SlideShare ist ein Scribd-Unternehmen logo
1 von 4
Downloaden Sie, um offline zu lesen
118 I 9 MAI 2012 I L’EXPRESS N° 3175
Ils ont été l’un des sujets
de la campagne. Chaque
année,150000jeunesquittent
le système scolaire sans
aucun diplôme. A Grenoble,
un collège-lycée original
redonne le goût d’apprendre
aux enfants perdus.
Et les remet sur les rails
de la réussite.
DELPHINE SAUBABER
ET CHLOÉ HENRY
A
l’énoncé du cours,
ce matin, une petite
miseenjambe:lebig-
bang et la naissance
del’univers.«Qu’est-
ce que vous savez de cette his-
toire ?»lancelaprof.Soussonbon-
net,Mathieucouleunœilsoucieux
verslapendule.Bouzid,lui,adéjà
le nez à l’horizontale. Ça fait une
paiequ’iln’apaspenséaubig-bang.
Il n’est pas le seul. Le big-bang,
c’était un peu avant Jésus-Christ
et l’invention du portable ?
Ça va fumer. Mais non. Marie-
Cécile (Bloch) et Dominique
(Bocher),professeursdesciences
de la vie et de la Terre pour l’une,
de physique pour l’autre, font le
coursensembleavecunepatience
dedentellière.Rienneleseffraie,
pas même des années de friche
scolaire. Après une première vie
enlycéeclassique,cespassionnés
d’épistémologie ont trouvé à qui
parler,auClept(collège-lycéeéli-
tairepourtous)deGrenoble:des
jeunesfâchésaveclesavoirbachoté,
la « forteresse enseignante » et
la position assise. Dans le jargon
récréatifdel’Educationnationale,
L’écolequirattrape
SOCIÉTÉ
N° 3175 L’EXPRESS I 9 MAI 2012 I 119
onlesappelleles«décrocheurs».
Ilssontunearmée.FrançoisHol-
lande,encampagne,ajurédedimi-
nuer leur nombre par deux, d’ici
à 2017. C’est devenu une cause
nationale.
Les premiers naufragés
de la crise et du chômage
Le décrocheur n’a pas une tête
de fléau. On l’imagine en casseur
ou sniffeur de colle. C’est un ado,
simplement,quiafréquentél’école
àunrythmedeplusenplusdéfai-
tistepourlaplaquer,unbeaumatin.
Undémissionnairequitranscende
les classes sociales, qui n’a pas
forcément des notes au plancher
ni envie de devenir un cotisant à
laSécuetrêved’autrechose,devant
le tableau noir. Mais de quoi ?
A défaut de le savoir, l’Education
nationale les comptabilise.
Chaque année, ils sont 150 000
– 17 % d’une génération – à quit-
ter le système sans aucune quali-
fication.MêmelatrèsélitisteConfé-
rence des grandes écoles s’est
dit,enfévrier,quece«cancer»ne
peutplusdurer.«Depuisvingtans,
trois millions de jeunes sont sor-
tisdusystèmescolairesansdiplôme.
[…]Unebombesociale»,s’alarme
son manifeste. Car ils sont les
premiers naufragés du chômage,
etdelacrise.EnFrance,quandon
n’a ni diplôme ni son père à la
banqueLazard,onpeutéventuel-
lement postuler à Super U.
A Grenoble, donc, un carré
d’irréductibles tente de rame-
ner, chaque année, une centaine
decesélèvesdanslebaindel’école,
quandtoutlemondevoudraitles
voir en CAP carrosserie. Il faut
allerlechercher,leClept.Dansla
banlieue,quartierdelaVilleneuve,
associéauxémeutesde2010.C’est
là, au premier étage d’une barre
HLM. A première vue, on se dit
qu’on a mis le paquet pour ●●●
‹ SALUTAIRE
Bernard Gerde,
cofondateur du Clept.
L’établissement
fait du cousu main,
et tente, chaque
année, de ramener
une centaine d’élèves
démissionnaires dans
le bain de l’école.
Dans deux mois,
il part à la retraite.
AURÉLIE, 25 ANS.
« En seconde,.
j’ai développé.
une phobie scolaire..
J’avais peur de ne pas.
y arriver, du jugement.
des profs... ».
THIBAUD, 19 ANS.« J’ai décroché.en deuxième année.de BEP, je faisais.semblant d’aller.en cours. Je prenais.le bus à 7 heures.et je rentrais.le soir. ».
lesdécrocheurs
REPORTAGE PHOTO :
SYLVAIN FRAPPAT
POUR L’EXPRESS
logercecollège-lycéeexpé-
rimental. Murs blanc sale, néons
fatigués, ordinateurs d’époque.
Unegrossevoix,untimbrefranc,
ouvert,retentitderrièrelesmurs.
CelledeBernardGerde,quiexplique
à 8 heures du matin Le Horla de
Maupassantàunedizained’élèves.
Ils ont entre 17 et 22 ans ; ils ont
décrochésixmois,unan,troisans.
Ceux-làsonten«modulecollège»,
unsasde«recompression»(soft)
avant de réintégrer une seconde
classique.Ilssonttousvolontaires,
après un entretien, pour obtenir
leurbrevet,leurbac.Lesésamequi
les fera revenir dans la course.
«Quiveutlire ?»Hichamalevé
lamain,lepremier.Undoigttendu
vers le ciel. Un jeune homme
SOCIÉTÉ DÉCROCHEURS
120 I 9 MAI 2M12 I L’EXPRESS N° 3N7Q
de 21 ans. Il pourrait être en fac.
Iltrébucheunpeusurlesmots,se
