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Faculté d’Éducation Permanente
« EXPLORATION DU PAYSAGE PHILANTHROPIQUE
QUÉBÉCOIS À L’ÈRE DIGITALE MONDIALE :
ÉTAT DES LIEUX ET PERSPECTIVES »
Professeur chargé de cours :
Pierre-Marie Cotte
Dans le cadre du cours
PHE3030 : Activité d’intégration
du
Certificat en gestion philanthropique
Charlène Petit
Décembre 2015
Exploration du paysage philanthropique Québécois à l’ère digitale mondiale: état des lieux et perspectives
© Charlène Petit - Décembre 2015 2
Avant-propos	
L’activité d’intégration est une démarche de fin de programme qui vise à intégrer les
apprentissages, les notions étudiées ainsi que les habiletés nécessaires pour élaborer des
stratégies de sollicitation pertinentes en regard des contextes spécifiques. Ce travail
réalisé à la session d’automne 2015, sans avoir la possibilité ni la prétention de
l'exhaustivité, constitue l’amorce d’une réflexion sur le positionnement de l’industrie
philanthropique par rapport aux tendances digitales. J’ai eu le privilège de rencontrer trois
acteurs du terrain afin d’explorer ma problématique. Je tiens à remercier ici
chaleureusement Martin Goyette, Adeline Caron et Sacha Declomesnil pour leur aide
généreuse et le partage de leur expertise. Voici leur parcours :
Martin Goyette
Après avoir travaillé en marketing pendant 15 ans au sein d’entreprises à vocation
commerciale, Martin Goyette décide en 2008 de poursuivre sa carrière dans le domaine
des organismes à but non lucratif après avoir eu une révélation suite à sa participation au
Défi têtes rasées Leucan. Il découvre à ce moment-là le peer-to-peer et la collecte de
fonds en ligne. Il intègre l’agence de conseil en marketing philanthropique Tactic Direct
qu’il quitte au bout de quelques années pour rejoindre la cause du Club des petits
déjeuners en tant que responsable du développement philanthropique au niveau du
Québec, puis au niveau national. En 2015, il prend la direction générale de la Fondation
Jovia. Martin Goyette est l’auteur du blogue La philanthropie au Québec, portant sur les
meilleures pratiques en marketing pour le financement des OBNL, la mobilisation du
grand public et la philanthropie corporative. J’ai choisi de rencontrer cette personne pour
sa double culture des secteurs lucratif et non lucratif et sa connaissance approfondie de la
transposition des outils marketing dans l’écosystème philanthropique.
Adeline Caron
Adeline Caron œuvre dans le monde numérique depuis 1999. Consultante en
philanthropie digitale depuis 2013, elle implante les systèmes Google for nonprofit et les
campagnes Peer-to-Peer au sein des organisations. Elle exerce également son expertise au
Exploration du paysage philanthropique Québécois à l’ère digitale mondiale: état des lieux et perspectives
© Charlène Petit - Décembre 2015 3
niveau stratégique en les conseillant sur l’amélioration continue des procédures et
l’automatisation des processus. Parmi ses clients figurent le Club des petits déjeuners, la
Fondation Miriam, la Fondation Accueil Bonneau. En 2010, elle a initié le virage web de
la Fondation CHU Sainte-Justine où elle a implanté une quinzaine de microsites de
financement annuels qui ont permis d’augmenter de 250% les dons en ligne en l’espace
de 3 ans. Elle a collaboré avec la Fondation de l’Hôpital de Montréal pour enfants dans le
cadre d’activités-bénéfice et siégé sur différents comités, entre autres, pour la Fondation
OLO, la Fondation du centre jeunesse de Montréal et la Fondation du Dr. Julien. Son
témoignage me paraissait intéressant à recueillir compte tenu de son rôle de conseillère en
diagnostic organisationnel et de son retour d’expérience sur l’état des besoins et des
ressources au sein des organisations.
Sacha Declomesnil
Sacha Declomesnil est un stratège web qui a travaillé pendant une quinzaine d’années
pour les plus grandes agences au pays : Publicis Canada, TBWA ou encore Sid Lee. Il est
par la suite devenu directeur marketing pour le portail passeportsanté, une initiative de la
Fondation Lucie et André Chagnon. Il se lance dans le consulting pour des agences et des
ONG, et crée le département des communications interactives de Radio-Canada dont il
est le tout premier directeur. Il dirige ensuite la planification stratégique interactive de
l’agence Brad, pour ses bureaux de Montréal et de Québec. Dernièrement, il a ouvert le
bureau montréalais de O2web, une firme de développement web. L’agence a été
récemment mandatée par la Fondation du cancer du sein du Québec pour concevoir une
nouvelle plateforme numérique intégrée. Elle sera responsable de la refonte de sa
boutique en ligne, de la conception d’une plateforme de dons par les pairs et de la refonte
complète du site web. Passionné de stratégies interactives, Sacha Declomesnil est l’auteur
du blogue Überwe. Il a également blogué sur la philanthropie 2.0 sur le portail français
Youphil.com après avoir tenu pendant 5 ans le blogue La fontaine de pierres.
J’adresse également mes remerciements à mon chargé de cours, Pierre-Marie Cotte, qui a
supervisé ce travail avec beaucoup d’intérêt et d’attention, et exprime ma gratitude à tous
les lecteurs qui prendront le temps de me lire et pourquoi pas de commenter.
Exploration du paysage philanthropique Québécois à l’ère digitale mondiale: état des lieux et perspectives
© Charlène Petit - Décembre 2015 4
Travail	d’intégration	
Contexte	
La révolution numérique est parvenue en seulement deux décennies à s’infiltrer dans tous
les secteurs d’activité, y compris ceux dits « traditionnels » ou règlementés comme
l’industrie des taxis. La généralisation des smartphones, et l’accoutumance des
utilisateurs à obtenir des informations ou services à tout moment et sans délai, a
fortement influencé notre modèle de consommation. Cette tendance a tellement réussi son
ancrage dans les moeurs économiques que l’on parle aujourd’hui d’« ubérisation » de la
société. La pression de céder aux nouvelles technologies est si forte que les entreprises ou
les organisations qui n’amorcent pas leur virage numérique se risquent à heurter le mur
de l’indifférence. En effet, les consommateurs ou utilisateurs sont parfaitement
accoutumés aux valeurs du numérique qui sont la mobilité et l’accessibilité des données,
la connectivité des objets, le dynamisme des interfaces, la facilité des expériences en
ligne. Ne pas se conformer à leurs attentes revient à renoncer à leur considération.
Je suis frappée de voir à quel point la transition numérique est encore loin d’être une
priorité dans le milieu philanthropique et ne fait l’objet d’aucune conférence ni panel
dans les grandes messes professionnelles. En novembre dernier s’est tenu à Montréal le
deuxième Sommet sur la culture philanthropique de l’Institut Mallet auquel j’ai participé.
Sur l’ensemble des conférenciers invités, un seul a osé aborder le digital comme un
élément du mix de la collecte de fonds. Il s’agit de Fabrice Vil, co-fondateur et directeur
général de Pour 3 Points. Selon lui, il faut agir comme une organisation et penser comme
un mouvement, autrement dit aspirer au changement et prioriser la croissance de
l’impact. Accepter l’innovation implique d’aller chercher un résultat sur le long terme. M.
Vil pense que l’un des défis majeurs sera la capacité à recueillir des dons individuels qui
comporte deux enjeux : cultiver les donateurs au lieu de constamment rechercher des
dons, mesurer les données que nous procurent les médias sociaux et les infolettres. Quel
est l’algorithme qui fera que nous pourrons identifier les individus qui sont plus intéressés
que d’autres à donner parce qu’ils auront par exemple ouvert l’infolettre trois fois au lieu
d’une fois?
Exploration du paysage philanthropique Québécois à l’ère digitale mondiale: état des lieux et perspectives
© Charlène Petit - Décembre 2015 5
Pour toutes ces raisons, j’ai choisi de m’intéresser aux tendances digitales en
philanthropie dans la perspective de m’éclairer sur les enjeux qui pèsent sur son
écosystème, mais aussi d’identifier ses obstacles et de formuler les opportunités qu’elle
laisse entrevoir en termes d’amélioration continue du secteur et d’optimisation des
techniques utilisées aux fins de mobiliser, solliciter, collecter, informer, évaluer. Le
certificat en gestion philanthropique est une excellente base pour revêtir l’habit du
fundraiser mais il ne tient qu’à nous de l’ajuster aux dernières tendances et d’élire notre
style. Se tourner vers l’avenir et benchmarker les bonnes pratiques sont deux aspects
fondamentaux pour acquérir une expertise éclairée et ainsi participer à une
professionnalisation accrue de la collecte de fonds. L’apprentissage et l’innovation sont
au cœur de mes préoccupations à une époque où les changements s’opèrent à grande
vitesse. Pour faire évoluer la société, impulser un ordre nouveau avec de nouveaux
paradigmes capables de réguler les grands bouleversements mondiaux, l’innovation est à
la fois un outil d’expérimentation et un objet d’apprentissage.
Présentation	de	la	problématique	
La croissance du monde digital est en train de révolutionner la philanthropie telle que
nous la connaissons depuis plusieurs décennies, de sorte que l’on assiste aujourd’hui à de
profondes mutations mettant les organismes de bienfaisance au diapason des big data, des
dons en ligne, du crowdfunding, du peer-to-peer, des réseaux sociaux et des technologies
mobiles ou encore du digital storytelling et de la gamification. À l’interne, cela se traduit
par des méthodes de collecte hybrides jumelant le virtuel au réel, des campagnes
dématérialisées, un enlignement vers le marketing de contenu au détriment du marketing
traditionnel, des outils de communication transmedia.
S’aventurer dans la cyber-philanthropie ou la philanthropie 2.0 pose plusieurs défis à plus
ou moins long terme. Tout d’abord, pour capter l’attention dans un monde hyperconnecté,
il faut rivaliser d’efforts et d’endurance, sans compter la concurrence des plateformes
privilégiant une approche dite « ascendante » du don répondant à des besoins spécifiques
identifiés par les communautés locales. Ensuite, l’abolition des frontières du bassin de
Exploration du paysage philanthropique Québécois à l’ère digitale mondiale: état des lieux et perspectives
© Charlène Petit - Décembre 2015 6
donateurs potentiels et la décentralisation des dons permises par Internet amèneront
nécessairement les organisations à se repositionner dans un contexte de philanthropie
globale et mondialisée. Enfin, l’accès aux données ainsi que leur protection seront un
enjeu majeur. Parallèlement, ces nouveaux vecteurs de dons vont de pair avec l’évolution
des comportements des donateurs qui veulent donner du sens à leur générosité en
visualisant l’impact de leur don. Ils sont également plus enclins à poser des gestes dans la
vie de tous les jours et davantage sensibles à la manière dont l’organisation leur fait
ressentir les choses plutôt qu’à ce qu’elle dit ou fait. La mobilisation passe avant tout par
l’émotion véhiculée au cours d’une expérience et moins par le langage et les chiffres.
Face à ces grandes tendances, je souhaiterais répondre à deux questions. Premièrement, la
révolution digitale ne risque-t-elle pas de créer une pléthorisation et donc une dilution des
stratégies employées par les organismes dans l’ensemble de l’écosystème, ainsi qu’une
banalisation de l’acte de don réduit à un clic ? En effet, si tout le monde s’accorde à dire
que les nouvelles technologies sont importantes, personne n’est unanime sur la façon de
les mettre en oeuvre. Deuxièmement, comment s’opère l’articulation online/offline sans
réduire la dimension sociale de la gestion philanthropique? Pour y répondre, je me suis
constituée une recherche documentaire essentiellement en ligne à partir de récents
rapports. Je vais tâcher de rendre compte de mes lectures à travers des rubriques.
Une culture digitale à construire
Dans une étude menée en 2015 par hjc, Care2 et NTEN1
, seulement 35.43% des
répondants canadiens ont déclaré avoir du personnel dédié à la stratégie digitale contre
54.30% des répondants américains. Elle révèle par ailleurs que des départements du
développement, du marketing et des communications, c’est celui du développement qui
opère de la manière la plus indépendante. Par conséquent, le silo de la collecte de fonds
est encore bien imperméable au sein des organisations. L’intégration interdépartementale
est donc un enjeu majeur pour maximiser le retour sur investissement des stratégies
digitales. Aussi, 74% de l’ensemble des répondants estiment que le manque de personnel
1
2015 Digital outlook report – nonprofit trends and strategy
Exploration du paysage philanthropique Québécois à l’ère digitale mondiale: état des lieux et perspectives
© Charlène Petit - Décembre 2015 7
est un défi en regard de la planification d’une stratégie digitale. À 63%, ils considèrent
que les restrictions budgétaires sont une entrave entraînant une faible tolérance à l’échec
pour tester de nouvelles approches. Ils sont 40% à penser que le manque de formation est
un obstacle. Autre donnée intéressante, 37% d’entre eux se sentent challengés par rapport
à la preuve du retour sur investissement en interne.
