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Conférence organisée par Alef-Ali Orléans le 22 novembre 2014 à la librairie « Passion
culture » à Orléans
Quelques leçons de la neurologie : accident vasculaire cérébral,
troubles de schéma corporel et narcissisme.
Par le Docteur Catherine Morin, neurologue, psychanalyste, ex-chargé de recherche Inserm, membre
de l’Association lacanienne internationale.
[J'ai commencé ma carrière à l'INSERM en 1977 dans le laboratoire de neurophysiologie
clinique rattaché au service de rééducation neurologique de La Salpêtrière]. J'avais gardé ma
consultation et j'ai fini par plutôt avoir envie d'entendre ce que les patients avaient à dire,
j'étais déjà chargée de recherche à l'Inserm et j'aime autant vous dire que si j'étais rentrée, si
j'avais voulu rentrer à l'Inserm sur ce programme, étudier le discours des patients cérébro-...,
même en les qualifiant, ces patients, de "cérébrolésés", ça n'aurait jamais marché, et comme
j'étais déjà chercheur et fonctionnaire j'ai pu rester à condition quand même, ce qui ne me
dérangeait pas, de présenter quelque chose de justifié c'est à dire ne pas se contenter
d'histoires de chasse, (« j'ai vu un malade extraordinaire qui m'a enseigné beaucoup de
choses » ou même simplement « extraordinaire qui va vous fasciner ») ou de mes impressions
mais, si j'avais une impression clinique, de la confirmer par des études ; Dans le livre c'est pas
trop, c'est pas là dessus que l'on insiste le plus mais tout ce que je vais vous présenter sur les
auto-portraits, c'est quand même une étude statistique, c'est à dire que je ne pars pas de l'idée
que j'ai déjà, j'essaye de faire quelque chose d'un peu neutre et de voir ce qui sort, voilà.
Alors ce service dans lequel j’ai travaillé il est, il reçoit, en gros il y a beaucoup de services de
rééducation qui sont un peu plus polyvalents qui reçoivent des malades neurologiques et puis
aussi des patients qui se sont cassés la figure, qui ont les deux jambes cassées, une fracture du
col et qui ne peuvent pas rentrer chez eux tout de suite. Nous on est très spécialisés dans les
choses neurologiques avec des troubles cognitifs importants, des patients, ça reste encore vrai
maintenant qui ont des difficultés à rentrer chez eux parce que c’est vraiment lourd, ce qui est
assez spécifique parce qu' il y a des patients qui restent là [--] longtemps --bien que, comment
dire, la tendance actuelle c'est de ne pas avoir des malades qui restent longtemps, il faut que
ça tourne--, la moitié en gros sont des patients qui ont des accidents vasculaires cérébraux et
l'autre moitié des gens qui ont des traumas crâniens. Je vous parlerai que des accidents
vasculaires cérébraux aujourd'hui parce que c'est avec ces patients- là que j'ai travaillé, c'est
une problématique qui est différente de celle des traumas crânien.
Les accidents vasculaires cérébraux, il y en a chez les enfants, il y en a chez les jeunes, il y en
a chez les gens d'âge moyen mais c'est quand même beaucoup une pathologie sinon du
troisième âge du moins de la fin de la vie active, c'est à dire, c'est quelque chose qui survient
chez des gens qui ont eu une vie, qui vont la voir bouleversée par cet accident, qui, en
principe, vont avoir des séquelles, mais ça ne va pas s'aggraver. Donc ce n’est pas une
maladie dégénérative et ce ne sont pas non plus des gens qui ont eu un trauma crânien (c'est à
dire des gens qui sont jeunes qui ont eu des lésions diffuses parce qu’un accident a secoué
vraiment leur cerveau avec des troubles de connexions diffus qui peut être après sans aller de
1
moins en moins bien, enfin vous rencontrez à la limite de plus en plus de problèmes parce que
ça leur est arrivé quand ils étaient jeunes et qu'il y a toute la vie à faire comme ça). Donc c'est
pas la même problématique, bien sûr il y a des choses communes, donc aujourd'hui on reste
dans les AVC (accidents vasculaires cérébraux).
Vous avez, si vous regardez votre première image, c’est un auto-portrait d’un patient
hémiplégique en rééducation qui vous montre bien la problématique de ces patients dirons
nous, ils viennent d’avoir un accident de santé grave, on a fait le diagnostic, on a mis en route
le traitement, on a mis en route une prévention secondaire pour que ça ne se reproduise plus,
ils vont avoir des séquelles sans ça ils seraient rentrés chez eux, mais on leur a pas encore dit
"vous aurez des séquelles », bien entendu, on leur a dit "vous allez aller en rééducation pour
aller mieux, vous allez faire énormément de progrès », ce qui n’est pas faux et ils viennent
dans un service tel que le nôtre (si on pensait qu’ils ne rentreraient jamais chez eux ils seraient
dans d’autres circuits, ils viennent parce que nous on pense qu’on va les remettre debout, on
va leur permettre de rentrer chez eux, parfois on se trompe mais disons que globalement c’est
l’idée). Donc ils arrivent, si les problèmes moteurs dominent, dans un fauteuil roulant mais
c’est pas du tout leur destin, c'est simplement momentané, c'est une phase comme ça.
Le Monsieur porte une écharpe parce que pour des raisons que je vais vous dire après, très
souvent la main est plus paralysée, plus durablement que le bras, voire définitivement. Les
AVC, c'est la première cause de handicap, c'est un problème de santé public réel, c'est la
troisième cause de mortalité. Sur les AVC, il y a un tiers qui meurt, que nous on ne voit
jamais, dans le premier mois, un tiers qui va rentrer chez lui sans séquelle, on ne les voit
jamais non plus, nous, et un tiers qui va avoir des séquelles. Il y a 140 000 cas par an ce qui
fait 360 personnes par jour en France qui font un AVC. Alors, c'est pas spécialement le lieu
de dire ça mais c'est…. tous les lieux sont bons, vous devez avoir entendu à la radio ou à la
télé la campagne actuelle de France AVC, les AVC sont parfois transitoires donc on est tenté
de penser que pendant une minute j'ai pas pu bouger ou j'ai un côté qui fourmillait ou j'ai pas
vu clair ou j'ai pas pu parler et ou j'ai bredouillé ou j'ai vu que la moitié des choses mais c'est
fini c'est pas grave. Au contraire c'est là qu'il faut s'agiter même si c'est la nuit même si on
était en train de faire un gueuleton parce que ça peut revenir, de toute façon que ce soit
transitoire ou que ça persiste, un seul réflexe c'est le 15, il faut pas consulter son médecin
traitant, au bout du fil du 15, il y a des gens qui sont capables de trier ce que vous leur
racontez, si vous êtes complètement à côté de la plaque, si vous avez pas du tout un AVC ils
2
sont capables de vous dire que ça doit pas être ça et si s'en est un, ils s'en occupent parce qu'il
y a des techniques maintenant plus actives qu'autrefois où, quand on est transporté dans des
délais suffisants dans un service spécialisé, il peut y avoir des traitements qui diminuent les
séquelles. Et de toute façon, sans parler même de ça, un accident transitoire c'est quelque
chose qu'il faut traiter immédiatement, bien que quand ça arrive, moi j'en ai fait l'expérience
pour des gens proches, c'est pas du tout évident de se dire ben ça va mieux, on va quand
même aller à l'hosto, il y a toujours quelqu'un pour dire on peut attendre demain, il se passera
peut être rien mais ça peut aussi revenir en plus important donc ça c'est un message que l'on
doit toujours faire entendre.
Alors, un accident vasculaire cérébral, c’est focalisé, c’est pas une atteinte diffuse du cerveau,
c’est une atteinte à un endroit du cerveau avec des troubles qui sont limités à certaines
fonctions, tout est un peu lié certes, mais quand même ça va être limité à une… à certaines
fonctions parce que les vaisseaux ont des territoires attitrés et que dans ces territoires les
neurones se sont groupés en modules qui sont spécialisés dans tel ou tel traitement de
l’information (de la sensibilité, de la vue….), de la commande motrice et aussi les fonctions
intellectuelles et psychiques.
Vous avez une photo d’IRM réalisé en urgence, juste pour vous montrer, peu importe, que
c’est quelque chose de focalisé à un endroit,
Ça peut être soit un territoire qui est mal irrigué c’est à dire un vaisseau athéromateux qui est
bouché, ou alors, il était normal, mais il est bouché par une embolie qui est consécutive à une
maladie cardiaque qui est venue du cœur. Ça peut être un gros vaisseau qui a un caillot qui est
fragile, qui se délite, qui va lui aussi envoyer des embolies plus haut. Et puis, il y a des causes
plus rares parce que si le sang caillotte trop ou pas assez il peut aussi y avoir des problèmes
vasculaires, alors à ce moment là le cerveau est mal irrigué. L’image que vous avez là, c'est
une image de mauvaise irrigation, si vous la regardez, quelqu'un qui s'y connaît, il sait quel est
le vaisseau dont le territoire est bouché.