cramponne à sa feuille comme si
demain en dépendait.
Ilrevientdenullepart,Hicham.
A chaque fois qu’il tente de par-
lerdesonpassélà-bas,enAlgérie,
à son tuteur du Clept, il pleure.
Hébergé par une famille d’adop-
tion à 30 kilomètres de Greno-
ble, il se lève à 5 heures tous les
matinspourvenirici.Ilveutavoir
sonbrevetàlafindel’année,pour
devenirboulanger.Danssonsacà
dos,Hichamtrimballetoussesbul-
letins:«Desrésultatsennetpro-
grès. Beaucoup de sérieux et des
préparations soignées. » 18,5 en
maths.Alafinducours,ensortant,
ils’esttournéverssonprofetillui
a dit, dans un sourire plein de
larmes : « Merci Bernard. »
De ses bahuts d’avant, Florian,
22ans,sesouvientdetouslesnoms
des pions. Trois mots ont scandé
son palmarès : « Dort en classe. »
Ce n’est pas qu’il faisait le zigue
toute la nuit : « Je m’ennuyais en
cours. Je lisais les bouquins chez
moi le soir, quand ça m’intéres-
sait », raconte-t-il, devant la salle
de cours, l’air désemparé et rigo-
lard. Puis, laconique : « Le pro-
blèmedel’école,c’estqu’ellen’ar-
rêtepasderépondreàdesquestions
qu’on ne se pose pas. » Socrate
n’aurait pas mieux dit. « Ici, ça a
fait tilt. Je comprends pourquoi
j’apprends. » Florian en a oublié
sonCAPmécanicienpoidslourds
« mention bien », ses deux ans
degalèrepourtrouverunpatron,
le 3949 de Pôle Emploi – taper 1,
taperdièse,tapersurletypeaugui-
chet–etilnepensequ’àunechose:
devenir astrophysicien. Depuis
tout petit, il regarde les étoiles.
Ici, l’erreur, dédramatisée,
a un « statut ». Ça change
Enattendant,Bernardleuradonné
vingtminutes«pourfaireavancer
le Schmilblick » – disséquer les
temps du Horla. Bernard Gerde
est le cofondateur des lieux avec
Marie-CécileBloch,lepédagogue,
le tuteur, le père qu’on n’a pas
eu,qu’onrêveraitd’avoir.Lacloche,
aussi. Il n’y a pas de sonnerie, ici.
Pasdedirecteurnonplus.Ilyaune
«équipe»de14enseignants,finan-
césparl’Educationnationale,qui
font tout, conseiller d’éducation,
infirmier,concierge.Rienquepis-
ter les absents, c’est du boulot.
Ils ne sont pas trop de deux, le
matin,àsillonnerlecouloiretdécro-
cher méthodiquement leur télé-
phonepoursecognerunjingleen
guise de répondeur.
Au début, en 2000, Bernard et
Marie-Cécilesesontfaittraiterde
dingues:«Ilsnetrouverontjamais
assez d’élèves. Ni de profs pour
être là trente-cinq heures par
semaine![aulieudesdix-huitrégle-
mentaires] » Comptez les cours,
l’initiationàlaphilopourles ●●●
ˆ PASSIONNÉE
Marie-Cécile Bloch,
cofondatrice du Clept,
où elle enseigne
les sciences de la vie
et de la Terre :
« La boîte noire
du décrochage
scolaire, c’est la classe :
ce qui se joue,
ou pas, entre le jeune
et la connaissance. »
●●●
CYRILLE, 19 ANS.
«LeCleptestlemeilleur.
endroit où j’aurais.
pu.tomber. Hier,.
j’ai découvert E = mc2,.
c’était génial ! ».
JOACHIM, 18 ANS.
« En troisième,.
on m’avait endoctriné.
le cerveau comme quoi.
j’étais pas fait.
pour le lycée. ».
SOCIÉTÉ DÉCROCHEURS
122 I 9 MAI 2012 I L’EXPRESS N° 3175
collégiens, les ateliers de
théâtre ou d’archéologie avec un
professionnelextérieur,letutorat
et on en oublie. Quand l’école,
ouverte à tous les vents depuis la
massification,«gèredesflux»tant
bienquemal,ici,onfaitducousu
main. « L’école met des notes,
compte les absences, fait travail-
lerpourpasserdanslaclassesupé-
rieure,ditMarie-CécileBloch.Ici,
nous partons de ce que sont les
élèves,sansenseignementlight.»
Ici, l’erreur, dédramatisée, a un
« statut ». Ça change.
« J’allais au lycée pour pas
qu’on dise que j’y allais pas »
Avant, il faut dire que tout tour-
naitplusrond.Lesélèves,triéssur
levolet,écoutaientleprofquidéli-
vrait la parole sacrée à ses élèves.
Désormais,lesanctuaireestdevenu
un « squat », il faut conquérir les
ouaillesetleursiPhone.Lesécarts
de niveau entre les cracks et les
recalésdelamachineàtriern’ont
jamais été aussi grands. « L’école
a ouvert ses portes pour que tous
lesjeunesyrentrentmaisn’arien
changédesespratiquespourqu’ils
yrestent,résumeBernardGerde.
Bilan:elleproduit,malgréelle,du
décrochage.»VuparSoriane,19 ans,
venud’unlycéede1 500 élèves,ça
donne:«Quandtulâcheslewagon,
t’esmort.»EtAurélie,25ans:«J’al-
lais au lycée pour pas qu’on dise
que j’y allais pas. »
Ondécrochelejouroùonsedit:
« Cette école n’est pas faite pour
moi. » Quant aux enseignants,
combien en entend-on, usés, en
salledesprofs:«Celui-là,iln’est
