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INTRODUCTION
1. Les présentes, observations sont développées par le Conseil des Barreaux Européens après en avoir obtenu l’autorisation du
Président de la cinquième section par lettre du 12 mars 2012.

2. Le Conseil des Barreaux européens, ci après CCBE, est l'organisation européenne qui représente plus d’un million
d’avocats en Europe. Son objet social consiste, notamment, à représenter les barreaux nationaux européens membres, dans
toutes les matières d'intérêt commun ayant trait à l'exercice de la profession d'avocat, au respect de l'Etat de droit et d'une
bonne administration de la justice ainsi qu'aux développements du droit, tant au plan européen qu'international.

3. Par délibération du 16 février 2012, le Comité permanent du CCBE – qui s’est tenu à Vienne – à l’unanimité des membres
présents a estimé nécessaire d’intervenir dans la procédure sous référence dans le but de défendre et réaffirmer les valeurs
essentielles de la profession d’avocat qui lui paraissent gravement menacées par les dispositions des directives relatives à la lutte
contre le blanchiment et les législations nationales de droit dérivé qui ont toujours été considérées comme attentatoires à
l’indépendance des avocats, au respect du secret professionnel et au droit à la vie privée du citoyen dans le cadre de la
confidentialité des échanges qui lui sont dues.

4. La décision de la Cour Européenne des droits de l'Homme à intervenir devant se prononcer sur la requête introduite par M.
Patrick MICHAUD aura très certainement un impact considérable sur les modalités d'interprétation et d'application des normes de
conduite imposées de façon générale aux membres des barreaux européens, et plus particulièrement sur les dispositions
concernant l'indépendance de l'avocat dans l'exercice des droits de la défense, la confidentialité dans les rapports entre avocats et
citoyens pour leur garantir un libre accès au droit, corollaire de leur droit à la protection de la vie privée.

5. Cette nécessité se fait d’autant plus sentir que dans le processus de révision de la directive 2005/60/CE de la Commission
Européenne a demandé au CCBE s’il avait connaissance de distinctions précises faites entre les « activités essentielles » et « les
activités non essentielles » pour l’application de la directive, ce qui reviendrait à considérer que le secret professionnel et
l’indépendance de l’avocat seraient divisibles au regard de la nature de ces activités, ce qui deviendrait totalement inintelligible pour
un justiciable ou un citoyen ayant recours à ses services.

6. En l’espèce il résulte de l’exposé des faits dressé par la Cour, des questions posées par celle-ci, que pour la première fois cette
Haute Juridiction a communiqué à un Etat contractant une requête tendant à faire constater que certaines dispositions de la directive
2001/97/CE, aujourd’hui abrogée et remplacée par la directive 2005/60/CE, relative à la lutte contre le blanchiment pourrait être de
nature à remettre en cause l’indépendance des avocats ainsi que le secret professionnel notamment au regard de l’article 8 de la
Convention EDH.

7. Eu égard au fait que la Cour de Justice de l’Union Européenne précédemment saisie d’une question préjudicielle ayant abouti à
l’arrêt C-305/05- Ordre des Barreaux francophones et germanophones et autres c/ Conseil des Ministres du 26 juin 2007, ne s’est
pas prononcée sur la compatibilité des dispositions de la directive 2001/97/CE avec l’article 8 précité, la requête dont la Cour est
aujourd’hui saisie justifie que les barreaux nationaux, membres du CCBE, puissent exposer leurs observations et contributions.

8. La décision attaquée par M. Patrick MICHAUD, et que le Conseil d’ Etat à refusé de censurer dans son arrêt du 10 avril 2008, a
pour objet de faire déclarer contraires à la Convention, plus particulièrement à ses articles 6, 7 et 8, un règlement du Conseil
National des barreaux français du 12/7/2007 relatif aux procédures internes de lutte contre le blanchiment de capitaux pris en
application de la loi et du décret des 11 février 2004 et 26 juin 2006 transposant la directive ( 2001/97/CE) du 4 décembre 2001 qui
fait peser sur les avocats des obligations de déclaration de soupçons à l’égard de personnes leur ayant confiés des secrets, le tout
sous peine de sanctions disciplinaires graves, lesdites révélations étant de surcroit de nature à faire échec au droit des citoyens de
ne pas s’auto-incriminer.
Le Conseil d’Etat considère que dans la mesure où selon son interprétation la consultation juridique est exclue du champ
d’application de la déclaration de soupçon, l’article 8 de la convention européenne est respecté. Par contre en se déterminant ainsi,
le Conseil d’Etat estime que les avocats sont soumis aux obligations de déclaration et de vigilance, sans pouvoir se prévaloir du
secret professionnel et de leur indépendance, lorsqu’ils participent aux activités énumérées à l’article L.561-3 du code monétaire et
financier (exposé des faits, page 4 B 1b) lesdites activités étant considérées comme celles « d’agent d’affaires ».
Il ne saurait cependant être sérieusement contestable que l’assistance de l’avocat dans le cadre desdites opérations est également
susceptible de relever de l’expertise juridique et se rattacher à ses activités traditionnelles.
De ce qui précède il résulte que les activités de l’avocat sont indivisibles et que la distinction artificiellement opérée par la directive et
ses transpositions sont de nature à créer une incertitude juridique pour le citoyen qui estimant que l’avocat est tenu au secret
professionnel serait ainsi indirectement amené à s’auto incriminer.
Que cette incertitude doublée de l’obligation de révéler un « soupçon » et non pas la certitude de l’existence d’une infraction sous
jacente, est contraire au secret professionnel, à la nécessaire confidentialité de l’échange entre le client et l’avocat, tels qu’ils sont
protégés par l’article 8 de la Convention. Au demeurant les statistiques fournies par le requérant démontrent l’infime taux d’affaires
ayant fait l’objet de transmissions à la justice, ce qui implique nécessairement que la plus grande partie des déclarations effectuées
constituent des atteintes à la vie privée.
L’interprétation faite par le Conseil d’Etat des directives européennes et des instruments de transposition attente en conséquence
aux valeurs fondamentales de la profession d’avocat dans la mesure où elle remet en cause les principes de la confidentialité de


                                                                                                                                          1
l’échange entre le client et son avocat et de son indépendance dans la mesure où il devient de facto « un agent de l’Etat » ce qui
    implique d’ailleurs qu’il va entrer en conflit d’intérêts avec son client.
    Le but de l’intervention du CCBE n’est pas de s’exprimer en faveur ou contre la thèse soutenue par le requérant, mais de soumettre
    à la Cour des observations visant à défendre les intérêts de la profession d’avocat au niveau européen afin de faire respecter le
    statut spécifique de celle ci qui la place dans une situation centrale dans l’administration de la justice, et comme intermédiaire
    privilégié des citoyens afin d’accéder au droit en pouvant se confier librement et en toute confidentialité et dans le respect leur vie
    privée. En effet à de nombreuses reprises la Cour Européenne des droits de l'Homme a rappelé que le statut spécifique des
    avocats les place dans une situation centrale dans le cadre de l'administration de la justice, comme intermédiaires entre les
    justiciables et les tribunaux, ce qui explique les normes de conduite imposées en général aux membres du barreau (arrêt Casado
    Coca c. Espagne du 24 février 1994, série A n°285-A, p. 21, §54).

    CADRE COMMUN EUROPEEN DES REGLES DE DEONTOLOGIE DES AVOCATS
    9. Cinquante années d’existence ont permis au CCBE d’élaborer un code de déontologie et des principes quant au rôle, devoirs
    et prérogatives de la profession d’avocat qui constitue le socle commun de tous les professionnels de l’Union Européenne.

    10. Le Code de déontologie des avocats européens1 :
    2.1. Indépendance
    « 2.1.1. La multiplicité des devoirs incombant à l’avocat lui impose une indépendance absolue, exempte de toute pression,
    notamment de celle résultant de ses propres intérêts ou d’influences extérieures. Cette indépendance est aussi nécessaire pour la
    confiance en la justice que l’impartialité du juge. L’avocat doit donc éviter toute atteinte à son indépendance et veiller à ne pas
    négliger le respect de la déontologie pour plaire à son client, au juge ou à des tiers.
    2.1.2. Cette indépendance est nécessaire pour l’activité juridique comme judiciaire. Le conseil donné au client par l’avocat n’a
    aucune valeur, s’il n’a été donné que par complaisance, par intérêt personnel ou sous l’effet d’une pression extérieure. »
    2.3. Secret professionnel
    2.3.1. Il est de la nature même de la mission de l’avocat qu’il soit dépositaire des secrets de son client et destinataire de
    communications confidentielles. Sans la garantie de confidentialité, il ne peut y avoir de confiance. Le secret professionnel est donc
    reconnu comme droit et devoir fondamental et primordial de l’avocat.
    L’obligation de l’avocat relative au secret professionnel sert les intérêts de l’administration de la justice comme ceux du client. Elle
    doit par conséquent bénéficier d’une protection spéciale de l’État.
    2.3.2. L’avocat doit respecter le secret de toute information confidentielle dont il a connaissance dans le cadre de son activité
    professionnelle.
    2.3.3. Cette obligation au secret n’est pas limitée dans le temps.
    2.3.4. L’avocat fait respecter le secret professionnel par les membres de son personnel et par toute personne qui coopère avec lui
    dans son activité professionnelle.

    11. La Charte des principes essentiels de l’avocat européen :
    « Dans une société fondée sur le respect de la justice, l’avocat remplit un rôle éminent. Sa mission ne se limite pas à l’exécution
    fidèle d’un mandat dans le cadre de la loi. L’avocat doit veiller au respect de l’État de droit et aux intérêts de ceux dont il défend les
    droits et libertés. Il est du devoir de l’avocat non seulement de plaider la cause de son client mais aussi d’être son conseil. Le respect
    de la mission de l’avocat est une condition essentielle à l’État de droit et à une société démocratique. » (Code de déontologie des
    avocats européens du CCBE, article 1.1)
    « Il existe des principes essentiels qui, même exprimés de manière légèrement différente dans les différents systèmes juridiques,
    sont communs à tous les avocats européens. Ces principes essentiels fondent divers codes nationaux et internationaux qui régissent
    la déontologie de l’avocat. Les avocats européens sont soumis à ces principes qui sont essentiels à la bonne administration de la
    justice, à l’accès à la justice et au droit à un procès équitable comme l’exige la Convention européenne des Droits de l’Homme. Dans
    l’intérêt général, les barreaux, les cours et tribunaux, les législateurs, les gouvernements et les organisations internationales doivent
    faire respecter et protéger ces principes essentiels.
    Les principes essentiels de l’avocat sont notamment :
    (a) l’indépendance et la liberté d’assurer la défense de son client ;
    (b) le respect du secret professionnel et de la confidentialité des affaires dont il a la charge ;
    (c) la prévention des conflits d’intérêts que ce soit entre plusieurs clients ou entre le client et lui-même ;
    (d) la dignité, l’honneur et la probité ;
    (e) la loyauté à l’égard de son client ;
    (f) la délicatesse en matière d’honoraires ;
    (g) la compétence professionnelle ;
    (h) le respect de la confraternité ;
    (i) le respect de l’État de droit et la contribution à une bonne administration de la justice ;
    (j) l’autorégulation de sa profession. »
    « Ces principes essentiels sont l’expression de la base commune à toutes les règles nationales et internationales qui
    régissent la déontologie des avocats européens.
    La Charte prend en compte :
    - les règles professionnelles nationales des États européens, y compris de ceux qui ne sont pas membres du CCBE mais partagent
    aussi ces principes communs des avocats européens ;

1Adopté lors de la session plénière du CCBE le 28 octobre 1988 et modifié lors des sessions plénières du 28 novembre 1998, du 6 décembre 2002 et
du 19 mai 2006.
                                                                                                                                            2
- le Code de déontologie des avocats européens du CCBE ;
    - les principes généraux du Code international de déontologie de l’International Bar Association ;
    - la Recommandation Rec (2000) 21 du Comité des Ministres du Conseil de l’Europe aux États membres sur la liberté d’exercice de
    la profession d’avocat du 25 octobre 20005 ;
    - les Principes de base relatifs au rôle du barreau, adoptés par le huitième Congrès des Nations Unies pour la prévention du crime
    et le traitement des délinquants qui s’est tenu à La Havane (Cuba) du 27 août au 7 septembre 19906 ;
    - la jurisprudence de la Cour européenne des Droits de l’Homme et de la Cour de justice des Communautés européennes, et
    notamment l’arrêt du 19 février 2002 de la Cour de justice des Communautés européennes dans l’affaire Wouters c. Algemene Raad
    van de Nederlandse Orde van Advocaten (C-309/99) ;
    - la Déclaration universelle des droits de l’homme, la Convention européenne des Droits de l’Homme et la Charte des droits
    fondamentaux de l’Union européenne ;
    - la Résolution du Parlement européen sur les professions juridiques et l’intérêt général relatif au fonctionnement des systèmes
    juridiques du 23 mars 2006. »

    12. Congrès des Nations Unies pour la prévention du crime et le traitement des délinquants.2

    13. Principes de base relatifs au rôle du barreau :
    « (…) 16. Les pouvoirs publics veillent à ce que les avocats a) puissent s’acquitter de toutes leurs fonctions professionnelles sans
    entrave, intimidation, harcèlement ni ingérence indue; b) puissent voyager et consulter leurs clients librement, dans le pays comme à
    l’étranger ; et c) ne fassent pas l’objet, ni ne soient menacés de poursuites ou de sanctions économiques ou autres pour toutes
    mesures prises conformément à leurs obligations et normes professionnelles reconnues et à leur déontologie.(...)
    « 22. Les pouvoirs publics doivent veiller à ce que toutes les communications et les consultations entre les avocats et leurs clients,
    dans le cadre de leurs relations professionnelles, restent confidentielles. »

    PROPOS LIMINAIRES RELATIFS AUX SYSTEMES DE LUTTE CONTRE LE BLANCHIMENT DES CAPITAUX
    14. Par une directive de 1991 3 , les Communautés Européennes ont imposé aux banques et aux intermédiaires financiers
    l’obligation de révéler aux pouvoirs publics les soupçons qu’ils pouvaient avoir sur la provenance de sommes d’argent provenant du
    trafic de stupéfiants ou de la criminalité organisée. Ce dispositif a été étendu aux professions juridiques indépendantes dont les
    avocats, par deux directives communautaires, la directive 2001/97/CE4 de 2001, suivie par la directive 2005/60/CE5 de 2005 qui
    opère une refonte des deux précédentes directives.
    Ces dispositions mettent à la charge des avocats des obligations de déclaration de soupçon, dans certains domaines, ainsi que des
    obligations de vigilance dans certains domaines.
    Ce dispositif législatif inspiré par le GAFI est d’autant plus préoccupant que le champ d’application initialement cantonné aux produits
    de la criminalité organisée du trafic de stupéfiants a été considérablement étendu. Cette législation se réclamant d’une certaine
    légitimité, a été dévoyée en étant étendue à tous les produits d’infractions sous jacentes susceptibles d’être punies de plus d’une
    année d’emprisonnement ainsi qu’aux soupçons de fraude fiscale.
    Ces dispositions remettent en cause les principes essentiels de la profession d’avocat : le secret professionnel et la confidentialité
    des échanges avec les clients, l’indépendance de celle-ci.
    Tout en se refusant de se faire les complices de leurs clients, les avocats ne sauraient être transformés en agents de
    renseignements des Etats car ceci constituerait une atteinte à leur indépendance tout en les plaçant en situation de conflit d’intérêts.