Après il peut aussi y avoir un hématome, dans le cerveau un vaisseau se rompt, comme quand
on a un bleu, mais un bleu dans le cerveau ça prend de la place, ça gêne, donc ça va avoir
aussi des conséquences localisées, mais on ne va pas forcément retrouver un territoire
vasculaire. Dans les deux cas ça arrive d’un seul coup.
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Le Monsieur que je vous ai montré, je vous ai parlé de la main, pourquoi la main est souvent
définitivement paralysée parce que dans ces modules fonctionnels, il y a dans la commande et
la sensibilité de la main, je ne sais pas si vous avez déjà vu dans des livres l’homoncule de
Penfield, la zone de la main et de la bouche elle est hyper représentée sur la face extérieure du
cerveau, comme ça, et le pied il est tout petit dans la face interne et il se trouve que le
vaisseau le plus souvent bouché, comme celui que je vous ai montré sur cette photo-là, c’est
l’artère cérébrale moyenne qui a un très gros territoire qui recouvre complètement celui qui
fonctionnellement est la commande de la main.
Le retour à domicile après un AVC (John Libbey Eurotext, 2009)
Donc c'est pas obligé que l'on ait une paralysie de la main énorme parce que si on a une autre
artère qui est lésée et que c'est un territoire beaucoup plus haut situé, ça sera le pied et alors on
aura une problématique différente. Mais statistiquement c'est très souvent la commande de la
main qui va être le plus gênée. Alors que pour la marche, il y a toutes sortes de possibilités
dans le système nerveux quand même d'activité automatique pour la marche, qui se fait quand
même à deux jambes, qu'il y a des organisations complexes, ce qui fait qu'il est la plupart du
temps possible de faire remarcher quelqu'un même s'il n'a pas une force extraordinaire dans sa
jambe paralysée alors qu'il est très difficile d'avoir une bonne commande de la main si on a
pas un bon tonus, une bonne sensibilité, une bonne motricité, on peut avoir une main, très
bien la commander, si on sent rien on a beaucoup de mal à s'en servir, donc c'est pour ça que
le pronostic de la récupération du membre supérieur est une chose dont on parle pas tout de
suite aux patients, en général, on attend qu'ils nous le demandent mais on est pas toujours très
optimiste. On verra que la main, c'est un organe qui a beaucoup d'importance.
L’hémiplégie, vous le savez ou je vous le redis, c’est la paralysie d’un bras, d’une jambe et
d’une hémiface, du même côté et tout du côté opposé à la lésion, souvent c’est ce qu’on
retient d’une hémiplégie, il a eu une attaque, il est paralysé d’un côté et il a la figure de
travers, mais il y a plein de choses qui peuvent être associées : les troubles sensitifs, je vous ai
dit, peuvent être très gênants, les troubles du tonus, le tonus va être exagéré sur les
fléchisseurs et diminué sur les extenseurs, donc ça peut rendre l’utilisation et la réalisation des
gestes différentes, c’est-à-dire que la marche va être la marche mais le patient va se déplacer,
mais il va dire « ben non je marche pas parce que c’est pas comme avant », parce qu’il ne peut
pas courir, parce que c’est raide parce qu’éventuellement ça va lui faire mal au bout d’un petit
moment et donc ça va être assez compliqué, il peut y avoir des douleurs rhumatismales parce
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que le cerveau commande aussi les vaisseaux qui innervent les artères, les muscles et les os et
puis il peut surtout y avoir des troubles cognitifs et des troubles intellectuels.
Tout le monde sait à peu près que quand on a une hémiplégie droite on a des gros risques
d’avoir une aphasie -- c’est pas obligé mais enfin….-- un trouble du langage, c’est-à-dire pas
seulement des difficultés à s’exprimer mais un trouble qui peut gêner pour comprendre ce
qu’on entend, pour comprendre ce qu’on lit, [–-], ça peut être difficile d’écrire, ça peut être
difficile de s’exprimer de façon compréhensible il y a des patients qui ne parlent pas du tout et
sans comprendre complètement tout ne sont pas trop gênés pour comprendre et puis il y a des
patients, à l’inverse, peut être vous avez entendu parler de l’aphasie de Wernicke qui parlent
sans arrêt, la grammaire a l’air correcte, les mots parfois sont les bons mais ça n’a aucun sens
bien que l’intonation soit là, l’adresse à l’autre soit là, (c’est des gens qui, ça arrive encore
qu’ils passent pour fous aux urgences mais c’est quand même de plus en plus rare) et puis très
souvent il y a des mots qui n’existent pas, on parle de « jargon », des mots qui peuvent avoir
un rapport soit dans la forme soit dans le sens avec ce que le patient veut dire mais c’est des
mots qui n’existent pas, ça c’est pour quand l’hémisphère dit dominant est lésé.
Quand les lobes frontaux ou les connexions du lobe frontal avec le reste du cerveau sont
atteints, il y a énormément de troubles très variés qui vont perturber toute la vie relationnelle
du patient parce que tout ce qui est prospective, programmer sa journée, se dire que ça il faut
le faire avant telle chose, que ça il faut l'avoir fini à telle heure, que si je veux aller à la gym
après le travail, il faut que j'emporte mon sac de gym et qu'il faut que je sois prêt à l'heure,
tout ça, ça peut être très difficile à mettre en place pour des raisons organiques, pas parce que
le patient il est déprimé ou parce qu'il veut rien faire ou qu'il profite de sa maladie pour buller,
non il ne peut pas y arriver, il peut y avoir une agitation excessive, sans but, une
distractibilité, on commence une conversation, quelqu'un parle d'autre chose, tout de suite il y
a une digression et on en finit plus, on n' arrive plus à suivre, comme il peut y avoir une
inhibition, une apathie, la personne qui reste tout le temps devant la télé, c'est pas
obligatoirement parce que le patient est déprimé qu'il va rien faire, c'est qu'il ne peut pas se
mettre en route. Et tout ça c'est quelque chose qui pour les jeunes va gêner les apprentissages
par exemple.Alors dans les livres on trouve encore "la moria", des gens qui font des jeux de
mots à tout propos, c'est un des aspects apparemment sympathique, très jovial du syndrome
frontal mais ça n'en est qu'un aspect,
Mais ce dont je vais vous parler aujourd'hui le plus c'est de ce qui va plus nous intéresser d'un
point de vue psychanalytique, c'est tout ce qui touche à l'image du corps, aux identifications et
ça c'est moi qui le dit avec ma culture analytique mais au premier abord ça se présente par des
troubles du schéma corporel et de la représentation de l'espace, et c'est dû à des lésions de
l'hémisphère droit. On appelait autrefois l'hémisphère droit l'hémisphère mineur,et si vous
voyez il y a un article assez complet dans l'Encyclopédie Médico Chirurgicale qui s'appelle
les syndromes majeurs de l'hémisphère mineur. Parce que, en réalité des gens qui ont en
permanence des troubles de la représentation du corps, de l'espace, ça distord un peu tout leur
rapport au reste, on s'aperçoit qu'ils ont de plus grandes difficultés à retravailler, même à avoir
la vie qu'ils avaient avant, c'est aussi très handicapant bien qu'au premier abord ça ne se voie
pas.
La trajectoire d'un patient AVC donc je le redis, au début c'est quand même un risque vital, on
sait que c'est quelque chose qui peut tuer, le patient ne se rend pas forcément toujours compte,
mais sa famille on leur a bien expliqué : « attention les premiers jours il y a un cap à passer »,
« il a eu de la chance » « c'est un survivant », « il a failli mourir », et plus le patient est dans
5
le coltar et moins il le sait et plus sa famille a entendu dire que c'était super dangereux.