pasfaitpouralleraubac…»C’est
cequ’onappellel’incompatibilité
réciproque. « Et on croit résou-
drecesmalentendus,relèveMarie-
CécileBloch,enenvoyantauplus
vitecesélèvesauturbin,enappren-
tissage, qui n’est pas l’unique
planche de salut. »
Du haut de ses 16 ans, Joachim
a vite vu l’incompatibilité réci-
proqueentreleBEPmécaniqueet
lui. « En troisième, j’avais genre
11 de moyenne, le conseiller
d’orientation m’a dit : “Tu veux
faire quoi après ?” – Je sais pas. Il
m’aendoctrinélecerveauavecson
BEP, comme quoi j’étais pas fait
pourlelycée,moi,enZEP.Voilàle
topo.»Joachimaarrêté.Direction
le CIO (Centre d’information et
d’orientation),quil’envoieàlaMGI
(Missiongénéraled’in-
sertion)–«unendroit
pourlescassos».«Je
n’avais qu’une envie,
reprendre l’école. Je
me suis inscrit au
Cned,maisc’étaittrop
dur, tout seul. Et puis
j’aitrouvéleClept,sur
un forum, en passant
desnuitsentièressur
Internet. » Son père,
quifaitleménagechez
Leclerc,estfierdelui:
« Passe ton bac mon
fils.»Ilssontnombreux,ici,àavoir
décroché de ce qu’ils ont perçu
comme une voie de garage. Et on
envoitfilsd’inspecteursdel’Edu-
cationnationaleoudeDRH,àcôté
des boursiers ou de ceux qui ont
fait un tour par la case justice.
Dans la promo de Célia, 25 ans,
aujourd’hui en école de journa-
lisme,ilyavaitunebelleéquipede
perdusdevue.Lisa,quiabuggéen
quatrième et soignait son hyper-
sensibilité par les joints, a décro-
ché son bac L au Clept, avec 17
enphilo.EnIUTenvironnement,
cette jolie brune au regard azur
pensedésormais«pousserjusqu’à
la thèse ». Martin, 23 ans, diag-
nostiqué schizophrène, est en
facdephysiqueetappelleencore,
comme pas mal d’anciens, son
tuteurduCleptquandilenabesoin.
Mathieu,26ans,qui,lui,adécroché
de l’école des décrochés, comme
une dizaine de cas chaque année,
estdevenucaporal.Adlen,26ans,
mère au RMI et père décédé, qui
avaitdûarrêterlelycéepourlivrer
despizzas,arecommencéàrêver:
« Avec mon bac S, je
peuxalleràlafac,pas-
serdesconcours…J’ai
desoptionspossibles»,
s’émerveille-t-il,lefeu
aux joues. Quant à
Andry,27ans,enstage
dansuneradio,leClept
l’a « réconcilié avec
l’Educationnationale».
On se demande bien
pourquoi,avecde75%
à 85 % de réussite au
bac, le Clept, « expé-
rimental»auboutde
douzeans,n’apasessaimé–ilyen
a trois en France. « On dérange
troplespratiquesdel’écoleetdes
profs,répondBernardGerde.C’est
uneaffairedevolontépolitique.»
Au mur du bahut, les profs ont
affiché les plus beaux textes des
élèves,issusdela«boutiqued’écri-
ture»–un«cours»dedeuxheures
par semaine pour surmonter le
douloureux passage à l’écrit sco-
laire,normatif.Ecrireuntextequi
commence par « Je suis… » ; un
pitch de roman noir, un discours
en langue de bois, ou bien façon
Robert Desnos. Jongler avec les
mots. Les leurs sont des perles,
nappées d’innocence, d’évasion,
d’oubli, de Nutella et de string.
La«boutique»,Sophiel’attend,
chaquesemaine.Deuxyeuxnoirs
qui interrogent l’espoir. Sophie,
21ans,passesontempsàliredela
philo.Calesurlesadditions.C’est
pourçaqu’onl’aenvoyéeen«secré-
tariat-comptabilité»,aprèslatroi-
sième.Plutôtenquillerdesménages.
Des heures vides. « Au bout de
trois ans, je n’en pouvais plus de
ne rien faire, d’être en dehors du
système,dit-elle,timide.AuClept,
j’ai retrouvé le goût de me lever
le matin. »
Lejour,Sophieapprend.Lanuit,
elle écrit. Un livre de poèmes,
des notes bleues qui racontent le
malheur. Les coups. Un galop sur
l’infini. ● D. S.ET C. H.
●●●
TUTORAT
Ils ont décroché
depuis six mois,
un an, voire plus,
du système scolaire
traditionnel. Mais,
au Clept, ils sont
tous volontaires,
et acceptés, ou non,
après un entretien
de motivation.
«Je n’en
pouvais plus
d’être
en dehors
du système.
Au Clept,
j’ai retrouvé
le goût
de me lever
le matin. »
Selon le dernier
rapport de l’OCDE,
en 2011, le taux
de scolarisation
des 15-19 ans a reculé,
en France, de 89 à 84%
entre1995 et2009,
alors qu’il augmentait
de 9,3 points dans
l’OCDE (de 74%
à 83 %). Le chômage
des moins de 25 ans
est de 23% en France.
Et l’Hexagone est
champion de l’inégalité
scolaire. En matière
de compréhension
de l’écrit, l’écart
de score entre élèves
issus de milieux socio-
économiques différents
y est supérieur
de 30% à la moyenne
de l’OCDE. Il n’y a
qu’un pays où le milieu
familial pèse plus:
la Nouvelle-Zélande…
Inégalité
scolaire :
la France 1re

