction artistique de ses jeux.
Sans le soutien financier des éditeurs, beaucoup de studios indépendants se tournent vers le
financement participatif.
Issu des Etats-Unis, ce concept consiste en « une multitude de contributeurs anonymes
volontaires pour financer un projet »16
. Ce ne sont plus des éditeurs ou des organismes de crédit
qui investissent, mais tout individu portant un intérêt pour le projet. Cela fonctionne via des
plateformes internet permettant de présenter les objectifs et les besoins pécuniaires du projet.
Kickstarter, Ulule ou Gamesplanet Lab et Indiegogo pour le jeu vidéo, font partie des
plateformes de « crowndfunding »17
les plus importantes.
Certains projets ont connu des accueils plus qu’enthousiastes sur ces plateformes. En 2012, Tim
Schafer lance un projet Kickstarter pour actualiser Day of Tentacles, un jeu d’aventure
« point&click » sorti en 1993 auquel il a grandement contribué. Faisant partie des classiques du
jeu vidéo, ce projet a reçu en 1 mois plus de 3 millions de dollars. Alors que Tim Schafer n’en
demandait que 400 000 dollars…
Cette participation directe des consommateurs au succès d’un jeu vidéo s’inscrit ici dans une
forme d’inversion du pouvoir. L’exigence et l’intérêt du joueur le poussent s’impliquer
davantage dans la réalisation de projet. Ce qui est là une fonction de l’Internet 2.0.
1.4.2. Les plateformes de téléchargement
Une autre particularité de ces studios indépendants porte sur leur canal de distribution. En effet,
sans l’appui d’un éditeur, l’investissement et la gestion logistique d’une distribution dans les
16
Gamestatics ; Financement participatif et jeux vidéo, Rapport d’étude quantitative ; Avril 2013
17
Crowndfunding : Financement participatif
20. 15
magasins entraineraient de grandes coupes dans le budget alloué au développement du jeu. Là
aussi les studios « indies »18
vont encore se tourner vers les plateformes web.
Nous avons précédemment établi que le jeu dématérialisé est en passe de supplanter le jeu
physique en termes de part de marché. Offrant un catalogue plus divers et des prix abordables,
Steam est certainement l’un des facteurs de ce changement de mode de consommation. A
l’origine, la plateforme était utilisée par le studio de développement Valve pour vendre ses jeux
vidéo sur Internet. La popularité de certains jeux comme Half-life 2 et Counter-Strike lui ont
permis de bâtir une communauté importante autour de leur plateforme. En 2012, soit 9 ans après
sa création, Steam offre la possibilité d’accueillir et de vendre des jeux et logiciels produits par
des studios tiers. En 2015, le catalogue Steam compte plus de 5 000 jeux pour 125 millions
d’utilisateur à travers le monde.19
L’intérêt de ce type de plateforme pour le studio indépendant est double. Déjà, il peut espérer
obtenir une certaine visibilité sans dépenser en frais promotionnel et logistique. Steam ne
demande pas de contrepartie financière pour publier un jeu. Par contre, il va appliquer un
système de royalties. Pour chaque achat réalisé, la plateforme peut recevoir jusqu’à 30% du
prix du jeu. Ceci étant une estimation puisque le système de rémunération de Steam reste très
opaque. Ensuite, les développeurs peuvent vendre leur jeu en « Early Access ». Il s’agit de
proposer au joueur une version d’un jeu en cours de développement. C’est un contrat de
confiance que passent le joueur et le studio. L’un va encourager le projet et bénéficier d’une
expérience exclusive. L’autre va pouvoir engranger un revenu lui permettant de continuer le
développement et/ou d’améliorer la qualité du jeu final. Ce dernier recevra par la même
occasion les avis du joueur qui fera office de « beta tester »20
.
18
Studios indies : Studios indépendants
19
[Valve] 25 millions de nouveaux utilisateurs Steam, et de grosses annonces en prévision ;
Journaldugamer.com
20
Beta tester : Joueur testant la version bétâ d’un jeu
21. 16
1.5.Le gamer et son image
1.5.1. Le joueur : une catégorie démographique hétérogène
L’étude du CNC, citée précédemment, apporte également une vision sur la pratique du jeu vidéo
en France et sur le profil des « gamers »21
. D’après cette étude, « 73,3 % des personnes de 6 à
65 ans interrogées […] déclarent avoir joué à des jeux vidéo au cours des six derniers mois,
tous types de jeux confondus ». En recoupant avec les chiffres de la population française
estimés par l’INSEE à 46 millions d’habitants pour cette tranche d’âge, on obtient alors un total
d’environ 32 millions de joueurs de jeu vidéo en France. Soit une évolution de 6,8% par rapport
à 2013. Parmi cette population, les hommes sont légèrement plus représentés que les femmes
avec 53,1% contre 46,9%.
La tranche d’âge la plus représentée est les 35-49 ans, avec 26,2% de l’ensemble des joueurs.
C’est 4,1% de plus qu’en 2013. Elle arrive en tête devant les 15-24 ans avec 21,3% et les 25-
34 ans avec 20,3%. Cependant, les joueurs restent une population plutôt jeune car les 6-24 ans
regroupent 41% de l’ensemble des joueurs alors qu’ils ne représentent que 30% de la population
totale. Par ailleurs, dans cette étude, il est établit que les 15-24 ans forment la population de
joueurs la plus importante en terme d’investissement. C’est pourquoi nous allons nous
concentrer sur cette catégorie.
21
Gamers : joueurs
FIGURE 4 - REPARTITION DES JOUEURS EN 2015 SELON L'AGE (%) . SOURCE : CNC
22. 17
Tout d’abord, leur investissement en temps de jeu quotidien (2h33 en moyenne) est supérieur à
la moyenne (2h09), et le budget qu’ils consacrent aux jeux vidéo aussi.
La moitié d’entre eux dépense environ 55€ par mois pour cette activité contre 33,40€ pour le
reste des joueurs.
Cette catégorie, comportant le plus de « passionné », pratique le jeu vidéo sur différents
supports. Même si, le téléphone portable connait une forte augmentation (59,6% d’utilisation
pour les 15-24 ans), c’est bien l’ordinateur qui est le plus utilisé pour le jeu dans cette catégorie
d’âge. Il est privilégié chez 68,8% d’entre eux. Les consoles restent aussi une valeur sure avec
67% d’utilisation.
1.5.2. La dimension sociale du jeu vidéo
A la différence des études précédentes, le rapport de 2015 du CNC s’intéresse tout
particulièrement aux interactions sociales qui gravitent autour du joueur. Toujours dans la
catégorie 15-24 ans, on apprend que 72,5% d’entre eux « jouent exclusivement seuls ou le plus
souvent seuls ». Pourtant, lorsqu’ils sont interrogés sur ce qu’ils recherchent dans le jeu vidéo,
47,6% évoquent un vecteur de convivialité et de lien social. Peut-être est-ce là le résultat d’une
mauvaise adaptation de l’offre vidéoludique aux envies de ces consommateurs.
Le jeu vidéo ne se limite pas simplement à une pratique. Il gravite autour de ce support créatif
et sportif un univers de réflexion, de sens critique véhiculés par des médias de plus en plus
spécialisés et populaires. En France, des sites web tels que Jeuxvideo.com ou Gamekult.com,
FIGURE 5 - REPRESENTATION DU PROFIL DIT "PASSIONNE"
23. 18
pour citer les plus connus, traitent de l’actualité du jeu vidéo dans toutes ses dimensions. Que
ce soit sociétal, économique, culturelle ou technique. Dans l’étude, on estime la fréquentation
de ses sites à 32,4% des joueurs de 15 à 24 ans. Il s’agit du deuxième moyen privilégié pour
s’informer sur les tendances du jeu vidéo. Le moyen le plus populaire, avec 51% des interrogés
de cette tranche d’âge, reste le bouche-à-oreille. Ils en parlent avec leurs amis, directement en
jeu, sur leurs réseaux sociaux et bien évidemment IRL (In Real Life, c’est-à-dire, dans la vraie
vie).