    15. Il est à noter que le principe du secret professionnel est généralement reconnu aux avocats – ainsi que l’a souligné M. le juge
    Dean Spielmann dans son article sur le secret professionnel et la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme. 6 –
    tant dans les systèmes de civil law que de Common law. 7 Il s’agit en effet d’un principe essentiel pour tout système juridique lié à la
    tradition de l’état du droit et de la démocratie car le fonctionnement efficace et équitable d’un système judiciaire est lié aux
    instruments mis à disposition des avocats afin de leur permettre de gérer les questions judiciaires non seulement dans l’intérêt de la
    partie privée mais également du système juridique lui-même.
    Au Canada, les instruments de lutte contre le blanchiment sont restés aux mains du barreau qui exclut les affaires purement
    financières de la sphère d’activité de l’avocat.8

2 Huitième Congrès, La Havane, du 27 août au 7 septembre 1990
3 Directive 91/308/CEE du Conseil, du 10 juin 1991, relative à la prévention de l'utilisation du système financier aux fins du blanchiment de capitaux.
4 Directive 2001/97/CE du Parlement européen et du Conseil, du 4 décembre 2001, modifiant la directive 91/308/CEE du Conseil relative à la

prévention de l'utilisation du système financier aux fins du blanchiment de capitaux.
5 Directive 2005/60/CE du Parlement européen et du Conseil, du 26 octobre 2005, relative à la prévention de l’utilisation du système financier aux fins

du blanchiment de capitaux et du financement du terrorisme.
6
  D. SPIELMANN, Le secret professionnel de l’avocat dans la jurisprudence de la cour européenne des droits de l’homme, Ann. Dr. Lux. – 2010, pp
529 et s. ; B. Favreau, «La prévention du blanchiment et l’atteinte aux droits fondamentaux», in B. Favreau (dir.), L’avocat dans le droit européen,
Bruxelles, Bruylant, 2008, pp. 126 et s. ;
7 P. Lambert, Le Secret professionnel, Bruxelles, 2005 ; E. Janssens, J. Meerts, Le secret professionnel de l’avocat dans le contexte européen,

Bruxelles, 2003 ; R. Pattenden, The laws of Profesional-client confidentiality, Oxford, 2003 ; D. Le Grand de Belleroche, L’avocat français et le sollicitor
anglais : le secret professionnel dans une dimension européenne, in les petites affiches, 394e (2005), n°60, pag 3-8. ; M. Van de Kerchove,
Fondements axiologiques du secret professionnel et de ses limites, in Le secret professionnel, Bruxelles, 2002, P. 9 et suivantes ; S. Ciani, Ancora
qualche puntualizzazione sulle garanzie di libertà del difensore, Cassazione penale, 1998, vol. 3, pag. 840.
8 [1990]3 R.C.S. 1235, Succession MacDonald c. Martin ; voir exposé du 30 octobre 2009 de M. le Bâtonnier FRANCIS GERVAIS au 53e Congrès de

l’Union Internationale des Avocats à Séville ; Isabelle von Fliedner , Le secret professionnel de l’avocat et le blanchiment: notes de droit comparé, dans
Anwalts revue de l’avocat, n°1/2010, pag. 49 et suivantes
                                                                                                                                                        3
Aux Etats-Unis, « la Stratégie 2007 » contre le blanchiment des capitaux 9 dispense les avocats Américains d’effectuer des
     déclarations de soupçons de blanchiment de capitaux aux administrations de l’Etat.10
     Dans les pays asiatiques, la déclaration de soupçons n’est pas obligatoire et il appartient à l’avocat d’évaluer si celle-ci doit être
     effectuée11
     En Suisse, les avocats et les notaires ne sont pas soumis à l’obligation de communiquer leurs soupçons dans la mesure où ils sont
     astreints au secret professionnel. 12
     En Pologne, la Cour Constitutionnelle par son arrêt du 2 juillet 2007 (72/7/A/2007) a souligné que « the Polish Constitution also
     grants respect to professional secrecy to the person wanting to become client of a lawyer »13 L’Australie n’a pas adopté de
     dispositif analogue à celui applicable aux avocats en Europe.14.
     Il s’en suit qu’au niveau international, on considère que dans le but de protéger les principes de la démocratie et l’Etat de droit, on ne
     peut pas concevoir un système dans lequel l’avocat n’est pas indépendant et serait obligé de communiquer des informations sur les
     citoyens même si celles-ci ont été recueillies sous le sceaux de la confidentialité.15

     DISPOSITIF LEGAL EUROPEEN APPLICABLE A LA PROFESSION D’AVOCAT
     16. La directive 2005/60/CE abrogeant et remplaçant la directive 2001/97/CE, dite 3ème directive blanchiment, définit les activités de
     blanchiment de capitaux dans son article 1er qui peut être ainsi résumé « la conversion ou le transfert de biens, dont celui qui s’y livre
     sait qu’ils proviennent d’une activité criminelle ou d’une participation à une telle activité, dans le but de dissimuler ou de déguiser
     l’origine illicite desdits biens ou d’aider toute personne qui est impliquée dans cette activité à échapper aux conséquences juridiques
     de ses actes. »
     La même directive énumère en son article 2 les personnes auxquelles s’appliquent les dispositions qu’elle édicte, dont notamment
     les avocats.

Cependant, il sera démontré, ci-après, que l’impérieuse nécessité de l’indépendance de l’avocat s’impose également pour les
activités non-judiciaires, sous peine d’exclure les citoyens d’un accès effectif au droit par une atteinte illégitime au secret
professionnel.

     17. La partie intervenante entend souligner que les clauses obscures et vagues restrictives du principe de confidentialité sont
     contraires aux standards européens (et internationaux) de protection de la vie privée.
     En effet si les avocats sont dispensés de « déclaration de soupçons » dès lors qu’ils exercent une activité de consultation juridique,
     ni les directives, ni les instruments de transposition ne fournissent de définition de l’activité de « consultation juridique ».
     En exposant les avocats à un pareil aléa sous peine d’encourir des sanctions disciplinaires graves pouvant aller jusqu’à la radiation,
     il est porté gravement atteinte à l’indépendance de la profession.


9 http://www.treasury.gov/resource-center/terrorist-illicit-finance/Documents/nmls.pdf
10 E.J. KRAULAND ET T.H. CRIBBES, The attorney-client privilege in the United States. An age-old principle under modern pressures, in Le secret
professionnel de l’avocat dans un contexte européen, op. cit., p. 93. Marcia Coyle, Cough Up the Info: Feds Want More Corporate Data, NAT. L.J.,
Jan.12, 2010 : “The ABA has long opposed such reporting “because it would create inherent conflicts between lawyers and clients.” Id. Lawyers would
be in the awkward position of being retained by clients to advise about and facilitate the formation of corporations and at the same time be legally forced
to reveal information (possibly confidential) to governmental authorities that would subvert their client’s intentions. In addition, lawyers might find
themselves in a similar awkward situation with their clients under the Financial Action Task Force (FATF), a global intergovernmental effort aimed at
preventing money laundering and the financing of terrorism”; American Association of Law Schools (AALS) Section on Professional Responsibility
Program, The Transformative Effect of International Initiatives on Lawyer Practice and Regulation: A Case Study Focusing on FATF and its 2008
Lawyer Guidance, AALS ANNUAL MEETING PROGRAM, TRANSFORMATIVE LAW 46 (Jan. 8, 2010); Examining, in part, recent FATF actions and its
transformative effect on lawyer practice and regulation as FATF “will affect a broad swath of U.S. Lawyers who help their clients buy or sell real estate
[or] create, buy, sell or manage corporations”.
11 http://www.fjt2.net/gate/gb/www.hklawsoc.org.hk/pub_c/professionalguide/volume2/default.asp?cap=24.17#4;http://www.aseanlawassociation.org/Fra

ncis_Lim.pdf
12 La Suisse a adopté la solution consistant à scinder en deux les activités des avocats. Ceux qui exercent exclusivement dans le domaine du

contentieux ainsi que dans les autres activités typiques de la profession sont soumis au secret professionnel, dont la violation est sanctionnée par l’art.
321CPS.
Les activités commerciales par lesquelles les avocats interviennent et qui comportent l’acceptation, la gestion, le dépôt de sommes d’argent, la gestion
de sociétés et de comptes bancaires pour le compte de tiers (clients ou contreparties de clients), tombent sous l’égide de l’intermédiation financière et
sont soumises à la surveillance instituée par l’art. 3 lit. g de la Loi sur le blanchiment d’argent (LBA).
13 Voir § 8.6 arrêt du 2 juillet 2007 (72/7/A/2007) la Cour Constitutionnelle polonaise.
14 http://www.lawcouncil.asn.au/shadomx/apps/fms/fmsdownload.cfm?file_uuid=8FCE74BF-1E4F-17FA-D2A2-C549BD6656B4&siteName=lca; “If a

legal practitioner suspects or has reasonable grounds to suspect that funds are the proceeds of a criminal activity, or are related to terrorist financing,
he or she should report promptly to AUSTRAC. However according to recommendation 16, legal practitioners are not required to report suspicious
transactions if the relevant information was obtained in circumstances where they are subject to professional secrecy or legal professional privilege.
Note this is a different threshold than merely being information confidential to the client. The FATF recommendations note that each country determines
what matters fall under legal professional privilege or professional secrecy and that these concepts would normally cover information obtained in the
course of ascertaining the legal position of the client or in the task of representing the client in judicial, administrative, arbitration or mediation
proceedings. The RBA Guidance for Lawyers also notes the protection of the lawyer-client relationship in the context of suspicious transaction
reporting.”
15 Voir www.ccbe.eu/fileadmin/user_upload/NTCdocument/signed_statement_0301_1183723072.pdf; J. Temple Lang, The AM & S judgement, in

Aa.Vv, A True European, Essays for Judge David Edward, Oxford, 2003, p. 160; arrêt rendu dans l’affaire « The law societies of British Columbia &
Canadian Bar Association vs Attorney general of Canada, BCSC 1593, Docket N° L013116 du 20 novembre 2001; Arrêt rendu dan l’affaire Upjohn Co
vs US, 449 US 389, 391 51981) ; E.J. KRAULAND ET T.H. CRIBBES, The attorney-client privilege in the United States. An age-old principle under
modern pressures, in Le secret professionnel de l’avocat dans un contexte européen, op. cit., p. 93.
                                                                                                                                                       4
1°) L’INCLUSION DES AVOCATS DANS LE DISPOSITIF INSTAURE PAR LA DIRECTIVE (DEUXIEME : 2001/97/CE DU 4
     DECEMBRE 2001) LA DIRECTIVE SUBSEQUENTE (2005/60/CE DU 26 OCTOBRE 2005) EST CONTRAIRE A LA
     JURISPRUDENCE DES COURS EUROPEENNES RELATIVE AU SECRET PROFESSIONNEL ET A L’INDEPENDANCE DE
     L’AVOCAT.
     18. Dans ce contexte, une analyse de la jurisprudence tant de la CEDH que de la CJUE permet de constater qu’est reconnu le
     caractère fondamental du secret professionnel de l’avocat, lequel est la condition sine qua non de l’indépendance pleine et entière
     de ce dernier.

                      A.    Jurisprudence de la CEDH

                  a) Affaire NIEMIETZ / Allemagne, du 16 décembre 199216
     19. La Cour a conclu, à l’unanimité, à la violation du droit au respect du domicile et de la correspondance lors d’une perquisition
     effectuée dans le cabinet de l’avocat requérant (art.8). L’affaire NIEMIETZ c. Allemagne, a été confirmée par plusieurs arrêts :
     -      Affaire MIAILHE / France, du 25 février 1993
     La Cour établit la violation de l’article 8 en précisant notamment que :
                  « 36. Selon la jurisprudence constante de la Cour, les États contractants jouissent d’une certaine marge d’appréciation
     pour juger de la nécessité d’une ingérence, mais elle va de pair avec un contrôle européen. Les exceptions que ménage le
     paragraphe 2 de l’article 8 (art. 8-2) appellent une interprétation étroite (arrêt Klass et autres c. Allemagne du 6 septembre
     1978, série A no 28, p. 21, par. 42) et leur nécessité dans un cas donné doit se trouver établie de manière convaincante. »
                  « 37. Assurément, dans le domaine considéré - la lutte contre l’évasion des capitaux et contre la fuite devant l’impôt - les
     États rencontrent de sérieuses difficultés résultant de l’ampleur et de la complexité des réseaux bancaires et des circuits financiers
     ainsi que des multiples possibilités de placements internationaux, facilitées par la relative perméabilité des frontières. La Cour
     reconnaît donc qu’ils peuvent estimer nécessaire de recourir à certaines mesures, telles les visites domiciliaires et les
     saisies, pour établir la preuve matérielle de délits de change et en poursuivre le cas échéant les auteurs. Encore faut-il que
     leur législation et leur pratique en la matière offrent des garanties adéquates et suffisantes contre les abus (voir notamment,
     mutatis mutandis, l’arrêt Klass et autres précité, série A no 28, p. 23, par. 50). »
     -      Affaire FUNKE / France, du 25 février 1993
     Selon la Cour, faute de procès équitable, il y avait violation de l’article 6 §1 et violation de l’article 8 de la Convention.
     La Cour a estimé notamment que des perquisitions et des saisies chez un avocat portent incontestablement atteinte au
     secret professionnel qui est la base de la relation de confiance qui existe entre l’avocat et son client.
     A cet égard, la protection du secret professionnel est notamment le corollaire du droit qu’a le client d’un avocat de ne pas contribuer
     à sa propre incrimination, ce qui présuppose que les autorités cherchent à fonder leur argumentation sans recourir à des éléments
     de preuve obtenus par la contrainte ou les pressions, au mépris de la volonté de l’« accusé »17. Les principes posés dans cet arrêt
     font l’objet d’une jurisprudence constante de la Cour18.

                  b) Affaire CIIADIMOVA / République tchèque, du 18 avril 2006
     20. Cet arrêt est l’occasion pour la Cour de rappeler la Recommandation 2000/21 19 du Conseil de l’Europe et l’application de
     l’article 8 aux rapports entre client et avocat.
                  « […] 1. La Cour considère que les faits dénoncés par la requérante sont sans aucun doute constitutifs d’une ingérence
     dans les droits garantis par l’article 8 §1 de la Convention, les communications téléphoniques se trouvant comprises dans les notions
     de « vie privée » et de « correspondance » au sens de cette disposition20.[…] »
                  « 2. La Cour réitère que, si l’article 8 de la Convention a essentiellement pour objet de prémunir l’individu contre
     les ingérences arbitraires des pouvoirs publics, il ne se contente pas de commander à l’Etat de s’abstenir de pareilles
     ingérences : à cet engagement négatif peuvent s’ajouter des obligations positives inhérentes au respect effectif de la vie
     privée ou familiale. Le même principe s’applique aux relations entre les avocats et leurs clients comme le Comité des
     ministres a mentionné dans sa Recommandation (REC 2000/21) du 20 octobre 2000 (paragraphe 100 ci-dessus). La Cour
     considère donc que le Gouvernement avait une obligation positive d’assurer la destruction des cassettes audio visées par
     la Cour constitutionnelle dans son arrêt du 30 novembre 1995. »
                  « 3. La Cour n’est pas convaincue, sur la base des informations obtenues par les parties et, notamment, de celles
     présentées par le Gouvernement, que les autorités nationales ont déployé des efforts suffisants afin de démontrer que toutes les
     cassettes audio contenant les enregistrements des conversations téléphoniques de la requérante avec son avocat avaient
     effectivement été détruites. La Cour rappelle à cet égard que la Convention vise à protéger des « droits concrets et
     effectifs » et non « théoriques ou illusoires » (voir, parmi d’autres, Papamichalopoulos et autres c. Grèce, arrêt du 24 juin 1993,
     série A no 260-B, § 42). A la lumière de cette considération, il importe peu que la requérante n’ait pas démontré que les