Weitere ähnliche Inhalte

Andere mochten auch

3º2_Física_Corrente Elétrica
3º2_Física_Corrente Elétrica3º2_Física_Corrente Elétrica
3º2_Física_Corrente Elétrica
JAPRIME
 
Rendicion de-cuentas-concejalardila-2013
Rendicion de-cuentas-concejalardila-2013Rendicion de-cuentas-concejalardila-2013
Rendicion de-cuentas-concejalardila-2013
johannsmithr
 
Trabajo 2 corte gestion por competencias
Trabajo 2 corte gestion por competenciasTrabajo 2 corte gestion por competencias
Trabajo 2 corte gestion por competencias
jvargas09
 
El bullying en la escuela
El bullying en la escuelaEl bullying en la escuela
El bullying en la escuela
NJpriscila
 

Andere mochten auch (20)

FLEGT C.I. - SPIB
FLEGT C.I. - SPIBFLEGT C.I. - SPIB
FLEGT C.I. - SPIB
 
Los Autos
Los Autos Los Autos
Los Autos
 
nuevas tecnologías a nivel latinoamericano y mundial
nuevas tecnologías  a nivel latinoamericano y mundial nuevas tecnologías  a nivel latinoamericano y mundial
nuevas tecnologías a nivel latinoamericano y mundial
 
Bases legales concurso #urgoprotectsbimba
Bases legales concurso #urgoprotectsbimbaBases legales concurso #urgoprotectsbimba
Bases legales concurso #urgoprotectsbimba
 
5646
56465646
5646
 
Estructuraatomicadelamateriayparticulassubatomica 141012125400-conversion-gate01
Estructuraatomicadelamateriayparticulassubatomica 141012125400-conversion-gate01Estructuraatomicadelamateriayparticulassubatomica 141012125400-conversion-gate01
Estructuraatomicadelamateriayparticulassubatomica 141012125400-conversion-gate01
 
Redes sociales- Idaira & Lidia
Redes sociales- Idaira & LidiaRedes sociales- Idaira & Lidia
Redes sociales- Idaira & Lidia
 
Practica1 vistas
Practica1 vistasPractica1 vistas
Practica1 vistas
 
La tragèdia de Llinars
La tragèdia de LlinarsLa tragèdia de Llinars
La tragèdia de Llinars
 
3º2_Física_Corrente Elétrica
3º2_Física_Corrente Elétrica3º2_Física_Corrente Elétrica
3º2_Física_Corrente Elétrica
 
Práctica vistas
Práctica vistasPráctica vistas
Práctica vistas
 
Tarea2
Tarea2Tarea2
Tarea2
 
Herramientas en excel
Herramientas en excelHerramientas en excel
Herramientas en excel
 
Solutions réalisation du site intranet de la SGCB
Solutions réalisation du site intranet de la SGCBSolutions réalisation du site intranet de la SGCB
Solutions réalisation du site intranet de la SGCB
 
Presentacion tendencias de administracion
Presentacion tendencias de administracionPresentacion tendencias de administracion
Presentacion tendencias de administracion
 
Rendicion de-cuentas-concejalardila-2013
Rendicion de-cuentas-concejalardila-2013Rendicion de-cuentas-concejalardila-2013
Rendicion de-cuentas-concejalardila-2013
 
Trabajo 2 corte gestion por competencias
Trabajo 2 corte gestion por competenciasTrabajo 2 corte gestion por competencias
Trabajo 2 corte gestion por competencias
 
Chapitre 1 introgestion projetduction à la gestion de projet [mode de compat...
Chapitre 1  introgestion projetduction à la gestion de projet [mode de compat...Chapitre 1  introgestion projetduction à la gestion de projet [mode de compat...
Chapitre 1 introgestion projetduction à la gestion de projet [mode de compat...
 
El bullying en la escuela
El bullying en la escuelaEl bullying en la escuela
El bullying en la escuela
 
Proyecto empresarial continua
Proyecto empresarial continuaProyecto empresarial continua
Proyecto empresarial continua
 

Ähnlich wie L'école qui rattrape les décrocheurs

Extrait du livre "LES DIFFICULTES DE ZOE"
Extrait du livre "LES DIFFICULTES DE ZOE"Extrait du livre "LES DIFFICULTES DE ZOE"
Extrait du livre "LES DIFFICULTES DE ZOE"
Hop'Toys
 
Cahier-des-Écoles-N2
Cahier-des-Écoles-N2Cahier-des-Écoles-N2
Cahier-des-Écoles-N2
Loubna Chatta
 
L'histoirede jojo
L'histoirede jojoL'histoirede jojo
L'histoirede jojo
iodinou
 
Fenêtre ouverte sur l’école maternelle
Fenêtre ouverte sur l’école maternelleFenêtre ouverte sur l’école maternelle
Fenêtre ouverte sur l’école maternelle
communemettet
 
Reportage Adultes en reprise d'étude
Reportage Adultes en reprise d'étudeReportage Adultes en reprise d'étude
Reportage Adultes en reprise d'étude
Delphine Schlesser
 