Toujours dans cette même catégorie de l’information, la 3ème
place est attribuée au « visionnage
des démonstrations sur des sites de partage de vidéos », ou plus communément appelé
« streaming vidéo », avec 27,8% de pratiquant. Par ces sites, on entend les plateformes comme
YouTube, Dailymotion et bien entendu Twitch. Les formats peuvent varier de la recherche de
performance du joueur, à l’analyse de fond d’un nouveau jeu ou de nouvelles pratiques, en
passant par des sessions de jeu rétro que l’on appelle « Rétro gaming ». Mais se popularise de
plus en plus une nouvelle forme de narration, le Let’s play. Le principe est présenté par James
Newman de la manière suivante: « We see not only recorded gameplay footage but also hear
the commentary of the LP player who narrates their performance thereby annotating their
gameplay in real time »22
. Cette nouvelle forme de partage possède un double intérêt pour les
spectateurs. Il présente un aspect divertissant pour 65,8% de ce qui en regarde. Et chez 54,1%,
il est aussi un moyen d’information et de prise de décision quant à l’achat ou non du jeu traité.
Ce dernier point nous amène vers la plateforme Twitch. Elle est extrêmement intéressante de
par les outils qui amènent à un niveau supérieur les interactions entre utilisateurs, et qui apporte
une évolution de l’expérience de création, de partage et de visualisation de contenu, ce qui
prolonge les principes du web 2.0.
22
« Nous ne voyons pas seulement un enregistrement de gameplay, mais nous entendons aussi le
joueur de LP (Let’s play) qui explique son gameplay en temps réel » ; James Newman ; Videogames ;
Routledge ; 2013 ; p.62.
24. 19
1.6.Twitch, le réseau social du gamer
1.6.1. Présentation de la plateforme
Cette introduction à Twitch va apporter une vue d’ensemble de TwitchTV et de ses
composantes, ainsi que ce qu’il apporte de nouveau au monde du streaming video. TwitchTV
(plus simplement Twitch) est une plateforme d’enregistrement et de diffusion de jeu vidéo en
direct. Lancé en 2012, le site offre la possibilité d’une interaction instantanée entre le
« streamer »23
et le spectateur. Il est important de distinguer ces deux types d’utilisateur. Le
streamer crée et propose le contenu sur sa chaîne (son canal de diffusion). Il est l’animateur de
ce contenu qui sera regardé par le second type d’utilisateur : le spectateur. Ce dernier peut être
passif, c’est-à-dire qu’il regarde le contenu sans prendre part aux discussions ou aux animations
de l’animateur. Et il peut être actif, en commentant ou en s’abonnant à la chaîne, et ainsi
recevoir par mail, des informations telles que les horaires de diffusion ou les modifications
apportées à la chaîne par exemple. Cette participation peut aller jusqu’à la modération du canal
de discussion des spectateurs, dans lequel le modérateur se porte volontaire pour assurer une
ambiance saine et conviviale qui facilite la communication, en supprimant les messages
inappropriés ou en bannissant les perturbateurs par exemple. L’implication du spectateur est
aussi présente dans le soutien qu’il donne au streamer qu’il regarde. Cela peut se traduire par
un encouragement financier. Sur Twitch, les streamers ont la possibilité de recevoir des
donations de la part des spectateurs. Celles-ci sont généralement de l’ordre de 1 à 10 euros. Pour
les streamers les plus populaires, les sommes engrangées sont telles qu’elles leur permettent de
ne pratiquer que cette activité. Pour les autres, elles donnent la possibilité au streamer d’investir
plus de temps dans la création de contenu, et d’améliorer son matériel pour offrir une meilleure
expérience à sa communauté.
A noter que ces deux principaux types d’utilisateur ne sont pas cloisonnés à une des deux
catégories. L’animateur peut être spectateur d’un autre stream, et le spectateur peut avoir son
propre canal de diffusion. C’est une plateforme dans laquelle les utilisateurs possèdent un réel
intérêt vidéoludique commun et partagé, et s’intéressent aux créations de chacun. Cette logique
est d’ailleurs voulue et encouragée par Twitch puisque l’apport majeur en contenu vient des
utilisateurs.
23
Streamer : Animateur de la session vidéo
25. 20
1.6.2. Explosion de sa popularité
Trois ans après son lancement, Twitch affiche des chiffres impressionnants. En 2015, il
comptabilisait à travers le monde 100 millions de visiteurs uniques chaque mois. Ces millions
d’utilisateurs se sont échangés plus de 9 milliards de messages via la fenêtre de discussion.
Aux heures de pointes, le trafic internet sur le site est devenu le 4ème
plus important des Etats-
Unis, derrière Apple, Google et Netflix. L’ensemble des spectateurs ont regardé cette année-là
l’équivalent de 459 366 années de vidéos.24
Certains streamers accueillent parfois jusqu’à plusieurs milliers d’utilisateurs sur leur vidéo en
direct. Au niveau mondial, c’est la chaine Syndicate la plus populaire, avec 10 000 spectateurs
en moyenne par session.
Twitch a aussi permis la diffusion de centaines d’évènements en rapport avec le jeu vidéo. Des
salons, des conférences, des keynotes ou encore des compétitions de jeu vidéo (ou e-sport).
L’e-sport, c’est la pratique du jeu vidéo en compétition cette dimension sportive du jeu vidéo
s’est particulièrement développer sur la plateforme Twitch. Apparu dans les années 1990, l’E-
sport ne parvenait pas à rencontrer son public du fait de l’absence de média pour le diffuser.
Considéré par les médias traditionnels comme le parent pauvre du sport, il a trouvé avec Twitch
un relai pour être retransmis aux joueurs à travers le monde. La crédibilisation de cette pratique
est l’un des plus grands accomplissements pour la plateforme. D’ailleurs, certaines chaines sont
24
Twitch ; The 2015 Retrospective ; Twitch.tv
FIGURE 6 - ERGONOMIE D'UN STREAM SUR LA PLATEFORME TWITCH
26. 21
uniquement consacrées à la retransmission d’évènement E-Sport. C’est le cas de RiotGames,
développeur du MOBA25
League of Legends, qui possède la deuxième chaîne la plus populaire
au monde avec plus de 2 millions d’abonnés.
1.6.3. Fiche de personnage de l’utilisateur
Il reste néanmoins difficile de dresser avec exactitude le profil de l’utilisateur de Twitch,
notamment en France. Toutefois, la plateforme Twitch elle-même nous apporte quelques
informations nous permettant de cerner les caractéristiques de l’utilisateur. Tout d’abord, la
majorité de la population est constitué d’hommes compris entre 18 et 34 ans, avec un âge moyen
de 21 ans26
. Pas étonnant, lorsque l’on reprend les chiffres de la consommation de jeu vidéo
chez les 15-24 ans. Donc, Twitch a affaire à une population issue principalement de la
« Generation Y », des adeptes des nouvelles technologies à l’aise avec les pratiques du web 2.0.
« Digital natives are native speakers of the digital language of computers, video games and the
internet. Technology is an integral part in the lives of the digital natives. They have spent their
entire lives surrounded by and using computers, videogames, digital music players, video cams,
cell phones, and all other toys and tools of the digital age ».27
Ces « digital natives » sont donc rompus à l’utilisation des nouvelles technologies. Et par
extension, aux pratiques particulières qui sont apparues avec elles. Le partage avec toute la
planète de connaissances, d’expérience, ou même de leur propre vie sont des habitudes avec
lesquelles ils ont grandi, contrairement aux « digital immigrants ». Ces derniers ne sont pas nés
avec ces technologies. Ils ont donc dû en apprendre les codes et les pratiques. Et cet
apprentissage, parfois fastidieux, ne leur permet pas d'arriver aux mêmes stades que les
"natives". En effet, l'évolution, notamment ces dernières années, des plateformes numériques
est tellement rapide que le temps qu'ils s'y adaptent, de nouvelles pratiques sont déjà apparues.
