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Peu connu en France, le «Bloomsbury
Group» est un mythe en Angleterre. Tant
sur le plan littéraire, artistique, politique
que… sexuel. À l’heure où le musée
La Piscine à Roubaix lui rend hommage,
nous avons rencontré sa dernière
représentante, Angelica, la nièce
de Virginia Woolf. Par Barbara Lambert
TELLEMENT
«BLOOMSBURY»!
Vanessa et son
frère Thoby
Stephen, l’un
des quatre
fondateurs du
«Bloomsbury
Group», en 1900.
Thoby meurt
six ans plus tard.
En 1930, à
Charleston, dans
le Sussex, chez
Angelica Bell et
Duncan Grant.
De gauche à
droite: Angus
Davidson,
Duncan Grant,
Julian Bell,
Leonard Woolf.
Assis : Virginia
Woolf, Margaret
Duckworth, Clive
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Le peintre
Duncan Grant,
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et vrai père
d’Angelica (elle
ne l’apprendra
qu’à l’âge
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Angelica, la fille
de Vanessa,
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de sa tante
Virginia Woolf,
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les vacances à
Cassis en 1928.
En 1910, à
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Virginia Woolf
et Clive Bell,
le mari de
Vanessa, père
supposé
d’Angelica.
Virginia Woolf à 20 ans,
en 1902. Son premier livre,
«La traversée des apparences»,
paraîtra en 1915.
La scénographie s’inspire
des décors Bloomsbury
de la maison de Charleston,
où le Groupe se réfugia
pendant la Seconde Guerre.
©DAVIDATLAN;TATE/LONDON2010(5);LONDRES,NATIONALPORTRAITGALLERY
PGINT DE VUE 43
SAGA
Parmi les objets exposés,
empruntés à Charleston
(à gauche), un tapis et un
meuble d’angle (ci-contre)
réalisés par Duncan Grant,
à qui l’on doit aussi ce très
beau portrait de Vanessa
datant de 1917 (à droite).
Vous êtes la dernière représentante
du Bloomsbury Group.
Vous en sentez-vous membre ?
Non, je suis trop jeune : le groupe n’exis-
tait plus quand j’étais en âge d’y entrer.
Et puis, surtout, j’ai une autre attitude
envers la vie. On m’a longtemps caché,
par exemple, la véritable identité de mon
père. Jusqu’à l’âge de 17 ans, on m’a fait
croire que c’était Clive Bell, le mari de ma
mère. Et puis, un jour, on m’a annoncé
que c’était Duncan Grant, son amant.
Dans ce groupe qui se voulait très libre,
il restait donc encore des tabous…
Des tabous, mais aussi des contradictions,
car mentir allait à l’encontre de leur philo-
sophie de vie. Je crois que ma mère avait
honte de m’avoir menti.
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Virginia Woolf note à propos de vous :
«Angelica, ravissante comme toujours,
mais peut-être un peu trop adulte
pour son âge…»
J’étais un peu trop «Bloomsbury»! Je n’ai
en fait reçu aucune éducation (rires). J’ai
passé six ans en pension. Chaque fois qu’on
essayait de m’apprendre quelque chose qui
ne me plaisait pas et que je me plaignais,
ma mère me disait: «Oh, ce n’est pas grave,
tu n’en as pas besoin, après tout»… ce qui
fait que je n’ai jamais rien appris, à part
l’art. Je n’ai jamais passé d’examen. J’ai
quitté l’école avec à peu près le même
niveau de connaissances que lorsque j’y suis
entrée. Je regrette énormément de ne pas
avoir fait d’études. Cela m’aurait donné un
peu confiance en moi. J’étais comme un
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éloignée de tout, de la compagnie
d’autres enfants, notamment…
J’avais quelques amis, mais que je ne voyais
EN ANGLETERRE et dans le monde
anglo-saxon, son empreinte est telle qu’il
fait partie du langage courant. «Avoir l’es-
prit Bloomsbury», «être Bloomsbury»
désigne une position à la fois enviable et
particulière. S’y mêlent les idées d’appar-
tenance à une élite cool chic, une avant-
garde brillante, audacieuse (mais plutôt
snob), une communauté d’artistes et d’ar-
tistes bohèmes, affranchis de certains
tabous (mais pas de tous). Un genre, aussi,
moderne en diable, celui des «Ateliers
Omega» du peintre et critique Roger Fry,
à qui l’on doit, excusez du peu, l’expression
de «postimpressionnisme».