Du stage... au reportage
Du stage... au reportageDu stage... au reportage
Du stage... au reportage
docdarius
 

Ähnlich wie L'école qui rattrape les décrocheurs (20)

Extrait du livre "LES DIFFICULTES DE ZOE"
Extrait du livre "LES DIFFICULTES DE ZOE"Extrait du livre "LES DIFFICULTES DE ZOE"
Extrait du livre "LES DIFFICULTES DE ZOE"
 
Cahier-des-Écoles-N2
Cahier-des-Écoles-N2Cahier-des-Écoles-N2
Cahier-des-Écoles-N2
 
HOP'TOYS Revue de presse janvier - aout 2016
HOP'TOYS Revue de presse janvier - aout 2016HOP'TOYS Revue de presse janvier - aout 2016
HOP'TOYS Revue de presse janvier - aout 2016
 
Presoutilsmisenplace
PresoutilsmisenplacePresoutilsmisenplace
Presoutilsmisenplace
 
L'histoirede jojo
L'histoirede jojoL'histoirede jojo
L'histoirede jojo
 
Jeunes diplômés au chômage
Jeunes diplômés au chômageJeunes diplômés au chômage
Jeunes diplômés au chômage
 
Qui lit, grandit!
Qui lit, grandit! Qui lit, grandit!
Qui lit, grandit!
 
Qui lit, grandit! déc. 15
 Qui lit, grandit! déc. 15 Qui lit, grandit! déc. 15
Qui lit, grandit! déc. 15
 
Comprendre la violence pour en sortir
Comprendre la violence pour en sortirComprendre la violence pour en sortir
Comprendre la violence pour en sortir
 
Fenêtre ouverte sur l’école maternelle
Fenêtre ouverte sur l’école maternelleFenêtre ouverte sur l’école maternelle
Fenêtre ouverte sur l’école maternelle
 
Reportage Adultes en reprise d'étude
Reportage Adultes en reprise d'étudeReportage Adultes en reprise d'étude
Reportage Adultes en reprise d'étude
 
Du stage... au reportage
Du stage... au reportageDu stage... au reportage
Du stage... au reportage
 
Acb qui lit, grandit! été 2016
Acb qui lit, grandit! été 2016Acb qui lit, grandit! été 2016
Acb qui lit, grandit! été 2016
 
Qui lit, grandit! été 2016
Qui lit, grandit! été 2016Qui lit, grandit! été 2016
Qui lit, grandit! été 2016
 
Fiche pedagogique La grande ecole (Fonfon) prescolaire
Fiche pedagogique La grande ecole (Fonfon) prescolaireFiche pedagogique La grande ecole (Fonfon) prescolaire
Fiche pedagogique La grande ecole (Fonfon) prescolaire
 
L'école sévit contre les lolitas
L'école sévit contre les lolitasL'école sévit contre les lolitas
L'école sévit contre les lolitas
 
Carnet ouvrez les yeux web
Carnet ouvrez les yeux webCarnet ouvrez les yeux web
Carnet ouvrez les yeux web
 
Les perles des profs
Les perles des profsLes perles des profs
Les perles des profs
 
« Ditigal Way of Life 1 » d'Estelle Tharreau
« Ditigal Way of Life 1 » d'Estelle Tharreau« Ditigal Way of Life 1 » d'Estelle Tharreau
« Ditigal Way of Life 1 » d'Estelle Tharreau
 
Qui lit, grandit! février 2016
Qui lit, grandit! février 2016Qui lit, grandit! février 2016
Qui lit, grandit! février 2016
 

Mehr von Chlo Henry

AUDREY HEPBURN
AUDREY HEPBURNAUDREY HEPBURN
AUDREY HEPBURN
Chlo Henry
 
DIRECTRICE DE L'ENA
DIRECTRICE DE L'ENADIRECTRICE DE L'ENA
DIRECTRICE DE L'ENA
Chlo Henry
 
CONTRE LES INJONCTIONS 1
CONTRE LES INJONCTIONS 1CONTRE LES INJONCTIONS 1
CONTRE LES INJONCTIONS 1
Chlo Henry
 
FILLES ET MATH 4
FILLES ET MATH 4FILLES ET MATH 4
FILLES ET MATH 4
Chlo Henry
 
L'eden, c'est les autres
L'eden, c'est les autresL'eden, c'est les autres
L'eden, c'est les autres
Chlo Henry
 
Management à la mode éléctro
Management à la mode éléctroManagement à la mode éléctro
Management à la mode éléctro
Chlo Henry
 
Mort d'une gendarme en colère
Mort d'une gendarme en colèreMort d'une gendarme en colère
Mort d'une gendarme en colère
Chlo Henry
 
Les harcelées sans droits ni loi
Les harcelées sans droits ni loiLes harcelées sans droits ni loi
Les harcelées sans droits ni loi
Chlo Henry
 

Mehr von Chlo Henry (9)

AUDREY HEPBURN
AUDREY HEPBURNAUDREY HEPBURN
AUDREY HEPBURN
 
AMINA 2
AMINA 2AMINA 2
AMINA 2
 
DIRECTRICE DE L'ENA
DIRECTRICE DE L'ENADIRECTRICE DE L'ENA
DIRECTRICE DE L'ENA
 
CONTRE LES INJONCTIONS 1
CONTRE LES INJONCTIONS 1CONTRE LES INJONCTIONS 1
CONTRE LES INJONCTIONS 1
 
FILLES ET MATH 4
FILLES ET MATH 4FILLES ET MATH 4
FILLES ET MATH 4
 
L'eden, c'est les autres
L'eden, c'est les autresL'eden, c'est les autres
L'eden, c'est les autres
 