Une approche marketing indispensable
Dans la collecte de fonds traditionnelle, les professionnels ont appris que leur capacité à
convaincre un prospect de donner dépend de la livraison du bon message, de la bonne
manière, au bon moment. Ceux spécialisés en dons majeurs ont d’ailleurs perfectionné
cette règle au moyen de relations personnalisées en face-à-face avec les donateurs. Mais
ce concept fondamental prévaut tout autant dans le monde digital. Au lieu de diffuser le
même contenu à tout le monde, la technologie disponible aujourd’hui nous permet de
créer des conversations personnalisées avec des prospects à qui l’on s’adresse pour la
première fois. Pour y parvenir, quatre ingrédients sont requis: la bonne audience, la bonne
stratégie, le bon contenu et les bons outils. En premier lieu, il faut s’appuyer sur des
personas, c’est-à-dire des personnages fictionnels qui servent à décrire nos segments de
donateurs avec des données démographiques, leurs motivations, des informations sur les
canaux qu’ils privilégient ou encore ce qu’ils lisent, regardent, écoutent. Les techniques
de segmentation couramment utilisées dans les campagnes de publipostage sont tout à fait
appropriées pour qualifier le comportement des visiteurs sur les sites web. Google
Analytics a récemment mis au point un outil appelé Content Experiments, permettant de
tester de multiples versions d’une page web, chacune restant active en même temps. Le
deuxième ingrédient est l’inbound marketing qui consiste à amener les gens vers soi
grâce à la création de contenu qu’ils trouveront utile et pertinent. L’objectif est de pousser
les visiteurs à gravir une série d’étapes appelée dans le vocabulaire marketing la
hiérarchie des effets. Ce modèle vise à successivement sensibiliser, informer, créer un
désir, appeler à l’action et fidéliser. Un donateur aura été auparavant lead – anglicisme
utilisé pour désigner un contact commercial, et prospect. Le contenu est quant à lui à
chercher du côté du département des programmes. Il suffit simplement de le rendre
Exploration du paysage philanthropique Québécois à l’ère digitale mondiale: état des lieux et perspectives
© Charlène Petit - Décembre 2015 8
engageant et digeste. Enfin, il faut garder à l’esprit qu’il n’est pas indispensable de
s’offrir des outils dispendieux pour commencer à voir des résultats. Les organisations
doivent s’assurer de répondre à un minimum de critères; un site web adapté aux appareils
mobiles, des pages de renvoi optimisées et un suivi des données efficace. La plupart des
organismes n’utilisent pas l’acquisition de donateurs comme un indicateur de mesure du
succès de leur marketing de contenu. Elles le font plutôt à partir de facteurs
d’engagement tels que le nombre de vues, de likes ou de partages.
Global + solidarité = « globarité »
Dans l’ouvrage de Penelope Cagney et Bernard Ross intitulé Global fundraising : how
the world is changing the rules of philanthropy (mars 2013), Marcelo Inarra Iraegui et
Ashley Baldwin ont rédigé un excellent chapitre sur l’impact des médias sociaux sur la
globalisation de la solidarité. Au début d’Internet, la communication avait une forme
assez unidirectionnelle. C’est au milieu de la première décennie du 21ème
siècle que
l’apparition des médias sociaux a changé les règles en introduisant la notion de partage.
Les auteurs comparent l’abolition des frontières entre l’intérieur et l’extérieur des
organisations sociales à la chute du mur de Berlin en 1989. Ils citent l’exemple de
Greenpeace International qui a développé le premier réseau social d’envergure avec
l’objectif de mobiliser 30 000 volontaires chargés de monter leur propre campagne pour
sauver les baleines, baptisée « I Go – Defending the Whales ». Chacun était libre de faire
ce qu’il voulait. Toutefois, la communauté s’auto-règlementait en signalant d’éventuels
abus. L’organisation a pu atteindre des objectifs dans des pays où elle n’avait même pas
de bureaux, tout cela en décentralisant le pouvoir et la créativité, et en fournissant un
cadre clair pour organiser l’action.
Inarra Iraegui et Baldwin ont théorisé ce qu’ils appellent le Concept de Mobilisation
Publique – Public Mobilization Concept (PMC) permettant de créer des campagnes qui
encouragent les gens à s’impliquer au niveau digital. Ils distinguent le modèle réactif et le
modèle proactif. Le premier repose sur l’opportunisme, surfant sur des nouvelles
choquantes pour la société. Greenpeace et Amnesty utilisent ce modèle qui nécessite
Exploration du paysage philanthropique Québécois à l’ère digitale mondiale: état des lieux et perspectives
© Charlène Petit - Décembre 2015 9
d’avoir une certaine maturité digitale. Le modèle proactif, plus traditionnel, place les
organisations en position de choix face au thème de leur campagne digitale. Pour ce faire,
les auteurs recommandent de respecter 10 principes. Celui-ci doit être simple à
comprendre - si on ne peut expliquer les objectifs principaux en un SMS ou un
commentaire Facebook, c’est trop compliqué; facile à partager et à aimer; émotionnel;
pertinent; remarquable – les gens recherchent une expérience unique et inoubliable;
personnel – les supporteurs de la cause veulent être des protagonistes; positif – en
évacuant tout sentiment de culpabilité; persistant; récompensé instantanément et ouvrir la
voie au storytelling.
Cette interaction en temps réel rendue possible aux quatre coins du monde a donné lieu à
une nouvelle discipline, la cyber-anthropologie, qui a pour but d’étudier comment les
humains utilisent les nouvelles technologies pour développer leur Soi mental2
. La cyber-
anthropologiste américaine Amber Case va même jusqu’à dire que de nos jours, tout le
monde porte un trou de ver dans sa poche, faisant référence au téléphone cellulaire. Sans
aller aussi loin dans la théorie, attardons-nous un instant sur la percée du livestreaming et
de la réalité augmentée au sein des organisations. L’Agence des Nations Unies pour les
réfugiés a fait usage du livestreaming durant le World Refugee Day Live pour diffuser en
direct des images de camps et permettre aux donateurs effectifs et potentiels d’interagir
avec les bénéficiaires. Force est d’admettre que demander aux gens d’apporter une
contribution financière pour résoudre des problèmes qui touchent des populations se
trouvant à des milliers de kilomètres d’eux, qu’ils ne peuvent aucunement appréhender de
manière tangible relève de l’acte de foi. Cette technologie peut également être utilisée à
des fins de transparence au sein des organisations pour montrer le déroulement de leurs
activités et campagnes de financement. La réalité augmentée est tout aussi intéressante
pour procurer une expérience immersive aux supporteurs de la cause. WWF Chine l’a
expérimenté lors de sa campagne « Wildlife’s fate is in your hands » afin de montrer
comment la vie sauvage évolue en dehors de son habitat naturel. Deux semaines après le
lancement de la campagne, le nombre de membres a doublé.
2
Ashley Baldwin, « Welcome to the Wormhole », Innophoric watch, June 2011
Exploration du paysage philanthropique Québécois à l’ère digitale mondiale: état des lieux et perspectives
© Charlène Petit - Décembre 2015 10
Perspectives
À l’heure où l’on se pose encore la question au Québec de savoir pourquoi et comment
embarquer dans l’aventure numérique, d’autres s’interrogent en Europe de manière
beaucoup plus active et concrète sur les perspectives liées à la philanthropie digitale.
Parfois, les réflexions les plus stimulantes proviennent des acteurs du secteur à but
lucratif, à l’instar de Zone, une agence basée à Londres, Bristol et Cologne accompagnant
les marques dans leur immersion au sein du monde digitale, et qui a publié un guide
pratique sur la philanthropie digitale3
. Ainsi, les auteurs y portent à notre attention le fait
que le don en ligne ne doit pas s’affranchir de l’émotion. Il n’y a qu’à penser au caractère
froid et superficiel du don par SMS par exemple dans les situations d’urgence pour en
saisir la portée. La rapidité d’exécution du don et le manque d’interaction émotionnelle
rattachée au geste ne permettent pas au donateur de créer une expérience mémorable,
nous privant par la même occasion de la plupart de nos chances de le convertir en
donateur régulier. Pour pallier cet écueil, Zone évoque la piste du mouvement slow web.
Il existe aujourd’hui une demande pour s’informer en profondeur. Les articles de fond ne
sont plus boudés mais sollicités sur des plateformes comme TheFeature.net et
LongReads.com. Transposée à la philanthropie 2.0, cette tendance pourrait s’incarner à
travers une analyse détaillée d’une décision prise en collecte de fonds ou des interviews
avec des donateurs fidèles.
Toujours selon l’agence Zone, il est essentiel de se demander s’il est opportun pour les
organismes d’interrompre constamment les visiteurs dans leur navigation pour leur
demander de faire un don en ligne. L’enjeu est de faire bonne impression sans ennuyer
l’internaute, tout en gardant à l’esprit que la principale raison pour laquelle les gens
donnent est parce qu’on le leur a demandé. Dès lors, la solution pourrait être de créer des
façons de générer de petites interactions et du feedback sur le travail de l’organisme, un
peu à la manière d’un blogueur avec son audience, afin d’augmenter progressivement
l’engagement des visiteurs. Par exemple, un bouton « Merci » signifiant que l’effort de
3
The digital fundraising handbook : persuading more people to give online, Public Zone, 2012
Exploration du paysage philanthropique Québécois à l’ère digitale mondiale: état des lieux et perspectives
© Charlène Petit - Décembre 2015 11
l’équipe a été apprécié, ou encore un bouton « Ceci m’a aidé(e) » pourraient trouver place
en bas de page. Seulement après leur activation, une demande pourrait être adressée de la
manière suivante : « Nous sommes heureux que ceci ait pu vous aider – c’est ce que nous
faisons. Pouvons-nous vous envoyer un email la prochaine fois que nous pensons que
vous trouverez utile un contenu similaire? ».
Le questionnement se poursuit avec la notion d’implication du donateur. Lui permet-on
de s’impliquer suffisamment? Il peut s’écouler des mois avant qu’un don s’additionne à
d’autres pour concrétiser un projet. Le digital nous donne l’opportunité d’être plus
transparents au sujet de ce que nous faisons pendant ce lapse de temps. Après un don, le
message de remerciement ne devrait-il pas durer au-delà de la page de confirmation du
paiement? Le meilleur cas d’école est sans conteste celui de charity : water avec « dollars
to project », l’incarnation même de la reddition de compte version digitale.
L’organisation américaine s’est donnée pour mission de construire des puits d’eau
potable dans les pays sous-développés. Chaque dollar investi est scrupuleusement affecté
à une dépense et à un projet, coordonnées GPS et photos à l’appui. Il y a quelques années,
l’organisation a tenté d’implanter un puits au Malawi, tentative qui s’est soldée à trois
reprises par un échec non dissimulé, en raison du grand nombre de couches de sable à
creuser. Si charity : water a fait amende honorable, elle n’a pour autant pas sacrifié son
objectif sur l’autel du renoncement en prenant le temps d’aller chercher le succès et d’en
montrer les étapes. Admettre l’échec permet de bâtir un lien de confiance avec le
donateur et d’augmenter sa crédibilité auprès du public. Ce modèle d’authenticité est
certainement ce qui a permis à l’organisation de se former une armée de gens engagés
prêts à se mobiliser pour soutenir la cause. Les médias sociaux sont également des
plateformes d’échanges désignées pour discuter avec les donateurs sans tabou ni jargon.
Une idée serait d’organiser une session mensuelle de questions/réponses sur Twitter avec
un membre de chaque service de l’organisation.
Le succès de certains outils nous conduit à mener une réflexion sur leur utilisation et leur
impact au sein de notre organisation à l’instar du peer-to-peer. Il faut savoir que 90% des
dons en ligne sont faits sur des plateformes tiers selon Zone. Est-ce préjudiciable pour
Exploration du paysage philanthropique Québécois à l’ère digitale mondiale: état des lieux et perspectives
© Charlène Petit - Décembre 2015 12
notre capacité à fidéliser nos donateurs? S’en remettre à des ambassadeurs ne constitue-t-
il pas un risque de perdre le contrôle sur notre discours et notre relation avec les
donateurs qui ont davantage l’impression de donner à leur ami qu’à l’organisme? Prenons
l’exemple de Movember qui est parvenu à lever des millions sans toutefois augmenter
significativement la sensibilisation aux cancers de la prostate et des testicules. Ce type
d’outil doit-il être restreint au financement de projets d’envergure dont la puissance des
effets de réseaux est éprouvée?