Au départ du «Bloomsbury Group», il y a
une société quasi-secrète, les Apôtres, for-
mée par des étudiants de Cambridge, parmi
lesquels le futur économiste John Maynard
Keynes et Thoby Stephen, frère de l’écri-
vaineVirginiaWoolf et de la peintreVanessa
Bell. Il y a aussi et surtout la nouvelle
demeure des quatre enfants Stephen:
Thoby, Virginia, Vanessa, donc, mais aussi
Adrian qui, après la mort de leur père, déci-
dent en 1904 de s’installer à Londres, à
Gordon Square, dans le quartier de
Bloomsbury. Libres de toute tutelle, les
jeunes gens y instituent leurs soiréesdu jeudi
auxquelles se pressent bientôt, et entre
autres, E.M. Forster, Aldous Huxley, T.S.
Eliot, Katherine Mansfield, Christopher
Isherwood, Gertrude Stein, Cecil Day-
Lewis, Vita Sackville-West… autant dire la
«crème» de la littérature d’alors, que contri-
bueront à faire connaître Virginia et son
mari Leonard Woolf via leur maison d’édi-
tion, la Hogarth Press.
Mais le rayonnement du Groupe, son
influence, va bien au-delà des Lettres pour
s’étendre à presque tous les domaines: éco-
nomie (via Keynes), politique (les
Bloomsburyétaientfurieusementanti-impé-
rialistes), psychanalyse (les Woolf furent les
premiers à traduire Freud en anglais), art,
enfin,etsurtout.En1910,RogerFry,proche
de Vanessa, organise la première exposition
«postimpressionniste» dans laquelle il pré-
sente les œuvres alors jugées scandaleuses de
Manet, Cézanne, Van Gogh, Matisse et
Picasso. Avec le soutien du Groupe, il crée
dans la foulée les «Ateliers Omega» dont il
confie la direction àVanessa Bell et Duncan
Grant. Il s’agit d’une société éditrice d’objets
d’artisanat et de décoration qui, dans son
principe (mais un peu moins en pratique) se
veut très démocratique: pour plus d’égalité,
les artistes y perçoivent le même salaire et ne
signent pas leurs œuvres. C’est ce travail,
étonnant et somptueux, que présente
actuellement le musée La Piscine à Roubaix.
À côté d’œuvres signées Picasso,Van Gogh,
Matisse, Cézanne, Gauguin ou Gaudier-
Brzeska, les tableaux, les meubles, la vaisselle
et les tissus «Omega» y sont présentés dans
un décor évoquant Charleston, la fabuleuse
et très saltimbanque demeure où Vanessa,
son mari Clive Bell et Duncan Grant se
replièrent pendant la Seconde Guerre mon-
diale qui signa pourtant la fin du Groupe.
«Un cercle inscrit dans un carré fonction-
nant sur un mode triangulaire», c’est ainsi
qu’un critique a malignement défini le
Bloomsbury Group… Qui dit «Blooms-
bury», dit inévitablement ouverture d’esprit
et liberté de mœurs (au moins sur le papier).
L’homosexualité y était très répandue… et
partagée. Chaque médaille, on le sait, a ses
revers… Vanessa, la sœur de Virginia, en
souffrit, qui aima jusqu’à la fin un homo-
sexuel déclaré, Duncan Grant, dont elle eut
une fille, Angelica, dernière représentante
du clan, que nous avons rencontrée. Pur
«produit» du «Groupe», de sa «philoso-
phie» et de ses excès, cette charmante lady
de 92 ans, installée en France depuis les
années1940, a dû s’en éloigner pour enfin
se trouver. Ignorant l’identité de son vérita-
ble père, la jeune femme avait, sans le savoir,
épousé l’un de ses anciens amants, David
Garnett… À demi-mots, la nièce de
Virginia Woolf s’est confiée, avec simplicité
et humour, un brin de colère rentrée,
anglaise et très française à la fois…G
Angelica Garnett, héritière de Bloomsbury
UNE SOCIÉTÉ QUASI-SECRÈTE,
LES APÔTRES, FORMÉE PAR
DES ÉTUDIANTS DE CAMBRIDGE.