C'est notamment le cas avec Twitch qui possède de nombreuses spécificités pouvant expliquer
son succès foudroyant.
25
MOBA : Arène de bataille en ligne multijoueur
26
MTV ; Interview : the big broadcast – TwitchTV, Esports, and making it big as online gamer ; mtv.com
27
« Les enfants du numérique sont nés en parlant le langage numérique des ordinateurs, des jeux vidéo et
d’Internet. La technologie fait partie intégrante de leur vie d’enfant du numérique. Ils ont passé toute leur vie à
utiliser, et à vivre avec des ordinateurs, des jeux vidéo, des lecteurs de musique numériques, des caméras vidéos,
des téléphones portables et d’autres jouets et outils de l’ère numérique ». Marc Prensky ; Digital Natives, Digital
Immigrants ; MCB University Press ; 2001.
27. 22
1.7.Les spécificités digitales de Twitch
1.7.1. La communauté en ligne
Paru en 1968 l’essai The computer as communication device pose les bases des enjeux futurs
entre l’homme et l’ordinateur. Les auteurs, J.C.R Licklider et Robert W. Taylor, y traitent
notamment de l’apparition d’une nouvelle forme d’interaction entre les hommes qui se
regrouperont au sein de « communautés en ligne interactives » : « What will on-line interactive
communities be like? In most fields they will consist of geographically separated members,
sometimes grouped in small clusters and sometimes working individually. They will be
communities not of common location, but of common interest. In each field, the overall
community of interest will be large enough to support a comprehensive system of field-oriented
programs and data »28
.
Récemment, Vincent Miller29
va plus loin dans son étude sur la culture digitale en présentant
la recherche d’une interaction sociale et d’un sentiment d’appartenance des membres d’une
communauté. Cela va nous permettre de mieux appréhender les interactions existant sur Twitch
et les motivations dont elles sont issues.
Il évoque d’abord la disparition des communautés dans la vraie vie. Dans une société où la
consommation est mondialisée et intensive, l’esprit de communauté se perd peu à peu. Les
médias traditionnels n’essaient plus de rassembler, mais sont devenus pour certains
l’exploitation du « temps de cerveaux disponible »30
. Internet et ses espaces de discussions
deviennent alors des lieux d’échanges informels qui réfutent l’isolation de la vie moderne et qui
servent au rapprochement social. Dans cette logique, Twitch est alors perçu comme un réseau
où les utilisateurs perçoivent une forme d’appartenance via l’intérêt en commun qu’ils
partagent : le jeu vidéo. Cette appartenance les amène à se considérer membre d’un groupe,
28
« A quoi ressembleront ces communautés en ligne interactives ? Dans la plupart des champs, elles consisteront
en des membres géographiquement séparés, parfois regroupés dans des petits ensembles, et parfois travaillant
séparément. Ils formeront des communautés non pas sur la base d’un espace commun, mais d’un intérêt
commun. Dans chaque champ, l’ensemble de la communauté d’intérêt sera suffisamment grande pour soutenir
un système complet de recherches axées sur le terrain et de données ».
29
Vincent Miller ; Understanding digital culture ; Londres ; Sage Publication Ltd ; 2011.
30
Patrick Le Lay ; « Ce que nous vendons à Coca-Cola, c’est du temps de cerveau humain disponible » ; 2004.
28. 23
d’une communauté. D’ailleurs dans le domaine d’étude du jeu vidéo, il a été montré que la
pratique du jeu vidéo en ligne faisait partie d’une dynamique de recherche de liens sociaux.31
De plus, ces membres choisissent eux-mêmes la façon dont ils souhaitent intervenir au sein de
leur communauté. Non seulement la façon, mais aussi la période, la durée et les individus avec
qui ils auront un échange. Et surtout, ils ont le choix du degré d’implication. Par exemple, sur
Twitch, si certains vont profiter d’une pause pour apprécier un live quelques minutes, d’autres
pourront animer et/ou regarder plusieurs heures de stream. Une même appartenance pour des
implications diverses. Cette liberté s’étend également au déplacement. Comme nous l’avons
cité précédemment, Robert W. Taylor32
précise bien que la situation géographique n’importe
pas dans une communauté en ligne. Contrairement, aux « communautés réelles », dans
lesquelles le déplacement implique une altération de l’appartenance, les communautés
virtuelles, à fortiori sur la plateforme mondiale Twitch, sont présentes dans un univers sans
frontière, ni conscience de la distance géographique.
Les avantages d’une communauté peuvent se voir aussi dans le développement personnel de
l’individu. La rencontre et le partage de différentes personnes génèrent des connaissances et
des liens sociaux. L’un va apporter à l’utilisateur de Twitch une meilleure appréciation du jeu
vidéo et l’autre de meilleures relations avec les membres de sa communauté, et donc une
meilleure expérience. D’ailleurs, une étude conjointe de l’université de Tokyo et de Turku paru
en 201033
, laisse paraître que, du fait de la dimension sociale présente dans l’apprentissage, les
jeunes ont plus de faciliter à apprendre via des activités extrascolaires (demandant toutefois une
concentration et une attention particulière) que dans une atmosphère scolaire. Elle stipule aussi
que les relations sociales en ligne peuvent se développer au sein de groupes d’apprentissage en
ligne, lorsque les individus sont incités à partager leurs idées. Ce constat s’applique
parfaitement à Twitch puisque l’interaction réside dans le partage d’expérience à travers le jeu
vidéo. Le sujet d’apprentissage devient alors un jeu vidéo précis autour duquel la communauté
va mettre à profit ses aptitudes. Aptitudes qui prennent les formes suivantes :
31
Observatoire des Mondes Numériques en Science Humaines ; Immersion dans un monde virtuel : jeux vidéo,
communautés et apprentissages ; Etienne Armand Amato ; omnsh.org
32
T.L . Taylor ; Raising the stakes : E-sports and the professionalization of computer gaming ; Londres ; The MIT
Press ; 2012
33
S. Mysirlaki et F. Paraskeva ; Intrinsic Motivation and the Sense of Community in Multiplayer Games ; 14th
Panhellenic Conference on Informatic (PCI) ; p233-277
29. 24
- La coopération entre différents groupes
- La construction, le partage et la critique des connaissances
- La progression dans le chaos
- L’esprit critique et la résolution de problème
En tant que communauté en ligne, Twitch apparait donc comme un vecteur de liens sociaux et
de connaissances, qui sont aussi des aptitudes primordiales dans le jeu vidéo.
1.7.2. L’apport de l’utilisateur et l’inversion du pouvoir
Le partage des savoirs au service d’un intérêt commun au sein d’une communauté n’est pas en
soi une révolution apportée par Twitch. Il s’agit néanmoins d’un élément majeur dans
l’explication du succès rencontré par la plateforme. Ce phénomène est caractéristique d’une
dynamique que Jeremy Heiman et Henry Timms34
appellent le « nouveau pouvoir ». Leur
article éponyme présente la transformation de l’ancien pouvoir, dans lequel il est question de
« leaders », d’ « inaccessibilité » et de « possession », vers un « nouveau pouvoir », « ouvert »
et « collaboratif ». Cette transformation étant due à la possibilité pour tous de participer. Et
cette participation se traduit sur Twitch, et d’autres plateformes, par l’interaction, la
collaboration et la création. L’utilisateur n’est plus un simple spectateur recevant des
informations, il devient un créateur de contenu.