Ultimement, les organisations peuvent-elles tirer avantage de leurs histoires en les
amenant ailleurs ou en se joignant à de nouvelles conversations? Zone en a fait
l’expérimentation pour le compte de Prostate Cancer UK en lui proposant un partenariat
avec la ligue de football. Partant du constat qu’un homme sur neuf est affecté par la
maladie au Royaume-Uni, l’agence a créé un blogue sur les meilleurs attaquants portant
le numéro neuf, autrement dit les joueurs ayant un rôle clé dans l’équipe. Cette campagne
a permis de générer un trafic important sur le site web de l’organisme et surtout de
montrer que ce n’est pas parce que l’on agit dans le domaine de la santé que l’on doit
toujours raconter nos histoires dans un contexte médical. Maîtriser son récit est une
compétence dont le caractère singulier tend à devenir incontournable.
Prospective
La collecte de fonds est appelée à devenir de plus en plus « fun » grâce à l’introduction
du jeu. Dans son livre Fun Inc. : Why games are the 21st Century’s most serious
business, Tom Chatfield énonce que le bénéfice que les jeux peuvent avoir sur n’importe
quel autre médium est qu’il permettent l’apprentissage expérientiel. Cette théorie est
supportée par Jane McGonical, chef de la recherche et du développement du jeu à
l’Institut pour le futur, et également auteure d’une thèse sur les raisons pour lesquelles
nous sommes meilleurs au jeu que dans la vie. En effet, selon elle, quand nous sommes
dans le jeu, nous sommes la meilleure version de nous-mêmes, cherchant à dépasser nos
échecs et à recommencer jusqu’à ce que nous réussissions. Pourquoi ne réagissons-nous
pas de la même manière dans la vie lorsque nous sommes confrontés à des obstacles? Elle
Exploration du paysage philanthropique Québécois à l’ère digitale mondiale: état des lieux et perspectives
© Charlène Petit - Décembre 2015 13
met en exergue la puissance des environnements collaboratifs virtuels comme la
communauté de World of Warcraft, un jeu de stratégie en temps réel qui repose sur la
résolution commune de problème. Le jeu en ligne permet de conditionner les générations
futures autour de 4 compétences essentielles au changement du monde à savoir,
l’optimisme urgent, un tissu social très fort, la productivité et le sens de l’épopée. À
présent, imaginons un instant que les 21 milliards d’heures consacrées au jeu par semaine
soient utilisées pour résoudre des problèmes réels. Dans les 10 prochaines années, on
s’attend à un milliard de nouveaux joueurs dans le monde, autant dire de potentielles
ressources humaines impressionnantes. En attendant, des applications mobiles alliant le
jeu au bien commun ont vu le jour. Commons, qui a remporté le prix du Real World
Games for Change, encourage les New Yorkais à agir pour des causes sociales dans leur
secteur local. Grâce à un système GPS, les citoyens peuvent localiser des problèmes
sociaux et environnementaux et suggérer des façons d’en venir à bout. Au Royaume-Uni,
l’organisme DePaul UK a lancé l’application iHobo invitant les détenteurs d’iphone à
télécharger un sans-abri virtuel qui vit dans leur téléphone pendant 3 jours. Le but était de
rendre compte de la complexité de l’itinérance et du travail mené par l’organisation à
travers une expérience interactive. Avec un budget de 9 400 $ iHobo a été téléchargé plus
de 600 000 fois et le trafic mensuel du site web de l’organisation a augmenté de presque
60%.
Ce qu’on constate, c’est que si ce genre d’initiatives demeure encore assez marginal dans
le secteur caritatif, il affole les entrepreneurs sociaux qui rivalisent d’imagination pour
mettre le numérique au service de l’intérêt général. Aux États-Unis, il existe même un
rendez-vous annuel, le Social Good Summit, dédié aux enjeux des nouvelles technologies
face aux initiatives sociales. Parmi elles, l’application Charity Miles permet aux sportifs
de convertir leurs distances parcourues en argent gagné qu’ils peuvent ensuite verser à
l’association de leur choix. Il suffit pour cela de partager sa performance sur les réseaux
sociaux pour que le don soit accepté. Sleio est un moteur de recherche référençant près de
30 000 sites de e-commerce partenaires. À chaque achat effectué sur l’un d’entre eux,
Sleio perçoit une commission qui est reversée intégralement à une association caritative.
Des fonds sont également reversés après chaque clic sur des bannières publicitaires ou
Exploration du paysage philanthropique Québécois à l’ère digitale mondiale: état des lieux et perspectives
© Charlène Petit - Décembre 2015 14
des liens sponsorisés. Citons également Dollar a day, un service qui propose aux
utilisateurs de payer une contribution de 30$ renouvelable tous les 30 jours afin de faire
œuvre utile. Ainsi, quotidiennement, tout le monde donne 1$ à un organisme qui change à
chaque jour. Dans ce modèle, l’insignifiance du quotidien est prétexte à poser des gestes
peu mobilisants dont l’impact est proportionnel à la masse des participants. Toutefois, ces
nouveaux acteurs du web social ne risquent-ils pas de perturber la lisibilité de l’économie
du don en ligne ou pire, de générer des « slacktivistes »4
à la place de philanthropes
digitaux?
Synthèse	et	discussion	
Lors de mes entrevues, tous les intervenants rencontrés ont admis que le milieu
philanthropique devait adopter certains réflexes du milieu corporatif en termes de
développement, stratégie et rentabilité. Dès lors, le marketing semble être un allié de
taille pour les organismes de bienfaisance. On peut d’ailleurs établir un parallèle entre un
donateur et un consommateur qui est habitué à se reconnaître dans une marque, auquel il
faut être en mesure de communiquer une proposition de valeur qu’il identifiera et
appréciera. Les organismes ne réalisent pas toujours que le donateur n’est pas obligé de
reconduire son don et que la rétention en terrain concurrentiel doit passer par une
approche plus relationnelle et fidélisante. Le marketing de contenu est le seul endroit où
les organismes peuvent tirer un avantage commercial. De nos jours, et avec l’explosion
des réseaux sociaux, les gens vont eux-mêmes chercher l’information qu’ils désirent. Il
faut donc adopter une stratégie d’attraction et non de pression. Pour évoquer la nécessité
de susciter l’intérêt plutôt que de le contraindre, Martin Goyette s’appuie sur la
comparaison entre de grandes marques comme Nike qui doivent inventer de toute pièce
leur storytelling, et les organisations philanthropiques qui n’ont qu’à trouver une façon de
packager et de diffuser le leur. Ces dernières ont beaucoup de belles histoires à raconter.
Mais cette ressource première est encore largement sous-exploitée faute de savoir
comment le faire. M. Goyette me partage alors une piste de solution en proposant de
transposer le concept du « Golden circle » de l’américain Simon Sinek dans le milieu
4
Le «slacktivisme», combinaison de «slacker» («fainéant») et «activisme», désigne les personnes qui
supportent les organisations sociales en s’impliquant minimalement. Ils aiment une page Facebook, signent
une pétition en ligne, ou encore partagent une vidéo.
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© Charlène Petit - Décembre 2015 15
philanthropique. En effet, ce dernier a hiérarchisé les trois questions que doit se poser
toute entreprise, à savoir, que fait-on, comment le fait-on et pourquoi le fait-on. La
plupart d’entres elles commencent par d’abord répondre au quoi, puis au comment et
terminent par le pourquoi. Or, les leaders font le chemin exactement inverse et
communiquent en premier lieu sur les raisons pour lesquelles les gens devraient
s’intéresser à ce qu’ils font. Mettre l’emphase sur le pourquoi leur permet ainsi de vendre
une marque et non un produit.
Néanmoins, une fois l’attention captée, il ne faut pas avoir peur de montrer ce qu’il se
passe en toute transparence, de partager ses bons et mauvais coups. Lorsque nous
sommes en relation avec quelqu’un, nous ne sommes pas toujours dans la séduction.
Nous sommes également enclins à parler de nos défauts. Hal Williams suggère même
d’alterner cinq histoires à succès avec une histoire qui a échoué5
. Les donateurs savent
qu’on ne peut pas apprendre des erreurs qu’on n’a jamais faites.
Si les opportunités de mettre en place une stratégie numérique semblent évidentes, les
interlocuteurs rencontrés ne voient pas de menaces mais plutôt des faiblesses en interne.
Beaucoup d’organismes se retrouvent forcés de se raconter un peu plus et de s’ouvrir, ce
qui ne suscite pas toujours l’enthousiasme. La volonté de comprendre n’induit pas
nécessairement la volonté d’agir, et ce, pour deux raisons essentielles. Il y a tout d’abord
un manque cruel d’expertise et un grand inconfort à mettre en œuvre des stratégies
digitales nécessitant un nouveau savoir-être qui est encore loin d’être ancré au cœur des
organisations n’ayant pour la plupart pas fait de la planification de la relève et de la
formation des priorités. Or, la technologie force les gens à s’adapter à des changements
majeurs et constants. C’est la raison pour laquelle la gestion du changement est un volet
qui doit être pris en charge par les gestionnaires.
D’autre part, ces organisations ont du mal à confier les clés du web et des réseaux sociaux
à des spécialistes qui ont eu du succès dans la culture numérique par crainte de ne plus
avoir le contrôle du discours qui entoure la cause. Il ne s’agit pas d’une limitation
5
When impact becomes results, npEXPERTS, The future of fundraising, rapport de Blackbaud, p.12
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© Charlène Petit - Décembre 2015 16
financière mais bien du refus d’accepter une forme d’ingérence. Lorsqu’elles
externalisent, ces organisations peinent à aller chercher les compétences les plus « up-to-
date » ou travaillent avec des agences qui n’ont pas d’expérience en philanthropie.
Toutefois, des succès célèbres nous ont montré que les outils digitaux pouvaient être des
leviers extraordinaires à coût nul. La Fondation CHU Saint-Justine, pionnière dans le
domaine, a compris très tôt qu’investir dans le micro-don nécessitait de se bâtir en amont
une communauté. En 2010, la fondation s’est associée avec la firme de linge pour enfant
Clément dans le cadre de sa campagne web "50 000 adeptes = 5000 toutous". Le
partenaire s’est engagé à remettre 5 000 toutoux aux enfants hospitalisés une fois le
nombre de 50 000 amis Facebook avec le CHU Sainte-Justine atteint, ce qui a été réalisé
en un mois seulement. Ce bon coup a permis par la suite de capitaliser sur une audience
réceptive au moment du lancement de la campagne du Grand sapin de Sainte-Justine qui
propose chaque année aux donateurs d’allumer une ampoule au coût de 5$.
Ultimement, si l’introduction des outils numériques fait l’unanimité, il n’y a pas partout
le même sentiment d’urgence. Cet attentisme se traduit par un retard assez important par
rapport au reste du Canada et du monde. Sacha Declomesnil reconnaît qu’il n’est pas
facile d’adopter les nouvelles technologies car pour passer à travers la courbe
d’apprentissage, il faut de la patience et de la régularité. Le retour sur investissement se
fait attendre ou n’est pas tout de suite à la hauteur des objectifs escomptés. Adeline Caron
me confie qu’il est normal la première année d’implantation d’une stratégie numérique
que cela ait coûté 10 000$ pour en rapporter 30 000$. Les efforts imputés à leur mise en
œuvre peuvent être délaissés au profit de l’accomplissement du « day-to-day », en
particulier dans les organisations en manque de ressources. Mais compte tenu du temps
d’implémentation, il vaut mieux insérer du numérique progressivement par petites doses
plutôt que de s’exposer au risque d’un retard perpétuel. Selon Adeline Caron, le Québec
est suiveur en matière de technologie. Il est temps qu’il y ait un vent de changement dans
les organisations philanthropiques, le même qui a déjà semé l’innovation depuis un
certain temps dans le secteur lucratif. Tout est une question d’essai/erreur. Il faut
expérimenter pour pouvoir évaluer nos pratiques et ensuite prendre des décisions basées
sur des chiffres. Comme le disait très justement Dan Pallotta lors d’un TED Talk, si on
Exploration du paysage philanthropique Québécois à l’ère digitale mondiale: état des lieux et perspectives
© Charlène Petit - Décembre 2015 17
n’autorise pas l’échec, on tue l’innovation en collecte de fonds, on n’arrive pas à générer
davantage de recettes, on ne peut pas grandir et donc résoudre de grands problèmes
sociaux.
La généralisation de l’adoption d’une stratégie numérique ne va pas nécessairement
conduire à l’uniformisation des tactiques employées car le mimétisme va forcer les
organisations à être de plus en plus créatives pour tirer leur épingle du jeu. Toutefois,
bien que mimer soit à la portée de tous, tous ne réussiront pas de la même manière.