16 Niemietz / Allemagne, arrêt du 16 décembre 1992, série A n° 251-B, p. 34, § 30, et Roemen et Schmit /. Luxembourg, n° 51772/99, § 64, CEDH
2003-IV.
17 Note de la Cour : (J.B. / Suisse, arrêt du 3 mai 2001, Recueil des arrêts et décisions 2001-III, § 64 ; voir également, parmi d’autres, Funke / France,

arrêt du 25 février 1993, série A no 256-A, § 44).
18 Affaire CREMIEUX / France, du 25 février 1993 ; Affaire LANZ / Autriche, du 31 janvier 2002.
19 Recommandation du Comité des Ministres aux Etats membres sur la liberté d’exercice de la profession d’avocat, du 25 octobre 2000 ;
20 Note de la Cour : (Malone c. Royaume-Uni du 2 août 1984, série A no 82, p. 30, § 64 ; Kruslin c. France et Huvig c. France du 24 avril 1990, série A

no 176-A et 176-B, p. 20, § 26, et p. 52, § 25 ; Halford c. Royaume-Uni du 25 juin 1997, Recueil des arrêts et décisions 1997-III, pp. 1016-1017, § 48 ;
Kopp c. Suisse du 25 mars 1998, Recueil 1998-II, p. 540, § 53 ; Lambert c. France du 24 août 1998, Recueil 1998-V, pp. 2238-2239, § 21 ; Prado
Bugallo v. Espagne, arrêt du 18 février 2003)
                                                                                                                                                      5
enregistrements auraient été utilisés à son détriment et qu’elle aurait subi un dommage à cet égard. Partant, il y a eu violation de
l’article 8 de la Convention. »

             c) Affaire KOPP / Suisse, du 25 mars 1998
21. Dans cette affaire la Cour fait explicitement référence au fait que il n’est pas aisé de déterminer « à quelles conditions
et par qui doit s’opérer le tri entre ce qui relève spécifiquement du mandat d’avocat et ce qui a trait à une activité qui n’est
pas celle de conseil ».
Notons ici qu’a contrario, ce qui relève du mandat d’avocat, en ce compris notamment sa mission de conseil, doit nécessairement
être protégé conformément à la CEDH et plus particulièrement à son article 8.
             « 4. Cependant, la Cour décèle une contradiction entre un texte législatif clair, protecteur du secret professionnel de
l’avocat lorsque celui-ci est surveillé en tant que tiers, et la pratique suivie en l’espèce. Même si la jurisprudence consacre
le principe, d’ailleurs généralement admis, que le secret professionnel de l’avocat ne couvre que la relation avocat-clients,
la loi n’explicite pas comment, à quelles conditions et par qui doit s’opérer le tri entre ce qui relève spécifiquement du
mandat d’avocat et ce qui a trait à une activité qui n’est pas celle de conseil.
             « 5. Surtout, en pratique, il est pour le moins étonnant de confier cette tâche à un fonctionnaire du service juridique des
PTT, appartenant à l’administration, sans contrôle par un magistrat indépendant. Cela d’autant plus que l’on se situe dans le
domaine délicat de la confidentialité des relations entre un avocat et ses clients, lesquelles touchent directement les droits de la
défense. »
             « 6. En résumé, le droit suisse, écrit et non écrit, n’indique pas avec assez de clarté l’étendue et les modalités
d’exercice du pouvoir d’appréciation des autorités dans le domaine considéré. M. Kopp, en sa qualité d’avocat, n’a donc pas
joui du degré minimal de protection voulu par la prééminence du droit dans une société démocratique. Il y a donc eu violation de
l’article 8. »

          d)     Affaires Ravon et autres / France du 21 février 2008, André et autre / France du 24 juillet 2008 et Kandler et
                 autres / France du 18 septembre 2008
22. Ces affaires ont trait à des visites domiciliaires et à des saisies menées entre 2000 et 2003, à la demande de l’administration
fiscale, aux domiciles professionnels et/ou privés des requérants.
La Cour européenne a jugé que les requérants n’avaient pas eu accès à un tribunal pour obtenir une décision sur leurs contestations
à l’encontre de ces visites et saisies (violations de l’article 6§1). La Cour européenne a relevé que la seule voie de recours dont ils
disposaient d’après l’article L. 16 B du livre des procédures fiscales (L) était le recours en cassation - recours en droit uniquement.
Par ailleurs, l’accès des personnes concernées à ce juge paraît plus théorique qu’effectif. Enfin, les intéressés n’ont plus la faculté
de saisir le juge qui a autorisé les opérations après l’achèvement de celles-ci : les allégations d’irrégularité entachant ces opérations
relèvent du contentieux dont peuvent être saisies les juridictions appelées à statuer sur les poursuites éventuellement engagées sur
le fondement des documents appréhendés. L’accès à ces dernières juridictions suppose en tout état de cause que des poursuites
soient par la suite engagées contre les intéressés, ce qui ne fut pas le cas dans les présentes affaires.

23. Dans l’affaire André, la Cour européenne a également jugé que la visite et les saisies en question, bien que « prévues
par la loi » et poursuivant un « but légitime », étaient disproportionnées par rapport au but visé (violation de l’article 8). La
visite domiciliaire s’est accompagnée d’une garantie spéciale puisqu’elle a été exécutée en présence du bâtonnier de l’Ordre des
avocats dont relevaient les requérants. En revanche, le juge qui avait autorisé la visite domiciliaire était absent, et la présence du
bâtonnier et ses contestations n’ont pas été de nature à empêcher la consultation effective de tous les documents du cabinet, ainsi
que leur saisie par les fonctionnaires des impôts, assistés d’un agent de police judiciaire. En outre, les fonctionnaires et officier de
police judiciaire se sont vus reconnaître des pouvoirs étendus en raison des termes larges dans lesquels était rédigée l’autorisation
de la visite domiciliaire. Enfin et surtout, la Cour a constaté que la visite domiciliaire litigieuse avait pour but la découverte
chez les requérants, en leur seule qualité d’avocats d’une société soupçonnée de fraude, de documents susceptibles
d’établir la fraude présumée de celle-ci et de les utiliser à charge contre elle. A aucun moment, les requérants n’ont été
accusés ou soupçonnés d’avoir commis une infraction ou participé à une fraude commise par leur cliente.
La Cour énonce qu’une visite domiciliaire fondée sur un soupçon d’infraction est contraire à l’article 8 de la Convention
européenne des droits de l’homme et la déclaration d’un soupçon n’est pas en elle-même « une mesure qui, dans une
société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la
défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection
des droits et libertés d’autrui ».

            e) Affaire André et autres / France,
24. Dans l’arrêt André et autres / France, la Cour précise :
            « 7. La Cour rappelle en premier lieu que le terme de « domicile » figurant à l’article 8 peut englober, par exemple, le
bureau d’un membre d’une profession libérale, notamment d’un avocat (Niemietz c. Allemagne, arrêt du 16 décembre 1992, série A
no 251-B, p. 34, § 30, et Roemen et Schmit c. Luxembourg, no 51772/99, § 64, CEDH 2003-IV).
            8. Dès lors, elle considère que la visite opérée au cabinet des requérants et les saisies effectuées s’analysent en une
ingérence dans l’exercice de leurs droits découlant du paragraphe 1 de l’article 8 de la Convention.
            9. Elle estime que pareille ingérence était « prévue par la loi ». En effet, l’article L. 16 B du livre des procédures fiscales
définit les modalités à respecter en cas de visite domiciliaire, et l’application conjuguée des dispositions des articles 56 et 56-1 du
code de procédure pénale vise expressément le respect du secret professionnel et du domicile professionnel ou privé d’un avocat.
Les requérants ne se plaignent d’ailleurs pas d’un défaut de base légale, mais de l’absence de proportionnalité et de nécessité des
mesures litigieuses dans les circonstances de l’espèce.

                                                                                                                                       6
10. Elle juge par ailleurs que l’ingérence poursuivait un « but légitime », à savoir celui de la défense de l’ordre public et de
  la prévention des infractions pénales.
             11. Quant à la question de la « nécessité » de cette ingérence, la Cour rappelle que « les exceptions que
  ménage le paragraphe 2 de l’article 8 appellent une interprétation étroite et [que] leur nécessité dans un cas donné doit se
  trouver établie de manière convaincante » (Crémieux c. France, arrêt du 25 février 1993, série A no 256-B, p. 62, § 38, et
  Roemen et Schmit, précité, § 68).
             12. La Cour estime que des perquisitions et des saisies chez un avocat portent incontestablement atteinte au
  secret professionnel, qui est la base de la relation de confiance qui existe entre l’avocat et son client. D’ailleurs, la
  protection du secret professionnel est notamment le corollaire du droit qu’a le client d’un avocat de ne pas contribuer à sa
  propre incrimination, ce qui présuppose que les autorités cherchent à fonder leur argumentation sans recourir à des
  éléments de preuve obtenus par la contrainte ou les pressions, au mépris de la volonté de l’« accusé » (J.B. c. Suisse,
  arrêt du 3 mai 2001, Recueil des arrêts et décisions 2001-III, § 64 ; voir également, parmi d’autres, Funke c. France, arrêt du
  25 février 1993, série A no 256-A, § 44).
             13. Partant, si le droit interne peut prévoir la possibilité de perquisitions ou de visites domiciliaires dans le cabinet d’un
  avocat, celles-ci doivent impérativement être assorties de garanties particulières. De même, la Convention n’interdit pas d’imposer
  aux avocats un certain nombre d’obligations susceptibles de concerner les relations avec leurs clients. Il en va ainsi notamment en
  cas de constat de l’existence d’indices plausibles de participation d’un avocat à une infraction (paragraphe 15 ci-dessus), ou encore
  dans le cadre de la lutte contre certaines pratiques (paragraphes 17-18 ci-dessus). Reste qu’il est alors impératif d’encadrer
  strictement de telles mesures, les avocats occupant une situation centrale dans l’administration de la justice et leur qualité
  d’intermédiaires entre les justiciables et les tribunaux permettant de les qualifier d’auxiliaires de justice. »

              f) Affaire Da Silveira / France, du 21 janvier 2010
  25. Dans une requête dirigée contre la France, Monsieur Da Silveira, ressortissant français, avocat au Barreau de Porto où il
  exerçait à titre principal et résident français, a été, dans le cadre d’une instruction contre X, perquisitionné et des saisies furent
  réalisées à son domicile personnel français, bien qu’il eut indiqué être inscrit dans un barreau de l’Union européenne. Le requérant
  critiquait la perquisition litigieuse et les actes subséquents. Il estimait avoir été privé du bénéfice tant du régime de protection
  particulier prévu à l’article 56-1 du code de procédure pénale, malgré sa qualité d’avocat inscrit à un barreau étranger, que d’un
  recours effectif devant une instance nationale pour contester la perquisition et les saisies.
  Cet arrêt est l’occasion pour la Cour de rappeler de nouveau le caractère fondamental du secret professionnel de l’avocat comme
  part intégrante du droit au respect de la vie privée, tout en lui conférant une « portée européenne », reconnaissant ainsi clairement
  que ce droit est attaché à la profession d’avocat.
  La Cour constate d’emblée que le Gouvernement ne conteste pas que la perquisition litigieuse entre bien dans le champ
  d’application de l’article 8 CEDH et qu’elle constitue une ingérence de l’Etat dans le droit au respect de la vie privée et du
  domicile du requérant. Elle observe par ailleurs que l’ingérence avait une base légale et qu’elle poursuivait un but légitime, à savoir
  la prévention des infractions pénales. Quant à la question de la « nécessité » de cette ingérence, la Cour rappelle que « les
  exceptions que ménage le paragraphe 2 de l’article 8 appellent une interprétation étroite et [que] leur nécessité dans un cas
  donné doit se trouver établie de manière convaincante »
  S’interrogeant sur le point de savoir si la perquisition litigieuse est intervenue au domicile du requérant en sa qualité d’avocat ou de
  simple particulier, la Cour rappelle que des perquisitions et des saisies chez un avocat sont susceptibles de porter atteinte
  au secret professionnel, qui est la base de la relation de confiance qui existe entre son client et lui. Partant, si le droit interne
  peut prévoir la possibilité de perquisitions ou de visites domiciliaires dans le cabinet d’un avocat, celles-ci doivent impérativement
  être assorties de « garanties spéciales de procédure ».
  La Cour souligne que la Convention n’interdit pas d’imposer aux avocats un certain nombre d’obligations susceptibles de concerner
  les relations avec leurs clients. Il en va ainsi notamment en cas de constat de l’existence d’indices plausibles de participation
  d’un avocat à une infraction, ou encore dans le cadre de la lutte contre certaines pratiques, mais il est alors impératif
  d’encadrer strictement de telles mesures, les avocats occupant une situation centrale dans l’administration de la justice et
  leur qualité d’intermédiaires entre les justiciables et les tribunaux permettant de les qualifier d’auxiliaires de justice.
  La Cour relève que le requérant, alors qu’il remplissait les conditions prévues par le droit interne pour exercer librement la profession
  d’avocat en France à titre occasionnel et faire usage de son titre, n’a pas été mis en mesure de bénéficier des dispositions de l’article
  56-1 du code de procédure pénale auxquelles il pouvait pourtant prétendre (cette disposition ne distingue pas les avocats selon
  qu’ils exercent leur activité à titre principal ou occasionnel).
  La Cour ajoute qu’une telle distinction ne se justifie pas davantage au regard de l’article 8 de la Convention : dès lors que
  les perquisitions ou les visites domiciliaires visent le domicile ou le cabinet d’un avocat exerçant régulièrement sa
  profession, à titre principal en qualité d’avocat inscrit à un barreau ou à titre occasionnel dans un autre Etat membre de
  l’Union européenne, elles doivent impérativement être assorties de « garanties spéciales de procédure » , ce qui est
  notamment le cas lorsqu’elles sont exécutées en présence du bâtonnier de l’Ordre des avocats.
  La Cour constate, outre le fait que le requérant n’a donc pas bénéficié d’une « garantie spéciale de procédure » dont doivent
  bénéficier les avocats, que la perquisition litigieuse concernait des faits totalement étrangers au requérant, ce dernier n’ayant
  à aucun moment été accusé ou soupçonné d’avoir commis une infraction ou participé à une fraude quelconque en lien
  avec l’instruction.

La Cour conclut cet arrêt en estimant que l’ingérence litigieuse était, dans les circonstances de l’espèce, disproportionnée par rapport au but
visé, et que l’intéressé n’a pas bénéficié d’un « contrôle efficace » tel que voulu par la prééminence du droit et apte à limiter l’ingérence à ce qui
était « nécessaire dans une société démocratique ».


