1. Contrôle qualitéVC3
Oslo
Saint-Petersbourg
Moscou
Mourmansk
Arkangelsk
Svalbard
Salekhard
Doudinka
Norilsk
Khatanga
Iakoutsk
Tcherski
Anchorage
Fairbanks
Grand NordSur les traces
du changement
climatique
Consulatgénéralhonoraire
delaFédérationdeRussie
àLausanne DéplacementsorganisésencollaborationavecGlobusVoyages
Avec le soutien de
24 heures | Mercredi 13 juillet 201628
Elégie pourl’Arctique,
où la glacefondsivite
Floortje van den Heuvel Textes
Patrick Martin Photo
N
otre bateau flotte dans un
silence presque total à
peine troublé par le choc
de quelques petits blocs
de glace contre la coque.
Exactement comme le
pianisteLudovicoEinaudi,dans sonElegy
for the Arctic, émouvante vidéo qui a fait
le buzz sur les réseaux sociaux en juin,
nous sommes à 500 mètres d’un mur de
glace qui bascule dans le fjord. Spectacle
à la fois impressionnant et désolant.
«Quinzeansplustôt, le front duglacier
était encore à la hauteur de notre ba-
teau», explique le matelot du Polargirl, la
voix grave. Le Nordenskiöldbreen est un
Surging Tidewater Glacier, soit un glacier
dont les cycles d’avancée et de recul sont
aussi extrêmes qu’imprévisibles. Comme
c’est souvent le cas, le lien entre les mou-
vements de ces glaciers et les change-
ments climatiques sont beaucoup plus
complexes qu’on l’imagine. Ce qui pose
une autre question: comment communi-
quer les résultats inquiétants des recher-
ches scientifiques sur le climat, de façon à
la fois crédible et convaincante?
Quatre jours après notre départ du
Svalbard, le secrétaire d’Etat américain
John Kerry visitait lui aussi l’archipel nor-
végien. Cinq petites heures pour voir de
ses propres yeux les effets spectaculaires
du réchauffement et pour écouter les
scientifiques au chevet de l’Arctique. Ar-
tistes, politiciens, scientifiques, journalis-
tes et touristes, tous se pressent au Sval-
bard. Qu’attendre de cette attention
maximale portée à l’archipel très exposé
aux changements climatiques?
La porte d’entrée sur l’Arctique
Effectivement, le réchauffement est plus
important en Arctique que partout
ailleurs. Ses effets y sont donc aussi plus
visibles. Depuis 1980, l’augmentation de
la température moyenne annuelle y a été
deux fois plus importante qu’ailleurs sur
terre. Au Svalbard, on en observe les ef-
fets partout, assure Kim Holmèn, direc-
teur de l’Institut polaire norvégien: «Des
fjords ne gèlent plus, les glaciers fondent,
de nouvelles espèces arrivent. Il y a deux
ans, le maquereau a frayé dans nos fjords
pour la première fois.»
On l’a aussi observé pendant notre
séjour. Le 11 juin, sur l’Isfjorden, une ba-
leine bleue surgit devant notre bateau. En
admiration devant le plus gros animal
ayant jamais vécu sur Terre, nous
oublions presque qu’elle est remontée si
loin au nord trois mois plus tôt que d’ha-
bitude. Un effet du réchauffement.
Le Svalbard a deux atouts pour la re-
cherche.Bien que situé dans les confins
arctiques, l’archipel est facile d’accès et
l’on s’y installe sans obstacles. L’autre
atout est scientifique, explique Kim Hol-
mèn: «Les principaux flux d’énergie,
d’air et d’eau entrant et sortant de l’Arcti-
que passent par le Svalbard. Sa position
centrale est cruciale pour comprendre
toute une série de mécanismes impliqués
dans le changement climatique.»
Au sud du Svalbard, les vents domi-
nants du sud-ouest et la «dérive nord at-
lantique» (branche du Gulf Stream) trans-
Artistes, politiciens, scientifiques et journalistes, tous courent au Svalbard,
au chevet du climat déréglé. Où conduit cette mobilisation internationale?
Kim Holmèn, directeur de l’Institut polaire norvégien, a quarante ans d’expérience avec le changement climatique. Il appelle à «un dialogue constructif».
D v i n a
Pechora
Nouve
lle-Zemble
Svalbard
M
er
de
Barents
Mer du Nord
M
er Baltique Mourmansk
Tromsø
Pyramiden
Arkhangelsk
Oslo
Copenhague Stockholm
Saint-
Pétersbourg
Amderma
Minsk
Kaunas
Riga
Salekhard
NORVÈGE
R U S S I E
FINLANDE
SUÈDE
Cerclepolairearctique
Cerclepolairearctique
2
Longyearbyen
portent de l’air et de l’eau chauds – ainsi
que des polluants – depuis le sud-ouest
vers les régions arctiques. Au nord du
Svalbard, les vents polaires soufflant de
l’est et le courant du Groenland oriental
font l’inverse. Quand on ajoute la flore et
la faune arctiques ainsi que la diversité
géologique du Svalbard, on comprend
pourquoi des chercheurs se sont intéres-
sés à cette terre isolée depuis deux siè-
cles. Une ancienne station météorologi-
que sur le sommet du Nordenskiöldfjellet
(1050 m) témoigne de cet intérêt ancien.