Ensuite il arrive en rééducation, là on lui a dit vous allez vous rééduquer mais, total, résultat
des courses la rééducation ne peut pas…. (s' il est là c'est parce que il va avoir des séquelles)
…. donc la rééducation va avoir des limites et on lui demande à la fois, en tout cas dans la
façon dont nous on travaille maintenant après toutes ces années de travail en équipe avec tout
le monde, on leur demande à la fois de faire des efforts parce qu'il faut gagner tout ce qu'on
peut gagner et puis qu'il faut se réadapter et puis qu'il faut rentrer chez soi puisque la vie
continue, et en même temps d'admettre que ça va jamais être comme avant, alors c'est quand
même un petit peu difficile, on est dans les premiers mois après, le travail du deuil ne peut pas
être aussi rapide surtout pour quelque chose qui n'est pas stable. Et puis nous, on est très
contents en tant que médecins de la réadaptation on apprend plein de choses aux patients, à se
débrouiller avec ceci avec cela, à faire avec, à compenser, mais il faut aussi qu'il accepte, que
ça corresponde à sa façon d'être de s'en servir dans la vie quotidienne. Si bien que très souvent
on voit des patients qui… On n’a pas le même regard du patient qu'on voit dans le service, qui
vient à sa rééducation, ou qui même déambule entre les séances, il n’a pas la même démarche
que le monsieur que l'on voit dans la rue qui lui veut aller prendre son métro, je parle pour les
patients que l'on voit longtemps après et qui marchent souvent beaucoup moins bien que ce
qu'on leur a appris à faire. Et puis après, un service de réadaptation qui se respecte il a aussi
une perspective de réinsertion1
.
Alors c'est forcément une expérience violente, le mot anglais c'est "strike" qui correspond au
vieux mot français d'attaque, c'est à dire on prend un coup brutal, il y a aussi la possibilité
d'avoir des crises d'épilepsie séquellaires2
,et puis tous ces troubles neuropsychologiques il faut
s'y adapter et faire avec. S'ajoute à ça une fatigabilité qui est très importante qui est beaucoup
plus pénible pour les gens qui ont peu de déficit moteur parce que tout le temps que le patient
est en fauteuil, qu'il ne marche pas, qu'il est centré sur l'hémiplégie, il n’a pas trop envie de
faire quelque chose, la possibilité même, le loisir de faire d'autres activités et après à la sortie,
on se rend compte que.. qu' on peut faire beaucoup de choses parfois mais il faut les découper
en tranches parce qu'on est trop, on se fatigue très vite. Donc voilà, c'est ça la vie un peu
concrète après un accident vasculaire (et peut être un trauma crânien aussi mais il y a des
nuances…). Alors souvent je présente ça aux médecins, et donc je fais deux colonnes avec
ce que c'est pour un neurologue un AVC et ce que c'est du point de vue psychanalytique pour
un patient. Ici, je vais peut être faire l'inverse, tout le monde comprend que c'est un
traumatisme et une perte. Alors il y a quelque chose de particulier qui moi m'a toujours
étonnée, c'est qu'au point de vue du traumatisme ça donne, c'est rare que ça donne lieu à des
manifestations très bruyantes de névrose traumatique, les gens ne font pas de cauchemars où
ils revivraient en permanence la survenue de l'accident, il y a des gens qui vont raconter très
souvent comment c'est arrivé, mais plus souvent d'ailleurs quand il y a eu une erreur médicale
ou quelqu'un qui n'a pas fait attention, mais ça n'a pas ce côté vraiment violent de la névrose
traumatique je trouve, de même, que les gens ne racontent pas d'angoisses sensationnelles au
début même si ils n'ont pas de troubles de la conscience, même si ils ne sont pas
1
2 Donc c’est quelque chose que l’on ne peut pas annoncer aux patients parce que ça va
arriver, il y a quelqu'un qui m'a dit l'autre jour "on m'avait jamais dit que je risquais de faire
des crises d'épilepsie", ça doit arriver une fois sur dix, on les prévient pas, il y a dix pour cent
de chance pour faire une crise d'épilepsie, quand on les voit c'est la cicatrice cérébrale qui est
hyper sensible donc c'est une chose qui peut arriver
6
anosognosiques, ils semblent pas très angoissés, ils constatent, peut être la sidération de la
chose qui est très rapide.
Bien sûr on s’attend à ce que ça entraîne une blessure narcissique, ça c’est obligé, on sait
parce qu’on l’a tous entendu autour de nous que c’est une affection stigmatisante, quand à
l’ouverture du service de neurologie vasculaire de l’hôpital Tenon, j’ai entendu le chef de
service qui avait impulsé ça raconter les commentaires de ses collègues, en salle de garde :
« alors comme ça tu vas t’occuper des légumes », c’est pas récent récent non plus c’est pas il
y a cinquante ans.
Mais il faut aussi comprendre qu’il y a ces troubles du schéma corporel, ces troubles de
l’image de soi, la personnification des membres paralysés dont je vais vous parler après, tout
ça, c’est des choses dont on a pas l’habitude en psychologie clinique courante, il y a des
troubles neurologiques de la représentation de soi et des altérations neurologiques de ce qu’on
pourrait appeler l’identité ou l’identification qui sont très différents de la blessure narcissique
ordinaire et ça c’est l’existence ou non de ces troubles neurologiques de l’idée que l’on se fait
de soi-même, ça tient à la localisation de la lésion ça tient pas à la personnalité antérieure du
patient ça tient à où c’est que le caillot s’est propagé dans les artères, quel vaisseau a été
bouché, essentiellement ça, après la sémiologie, enfin la formule de chacun d’exprimer ça, ça
va être personnel mais la survenue de ce type de trouble avec des altérations de la
représentation du corps de l’espace et de la représentation de soi c’est lié à une certaine
localisation cérébrale, je vais y revenir longuement après mais en gros ça se passe à droite.
Alors je fais une parenthèse pour les gauchers qui ont droit à ce qu’on parle d’eux, les
gauchers c’est, parfois on pense que c’est à l’envers, c’est quand même exceptionnellement
que c’est à l’envers, c’est-à-dire quelqu’un qui a une hémiplégie de droite il va pas avoir zéro
troubles du langage et plein de troubles de la représentation du corps et de l’espace, mais il va
avoir une aphasie qui va mieux régresser peut-être mixée avec quelques troubles du schéma
corporel, peut être on va être obligé de rechercher parce que ça va pas se voir comme ça sur le
devant de la scène, c’est plutôt que chez les gauchers c’est mélangé, mais c’est pas l’envers
des droitiers.
Voilà. Alors, on va commencer par la pathologie, celle que l'on va comprendre le mieux au
premier abord, un AVC c'est une blessure narcissique. Je présente toujours aux médecins et
aux neurologues mais j'ai voulu le lire aussi à vous parce que je trouve que c'est assez
fantastique ce texte d'une personne qui a eu quelque chose d'entièrement périphérique sans
lésion cérébrale, une jeune femme qui fait un mal de Pott dans l'enfance, qui passe de l'âge de
cinq ans, je crois, jusqu'à son adolescence couchée, comme c'était autrefois, dans une coquille
à plat, avec une famille très aimante qui la traite tout à fait gentiment, normalement, qui lui
donne des papiers pour qu'elle puisse dessiner et elle deviendra peintre après, une petite fille
heureuse...
Et elle raconte, elle dit : je voyais quelque fois, il y avait un bossu qui boitait un peu qui
venait... Je crois que le titre c'est "The little locksmith ". C'est un serrurier qui venait graisser
toutes les serrures de la maison et elle sentait qu'il y avait un mot qu'elle ne pouvait pas dire,
peut-être infirme, pour ce petit jeune homme qu'on traitait avec beaucoup de commisération
et c'était à des lieux pour elle, c'était à des lieux de distance de sa situation à elle. Donc, elle
dit :"quand enfin je pus me lever et marcher, je pris à la main une glace et j'allais vers un
miroir en pied pour me regarder et j'y allais seule, je ne voulais pas que quelqu'un, surtout pas
ma mère, puisse savoir ce que j'éprouverai quand je me verrai pour la première fois. Alors"
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surtout pas ma mère" ça ne vous étonne pas mais ce texte là, je l'ai lu pour la première fois en
traduction française, fait de telle sorte, comme ça venait de l'anglais, que je ne pouvais pas
savoir si c'était homme ou femme, l'auteur et c'est dans un livre d'un sociologue Goffman qui
parle des usages sociaux du handicap et il explique très clairement qu'il ne veut pas parler des
problèmes psychologiques du handicap, il ne veut parler que des problèmes sociologiques et
par conséquent, très honnêtement d'ailleurs , il a mis des braquettes et il a enlevé "surtout pas
ma mère". Alors: "cette personne dans le miroir, ça ne pouvait pas être moi, intérieurement, je
me sentais quelqu'un d'ordinaire, en bonne santé, veinarde, pas du tout comme celle du miroir.