34
Jeremy Heimans et Henry Timms ; Understanding ‘’New Power’’ ; Harvard Business Review ; Décembre 2014
30. 25
Toujours en rapport avec le « nouveau pouvoir » et son application au sein de Twitch, nous
pouvons évoquer le concept de consommation collaborative. Compris dans un ensemble de
comportements collaboratifs, la consommation collaborative « correspond au fait de prêter,
louer, donner, échanger des objets via les technologies et les communautés de pairs »35
. La
logique n’est donc plus la consommation excessive et effrénée de biens, mais le partage et la
juste compensation en fonction des besoins et des intérêts au travers de communautés réduites,
tout en utilisant les possibilités des innovations numériques pour faciliter cette démarche. Cela
s’applique là-aussi à Twitch. Le bien étant représenté par le contenu vidéo compensé par le
spectateur s’il le souhaite par une donation de manière ponctuel ou en s’abonnant, moyennant
finance, à la chaîne du streamer. Cette forme de compensation vient alors appuyer l’impression
d’appartenance à la communauté qu’il soutient et fait prospérer. L’apport généré par
l’utilisateur, tant par le contenu, la participation ou les compensations, vient remplacer un
système d’organisations publiques et privées qui ne peut plus subvenir aux nouveaux besoins
nés d’intérêts communs dans une multitude de petites communautés.
Un autre aspect présent dans le « nouveau pouvoir » est la possibilité pour l’individu de
s’impliquer et de participer mais aussi, et surtout, de s’arrêter et de passer à autre chose. Le
« short-term affiliation » vient s’opposer au « long-term affiliation » de l’ « ancien pouvoir »,
35
Rachel Bostman ; What’s mine is yours, the rise of collaborative consumption ; New York ; HarperCollins
Publishers ; 2010 ; p.14.
FIGURE 7 - ECHELLE DE PARTICIPATION DE TIMMS ET HEIMANS
31. 26
dans lequel la loyauté fait partie de la logique de ce système. Et ce changement de rapport à
l’implication pourrait être un sujet de premier ordre pour Twitch, dans la mesure où la
plateforme se doit de conserver l’intérêt de son audience pour continuer à proposer du contenu.
Cet enjeu s’applique aussi au jeu vidéo en lui-même qui reste une forme de loisir comme une
autre, et n’est donc pas fondamentalement vitale. Et les parties prenantes du jeu vidéo, que nous
avons détaillé précédemment, vont dépendre de ce degré d’intérêt de l’audience pour ce
médium.
Le contenu généré par l’utilisateur fait référence au « contenu produit par le public, en
opposition aux professionnels, et partagé sur Internet »36
. Cette définition concerne directement
Twitch dans le sens où la production présente sur Twitch est apportée en grande partie par ses
utilisateurs. C’est donc un contenu issu de la motivation de l’utilisateur, et de lui-seul.
La notion de « nouveau pouvoir » nous permet donc de voir Twitch comme une plateforme où
les codes et les interactions diffèrent de tout média traditionnel. Et pour mieux appréhender
l’intérêt de l’industrie du jeu vidéo pour ce média, il me parait intéressant de s’arrêter sur les
motivations de l’utilisateur dans la création de contenu et dans la participation à ce contenu.
1.7.3. Les motivations des utilisateurs
De nombreux travaux, certains directement liés au domaine marketing, ont été réalisé pour
appréhender les motivations des individus. Parmi eux, le célèbre travail de Maslow en apporte
une vision globale. Il a établi une hiérarchie de besoins sous forme d’échelle. L’ascension étant
conditionnée par l’accomplissement de l’étape inférieure. Cependant, certains auteurs viennent
relativiser la vraisemblance de l’ascension car il est possible d’accéder à une étape supérieure
sans avoir achever une étape précédente. Toutefois, le travail de Maslow reste un
incontournable de la compréhension du marketing, et est utilisé comme tel. D’une part, car il
indique indirectement que certains types de produits peuvent bénéficier aux individus dans leurs
différentes étapes de développement. D’autre part, la pyramide de Maslow est toujours perçue
comme le modèle le plus juste pour comprendre et expliquer ce qui est important pour le
consommateur.
36
Terry Daugherty ; Exploring Consumer Motivations for Creating User Generated Content ; Journal of
Interactive Advertising ; 2008 ; p16-25
32. 27
D’ailleurs, en prenant pour modèle la pyramide de Maslow, ce qui est important pour les
consommateurs des pays développés a tendance à s’inverser. Les besoins primaire étant, pour
la plupart des individus, un acquis. Les individus se concentrent dès lors sur l’objectif final qui
est l’accomplissement de soi. Pour Twitch, cela se traduit par la possibilité d’accéder d’une
part, à un sentiment d’appartenance à travers la communauté et d’autre part, à une estime
personnelle à travers la reconnaissance de cette communauté. Ces deux perceptions permettent
alors à l’utilisateur d’atteindre le stade ultime de la pyramide.
Pour revenir au contenu généré par l’utilisateur, selon Daugherty, cette pratique est motivée par
l’attitude de l’utilisateur face à la consommation et à la création de contenu. Cette attitude va
dépendre de la valeur qu’il perçoit dans le contenu proposé, et de la manière dont cela va se
répercuter sur ses convictions. Dans le cadre du contenu généré par l’utilisateur, des attitudes
spécifiques vont nous indiquer des motivations correspondantes. Daugherty les divise en
fonctions :
- La fonction utilitaire. La motivation vise à obtenir une récompense. Une fonction donc
purement personnel répondant à l’intérêt du créateur et à sa propre volonté.
- La fonction de connaissance. Elle se traduit par un besoin d’information de l’individu
pour lui permettre d’appréhender son environnement. Il va ensuite assimiler ces
informations pour l’appliquer dans son expérience personnelle.
- La fonction ego défensive. Il défend la perception de son image. Le but étant de se
protéger des doutes personnels et des attaques extérieures. La création de contenu est
alors motivée pour réduire ces perturbations et accroitre le sentiment d’appartenance.
- La fonction de valeur expressive. Elle se rapporte à l’expression et à la diffusion par
l’individu de sa façon de penser vers un public sensible aux idées qu’il véhicule. Le
créateur de contenu se voit alors gratifier par un sentiment de satisfaction personnel du
fait de son appartenance à une communauté qui partage ce qu’il considère comme
important.
33. 28
La création de contenu généré par l’utilisateur est donc conditionnée par l’attitude du créateur
face aux motivations qui l’animent. Ces motivations vont agir selon les fonctions espérées par
l’individu. Sur Twitch, le contenu en lui-même peut donc être adapté selon la volonté de son
créateur mais aussi par l’intervention des spectateurs. L’influence peut aussi s’étendre au-delà
du public et de la communauté de Twitch. D’autres plateformes peuvent apporter de nouveaux
contenus, et donc de nouvelles expériences, qui vont modifier l’approche du créateur et du
spectateur face au contenu.
1.7.4. L’influence du créateur sur les spectateurs
Si l’environnement du streamer peut influencer l’orientation de son contenu, l’inverse aussi est
vrai. De par leur exposition et leur popularité, les streamers de Twitch vont générer des
communautés d’utilisateurs autour d’eux. Et cette audience sera plus ou moins affectée et
influencée par le contenu qu’il propose, le discours qu’il émet et la personnalité qu’il possède.
Nicolas Narcisse37
oppose les sphères d’influence classiques, fortement encrées dans les
secteurs institutionnelles et les médias traditionnelles, à l’émergence d’un nouvel acteur de
l’espace public. « Tout le monde a désormais le pouvoir d’engager derrière soi, de promouvoir
ses idées, ses combats : avec la révolution digitale, le consommateur et le citoyen se confondent
et créent une « nouvelle opinion publique », à la fois très massive et très individuelle, et surtout
très réactive… ». Cela rejoint le concept des communautés en ligne qui se sont construites en
marge des médias de masses. Rassembler les individus qui ne se retrouvent pas dans les intérêts
et les discours généralistes pour échanger, opposer et critiquer des sujets importants à leurs
yeux. Et chacun apporte son expérience et ses connaissances dans l’apport à cette communauté.