Duncan Grant avec
sa fille Angelica
en 1919 (ci-contre),
à Charleston (ci-dessous).
Âgée aujourd’hui de
92 ans, Angelica Garnett
(à gauche) n’a appris
qu’à 17 ans qui était
son véritable père.
PGINT DE VUE 45
SAGA BLOOMSBURY
©DAVIDATLAN(3);TATE/LONDON2010;TONYTREE-COURTESYOFTHECHARLESTONTRUST
44 PGINT DE VUE
c’était aussi la plus douloureuse. C’est à
cette époque que mon frère est parti faire
la guerre d’Espagne où il a été tué.
Votre frère avait une relation
passionnelle avec votre mère.
Il lui avait dit:«Je n’aimerai jamais
aucune femme comme je t’aime».
Je crois qu’il essayait de se séparer de ma
mère. C’est pour cela, il me semble, qu’il
est parti en Chine. Quand il est revenu,
quelque chose avait changé : il avait
davantage confiance en lui. Il avait une
étrange foi en la guerre. Il est parti en
Espagne plein d’espoir. Mais il a été tué.
Virginia Woolf a été très affectée
par la mort de Julian…
Elle était très proche de lui. Elle s’est beau-
coup occupée de ma mère à ce moment-là,
passait énormément de temps à discuter
avec elle. Je crois qu’elle l’a sauvée de l’im-
mense dépression dans laquelle elle avait
plongé. Moi, j’étais difficile à aider, parce
que je ne donnais aucune prise, j’étais com-
pas souvent. C’était une vie très solitaire.
Je lisais beaucoup, je m’instruisais à ma
façon…
L’ambiance était très différente
chez les Woolf et chez vos parents.
Oh oui! J’aimais beaucoup mon oncle
Leonard. L’atmosphère chez eux était très
sérieuse, tout entière dédiée au travail…
mais ils étaient toujours prêts à vous aider
s’ils le pouvaient.
Quel souvenir avez-vous de Virginia ?
Elle était très drôle, très vivante, très belle.
Mais aussi, étonnement, très «manuelle»:
elle faisait du pain, par exemple. Elle était
modeste. Elle ne parlait pas beaucoup de
ce qu’elle écrivait. Je l’ai beaucoup aimée,
comme mon frère, d’ailleurs.
Quelle a été la période la plus heureuse
de votre vie ?
Quand j’étais à l’école d’art dramatique de
Michel Saint-Denis, le neveu de Jacques
Copeau. J’avais 17-18 ans. J’y ai passé trois
ans, c’était une période merveilleuse. Mais
plètement repliée sur moi-même.
Votre mère était silencieuse aussi…
Elle trouvait très difficile de parler de ses
émotions…
C’est assez paradoxal étant
donné la liberté affichée du Groupe
et l’importance qu’il accordait
à la discussion…
Il est très facile de parler en théorie, dans la
pratique, c’est plus compliqué. C’est seu-
lement après la mort de ma mère que j’ai
appris qu’elle pouvait exercer une véritable
fascination, qu’elle pouvait même être
drôle…
Vous n’avez connu votre mère
que malheureuse…
Tout allait bien jusqu’à la mort de mon
frère. Après, c’était une autre personne.
Vous avez été très proche de votre père…
De mon vrai père, oui (rires). Ce n’était pas
un très bon père: il était charmant, mais il
n’avait aucune autorité. J’avais besoin de
quelque chose de plus masculin, qui n’était
pas là.
Il n’y avait pas d’élément masculin
fort dans le Groupe… à part,
peut-être, Roger Fry…
Oui, j’aurais d’ailleurs aimé être sa fille! À
part lui, effectivement, je ne me souviens
de personne de très viril… Il y avait beau-
coup d’homosexuels.
Vous avez ressenti le besoin de prendre
vos distances par rapport au Groupe…
Je me suis éloignée au moment de mon
mariage. Mon mari était moins artiste, plus
pragmatique. Cela m’a aidée. Lui était le
père que je cherchais. Il était à la fois un
mari et un père (rires).