Sans cesse, j'oubliais ce que j'avais vu dans le miroir, cela ne parvenait pas à pénétrer à
l'intérieur de mon esprit et à devenir partie intégrante de moi-même, j'avais l'impression que
ça n'avait rien à voir avec moi, ce n'était qu'un déguisement, on me l'avait mis sans mon
assentiment et à mon insu comme dans les contes de fées, c'était moi qu'il trompait sur ma
propre identité". C'est pour ça que Goffman avait repris ça, à cause de cette allusion à
l'identité, je pense. « Je regardais dans le miroir et j'étais frappée d'épouvante parce que je ne
me reconnaissais pas (avant, elle n'avait jamais vu). A l'endroit où je me tenais avec en moi,
cette exaltation romantique persistante qui me soufflait encore que j'étais une personne
favorisée par le sort, à qui tout était possible, je voyais une inconnue, une petite silhouette
pitoyable, hideuse et un visage qui à mesure que je le fixais, se tordait de douleur et rougissait
de honte ». Voilà!
X : Quel âge ?
Catherine Morin : 15 ans !
Alors ensuite c'est quelqu'un, il faut imaginer qui devait être presque naine après avoir eu une
maladie comme ça, osseuse et qui est devenue peintre, qui s'est mariée, qui a divorcé, qui a
écrit un livre enfin qui a mené une vie de femme active, normale, complètement comme elle
dit :" Cette exaltation romantique qui me soufflait que j'étais une personne favorisée par le
sort". Donc ça, ça me permet d'illustrer quand même cette idée qu'il y a les mots, ce pôle
d'attributs, que l'enfant et pour les parents, ces attributs qui vont lui fixer son idéal du moi et
il faut que ça corresponde à un moi idéal, à un moi du corps qui soit une image du corps qui
soit quand même un peu cohérente, ça ne peut pas aller « veinarde et favorisée par le sort »
avec " je suis rabougrie et j'ai une cyphose terrible". Au départ, ça ne peut pas aller comme ça,
il va falloir faire du travail pour accepter de continuer à vivre comme ça.
Alors, on va revenir aux patients hémiplégiques qui peuvent tout à fait s'inscrire dans cette
problématique normale, ils ne vont peut-être pas le dire d'une façon aussi extraordinaire que
cette personne.
-Je ne ressemble pas à la personne que j'étais!" m'a dit une patiente l’autre fois "Oui,
je n’aime pas me regarder dans le miroir, vous savez.....
-Pourquoi ?
-Mon reflet est grisâtre et puis je ne ressemble pas à la personne que j'étais. »
C'était quelqu'un qui avait vraiment un déficit léger et une paralysie faciale très, très, très
discrète. Récemment, il y a un patient qui travaillait en rééducation, donc, les kinés à force
d'entendre parler du stade du miroir, ils lui demandent, parce qu'on travaille au miroir en
rééducation par contre, pour la stature, pour maintenir sa position, il lui dit: "Alors
qu'est ce que vous en pensez de travailler devant le miroir, qu'est ce que ça vous fait ? " Il lui
dit : "Ah bien je vois que je suis encore mignon ! Je me trouve mignon ". Donc, il me raconte
ça et puis je revois le patient pour autre chose, on reparle de ça et il me dit :" Dans le miroir,
je vois que je suis foutu !" Donc, on voit très bien cette dimension de l'image où il y a
quelque chose qui ne se voit pas, "être foutu" ça ne peut pas se voir sur un miroir, d'ailleurs
même l'hémiplégie à la limite ne se voit pas forcément tant qu'on ne bouge pas mais donc
cette image, c'est ou je suis mignon ou je suis foutu mais ça n'a pas à voir directement avec
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le corps. D'autres patients qui disent : "De se voir comme ça, c'est pas la peine de tourner, on
est des épaves ". Alors, vous entendez en plus le passage, elle n'insiste pas beaucoup mais
dans le livre, j'avais fait un travail systématique sur les je et les on. J'ai zappé ici mais il y
avait le truc typique, c'est:" je suis gênée, je suis surtout gênée." La personne, je lui demande
tout à fait au début:" Voulez vous me parler de ce qui vous arrive ? Je suis surtout gênée parce
que moi qui aime aider les autres, être tributaire des autres, ça gêne beaucoup de se voir
comme ça ". Donc, c'est moi , moi je pense, moi je suis gênée, on est tributaire des autres et
pour parler du corps, peu de choses :"ça répond pas , ça remue encore un peu , ça répond pas
et puis très souvent revient pour la main paralysée surtout, "elle est morte" mais la plupart du
temps, c'est pour dire : elle bouge pas eh bien oui elle est morte, elle bouge pas mais ce n'est
pas qu'elle soit ni froide ou mal vascularisée, elle est morte parce qu'elle bouge pas .
Je vais vous exposer ici quelques traits d'un entretien un petit peu suivi avec un patient qui
avait aussi fait un dessin. C'est un monsieur, c'est des propriétaires, des commerçants , son
grand-père était commerçant son père a repris l'affaire, lui, il a continué , il a amassé plein
d'argent, il a une grande maison il reçoit plein de monde, les enfants, les petits enfants, il est
généreux puis il n'y va pas par quatre chemin, il s'est marié en trois mois, il a rencontré sa
femme en Amérique du sud, soit dit en passant, il y a une quantité phénoménale de
psychanalystes qui racontent des conneries, m'a-t- il expliqué, il l'a épousé à New York trois
mois après, donc c'est un monsieur très décidé. Donc il fait un dessin où je suis assez étonnée,
il commence par faire sa tête, il fait une moustache et lui n'en a pas, alors, je lui demande
pourquoi et il me dit : « je l'avais mais je l'ai rasée hier, ça n'a aucune importance, ça
repousse! Cela a tellement peu d'importance qu'il a toujours eu une moustache sauf, il a fait
un pari stupide quand il avait vingt ans et puis là, il vient de la couper mais ça repousse. Puis,
il fait un dessin où il est un peu comme çà, je lui demande pourquoi, je fais bien de me taire
parce que pour moi j'avais l'impression que c'était comme une silhouette un peu comme ce
qu'il y a sur le macadam quand quelqu'un a été renversé par une voiture....j'étais plutôt dans le
sinistre et donc il me dit "moi, je suis quelqu'un qui a les bras ouvert" et c'est là qu'il me
raconte toute sa générosité, ses richesses qu'il fait partager à tout le monde . Il ne parle pas du
tout de son hémiplégie, de maladie tout ce qu'il dit c'est qu'il a une sténose œsophagienne
donc c'est très gênant parce qu'il a un petit diverticule aussi, alors, des fois, il régurgite, alors
vous vous rendez compte si je suis à table avec des jolies voisines, c'est quand même, dans
une conversation agréable, je vais leur vomir dessus, c'est pas bien! Donc, on voit son coté, on
va dire peut-être l'importance de l'objet oral et puis le coté, quand même un homme viril qui
veut séduire les dames et qui y arrive probablement. Finalement, je suis bien obligée de
l'interroger sur son hémiplégie puisqu'il ne m'en parle pas. C'est un monsieur qui est dans un
fauteuil roulant, qui a un certain âge, qui a une maladie de cœur qui n'est pas du tout réglée,
qui a le cœur très arythmique et qu'est-ce que c'est que cette hémiplégie pour lui et il me dit:"
je ne pouvais plus communiquer mes volontés ". Alors, c'est un monsieur qui n'a aucun
trouble du langage, vraiment mais qui a été mutique parce que c'était la commande de la
bouche qui était perturbée au départ, donc il était mutique, il ne pouvait plus communiquer ses
volontés. Donc à la première permission, il est rentré chez lui et il a transféré tous ses
pouvoirs à sa femme, je ne pense pas que ça l'amusait beaucoup mais il a transféré ses
pouvoirs. Et alors, autrement qu'est ce qu'il en a pensé d'avoir cette hémiplégie ?" Je n'ai plus
rien, je n'avais plus rien". Ce n'est pas la première fois que j'entends ça: "je n'ai plus rien"
Qu'est ce que ça veut dire ?" Eh bien avant, j'ai beaucoup maigri", alors, ça c'est vrai qu'au
bout de dix jours de soins intensifs les gens ont maigri, nous on ne le sait pas parce que on les
connaissait pas avant," j'ai beaucoup maigri, avant j'avais la rondeur qui séduit". Donc de
nouveau, on revoit ce truc que c'est les mots du corps qui comptent, l'hémiplégie en elle-
même, on ne va jamais, jamais, en entendre parler mais on va rester dans quelque chose qu'on
comprend bien, auquel les cliniciens sont habitués c'est à dire un idéal qui va maintenir le
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patient, même si son moi idéal il n'est plus trop accordé, il se maintient comme un homme
