1. Budget : Réalités et Vision.
A Maurice, la présentation d’un budget est synonyme d’une attente des opérateurs économiques,
des fonctionnaires et de la population dans son ensemble. Cependant, on note depuis des années
que le Budget est surtout un exercice de relations publiques pour vanter des termes supposément à
la mode ou pour entretenir l’illusion d’un lendemain meilleur. Tout le monde y va de son compte,
ces fameux auditeurs/comptables, ces autres économistes ou en encore les courtisans d’un jour. On
les connait. Le budget de cette année n’échappe pas à cette règle. Qui se souvient des mesures du
Budget 2014/2015? Les termes qui étaient a la mode l’année dernière ne sont plus les mêmes, par
exemple, l’occurrence du mot ‘ Africa’ dans le texte du budget est significativement réduit. Que
peut-on conclure que l’Afrique n’est plus l’eldorado qu’on voulait nous vendre. Ce sont pour ces
raisons, je pense que le Budget doit rester uniquement un exercice comptable. La politique
économique et les arbitrages à faire doivent etre la prérogative unique du Premier Ministre en
collaboration avec son Ministre des Finances. Sa responsabilité comme Premier Ministre doit être
engagée aussi .Toutefois, essayons d’analyser les grandes tendances de ce Budget.
Faisons l’hypothèse que je suis David Ricardo, et je me retrouve à Maurice en 2016. Je constaterai
que l’économie mauricienne connait une situation assez unique dans son sentier de croissance. Le
pays a une dette significative pour un revenu par tête intermédiaire, un déficit budgétaire proche ou
supérieur à sa croissance annuelle, une balance commerciale structurellement déficitaire et une
inflation essentiellement importée (pétrolier et alimentaire). La productivité est basse voir volatile et
la dépense publique y est croissante. Paradoxalement, l’Etat semble beaucoup moins averse au
risque que le secteur privé. L’Etat est actif dans des domaines ou son efficacité est à démontrer.
Concernant l’emploi, le pays a un chômage structurel et surtout un taux d’inactivité très important
chez les jeunes. L’indice SEMDEX qui regroupe les ‘Blue Chip’ locaux, a pas changé depuis des
années, les grandes compagnies sont toujours les mêmes ce qui démontre que la structure
industrielle de ce pays est basée essentiellement sur de la rente. La théorie économique nous
enseigne qu’une population active croissante et une productivité/innovation sont les paramètres
pour pousser plus loin la frontière de la croissance potentielle. Donc si on suit ces deux facteurs, tout
bon gestionnaire, va mettre tout en œuvre pour augmenter le stock de capital d’un pays grâce à ses
infrastructures et en second lieu adapter de façon constante sa machine de production (le marché
de travail) aux réalités du monde. Du point de vue des économistes, l'élévation du niveau de
formation constitue une source durable de la croissance d'autant plus intéressante que
l'augmentation du stock de capital humain est un processus cumulatif : lorsque des savoirs de base
sont assimilés, il est ensuite plus aisé d'acquérir de nouvelles connaissances. Est-ce que le nouveau
budget contient les reformes qui favoriseront ces paramètres? Analysons quelques points.
Avant toute chose, sachant l’importance du poids d’un gouvernement à Maurice, et la nature
changeante de la population mauricienne, il est réaliste de dire que la fenêtre pour enclencher les
reformes favorable de tout gouvernement fraichement élu est de deux ans. Ce sont les deux
premières années, cette période se caractérise par un capital politique important que tout
gouvernement doit s’empresser pour mettre en œuvre les grandes réformes. Malheureusement,
ces deux ans sont terminés, et le pays connait des affaires qui polluent la mise en place des
reformes.