C’était un mariage heureux?
Les trois, quatre premières années, oui. Je
me suis séparée de David pour trouver ce
que je voulais faire dans la vie. J’étais de
trente ans plus jeune que lui. J’ai mis du
temps à partir à cause des enfants. Il aurait
fait un ami parfait.
Virginia Woolf a été la première à publier
Freud en anglais. Quelle place avait
la psychanalyse dans le Groupe ?
Virginia ne s’est jamais fait psychanaly-
ser… En ce qui me concerne, je suis allée
voir un analyste très distingué mais je n’ai
pas aimé ses réactions, du coup, j’ai
renoncé. Cela aurait peut-être été une
bonne chose. Écrire mon histoire m’a
beaucoup aidée. G
VOIR «Conversation anglaise. Le groupe
de Bloomsbury», La Piscine/Musée d’art et
d’industrie André Diligent, Roubaix, jusqu’au
28février, www.roubaix-lapiscine.com.
Le très beau catalogue de l’exposition
est édité chez Gallimard (304 p., 39 €).
LIRE «Trompeuse gentillesse», par
Angelica Garnett, Bourgois, 264p., 18,30 €
et «Correspondance Virginia Woolf/Lytton
Strachey», Le Promeneur, 164p., 24€.
«VIRGINIA ÉTAIT TRÈS DRÔLE,
TRÈS VIVANTE, TRÈS BELLE.
ELLE NE PARLAIT PAS BEAUCOUP DE CE
QU’ELLE ÉCRIVAIT. JE L’AI BEAUCOUP AIMÉE.»
Portrait de Virginia Woolf peint par sa sœur Vanessa Bell
portant un chapeau (à gauche) en 1912. L’atelier de Duncan
Grant, à Charleston. Aujourd’hui ouverte au public, l’ancienne
résidence de Vanessa, Clive et Duncan a prêté œuvres et meubles
au musée La Piscine qui a tenté de recréer son décor
(photos ci-contre). Dans l’atelier, le buste de Virginia Woolf
par Stephen Tomlin est placé sur la commode.
PGINT DE VUE 47
SAGA BLOOMSBURY
©DAVIDATLAN(3);LONDRES,NATIONALPORTRAITGALLERY;TNYTREE-COURTESYOFTHECHALESTONTRUST(2)
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Bloomsbury

  • 1. Peu connu en France, le «Bloomsbury Group» est un mythe en Angleterre. Tant sur le plan littéraire, artistique, politique que… sexuel. À l’heure où le musée La Piscine à Roubaix lui rend hommage, nous avons rencontré sa dernière représentante, Angelica, la nièce de Virginia Woolf. Par Barbara Lambert TELLEMENT «BLOOMSBURY»! Vanessa et son frère Thoby Stephen, l’un des quatre fondateurs du «Bloomsbury Group», en 1900. Thoby meurt six ans plus tard. En 1930, à Charleston, dans le Sussex, chez Angelica Bell et Duncan Grant. De gauche à droite: Angus Davidson, Duncan Grant, Julian Bell, Leonard Woolf. Assis : Virginia Woolf, Margaret Duckworth, Clive et Vanessa Bell. Le peintre Duncan Grant, amant de Vanessa et vrai père d’Angelica (elle ne l’apprendra qu’à l’âge de17 ans). Angelica, la fille de Vanessa, lors d’une représentation d’«Orlando» de sa tante Virginia Woolf, donnée pendant les vacances à Cassis en 1928. En 1910, à Studland Bay, dans le Dorset, Virginia Woolf et Clive Bell, le mari de Vanessa, père supposé d’Angelica. Virginia Woolf à 20 ans, en 1902. Son premier livre, «La traversée des apparences», paraîtra en 1915. La scénographie s’inspire des décors Bloomsbury de la maison de Charleston, où le Groupe se réfugia pendant la Seconde Guerre. ©DAVIDATLAN;TATE/LONDON2010(5);LONDRES,NATIONALPORTRAITGALLERY PGINT DE VUE 43 SAGA