généreux, rond en affaire, rond en famille, rond pour séduire qui va transférer ses pouvoirs et
puis, ma foi, continuer à vivre avec toujours ses mêmes intérêts. Donc, c'était au cours des
premières explorations que j'avais faites et moi, ce qui me gênait la dedans c'est que je
n'entendais jamais parler de l'hémiplégie, en tant que neurologue, on peut encore dire que c'est
le neurologue qui a à s'occuper de l'hémiplégie, le malade, il n'en parle pas mais je n'entendais
pas parler du corps. C'est quand même un peu étonnant alors que le corps est devenu
asymétrique, il fait mal, il est raide et en particulier pas de la main. Ce monsieur, il avait
dessiné une tête enfin, sur son portrait, il n'y avait pas de bouche, alors, est-ce qu'on va dire
c'est l'image du mutisme ? Les mains étaient très mal faites de toute façon et pas totalement
symétriques, est-ce qu'il y avait l'hémiplégie dessus ? Tout ça, on ne sait pas, c'est pour ça, je
vous parlais d'études scientifiques, il y a déjà eu des articles de gens qui disent : voilà, j'ai fait
dessiner des hémiplégiques, le dessin d'hémiplégiques, j'ai pris quatre hémiplégiques et je les
ai fait dessiner. Non, on peut dire c'est le dessin de l'hémiplégique si on a fait dessiner des
gens qui n'ont pas d'hémiplégie et si on a fait dessiner diverses sortes d'hémiplégiques. Donc,
c'est pour ça que, à ce moment là, je me suis décidée à faire dessiner tout le monde et en triant
vaguement les dessins que je gardais pour la recherche de façon à prendre des patients, par
exemple qui n'avait pas une maladie mentale, qui n'étaient pas handicapés par autre chose
avant, qui n'avaient pas 98 ans qui avaient une seule lésion cérébrale, que c'était la première
pour ne pas compliquer avec des facteurs surnuméraires. Donc, je me suis mise à la suite des
entretiens que j'avais toujours avant, des entretiens qui sont, comment dire ? Je ne sais pas si
vous avez certains d'entre vous assisté aux consultations de Bergès qui était un neurologue
d'enfants, psychanalyste d'enfants et je me suis aperçue, comme je le faisais, il avait un
interrogatoire stéréotypé, si on va par là à chaque fois avec toujours des digressions
particulières selon l'enfant mais sa direction générale, c'était toujours la même. Donc, moi,
j'avais une espèce d'interrogatoire : " Parlez moi de ce qui vous arrive, quel effet ça vous a
fait ? Est ce que vous croyez que c'était grave? Comment ça va aller à votre avis et ici
comment c'est, on s'occupe bien de vous ? Est ce que les gens, il y en a que vous préférez, que
vous ne préférez pas, est ce que les séances sont pénibles? Qu'est ce qu'on y fait, Qu'est ce
que vous en pensez ? Est ce que vous dormez bien, est ce que vous rêvez? " Et après, je me
suis mise à terminer ça par: "Est ce que vous voulez bien, c'est pas obligatoire, vous pouvez
refuser, me faire un dessin qui vous représente vous?" Alors, il y a des gens qui commencent
par autre chose que de se dessiner en pied, je les laisse faire et puis après, je leur dis :"Mais
moi ce que je voudrais, c'est un dessin du corps des pieds à la tête, d'ailleurs c'est marrant, moi
, je dis toujours des pieds à la tête et tout le monde commence par la tête. Alors, ce que j'ai
fait, souvent les gens s'arrêtent et je leur donne un crayon d'une autre couleur ,voir s'ils
veulent rajouter quelque chose parce que comme vous le verrez la plupart des dessins sont
incomplets, on s'étonne dans notre idée de ce que devrait être un dessin normal , on est un
peu étonné, donc " Est ce que vous voulez rajouter quelque chose? " et avec la deuxième
couleur on peut voir ce qui a été rajouté et puis j'écris tous les commentaires aussi vite que je
peux, je ne fais pas d'enregistrement parce que ça m'énerve et puis, il faudrait demander
l'autorisation, faire signer des papiers, s'engager à je ne sais quoi, donc, je ne le fais pas et
comme maintenant, je suis à la retraite, on ne m'obligera plus à le faire ! Donc, vous en avez
des autoportraits à la deuxième page, je pense, ceux du haut, c'est les autoportraits normaux.
Donc, pour ça, les autoportraits normaux, je me suis adressée à des gens qui venaient en
visite, soit des familles ou des visiteurs des patients, des soignants qui s'occupaient des
patients, on peut dire que tout ce monde là n'est pas vraiment indifférents par rapport à la
chose mais, enfin, à la limite tant mieux. Et puis aussi, on a été dans une consultation de
gériatrie, où les gens venaient pour des affections de tout venant et où ils étaient très habitués
à répondre à tout un tas de questions parce que à sainte Perrine, on les interviewe à qui mieux
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mieux sur le contenu de leur frigidaire, de leur armoire à pharmacie, la fréquence de leurs
sorties et pour une fois, on leur a demandé de se dessiner et puis voilà ! Alors, vous les avez
ces dessins, vous voyez, qu'est ce qu'on peut dire ? On est un peu étonné, le petit a , c'est un
professeur à l'université qui me dit : « Tu sais, ma mère m'a toujours dit que j'avais les oreilles
décollées », eh bien nous les voyons! Le d , c'est un portrait tout nu, c'est rarissime, je dis qu'il
est tout nu parce qu'il y a un tout petit trait qui viserait pour ce monsieur à dessiner le sexe
mais ça , c'est tout à fait exceptionnel! Ce qu'on s'attendrait le plus normal, ce qui est le plus
fréquent aussi, c'est quand même, la dame du petit e, où tout y est, les habits, les oreilles, les
cheveux, les traits du visage mais les mains ne sont pas, si c'était assez gros vous le verriez,
elles sont assez elliptiques et c'est dans quatre-vingt trois pour cent des cas comme ça! Il y a
un dessinateur sur six qui ne fait pas les mains du tout, c'est à dire que vous avez les bras qui
s'arrêtent là ...? Les mains, c'est très compliqué. Vous avez lu le livre avant ? Non, oui! Vous
l'avez lu !
Figure extraite de Schéma corporel, image du corps, image spéculaire. Neurologie et
psychanalyse, Erès, 2013
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Parce que c'est ce que disent les gens, les mains, c'est très compliqué! Moi, quelque part ça me
fait rire, parce que les yeux c'est très compliqué aussi et ça ne dérange personne. « Ah ! je
vais faire les yeux, je vais lui faire un tel ou tel regard » ..Personne dit : Je ne pourrai jamais
faire les yeux ! Par contre, il y en a qui ne font pas la bouche, vous les avez en haut à droite et
c'est essentiellement des patients âgés et déprimés, on y reviendra après pour les patients.
Alors, vous voyez, ces dessins, ils ont quand même un rapport avec l'image du corps et pas là
ce qu'on en voit ou ce qu'on en sent puisque... je ne vous l'ai pas montré, ils n'y sont pas ceux-
là , il y a Gerda Alexander qui est une kinésithérapeute qui avait inventé l'eutonie, une
technique de rééducation qui a beaucoup plu aux musiciens pour garder des bonnes attitudes
pendant qu'ils sont au violon, au violoncelle ou au piano, cette femme là quand elle recevait
les gens, elle leur demandait de se dessiner, dessiner ce qu'ils sentaient de leur corps et elle
avait quand même une clientèle beaucoup de kinésithérapeutes, de médecins, de gens qui
faisaient de la danse, enfin des gens qui avaient appris l'anatomie et premièrement quand ils
faisaient un dessin de leur squelette, ils faisaient toutes les erreurs que font tout le monde,
c'est à dire que les côtes sont horizontales ce qu'elles ne sont pas du tout alors qu'ils avaient
appris ça à l'école, ils continuaient à le faire et deuxièmement là, j'ai des photocopies,
quelques exemples de dessins on a les paupières, la langue. Il y a quelqu'un qui fait ça : Qu'est
ce que vous sentez de votre corps? Les paupières et la langue ! Enfin, il n'y a rien, il n'y a rien
qui ressemble à un corps. Bon ! Là, je ne demande pas : Qu'est que vous voyez de votre corps
? Les gens font une représentation qui est complexe finalement, puisque...Là, j'en ai deux
exemples que je montre très souvent, c'est une dame qui se dessine, elle dessine bien, elle fait
un dessin et il y a un sein, un sein très bien dessiné, vous l'avez là. Et je lui dis : "Ah bon
pourquoi vous faites un sein ?" « Ah, je ne l'avais pas vu que j'avais fait ça mais je suis allée
voir mon amie hier, on lui a enlevé un sein, elle avait un cancer"
Figure extraite de
Schéma corporel, image du corps, image spéculaire.