2. Le secteur financier, qui a tiré sa croissance de son activité offshore mais qui depuis cette année
subit de plein fouet le risque de régulation d’une part des grand pays occidentaux et d’autre part de
l’Inde qui veut capter les revenus fiscaux sur des investissements sur son marché domestique. Les
mesures annoncées pour la finance, tourne autour de l’arbitrage fiscal sur des segments spécifiques
comme par exemple la banque d’investissement. Venant de ce monde, je vois mal comment une
banque d’investissement de réputation standard viendra à Maurice. Les raisons y sont nombreuses
car il existe une méconnaissance totale de ce qu’est la finance de marché à Maurice. Pour attirer,
disons Goldman Sachs a Maurice, il va falloir disposer d’un capital humain de haut niveau, d’un
marché financier digne de ce nom, des banques et des assureurs qui participent à la liquidité des
marches, un savoir-faire dans le domaine des fusions et acquisitions, des sources de financement
alternatives – Private Equity, Business Agnels, Fonds Activiste, d’une autorité régulatrice dotée
d’une expertise solide, qui encourage la prise de risque tout en jouant son rôle de régulateur, des
institutions qui prônent la transparence et surtout un écosystème qui permet l’innovation au sein de
l’industrie financière. La taxe est une des composantes mais ce n’est malheureusement pas la seule.
Le marché de la dette est un paramètre essentiel pour développer son marche financier car tant que
l’intermédiation entre l’investisseur, le preneur de risque, l’entrepreneur et le spéculateur sera
faible, aucun marché financier ne pourra se développer. L’activité dites de Market Making y est
essentielle, la vente à découvert également et le collatéral management aussi. Je note aussi la
création d’un marché dérives, avec un investissement initial de 50 millions de …. Roupies. A
Maurice, pour développer un marché dérives sur les matières premières il va falloir développer ce
qu’on appelle dans le jargon le règlement livraison (clearing and settlement), se doter d’un port
ayant une capacité sans commune mesure à celle qu’on a aujourd’hui pour le marché physique. Au
lieu, de créer un marché dérive local, il serait plus judicieux de faire coter sur des grand marchés,
des titres ou des produits plus complexes ayant comme sous-jacent des actifs mauriciens. On pourra
d’une part donner de la visibilité à des sociétés locales, mais aussi créer une liquidité initiale pour
ensuite la ramener à Maurice quand la création d’un marché sera opportune. Le reste des mesures
sont des initiatives pour encourager l’investissement non productif notamment immobilier. Attirer
des grandes fortunes sans savoir quoi faire de cet argent, est un problème. Il est inutile de passer par
Maurice pour investir dans des fonds BlackRock d’où l’importance d’un marché financier local
dynamique. Les pistes à explorer pour Maurice doivent être la monnaie électronique, la BlockChain
devra être une des pistes et à mon humble avis pour doper la croissance de ce secteur, il faudra
importer des talents étrangers pour qu’un transfert de connaissance puisse se mettre en marche.
Bâtir un secteur financier de réputation régionale ou mondiale demande beaucoup de temps, de la
vision et seuls les centres de profits seront en mesure de le faire. Les activités connexes (avocats,
auditeurs, comptables) seront toujours un élément important mais secondaire.
L’activité industrielle à Maurice est une activité ayant comme principal client le marché
domestique. Certes, Maurice veut être un acteur majeur dans le secteur des services mais le secteur
industriel, manufacturier voir même agricole sont des activités qu’il ne faut surtout pas négliger car
si on veut se prémunir par exemple de l ‘inflation alimentaire importée, il est judicieux d’avoir une
autonomie alimentaire. Le développement du secteur industriel dépend des différents modes de
financement qui sont offerts aux dirigeants. Le crowdfunding et la micro finance doivent faire partie
de la gamme de services qu’offre les banques et les autres acteurs du secteur. Les petites et
moyennes entreprises sont la base même de la vigueur des exportations d’un pays.