                                                                                                                                                  7
Ce dernier point, tenant au contrôle de proportionnalité, doit faire l’objet d’une analyse dont on comprend aisément qu’elle ne
contreviendra pas aux conclusions de la Cour EDH lorsqu’elle constate l’incompatibilité du non respect du secret professionnel de
l’avocat avec les articles 6 et 8 CEDH.
La future adhésion de l’Union à la Convention rend ainsi nécessaire une mise en conformité claire de la législation de l’Union
européenne au regard de la jurisprudence de la Cour EDH. Rappelons de nouveau que la Charte prévoit expressément que si
elle contient « des droits correspondant à des droits garantis par la Convention européenne de sauvegarde des droits de
l’Homme et des libertés fondamentales, leur sens et leur portée sont les mêmes que ceux que leur confère ladite
convention ». Ceci étant dit, rien n’empêche le droit de l’Union « d’accorder une protection plus étendue ».

     B         Jurisprudence de la Cour de Justice de l’Union Européenne

     1. Directive anti-blanchiment et méconnaissance du droit au respect du secret professionnel

               a)      Affaire AM & S Europe Limited / Commission des Communautés européennes21
     26. Au visa du principe d’indépendance de la profession d’avocat, la CJCE a consacré le principe de confidentialité des
     communications entre l’avocat et son client et, indirectement, le principe du respect du secret professionnel de l’avocat.
     Selon la CJCE comme il a été vu ci-avant :
     « Cette confidentialité répond en effet a l’exigence, dont l’importance est reconnue dans l’ensemble des Etats membres,
     que tout justiciable doit avoir la possibilité de s’adresser en toute liberté à son avocat, dont la profession même comporte
     la tâche de donner, de façon indépendante, des avis juridiques à tous ceux qui en ont besoin. »

     27. A l’indépendance de l’avocat est donc lié le principe de confidentialité des échanges de ce dernier avec son client.

     28. La CJCE a également relevé que :
     « Le règlement n° 17/6222 lui-même, notamment dans son onzième considérant et par les dispositions de l’article 19, prend soin de
     sauvegarder le plein exercice des droits de la défense, dont la protection de la confidentialité de la correspondance entre
     avocats et clients constitue un complément nécessaire. »
     « Cette protection doit [d’ailleurs] s’entendre, pour être efficace, comme couvrant de plein droit toute correspondance échangée
     après l’ouverture de la procédure administrative [et] doit pouvoir être étendue également à la correspondance antérieure, ayant un
     lien de connexité avec l’objet d’une telle procédure. »

     29. Le professeur Goffin23, commentant cet arrêt, estime que :
     « Il ne saurait être déduit de l’arrêt (…) que les communications entre client et avocat ne seraient pas protégées en l’absence de
     procédure ».
     « Quiconque a le droit de s’adresser à un avocat dans tous les cas, avec la certitude que les propos et les écrits échangés sont
     confidentiels. »

     30. Les conclusions de l’avocat général24 dans cette affaire vont en ce sens puisqu’il précise que le principe de confidentialité :
     «couvre les communications entre l’avocat et le client en vue d’obtenir ou de donner un avis juridique quel que soit l’endroit où elles
     se trouvent et peu importe que la procédure judiciaire ait commencé ou non. Elle couvre aussi le contenu de cet avis (donné
     oralement ou par écrit), quelle que soit la forme dans laquelle il a été reproduit : que ce soit dans une lettre, un résumé ou dans un
     procès verbal ».

               b)      Affaire Wouters25
     31. Les conclusions de l’avocat général26, dans cette affaire, ayant trait à une hypothèse de collaboration intégrée entre avocats et
     experts comptables, mettent en avant le fait que cette collaboration entraînerait un risque de violation du secret professionnel :
     « d’autant plus grand que, dans certaines circonstances, l’expert-comptable a l’obligation légale de communiquer aux autorités
     compétentes des informations relatives à l’activité de ses clients. »

     32. L’avocat général relève que :
     « Le secret professionnel est la base de la relation de confiance qui existe entre l’avocat et son client. Il impose à l’avocat de ne
     divulguer aucune information qui lui a été communiquée par son client, et s’étend ratione temporis à la période postérieure à la fin de
     son mandat et ratione personae à l’ensemble des tiers. Le secret professionnel constitue également une «garantie essentielle de la
     liberté de l’individu et du bon fonctionnement de la justice », de sorte qu’il relève de l’ordre public dans la plupart des Etats
     membres. »




21 Arrêt de la Cour, du 18 mai 1982, Aff. 155/79.
22 Premier règlement d’application des articles 85 et 86 du traité (actuellement articles 101 et 102 TFUE) [Journal officiel n° 13 du 21 février 1962.
23 Léon GOFFIN, « De la confidentialité des communications entre 1’avocat et son client », Cahiers de Droit Européen, 1982, p. 391 et s.
24 Conclusions de l’avocat général Sir Gordon Slynn présentées le 26 janvier 1982, AM & S Europe Limited contre Commission des Communautés

européennes, Aff. 155/79.
25 Arrêt de la Cour, du 19 février 2002, Aff. C-309/99.
26 Conclusions de l’avocat général Monsieur Philippe Léger présentées le 10 juillet 2001, Aff. C-309/99.

                                                                                                                                                  8
33. Aucune liberté prévue par les textes protecteurs de droits de l’Homme n’étant absolue, ceci implique un contrôle de
     proportionnalité, lequel démontre aisément le caractère non fondé de l’application du dispositif anti-blanchiment à la profession
     d’avocat, comme il sera vu ci-après.


     2. Directive anti-blanchiment et méconnaissance des droits de la défense et du principe d’indépendance de l’avocat

     34. La récente jurisprudence Akzo 27 confirme le caractère indissociable du principe d’indépendance de l’avocat et du secret
     professionnel de ce dernier.

     35. Dans cette affaire, l’avocat général28 affirme que :
     « le principe de confidentialité des communications a pour objet de protéger les échanges entre un client et son avocat indépendant.
     Il constitue, d’une part, un complément nécessaire au respect des droits de la défense reconnus au client et procède, d’autre
     part, du rôle de l’avocat, considéré comme « collaborateur de la justice », qui est appelé à fournir, en toute indépendance et dans
     l’intérêt supérieur de celle-ci, l’assistance légale dont le client a besoin. »

     36. La CJUE, suivant les conclusions de l’avocat général, précise que :
     « dans l’arrêt AM & S Europe / Commission, la Cour, compte tenu des critères communs et des conditions similaires existant à
     l’époque dans les droits internes des États membres, a jugé, au point 21 de cet arrêt, que la confidentialité des communications
     entre avocats et clients devait faire l’objet d’une protection au niveau de la Communauté européenne. La CJUE y a toutefois
     précisé que le bénéfice de cette protection était subordonné à deux conditions cumulatives. »
     Ces conditions concernent, d’une part, le fait que l’échange avec l’avocat doit être lié à l’exerc ice du « droit de la défense du client »
     et, d’autre part, le fait qu’il doit s’agir d’un échange émanant « d’avocats indépendants ».

     37. Dès lors, pour que les échanges entre un avocat et son client soient couverts par la confidentialité, l’avocat doit exercer son
     activité de manière indépendante. Le raisonnement de la CJUE consiste donc à considérer que c’est l’indépendance de
     l’avocat qui justifie la confidentialité considérée comme nécessaire à la mise en œuvre de ce principe protégé au niveau de
     l’Union.

     38. La CJUE rappelle que :
     « L’exigence relative à la position et à la qualité d’avocat indépendant, que doit revêtir le conseil dont émane la communication
     susceptible d’être protégée, procède d’une conception du rôle de l’avocat, considéré comme collaborateur de la justice et
     appelé à fournir, en toute indépendance et dans l’intérêt supérieur de celle-ci, l’assistance légale dont le client a besoin.
     Cette protection a pour contrepartie la discipline professionnelle, imposée et contrôlée dans l’intérêt général. » La CJUE a indiqué
     également « (…) qu’une telle conception répond aux traditions juridiques communes aux Etats membres et se retrouve également
     dans l’ordre juridique de l’Union, ainsi qu’il résulte des dispositions de l’article 19 du statut de la Cour de justice. »

La manière dont la Cour de justice de l’Union européenne appréhende l’indépendance de la profession d’avocat, en insistant
notamment sur une justification portant sur la discipline professionnelle qui lui est inhérente, rend d’autant plus difficile la
démonstration de l’utilité d’une norme imposant à ces « collaborateurs de la justice » une obligation de déclaration de
soupçons.

     2°) COMPETENCE DE LA COUR POUR RESTREINDRE L’APPLICATION DES NORMES DERIVEES DU DROIT DE L’UNION
     EN SANCTIONNANT LES ETATS MEMBRES EGALEMENT PARTIES A LA CONVENTION EDH
     39. Dans les affaires Bosphorus (Bosphorus Hava Yolları Turizm ve Ticaret Anonim Şirketi dite « Bosphorus Airways » c. Irlande
     ([GC], no 45036/98, CEDH 2005-VI), Behrami et Behrami c. France ((déc.) [GC], no 71412/01, 31 mai 2007), et Saramati
     c. Allemagne, France et Norvège ((déc.) [GC], no 78166/01, 31 mai 2007), la Cour a rappelé que, si la Convention n'interdit pas aux
     Etats de transférer des pouvoirs souverains à une organisation internationale à des fins de coopération dans certains domaines
     d'activité, les Etats demeurent responsables au titre de l'article 1 de la Convention de tous les actes et omissions de leurs organes,
     même si ceux-ci découlent de la nécessité d'observer des obligations juridiques internationales ; en effet, l'article 1 ne fait aucune
     distinction quant au type de normes ou de mesures en cause et ne soustrait aucune partie de la « juridiction » des Parties
     contractantes à l'empire de la Convention. Cependant, la Cour a ensuite précisé que, lorsque l'acte d'un Etat se justifiait par le
     respect des obligations découlant pour celui-ci de son appartenance à une organisation internationale et que l'organisation en
     question accordait aux droits fondamentaux une protection à tout le moins équivalente à celle assurée par la Convention, il y avait
     lieu de présumer que les exigences de la Convention étaient respectées par l'Etat. Pareille présomption pourrait toutefois être
     renversée dans le cadre d'une affaire donnée si l'on estimait que la protection des droits garantis par la Convention était
     entachée d'une insuffisance manifeste. Dans un tel cas, le rôle de la Convention en tant qu'« instrument constitutionnel de
     l'ordre public européen » dans le domaine des droits de l'homme l'emporterait sur l'intérêt de la coopération internationale
     (Bosphorus, précité, §§ 155-156, et, Behrami et Behrami c. France, et Saramati c. Allemagne, France et Norvège, § 145).




27   Arrêt de la CJUE, du 14 septembre 2010, Akzo Nobel Chemicals Ltd et Akcros Chemicals Ltd / Commission européenne e.a., C-550/07 P.
28   Conclusions de l’avocat général Madame Juliane Kokott, présentées le 29 avril 2010.

                                                                                                                                            9
40. « Dans l’arrêt M.S.S contre Belgique et Grèce, la Cour EDH a réaffirmé sa jurisprudence antérieure sur la question de la
     responsabilité des Etats Parties à la Convention et membres de l’Union européenne. En effet, selon la Cour EDH, l’adhésion des
     Etats à l’Union européenne ne les exempte pas de leurs obligations qui découlent de la Convention. Néanmoins, « l’action de l’Etat
     sera considérée comme justifiée dès lors que l’organisation offre une protection des droits fondamentaux équivalente à celle garantie
     par la Convention». Cette présomption de protection équivalente de l’Union peut toutefois être renversée lorsque le droit de
     l’Union laisse une marge d’appréciation aux Etats en vue de sa mise en œuvre.

     41. En l’espèce, en appliquant les dispositions du Règlement « Dublin II », la Belgique a, selon la Cour EDH, porté atteinte aux
     droits fondamentaux protégés par la Convention. A travers cet arrêt, la Cour EDH exige que l’Etat partie à la Convention et membre
     de l’Union européenne utilise sa marge d’appréciation fondée sur une clause de souveraineté pour déroger à un règlement de
     l’Union et respecter ainsi les droits fondamentaux protégés par la Convention. Dès lors qu’il bénéficiait d’une marge
     d’appréciation dans l’application du droit de l’Union, l’Etat membre en question pouvait satisfaire à ses obligations d’Etat
     partie à la Convention. En se fondant sur une « clause de souveraineté » lui permettant de déroger au droit de l’Union, l’Etat
     aurait récupéré sa liberté d’action et, comme tout autre Etat non membre de l’Union européenne, aurait pu respecter et faire
     respecter les droits fondamentaux.
     Les droits fondamentaux constituent désormais le cœur des ordres juridiques au point que la primauté de ces derniers semble
     dépendre du degré de respect des droits de l’homme qu’ils assurent. »29

     42. En l’espèce (Affaire MICHAUD), comme il ressort du texte communiqué au gouvernement même, les textes européens
     laissent à l’Etat une marge d’appréciation tel que l’Etat peut faire en sorte de respecter les principes dictés par la Cour
     EDH.
     Par conséquent, comme pour les affaires Matthews et M.S.S contre Belgique et Grèce, l’on peut soutenir que le principe de
     présomption de protection équivalente tel qu’indiqué dans l’affaire Bosphorus est renversé en vertu de l’ample marge
     d’appréciation laissé à l’Etat défendeur.30 Il y a donc violation de l’article 8 de la Convention en l’espèce.

     43. L’affaire Matthews confirme par ailleurs, qu’à défaut de pouvoir contrôler les actes normatifs de l’Union européenne, la Cour
     EDH peut conduire à restreindre l’application de ces normes en sanctionnant les Etats parties à la Convention EDH qui sont aussi
     Etats membres de l’Union européenne. En effet, « les domaines de compétences transférées par les Etats membres à une
     organisation internationale continuent de relever de leur responsabilité rationae materiae ». Dans cette affaire, la Cour EDH avait
     reconnu que l’acte relatif à l’élection du Parlement européen au suffrage universel direct était incompatible avec l’article 3 du
     protocole n°1 à la Convention. L’acte en cause faisait partie du droit primaire de l’Union. Le Royaume-Uni était donc pris entre ses
     obligations communautaires et ses obligations découlant de son adhésion à la Convention EDH. Refuser d’exécuter l’arrêt de la
     Cour EDH pour privilégier l’application du droit communautaire revenait à s’exposer à des sanctions supplémentaires de la Cour
     EDH. De la même manière, tirer les conséquences de l’arrêt de la Cour EDH revenait à s’exposer à une procédure de recours en
     manquement devant la CJCE. Le Royaume-Uni décide de modifier sa législation pour être en conformité avec le droit de la
     Convention. Dès lors, l’Etat espagnol, en tant que requérant privilégié, intenta à son encontre un une procédure en manquement. La
     CJCE refusa de condamner le Royaume-Uni en raison de l’arrêt rendu par la Cour EDH. L’avocat général Tizzano, constatant que
     les droits fondamentaux font partie intégrante des principes généraux du droit dont la Cour assure le respect, estime que « le respect
     des droits fondamentaux ainsi reconnus ‘s’imposent’ à titre primaire ‘tant à la Communauté qu’à ses Etats membres’ et que, par
     conséquent, cet ordre juridique n’admet pas les ‘mesures incompatibles avec le respect’ de ces droits ». Le Royaume-Uni, en se
     conformant à l’arrêt de la Cour EDH, a créée une législation portant atteinte à l’acte de droit primaire de la Communauté mais
     respectueuse des droits fondamentaux. Cette nouvelle législation nationale, porteuse d’une protection des droits fondamentaux, peut
     justifier une dérogation au droit de la Communauté. Dans la balance des intérêts de la Communauté, les droits fondamentaux, en
     tant que principes constitutifs de l’Union, priment sur les intérêts portés par l’Acte relatif à l’élection au Parlement européen au
     suffrage universel direct quand bien même ce traité relève du droit primaire.
     Ainsi, si les ordres juridiques européens octroient aux Etats la possibilité de tempérer l’application des règles découlant de leurs
     obligations, c’est uniquement parce que leur argument s’avère légitime dès lors qu’il suppose une protection des droits
     fondamentaux plus élevée.