Neurologie et psychanalyse, Erès, 2013
Et puis, le monsieur qui se met un chapeau : « Ah bon, vous portez un chapeau, alors,
d'habitude ? "Ah non, jamais, c'est mon père ! " C'est un monsieur qui a 77 ans, son père était
médecin de campagne, il avait des souvenirs d'enfance, il sortait la voiture à cheval pour aller
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voir ses patients avec son chapeau parce qu'on ne peut pas voir un médecin sans chapeau, ça
date ! Mais 77 ans ! On lui dit dessiner vous vous- même et il met un chapeau!
Figure extraite de
Schéma corporel, image du corps, image spéculaire.
Neurologie et psychanalyse, Erès, 2013
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Donc, on a quelque légitimité à penser que ça a un rapport avec l'image spéculaire autant
qu'avec la représentation cognitive du corps ce type de dessin….
Alors, pourquoi est-ce que les mains sont mal faites et que c'est si compliqué de les faire ? Je
ne suis pas la première à avoir vu ça, Karen Machover, qui avait fait le test de dessiner une
personne, enfin, en général les gens ne demandent pas directement de se dessiner soi-même,
c'est réputé extrêmement brutal et violent, on ne le fait pas, mais enfin bon. Elle, elle disait
dessiner une personne, dessiner un homme, dessiner une femme, jamais dessine toi toi-même
elle disait, de toute façon, moi, la représentation des mains et des doigts, je ne m'en occupe
pas, ça ne compte pas, ce n'est pas des anomalies que je considère, c'est en anglais, c'est des
« popular problems », c'est des trucs totalement banals, ça ne vaut pas le coup de s'y intéresser
d'un point de vue psychologique, elle avait quand même une explication un peu
psychologique, la société américaine est tellement compétitive et appelle tellement à toujours
faire mieux que aucun américain moyen ne peut être à la hauteur de ça et c'est pour ça que les
gens ne font pas les mains, ce que confirme finalement les patients en disant : C'est trop
compliqué !
X : Mais même dans les écoles de dessin, quand ils doivent dessiner les mains, c'est très
difficile !
Mais n'importe qui ferait ça mieux que moi, mais mon neveu dessine mieux que moi, parce
qu'on dessine avec les mains aussi, donc tout ça, c'est quand même une affirmation de
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l'incomplétude, je suis pas à la hauteur… Il y a même une dame qui fait un truc assez rigolo,
parce qu'elle dit :"c'est très difficile à dessiner les mains, j'adore sur les peintures, justement
les mains et moi je trouve que c'est rien, c'est du gribouillis, ce ne sont pas des mains actives
ce sont des mains de rien du tout, ce ne sont pas des mains, ce sont des gants". Et c'est une
personne qui n'a pas d'infirmité! Ce sont des gants, il y a une élégance parfois de la main qui
est magnifique, Léotard, c'était le ministre à l'époque, Léotard ne m'est pas sympathique mais
je lui trouve des mains magnifiques, des mains d'artiste ! Moi, je n'ai pas de belles mains, et
ma nièce, l'autre jour, j'ai vu ma nièce une femme absolument remarquable, j'ai vu ses mains
et je me suis dis : « Quel dommage, cette femme qui a une telle qualité, ce n'est pas juste
qu'elle aie des mains comme ça ! » Donc, ce n'est pas compliqué de faire équivaloir cette
absence des mains à quelque chose du niveau de la castration, personne ne peut-être assez
bien, assez à la hauteur de son image idéale pour se faire des belles mains, c'est pas possible
ou alors , il faut avoir pris des cours à l'école de dessin .
Figure extraite de Schéma corporel, image du corps, image spéculaire. Neurologie et
psychanalyse, Erès, 2013
Alors, la bouche, pourquoi, elle n'y est pas, j'ai dit, c'est déjà connu dans la
littératurel'absence des traits du visage, ça se voit beaucoup chez les personnes déprimées
d'ailleurs la dame du petit d qui s'était fait d'ailleurs, je ne sais pas pourquoi, deux sacs à
main , elle avait perdu sa fille dans des circonstances très tragiques et elle disait qu'elle n'avait
jamais pu pleurer et qu'elle n'aimait pas parler parce qu'on est maître des paroles qu'on n'a pas
dites et on est esclave des mots qu'on a prononcés.
Là, on voit qu’il y a un sens de ne pas les faire.
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Donc, déjà pour ce qu'on peut penser d'un rapport au corps normal, on apprend déjà quelque
chose là. On n'aurait pas fait ça, on aurait dit il n'y a pas les mains parce qu'ils sont paralysés
c'est très important de savoir à quoi l'on compare les choses que l'on étudie. En vrai, j'ai fait ça
parce que j'ai voulu montrer à un patient qui ne comprenait pas ce que je lui disais ce que
c'était de faire son autoportrait et j'ai tellement mal fait les mains que je me suis dit là, il y a
quelque chose qui ne va pas, moi je suis gauchère et il y avait quatre doigts à la main gauche,
il faut voir ce que font les gens normaux parce que j'ai continué à considérer que j'étais
normale !
Qu'est ce que font les malades ? Comment j'ai procédé ? J'ai donc pris ces quatre-vingt dix-
huit sujets normaux dont je vous ai parlé là et puis deux cents patients dont, il y en avait, je
n'ai plus les chiffres là, on va dire, cent cinquante qui avaient des lésions cérébrales et
cinquante qui avait des paraplégies par exemple. Ces patients, ils sont paraplégiques1
, c'est
neurologique, ils ne peuvent pas bouger mais ils n'ont pas de maladies cérébrales et dans les
hémiplégiques, il y en avaient qui avaient des lésions droites, d'autres des lésions gauches.
Évidemment l'idée au départ , cela aurait été de comparer les groupes les uns aux autres , mais
je n'ai pas fait comme ça parce que les statisticiens m'ont dit , d'abord un dessin il faut le
caractériser, donc , on va le décrire, il va avoir plein de caractéristiques, on va les comparer
deux par deux, on va faire une multitude de CHI2 et si on fait ça , on va forcément avoir 5 %
de trucs qui vont avoir des relations qui seront liées au hasard et on ne saura pas quoi en faire,
donc on prend une autre technique, ce qui est intéressant parce que avec cette technique on
n’a pas d'a priori sur la pathologie. On mélange tous les dessins, on les décrit. Il y a la bouche,
il n’y a pas la bouche, il y a les mains, il y en a une, il y en a deux, il y a les doigts, il n’y a pas
les doigts, il y a les traits du visage, il y a les habits, il n’y a pas les habits, c’est vertical, ce
n’est pas vertical, c’est symétrique en gros, ce n’est pas symétrique, il y a les yeux. Enfin
bon ! Donc ça fait des oui et des non. Et puis on ne regarde pas la fréquence de chaque trait,
on regarde comment il contribue à différencier les dessins les uns des autres. Quels sont les
traits – par exemple bouche, pas de bouche, mains pas de main – qui sont les plus
différemment répartis dans la population. Je vous dis ça parce que c’est ce qui est apparu
comme ça en les moulinant. Ce sont les deux premiers – il y en a plein d’autres – facteurs qui
différencient les dessins les uns des autres, c’est la représentation de la bouche, c’est la
représentation des mains. Donc on a une espèce de diagramme : il y a un axe bouche plus,
moins, il y a un axe des mains, plus moins. Les dessins vont se répartir dans cette espace à
deux dimensions mais dont les statisticiens pourraient mettre en trois ou quatre dimensions
s’ils ajoutaient d’autres facteurs. Si tous les dessins sont pareils, on aura une boule centrée,
tout est pareil, il n’y a pas de différence. S’il y a des différences, le dessin s’étire dans un sens
ou dans l’autre et chaque dessin a une place dans cet espace. Et puis on décrit aussi les
dessinateurs , leur pathologie, leur âge, leur sexe, leur niveau d’étude ou leurs troubles
cognitifs qui sont discriminants. Mais ce sont les caractères des dessins et non des
dessinateurs qui sont discriminants. Après, du coup on peut regarder : ces dessins là, qui les a
faits ? Donc on a trois groupes de dessins. On a un énorme groupe de dessins « normaux ». Il
est tellement énorme qu’il est beaucoup plus grand que..., il comprend les dessins des quatre
vingt dix huit personnes dont je vous ai parlé mais aussi une centaine d’autres. Ces cent
autres sont forcément des malades, y compris des hémiplégiques.