Dans le cas de Twitch, l’utilisateur qui créé un contenu apporte avec lui sa personnalité et son
point de vue. Devenant influenceur du public qui le regarde. Et lorsqu’il décide de se montrer
face caméra, ces deux apports sont identifiés à sa personne physique, et non plus à un
pseudonyme et à un personnage virtuel. Il engendre alors une force double vers le spectateur.
Le professeur Pierre Vernette38
attribue à l’influenceur d’opinion une « force d’attraction
naturelle » et une « force de conviction » qui se répercutent sur les spectateurs.
37
Nicolas Narcisse ; Devoir d’influence ; Paris ; Odile Jacob ; 2013 ; p21
38
Pierre Vernette ; Une nouvelle vision du leader d’opinion en marketing : une approche phénoménologique ;
5ème
Congrès ‘’Tendances du Marketing’’ ; Venise ; 2006
34. 29
- La force d’attraction naturelle : Elle comprend l’attractivité physique que dégage
l’influenceur, ses qualités psychologiques, c’est-à-dire le caractère qui va déterminer
son comportement, et sa capacité à interagir avec autrui, ou intelligence relationnelle.
- La force de conviction : Il s’agit de l’expertise perçue de l’extérieur. Des connaissances
ou une expérience que l’influenceur est supposé posséder.
Ces deux forces sont complémentaires et indispensables dans une perspective de persuasion. Si
l’une est manquante, l’autre ne peut pallier à ce manque. Par contre, il est démontré que la force
de conviction seule, de par le développement d’arguments crédibles et d’une réflexion
structurée, est supérieure à la force d’attraction. Après ce principe de force, la définition du
leader d’opinion apportée par le professeur Pierre Vernette paraît plus claire : « Le leader
d’opinion est une personne qui exerce une force d’attraction (physique, psychologique et/ou
sociale) sur son entourage et qui dispose d’une forte crédibilité dans une catégorie de produit.
Ses jugements et comportements influencent les attitudes et les choix des marques de son
entourage dans ce domaine ». Ici, il définit l’aspect marketing du concept. Pour appliquer à
Twitch et aux plateformes numériques en général, il faudrait remplacer « catégorie de produit »
par « centre d’intérêt » et « les choix des marques » par « les choix de son audience ». On arrive
alors à une définition de l’influenceur 2.0 que l’on retrouve notamment sur Twitch.
A noter qu’il est intéressant de remarquer l’évolution de langage autour de ce concept. Il s’est
réalisé une évolution dans laquelle nous sommes passés de l’idée de « leader » d’opinion à
« influenceur » d’opinion. Cette transformation s’est opérée en parallèle de celle de l’ « ancien
pouvoir » vers le « nouveau pouvoir » décrite par Jeremy Heiman et Henry Timms. En passant
FIGURE 8 - MODELE D'INFLUENCE D'UN LEADER D'OPINION MARKETING DE PIERRE VERNETTE
35. 30
d’un système médiatique fermé et élitiste, avec un principe de domination, vers un média
collaboratif et ouvert, façonné par les internautes, le terme s’est transformé dans ce sens.
Le streamer, de par ses actions, son discours et sa personnalité émet donc une aura d’influence
plus ou moins grande envers ces spectateurs. Cette influence peut alors se positionner sur
différents éléments qui composent le stream.
L’influenceur peut émettre un avis sur sa vision du jeu auquel il est en train de jouer. Positif ou
négatif, cet avis sera reçu, discuté, critiqué par les utilisateurs. Mais de par la perception des
forces citées précédemment, le spectateur sera plus enclin à suivre le point de vue du streamer.
Le résultat pour le spectateur pourrait alors être l’achat du jeu ou son rejet.
La dimension compétitive du jeu vidéo est aussi un vecteur d’influence. En effet, les jeux vidéo
axés vers la compétition possèdent des logiques et des techniques qui évoluent au fur et à
mesure que les joueurs comprennent et maitrisent ce jeu. Certains joueurs professionnels
peuvent passer plusieurs heures à théoriser une technique de jeu avant de l’essayer, de la
modifier, de l’appliquer en jeu et enfin de la maitriser. Et ces joueurs, avec une force de
conviction extrêmement importante, de par leur expertise, vont alors modifier les stratégies de
l’ensemble des autres joueurs de ce même jeu.
Enfin, la portée du discours peut dépasser la simple pratique du jeu vidéo. Le streamer peut
utiliser cette influence, qu’il mesure plus ou moins, pour faire passer des messages sociaux et
sociétaux. Par exemple, de nombreux évènements caritatifs ont été lancés par des chaînes
Twitch. Généralement le principe est le suivant : Un ou plusieurs streamers se rassemblent sur
une même chaîne et propose durant une durée limitée de reverser l’ensemble des dons de leur
chaîne à une association caritative. En 2015, l’ensemble des opérations sur Twitch ont levé à
travers le monde plus de 17 millions de dollars.39
Encore une preuve que le streamer possède une réelle influence sur la communauté qu’il anime
et à laquelle il apporte une vraie expérience.
1.7.5. Les motivations dans le jeu vidéo
Afin de compléter cette recherche, il est important s’intéresser aux motivations de la pratique
du jeu vidéo puisque cette pratique est au cœur du fonctionnement de Twitch. Mysirlaki et
39
Twitch ; Twitch gives back : 2015 Charity Recap ; blog.twitch.tv
36. 31
Paraskeva, cités précédemment se sont penchés sur la motivation intrinsèque et l’appréciation
de la communauté dans les jeux multijoueur. Ces “motivations intrinsèques” peuvent être
définies comme des motivations individuelles, sans intervention ou récompense externe
d’aucune sorte. Les motivations relevées dans la recherche sont le défi, le rêve, le contrôle et la
curiosité, la coopération, la compétition, la reconnaissance et le sens de la communauté. L’étude
montre que l’aptitude à développer une communauté est fortement liée à une motivation propre
et au sentiment d’appartenance à un groupe. Cette aptitude possède aussi un effet bénéfique sur
le niveau de jeu du joueur. De plus, le développement du groupe n’influence pas l’implication
dans le jeu.
Toujours dans le cadre de la motivation au sein des jeux en ligne, le travail de Bartle nous offre
une typologie des différents profils de joueur. Même si l’étude qu’il a réalisée est liée aux
MMORPG, elle reste néanmoins applicable à d’autres types de jeu vidéo en ligne.
Le test de Bartle40
propose une série de question à choix à multiple ayant pour résultat une des
quatre catégories suivantes :
- « Killer » (tueur) : Ce joueur recherche la compétition avec d’autres joueurs. Il vise la
reconnaissance de ses pairs en montrant sa supériorité.
- « Socializer » (social) : Il cherche une expérience de jeu en groupe et porte plus
d’importance aux personnes qu’il connait qu’à son niveau de jeu.
- « Explorer » (explorateur) : Il veut être l’encyclopédie du jeu. Connaître chaque coin et
recoin de la carte et tout connaître de ce qui lui est offert.
- « Achiever » (Collectionneur) : Ce joueur a pour objectif de finir le jeu à 100%. Réaliser
les missions annexes, refaire le jeu avec un personnage différent et obtenir tous les
objets.
40
Richard Bartle ; Hearts, Clubs, Diamonds, Spades : Players Who Suits MUDs ; 1996 ; mud.co.uk/richard
37. 32
A la fin du questionnaire, le profil est établi sur deux niveaux avec une base de 200%. Le joueur
a forcément une dominante à 100%. Les 100% restant sont partagés entre les 3 autres catégories.
Par exemple, un joueur peut être 100% « Achiever », 60% « Explorer », 30% « Killer » et 10%
« Socializer ».
Pour revenir à Twitch, on pourrait penser que la dominante des utilisateurs serait « Socializer ».