  • 2. Parmi les objets exposés, empruntés à Charleston (à gauche), un tapis et un meuble d’angle (ci-contre) réalisés par Duncan Grant, à qui l’on doit aussi ce très beau portrait de Vanessa datant de 1917 (à droite). Vous êtes la dernière représentante du Bloomsbury Group. Vous en sentez-vous membre ? Non, je suis trop jeune : le groupe n’exis- tait plus quand j’étais en âge d’y entrer. Et puis, surtout, j’ai une autre attitude envers la vie. On m’a longtemps caché, par exemple, la véritable identité de mon père. Jusqu’à l’âge de 17 ans, on m’a fait croire que c’était Clive Bell, le mari de ma mère. Et puis, un jour, on m’a annoncé que c’était Duncan Grant, son amant. Dans ce groupe qui se voulait très libre, il restait donc encore des tabous… Des tabous, mais aussi des contradictions, car mentir allait à l’encontre de leur philo- sophie de vie. Je crois que ma mère avait honte de m’avoir menti. Dans son « Journal », votre tante Virginia Woolf note à propos de vous : «Angelica, ravissante comme toujours, mais peut-être un peu trop adulte pour son âge…» J’étais un peu trop «Bloomsbury»! Je n’ai en fait reçu aucune éducation (rires). J’ai passé six ans en pension. Chaque fois qu’on essayait de m’apprendre quelque chose qui ne me plaisait pas et que je me plaignais, ma mère me disait: «Oh, ce n’est pas grave, tu n’en as pas besoin, après tout»… ce qui fait que je n’ai jamais rien appris, à part l’art. Je n’ai jamais passé d’examen. J’ai quitté l’école avec à peu près le même niveau de connaissances que lorsque j’y suis entrée. Je regrette énormément de ne pas avoir fait d’études. Cela m’aurait donné un peu confiance en moi. J’étais comme un petit animal. Vous viviez à la campagne, un peu éloignée de tout, de la compagnie d’autres enfants, notamment… J’avais quelques amis, mais que je ne voyais EN ANGLETERRE et dans le monde anglo-saxon, son empreinte est telle qu’il fait partie du langage courant. «Avoir l’es- prit Bloomsbury», «être Bloomsbury» désigne une position à la fois enviable et particulière. S’y mêlent les idées d’appar- tenance à une élite cool chic, une avant- garde brillante, audacieuse (mais plutôt snob), une communauté d’artistes et d’ar- tistes bohèmes, affranchis de certains tabous (mais pas de tous). Un genre, aussi, moderne en diable, celui des «Ateliers Omega» du peintre et critique Roger Fry, à qui l’on doit, excusez du peu, l’expression de «postimpressionnisme». Au départ du «Bloomsbury Group», il y a une société quasi-secrète, les Apôtres, for- mée par des étudiants de Cambridge, parmi lesquels le futur économiste John Maynard Keynes et Thoby Stephen, frère de l’écri- vaineVirginiaWoolf et de la peintreVanessa Bell. Il y a aussi et surtout la nouvelle demeure des quatre enfants Stephen: Thoby, Virginia, Vanessa, donc, mais aussi Adrian qui, après la mort de leur père, déci- dent en 1904 de s’installer à Londres, à Gordon Square, dans le quartier de Bloomsbury. Libres de toute tutelle, les jeunes gens y instituent leurs soiréesdu jeudi auxquelles se pressent bientôt, et entre autres, E.M. Forster, Aldous Huxley, T.S. Eliot, Katherine Mansfield, Christopher Isherwood, Gertrude Stein, Cecil Day- Lewis, Vita Sackville-West… autant dire la «crème» de la littérature d’alors, que contri- bueront à faire connaître Virginia et son mari Leonard Woolf via leur maison d’édi- tion, la Hogarth Press. Mais le rayonnement du Groupe, son influence, va bien au-delà des Lettres pour s’étendre à presque tous les domaines: éco- nomie (via Keynes), politique (les Bloomsburyétaientfurieusementanti-impé- rialistes), psychanalyse (les Woolf furent les premiers à traduire Freud en anglais), art, enfin,etsurtout.En1910,RogerFry,proche de Vanessa, organise la première exposition «postimpressionniste» dans laquelle il pré- sente les œuvres alors jugées scandaleuses de Manet, Cézanne, Van Gogh, Matisse et Picasso. Avec le soutien du Groupe, il crée dans la foulée les «Ateliers