Ça veut dire déjà : un patient avec des lésions cérébrales, il est parfaitement capable de faire
un dessin qui est exactement pareil que s’il n’avait rien du tout. Déjà c’est important. Après il
y a un autre groupe, quand je dis les groupes, c’est le logiciel informatique qui les met en
évidence, qui « diagnostique » quels sont les dessins qui sont les plus différents des autres. Il
1 Paraplégie : paralysie des deux membres inférieurs par lésion de la moelle épinière
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y a donc le groupe des dessins normaux. Il y a un autre groupe de soixante-dix dessins qui est
un groupe de dessins où manquent les deux mains ou la bouche, ou les deux mains et la
bouche, pas dans tous les dessins mais plus fréquemment, plus fréquemment que chez les
sujets normaux. Et ce dessin-là, qui l’a fait ? Quels dessinateurs sont là-dedans ? Il y a des
patients qui ont des lésions de ma moelle épinière, des paraplégies, des lésions traumatiques et
aussi des patients qui ont des hémiplégies droites et qui n’ont pas de trouble du schéma
corporel. Et un troisième groupe plus petit de gens qui font des dessins complètement
asymétriques. Pour l’instant on va dire complètement anormaux, n’importe qui va dire : « non
ça ne va pas, ce n’est pas un dessin normal » et ces gens là sont ceux qui ont un trouble du
schéma corporel sur lequel je vais revenir.
D‘ailleurs, je vais commencer par là. Donc qu’est-ce que sont ces troubles du schéma corporel
dont je vous ai parlé depuis le début ? Ça arrive quand les patients ont des lésions de
l’hémisphère droit et il y a un certains nombres de caractéristiques. Il y en a qui sont connus
des neurologues, c’est ce qu’on appelle le syndrome hémisphérique droit qu’on trouve décrit
dans l’article de l’encyclopédie médico-chirurgicale. Le premier, le plus connu, le plus étudié
parce qu'il est persistant, il peut durer des mois, des années, parce qu’il se prête à des
explorations papier-crayon, c’est ce qu’on appelle la négligence unilatérale, gauche en
général, c’est le fait de ne pas prêter attention, de ne pas réagir aux stimuli qui viennent de la
gauche, qu’ils viennent de l’extérieur ou qu’ils concernent le corps propre du patient. Parfois
on dit : forcément il ne regarde pas à gauche à gauche de son hémianopsie, dans son champ
visuel gauche il ne voit rien. Quand on ne voit rien dans son champ visuel gauche et qu’on n’a
que ça, on dit je ne vois pas, donc je regarde. L’héminégligence, ce n’est pas ça. C'est-à-dire
que ce qui vient de la gauche, que ce soit d’ailleurs visuel ou auditif, ça m’intéresse moins que
ce qui vient de la droite. Il y a un patient qui m’a…, ça fait des années que je demande aux
patients qu’est-ce que c’est pour eux et en général ils ne peuvent pas répondre et l’autre jour
un patient qui devait savoir que je venais parler, il m’a expliqué : « les gens, je les vois mais
je ne les englobe pas dans mon environnement ». Donc c’est moins intéressant, moins net,
plus flou, ce n’est pas dans son environnement. Je pense que c’est une excellente définition :
« Je ne les englobe pas dans ma vie ». C’est quelque chose qui est absolument lié au fait
d’avoir une lésion dans certaines zones du cerveau droit. Quand on fait dessiner les gens qui
ont ce trouble, que ce soit de mémoire ou de copie, ils vont faire la moitié droite et pas la
moitié gauche. Des marguerites coupées au milieu comme vous le verrez dans le bouquin.
Vous verrez aussi que c’est rarement la moitié, ce n’est pas vraiment la moitié.
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Figure extraite de Schéma corporel, image du corps, image spéculaire. Neurologie et
psychanalyse, Erès, 2013
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On avait photographié un monsieur en cuisine par exemple, vous avez un modèle, avec un
plateau qui va dans le four avec une douzaine de ronds de pâte pour faire des petits gâteaux, si
vous regardez bien la photo, vous verrez qu’entre les deux photos la main du monsieur a
glissé et la main gauche, il ne s’en est pas occupé. La douzaine de ronds pour préparer les
petits gâteaux est toute, pas la moitié mais en tout cas les trois quarts, dans la moitié droite, si
bien que ça se mélange.
Figure extraite de Schéma corporel, image du corps, image spéculaire.
Neurologie et psychanalyse, Erès, 2013
Ça a des conséquences dans la vie de tous les jours pour se raser se maquiller. On peut voir
des dames qui n’ont qu’un œil maquillé, des messieurs qui se sont rasés qu’à moitié… quand
les gens sont aux toilettes, ils ont mal remonté d’un côté la moitié du pantalon, ils peuvent se
cogner, tourner en rond, tourner vers la droite ou se cogner par la gauche ; c’est vraiment
quelque chose qui nécessite du temps, de la rééducation dont les gens ne se rendent pas
forcément compte et puis on peut voir cette histoire « c’est pas englobé dans ma vie ». Moi
aussi ça peut m’arriver de ne pas voir un truc, ah oui c’est bête, mon téléphone était là, tandis
que ces patients vont dire : « on ne m’a pas donné de pain » ou bien ils vont laisser la moitié
de leur assiette, alors on leur dit « Monsieur vous n’avez pas fini, votre pain est toujours
là… » Et eux de répondre étonnés « Ah bon ! » Avant le monde était entier, il y avait ou il n’y
avait pas de pain.
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Ce sont des choses qui sont connues, quand c’est important surtout au début, il peut y avoir
une asomatognosie, ça veut dire que le patient se comporte comme s’il n’y avait pas
d’hémicorps à gauche, il va se cogner à toutes les portes, il ne reconnaît pas sa main gauche, il
va dire : « C’est la vôtre » et parfois il peut la traiter comme une personne… « Ce n’est pas la
mienne, mon ami l’a laissée en partant… c’est la main de mon fils ou bien on m’a greffé une
autre… »
Tout cela est décrit dans des articles de neurologie qui ont été écrits depuis que les
neurologues ont décrit ces choses-là et c’est souvent associé à une méconnaissance de
l’hémiplégie qui a été décrite en 1914 par Babinski, c’est le syndrome d’Anton Babinski… il
a eu deux patientes qu’il allait voir à domicile et il se demandait pourquoi elles se
comportaient comme si elles n’étaient pas hémiplégiques… elles ne demandaient rien pour
soulager leur hémiplégie. Mais c’était paradoxal puisqu’en même temps il y en avait une qui
disait d'une part « Pourquoi vous me dites cela (que j'ai une hémiplégie), je ne suis quand
même pas paralysée… » et d'autre part : « Vous voyez docteur, cette fois, avec votre science
vous êtes impuissant à me guérir »
On sait que quelque chose ne va pas mais le rapporter au corps, c’est là que ça bloque…
On en parle beaucoup de l’anosognosie à propos de la maladie d’Alzheimer en disant que les
patients ne se rendent pas compte de leurs troubles intellectuels, mais là c’est un peu différent.
Certains troubles intellectuels peuvent être suffisamment intenses pour que le patient soit
incapable de les critiquer, on peut facilement se le représenter. Mais l’hémiplégie, on la voit,
si on demande à quelqu’un de bouger, il devrait « voir » qu'il ne peut pas le faire. Des
médecins aux urgences se demandent parfois comment faire pour obtenir l'accord de patients
anosognosiques pour des traitements tels que des thrombolyses… Si on demande aux gens :
« Est-ce que vous êtes d’accord pour le faire, il peut arriver qu'ils disent : « Mais je ne suis
pas malade ! » Aux USA où les gens sont très respectueux des libertés même quand les gens
ne sont pas au top de leurs possibilités mentales, ça leur pose des problèmes et ils demandent
alors au patient ce qu'il faudrait faire, au cas où une personne anosognosique refuserait une
thrombolyse.
C’est pour dire que ça peut être vraiment important comme symptôme cette asomatognosie…
Après ça va diminuer mais ça laisse toujours quelque chose d’ambigu. Tel patient me dit :
« Je sais bien, on m’a dit de ne pas me lever tout seul » Pourtant quand il commence à
marcher tout seul, on lui dit vous sonnez, vous appelez… « Je sais bien, mais j’ai voulu
essayer… » Et il s’est cassé la figure.
Voilà ça, c’est ce que l’on connaît en neurologie. Ce que l’on entend du malade c'est « Il
parait que je suis hémiplégique ! ». Il se réfère toujours à ce que les autres disent…, comme
s'il n'avait pas de point de vue personnel sur son corps.
Et dans le cas de ces patients, moi qui voulais entendre parler de la main, je suis servie, ils
parlent de façons différentes…
« Il ne répond pas… »
« Pour l’instant elle n’a pas envie de réagir comme on lui demande… »
« Pourquoi elle n’obéit pas ? Vous n’avez qu’à lui demander, elle vous le dira peut-être…
« À moi elle ne m’a rien dit, je l’ai traitée de connasse »
« J’ai une main en caoutchouc qui ne répond pas à mes appels ».