Cependant, un « Achiever » ou un « Explorer » aurait tout intérêt à suivre un streamer de haut
niveau pour apprendre de nouvelles choses et améliorer son niveau de jeu. De manière générale,
la diversité de contenu présente sur la plateforme répond bien à la typologie de Bartle. Entre les
« let’s play », les « speed runs » (pratique du jeu vidéo visant à aller le plus vite possible dans
l’avancement du jeu) et les tournois, l’utilisateur, de par son profil, va aussi choisir l’expérience
de jeu proposée.
1.7.6. L’importance du gameplay
L’expérience de jeu sur Twitch se base principalement sur la pratique des jeux vidéo en ligne.
Il est donc intéressant de se demander ce qu’est un jeu vidéo. Laura Ermi et Frans Mäyrä
définissent le gameplay comme « an interaction between a particular kind of a game and a
particular kind of a game player. »41
41
« Une interaction entre un type particulier de jeu et un type particulier de joueur ». L. Ermi et F. Mäyrä ;
Changing views : Worlds in Play. Digital Games Ressearch Association’s Second International Conference ;
2005 ; p.15.
FIGURE 9 - REPRESENTATION DES DIFFERENTS TYPES DE JOUEUR
SELON BARTLE
38. 33
La dimension du gameplay peut varier en fonction de l’angle d’immersion privilégié par le
développeur. Cet angle peut d’ailleurs être perçu différemment par le développeur et le joueur.
Les règles du jeu (dans les deux sens du terme) établies initialement par le créateur seront
différentes de l’appropriation finale faite par le joueur.
L’étude propose trois angles d’immersion dans le jeu vidéo :
- L’immersion par le sens. Elle apparait dans l’aspect audiovisuel du jeu. Cet aspect a
énormément évolué ces dernières années. La réalité augmentée, la 3D, la qualité
d’affichage des écrans…ont multiplié les possibilités immersives du jeu vidéo. La
qualité des graphismes et du son retranscrite par le jeu est un élément qui régit cette
immersion. L’originalité graphique peut aussi apportée une expérience nouvelle au
joueur.
- L’immersion par le challenge. Elle est établie par un équilibre entre la compétition et la
compétence. C’est-à-dire que l’exigence technique de la pratique du jeu devient si
importante que des qualités physiques et mentales spécifiques sont requises.
- L’immersion par l’imaginaire. Elle est présente à deux niveaux. La cohérence et
l’impact de l’univers du jeu vont impliquer le joueur au déroulement de l’histoire. Et
l’identification du joueur aux personnages virtuelles qu’il va jouer ou rencontrer.
De manière générale, tous les jeux vidéo proposent chaque niveau d’immersion à différents
degrés. Cependant, il n’existe pas de recettes définies dans l’utilisation de ces niveaux
d’immersions. D’ailleurs, certains jeux ne se concentrent que sur un aspect. Par exemple, Street
Fighter II, du développeur japonais Konami, est un jeu de versusfighter.
39. 34
C’est-à-dire, un jeu de combat opposant uniquement deux joueurs en face-à-face. Sortie en
1991, il est resté un des piliers de l’e-sport jusqu’au début des années 2010 avant d’être
remplacé par une nouvelle version. Il proposait une profondeur de gameplay et un niveau de
jeu requis tellement important que l’absence d’histoire et une qualité graphique devenue désuète
après quelques années ne l’a pas empêcher d’être le représentant du jeu en compétition pendant
plus de 10 ans.
Pour Twitch, ce choix d’immersion va être important dans le choix de contenu que souhaite
proposer le streamer à son audience. Actuellement, on retrouve vraiment tous les niveaux
d’immersion. Pour l’E-sport, l’immersion par le challenge et pour les rolistes42
l’immersion par
l’imagination. Donc ce niveau d’immersion va déteindre sur le contenu et l’animation proposé
par les utilisateurs.
42
Roliste : joueur jouant à des jeux de rôle
FIGURE 10 - EXEMPLES DE REPARTITION DE L'IMMERSION DANS LES JEUX VIDEO
40. 35
PARTIE II – ENJEUX PROFESSIONNELS
2.1.Twitch, le perturbateur du marché
Ce travail de recherche a permis d’établir les liens existants dans la relation de Twitch à
l’industrie du jeu vidéo. De la situation actuelle des grands studios est apparue de nouveaux
protagonistes aux méthodes de fonctionnement divergentes d’un système de production et de
communication hors-normes. Les « indies » et les plateformes de téléchargement sont mieux
adaptés aux modifications profondes que connaissent le jeu vidéo et la consommation des
joueurs. Des joueurs de plus en plus critiques envers les jeux grands publics. Des joueurs qui
privilégient la qualité à la quantité. Des joueurs aux motivations digitales exacerbés par le
développement de nouvelles technologies. Bref, des joueurs qui rejettent un système de masse
qui ne leur est plus profitable. Leurs motivations les poussent vers de nouvelles plateformes
aux possibilités d’interaction qu’ils recherchent. Au sein de Twitch, ils appréhendent
différemment l’univers vidéoludique grâce à l’influence de créateur de contenu faisant parti de
leur communauté.
2.2. Problématique
Dans ce contexte, les grands studios doivent réagir à ces nouveaux phénomènes. Même si leur
futur proche n’est pas menacé, les tendances qui se dessinent actuellement doivent les amener
à une réflexion sur leurs stratégies marketing.
Twitch et ses utilisateurs peuvent-ils bouleverser l’approche marketing des éditeurs et
développeurs de jeu vidéo ?
PARTIE III – DEVELOPPEMENT DES HYPOTHESES
Trois hypothèses résultent de cette problématique. Elles s’arrêtent sur l’intérêt ou non pour les
grands studios de développement d’investir la plateforme Twitch. On parlera ici d’un double
investissement. Tout d’abord, dans la communication, en analysant leur intérêt à établir une
41. 36
stratégie sur la plateforme. Et ensuite, dans la création de leurs jeux eux-mêmes, en montrant
que les enjeux possibles de produire des jeux qui sont pensés pour les spécificités de Twitch.
La troisième hypothèse viendra clore cette partie en évaluant si Twitch a vraiment un impact
sur le paysage médiatique actuel du jeu vidéo.
3.1. Hypothèse 1 : Twitch permet une pratique qualitative du marketing envers les
utilisateurs.
3.1.1. Twitch est un média spécialisé
Jusqu’en Novembre dernier et le lancement de Twitch Creative (un espace destiné à la mise en
avant de l’art), la plateforme était entièrement consacrée à l’univers du jeu vidéo. Du live
streaming aux conférences, en passant par le forum et les tournois, tous les contenus
concernaient de près ou de loin le divertissement vidéoludique. De ce fait, l’ensemble des
utilisateurs présents au sein de cette grande communauté s’intéresse au même sujet. Pour
l’annonceur, ici développeurs et éditeurs, cela représente une opportunité de toucher une cible
concentrée sur une même plateforme. Contrairement à d’autres médias, les utilisateurs de
Twitch sont dans un environnement propice à ce que l’on montre des produits de jeu vidéo. Sur
d’autres plateformes, comme YouTube par exemple, l’intérêt de l’utilisateur peut être autre que
le jeu vidéo. Et même si le ciblage de la publicité est de plus en plus poussé, il reste limité.
Il est donc certain que l’audience sera, sinon réceptive, au moins attentive au message qui lui
sera proposé.