Comme le souligne Adeline Caron, ce qui est important derrière l’outil c’est la stratégie.
Celle-ci doit être pensée de manière globale et intégrée. La tendance est d’ailleurs au
Cloud qui d’ici quelques années supplantera les bases de données sous licence serveur
afin notamment d’arrimer le CRM du donateur avec des outils de collecte de fonds en
ligne, mais aussi d’automatiser les processus opérationnels. On peut imaginer par
exemple d’implanter des alertes automatiques pour qu’à chaque don reçu on place un
appel, ou encore que pour chaque don de 1 000$ et plus, un courriel soit envoyé au
Directeur Général. Un système intégré est un gage d’efficience et d’efficacité dans la
relation avec les donateurs car il permet de faire des suivis à tous les niveaux et de croiser
des données entre elles partout et à tout moment.
Sacha Declomesnil voit même dans la philanthropie digitale un nouveau domaine
d’application du « machine learning » ou apprentissage par les données, de plus en plus
répandu dans le secteur du e-commerce. À l’image de l’analyse prédictive d’un panier
d’achat d’un consommateur, on pourra observer les comportements des donateurs en
ligne et faire en sorte qu’ils reviennent de plus en plus souvent et qu’ils s’engagent sur
des montants plus importants. À l’heure actuelle, les organismes fonctionnent encore trop
en silos, juxtaposant le online au offline au lieu de les superposer. Le manque de
perméabilité entre les systèmes d’information est un obstacle à la centralisation des
données, assurée « à la mitaine » et mobilisant des ressources et de l’énergie qui, dans la
majorité des cas, ne sont pas excédentaires. Une chose est certaine, l’investissement
minimal de la part des organismes doit se concentrer sur l’actualisation de leur site web
Exploration du paysage philanthropique Québécois à l’ère digitale mondiale: état des lieux et perspectives
© Charlène Petit - Décembre 2015 18
dont la durée de vie est fixée à environ 3 ans, et les adapter au format mobile. Ils ne
peuvent également pas faire l’impasse sur leur présence sur les réseaux sociaux.
Pour terminer, mes interlocuteurs m’ont tous partagé leur vision de ce que sera la
philanthropie 3.0 et il ressort que la dimension relationnelle devra être privilégiée sous
l’angle de la personnalisation, de la segmentation et des interactions adaptées à chaque
donateur. Martin Goyette prône une forme de retour en arrière, de retour à l’essence
même de ce qu’est une relation et de ce qui en fait sa beauté. Le conseil qu’il lance aux
organismes est de mettre en application l’approche pratique du livre de Dale Carnegie,
Comment se faire des amis, un best-seller mondial écrit par le « Père des relations
humaines ». Cet ouvrage, aux exemples désuets mais aux principes toujours aussi actuels,
perce le grand secret des relations humaines sincères et généreuses. Il propose d’agir sur
huit points fondamentaux tels que savoir éveiller de nouvelles pensées, de nouvelles
perspectives, s’attirer facilement et rapidement des amis, se faire apprécier davantage,
rallier les autres à notre point de vue, développer notre influence et notre capacité à faire
agir, garder l’harmonie dans nos relations avec les autres, développer nos talents
d’expression et de communication, ou encore susciter l’enthousiasme parmi nos
collaborateurs. La poignée de main et la rencontre restent encore des vecteurs relationnels
avec les autres indispensables à la qualité des échanges. Ceci est d’autant plus vrai et
nécessaire à mesure que l’on grimpe dans la pyramide des donateurs. Il arrive
régulièrement à M. Goyette d’aller chercher en personne le chèque de ses donateurs.
C’est une manière de ne pas rester sur une transaction impersonnelle. Mais la technologie
peut avoir un effet multiplicateur selon Sacha Declomesnil. Dans une perspective de
collecte de « masse », elle permet d’adapter notre contenu et nos réponses au degré
d’engagement du donateur et au montant de son don. Il sera donc de plus en plus
important de classifier en amont ses donateurs pour assurer une meilleure intendance.
Adeline Caron identifie quant à elle trois types de donateurs : le donateur unique, le
donateur récurrent et le donateur solliciteur. Le profil doit être identifié afin d’offrir un
service à la clientèle personnalisé. Sans des processus internes rigoureux, des outils de
mesure et un travail d’équipe solide, on risque de perdre des donateurs qui pourraient
Exploration du paysage philanthropique Québécois à l’ère digitale mondiale: état des lieux et perspectives
© Charlène Petit - Décembre 2015 19
devenir des ambassadeurs importants pour la cause. Sonder la clientèle cible pour utiliser
des moyens de communication qui répondent à leurs attentes et leurs besoins est une
stratégie qui contribue aussi à fidéliser, convertir et engager le public. La mise en place
d’un réseau d’ambassadeurs notamment au moyen de plateformes peer-to-peer est un
levier qu’il faudra de plus en plus utiliser afin d’accroître les dons individuels. Toutes les
études récentes démontrent que les gens donnent parce que c’est un individu spécifique
qui leur demande. Les outils technologiques permettent de faciliter cette tendance en
réalisant de grosses économies logistiques et organisationnelles. De plus, la difficulté
croissante d’obtenir des dons corporatifs en raison du nombre réduit de causes soutenues
par les entreprises chaque année, oblige les organismes à se positionner grand public en
faisant des campagnes en ligne.
Conclusion	
Aux questions soulevées en introduction, les réponses ne sont ni tranchées ni
manichéennes. L’arrimage des nouvelles technologies aux stratégies des organisations
n’est pas tant proportionnel à la taille de la structure qu’à la pertinence de mettre de la
technologie là où c’est nécessaire. Toutefois, s’en emparer de manière positive demeure
une nécessité afin de minimiser les écarts de développement entre les organismes qui se
digitalisent et les autres, moins enclins à innover ou à conformer leurs activités aux
nouvelles demandes des donateurs. L’innovation dont il est question n’est pas celle qui
génère des bénéfices à court terme mais celle qui requiert de changer les façons de faire
en profondeur, de bousculer l’ordre établi avec audace et courage. Il est fort probable que
plusieurs modèles devront cohabiter pour le meilleur et pour le pire. Nous aurons d’un
côté les gros organismes qui auront les moyens de la surenchère; de l’autre, les petits qui
devront rivaliser au-delà de la puissance marketing des premiers en redoublant de
créativité. Et nous avons vu plus haut, qu’il est possible de faire de bons coups sans
grever un budget, loin de là. Entre les deux, des start-ups viendront disrupter le marché en
réinventant les systèmes de donations. Quant au lien entre le réel et virtuel, il est plausible
qu’il soit de nature bidirectionnelle mais avec des échanges de formes et d’intensités
différentes. Par le pouvoir de la viralité et l’accélération des données, le numérique
permet de bâtir une large audience donnant de la voix pour propulser des projets, et donc
Exploration du paysage philanthropique Québécois à l’ère digitale mondiale: état des lieux et perspectives
© Charlène Petit - Décembre 2015 20
une notoriété. Tout l’enjeu est par la suite de transformer cette communauté informe
d’ambassadeurs en fidèles donateurs, de passer de l’engagement à l’implication, de
pérenniser l’éphémère. Plus on monte dans la pyramide de dons, plus le relationnel est
important mais là où les outils numériques sont des leviers de mobilisation pour les
masses, ils sont des leviers d’innovation dans la gestion de la relation avec les donateurs.
Une chose est certaine, les statistiques manquent au Québec et au Canada afin de
connaître notamment le nombre de dons en ligne, sur les plateformes peer-to-peer, par
qui, à quelle fréquence et pour quel montant. Je pense que cela inciterait les organisations
à agir et leur permettrait de se fixer un cap appuyé par des données locales et non pas
internationales. Il faut aussi que les associations professionnelles se fassent les porte-voix
des succès remportés et de la connaissance apportée par les expérimentations mises en
oeuvre pour rendre le monde digital plus proche des organisations. La littérature fait tout
autant défaut que les chiffres. Écrivons nos pratiques. Enfin, je terminerai par la réflexion
suivante. Si la technologie nous a bien appris une chose, c’est que de par sa nature, elle
appelle l’amélioration continue. Alors à défaut de travailler étroitement avec elle,
appliquons son précepte dans la gestion des organisations.
Perspectives	professionnelles	
À la lumière de ces réflexions, force est de constater le champ d’opportunités qui s’ouvre
aux professionnels en collecte de fonds tant au niveau de la conquête que de la rétention
des donateurs particuliers. Les nouvelles technologies fournissent aux donateurs de
nouveaux moyens de donner et de s’informer sur les causes, mais dotent également les
organisations d’outils encore largement sous-exploités pour dialoguer, communiquer leur
engagement et défendre leur positionnement sur le marché philanthropique. J’oserai
même aller plus loin en affirmant que le digital constitue un véritable atout pour bâtir une
culture philanthropique au Québec. L’indice de générosité développé par la firme
Épisode me conforte dans cette idée. En effet, cet indice permet de connaître la variation
des dons déclarés ou non déclarés effectués par les individus. Cette mesure est obtenue en
divisant la somme des dons déclarés ou non par le revenu du ménage. L’indice de
générosité 2013 pour le Québec était de 0,003, ce qui signifie que pour chaque tranche de
100$ de son revenu brut, un québécois versait 0,30$ sous forme de don. Si on observe cet
Exploration du paysage philanthropique Québécois à l’ère digitale mondiale: état des lieux et perspectives
© Charlène Petit - Décembre 2015 21
indice par génération, les générations X et Y sont à ex-aequo à 0,003, les baby-boomers à
0,005 et les matures à 0,008. Ces chiffres m’inspirent une marge de progression dont il ne
tient qu’à nous de faire fleurir. Mon sentiment est que beaucoup d’organisations sont
obnubilées par les campagnes majeures car elles sont les seules à faire les gros titres de la
presse. Mais il ne faut pas oublier deux choses. Premièrement, tout le monde ne peut pas
se le permettre en termes de ressources et de structure organisationnelle. Ensuite, ces
campagnes reposent essentiellement sur les « TLM » (toujours les mêmes), soit les
grands donateurs corporatifs du Québec Inc., les grandes institutions financières, les
sociétés d’État et les fondations qui ont pignon sur rue. Juste par la force de l’inertie, les
organisations qui jouissent d’une force d’attraction plus importante par leur capacité à
recevoir des dons majeurs s’enrichissent, raflant ainsi les parts de marché. Certains
commentateurs se demandent même si cet âge d’or ne serait pas en train de sombrer pour
assister à une nouvelle forme de générosité plus axée sur la collaboration que le don. La
tarte des dons corporatifs est en diminution et les soutiens passent de plus en plus par la
commandite et le bénévolat des employés qui sont deux volets importants de la politique
de responsabilité sociale des entreprises. Par conséquent, l’argent est entre les mains des
individus. Dans la mesure où il est plus difficile de s’enrichir au Québec et au Canada
qu’aux États-Unis, et où les fortunes se construisent à la vitesse d’un cheval blessé au
galop, le segment de masse est à privilégier dans la stratégie des organisations. Selon
moi, les micro-dons individuels sont une belle porte d’entrée vers le développement
d’une culture philanthropique. La technologie peut faire en sorte que celle-ci soit
contagieuse, étant admis que plus les gens donnent d’une manière, et plus ils le feront de
toutes les manières.
Essayons de penser la gestion philanthropique autrement, avec une approche visant la
création de valeur et la capacité à la communiquer efficacement auprès de la communauté
afin qu’elle soit perçue comme étant supérieure dans l’esprit des donateurs potentiels.
Quant on sait que le nombre d’organismes auxquels contribuent en moyenne les individus
varie de 2,2 (chez les X) à 3,8 (chez les matures), il est plus qu’indispensable de se
donner les moyens de figurer dans ce que l’on appelle en marketing leur « ensemble
évoqué », c’est-à-dire l’ensemble des différentes alternatives qui s’offrent à lui dans son
Exploration du paysage philanthropique Québécois à l’ère digitale mondiale: état des lieux et perspectives
© Charlène Petit - Décembre 2015 22
processus de décision. Pour cela, il est essentiel de bien connaître nos cibles et le big data
peut nous aider à y parvenir. Nous l’avons vu, les multiples canaux à notre disposition sur
la toile sont de précieuses sources d’information qu’il faut apprendre à exploiter et
déchiffrer pour identifier des leviers d’action à chacune des étapes du cycle de vie du
donateur, dégager des tendances, formuler des prédictions. Le datamining ou l’extraction
et l’analyse qualitative de données doit entrer dans une nouvelle ère, celle où le système
d’information est repensé. Tout est dans tout. Les données hors ligne et en ligne doivent
être étudiées dans une démarche systémique est non séquentielle. Le datamining est à la
collecte de fonds ce que la GRC (Gestion de la Relation Client) est au marketing, et a
pour but d’améliorer la performance des organisations et de modéliser la connaissance
approfondie des données en décisions stratégiques et opérationnelles. La recherche,
l’analyse et la gestion de l’information et des données sont la clé de la réussite en
philanthropie car sans ces trois composantes, il n’est pas possible de construire
correctement son offre, son discours ni son plan de collecte.