Management à la mode éléctro
Management à la mode éléctroManagement à la mode éléctro
Management à la mode éléctro
 
Mort d'une gendarme en colère
Mort d'une gendarme en colèreMort d'une gendarme en colère
Mort d'une gendarme en colère
 
Les harcelées sans droits ni loi
Les harcelées sans droits ni loiLes harcelées sans droits ni loi
Les harcelées sans droits ni loi
 

L'école qui rattrape les décrocheurs

  • 1. 118 I 9 MAI 2012 I L’EXPRESS N° 3175 Ils ont été l’un des sujets de la campagne. Chaque année,150000jeunesquittent le système scolaire sans aucun diplôme. A Grenoble, un collège-lycée original redonne le goût d’apprendre aux enfants perdus. Et les remet sur les rails de la réussite. DELPHINE SAUBABER ET CHLOÉ HENRY A l’énoncé du cours, ce matin, une petite miseenjambe:lebig- bang et la naissance del’univers.«Qu’est- ce que vous savez de cette his- toire ?»lancelaprof.Soussonbon- net,Mathieucouleunœilsoucieux verslapendule.Bouzid,lui,adéjà le nez à l’horizontale. Ça fait une paiequ’iln’apaspenséaubig-bang. Il n’est pas le seul. Le big-bang, c’était un peu avant Jésus-Christ et l’invention du portable ? Ça va fumer. Mais non. Marie- Cécile (Bloch) et Dominique (Bocher),professeursdesciences de la vie et de la Terre pour l’une, de physique pour l’autre, font le coursensembleavecunepatience dedentellière.Rienneleseffraie, pas même des années de friche scolaire. Après une première vie enlycéeclassique,cespassionnés d’épistémologie ont trouvé à qui parler,auClept(collège-lycéeéli- tairepourtous)deGrenoble:des jeunesfâchésaveclesavoirbachoté, la « forteresse enseignante » et la position assise. Dans le jargon récréatifdel’Educationnationale, L’écolequirattrape SOCIÉTÉ
  • 2. N° 3175 L’EXPRESS I 9 MAI 2012 I 119 onlesappelleles«décrocheurs». Ilssontunearmée.FrançoisHol- lande,encampagne,ajurédedimi- nuer leur nombre par deux, d’ici à 2017. C’est devenu une cause nationale. Les premiers naufragés de la crise et du chômage Le décrocheur n’a pas une tête de fléau. On l’imagine en casseur ou sniffeur de colle. C’est un ado, simplement,quiafréquentél’école àunrythmedeplusenplusdéfai- tistepourlaplaquer,unbeaumatin. Undémissionnairequitranscende les classes sociales, qui n’a pas forcément des notes au plancher ni envie de devenir un cotisant à laSécuetrêved’autrechose,devant le tableau noir. Mais de quoi ? A défaut de le savoir, l’Education nationale les comptabilise. Chaque année, ils sont 150 000 – 17 % d’une génération – à quit- ter le système sans aucune quali- fication.MêmelatrèsélitisteConfé- rence des grandes écoles s’est dit,enfévrier,quece«cancer»ne peutplusdurer.«Depuisvingtans, trois millions de jeunes sont sor- tisdusystèmescolairesansdiplôme. […]Unebombesociale»,s’alarme son manifeste. Car ils sont les premiers naufragés du chômage, etdelacrise.EnFrance,quandon n’a ni diplôme ni son père à la banqueLazard,onpeutéventuel- lement postuler à Super U. A Grenoble, donc, un carré d’irréductibles tente de rame- ner, chaque année, une centaine decesélèvesdanslebaindel’école, quandtoutlemondevoudraitles voir en CAP carrosserie. Il faut allerlechercher,leClept.Dansla banlieue,quartierdelaVilleneuve, associéauxémeutesde2010.C’est là, au premier étage d’une barre HLM. A première vue, on se dit qu’on a mis le paquet pour ●●● ‹ SALUTAIRE Bernard Gerde, cofondateur du Clept. L’établissement fait du cousu main, et tente, chaque année, de ramener une centaine d’élèves démissionnaires dans le bain de l’école. Dans deux mois, il part à la retraite. AURÉLIE, 25 ANS. « En seconde,. j’ai développé. une phobie scolaire.. J’avais peur de ne pas. y arriver, du jugement. des profs... ». THIBAUD, 19 ANS.« J’ai décroché.en deuxième année.de BEP, je faisais.semblant d’aller.en cours. Je prenais.le bus à 7 heures.et je rentrais.le soir. ». lesdécrocheurs REPORTAGE PHOTO : SYLVAIN FRAPPAT POUR L’EXPRESS