Omega» dont il confie la direction àVanessa Bell et Duncan Grant. Il s’agit d’une société éditrice d’objets d’artisanat et de décoration qui, dans son principe (mais un peu moins en pratique) se veut très démocratique: pour plus d’égalité, les artistes y perçoivent le même salaire et ne signent pas leurs œuvres. C’est ce travail, étonnant et somptueux, que présente actuellement le musée La Piscine à Roubaix. À côté d’œuvres signées Picasso,Van Gogh, Matisse, Cézanne, Gauguin ou Gaudier- Brzeska, les tableaux, les meubles, la vaisselle et les tissus «Omega» y sont présentés dans un décor évoquant Charleston, la fabuleuse et très saltimbanque demeure où Vanessa, son mari Clive Bell et Duncan Grant se replièrent pendant la Seconde Guerre mon- diale qui signa pourtant la fin du Groupe. «Un cercle inscrit dans un carré fonction- nant sur un mode triangulaire», c’est ainsi qu’un critique a malignement défini le Bloomsbury Group… Qui dit «Blooms- bury», dit inévitablement ouverture d’esprit et liberté de mœurs (au moins sur le papier). L’homosexualité y était très répandue… et partagée. Chaque médaille, on le sait, a ses revers… Vanessa, la sœur de Virginia, en souffrit, qui aima jusqu’à la fin un homo- sexuel déclaré, Duncan Grant, dont elle eut une fille, Angelica, dernière représentante du clan, que nous avons rencontrée. Pur «produit» du «Groupe», de sa «philoso- phie» et de ses excès, cette charmante lady de 92 ans, installée en France depuis les années1940, a dû s’en éloigner pour enfin se trouver. Ignorant l’identité de son vérita- ble père, la jeune femme avait, sans le savoir, épousé l’un de ses anciens amants, David Garnett… À demi-mots, la nièce de Virginia Woolf s’est confiée, avec simplicité et humour, un brin de colère rentrée, anglaise et très française à la fois…G Angelica Garnett, héritière de Bloomsbury UNE SOCIÉTÉ QUASI-SECRÈTE, LES APÔTRES, FORMÉE PAR DES ÉTUDIANTS DE CAMBRIDGE. Duncan Grant avec sa fille Angelica en 1919 (ci-contre), à Charleston (ci-dessous). Âgée aujourd’hui de 92 ans, Angelica Garnett (à gauche) n’a appris qu’à 17 ans qui était son véritable père. PGINT DE VUE 45 SAGA BLOOMSBURY ©DAVIDATLAN(3);TATE/LONDON2010;TONYTREE-COURTESYOFTHECHARLESTONTRUST 44 PGINT DE VUE
  • 3. c’était aussi la plus douloureuse. C’est à cette époque que mon frère est parti faire la guerre d’Espagne où il a été tué. Votre frère avait une relation passionnelle avec votre mère. Il lui avait dit:«Je n’aimerai jamais aucune femme comme je t’aime». Je crois qu’il essayait de se séparer de ma mère. C’est pour cela, il me semble, qu’il est parti en Chine. Quand il est revenu, quelque chose avait changé : il avait davantage confiance en lui. Il avait une étrange foi en la guerre. Il est parti en Espagne plein d’espoir. Mais il a été tué. Virginia Woolf a été très affectée par la mort de Julian… Elle était très proche de lui. Elle s’est beau- coup occupée de ma mère à ce moment-là, passait énormément de temps à discuter avec elle. Je crois qu’elle l’a sauvée de l’im- mense dépression dans laquelle elle avait plongé. Moi, j’étais difficile à aider, parce que je ne donnais aucune prise, j’étais com- pas souvent. C’était une vie très solitaire. Je lisais beaucoup, je m’instruisais à ma façon… L’ambiance était très différente chez les Woolf et chez vos parents. Oh oui! J’aimais beaucoup mon oncle Leonard. L’atmosphère chez eux était très sérieuse, tout entière dédiée au travail… mais ils étaient toujours prêts à vous aider s’ils le pouvaient. Quel souvenir avez-vous de