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Exploration du paysage philanthropique à l'ère digitale mondiale : état des lieux et perspectives

  • 1. Faculté d’Éducation Permanente « EXPLORATION DU PAYSAGE PHILANTHROPIQUE QUÉBÉCOIS À L’ÈRE DIGITALE MONDIALE : ÉTAT DES LIEUX ET PERSPECTIVES » Professeur chargé de cours : Pierre-Marie Cotte Dans le cadre du cours PHE3030 : Activité d’intégration du Certificat en gestion philanthropique Charlène Petit Décembre 2015
  • 2. Exploration du paysage philanthropique Québécois à l’ère digitale mondiale: état des lieux et perspectives © Charlène Petit - Décembre 2015 2 Avant-propos L’activité d’intégration est une démarche de fin de programme qui vise à intégrer les apprentissages, les notions étudiées ainsi que les habiletés nécessaires pour élaborer des stratégies de sollicitation pertinentes en regard des contextes spécifiques. Ce travail réalisé à la session d’automne 2015, sans avoir la possibilité ni la prétention de l'exhaustivité, constitue l’amorce d’une réflexion sur le positionnement de l’industrie philanthropique par rapport aux tendances digitales. J’ai eu le privilège de rencontrer trois acteurs du terrain afin d’explorer ma problématique. Je tiens à remercier ici chaleureusement Martin Goyette, Adeline Caron et Sacha Declomesnil pour leur aide généreuse et le partage de leur expertise. Voici leur parcours : Martin Goyette Après avoir travaillé en marketing pendant 15 ans au sein d’entreprises à vocation commerciale, Martin Goyette décide en 2008 de poursuivre sa carrière dans le domaine des organismes à but non lucratif après avoir eu une révélation suite à sa participation au Défi têtes rasées Leucan. Il découvre à ce moment-là le peer-to-peer et la collecte de fonds en ligne. Il intègre l’agence de conseil en marketing philanthropique Tactic Direct qu’il quitte au bout de quelques années pour rejoindre la cause du Club des petits déjeuners en tant que responsable du développement philanthropique au niveau du Québec, puis au niveau national. En 2015, il prend la direction générale de la Fondation Jovia. Martin Goyette est l’auteur du blogue La philanthropie au Québec, portant sur les meilleures pratiques en marketing pour le financement des OBNL, la mobilisation du grand public et la philanthropie corporative. J’ai choisi de rencontrer cette personne pour sa double culture des secteurs lucratif et non lucratif et sa connaissance approfondie de la transposition des outils marketing dans l’écosystème philanthropique. Adeline Caron Adeline Caron œuvre dans le monde numérique depuis 1999. Consultante en philanthropie digitale depuis 2013, elle implante les systèmes Google for nonprofit et les campagnes Peer-to-Peer au sein des organisations. Elle exerce également son expertise au
  • 3. Exploration du paysage philanthropique Québécois à l’ère digitale mondiale: état des lieux et perspectives © Charlène Petit - Décembre 2015 3 niveau stratégique en les conseillant sur l’amélioration continue des procédures et l’automatisation des processus. Parmi ses clients figurent le Club des petits déjeuners, la Fondation Miriam, la Fondation Accueil Bonneau. En 2010, elle a initié le virage web de la Fondation CHU Sainte-Justine où elle a implanté une quinzaine de microsites de financement annuels qui ont permis d’augmenter de 250% les dons en ligne en l’espace de 3 ans. Elle a collaboré avec la Fondation de l’Hôpital de Montréal pour enfants dans le cadre d’activités-bénéfice et siégé sur différents comités, entre autres, pour la Fondation OLO, la Fondation du centre jeunesse de Montréal et la Fondation du Dr. Julien. Son témoignage me paraissait intéressant à recueillir compte tenu de son rôle de conseillère en diagnostic organisationnel et de son retour d’expérience sur l’état des besoins et des ressources au sein des organisations. Sacha Declomesnil Sacha Declomesnil est un stratège web qui a travaillé pendant une quinzaine d’années pour les plus grandes agences au pays : Publicis Canada, TBWA ou encore Sid Lee. Il est par la suite devenu directeur marketing pour le portail passeportsanté, une initiative de la Fondation Lucie et André Chagnon. Il se lance dans le consulting pour des agences et des ONG, et crée le département des communications interactives de Radio-Canada dont il est le tout premier directeur. Il dirige ensuite la planification stratégique interactive de l’agence Brad, pour ses bureaux de Montréal et de Québec. Dernièrement, il a ouvert le bureau montréalais de O2web, une firme de développement web. L’agence a été récemment mandatée par la Fondation du cancer du sein du Québec pour concevoir une nouvelle plateforme numérique intégrée. Elle sera responsable de la refonte de sa boutique en ligne, de la conception d’une plateforme de dons par les pairs et de la refonte complète du site web. Passionné de stratégies interactives, Sacha Declomesnil est l’auteur du blogue Überwe. Il a également blogué sur la philanthropie 2.0 sur le portail français Youphil.com après avoir tenu pendant 5 ans le blogue La fontaine de pierres. J’adresse également mes remerciements à mon chargé de cours, Pierre-Marie Cotte, qui a supervisé ce travail avec beaucoup d’intérêt et d’attention, et exprime ma gratitude à tous les lecteurs qui prendront le temps de me lire et pourquoi pas de commenter.
  • 4. Exploration du paysage philanthropique Québécois à l’ère digitale mondiale: état des lieux et perspectives © Charlène Petit - Décembre 2015 4 Travail d’intégration Contexte La révolution numérique est parvenue en seulement deux décennies à s’infiltrer dans tous les secteurs d’activité, y compris ceux dits « traditionnels » ou règlementés comme l’industrie des taxis. La généralisation des smartphones, et l’accoutumance des utilisateurs à obtenir des informations ou services à tout moment et sans délai, a fortement influencé notre modèle de consommation. Cette tendance a tellement réussi son ancrage dans les moeurs économiques que l’on parle aujourd’hui d’« ubérisation » de la société. La pression de céder aux nouvelles technologies est si forte que les entreprises ou les organisations qui n’amorcent pas leur virage numérique se risquent à heurter le mur de l’indifférence. En effet, les consommateurs ou utilisateurs sont parfaitement accoutumés aux valeurs du numérique qui sont la mobilité et l’accessibilité des données, la connectivité des objets, le dynamisme des interfaces, la facilité des expériences en ligne. Ne pas se conformer à leurs attentes revient à renoncer à leur considération. Je suis frappée de voir à quel point la transition numérique est encore loin d’être une priorité dans le milieu philanthropique et ne fait l’objet d’aucune conférence ni panel dans les grandes messes professionnelles. En novembre dernier s’est tenu à Montréal le deuxième Sommet sur la culture philanthropique de l’Institut Mallet auquel j’ai participé. Sur l’ensemble des conférenciers invités, un seul a osé aborder le digital comme un élément du mix de la collecte de fonds. Il s’agit de Fabrice Vil, co-fondateur et directeur général de Pour 3 Points. Selon lui, il faut agir comme une organisation et penser comme un mouvement, autrement dit aspirer au changement et prioriser la croissance de l’impact. Accepter l’innovation implique d’aller chercher un résultat sur le long terme. M. Vil pense que l’un des défis majeurs sera la capacité à recueillir des dons individuels qui comporte deux enjeux : cultiver les donateurs au lieu de constamment rechercher des dons, mesurer les données que nous procurent les médias sociaux et les infolettres. Quel est l’algorithme qui fera que nous pourrons identifier les individus qui sont plus intéressés que d’autres à donner parce qu’ils auront par exemple ouvert l’infolettre trois fois au lieu d’une fois?
  • 5. Exploration du paysage philanthropique Québécois à l’ère digitale mondiale: état des lieux et perspectives © Charlène Petit - Décembre 2015 5 Pour toutes ces raisons, j’ai choisi de m’intéresser aux tendances digitales en philanthropie dans la perspective de m’éclairer sur les enjeux qui pèsent sur son écosystème, mais aussi d’identifier ses obstacles et de formuler les opportunités qu’elle laisse entrevoir en termes d’amélioration continue du secteur et d’optimisation des techniques utilisées aux fins de mobiliser, solliciter, collecter, informer, évaluer. Le certificat en gestion philanthropique est une excellente base pour revêtir l’habit du fundraiser mais il ne tient qu’à nous de l’ajuster aux dernières tendances et d’élire notre style. Se tourner vers l’avenir et benchmarker les bonnes pratiques sont deux aspects fondamentaux pour acquérir une expertise éclairée et ainsi participer à une professionnalisation accrue de la collecte de fonds. L’apprentissage et l’innovation sont au cœur de mes préoccupations à une époque où les changements s’opèrent à grande vitesse. Pour faire évoluer la société, impulser un ordre nouveau avec de nouveaux paradigmes capables de réguler les grands bouleversements mondiaux, l’innovation est à la fois un outil d’expérimentation et un objet d’apprentissage. Présentation de la problématique La croissance du monde digital est en train de révolutionner la philanthropie telle que nous la connaissons depuis plusieurs décennies, de sorte que l’on assiste aujourd’hui à de profondes mutations mettant les organismes de bienfaisance au diapason des big data, des dons en ligne, du crowdfunding, du peer-to-peer, des réseaux sociaux et des technologies mobiles ou encore du digital storytelling et de la gamification. À l’interne, cela se traduit par des méthodes de collecte hybrides jumelant le virtuel au réel, des campagnes dématérialisées, un enlignement vers le marketing de contenu au détriment du marketing traditionnel, des outils de communication transmedia. S’aventurer dans la cyber-philanthropie ou la philanthropie 2.0 pose plusieurs défis à plus ou moins long terme. Tout d’abord, pour capter l’attention dans un monde hyperconnecté, il faut rivaliser d’efforts et d’endurance, sans compter la concurrence des plateformes privilégiant une approche dite « ascendante » du don répondant à des besoins spécifiques identifiés par les communautés locales. Ensuite, l’abolition des frontières du bassin de
  • 6. Exploration du paysage philanthropique Québécois à l’ère digitale mondiale: état des lieux et perspectives © Charlène Petit - Décembre 2015 6 donateurs potentiels et la décentralisation des dons permises par Internet amèneront nécessairement les organisations à se repositionner dans un contexte de philanthropie globale et mondialisée. Enfin, l’accès aux données ainsi que leur protection seront un enjeu majeur. Parallèlement, ces nouveaux vecteurs de dons vont de pair avec l’évolution des comportements des donateurs qui veulent donner du sens à leur générosité en visualisant l’impact de leur don. Ils sont également plus enclins à poser des gestes dans la vie de tous les jours et davantage sensibles à la manière dont l’organisation leur fait ressentir les choses plutôt qu’à ce qu’elle dit ou fait. La mobilisation passe avant tout par l’émotion véhiculée au cours d’une expérience et moins par le langage et les chiffres. Face à ces grandes tendances, je souhaiterais répondre à deux questions. Premièrement, la révolution digitale ne risque-t-elle pas de créer une pléthorisation et donc une dilution des stratégies employées par les organismes dans l’ensemble de l’écosystème, ainsi qu’une banalisation de l’acte de don réduit à un clic ? En effet, si tout le monde s’accorde à dire que les nouvelles technologies sont importantes, personne n’est unanime sur la façon de les mettre en oeuvre. Deuxièmement, comment s’opère l’articulation online/offline sans réduire la dimension sociale de la gestion philanthropique? Pour y répondre, je me suis constituée une recherche documentaire essentiellement en ligne à partir de récents rapports. Je vais tâcher de rendre compte de mes lectures à travers des rubriques. Une culture digitale à construire Dans une étude menée en 2015 par hjc, Care2 et NTEN1 , seulement 35.43% des répondants canadiens ont déclaré avoir du personnel dédié à la stratégie digitale contre 54.30% des répondants américains. Elle révèle par ailleurs que des départements du développement, du marketing et des communications, c’est celui du développement qui opère de la manière la plus indépendante. Par conséquent, le silo de la collecte de fonds est encore bien imperméable au sein des organisations. L’intégration interdépartementale est donc un enjeu majeur pour maximiser le retour sur investissement des stratégies digitales. Aussi, 74% de l’ensemble des répondants estiment que le manque de personnel 1 2015 Digital outlook report – nonprofit trends and strategy