  • 3. logercecollège-lycéeexpé- rimental. Murs blanc sale, néons fatigués, ordinateurs d’époque. Unegrossevoix,untimbrefranc, ouvert,retentitderrièrelesmurs. CelledeBernardGerde,quiexplique à 8 heures du matin Le Horla de Maupassantàunedizained’élèves. Ils ont entre 17 et 22 ans ; ils ont décrochésixmois,unan,troisans. Ceux-làsonten«modulecollège», unsasde«recompression»(soft) avant de réintégrer une seconde classique.Ilssonttousvolontaires, après un entretien, pour obtenir leurbrevet,leurbac.Lesésamequi les fera revenir dans la course. «Quiveutlire ?»Hichamalevé lamain,lepremier.Undoigttendu vers le ciel. Un jeune homme SOCIÉTÉ DÉCROCHEURS 120 I 9 MAI 2M12 I L’EXPRESS N° 3N7Q de 21 ans. Il pourrait être en fac. Iltrébucheunpeusurlesmots,se cramponne à sa feuille comme si demain en dépendait. Ilrevientdenullepart,Hicham. A chaque fois qu’il tente de par- lerdesonpassélà-bas,enAlgérie, à son tuteur du Clept, il pleure. Hébergé par une famille d’adop- tion à 30 kilomètres de Greno- ble, il se lève à 5 heures tous les matinspourvenirici.Ilveutavoir sonbrevetàlafindel’année,pour devenirboulanger.Danssonsacà dos,Hichamtrimballetoussesbul- letins:«Desrésultatsennetpro- grès. Beaucoup de sérieux et des préparations soignées. » 18,5 en maths.Alafinducours,ensortant, ils’esttournéverssonprofetillui a dit, dans un sourire plein de larmes : « Merci Bernard. » De ses bahuts d’avant, Florian, 22ans,sesouvientdetouslesnoms des pions. Trois mots ont scandé son palmarès : « Dort en classe. » Ce n’est pas qu’il faisait le zigue toute la nuit : « Je m’ennuyais en cours. Je lisais les bouquins chez moi le soir, quand ça m’intéres- sait », raconte-t-il, devant la salle de cours, l’air désemparé et rigo- lard. Puis, laconique : « Le pro- blèmedel’école,c’estqu’ellen’ar- rêtepasderépondreàdesquestions qu’on ne se pose pas. » Socrate n’aurait pas mieux dit. « Ici, ça a fait tilt. Je comprends pourquoi j’apprends. » Florian en a oublié sonCAPmécanicienpoidslourds « mention bien », ses deux ans degalèrepourtrouverunpatron, le 3949 de Pôle Emploi – taper 1, taperdièse,tapersurletypeaugui- chet–etilnepensequ’àunechose: devenir astrophysicien. Depuis tout petit, il regarde les étoiles. Ici, l’erreur, dédramatisée, a un « statut ». Ça change Enattendant,Bernardleuradonné vingtminutes«pourfaireavancer le Schmilblick » – disséquer les temps du Horla. Bernard Gerde est le cofondateur des lieux avec Marie-CécileBloch,lepédagogue, le tuteur, le père qu’on n’a pas eu,qu’onrêveraitd’avoir.Lacloche, aussi. Il n’y a pas de sonnerie, ici. Pasdedirecteurnonplus.Ilyaune «équipe»de14enseignants,finan- césparl’Educationnationale,qui font tout, conseiller d’éducation, infirmier,concierge.Rienquepis- ter les absents, c’est du boulot. Ils ne sont pas trop de deux, le matin,àsillonnerlecouloiretdécro- cher méthodiquement leur télé- phonepoursecognerunjingleen guise de répondeur. Au début, en 2000, Bernard et Marie-Cécilesesontfaittraiterde dingues:«Ilsnetrouverontjamais assez d’élèves. Ni de profs pour être là trente-cinq heures par semaine![aulieudesdix-huitrégle- mentaires] » Comptez les cours, l’initiationàlaphilopourles ●●● ˆ PASSIONNÉE Marie-Cécile Bloch, cofondatrice du Clept, où elle enseigne les sciences de la vie et de la Terre : « La boîte noire du décrochage scolaire, c’est la classe : ce qui se joue, ou pas, entre le jeune et la connaissance. » ●●● CYRILLE, 19 ANS. «LeCleptestlemeilleur. endroit où j’aurais. pu.tomber. Hier,. j’ai découvert E = mc2,. c’était génial ! ». JOACHIM, 18 ANS. « En troisième,. on m’avait endoctriné. le cerveau comme quoi. j’étais pas fait. pour le lycée. ».
  • 4. SOCIÉTÉ DÉCROCHEURS 122 I 9 MAI 2012 I L’EXPRESS N° 3175 collégiens, les ateliers de théâtre ou d’archéologie avec un professionnelextérieur,letutorat et on en oublie. Quand l’école, ouverte à tous les vents depuis la massification,«gèredesflux»tant bienquemal,ici,onfaitducousu main. « L’école met des notes, compte les absences, fait travail- lerpourpasserdanslaclassesupé- rieure,ditMarie-CécileBloch.Ici, nous partons de ce que sont les élèves,sansenseignementlight.» Ici, l’erreur, dédramatisée, a un « statut ». Ça change. « J’allais au lycée pour pas qu’on dise que j’y allais pas » Avant, il faut dire que tout tour- naitplusrond.Lesélèves,triéssur levolet,écoutaientleprofquidéli- vrait la parole sacrée à ses élèves. Désormais,lesanctuaireestdevenu un « squat », il faut conquérir les ouaillesetleursiPhone.Lesécarts de niveau entre les cracks et les recalésdelamachineàtriern’ont jamais été aussi grands. « L’école a ouvert ses portes pour que tous lesjeunesyrentrentmaisn’arien changédesespratiquespourqu’ils yrestent,résumeBernardGerde. Bilan:elleproduit,malgréelle,du décrochage.»VuparSoriane,19 ans, venud’unlycéede1 500 élèves,ça donne:«Quandtulâcheslewagon, t’esmort.»EtAurélie,25ans:«J’al- lais au lycée pour pas qu’on dise que j’y allais pas. » Ondécrochelejouroùonsedit: « Cette