Malheureusement, le pays est chroniquement déficitaire ce qui démontre que notre ‘pricing power’
3. est limite. Il n’est pas surprenant que les dirigeants demandent un coup de pousse de la Banque
Centrale pour conserver leurs marges. Au lieu de faire des business parks ou de créer des
organisations publiques, qui engendrent plus de la bureaucratie, il faudrait développer la force de
vente des PME PMI, comment on attaque un marché, les salons ou il faut être, il faut mettre en
place des tableaux de bord pour mesurer l’action commercial de ces entreprises. Ce budget essaie
de donner un cap à ces sociétés mais à mon avis, pour avoir des PME PMI dynamiques, il faut les
faire “chasser en meute”, regrouper tous ces acteurs sous un seul chapiteau( un site détaillé) qui va
donner aux futurs clients les contacts, les services offerts, un point sur la régulation, l’avantage
comparatif pour travailler avec des sociétés mauriciennes, comment rencontrer les commerciaux, les
grands rendez-vous ou ces PME seront présents pour présenter leurs produits ou services. La CMT,
entreprise locale, est un exemple à suivre bien étant dans un secteur ou la compétition est féroce.
Le secteur de la construction est certes important mais son importance est telle qu’il faut se
demander comment ces investissements massifs dans ces projets auront un impact sur la croissance
potentielle. Le taux de rendement de ces projets me rend perplexe. Il est évident qu’il y a un
problème de trafic autoroutier et une ligne Metro Express pourra décongestionner les routes
théoriquement. Comment l’état va financer ces projets? La question d’une taxe sur les propriétaires
fonciers (Land Value Tax) ne doit être plus un sujet tabou. Cependant, le mode de financement sera
encore une fois de la dette. Il aurait été astucieux d’allouer une partie des investissements allant
dans ce secteur à l’amélioration du progrès technique. Le progrès technique est l'ensemble des
savoirs techniques et organisationnels qui permettent de produire plus avec moins de facteurs de
production. Il se traduit donc dans des innovations qui donnent naissance à de nouveaux produits
ou à de nouveaux procédés de production.
Le budget mentionne que rarement les reformes à faire pour l’éducation, la transformation continue
de l’appareil de production est essentielle. Une connexion rapide à un cout minime n’est pas le seul
facteur qui encourage le développement de secteur digital. Il faut créer des développeurs, des
concepteurs et valorises les métiers manuels à haute valeur ajoutée. Comment expliquer que les
diplômes lies à l’économie marine se passe à Réduit ?
Pour augmenter sa croissance, il faut anticiper les grands changements de l’économie mondiale.
L’Ubérisation va devenir une réalité, dans les secteurs comme la banque, le secteur aérien, le
tourisme et les services. Ce budget malheureusement y fait très peu mention, par exemple,
développant ou incitant les acteurs économiques à faire que de l’immobilier, une cannibalisation va
s’opérer avec un arbitrage hôtel-location pour les touristes. L’explosion du modèle des plateformes
est un changement de paradigme économique sans précédent. Pour le comprendre, il faut imaginer
le passage d’un modèle qui tire sa valeur du produit à un modèle qui tire sa valeur de l’écosystème
qu’il permet de construire. Pour encourager ce développement, il faut par exemple adapter notre
politique fiscale, pourquoi ne pas taxer les profits uniquement en période de distribution ? Si ces
mêmes profits sont réinvestis alors la taxe est nulle.
En conclusion, ce budget, certes, ouvre quelques pistes pour transformer l’économie mauricienne
mais les fondamentaux restent tout de même fragiles. Son implémentation dans sa forme actuelle
sera difficile voire impossible. Nos principaux partenaires commerciaux se replient sur eux même et
les grands pays croulent sous une montagne de dette. Les taux à 10 ans sont négatifs dans une large
part du monde développé, la globalisation fait baisser les prix mais accentue les inégalités si
4. l’économie en question est positionne dans une gamme intermédiaire voire basse. Dans cet
environnement, Maurice devra s’adapter, s’ouvrir vraiment aux compétences étrangères, faire des
coupes budgétaires dans le déploiement de l’état providence, constamment adapter son appareil
productif, reformer son secteur éducatif et l’apprentissage technique. Cependant, tout cela
demande du courage politique et une notion forte de la responsabilité personnelle à tous les
niveaux.