  • 7. Exploration du paysage philanthropique Québécois à l’ère digitale mondiale: état des lieux et perspectives © Charlène Petit - Décembre 2015 7 est un défi en regard de la planification d’une stratégie digitale. À 63%, ils considèrent que les restrictions budgétaires sont une entrave entraînant une faible tolérance à l’échec pour tester de nouvelles approches. Ils sont 40% à penser que le manque de formation est un obstacle. Autre donnée intéressante, 37% d’entre eux se sentent challengés par rapport à la preuve du retour sur investissement en interne. Une approche marketing indispensable Dans la collecte de fonds traditionnelle, les professionnels ont appris que leur capacité à convaincre un prospect de donner dépend de la livraison du bon message, de la bonne manière, au bon moment. Ceux spécialisés en dons majeurs ont d’ailleurs perfectionné cette règle au moyen de relations personnalisées en face-à-face avec les donateurs. Mais ce concept fondamental prévaut tout autant dans le monde digital. Au lieu de diffuser le même contenu à tout le monde, la technologie disponible aujourd’hui nous permet de créer des conversations personnalisées avec des prospects à qui l’on s’adresse pour la première fois. Pour y parvenir, quatre ingrédients sont requis: la bonne audience, la bonne stratégie, le bon contenu et les bons outils. En premier lieu, il faut s’appuyer sur des personas, c’est-à-dire des personnages fictionnels qui servent à décrire nos segments de donateurs avec des données démographiques, leurs motivations, des informations sur les canaux qu’ils privilégient ou encore ce qu’ils lisent, regardent, écoutent. Les techniques de segmentation couramment utilisées dans les campagnes de publipostage sont tout à fait appropriées pour qualifier le comportement des visiteurs sur les sites web. Google Analytics a récemment mis au point un outil appelé Content Experiments, permettant de tester de multiples versions d’une page web, chacune restant active en même temps. Le deuxième ingrédient est l’inbound marketing qui consiste à amener les gens vers soi grâce à la création de contenu qu’ils trouveront utile et pertinent. L’objectif est de pousser les visiteurs à gravir une série d’étapes appelée dans le vocabulaire marketing la hiérarchie des effets. Ce modèle vise à successivement sensibiliser, informer, créer un désir, appeler à l’action et fidéliser. Un donateur aura été auparavant lead – anglicisme utilisé pour désigner un contact commercial, et prospect. Le contenu est quant à lui à chercher du côté du département des programmes. Il suffit simplement de le rendre
  • 8. Exploration du paysage philanthropique Québécois à l’ère digitale mondiale: état des lieux et perspectives © Charlène Petit - Décembre 2015 8 engageant et digeste. Enfin, il faut garder à l’esprit qu’il n’est pas indispensable de s’offrir des outils dispendieux pour commencer à voir des résultats. Les organisations doivent s’assurer de répondre à un minimum de critères; un site web adapté aux appareils mobiles, des pages de renvoi optimisées et un suivi des données efficace. La plupart des organismes n’utilisent pas l’acquisition de donateurs comme un indicateur de mesure du succès de leur marketing de contenu. Elles le font plutôt à partir de facteurs d’engagement tels que le nombre de vues, de likes ou de partages. Global + solidarité = « globarité » Dans l’ouvrage de Penelope Cagney et Bernard Ross intitulé Global fundraising : how the world is changing the rules of philanthropy (mars 2013), Marcelo Inarra Iraegui et Ashley Baldwin ont rédigé un excellent chapitre sur l’impact des médias sociaux sur la globalisation de la solidarité. Au début d’Internet, la communication avait une forme assez unidirectionnelle. C’est au milieu de la première décennie du 21ème siècle que l’apparition des médias sociaux a changé les règles en introduisant la notion de partage. Les auteurs comparent l’abolition des frontières entre l’intérieur et l’extérieur des organisations sociales à la chute du mur de Berlin en 1989. Ils citent l’exemple de Greenpeace International qui a développé le premier réseau social d’envergure avec l’objectif de mobiliser 30 000 volontaires chargés de monter leur propre campagne pour sauver les baleines, baptisée « I Go – Defending the Whales ». Chacun était libre de faire ce qu’il voulait. Toutefois, la communauté s’auto-règlementait en signalant d’éventuels abus. L’organisation a pu atteindre des objectifs dans des pays où elle n’avait même pas de bureaux, tout cela en décentralisant le pouvoir et la créativité, et en fournissant un cadre clair pour organiser l’action. Inarra Iraegui et Baldwin ont théorisé ce qu’ils appellent le Concept de Mobilisation Publique – Public Mobilization Concept (PMC) permettant de créer des campagnes qui encouragent les gens à s’impliquer au niveau digital. Ils distinguent le modèle réactif et le modèle proactif. Le premier repose sur l’opportunisme, surfant sur des nouvelles choquantes pour la société. Greenpeace et Amnesty utilisent ce modèle qui nécessite
  • 9. Exploration du paysage philanthropique Québécois à l’ère digitale mondiale: état des lieux et perspectives © Charlène Petit - Décembre 2015 9 d’avoir une certaine maturité digitale. Le modèle proactif, plus traditionnel, place les organisations en position de choix face au thème de leur campagne digitale. Pour ce faire, les auteurs recommandent de respecter 10 principes. Celui-ci doit être simple à comprendre - si on ne peut expliquer les objectifs principaux en un SMS ou un commentaire Facebook, c’est trop compliqué; facile à partager et à aimer; émotionnel; pertinent; remarquable – les gens recherchent une expérience unique et inoubliable; personnel – les supporteurs de la cause veulent être des protagonistes; positif – en évacuant tout sentiment de culpabilité; persistant; récompensé instantanément et ouvrir la voie au storytelling. Cette interaction en temps réel rendue possible aux quatre coins du monde a donné lieu à une nouvelle discipline, la cyber-anthropologie, qui a pour but d’étudier comment les humains utilisent les nouvelles technologies pour développer leur Soi mental2 . La cyber- anthropologiste américaine Amber Case va même jusqu’à dire que de nos jours, tout le monde porte un trou de ver dans sa poche, faisant référence au téléphone cellulaire. Sans aller aussi loin dans la théorie, attardons-nous un instant sur la percée du livestreaming et de la réalité augmentée au sein des organisations. L’Agence des Nations Unies pour les réfugiés a fait usage du livestreaming durant le World Refugee Day Live pour diffuser en direct des images de camps et permettre aux donateurs effectifs et potentiels d’interagir avec les bénéficiaires. Force est d’admettre que demander aux gens d’apporter une contribution financière pour résoudre des problèmes qui touchent des populations se trouvant à des milliers de kilomètres d’eux, qu’ils ne peuvent aucunement appréhender de manière tangible relève de l’acte de foi. Cette technologie peut également être utilisée à des fins de transparence au sein des organisations pour montrer le déroulement de leurs activités et campagnes de financement. La réalité augmentée est tout aussi intéressante pour procurer une expérience immersive aux supporteurs de la cause. WWF Chine l’a expérimenté lors de sa campagne « Wildlife’s fate is in your hands » afin de montrer comment la vie sauvage évolue en dehors de son habitat naturel. Deux semaines après le lancement de la campagne, le nombre de membres a doublé. 2 Ashley Baldwin, « Welcome to the Wormhole », Innophoric watch, June 2011
  • 10. Exploration du paysage philanthropique Québécois à l’ère digitale mondiale: état des lieux et perspectives © Charlène Petit - Décembre 2015 10 Perspectives À l’heure où l’on se pose encore la question au Québec de savoir pourquoi et comment embarquer dans l’aventure numérique, d’autres s’interrogent en Europe de manière beaucoup plus active et concrète sur les perspectives liées à la philanthropie digitale. Parfois, les réflexions les plus stimulantes proviennent des acteurs du secteur à but lucratif, à l’instar de Zone, une agence basée à Londres, Bristol et Cologne accompagnant les marques dans leur immersion au sein du monde digitale, et qui a publié un guide pratique sur la philanthropie digitale3 . Ainsi, les auteurs y portent à notre attention le fait que le don en ligne ne doit pas s’affranchir de l’émotion. Il n’y a qu’à penser au caractère froid et superficiel du don par SMS par exemple dans les situations d’urgence pour en saisir la portée. La rapidité d’exécution du don et le manque d’interaction émotionnelle rattachée au geste ne permettent pas au donateur de créer une expérience mémorable, nous privant par la même occasion de la plupart de nos chances de le convertir en donateur régulier. Pour pallier cet écueil, Zone évoque la piste du mouvement slow web. Il existe aujourd’hui une demande pour s’informer en profondeur. Les articles de fond ne sont plus boudés mais sollicités sur des plateformes comme TheFeature.net et LongReads.com. Transposée à la philanthropie 2.0, cette tendance pourrait s’incarner à travers une analyse détaillée d’une décision prise en collecte de fonds ou des interviews avec des donateurs fidèles. Toujours selon l’agence Zone, il est essentiel de se demander s’il est opportun pour les organismes d’interrompre constamment les visiteurs dans leur navigation pour leur demander de faire un don en ligne. L’enjeu est de faire bonne impression sans ennuyer l’internaute, tout en gardant à l’esprit que la principale raison pour laquelle les gens donnent est parce qu’on le leur a demandé. Dès lors, la solution pourrait être de créer des façons de générer de petites interactions et du feedback sur le travail de l’organisme, un peu à la manière d’un blogueur avec son audience, afin d’augmenter progressivement l’engagement des visiteurs. Par exemple, un bouton « Merci » signifiant que l’effort de 3 The digital fundraising handbook : persuading more people to give online, Public Zone, 2012
  • 11. Exploration du paysage philanthropique Québécois à l’ère digitale mondiale: état des lieux et perspectives © Charlène Petit - Décembre 2015 11 l’équipe a été apprécié, ou encore un bouton « Ceci m’a aidé(e) » pourraient trouver place en bas de page. Seulement après leur activation, une demande pourrait être adressée de la manière suivante : « Nous sommes heureux que ceci ait pu vous aider – c’est ce que nous faisons. Pouvons-nous vous envoyer un email la prochaine fois que nous pensons que vous trouverez utile un contenu similaire? ». Le questionnement se poursuit avec la notion d’implication du donateur. Lui permet-on de s’impliquer suffisamment? Il peut s’écouler des mois avant qu’un don s’additionne à d’autres pour concrétiser un projet. Le digital nous donne l’opportunité d’être plus transparents au sujet de ce que nous faisons pendant ce lapse de temps. Après un don, le message de remerciement ne devrait-il pas durer au-delà de la page de confirmation du paiement? Le meilleur cas d’école est sans conteste celui de charity : water avec « dollars to project », l’incarnation même de la reddition de compte version digitale. L’organisation américaine s’est donnée pour mission de construire des puits d’eau potable dans les pays sous-développés. Chaque dollar investi est scrupuleusement affecté à une dépense et à un projet, coordonnées GPS et photos à l’appui. Il y a quelques années, l’organisation a tenté d’implanter un puits au Malawi, tentative qui s’est soldée à trois reprises par un échec non dissimulé, en raison du grand nombre de couches de sable à creuser. Si charity : water a fait amende honorable, elle n’a pour autant pas sacrifié son objectif sur l’autel du renoncement en prenant le temps d’aller chercher le succès et d’en montrer les étapes. Admettre l’échec permet de bâtir un lien de confiance avec le donateur et d’augmenter sa crédibilité auprès du public. Ce modèle d’authenticité est certainement ce qui a permis à l’organisation de se former une armée de gens engagés prêts à se mobiliser pour soutenir la cause. Les médias sociaux sont également des plateformes d’échanges désignées pour discuter avec les donateurs sans tabou ni jargon. Une idée serait d’organiser une session mensuelle de questions/réponses sur Twitter avec un membre de chaque service de l’organisation. Le succès de certains outils nous conduit à mener une réflexion sur leur utilisation et leur impact au sein de notre organisation à l’instar du peer-to-peer. Il faut savoir que 90% des dons en ligne sont faits sur des plateformes tiers selon Zone. Est-ce préjudiciable pour