     44. Reste que, dans l’hypothèse d’un conflit entre ordres normatifs, les juges européens semblent vouloir imposer aux Etats
     l’obligation d’opter, lorsqu’ils en ont le pouvoir, en faveur de l’application de la norme la plus favorable à la protection des droits
     fondamentaux. »31




29 Nilsa ROJAS-HUTINEL, Actes du VIIe Congrès DE L’AFDC – ATELIER N°2 : DROIT CONSTITUTIONNEL ET DROIT EXTERNE
30 Fabienne Kauff-Gazin, L’arrêt Bosphorus de la Cour européenne des droits de l’homme : quand le juge de Strasbourg pallie le retard du constituant
de l’Union européenne en matière de protection des droits fondamentaux, en Europe des Libertés.
31 Nilsa ROJAS-HUTINEL, précité.

                                                                                                                                               10

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Affaire Michaud : les obs du CCBE à la CEDH

  • 1. INTRODUCTION 1. Les présentes, observations sont développées par le Conseil des Barreaux Européens après en avoir obtenu l’autorisation du Président de la cinquième section par lettre du 12 mars 2012. 2. Le Conseil des Barreaux européens, ci après CCBE, est l'organisation européenne qui représente plus d’un million d’avocats en Europe. Son objet social consiste, notamment, à représenter les barreaux nationaux européens membres, dans toutes les matières d'intérêt commun ayant trait à l'exercice de la profession d'avocat, au respect de l'Etat de droit et d'une bonne administration de la justice ainsi qu'aux développements du droit, tant au plan européen qu'international. 3. Par délibération du 16 février 2012, le Comité permanent du CCBE – qui s’est tenu à Vienne – à l’unanimité des membres présents a estimé nécessaire d’intervenir dans la procédure sous référence dans le but de défendre et réaffirmer les valeurs essentielles de la profession d’avocat qui lui paraissent gravement menacées par les dispositions des directives relatives à la lutte contre le blanchiment et les législations nationales de droit dérivé qui ont toujours été considérées comme attentatoires à l’indépendance des avocats, au respect du secret professionnel et au droit à la vie privée du citoyen dans le cadre de la confidentialité des échanges qui lui sont dues. 4. La décision de la Cour Européenne des droits de l'Homme à intervenir devant se prononcer sur la requête introduite par M. Patrick MICHAUD aura très certainement un impact considérable sur les modalités d'interprétation et d'application des normes de conduite imposées de façon générale aux membres des barreaux européens, et plus particulièrement sur les dispositions concernant l'indépendance de l'avocat dans l'exercice des droits de la défense, la confidentialité dans les rapports entre avocats et citoyens pour leur garantir un libre accès au droit, corollaire de leur droit à la protection de la vie privée. 5. Cette nécessité se fait d’autant plus sentir que dans le processus de révision de la directive 2005/60/CE de la Commission Européenne a demandé au CCBE s’il avait connaissance de distinctions précises faites entre les « activités essentielles » et « les activités non essentielles » pour l’application de la directive, ce qui reviendrait à considérer que le secret professionnel et l’indépendance de l’avocat seraient divisibles au regard de la nature de ces activités, ce qui deviendrait totalement inintelligible pour un justiciable ou un citoyen ayant recours à ses services. 6. En l’espèce il résulte de l’exposé des faits dressé par la Cour, des questions posées par celle-ci, que pour la première fois cette Haute Juridiction a communiqué à un Etat contractant une requête tendant à faire constater que certaines dispositions de la directive 2001/97/CE, aujourd’hui abrogée et remplacée par la directive 2005/60/CE, relative à la lutte contre le blanchiment pourrait être de nature à remettre en cause l’indépendance des avocats ainsi que le secret professionnel notamment au regard de l’article 8 de la Convention EDH. 7. Eu égard au fait que la Cour de Justice de l’Union Européenne précédemment saisie d’une question préjudicielle ayant abouti à l’arrêt C-305/05- Ordre des Barreaux francophones et germanophones et autres c/ Conseil des Ministres du 26 juin 2007, ne s’est pas prononcée sur la compatibilité des dispositions de la directive 2001/97/CE avec l’article 8 précité, la requête dont la Cour est aujourd’hui saisie justifie que les barreaux nationaux, membres du CCBE, puissent exposer leurs observations et contributions. 8. La décision attaquée par M. Patrick MICHAUD, et que le Conseil d’ Etat à refusé de censurer dans son arrêt du 10 avril 2008, a pour objet de faire déclarer contraires à la Convention, plus particulièrement à ses articles 6, 7 et 8, un règlement du Conseil National des barreaux français du 12/7/2007 relatif aux procédures internes de lutte contre le blanchiment de capitaux pris en application de la loi et du décret des 11 février 2004 et 26 juin 2006 transposant la directive ( 2001/97/CE) du 4 décembre 2001 qui fait peser sur les avocats des obligations de déclaration de soupçons à l’égard de personnes leur ayant confiés des secrets, le tout sous peine de sanctions disciplinaires graves, lesdites révélations étant de surcroit de nature à faire échec au droit des citoyens de ne pas s’auto-incriminer. Le Conseil d’Etat considère que dans la mesure où selon son interprétation la consultation juridique est exclue du champ d’application de la déclaration de soupçon, l’article 8 de la convention européenne est respecté. Par contre en se déterminant ainsi, le Conseil d’Etat estime que les avocats sont soumis aux obligations de déclaration et de vigilance, sans pouvoir se prévaloir du secret professionnel et de leur indépendance, lorsqu’ils participent aux activités énumérées à l’article L.561-3 du code monétaire et financier (exposé des faits, page 4 B 1b) lesdites activités étant considérées comme celles « d’agent d’affaires ». Il ne saurait cependant être sérieusement contestable que l’assistance de l’avocat dans le cadre desdites opérations est également susceptible de relever de l’expertise juridique et se rattacher à ses activités traditionnelles. De ce qui précède il résulte que les activités de l’avocat sont indivisibles et que la distinction artificiellement opérée par la directive et ses transpositions sont de nature à créer une incertitude juridique pour le citoyen qui estimant que l’avocat est tenu au secret professionnel serait ainsi indirectement amené à s’auto incriminer. Que cette incertitude doublée de l’obligation de révéler un « soupçon » et non pas la certitude de l’existence d’une infraction sous jacente, est contraire au secret professionnel, à la nécessaire confidentialité de l’échange entre le client et l’avocat, tels qu’ils sont protégés par l’article 8 de la Convention. Au demeurant les statistiques fournies par le requérant démontrent l’infime taux d’affaires ayant fait l’objet de transmissions à la justice, ce qui implique nécessairement que la plus grande partie des déclarations effectuées constituent des atteintes à la vie privée. L’interprétation faite par le Conseil d’Etat des directives européennes et des instruments de transposition attente en conséquence aux valeurs fondamentales de la profession d’avocat dans la mesure où elle remet en cause les principes de la confidentialité de 1
  • 2. l’échange entre le client et son avocat et de son indépendance dans la mesure où il devient de facto « un agent de l’Etat » ce qui implique d’ailleurs qu’il va entrer en conflit d’intérêts avec son client. Le but de l’intervention du CCBE n’est pas de s’exprimer en faveur ou contre la thèse soutenue par le requérant, mais de soumettre à la Cour des observations visant à défendre les intérêts de la profession d’avocat au niveau européen afin de faire respecter le statut spécifique de celle ci qui la place dans une situation centrale dans l’administration de la justice, et comme intermédiaire privilégié des citoyens afin d’accéder au droit en pouvant se confier librement et en toute confidentialité et dans le respect leur vie privée. En effet à de nombreuses reprises la Cour Européenne des droits de l'Homme a rappelé que le statut spécifique des avocats les place dans une situation centrale dans le cadre de l'administration de la justice, comme intermédiaires entre les justiciables et les tribunaux, ce qui explique les normes de conduite imposées en général aux membres du barreau (arrêt Casado Coca c. Espagne du 24 février 1994, série A n°285-A, p. 21, §54). CADRE COMMUN EUROPEEN DES REGLES DE DEONTOLOGIE DES AVOCATS 9. Cinquante années d’existence ont permis au CCBE d’élaborer un code de déontologie et des principes quant au rôle, devoirs et prérogatives de la profession d’avocat qui constitue le socle commun de tous les professionnels de l’Union Européenne. 10. Le Code de déontologie des avocats européens1 : 2.1. Indépendance « 2.1.1. La multiplicité des devoirs incombant à l’avocat lui impose une indépendance absolue, exempte de toute pression, notamment de celle résultant de ses propres intérêts ou d’influences extérieures. Cette indépendance est aussi nécessaire pour la confiance en la justice que l’impartialité du juge. L’avocat doit donc éviter toute atteinte à son indépendance et veiller à ne pas négliger le respect de la déontologie pour plaire à son client, au juge ou à des tiers. 2.1.2. Cette indépendance est nécessaire pour l’activité juridique comme judiciaire. Le conseil donné au client par l’avocat n’a aucune valeur, s’il n’a été donné que par complaisance, par intérêt personnel ou sous l’effet d’une pression extérieure. » 2.3. Secret professionnel 2.3.1. Il est de la nature même de la mission de l’avocat qu’il soit dépositaire des secrets de son client et destinataire de communications confidentielles. Sans la garantie de confidentialité, il ne peut y avoir de confiance. Le secret professionnel est donc reconnu comme droit et devoir fondamental et primordial de l’avocat. L’obligation de l’avocat relative au secret professionnel sert les intérêts de l’administration de la justice comme ceux du client. Elle doit par conséquent bénéficier d’une protection spéciale de l’État. 2.3.2. L’avocat doit respecter le secret de toute information confidentielle dont il a connaissance dans le cadre de son activité professionnelle. 2.3.3. Cette obligation au secret n’est pas limitée dans le temps. 2.3.4. L’avocat fait respecter le secret professionnel par les membres de son personnel et par toute personne qui coopère avec lui dans son activité professionnelle. 11. La Charte des principes essentiels de l’avocat européen : « Dans une société fondée sur le respect de la justice, l’avocat remplit un rôle éminent. Sa mission ne se limite pas à l’exécution fidèle d’un mandat dans le cadre de la loi. L’avocat doit veiller au respect de l’État de droit et aux intérêts de ceux dont il défend les droits et libertés. Il est du devoir de l’avocat non seulement de plaider la cause de son client mais aussi d’être son conseil. Le respect de la mission de l’avocat est une condition essentielle à l’État de droit et à une société démocratique. » (Code de déontologie des avocats européens du CCBE, article 1.1) « Il existe des principes essentiels qui, même exprimés de manière légèrement différente dans les différents systèmes juridiques, sont communs à tous les avocats européens. Ces principes essentiels fondent divers codes nationaux et internationaux qui régissent la déontologie de l’avocat. Les avocats européens sont soumis à ces principes qui sont essentiels à la bonne administration de la justice, à l’accès à la justice et au droit à un procès équitable comme l’exige la Convention européenne des Droits de l’Homme. Dans l’intérêt général, les barreaux, les cours et tribunaux, les législateurs, les gouvernements et les organisations internationales doivent faire respecter et protéger ces principes essentiels. Les principes essentiels de l’avocat sont notamment : (a) l’indépendance et la liberté d’assurer la défense de son client ; (b) le respect du secret professionnel et de la confidentialité des affaires dont il a la charge ; (c) la prévention des conflits d’intérêts que ce soit entre plusieurs clients ou entre le client et lui-même ; (d) la dignité, l’honneur et la probité ; (e) la loyauté à l’égard de son client ; (f) la délicatesse en matière d’honoraires ; (g) la compétence professionnelle ; (h) le respect de la confraternité ; (i) le respect de l’État de droit et la contribution à une bonne administration de la justice ; (j) l’autorégulation de sa profession. » « Ces principes essentiels sont l’expression de la base commune à toutes les règles nationales et internationales qui régissent la déontologie des avocats européens. La Charte prend en compte : - les règles professionnelles nationales des États européens, y compris de ceux qui ne sont pas membres du CCBE mais partagent aussi ces principes communs des avocats européens ; 1Adopté lors de la session plénière du CCBE le 28 octobre 1988 et modifié lors des sessions plénières du 28 novembre 1998, du 6 décembre 2002 et du 19 mai 2006. 2
  • 3. - le Code de déontologie des avocats européens du CCBE ; - les principes généraux du Code international de déontologie de l’International Bar Association ; - la Recommandation Rec (2000) 21 du Comité des Ministres du Conseil de l’Europe aux États membres sur la liberté d’exercice de la profession d’avocat du 25 octobre 20005 ; - les Principes de base relatifs au rôle du barreau, adoptés par le huitième Congrès des Nations Unies pour la prévention du crime et le traitement des délinquants qui s’est tenu à La Havane (Cuba) du 27 août au 7 septembre 19906 ; - la jurisprudence de la Cour européenne des Droits de l’Homme et de la Cour de justice des Communautés européennes, et notamment l’arrêt du 19 février 2002 de la Cour de justice des Communautés européennes dans l’affaire Wouters c. Algemene Raad van de Nederlandse Orde van Advocaten (C-309/99) ; - la Déclaration universelle des droits de l’homme, la Convention européenne des Droits de l’Homme et la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne ; - la Résolution du Parlement européen sur les professions juridiques et l’intérêt général relatif au fonctionnement des systèmes juridiques du 23 mars 2006. » 12. Congrès des Nations Unies pour la prévention du crime et le traitement des délinquants.2 13. Principes de base relatifs au rôle du barreau : « (…) 16. Les pouvoirs publics veillent à ce que les avocats a) puissent s’acquitter de toutes leurs fonctions professionnelles sans entrave, intimidation, harcèlement ni ingérence indue; b) puissent voyager et consulter leurs clients librement, dans le pays comme à l’étranger ; et c) ne fassent pas l’objet, ni ne soient menacés de poursuites ou de sanctions économiques ou autres pour toutes mesures prises conformément à leurs obligations et normes professionnelles reconnues et à leur déontologie.