3.1.2. Des outils publicitaires déjà présents
Il est vrai que Twitch propose des espaces de promotion pour les annonceurs. La plateforme
prévoit en effet la possibilité d’afficher des spots publicitaires au lancement d’un stream ou
durant sa diffusion. La publicité est alors diffusée sur les chaines présentes sur Twitch ayant
acceptées cela.43
Cependant, l’intérêt de ce procédé reste limité, et ce pour deux choses. Tout d’abord,
l’utilisation d’AdBlock est devenue la norme. Ce logiciel qui s’installe dans le navigateur web
43
NextImpact ; Twitch : les diffuseurs peuvent supprimer des publicités pour leurs abonnés payants ;
nextimpact.com
42. 37
permet de bloquer pratiquement toutes les publicités sur Internet. Bannières, spots publicitaires,
pop-up, interstitiels, etc… En France, en Février 2016, 30% de la population était équipé d’un
bloqueur de publicité. Chez les 16-24 ans, ce chiffre monte à 53%44
. Ensuite, il faut savoir que
la chaîne sur laquelle la publicité est diffusée touche un revenu en fonction du nombre
d’abonnés et du nombre moyen de vues par session. Néanmoins, le chiffre est ridicule. En Mars
2015, un streamer a proposé en toute transparence de montrer quels étaient ses revenus45
. En
faisant 7 heures de diffusion par jour et avec 150 spectateurs en moyenne, l’argent engrangé
par la publicité représentait 30 dollars par mois. Alors que les donations de ses spectateurs
atteignaient 1450 dollars. Le streamer va donc bien souvent privilégier le confort de son
audience, qui lui rapporte son revenu principal, et ne pas activer la publicité sur sa chaîne.
Même si elle existe, l’utilisation de la publicité est donc peu intéressante pour l’annonceur et
pour le streamer. Il faut donc adapter la communication aux pratiques de ces utilisateurs, et non
pas appliquer la même stratégie que sur un autre média.
3.1.3. L’influence des streamers
Une démarche nettement plus qualitative pour les studios consiste à passer directement par les
streamers pour parler d’eux et de leurs jeux. Le streamer devient alors le porte-parole du studio
et le contenu, le support de démonstration. Cette pratique est déjà fortement réalisée par les
constructeurs de composants informatiques et de périphériques, mais aussi de plateformes de
ventes de jeu en ligne. Pour ces derniers, ce partenariat se traduit par la présence sur le « layout »
(la mise en forme de la vidéo du streamer) de logos et bannières publicitaires proposant des
réductions via un code promotionnel disponible uniquement sur le canal du streamer. Cela peut
aussi se faire en offrant des cadeaux, fournis par l’annonceur, aux membres de la communauté.
44
Rue89 ; Et toi, t’as AdBlock ? Portrait-robot des internautes antipub ; rue89.nouvelobs.com
45
Daniel Fenner ; How much does a Twitch stremer make ? February 2015 ; daniel.fenner.com
43. 38
Ce type d’opérations offre un double intérêt aux annonceurs. D’une part, cette bannière est
présente tout au long de la session de stream, ce qui permet une meilleure mémorisation du
message ou de l’offre proposée. Et le fait qu’elle soit directement implémentée dans le contenu
de la vidéo assure à l’annonceur qu’elle sera vue, contrairement aux vidéos publicitaires qui
peuvent être shuntées. D’autre part, la mise en place de ce type de partenariat est une décision
personnelle du streamer. Il décide de la manière dont la bannière sera placée et de sa taille, mais
surtout de l’identité de l’annonceur. Ce qui transfère vers ce dernier la légitimité et l’expertise
que le spectateur prête au streamer qu’il regarde. Des deux, ce dernier intérêt est le plus
important puisqu’il permet à l’annonceur de s’approprier l’influence du streamer pour atteindre
un public déjà conquis.
Cependant, pour les développeurs et éditeurs, ce procédé peut être plus difficile à mettre en
place. En effet l’intérêt du spectateur dans le visionnage et dans la participation à un stream est
principalement lié à l’expérience qui lui proposé par le streamer. Et donc si un jeu, aussi réussi
soit-il, ne contient pas d’éléments favorisant une expérience originale, le streamer ne verra pas
l’utilité de se baser dessus pour la création de son contenu. Cet effet peut se décupler si le
streamer est principalement axé sur un type de jeu. Par exemple, un joueur spécialisé dans les
jeux compétitifs ne peut proposer à sa communauté un jeu d’exploration. Il y aura une trop
grande différence d’expérience pour le spectateur entre le contenu habituel et le jeu utilisé pour
le partenariat. Le risque étant pour le streamer de voir sa communauté ne pas comprendre ce
changement et de quitter sa chaîne. Quant au développeur, la communauté verrait d’un mauvais
œil, l’intrusion d’un tiers au sein du groupe, et rejetterait d’office cet élément qui perturbe son
expérience. Il est donc primordial pour les développeurs de s’orienter vers le bon streamer et
FIGURE 11 - EXEMPLE DE « LAYOUT » SUR TWITCH, AVEC EN BAS A DROITE LE PARTENARIAT
44. 39
la bonne communauté, en ayant analysé leurs motivations, qui recevra agréablement ce nouveau
jeu.
3.1.4. Le marketing par l’appropriation de la plateforme
Le travail de recherche sur les pratiques de Twitch ainsi que les motivations de ses utilisateurs
vont nous permettre ici de présenter les possibilités et les avantages qu’il peut y avoir pour les
développeurs d’utiliser la plateforme, au même titre qu’un streamer, c’est-à-dire comme un
créateur de son propre contenu. Et d’en faire une conclusion sur la pertinence d’utiliser Twitch
comme un outil marketing à part entière.
Il ne s’agit évidemment pas pour le développeur de simplement jouer aux jeux vidéo. Qu’ils
soient produits par lui ou par un autre studio. L’intérêt en serait limité et ne permettrait pas de
générer une valeur ajoutée à sa présence sur la plateforme et donc d’intéresser de possibles
consommateurs. Il va plutôt utiliser Twitch comme un canal de diffusion et de discussion aux
spécificités uniques faisant partie intégrante de l’ensemble de son réseau de communication.
Nous avons vu précédemment que les joueurs ressentaient une forme de désintéressement de la
part des développeurs concernant leurs besoins et envies. L’interaction offerte par Twitch
permet aux développeurs de recevoir directement des avis et des informations de la part de leurs
consommateurs. Ainsi, ils peuvent en direct échanger sur les sujets qui intéressent vraiment les
joueurs. L’avancement du projet de jeu, la direction artistique qu’il prend, la volonté des
développeurs à travers ce jeu, etc… Le but étant de connaître les envies des joueurs, et, dans la
mesure du possible, les mettre en pratique dans les jeux qu’ils proposent. De ce fait, les
utilisateurs participant à cet échange sentent qu’ils contribuent à l’accomplissement d’un projet.
On retombe alors sur le sentiment d’appartenance qui vise à partager, à discuter et à critiquer
un sujet d’intérêt commun. Car sur le stream, les utilisateurs sont écoutés. Mieux encore, ils
sont considérés. Cette considération amène le spectateur à s’attacher au studio, à la marque. Et
donc, le développeur acquiert une communauté propre sur la plateforme Twitch qui la
représentera et la défendra auprès des autres communautés de joueur, devenant eux-mêmes
influenceurs. C’est d’ailleurs ce que préconise Nicolas Narcisse : « [le devoir d’influence] est
une question de survie, car si on ne parvient pas à exprimer sa conviction, à la partager, et à
45. 40
engager derrière elle, d’autres courants détracteurs le feront à notre place… »46
. Twitch permet
donc aux développeurs de rassembler autour de soi plutôt que contre soi.
C’est justement cette pratique qui présente le réel intérêt de la plateforme pour les studios. Non
seulement, elle corrige les défauts de distance que des campagnes marketing intensives peuvent
générer. Mais en plus, elle crée un lien plus fort entre la marque et le consommateur. Car, même
sur Internet, d’autres médias ne possèdent pas de logique de partage et d’interaction aussi
importante. C’est en cela que la prise en compte de la plateforme Twitch est nécessaire dans la
construction de la stratégie marketing des studios de développement de jeu vidéo.