  • 12. Exploration du paysage philanthropique Québécois à l’ère digitale mondiale: état des lieux et perspectives © Charlène Petit - Décembre 2015 12 notre capacité à fidéliser nos donateurs? S’en remettre à des ambassadeurs ne constitue-t- il pas un risque de perdre le contrôle sur notre discours et notre relation avec les donateurs qui ont davantage l’impression de donner à leur ami qu’à l’organisme? Prenons l’exemple de Movember qui est parvenu à lever des millions sans toutefois augmenter significativement la sensibilisation aux cancers de la prostate et des testicules. Ce type d’outil doit-il être restreint au financement de projets d’envergure dont la puissance des effets de réseaux est éprouvée? Ultimement, les organisations peuvent-elles tirer avantage de leurs histoires en les amenant ailleurs ou en se joignant à de nouvelles conversations? Zone en a fait l’expérimentation pour le compte de Prostate Cancer UK en lui proposant un partenariat avec la ligue de football. Partant du constat qu’un homme sur neuf est affecté par la maladie au Royaume-Uni, l’agence a créé un blogue sur les meilleurs attaquants portant le numéro neuf, autrement dit les joueurs ayant un rôle clé dans l’équipe. Cette campagne a permis de générer un trafic important sur le site web de l’organisme et surtout de montrer que ce n’est pas parce que l’on agit dans le domaine de la santé que l’on doit toujours raconter nos histoires dans un contexte médical. Maîtriser son récit est une compétence dont le caractère singulier tend à devenir incontournable. Prospective La collecte de fonds est appelée à devenir de plus en plus « fun » grâce à l’introduction du jeu. Dans son livre Fun Inc. : Why games are the 21st Century’s most serious business, Tom Chatfield énonce que le bénéfice que les jeux peuvent avoir sur n’importe quel autre médium est qu’il permettent l’apprentissage expérientiel. Cette théorie est supportée par Jane McGonical, chef de la recherche et du développement du jeu à l’Institut pour le futur, et également auteure d’une thèse sur les raisons pour lesquelles nous sommes meilleurs au jeu que dans la vie. En effet, selon elle, quand nous sommes dans le jeu, nous sommes la meilleure version de nous-mêmes, cherchant à dépasser nos échecs et à recommencer jusqu’à ce que nous réussissions. Pourquoi ne réagissons-nous pas de la même manière dans la vie lorsque nous sommes confrontés à des obstacles? Elle
  • 13. Exploration du paysage philanthropique Québécois à l’ère digitale mondiale: état des lieux et perspectives © Charlène Petit - Décembre 2015 13 met en exergue la puissance des environnements collaboratifs virtuels comme la communauté de World of Warcraft, un jeu de stratégie en temps réel qui repose sur la résolution commune de problème. Le jeu en ligne permet de conditionner les générations futures autour de 4 compétences essentielles au changement du monde à savoir, l’optimisme urgent, un tissu social très fort, la productivité et le sens de l’épopée. À présent, imaginons un instant que les 21 milliards d’heures consacrées au jeu par semaine soient utilisées pour résoudre des problèmes réels. Dans les 10 prochaines années, on s’attend à un milliard de nouveaux joueurs dans le monde, autant dire de potentielles ressources humaines impressionnantes. En attendant, des applications mobiles alliant le jeu au bien commun ont vu le jour. Commons, qui a remporté le prix du Real World Games for Change, encourage les New Yorkais à agir pour des causes sociales dans leur secteur local. Grâce à un système GPS, les citoyens peuvent localiser des problèmes sociaux et environnementaux et suggérer des façons d’en venir à bout. Au Royaume-Uni, l’organisme DePaul UK a lancé l’application iHobo invitant les détenteurs d’iphone à télécharger un sans-abri virtuel qui vit dans leur téléphone pendant 3 jours. Le but était de rendre compte de la complexité de l’itinérance et du travail mené par l’organisation à travers une expérience interactive. Avec un budget de 9 400 $ iHobo a été téléchargé plus de 600 000 fois et le trafic mensuel du site web de l’organisation a augmenté de presque 60%. Ce qu’on constate, c’est que si ce genre d’initiatives demeure encore assez marginal dans le secteur caritatif, il affole les entrepreneurs sociaux qui rivalisent d’imagination pour mettre le numérique au service de l’intérêt général. Aux États-Unis, il existe même un rendez-vous annuel, le Social Good Summit, dédié aux enjeux des nouvelles technologies face aux initiatives sociales. Parmi elles, l’application Charity Miles permet aux sportifs de convertir leurs distances parcourues en argent gagné qu’ils peuvent ensuite verser à l’association de leur choix. Il suffit pour cela de partager sa performance sur les réseaux sociaux pour que le don soit accepté. Sleio est un moteur de recherche référençant près de 30 000 sites de e-commerce partenaires. À chaque achat effectué sur l’un d’entre eux, Sleio perçoit une commission qui est reversée intégralement à une association caritative. Des fonds sont également reversés après chaque clic sur des bannières publicitaires ou
  • 14. Exploration du paysage philanthropique Québécois à l’ère digitale mondiale: état des lieux et perspectives © Charlène Petit - Décembre 2015 14 des liens sponsorisés. Citons également Dollar a day, un service qui propose aux utilisateurs de payer une contribution de 30$ renouvelable tous les 30 jours afin de faire œuvre utile. Ainsi, quotidiennement, tout le monde donne 1$ à un organisme qui change à chaque jour. Dans ce modèle, l’insignifiance du quotidien est prétexte à poser des gestes peu mobilisants dont l’impact est proportionnel à la masse des participants. Toutefois, ces nouveaux acteurs du web social ne risquent-ils pas de perturber la lisibilité de l’économie du don en ligne ou pire, de générer des « slacktivistes »4 à la place de philanthropes digitaux? Synthèse et discussion Lors de mes entrevues, tous les intervenants rencontrés ont admis que le milieu philanthropique devait adopter certains réflexes du milieu corporatif en termes de développement, stratégie et rentabilité. Dès lors, le marketing semble être un allié de taille pour les organismes de bienfaisance. On peut d’ailleurs établir un parallèle entre un donateur et un consommateur qui est habitué à se reconnaître dans une marque, auquel il faut être en mesure de communiquer une proposition de valeur qu’il identifiera et appréciera. Les organismes ne réalisent pas toujours que le donateur n’est pas obligé de reconduire son don et que la rétention en terrain concurrentiel doit passer par une approche plus relationnelle et fidélisante. Le marketing de contenu est le seul endroit où les organismes peuvent tirer un avantage commercial. De nos jours, et avec l’explosion des réseaux sociaux, les gens vont eux-mêmes chercher l’information qu’ils désirent. Il faut donc adopter une stratégie d’attraction et non de pression. Pour évoquer la nécessité de susciter l’intérêt plutôt que de le contraindre, Martin Goyette s’appuie sur la comparaison entre de grandes marques comme Nike qui doivent inventer de toute pièce leur storytelling, et les organisations philanthropiques qui n’ont qu’à trouver une façon de packager et de diffuser le leur. Ces dernières ont beaucoup de belles histoires à raconter. Mais cette ressource première est encore largement sous-exploitée faute de savoir comment le faire. M. Goyette me partage alors une piste de solution en proposant de transposer le concept du « Golden circle » de l’américain Simon Sinek dans le milieu 4 Le «slacktivisme», combinaison de «slacker» («fainéant») et «activisme», désigne les personnes qui supportent les organisations sociales en s’impliquant minimalement. Ils aiment une page Facebook, signent une pétition en ligne, ou encore partagent une vidéo.
  • 15. Exploration du paysage philanthropique Québécois à l’ère digitale mondiale: état des lieux et perspectives © Charlène Petit - Décembre 2015 15 philanthropique. En effet, ce dernier a hiérarchisé les trois questions que doit se poser toute entreprise, à savoir, que fait-on, comment le fait-on et pourquoi le fait-on. La plupart d’entres elles commencent par d’abord répondre au quoi, puis au comment et terminent par le pourquoi. Or, les leaders font le chemin exactement inverse et communiquent en premier lieu sur les raisons pour lesquelles les gens devraient s’intéresser à ce qu’ils font. Mettre l’emphase sur le pourquoi leur permet ainsi de vendre une marque et non un produit. Néanmoins, une fois l’attention captée, il ne faut pas avoir peur de montrer ce qu’il se passe en toute transparence, de partager ses bons et mauvais coups. Lorsque nous sommes en relation avec quelqu’un, nous ne sommes pas toujours dans la séduction. Nous sommes également enclins à parler de nos défauts. Hal Williams suggère même d’alterner cinq histoires à succès avec une histoire qui a échoué5 . Les donateurs savent qu’on ne peut pas apprendre des erreurs qu’on n’a jamais faites. Si les opportunités de mettre en place une stratégie numérique semblent évidentes, les interlocuteurs rencontrés ne voient pas de menaces mais plutôt des faiblesses en interne. Beaucoup d’organismes se retrouvent forcés de se raconter un peu plus et de s’ouvrir, ce qui ne suscite pas toujours l’enthousiasme. La volonté de comprendre n’induit pas nécessairement la volonté d’agir, et ce, pour deux raisons essentielles. Il y a tout d’abord un manque cruel d’expertise et un grand inconfort à mettre en œuvre des stratégies digitales nécessitant un nouveau savoir-être qui est encore loin d’être ancré au cœur des organisations n’ayant pour la plupart pas fait de la planification de la relève et de la formation des priorités. Or, la technologie force les gens à s’adapter à des changements majeurs et constants. C’est la raison pour laquelle la gestion du changement est un volet qui doit être pris en charge par les gestionnaires. D’autre part, ces organisations ont du mal à confier les clés du web et des réseaux sociaux à des spécialistes qui ont eu du succès dans la culture numérique par crainte de ne plus avoir le contrôle du discours qui entoure la cause. Il ne s’agit pas d’une limitation 5 When impact becomes results, npEXPERTS, The future of fundraising, rapport de Blackbaud, p.12
  • 16. Exploration du paysage philanthropique Québécois à l’ère digitale mondiale: état des lieux et perspectives © Charlène Petit - Décembre 2015 16 financière mais bien du refus d’accepter une forme d’ingérence. Lorsqu’elles externalisent, ces organisations peinent à aller chercher les compétences les plus « up-to- date » ou travaillent avec des agences qui n’ont pas d’expérience en philanthropie. Toutefois, des succès célèbres nous ont montré que les outils digitaux pouvaient être des leviers extraordinaires à coût nul. La Fondation CHU Saint-Justine, pionnière dans le domaine, a compris très tôt qu’investir dans le micro-don nécessitait de se bâtir en amont une communauté. En 2010, la fondation s’est associée avec la firme de linge pour enfant Clément dans le cadre de sa campagne web "50 000 adeptes = 5000 toutous". Le partenaire s’est engagé à remettre 5 000 toutoux aux enfants hospitalisés une fois le nombre de 50 000 amis Facebook avec le CHU Sainte-Justine atteint, ce qui a été réalisé en un mois seulement. Ce bon coup a permis par la suite de capitaliser sur une audience réceptive au moment du lancement de la campagne du Grand sapin de Sainte-Justine qui propose chaque année aux donateurs d’allumer une ampoule au coût de 5$. Ultimement, si l’introduction des outils numériques fait l’unanimité, il n’y a pas partout le même sentiment d’urgence. Cet attentisme se traduit par un retard assez important par rapport au reste du Canada et du monde. Sacha Declomesnil reconnaît qu’il n’est pas facile d’adopter les nouvelles technologies car pour passer à travers la courbe d’apprentissage, il faut de la patience et de la régularité. Le retour sur investissement se fait attendre ou n’est pas tout de suite à la hauteur des objectifs escomptés. Adeline Caron me confie qu’il est normal la première année d’implantation d’une stratégie numérique que cela ait coûté 10 000$ pour en rapporter 30 000$. Les efforts imputés à leur mise en œuvre peuvent être délaissés au profit de l’accomplissement du « day-to-day », en particulier dans les organisations en manque de ressources. Mais compte tenu du temps d’implémentation, il vaut mieux insérer du numérique progressivement par petites doses plutôt que de s’exposer au risque d’un retard perpétuel. Selon Adeline Caron, le Québec est suiveur en matière de technologie. Il est temps qu’il y ait un vent de changement dans les organisations philanthropiques, le même qui a déjà semé l’innovation depuis un certain temps dans le secteur lucratif. Tout est une question d’essai/erreur. Il faut expérimenter pour pouvoir évaluer nos pratiques et ensuite prendre des décisions basées sur des chiffres. Comme le disait très justement Dan Pallotta lors d’un TED Talk, si on
  • 17. Exploration du paysage philanthropique Québécois à l’ère digitale mondiale: état des lieux et perspectives © Charlène Petit - Décembre 2015 17 n’autorise pas l’échec, on tue l’innovation en collecte de fonds, on n’arrive pas à générer davantage de recettes, on ne peut pas grandir et donc résoudre de grands problèmes sociaux. La généralisation de l’adoption d’une stratégie numérique ne va pas nécessairement conduire à l’uniformisation des tactiques employées car le mimétisme va forcer les organisations à être de plus en plus créatives pour tirer leur épingle du jeu. Toutefois, bien que mimer soit à la portée de tous, tous ne réussiront pas de la même manière. Comme le souligne Adeline Caron, ce qui est important derrière l’outil c’est la stratégie. Celle-ci doit être pensée de manière globale et intégrée. La tendance est d’ailleurs au Cloud qui d’ici quelques années supplantera les bases de données sous licence serveur afin notamment d’arrimer le CRM du donateur avec des outils de collecte de fonds en ligne, mais aussi d’automatiser les processus opérationnels. On peut imaginer par exemple d’implanter des alertes automatiques pour qu’à chaque don reçu on place un appel, ou encore que pour chaque don de 1 000$ et plus, un courriel soit envoyé au Directeur Général. Un système intégré est un gage d’efficience et d’efficacité dans la relation avec les donateurs car il permet de faire des suivis à tous les niveaux et de croiser des données entre elles partout et à tout moment. Sacha Declomesnil voit même dans la philanthropie digitale un nouveau domaine d’application du « machine learning » ou apprentissage par les données, de plus en plus répandu dans le secteur du e-commerce. À l’image de l’analyse prédictive d’un panier d’achat d’un consommateur, on pourra observer les comportements des donateurs en ligne et faire en sorte qu’ils reviennent de plus en plus souvent et qu’ils s’engagent sur des montants plus importants. À l’heure actuelle, les organismes fonctionnent encore trop en silos, juxtaposant le online au offline au lieu de les superposer. Le manque de perméabilité entre les systèmes d’information est un obstacle à la centralisation des données, assurée « à la mitaine » et mobilisant des ressources et de l’énergie qui, dans la majorité des cas, ne sont pas excédentaires. Une chose est certaine, l’investissement minimal de la part des organismes doit se concentrer sur l’actualisation de leur site web