(...) « 22. Les pouvoirs publics doivent veiller à ce que toutes les communications et les consultations entre les avocats et leurs clients, dans le cadre de leurs relations professionnelles, restent confidentielles. » PROPOS LIMINAIRES RELATIFS AUX SYSTEMES DE LUTTE CONTRE LE BLANCHIMENT DES CAPITAUX 14. Par une directive de 1991 3 , les Communautés Européennes ont imposé aux banques et aux intermédiaires financiers l’obligation de révéler aux pouvoirs publics les soupçons qu’ils pouvaient avoir sur la provenance de sommes d’argent provenant du trafic de stupéfiants ou de la criminalité organisée. Ce dispositif a été étendu aux professions juridiques indépendantes dont les avocats, par deux directives communautaires, la directive 2001/97/CE4 de 2001, suivie par la directive 2005/60/CE5 de 2005 qui opère une refonte des deux précédentes directives. Ces dispositions mettent à la charge des avocats des obligations de déclaration de soupçon, dans certains domaines, ainsi que des obligations de vigilance dans certains domaines. Ce dispositif législatif inspiré par le GAFI est d’autant plus préoccupant que le champ d’application initialement cantonné aux produits de la criminalité organisée du trafic de stupéfiants a été considérablement étendu. Cette législation se réclamant d’une certaine légitimité, a été dévoyée en étant étendue à tous les produits d’infractions sous jacentes susceptibles d’être punies de plus d’une année d’emprisonnement ainsi qu’aux soupçons de fraude fiscale. Ces dispositions remettent en cause les principes essentiels de la profession d’avocat : le secret professionnel et la confidentialité des échanges avec les clients, l’indépendance de celle-ci. Tout en se refusant de se faire les complices de leurs clients, les avocats ne sauraient être transformés en agents de renseignements des Etats car ceci constituerait une atteinte à leur indépendance tout en les plaçant en situation de conflit d’intérêts. 15. Il est à noter que le principe du secret professionnel est généralement reconnu aux avocats – ainsi que l’a souligné M. le juge Dean Spielmann dans son article sur le secret professionnel et la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme. 6 – tant dans les systèmes de civil law que de Common law. 7 Il s’agit en effet d’un principe essentiel pour tout système juridique lié à la tradition de l’état du droit et de la démocratie car le fonctionnement efficace et équitable d’un système judiciaire est lié aux instruments mis à disposition des avocats afin de leur permettre de gérer les questions judiciaires non seulement dans l’intérêt de la partie privée mais également du système juridique lui-même. Au Canada, les instruments de lutte contre le blanchiment sont restés aux mains du barreau qui exclut les affaires purement financières de la sphère d’activité de l’avocat.8 2 Huitième Congrès, La Havane, du 27 août au 7 septembre 1990 3 Directive 91/308/CEE du Conseil, du 10 juin 1991, relative à la prévention de l'utilisation du système financier aux fins du blanchiment de capitaux. 4 Directive 2001/97/CE du Parlement européen et du Conseil, du 4 décembre 2001, modifiant la directive 91/308/CEE du Conseil relative à la prévention de l'utilisation du système financier aux fins du blanchiment de capitaux. 5 Directive 2005/60/CE du Parlement européen et du Conseil, du 26 octobre 2005, relative à la prévention de l’utilisation du système financier aux fins du blanchiment de capitaux et du financement du terrorisme. 6 D. SPIELMANN, Le secret professionnel de l’avocat dans la jurisprudence de la cour européenne des droits de l’homme, Ann. Dr. Lux. – 2010, pp 529 et s. ; B. Favreau, «La prévention du blanchiment et l’atteinte aux droits fondamentaux», in B. Favreau (dir.), L’avocat dans le droit européen, Bruxelles, Bruylant, 2008, pp. 126 et s. ; 7 P. Lambert, Le Secret professionnel, Bruxelles, 2005 ; E. Janssens, J. Meerts, Le secret professionnel de l’avocat dans le contexte européen, Bruxelles, 2003 ; R. Pattenden, The laws of Profesional-client confidentiality, Oxford, 2003 ; D. Le Grand de Belleroche, L’avocat français et le sollicitor anglais : le secret professionnel dans une dimension européenne, in les petites affiches, 394e (2005), n°60, pag 3-8. ; M. Van de Kerchove, Fondements axiologiques du secret professionnel et de ses limites, in Le secret professionnel, Bruxelles, 2002, P. 9 et suivantes ; S. Ciani, Ancora qualche puntualizzazione sulle garanzie di libertà del difensore, Cassazione penale, 1998, vol. 3, pag. 840. 8 [1990]3 R.C.S. 1235, Succession MacDonald c. Martin ; voir exposé du 30 octobre 2009 de M. le Bâtonnier FRANCIS GERVAIS au 53e Congrès de l’Union Internationale des Avocats à Séville ; Isabelle von Fliedner , Le secret professionnel de l’avocat et le blanchiment: notes de droit comparé, dans Anwalts revue de l’avocat, n°1/2010, pag. 49 et suivantes 3
  • 4. Aux Etats-Unis, « la Stratégie 2007 » contre le blanchiment des capitaux 9 dispense les avocats Américains d’effectuer des déclarations de soupçons de blanchiment de capitaux aux administrations de l’Etat.10 Dans les pays asiatiques, la déclaration de soupçons n’est pas obligatoire et il appartient à l’avocat d’évaluer si celle-ci doit être effectuée11 En Suisse, les avocats et les notaires ne sont pas soumis à l’obligation de communiquer leurs soupçons dans la mesure où ils sont astreints au secret professionnel. 12 En Pologne, la Cour Constitutionnelle par son arrêt du 2 juillet 2007 (72/7/A/2007) a souligné que « the Polish Constitution also grants respect to professional secrecy to the person wanting to become client of a lawyer »13 L’Australie n’a pas adopté de dispositif analogue à celui applicable aux avocats en Europe.14. Il s’en suit qu’au niveau international, on considère que dans le but de protéger les principes de la démocratie et l’Etat de droit, on ne peut pas concevoir un système dans lequel l’avocat n’est pas indépendant et serait obligé de communiquer des informations sur les citoyens même si celles-ci ont été recueillies sous le sceaux de la confidentialité.15 DISPOSITIF LEGAL EUROPEEN APPLICABLE A LA PROFESSION D’AVOCAT 16. La directive 2005/60/CE abrogeant et remplaçant la directive 2001/97/CE, dite 3ème directive blanchiment, définit les activités de blanchiment de capitaux dans son article 1er qui peut être ainsi résumé « la conversion ou le transfert de biens, dont celui qui s’y livre sait qu’ils proviennent d’une activité criminelle ou d’une participation à une telle activité, dans le but de dissimuler ou de déguiser l’origine illicite desdits biens ou d’aider toute personne qui est impliquée dans cette activité à échapper aux conséquences juridiques de ses actes. » La même directive énumère en son article 2 les personnes auxquelles s’appliquent les dispositions qu’elle édicte, dont notamment les avocats. Cependant, il sera démontré, ci-après, que l’impérieuse nécessité de l’indépendance de l’avocat s’impose également pour les activités non-judiciaires, sous peine d’exclure les citoyens d’un accès effectif au droit par une atteinte illégitime au secret professionnel. 17. La partie intervenante entend souligner que les clauses obscures et vagues restrictives du principe de confidentialité sont contraires aux standards européens (et internationaux) de protection de la vie privée. En effet si les avocats sont dispensés de « déclaration de soupçons » dès lors qu’ils exercent une activité de consultation juridique, ni les directives, ni les instruments de transposition ne fournissent de définition de l’activité de « consultation juridique ». En exposant les avocats à un pareil aléa sous peine d’encourir des sanctions disciplinaires graves pouvant aller jusqu’à la radiation, il est porté gravement atteinte à l’indépendance de la profession. 9 http://www.treasury.gov/resource-center/terrorist-illicit-finance/Documents/nmls.pdf 10 E.J. KRAULAND ET T.H. CRIBBES, The attorney-client privilege in the United States. An age-old principle under modern pressures, in Le secret professionnel de l’avocat dans un contexte européen, op. cit., p. 93. Marcia Coyle, Cough Up the Info: Feds Want More Corporate Data, NAT. L.J., Jan.12, 2010 : “The ABA has long opposed such reporting “because it would create inherent conflicts between lawyers and clients.” Id. Lawyers would be in the awkward position of being retained by clients to advise about and facilitate the formation of corporations and at the same time be legally forced to reveal information (possibly confidential) to governmental authorities that would subvert their client’s intentions. In addition, lawyers might find themselves in a similar awkward situation with their clients under the Financial Action Task Force (FATF), a global intergovernmental effort aimed at preventing money laundering and the financing of terrorism”; American Association of Law Schools (AALS) Section on Professional Responsibility Program, The Transformative Effect of International Initiatives on Lawyer Practice and Regulation: A Case Study Focusing on FATF and its 2008 Lawyer Guidance, AALS ANNUAL MEETING PROGRAM, TRANSFORMATIVE LAW 46 (Jan. 8, 2010); Examining, in part, recent FATF actions and its transformative effect on lawyer practice and regulation as FATF “will affect a broad swath of U.S. Lawyers who help their clients buy or sell real estate [or] create, buy, sell or manage corporations”. 11 http://www.fjt2.net/gate/gb/www.hklawsoc.org.hk/pub_c/professionalguide/volume2/default.asp?cap=24.17#4;http://www.aseanlawassociation.org/Fra ncis_Lim.pdf 12 La Suisse a adopté la solution consistant à scinder en deux les activités des avocats. Ceux qui exercent exclusivement dans le domaine du contentieux ainsi que dans les autres activités typiques de la profession sont soumis au secret professionnel, dont la violation est sanctionnée par l’art. 321CPS. Les activités commerciales par lesquelles les avocats interviennent et qui comportent l’acceptation, la gestion, le dépôt de sommes d’argent, la gestion de sociétés et de comptes bancaires pour le compte de tiers (clients ou contreparties de clients), tombent sous l’égide de l’intermédiation financière et sont soumises à la surveillance instituée par l’art. 3 lit. g de la Loi sur le blanchiment d’argent (LBA). 13 Voir § 8.6 arrêt du 2 juillet 2007 (72/7/A/2007) la Cour Constitutionnelle polonaise. 14 http://www.lawcouncil.asn.au/shadomx/apps/fms/fmsdownload.cfm?file_uuid=8FCE74BF-1E4F-17FA-D2A2-C549BD6656B4&siteName=lca; “If a legal practitioner suspects or has reasonable grounds to suspect that funds are the proceeds of a criminal activity, or are related to terrorist financing, he or she should report promptly to AUSTRAC. However according to recommendation 16, legal practitioners are not required to report suspicious transactions if the relevant information was obtained in circumstances where they are subject to professional secrecy or legal professional privilege. Note this is a different threshold than merely being information confidential to the client. The FATF recommendations note that each country determines what matters fall under legal professional privilege or professional secrecy and that these concepts would normally cover information obtained in the course of ascertaining the legal position of the client or in the task of representing the client in judicial, administrative, arbitration or mediation proceedings. The RBA Guidance for Lawyers also notes the protection of the lawyer-client relationship in the context of suspicious transaction reporting.” 15 Voir www.ccbe.eu/fileadmin/user_upload/NTCdocument/signed_statement_0301_1183723072.pdf; J. Temple Lang, The AM & S judgement, in Aa.Vv, A True European, Essays for Judge David Edward, Oxford, 2003, p. 160; arrêt rendu dans l’affaire « The law societies of British Columbia & Canadian Bar Association vs Attorney general of Canada, BCSC 1593, Docket N° L013116 du 20 novembre 2001; Arrêt rendu dan l’affaire Upjohn Co vs US, 449 US 389, 391 51981) ; E.J. KRAULAND ET T.H. CRIBBES, The attorney-client privilege in the United States. An age-old principle under modern pressures, in Le secret professionnel de l’avocat dans un contexte européen, op. cit., p. 93. 4
  • 5. 1°) L’INCLUSION DES AVOCATS DANS LE DISPOSITIF INSTAURE PAR LA DIRECTIVE (DEUXIEME : 2001/97/CE DU 4 DECEMBRE 2001) LA DIRECTIVE SUBSEQUENTE (2005/60/CE DU 26 OCTOBRE 2005) EST CONTRAIRE A LA JURISPRUDENCE DES COURS EUROPEENNES RELATIVE AU SECRET PROFESSIONNEL ET A L’INDEPENDANCE DE L’AVOCAT. 18. Dans ce contexte, une analyse de la jurisprudence tant de la CEDH que de la CJUE permet de constater qu’est reconnu le caractère fondamental du secret professionnel de l’avocat, lequel est la condition sine qua non de l’indépendance pleine et entière de ce dernier. A. Jurisprudence de la CEDH a) Affaire NIEMIETZ / Allemagne, du 16 décembre 199216 19. La Cour a conclu, à l’unanimité, à la violation du droit au respect du domicile et de la correspondance lors d’une perquisition effectuée dans le cabinet de l’avocat requérant (art.8). L’affaire NIEMIETZ c. Allemagne, a été confirmée par plusieurs arrêts : - Affaire MIAILHE / France, du 25 février 1993 La Cour établit la violation de l’article 8 en précisant notamment que : « 36. Selon la jurisprudence constante de la Cour, les États contractants jouissent d’une certaine marge d’appréciation pour juger de la nécessité d’une ingérence, mais elle va de pair avec un contrôle européen. Les exceptions que ménage le paragraphe 2 de l’article 8 (art. 8-2) appellent une interprétation étroite (arrêt Klass et autres c. Allemagne du 6 septembre 1978, série A no 28, p. 21, par. 42) et leur nécessité dans un cas donné doit se trouver établie de manière convaincante. » « 37. Assurément, dans le domaine considéré - la lutte contre l’évasion des capitaux et contre la fuite devant l’impôt - les États rencontrent de sérieuses difficultés résultant de l’ampleur et de la complexité des réseaux bancaires et des circuits financiers ainsi que des multiples possibilités de placements internationaux, facilitées par la relative perméabilité des frontières. La Cour reconnaît donc qu’ils peuvent estimer nécessaire de recourir à certaines mesures, telles les visites domiciliaires et les saisies, pour établir la preuve matérielle de délits de change et en poursuivre le cas échéant les auteurs. Encore faut-il que leur législation et leur pratique en la matière offrent des garanties adéquates et suffisantes contre les abus (voir notamment, mutatis mutandis, l’arrêt Klass et autres précité, série A no 28, p. 23, par. 50). » - Affaire FUNKE / France, du 25 février 1993 Selon la Cour, faute de procès équitable, il y avait violation de l’article 6 §1 et violation de l’article 8 de la Convention. La Cour a estimé notamment que des perquisitions et des saisies chez un avocat portent incontestablement atteinte au secret professionnel qui est la base de la relation de confiance qui existe entre l’avocat et son client. A cet égard, la protection du secret professionnel est notamment le corollaire du droit qu’a le client d’un avocat de ne pas contribuer à sa propre incrimination, ce qui présuppose que les autorités cherchent à fonder leur argumentation sans recourir à des éléments de preuve obtenus par la contrainte ou les pressions, au mépris de la volonté de l’« accusé »17. Les principes posés dans cet arrêt font l’objet d’une jurisprudence constante de la Cour18. b) Affaire CIIADIMOVA / République tchèque, du 18 avril 2006 20. Cet arrêt est l’occasion pour la Cour de rappeler la Recommandation 2000/21 19 du Conseil de l’Europe et l’application de l’article 8 aux rapports entre client et avocat. « […] 1. La Cour considère que les faits dénoncés par la requérante sont sans aucun doute constitutifs d’une ingérence dans les droits garantis par l’article 8 §1 de la Convention, les communications téléphoniques se trouvant comprises dans les notions de « vie privée » et de « correspondance » au sens de cette disposition20.[…] » « 2. La Cour réitère que, si l’article 8 de la Convention a essentiellement pour objet de prémunir l’individu contre les ingérences arbitraires des pouvoirs publics, il ne se contente pas de commander à l’Etat de s’abstenir de pareilles ingérences : à cet engagement négatif peuvent s’ajouter des obligations positives inhérentes au respect effectif de la vie privée ou familiale. Le même principe s’applique aux relations entre les avocats et leurs clients comme le Comité des ministres a mentionné dans sa Recommandation (REC 2000/21) du 20 octobre 2000 (paragraphe 100 ci-dessus). La Cour considère donc que le Gouvernement avait une obligation positive d’assurer la destruction des cassettes audio visées par la Cour constitutionnelle dans son arrêt du 30 novembre 1995. » « 3. La Cour n’est pas convaincue, sur la base des informations obtenues par les parties et, notamment, de celles présentées par le Gouvernement, que les autorités nationales ont déployé des efforts suffisants afin de démontrer que toutes les cassettes audio contenant les enregistrements des conversations téléphoniques de la requérante avec son avocat avaient effectivement été détruites. La Cour rappelle à cet égard que la Convention vise à protéger des « droits concrets et effectifs » et non « théoriques ou illusoires » (voir, parmi d’autres, Papamichalopoulos et autres c. Grèce, arrêt du 24 juin 1993, série A no 260-B, § 42). A la lumière de cette considération, il importe peu que la requérante n’ait pas démontré que les 16 Niemietz / Allemagne, arrêt du 16 décembre 1992, série A n° 251-B, p. 34, § 30, et Roemen et Schmit /. Luxembourg, n° 51772/99, § 64, CEDH 2003-IV. 17 Note de la Cour : (J.B. / Suisse, arrêt du 3 mai 2001, Recueil des arrêts et décisions 2001-III, § 64 ; voir également, parmi d’autres, Funke / France, arrêt du 25 février 1993, série A no 256-A, § 44). 18 Affaire CREMIEUX / France, du 25 février 1993 ; Affaire LANZ / Autriche, du 31 janvier 2002. 19 Recommandation du Comité des Ministres aux Etats membres sur la liberté d’exercice de la profession d’avocat, du 25 octobre 2000 ; 20 Note de la Cour : (Malone c. Royaume-Uni du 2 août 1984, série A no 82, p. 30, § 64 ; Kruslin c. France et Huvig c. France du 24 avril 1990, série A no 176-A et 176-B, p. 20, § 26, et p. 52, § 25 ; Halford c. Royaume-Uni du 25 juin 1997, Recueil des arrêts et décisions 1997-III, pp. 1016-1017, § 48 ; Kopp c. Suisse du 25 mars 1998, Recueil 1998-II, p. 540, § 53 ; Lambert c. France du 24 août 1998, Recueil 1998-V, pp. 2238-2239, § 21 ; Prado Bugallo v. Espagne, arrêt du 18 février 2003) 5