école n’est pas faite pour moi. » Quant aux enseignants, combien en entend-on, usés, en salledesprofs:«Celui-là,iln’est pasfaitpouralleraubac…»C’est cequ’onappellel’incompatibilité réciproque. « Et on croit résou- drecesmalentendus,relèveMarie- CécileBloch,enenvoyantauplus vitecesélèvesauturbin,enappren- tissage, qui n’est pas l’unique planche de salut. » Du haut de ses 16 ans, Joachim a vite vu l’incompatibilité réci- proqueentreleBEPmécaniqueet lui. « En troisième, j’avais genre 11 de moyenne, le conseiller d’orientation m’a dit : “Tu veux faire quoi après ?” – Je sais pas. Il m’aendoctrinélecerveauavecson BEP, comme quoi j’étais pas fait pourlelycée,moi,enZEP.Voilàle topo.»Joachimaarrêté.Direction le CIO (Centre d’information et d’orientation),quil’envoieàlaMGI (Missiongénéraled’in- sertion)–«unendroit pourlescassos».«Je n’avais qu’une envie, reprendre l’école. Je me suis inscrit au Cned,maisc’étaittrop dur, tout seul. Et puis j’aitrouvéleClept,sur un forum, en passant desnuitsentièressur Internet. » Son père, quifaitleménagechez Leclerc,estfierdelui: « Passe ton bac mon fils.»Ilssontnombreux,ici,àavoir décroché de ce qu’ils ont perçu comme une voie de garage. Et on envoitfilsd’inspecteursdel’Edu- cationnationaleoudeDRH,àcôté des boursiers ou de ceux qui ont fait un tour par la case justice. Dans la promo de Célia, 25 ans, aujourd’hui en école de journa- lisme,ilyavaitunebelleéquipede perdusdevue.Lisa,quiabuggéen quatrième et soignait son hyper- sensibilité par les joints, a décro- ché son bac L au Clept, avec 17 enphilo.EnIUTenvironnement, cette jolie brune au regard azur pensedésormais«pousserjusqu’à la thèse ». Martin, 23 ans, diag- nostiqué schizophrène, est en facdephysiqueetappelleencore, comme pas mal d’anciens, son tuteurduCleptquandilenabesoin. Mathieu,26ans,qui,lui,adécroché de l’école des décrochés, comme une dizaine de cas chaque année, estdevenucaporal.Adlen,26ans, mère au RMI et père décédé, qui avaitdûarrêterlelycéepourlivrer despizzas,arecommencéàrêver: « Avec mon bac S, je peuxalleràlafac,pas- serdesconcours…J’ai desoptionspossibles», s’émerveille-t-il,lefeu aux joues. Quant à Andry,27ans,enstage dansuneradio,leClept l’a « réconcilié avec l’Educationnationale». On se demande bien pourquoi,avecde75% à 85 % de réussite au bac, le Clept, « expé- rimental»auboutde douzeans,n’apasessaimé–ilyen a trois en France. « On dérange troplespratiquesdel’écoleetdes profs,répondBernardGerde.C’est uneaffairedevolontépolitique.» Au mur du bahut, les profs ont affiché les plus beaux textes des élèves,issusdela«boutiqued’écri- ture»–un«cours»dedeuxheures par semaine pour surmonter le douloureux passage à l’écrit sco- laire,normatif.Ecrireuntextequi commence par « Je suis… » ; un pitch de roman noir, un discours en langue de bois, ou bien façon Robert Desnos. Jongler avec les mots. Les leurs sont des perles, nappées d’innocence, d’évasion, d’oubli, de Nutella et de string. La«boutique»,Sophiel’attend, chaquesemaine.Deuxyeuxnoirs qui interrogent l’espoir. Sophie, 21ans,passesontempsàliredela philo.Calesurlesadditions.C’est pourçaqu’onl’aenvoyéeen«secré- tariat-comptabilité»,aprèslatroi- sième.Plutôtenquillerdesménages. Des heures vides. « Au bout de trois ans, je n’en pouvais plus de ne rien faire, d’être en dehors du système,dit-elle,timide.AuClept, j’ai retrouvé le goût de me lever le matin. » Lejour,Sophieapprend.Lanuit, elle écrit. Un livre de poèmes, des notes bleues qui racontent le malheur. Les coups. Un galop sur l’infini. ● D. S.ET C. H. ●●● TUTORAT Ils ont décroché depuis six mois, un an, voire plus, du système scolaire traditionnel. Mais, au Clept, ils sont tous volontaires, et acceptés, ou non, après un entretien de motivation. «Je n’en pouvais plus d’être en dehors du système. Au Clept, j’ai retrouvé le goût de me lever le matin. » Selon le dernier rapport de l’OCDE, en 2011, le taux de scolarisation des 15-19 ans a reculé, en France, de 89 à 84% entre1995 et2009, alors qu’il augmentait de 9,3 points dans l’OCDE (de 74% à 83 %). Le chômage des moins de 25 ans est de 23% en France. Et l’Hexagone est champion de l’inégalité scolaire. En matière de compréhension de l’écrit, l’écart de score entre élèves issus de milieux socio- économiques différents y est supérieur de 30% à la moyenne de l’OCDE. Il n’y a qu’un pays où le milieu familial pèse plus: la Nouvelle-Zélande… Inégalité scolaire : la France 1re