  • 18. Exploration du paysage philanthropique Québécois à l’ère digitale mondiale: état des lieux et perspectives © Charlène Petit - Décembre 2015 18 dont la durée de vie est fixée à environ 3 ans, et les adapter au format mobile. Ils ne peuvent également pas faire l’impasse sur leur présence sur les réseaux sociaux. Pour terminer, mes interlocuteurs m’ont tous partagé leur vision de ce que sera la philanthropie 3.0 et il ressort que la dimension relationnelle devra être privilégiée sous l’angle de la personnalisation, de la segmentation et des interactions adaptées à chaque donateur. Martin Goyette prône une forme de retour en arrière, de retour à l’essence même de ce qu’est une relation et de ce qui en fait sa beauté. Le conseil qu’il lance aux organismes est de mettre en application l’approche pratique du livre de Dale Carnegie, Comment se faire des amis, un best-seller mondial écrit par le « Père des relations humaines ». Cet ouvrage, aux exemples désuets mais aux principes toujours aussi actuels, perce le grand secret des relations humaines sincères et généreuses. Il propose d’agir sur huit points fondamentaux tels que savoir éveiller de nouvelles pensées, de nouvelles perspectives, s’attirer facilement et rapidement des amis, se faire apprécier davantage, rallier les autres à notre point de vue, développer notre influence et notre capacité à faire agir, garder l’harmonie dans nos relations avec les autres, développer nos talents d’expression et de communication, ou encore susciter l’enthousiasme parmi nos collaborateurs. La poignée de main et la rencontre restent encore des vecteurs relationnels avec les autres indispensables à la qualité des échanges. Ceci est d’autant plus vrai et nécessaire à mesure que l’on grimpe dans la pyramide des donateurs. Il arrive régulièrement à M. Goyette d’aller chercher en personne le chèque de ses donateurs. C’est une manière de ne pas rester sur une transaction impersonnelle. Mais la technologie peut avoir un effet multiplicateur selon Sacha Declomesnil. Dans une perspective de collecte de « masse », elle permet d’adapter notre contenu et nos réponses au degré d’engagement du donateur et au montant de son don. Il sera donc de plus en plus important de classifier en amont ses donateurs pour assurer une meilleure intendance. Adeline Caron identifie quant à elle trois types de donateurs : le donateur unique, le donateur récurrent et le donateur solliciteur. Le profil doit être identifié afin d’offrir un service à la clientèle personnalisé. Sans des processus internes rigoureux, des outils de mesure et un travail d’équipe solide, on risque de perdre des donateurs qui pourraient
  • 19. Exploration du paysage philanthropique Québécois à l’ère digitale mondiale: état des lieux et perspectives © Charlène Petit - Décembre 2015 19 devenir des ambassadeurs importants pour la cause. Sonder la clientèle cible pour utiliser des moyens de communication qui répondent à leurs attentes et leurs besoins est une stratégie qui contribue aussi à fidéliser, convertir et engager le public. La mise en place d’un réseau d’ambassadeurs notamment au moyen de plateformes peer-to-peer est un levier qu’il faudra de plus en plus utiliser afin d’accroître les dons individuels. Toutes les études récentes démontrent que les gens donnent parce que c’est un individu spécifique qui leur demande. Les outils technologiques permettent de faciliter cette tendance en réalisant de grosses économies logistiques et organisationnelles. De plus, la difficulté croissante d’obtenir des dons corporatifs en raison du nombre réduit de causes soutenues par les entreprises chaque année, oblige les organismes à se positionner grand public en faisant des campagnes en ligne. Conclusion Aux questions soulevées en introduction, les réponses ne sont ni tranchées ni manichéennes. L’arrimage des nouvelles technologies aux stratégies des organisations n’est pas tant proportionnel à la taille de la structure qu’à la pertinence de mettre de la technologie là où c’est nécessaire. Toutefois, s’en emparer de manière positive demeure une nécessité afin de minimiser les écarts de développement entre les organismes qui se digitalisent et les autres, moins enclins à innover ou à conformer leurs activités aux nouvelles demandes des donateurs. L’innovation dont il est question n’est pas celle qui génère des bénéfices à court terme mais celle qui requiert de changer les façons de faire en profondeur, de bousculer l’ordre établi avec audace et courage. Il est fort probable que plusieurs modèles devront cohabiter pour le meilleur et pour le pire. Nous aurons d’un côté les gros organismes qui auront les moyens de la surenchère; de l’autre, les petits qui devront rivaliser au-delà de la puissance marketing des premiers en redoublant de créativité. Et nous avons vu plus haut, qu’il est possible de faire de bons coups sans grever un budget, loin de là. Entre les deux, des start-ups viendront disrupter le marché en réinventant les systèmes de donations. Quant au lien entre le réel et virtuel, il est plausible qu’il soit de nature bidirectionnelle mais avec des échanges de formes et d’intensités différentes. Par le pouvoir de la viralité et l’accélération des données, le numérique permet de bâtir une large audience donnant de la voix pour propulser des projets, et donc
  • 20. Exploration du paysage philanthropique Québécois à l’ère digitale mondiale: état des lieux et perspectives © Charlène Petit - Décembre 2015 20 une notoriété. Tout l’enjeu est par la suite de transformer cette communauté informe d’ambassadeurs en fidèles donateurs, de passer de l’engagement à l’implication, de pérenniser l’éphémère. Plus on monte dans la pyramide de dons, plus le relationnel est important mais là où les outils numériques sont des leviers de mobilisation pour les masses, ils sont des leviers d’innovation dans la gestion de la relation avec les donateurs. Une chose est certaine, les statistiques manquent au Québec et au Canada afin de connaître notamment le nombre de dons en ligne, sur les plateformes peer-to-peer, par qui, à quelle fréquence et pour quel montant. Je pense que cela inciterait les organisations à agir et leur permettrait de se fixer un cap appuyé par des données locales et non pas internationales. Il faut aussi que les associations professionnelles se fassent les porte-voix des succès remportés et de la connaissance apportée par les expérimentations mises en oeuvre pour rendre le monde digital plus proche des organisations. La littérature fait tout autant défaut que les chiffres. Écrivons nos pratiques. Enfin, je terminerai par la réflexion suivante. Si la technologie nous a bien appris une chose, c’est que de par sa nature, elle appelle l’amélioration continue. Alors à défaut de travailler étroitement avec elle, appliquons son précepte dans la gestion des organisations. Perspectives professionnelles À la lumière de ces réflexions, force est de constater le champ d’opportunités qui s’ouvre aux professionnels en collecte de fonds tant au niveau de la conquête que de la rétention des donateurs particuliers. Les nouvelles technologies fournissent aux donateurs de nouveaux moyens de donner et de s’informer sur les causes, mais dotent également les organisations d’outils encore largement sous-exploités pour dialoguer, communiquer leur engagement et défendre leur positionnement sur le marché philanthropique. J’oserai même aller plus loin en affirmant que le digital constitue un véritable atout pour bâtir une culture philanthropique au Québec. L’indice de générosité développé par la firme Épisode me conforte dans cette idée. En effet, cet indice permet de connaître la variation des dons déclarés ou non déclarés effectués par les individus. Cette mesure est obtenue en divisant la somme des dons déclarés ou non par le revenu du ménage. L’indice de générosité 2013 pour le Québec était de 0,003, ce qui signifie que pour chaque tranche de 100$ de son revenu brut, un québécois versait 0,30$ sous forme de don. Si on observe cet
  • 21. Exploration du paysage philanthropique Québécois à l’ère digitale mondiale: état des lieux et perspectives © Charlène Petit - Décembre 2015 21 indice par génération, les générations X et Y sont à ex-aequo à 0,003, les baby-boomers à 0,005 et les matures à 0,008. Ces chiffres m’inspirent une marge de progression dont il ne tient qu’à nous de faire fleurir. Mon sentiment est que beaucoup d’organisations sont obnubilées par les campagnes majeures car elles sont les seules à faire les gros titres de la presse. Mais il ne faut pas oublier deux choses. Premièrement, tout le monde ne peut pas se le permettre en termes de ressources et de structure organisationnelle. Ensuite, ces campagnes reposent essentiellement sur les « TLM » (toujours les mêmes), soit les grands donateurs corporatifs du Québec Inc., les grandes institutions financières, les sociétés d’État et les fondations qui ont pignon sur rue. Juste par la force de l’inertie, les organisations qui jouissent d’une force d’attraction plus importante par leur capacité à recevoir des dons majeurs s’enrichissent, raflant ainsi les parts de marché. Certains commentateurs se demandent même si cet âge d’or ne serait pas en train de sombrer pour assister à une nouvelle forme de générosité plus axée sur la collaboration que le don. La tarte des dons corporatifs est en diminution et les soutiens passent de plus en plus par la commandite et le bénévolat des employés qui sont deux volets importants de la politique de responsabilité sociale des entreprises. Par conséquent, l’argent est entre les mains des individus. Dans la mesure où il est plus difficile de s’enrichir au Québec et au Canada qu’aux États-Unis, et où les fortunes se construisent à la vitesse d’un cheval blessé au galop, le segment de masse est à privilégier dans la stratégie des organisations. Selon moi, les micro-dons individuels sont une belle porte d’entrée vers le développement d’une culture philanthropique. La technologie peut faire en sorte que celle-ci soit contagieuse, étant admis que plus les gens donnent d’une manière, et plus ils le feront de toutes les manières. Essayons de penser la gestion philanthropique autrement, avec une approche visant la création de valeur et la capacité à la communiquer efficacement auprès de la communauté afin qu’elle soit perçue comme étant supérieure dans l’esprit des donateurs potentiels. Quant on sait que le nombre d’organismes auxquels contribuent en moyenne les individus varie de 2,2 (chez les X) à 3,8 (chez les matures), il est plus qu’indispensable de se donner les moyens de figurer dans ce que l’on appelle en marketing leur « ensemble évoqué », c’est-à-dire l’ensemble des différentes alternatives qui s’offrent à lui dans son
  • 22. Exploration du paysage philanthropique Québécois à l’ère digitale mondiale: état des lieux et perspectives © Charlène Petit - Décembre 2015 22 processus de décision. Pour cela, il est essentiel de bien connaître nos cibles et le big data peut nous aider à y parvenir. Nous l’avons vu, les multiples canaux à notre disposition sur la toile sont de précieuses sources d’information qu’il faut apprendre à exploiter et déchiffrer pour identifier des leviers d’action à chacune des étapes du cycle de vie du donateur, dégager des tendances, formuler des prédictions. Le datamining ou l’extraction et l’analyse qualitative de données doit entrer dans une nouvelle ère, celle où le système d’information est repensé. Tout est dans tout. Les données hors ligne et en ligne doivent être étudiées dans une démarche systémique est non séquentielle. Le datamining est à la collecte de fonds ce que la GRC (Gestion de la Relation Client) est au marketing, et a pour but d’améliorer la performance des organisations et de modéliser la connaissance approfondie des données en décisions stratégiques et opérationnelles. La recherche, l’analyse et la gestion de l’information et des données sont la clé de la réussite en philanthropie car sans ces trois composantes, il n’est pas possible de construire correctement son offre, son discours ni son plan de collecte.