  • 6. enregistrements auraient été utilisés à son détriment et qu’elle aurait subi un dommage à cet égard. Partant, il y a eu violation de l’article 8 de la Convention. » c) Affaire KOPP / Suisse, du 25 mars 1998 21. Dans cette affaire la Cour fait explicitement référence au fait que il n’est pas aisé de déterminer « à quelles conditions et par qui doit s’opérer le tri entre ce qui relève spécifiquement du mandat d’avocat et ce qui a trait à une activité qui n’est pas celle de conseil ». Notons ici qu’a contrario, ce qui relève du mandat d’avocat, en ce compris notamment sa mission de conseil, doit nécessairement être protégé conformément à la CEDH et plus particulièrement à son article 8. « 4. Cependant, la Cour décèle une contradiction entre un texte législatif clair, protecteur du secret professionnel de l’avocat lorsque celui-ci est surveillé en tant que tiers, et la pratique suivie en l’espèce. Même si la jurisprudence consacre le principe, d’ailleurs généralement admis, que le secret professionnel de l’avocat ne couvre que la relation avocat-clients, la loi n’explicite pas comment, à quelles conditions et par qui doit s’opérer le tri entre ce qui relève spécifiquement du mandat d’avocat et ce qui a trait à une activité qui n’est pas celle de conseil. « 5. Surtout, en pratique, il est pour le moins étonnant de confier cette tâche à un fonctionnaire du service juridique des PTT, appartenant à l’administration, sans contrôle par un magistrat indépendant. Cela d’autant plus que l’on se situe dans le domaine délicat de la confidentialité des relations entre un avocat et ses clients, lesquelles touchent directement les droits de la défense. » « 6. En résumé, le droit suisse, écrit et non écrit, n’indique pas avec assez de clarté l’étendue et les modalités d’exercice du pouvoir d’appréciation des autorités dans le domaine considéré. M. Kopp, en sa qualité d’avocat, n’a donc pas joui du degré minimal de protection voulu par la prééminence du droit dans une société démocratique. Il y a donc eu violation de l’article 8. » d) Affaires Ravon et autres / France du 21 février 2008, André et autre / France du 24 juillet 2008 et Kandler et autres / France du 18 septembre 2008 22. Ces affaires ont trait à des visites domiciliaires et à des saisies menées entre 2000 et 2003, à la demande de l’administration fiscale, aux domiciles professionnels et/ou privés des requérants. La Cour européenne a jugé que les requérants n’avaient pas eu accès à un tribunal pour obtenir une décision sur leurs contestations à l’encontre de ces visites et saisies (violations de l’article 6§1). La Cour européenne a relevé que la seule voie de recours dont ils disposaient d’après l’article L. 16 B du livre des procédures fiscales (L) était le recours en cassation - recours en droit uniquement. Par ailleurs, l’accès des personnes concernées à ce juge paraît plus théorique qu’effectif. Enfin, les intéressés n’ont plus la faculté de saisir le juge qui a autorisé les opérations après l’achèvement de celles-ci : les allégations d’irrégularité entachant ces opérations relèvent du contentieux dont peuvent être saisies les juridictions appelées à statuer sur les poursuites éventuellement engagées sur le fondement des documents appréhendés. L’accès à ces dernières juridictions suppose en tout état de cause que des poursuites soient par la suite engagées contre les intéressés, ce qui ne fut pas le cas dans les présentes affaires. 23. Dans l’affaire André, la Cour européenne a également jugé que la visite et les saisies en question, bien que « prévues par la loi » et poursuivant un « but légitime », étaient disproportionnées par rapport au but visé (violation de l’article 8). La visite domiciliaire s’est accompagnée d’une garantie spéciale puisqu’elle a été exécutée en présence du bâtonnier de l’Ordre des avocats dont relevaient les requérants. En revanche, le juge qui avait autorisé la visite domiciliaire était absent, et la présence du bâtonnier et ses contestations n’ont pas été de nature à empêcher la consultation effective de tous les documents du cabinet, ainsi que leur saisie par les fonctionnaires des impôts, assistés d’un agent de police judiciaire. En outre, les fonctionnaires et officier de police judiciaire se sont vus reconnaître des pouvoirs étendus en raison des termes larges dans lesquels était rédigée l’autorisation de la visite domiciliaire. Enfin et surtout, la Cour a constaté que la visite domiciliaire litigieuse avait pour but la découverte chez les requérants, en leur seule qualité d’avocats d’une société soupçonnée de fraude, de documents susceptibles d’établir la fraude présumée de celle-ci et de les utiliser à charge contre elle. A aucun moment, les requérants n’ont été accusés ou soupçonnés d’avoir commis une infraction ou participé à une fraude commise par leur cliente. La Cour énonce qu’une visite domiciliaire fondée sur un soupçon d’infraction est contraire à l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme et la déclaration d’un soupçon n’est pas en elle-même « une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui ». e) Affaire André et autres / France, 24. Dans l’arrêt André et autres / France, la Cour précise : « 7. La Cour rappelle en premier lieu que le terme de « domicile » figurant à l’article 8 peut englober, par exemple, le bureau d’un membre d’une profession libérale, notamment d’un avocat (Niemietz c. Allemagne, arrêt du 16 décembre 1992, série A no 251-B, p. 34, § 30, et Roemen et Schmit c. Luxembourg, no 51772/99, § 64, CEDH 2003-IV). 8. Dès lors, elle considère que la visite opérée au cabinet des requérants et les saisies effectuées s’analysent en une ingérence dans l’exercice de leurs droits découlant du paragraphe 1 de l’article 8 de la Convention. 9. Elle estime que pareille ingérence était « prévue par la loi ». En effet, l’article L. 16 B du livre des procédures fiscales définit les modalités à respecter en cas de visite domiciliaire, et l’application conjuguée des dispositions des articles 56 et 56-1 du code de procédure pénale vise expressément le respect du secret professionnel et du domicile professionnel ou privé d’un avocat. Les requérants ne se plaignent d’ailleurs pas d’un défaut de base légale, mais de l’absence de proportionnalité et de nécessité des mesures litigieuses dans les circonstances de l’espèce. 6
  • 7. 10. Elle juge par ailleurs que l’ingérence poursuivait un « but légitime », à savoir celui de la défense de l’ordre public et de la prévention des infractions pénales. 11. Quant à la question de la « nécessité » de cette ingérence, la Cour rappelle que « les exceptions que ménage le paragraphe 2 de l’article 8 appellent une interprétation étroite et [que] leur nécessité dans un cas donné doit se trouver établie de manière convaincante » (Crémieux c. France, arrêt du 25 février 1993, série A no 256-B, p. 62, § 38, et Roemen et Schmit, précité, § 68). 12. La Cour estime que des perquisitions et des saisies chez un avocat portent incontestablement atteinte au secret professionnel, qui est la base de la relation de confiance qui existe entre l’avocat et son client. D’ailleurs, la protection du secret professionnel est notamment le corollaire du droit qu’a le client d’un avocat de ne pas contribuer à sa propre incrimination, ce qui présuppose que les autorités cherchent à fonder leur argumentation sans recourir à des éléments de preuve obtenus par la contrainte ou les pressions, au mépris de la volonté de l’« accusé » (J.B. c. Suisse, arrêt du 3 mai 2001, Recueil des arrêts et décisions 2001-III, § 64 ; voir également, parmi d’autres, Funke c. France, arrêt du 25 février 1993, série A no 256-A, § 44). 13. Partant, si le droit interne peut prévoir la possibilité de perquisitions ou de visites domiciliaires dans le cabinet d’un avocat, celles-ci doivent impérativement être assorties de garanties particulières. De même, la Convention n’interdit pas d’imposer aux avocats un certain nombre d’obligations susceptibles de concerner les relations avec leurs clients. Il en va ainsi notamment en cas de constat de l’existence d’indices plausibles de participation d’un avocat à une infraction (paragraphe 15 ci-dessus), ou encore dans le cadre de la lutte contre certaines pratiques (paragraphes 17-18 ci-dessus). Reste qu’il est alors impératif d’encadrer strictement de telles mesures, les avocats occupant une situation centrale dans l’administration de la justice et leur qualité d’intermédiaires entre les justiciables et les tribunaux permettant de les qualifier d’auxiliaires de justice. » f) Affaire Da Silveira / France, du 21 janvier 2010 25. Dans une requête dirigée contre la France, Monsieur Da Silveira, ressortissant français, avocat au Barreau de Porto où il exerçait à titre principal et résident français, a été, dans le cadre d’une instruction contre X, perquisitionné et des saisies furent réalisées à son domicile personnel français, bien qu’il eut indiqué être inscrit dans un barreau de l’Union européenne. Le requérant critiquait la perquisition litigieuse et les actes subséquents. Il estimait avoir été privé du bénéfice tant du régime de protection particulier prévu à l’article 56-1 du code de procédure pénale, malgré sa qualité d’avocat inscrit à un barreau étranger, que d’un recours effectif devant une instance nationale pour contester la perquisition et les saisies. Cet arrêt est l’occasion pour la Cour de rappeler de nouveau le caractère fondamental du secret professionnel de l’avocat comme part intégrante du droit au respect de la vie privée, tout en lui conférant une « portée européenne », reconnaissant ainsi clairement que ce droit est attaché à la profession d’avocat. La Cour constate d’emblée que le Gouvernement ne conteste pas que la perquisition litigieuse entre bien dans le champ d’application de l’article 8 CEDH et qu’elle constitue une ingérence de l’Etat dans le droit au respect de la vie privée et du domicile du requérant. Elle observe par ailleurs que l’ingérence avait une base légale et qu’elle poursuivait un but légitime, à savoir la prévention des infractions pénales. Quant à la question de la « nécessité » de cette ingérence, la Cour rappelle que « les exceptions que ménage le paragraphe 2 de l’article 8 appellent une interprétation étroite et [que] leur nécessité dans un cas donné doit se trouver établie de manière convaincante » S’interrogeant sur le point de savoir si la perquisition litigieuse est intervenue au domicile du requérant en sa qualité d’avocat ou de simple particulier, la Cour rappelle que des perquisitions et des saisies chez un avocat sont susceptibles de porter atteinte au secret professionnel, qui est la base de la relation de confiance qui existe entre son client et lui. Partant, si le droit interne peut prévoir la possibilité de perquisitions ou de visites domiciliaires dans le cabinet d’un avocat, celles-ci doivent impérativement être assorties de « garanties spéciales de procédure ». La Cour souligne que la Convention n’interdit pas d’imposer aux avocats un certain nombre d’obligations susceptibles de concerner les relations avec leurs clients. Il en va ainsi notamment en cas de constat de l’existence d’indices plausibles de participation d’un avocat à une infraction, ou encore dans le cadre de la lutte contre certaines pratiques, mais il est alors impératif d’encadrer strictement de telles mesures, les avocats occupant une situation centrale dans l’administration de la justice et leur qualité d’intermédiaires entre les justiciables et les tribunaux permettant de les qualifier d’auxiliaires de justice. La Cour relève que le requérant, alors qu’il remplissait les conditions prévues par le droit interne pour exercer librement la profession d’avocat en France à titre occasionnel et faire usage de son titre, n’a pas été mis en mesure de bénéficier des dispositions de l’article 56-1 du code de procédure pénale auxquelles il pouvait pourtant prétendre (cette disposition ne distingue pas les avocats selon qu’ils exercent leur activité à titre principal ou occasionnel). La Cour ajoute qu’une telle distinction ne se justifie pas davantage au regard de l’article 8 de la Convention : dès lors que les perquisitions ou les visites domiciliaires visent le domicile ou le cabinet d’un avocat exerçant régulièrement sa profession, à titre principal en qualité d’avocat inscrit à un barreau ou à titre occasionnel dans un autre Etat membre de l’Union européenne, elles doivent impérativement être assorties de « garanties spéciales de procédure » , ce qui est notamment le cas lorsqu’elles sont exécutées en présence du bâtonnier de l’Ordre des avocats. La Cour constate, outre le fait que le requérant n’a donc pas bénéficié d’une « garantie spéciale de procédure » dont doivent bénéficier les avocats, que la perquisition litigieuse concernait des faits totalement étrangers au requérant, ce dernier n’ayant à aucun moment été accusé ou soupçonné d’avoir commis une infraction ou participé à une fraude quelconque en lien avec l’instruction. La Cour conclut cet arrêt en estimant que l’ingérence litigieuse était, dans les circonstances de l’espèce, disproportionnée par rapport au but visé, et que l’intéressé n’a pas bénéficié d’un « contrôle efficace » tel que voulu par la prééminence du droit et apte à limiter l’ingérence à ce qui était « nécessaire dans une société démocratique ». 7