L’hypothèse peut donc être validée. A condition, que l’annonceur respecte les codes et la portée
des motivations de l’utilisateur et du streamers qui amène à leur présence sur le site. Dans le
cas contraire, dans une perspective marketing, l’intérêt de Twitch perd de sa valeur.
3.2. Hypothèse 2 : Les jeux pensés pour Twitch sont recherchés par les utilisateurs
Le 12 Février 2014 est lancée une chaine Twitch s’intitulant « Twitchplayspokemon »47
. Elle
permet à tous les spectateurs de jouer simultanément à la même partie de Pokémon en rentrant
une commande dans la fenêtre de discussion. En quelques jours, des milliers d’utilisateurs
curieux visionnent et participent à cette expérience. Le jeu est finalement terminé après 16
jours. Au total, 55 millions d’utilisateurs de Twitch ont regardé le stream, et parmi 1,16 millions
y ont participé.
46
Nicolas Narcisse ; Devoir d’influence ; Paris ; Odile Jacob ; 2013 ; p.37
47
Nouse ; Twitch Plays Pokemon ; nouse.co.uk
46. 41
Il est intéressant de voir que ce n’est pas le contenu qui amenait les utilisateurs a participé, mais
bien la possibilité d’interagir directement avec ce qu’il voyait. Car ce jeu était sorti presque 20
ans auparavant. Et c’est justement sur l’opportunité d’interaction que se dessine la possibilité
pour les développeurs de créer des jeux pensés pour le « crowndplay ».
Le « crowndplay »48
, littéralement jeu de foule, consiste en un jeu permettant à de nombreux
participant de choisir, généralement par vote, l’action que le joueur va réaliser dans la partie.
Le projet « Twitchplayspokemon » a rencontré un énorme succès sur Twitch car ses possibilités
correspondent parfaitement à ce que recherchent les utilisateurs.
Ainsi, les développeurs ont intérêt à orienter leurs productions, ou au moins une partie, vers des
jeux qui présentent ces possibilités interactives pour les utilisateurs de Twitch.
Le concept de « crowndplay » reste encore confidentiel dans le milieu du jeu vidéo. Et son
exploitation est un défi qui, s’il est réussi, sera salué par les joueurs et les critiques. La
plateforme se prête à cela. Elle peut servir de vitrine au savoir-faire du studio de développement
qui lui profitera plus tard dans la promotion d’autres créations.
48
Gamasutra ; Beating Dark Souls ? Hard. Designing ‘Twitch Plays Dark Souls ?’ Super hard ; Gamasutra.com
FIGURE 12 - INTERFACE DU JEU COLLABORATIF "TWITCHPLAYSPOKEMON"
47. 42
3.2.1. Une nouvelle forme de jeu collaborative
Le spectateur de Twitch ne veut pas être passif. Il veut participer au contenu qui lui est proposé.
C’est d’ailleurs une des caractéristiques qui peut distinguer cette plateforme des autres.
L’utilisateur est, à l’heure actuelle, la source qui génère le contenu. En appliquant directement
cette possibilité à un jeu, on multiplie la portée du jeu. En effet, les streamers ont tendances à
s’intéresser aux jeux ayant un aspect participatif. Cet aspect rend par extension le jeu
divertissant pour le spectateur qui s’implique davantage dans le contenu qu’il visionne. On
arriverait à une avancée dans l’interaction possible sur l’Internet 2.0. Un Internet dans lequel
l’utilisateur pourrait influencer en direct ce qu’il visionne. Amenant ainsi un sentiment
d’appartenance vers un sentiment d’influence. Ce sentiment ne se limiterait donc plus au
créateur de contenu, mais s’appliquerait aussi à celui qui interagit avec.
Pour les développeurs, l’intérêt est donc double. D’une part, grâce à leur jeu, il apporte un
sentiment de considération chez le joueur. Ce dernier sent alors qu’il collabore à l’élaboration
d’une expérience nouvelle au sein d’une communauté à laquelle il appartient et contribue. On
revient alors sur le sentiment d’appartenance qui sera dirigé vers le studio ayant développé le
jeu qui a permis cela.
D’autre part, en prenant pour exemple le succès de l’expérience «Twitchplayspokemon », on
observe l’importance de la communication au sein de Twitch. Un projet de ce type suscite
l’intérêt de l’ensemble de la communauté de la plateforme, et amène donc les différents
streamers à la tenter sur leur chaine. Il agit alors un effet de bouche-à-oreille médiatisant au
niveau « local » (sur Twitch) le jeu qui amène de nouvelles possibilités d’interaction.
Pour finir, on peut dire que ce type de jeu participatif apparaitrait comme innovant dans un
environnement consacré bien souvent à des jeux similaires de par leur fonctionnement et leurs
possibilités d’interaction. Et l’originalité d’une création purement interactive donnerait au
studio de développement une notoriété sur Twitch lui permettant de légitimer l’intérêt de ces
autres produits.
Twitch apporte donc aux principaux acteurs de l’industrie du jeu vidéo un support innovant
pour mettre en avant leur création et rassembler une communauté autour de leurs projets.
Cependant, la plateforme reste destinée à un public averti, peuplé majoritairement de passionné.
Et donc la communication faite sur ce réseau n’a que très peu de chance de voir sa portée
franchir les frontières d’autres plateformes. Lorsque l’on voit que les joueurs de jeu vidéo
couvrent un public de plus en plus important, l’intérêt de s’adresser directement à une partie
48. 43
d’entre-deux semble limité. C’est pourquoi, il est possible de remettre en question l’importance
d’adapter sa stratégie marketing aux spécificités de la plateforme Twitch et de ses utilisateurs.
Encore une fois, l’hypothèse ne peut être validée que si le développeur établit un vrai travail de
réflexion en amont du projet afin de répondre aux attentes des utilisateurs.
3.3. Hypothèse 3 : Twitch est adapté à l’industrie actuelle du jeu vidéo
3.3.1. La massification du jeu vidéo
Dans le travail de recherche, nous avons vu que l’industrie du jeu vidéo connaissait une
croissance importante depuis quelques années qui ne semble pas fléchir. Ce développement se
caractérise par des acteurs restreints à la portée internationale. Dans ce contexte, Twitch semble
ne pas pouvoir apporter un poids suffisant pour changer l’orientation de ces superproductions.
La majorité des consommateurs recherchent dans le jeu vidéo un simple outil de divertissement
quand Twitch propose une expérience de partage plus profonde. Il paraît alors peu probable que
les développeurs suivent cette tendance de niche quand ils peuvent s’adresser directement à une
masse réceptive qui apprécie les mêmes blockbusters chaque année.
3.3.2. L’apparition d’une concurrence pour Twitch
Le succès rapide de Twitch a suscité récemment un intérêt important de la part des grands noms
d’Internet. En effet, en deux ans, deux géants de l’Internet ont investis dans des plateformes de
streaming live dédiées au jeu vidéo. Le premier à avoir lancé l’offensive est Google via sa
plateforme YouTube. YouTube est la référence du site d’hébergement. En 2013, il a dépassé le
milliard d’utilisateurs mensuels. Chaque jour, ensemble ils regardent l’équivalent de 46 000
années de vidéos. Il est le 3ème
site web le plus consulté au monde. Bref, YouTube est un des
leaders de l’Internet actuel. Et c’est pourquoi, il se devait de répondre au développement de
Twitch. Le 12 Juin 2015, quelques jours avant l’E3 (Electronic Entertainment Expo), la
plateforme de Google annonce son entrée sur ce marché encore peu exploré via une extension
de YouTube : YouTube Gaming. Le but est clairement affiché. Concurrencer Twitch qui a déjà
quelques années d’avance. La promesse de la plateforme reste sur les mêmes principes que son
concurrent : « Cet été, nous lancerons YouTube Gaming, une toute nouvelle application mobile
et un site web pour vous permettre de rester connecté aux jeux, aux joueurs et à l'univers