Elle a été dressée là lors de la première
Année polaire internationale, en 1882-
1883. Ces rendez-vous ont d’ailleurs tou-
jours décuplé la curiosité pour l’Arctique.
Science et tam-tam médiatique
Hanne Christiansen, experte en pergéli-
sol à l’Université du Svalbard, nous reçoit
à Longyearbyen. En un peu moins de
quarante minutes, elle essaie de nous ex-
pliquer les subtilités de son domaine de
recherche. Il est difficile d’identifier une
signature claire de l’influence du climat
sur le pergélisol au Svalbard. La grande
variabilité interannuelle des températu-
res dans ce climat maritime, les réponses
variables des différents types de sol aux
températures de l’air et le fait que les
observations dans le sol sont récentes
compliquent la science.
Cette complexité omniprésente dans
la recherche a un effet: «On ne fait pas de
grandes découvertes d’un coup mais la
science progresse à petits pas», souligne
Hanne Christiansen. En revanche, tout le
monde a une opinion sur les change-
ments climatiques. Kim Holmèn, avec ses
quarante ans d’expérience et une grande
sagesse, l’a constaté: «Nous recevons
beaucoup de visiteurs, et nombreux sont
ceuxquiontunagenda.Lesidéesprécon-
çues peuvent être un problème pour la
science.» Il sourit: «La politique a de l’in-
fluence sur la science, mais avec de la
bonne science, basée sur les faits, on es-
père pouvoir influencer la politique.»
Le Conseil de l’Arctique, avec son se-
crétariat permanent à Tromsø en Nor-
vège, est un des cénacles où les cher-
cheurs sont entendus. Mais il lui manque
un réel pouvoir décisionnel. Kim Holmèn
appelle à un dialogue constructif entre
tous les acteurs: «Il n’y a pas de conflit
entre environnement et économie. Nous
devons veiller à ne pas polariser le débat
ni désigner des boucs émissaires. On ne
peut pas dire: «c’est la faute à l’industrie,
ou à la Chine, ou aux Etats-Unis.» En tant
que consommateur, chaque individu fait
ses choix selon ses connaissances. Au-
jourd’hui, on se noie sous un torrent d’in-
formations, alors quelle est la bonne in-
formation qui doit guider nos politiques
et nos choix? Atteindre une confiance
mutuelle accrue serait précieux.»
Le parc climatique Mimisbrunnr
SurlemontGaldhøpiggen,plushautsom-
met de la Norvège, la fonte de la plaque
de glace Juvfonna a libéré des objets ar-
chéologiques reliés à des activités humai-
nes datant de l’âge du bronze. Alarmés
par la rapidité de la fonte de la glace dont
les plus anciennes parties datent d’il y a
6000 ans, les Norvégiens y ont installé un
parc climatique baptisé Mimisbrunnr.
C’est une référence à la source de sagesse
de la mythologie norvégienne. Le sym-
bole ne peut pas être plus clair: ce Mimis-
brunnr moderneavocationde distillerun
peu de sagesse contemporaine.
Déviation de température de la normale
En °C, aéroport du Svalbard, Longyearbyen
L. PORTIER SOURCE: NORWEGIAN METEOROLOGICAL INSTITUTE
6
4
2
0
–2
–4
–6
1900 202020001980196019401920
Plus chaud
Plus froid
U Pour les météorologues du Meteorolo-
gisk Institutt (MET), le début du
printemps au Svalbard coïncide à la
première phase de sept jours consécutifs
avec des températures moyennes
journalières supérieures à zéro degré.
La tendance montre une arrivée du
printemps de plus en plus précoce. En
2016, avec les mois de janvier, février,
mars, avril et mai qui ont, globalement,
tous été les plus chauds depuis le début
des mesures, le printemps au Svalbard a
commencé le 7 mai: un mois plus tôt
que d’habitude.
Reidun Gangstø Skaland et Ketil
Isaksen, du MET, ont des données de
température au Svalbard qui remontent
jusqu’à l’année 1900. «On observe une
hausse de la température dans les
masses d’air venant de toutes les
directions. Cependant, celles circulant en
provenance du nord et de l’est sont les
plus concernées par cette hausse. C’est le
résultat de la fonte de la banquise, avec
plus d’eaux libres au nord et à l’est du
Svalbard.» La disparition de la banquise
participe aussitôt à la hausse accélérée
des températures typiques de l’Arctique.
En effet, la radiation solaire auparavant
réfléchie par la glace est absorbée par
l’océan, qui chauffe à son tour la glace et
l’air. Un mécanisme implacable!
Quant à l’évolution des quantités de
précipitations, il est plus difficile d’y
déceler une tendance. La mesure des
précipitations solides (neige) est
compliquée par l’influence du vent. Une
éventuelle hausse des précipitations
peut être due à une élévation du
nombre d’événements de pluie, dont la
mesure est moins affectée par le vent.
Par contre, la fréquence plus élevée de
ces épisodes de pluie intense en hiver
crée des risques pour les infrastructures
et la société, et aussi pour les rennes.
Avec la couche de glace qui se crée au
sol, les animaux perdent leur accès à la
nourriture.
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