  • 8. Ce dernier point, tenant au contrôle de proportionnalité, doit faire l’objet d’une analyse dont on comprend aisément qu’elle ne contreviendra pas aux conclusions de la Cour EDH lorsqu’elle constate l’incompatibilité du non respect du secret professionnel de l’avocat avec les articles 6 et 8 CEDH. La future adhésion de l’Union à la Convention rend ainsi nécessaire une mise en conformité claire de la législation de l’Union européenne au regard de la jurisprudence de la Cour EDH. Rappelons de nouveau que la Charte prévoit expressément que si elle contient « des droits correspondant à des droits garantis par la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales, leur sens et leur portée sont les mêmes que ceux que leur confère ladite convention ». Ceci étant dit, rien n’empêche le droit de l’Union « d’accorder une protection plus étendue ». B Jurisprudence de la Cour de Justice de l’Union Européenne 1. Directive anti-blanchiment et méconnaissance du droit au respect du secret professionnel a) Affaire AM & S Europe Limited / Commission des Communautés européennes21 26. Au visa du principe d’indépendance de la profession d’avocat, la CJCE a consacré le principe de confidentialité des communications entre l’avocat et son client et, indirectement, le principe du respect du secret professionnel de l’avocat. Selon la CJCE comme il a été vu ci-avant : « Cette confidentialité répond en effet a l’exigence, dont l’importance est reconnue dans l’ensemble des Etats membres, que tout justiciable doit avoir la possibilité de s’adresser en toute liberté à son avocat, dont la profession même comporte la tâche de donner, de façon indépendante, des avis juridiques à tous ceux qui en ont besoin. » 27. A l’indépendance de l’avocat est donc lié le principe de confidentialité des échanges de ce dernier avec son client. 28. La CJCE a également relevé que : « Le règlement n° 17/6222 lui-même, notamment dans son onzième considérant et par les dispositions de l’article 19, prend soin de sauvegarder le plein exercice des droits de la défense, dont la protection de la confidentialité de la correspondance entre avocats et clients constitue un complément nécessaire. » « Cette protection doit [d’ailleurs] s’entendre, pour être efficace, comme couvrant de plein droit toute correspondance échangée après l’ouverture de la procédure administrative [et] doit pouvoir être étendue également à la correspondance antérieure, ayant un lien de connexité avec l’objet d’une telle procédure. » 29. Le professeur Goffin23, commentant cet arrêt, estime que : « Il ne saurait être déduit de l’arrêt (…) que les communications entre client et avocat ne seraient pas protégées en l’absence de procédure ». « Quiconque a le droit de s’adresser à un avocat dans tous les cas, avec la certitude que les propos et les écrits échangés sont confidentiels. » 30. Les conclusions de l’avocat général24 dans cette affaire vont en ce sens puisqu’il précise que le principe de confidentialité : «couvre les communications entre l’avocat et le client en vue d’obtenir ou de donner un avis juridique quel que soit l’endroit où elles se trouvent et peu importe que la procédure judiciaire ait commencé ou non. Elle couvre aussi le contenu de cet avis (donné oralement ou par écrit), quelle que soit la forme dans laquelle il a été reproduit : que ce soit dans une lettre, un résumé ou dans un procès verbal ». b) Affaire Wouters25 31. Les conclusions de l’avocat général26, dans cette affaire, ayant trait à une hypothèse de collaboration intégrée entre avocats et experts comptables, mettent en avant le fait que cette collaboration entraînerait un risque de violation du secret professionnel : « d’autant plus grand que, dans certaines circonstances, l’expert-comptable a l’obligation légale de communiquer aux autorités compétentes des informations relatives à l’activité de ses clients. » 32. L’avocat général relève que : « Le secret professionnel est la base de la relation de confiance qui existe entre l’avocat et son client. Il impose à l’avocat de ne divulguer aucune information qui lui a été communiquée par son client, et s’étend ratione temporis à la période postérieure à la fin de son mandat et ratione personae à l’ensemble des tiers. Le secret professionnel constitue également une «garantie essentielle de la liberté de l’individu et du bon fonctionnement de la justice », de sorte qu’il relève de l’ordre public dans la plupart des Etats membres. » 21 Arrêt de la Cour, du 18 mai 1982, Aff. 155/79. 22 Premier règlement d’application des articles 85 et 86 du traité (actuellement articles 101 et 102 TFUE) [Journal officiel n° 13 du 21 février 1962. 23 Léon GOFFIN, « De la confidentialité des communications entre 1’avocat et son client », Cahiers de Droit Européen, 1982, p. 391 et s. 24 Conclusions de l’avocat général Sir Gordon Slynn présentées le 26 janvier 1982, AM & S Europe Limited contre Commission des Communautés européennes, Aff. 155/79. 25 Arrêt de la Cour, du 19 février 2002, Aff. C-309/99. 26 Conclusions de l’avocat général Monsieur Philippe Léger présentées le 10 juillet 2001, Aff. C-309/99. 8
  • 9. 33. Aucune liberté prévue par les textes protecteurs de droits de l’Homme n’étant absolue, ceci implique un contrôle de proportionnalité, lequel démontre aisément le caractère non fondé de l’application du dispositif anti-blanchiment à la profession d’avocat, comme il sera vu ci-après. 2. Directive anti-blanchiment et méconnaissance des droits de la défense et du principe d’indépendance de l’avocat 34. La récente jurisprudence Akzo 27 confirme le caractère indissociable du principe d’indépendance de l’avocat et du secret professionnel de ce dernier. 35. Dans cette affaire, l’avocat général28 affirme que : « le principe de confidentialité des communications a pour objet de protéger les échanges entre un client et son avocat indépendant. Il constitue, d’une part, un complément nécessaire au respect des droits de la défense reconnus au client et procède, d’autre part, du rôle de l’avocat, considéré comme « collaborateur de la justice », qui est appelé à fournir, en toute indépendance et dans l’intérêt supérieur de celle-ci, l’assistance légale dont le client a besoin. » 36. La CJUE, suivant les conclusions de l’avocat général, précise que : « dans l’arrêt AM & S Europe / Commission, la Cour, compte tenu des critères communs et des conditions similaires existant à l’époque dans les droits internes des États membres, a jugé, au point 21 de cet arrêt, que la confidentialité des communications entre avocats et clients devait faire l’objet d’une protection au niveau de la Communauté européenne. La CJUE y a toutefois précisé que le bénéfice de cette protection était subordonné à deux conditions cumulatives. » Ces conditions concernent, d’une part, le fait que l’échange avec l’avocat doit être lié à l’exerc ice du « droit de la défense du client » et, d’autre part, le fait qu’il doit s’agir d’un échange émanant « d’avocats indépendants ». 37. Dès lors, pour que les échanges entre un avocat et son client soient couverts par la confidentialité, l’avocat doit exercer son activité de manière indépendante. Le raisonnement de la CJUE consiste donc à considérer que c’est l’indépendance de l’avocat qui justifie la confidentialité considérée comme nécessaire à la mise en œuvre de ce principe protégé au niveau de l’Union. 38. La CJUE rappelle que : « L’exigence relative à la position et à la qualité d’avocat indépendant, que doit revêtir le conseil dont émane la communication susceptible d’être protégée, procède d’une conception du rôle de l’avocat, considéré comme collaborateur de la justice et appelé à fournir, en toute indépendance et dans l’intérêt supérieur de celle-ci, l’assistance légale dont le client a besoin. Cette protection a pour contrepartie la discipline professionnelle, imposée et contrôlée dans l’intérêt général. » La CJUE a indiqué également « (…) qu’une telle conception répond aux traditions juridiques communes aux Etats membres et se retrouve également dans l’ordre juridique de l’Union, ainsi qu’il résulte des dispositions de l’article 19 du statut de la Cour de justice. » La manière dont la Cour de justice de l’Union européenne appréhende l’indépendance de la profession d’avocat, en insistant notamment sur une justification portant sur la discipline professionnelle qui lui est inhérente, rend d’autant plus difficile la démonstration de l’utilité d’une norme imposant à ces « collaborateurs de la justice » une obligation de déclaration de soupçons. 2°) COMPETENCE DE LA COUR POUR RESTREINDRE L’APPLICATION DES NORMES DERIVEES DU DROIT DE L’UNION EN SANCTIONNANT LES ETATS MEMBRES EGALEMENT PARTIES A LA CONVENTION EDH 39. Dans les affaires Bosphorus (Bosphorus Hava Yolları Turizm ve Ticaret Anonim Şirketi dite « Bosphorus Airways » c. Irlande ([GC], no 45036/98, CEDH 2005-VI), Behrami et Behrami c. France ((déc.) [GC], no 71412/01, 31 mai 2007), et Saramati c. Allemagne, France et Norvège ((déc.) [GC], no 78166/01, 31 mai 2007), la Cour a rappelé que, si la Convention n'interdit pas aux Etats de transférer des pouvoirs souverains à une organisation internationale à des fins de coopération dans certains domaines d'activité, les Etats demeurent responsables au titre de l'article 1 de la Convention de tous les actes et omissions de leurs organes, même si ceux-ci découlent de la nécessité d'observer des obligations juridiques internationales ; en effet, l'article 1 ne fait aucune distinction quant au type de normes ou de mesures en cause et ne soustrait aucune partie de la « juridiction » des Parties contractantes à l'empire de la Convention. Cependant, la Cour a ensuite précisé que, lorsque l'acte d'un Etat se justifiait par le respect des obligations découlant pour celui-ci de son appartenance à une organisation internationale et que l'organisation en question accordait aux droits fondamentaux une protection à tout le moins équivalente à celle assurée par la Convention, il y avait lieu de présumer que les exigences de la Convention étaient respectées par l'Etat. Pareille présomption pourrait toutefois être renversée dans le cadre d'une affaire donnée si l'on estimait que la protection des droits garantis par la Convention était entachée d'une insuffisance manifeste. Dans un tel cas, le rôle de la Convention en tant qu'« instrument constitutionnel de l'ordre public européen » dans le domaine des droits de l'homme l'emporterait sur l'intérêt de la coopération internationale (Bosphorus, précité, §§ 155-156, et, Behrami et Behrami c. France, et Saramati c. Allemagne, France et Norvège, § 145). 27 Arrêt de la CJUE, du 14 septembre 2010, Akzo Nobel Chemicals Ltd et Akcros Chemicals Ltd / Commission européenne e.a., C-550/07 P. 28 Conclusions de l’avocat général Madame Juliane Kokott, présentées le 29 avril 2010. 9
  • 10. 40. « Dans l’arrêt M.S.S contre Belgique et Grèce, la Cour EDH a réaffirmé sa jurisprudence antérieure sur la question de la responsabilité des Etats Parties à la Convention et membres de l’Union européenne. En effet, selon la Cour EDH, l’adhésion des Etats à l’Union européenne ne les exempte pas de leurs obligations qui découlent de la Convention. Néanmoins, « l’action de l’Etat sera considérée comme justifiée dès lors que l’organisation offre une protection des droits fondamentaux équivalente à celle garantie par la Convention». Cette présomption de protection équivalente de l’Union peut toutefois être renversée lorsque le droit de l’Union laisse une marge d’appréciation aux Etats en vue de sa mise en œuvre. 41. En l’espèce, en appliquant les dispositions du Règlement « Dublin II », la Belgique a, selon la Cour EDH, porté atteinte aux droits fondamentaux protégés par la Convention. A travers cet arrêt, la Cour EDH exige que l’Etat partie à la Convention et membre de l’Union européenne utilise sa marge d’appréciation fondée sur une clause de souveraineté pour déroger à un règlement de l’Union et respecter ainsi les droits fondamentaux protégés par la Convention. Dès lors qu’il bénéficiait d’une marge d’appréciation dans l’application du droit de l’Union, l’Etat membre en question pouvait satisfaire à ses obligations d’Etat partie à la Convention. En se fondant sur une « clause de souveraineté » lui permettant de déroger au droit de l’Union, l’Etat aurait récupéré sa liberté d’action et, comme tout autre Etat non membre de l’Union européenne, aurait pu respecter et faire respecter les droits fondamentaux. Les droits fondamentaux constituent désormais le cœur des ordres juridiques au point que la primauté de ces derniers semble dépendre du degré de respect des droits de l’homme qu’ils assurent. »29 42. En l’espèce (Affaire MICHAUD), comme il ressort du texte communiqué au gouvernement même, les textes européens laissent à l’Etat une marge d’appréciation tel que l’Etat peut faire en sorte de respecter les principes dictés par la Cour EDH. Par conséquent, comme pour les affaires Matthews et M.S.S contre Belgique et Grèce, l’on peut soutenir que le principe de présomption de protection équivalente tel qu’indiqué dans l’affaire Bosphorus est renversé en vertu de l’ample marge d’appréciation laissé à l’Etat défendeur.30 Il y a donc violation de l’article 8 de la Convention en l’espèce. 43. L’affaire Matthews confirme par ailleurs, qu’à défaut de pouvoir contrôler les actes normatifs de l’Union européenne, la Cour EDH peut conduire à restreindre l’application de ces normes en sanctionnant les Etats parties à la Convention EDH qui sont aussi Etats membres de l’Union européenne. En effet, « les domaines de compétences transférées par les Etats membres à une organisation internationale continuent de relever de leur responsabilité rationae materiae ». Dans cette affaire, la Cour EDH avait reconnu que l’acte relatif à l’élection du Parlement européen au suffrage universel direct était incompatible avec l’article 3 du protocole n°1 à la Convention. L’acte en cause faisait partie du droit primaire de l’Union. Le Royaume-Uni était donc pris entre ses obligations communautaires et ses obligations découlant de son adhésion à la Convention EDH. Refuser d’exécuter l’arrêt de la Cour EDH pour privilégier l’application du droit communautaire revenait à s’exposer à des sanctions supplémentaires de la Cour EDH. De la même manière, tirer les conséquences de l’arrêt de la Cour EDH revenait à s’exposer à une procédure de recours en manquement devant la CJCE. Le Royaume-Uni décide de modifier sa législation pour être en conformité avec le droit de la Convention. Dès lors, l’Etat espagnol, en tant que requérant privilégié, intenta à son encontre un une procédure en manquement. La CJCE refusa de condamner le Royaume-Uni en raison de l’arrêt rendu par la Cour EDH. L’avocat général Tizzano, constatant que les droits fondamentaux font partie intégrante des principes généraux du droit dont la Cour assure le respect, estime que « le respect des droits fondamentaux ainsi reconnus ‘s’imposent’ à titre primaire ‘tant à la Communauté qu’à ses Etats membres’ et que, par conséquent, cet ordre juridique n’admet pas les ‘mesures incompatibles avec le respect’ de ces droits ». Le Royaume-Uni, en se conformant à l’arrêt de la Cour EDH, a créée une législation portant atteinte à l’acte de droit primaire de la Communauté mais respectueuse des droits fondamentaux. Cette nouvelle législation nationale, porteuse d’une protection des droits fondamentaux, peut justifier une dérogation au droit de la Communauté. Dans la balance des intérêts de la Communauté, les droits fondamentaux, en tant que principes constitutifs de l’Union, priment sur les intérêts portés par l’Acte relatif à l’élection au Parlement européen au suffrage universel direct quand bien même ce traité relève du droit primaire. Ainsi, si les ordres juridiques européens octroient aux Etats la possibilité de tempérer l’application des règles découlant de leurs obligations, c’est uniquement parce que leur argument s’avère légitime dès lors qu’il suppose une protection des droits fondamentaux plus élevée. 44. Reste que, dans l’hypothèse d’un conflit entre ordres normatifs, les juges européens semblent vouloir imposer aux Etats l’obligation d’opter, lorsqu’ils en ont le pouvoir, en faveur de l’application de la norme la plus favorable à la protection des droits fondamentaux. »31 29 Nilsa ROJAS-HUTINEL, Actes du VIIe Congrès DE L’AFDC – ATELIER N°2 : DROIT CONSTITUTIONNEL ET DROIT EXTERNE 30 Fabienne Kauff-Gazin, L’arrêt Bosphorus de la Cour européenne des droits de l’homme : quand le juge de Strasbourg pallie le retard du constituant de l’Union européenne en matière de protection des droits fondamentaux, en Europe des Libertés. 31 Nilsa ROJAS-HUTINEL, précité. 10