Virginia ? Elle était très drôle, très vivante, très belle. Mais aussi, étonnement, très «manuelle»: elle faisait du pain, par exemple. Elle était modeste. Elle ne parlait pas beaucoup de ce qu’elle écrivait. Je l’ai beaucoup aimée, comme mon frère, d’ailleurs. Quelle a été la période la plus heureuse de votre vie ? Quand j’étais à l’école d’art dramatique de Michel Saint-Denis, le neveu de Jacques Copeau. J’avais 17-18 ans. J’y ai passé trois ans, c’était une période merveilleuse. Mais plètement repliée sur moi-même. Votre mère était silencieuse aussi… Elle trouvait très difficile de parler de ses émotions… C’est assez paradoxal étant donné la liberté affichée du Groupe et l’importance qu’il accordait à la discussion… Il est très facile de parler en théorie, dans la pratique, c’est plus compliqué. C’est seu- lement après la mort de ma mère que j’ai appris qu’elle pouvait exercer une véritable fascination, qu’elle pouvait même être drôle… Vous n’avez connu votre mère que malheureuse… Tout allait bien jusqu’à la mort de mon frère. Après, c’était une autre personne. Vous avez été très proche de votre père… De mon vrai père, oui (rires). Ce n’était pas un très bon père: il était charmant, mais il n’avait aucune autorité. J’avais besoin de quelque chose de plus masculin, qui n’était pas là. Il n’y avait pas d’élément masculin fort dans le Groupe… à part, peut-être, Roger Fry… Oui, j’aurais d’ailleurs aimé être sa fille! À part lui, effectivement, je ne me souviens de personne de très viril… Il y avait beau- coup d’homosexuels. Vous avez ressenti le besoin de prendre vos distances par rapport au Groupe… Je me suis éloignée au moment de mon mariage. Mon mari était moins artiste, plus pragmatique. Cela m’a aidée. Lui était le père que je cherchais. Il était à la fois un mari et un père (rires). C’était un mariage heureux? Les trois, quatre premières années, oui. Je me suis séparée de David pour trouver ce que je voulais faire dans la vie. J’étais de trente ans plus jeune que lui. J’ai mis du temps à partir à cause des enfants. Il aurait fait un ami parfait. Virginia Woolf a été la première à publier Freud en anglais. Quelle place avait la psychanalyse dans le Groupe ? Virginia ne s’est jamais fait psychanaly- ser… En ce qui me concerne, je suis allée voir un analyste très distingué mais je n’ai pas aimé ses réactions, du coup, j’ai renoncé. Cela aurait peut-être été une bonne chose. Écrire mon histoire m’a beaucoup aidée. G VOIR «Conversation anglaise. Le groupe de Bloomsbury», La Piscine/Musée d’art et d’industrie André Diligent, Roubaix, jusqu’au 28février, www.roubaix-lapiscine.com. Le très beau catalogue de l’exposition est édité chez Gallimard (304 p., 39 €). LIRE «Trompeuse gentillesse», par Angelica Garnett, Bourgois, 264p., 18,30 € et «Correspondance Virginia Woolf/Lytton Strachey», Le Promeneur, 164p., 24€. «VIRGINIA ÉTAIT TRÈS DRÔLE, TRÈS VIVANTE, TRÈS BELLE. ELLE NE PARLAIT PAS BEAUCOUP DE CE QU’ELLE ÉCRIVAIT. JE L’AI BEAUCOUP AIMÉE.» Portrait de Virginia Woolf peint par sa sœur Vanessa Bell portant un chapeau (à gauche) en 1912. L’atelier de Duncan Grant, à Charleston. Aujourd’hui ouverte au public, l’ancienne résidence de Vanessa, Clive et Duncan a prêté œuvres et meubles au musée La Piscine qui a tenté de recréer son décor (photos ci-contre). Dans l’atelier, le buste de Virginia Woolf par Stephen Tomlin est placé sur la commode. PGINT DE VUE 47 SAGA BLOOMSBURY ©DAVIDATLAN(3);LONDRES,NATIONALPORTRAITGALLERY;TNYTREE-COURTESYOFTHECHALESTONTRUST(2) 46 PGINT DE VUE