« Elle est comme moi, elle a trop travaillé, elle voudrait s’arrêter… »
Tout ça, c’est des personnifications, c’est connu en neurologie mais c’est souvent réputé rare
parce qu’on ne le demande plus au malade, ça n’a pas d’intérêt diagnostique, à la limite, on
sait déjà ce qu’ont les gens, quel accident, quelle localisation… Ça ne changera pas forcément
la rééducation… Les gens ne viennent pas en disant : « Vous voyez, je parle à ma main… J’en
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parle comme à une personne… » Mais c’est assez fréquent… « Il m’a trahi alors que je prends
soin de moi, j’ai perdu 13 kg, il est paresseux…je suis vexé de le voir me lâcher lâché…
lâcheur, gros fainéant, Lazare…
Ça du point de vue de l’anosognosie, c’est très joli, Lazare…
Et puis il y a des choses que j’ai observées et qui ne sont pas dans les livres, comme ce
Monsieur qui me disait : « J’avais un gros sens de l’humour et je disais à mon voisin de
chambre : la nourriture est très mauvaise, ils nous donnent le corps des malades décédés… »
Les questions de nourritures sont fréquentes comme ce monsieur qui avait une paralysie très
invalidante et qui disait : « Qu’est-ce que vous faites avec vos exercices répétitifs, on fait
ceci, on fait cela, mais ce qu’il faut c’est attendre le déclic, le jour où il y aura un déclic, je
vais marcher… » Ce Monsieur disait : « Il faudrait me laisser tout seul dans une chambre où
il y ait un water, alors je crois que je ferais n’importe quoi, il faudrait bien que j’y aille… Ce
serait presque une expérience à faire même si c’est dangereux… ». On se dit, c’est normal…si
j’étais hospitalisé longtemps, j’aimerais être indépendant, aller aux toilettes, je n’aimerais pas
que l’on m’apporte un bassin. Mais quand on regarde les patients qui ne sont pas
aphasiques…qui peuvent parler et que l’on compare ceux qui ont des lésions droites et ceux
qui ont des lésions gauches, ceux qui ont des troubles du schéma corporel et ceux qui n’en ont
pas, cette insistance à aller seul à la selle, ou sur leurs problèmes pour uriner, ça revient tout le
temps, chez ce type de patients. Alors dans tout ça, on a zappé les dessins mais c’est exprès
parce que maintenant je vais vous présenter des cas plus détaillés, plus spectaculaires…
Prenez les feuilles distribuées…
9
On commence par celle où il y a cinq dessins…
En haut j’ai mis : pas de trouble, pas de syndrome de l’hémisphère droit… Ça ne veut pas dire pas
de lésion droite, ça veut dire pas de troubles du schéma corporel, pas d’anosognosie, pas
d’héminégligence.
Là, vous avez un patient qui dessine bien et là un patient qui dessine mal mais dans les deux cas
vous avez un dessin symétrique où il peut manquer les mains ou pas mais ça ne vous donne pas
l’impression d’avoir un patient hémiplégique. Vous êtes incapable de dire s’il est hémiplégique ou
non alors que dans les deux autres dessins il y en un qui est fendu en dessous et l’autre a un corps
où il n’y a qu’une moitié.
Au milieu, c’est un Monsieur qui est peintre professionnel, il a appris à dessiner ; il a d’abord fait la
tête, je lui ai dit que ce n’est pas ce que je voulais, il a fait le corps mais, par-dessus et ça ne l’a pas
gêné de le faire avec une main pleine de doigts… et le troisième, il n’est pas droit, pas vertical, et il
en manque à gauche de la feuille ; quand je lui demande s’il ne veut pas rajouter quelque chose, il
rajoute des décorations sur les manches, sur les boutonnières, la pochette des vêtements mais pas
sur le corps qu’il peut regarder sans constater qu’il manque quelque chose…
On peut dire que l’on a un corps morcelé et désarticulé dans ces lésions de l’hémisphère droit et
cela va au-delà d’une négligence, ce n’est pas que la moitié gauche qui va manquer, c’est le corps
qui est défait.
Je vais terminer avec trois dames qui ont été très instructives pour moi….mais il a fallu du temps !
La première malade, je l’ai vue en 1988 et les deux dernières en 1998.
La première je peux dire que c’est extraordinaire, c’est une histoire de chasse…Ça fascine, c’est
bizarre, on peut en parler à un dîner avec des amis… c’est une dame qui avait 79 ans et trois fils…
Elle a eu un accident d’origine cardiaque avec une hémiplégie droite, une hémiplégie gauche, une
négligence, une anosognosie…(On était en train de préparer son entrée dans une maison de retraite
et elle disait que lorsqu’elle en sortirait elle organiserait un dîner et ferait venir un traiteur pour
recevoir ses enfant). On n’était pas étonnés, on savait bien que cela faisait partie du tableau
neurologique, pas plus que quand elle dit : « Ma main gauche a une odeur de cadavre. » Le fait que
les mains d’hémiplégiques mal lavées ne sentent pas bon, ça se rapporte à cette perception
désagréable.
Jusque-là on n’est pas trop étonnés, il y a une chose pourtant qui m’a étonnée lorsqu’elle a dit :
« Peut-être que les médecins s’imaginent que je suis enceinte… » Bon, elle a 77 ans, peut-être qu’il
y a des lésions cérébrales que l’on ne voit pas sur les scanners, qu’elle est un peu démente, je le note
et puis je la fais dessiner…
Dès le premier dessin, elle dessine le plan de sa maison, alors que je lui demandais de se
représenter.
Ensuite elle fait celui-là à gauche (b) où elle insiste sur les cheveux… des cheveux, des cheveux…
Cela nous indique une persévération comme dans la démence. Elle est tellement héminégligente
qu’elle n’a pas fait la tête. On sait qu’elle craignait de perdre la tête comme son mari qui a eu un
Alzheimer. Et quand je lui demande si elle veut rajouter quelque chose, elle rajoute : « Mon
manteau, mon sac, mes cheveux… » mais ce n’est pas son premier dessin, voyez celui de droite où
là c’est presque bien, on voit qu’elle est quand même négligente parce que là il manque un contour
du bras sur le côté gauche et puis il y a cette dysgraphie spatiale (elle commence avec des lignes qui
sont longues et plus ça va plus elle va à droite). Le texte du poème qu’elle écrit c’est : « A la fille
que nous n’avons pas eue.» (Elle a eu trois filles.) « Tu es restée dans l’antre de mon corps et
quelque fois j’y pense encore » et ensuite elle enchaîne sur « Si tu étais là, tu me soutiendrais dans
mes derniers jours. »
Elle se croit enceinte, elle imagine sa fille restée dans l’antre de son corps, c’est ce que Freud range
dans « l’inquiétante étrangeté » (Être enfermée dans un tombeau, enterré vivant, c’est une crainte
qui pour Freud, fait penser au rapport des fils à leurs mères…enfermés dans l’utérus).
Donc il y a quelque chose par rapport à l’enfant qui se manifeste directement. Mais à l’époque je ne
savais pas quoi en faire.
Trois autres patientes sont venues ensuite.
1) Une patiente me dit : «Ma main, elle fait le contraire de nous, elle joue la nuit et se repose le jour,
elle est feignante, je ne la touche pas parce qu’elle me fait mal, elle doit se sentir délaissée… Je lui
ai dit que je voudrais qu’elle revienne, elle se glisse sous moi et vient me griffer. Elle doit m’en
vouloir de ne pas m’occuper d’elle. »
Elle lui a donné le nom de quelqu’un qu’elle n’aime pas, le nom de son mari. Elle disait que son
mari buvait comme un trou, qu’il buvait l’argent de la paye, que ses enfants ne mangeaient pas
assez… Son mari est mort de cirrhose. Elle l’a amené tard à l’hôpital et on lui dit : « Madame vous
nous avez amené un cadavre. . » C’est le nom de cet homme qu’elle a donné à sa main qui avait
déjà une odeur de cadavre comme chez l’autre patiente.
Elle se dessine en deux temps : le rimmel, c’est rajouté quand je lui ai demandé si elle souhaitait
ajouter quelque chose… La main a gauche est toute noire et elle a dessiné deux petites jambes…
Elle a d’ailleurs dit : Pourquoi j’ai fait des doubles jambes ? Quand elle met ce vernis et ce rimmel
qui ne correspondent pas à son allure, je lui demande : « Vous vous maquillez ? » Et elle me
répond : « Pas du tout ? C’est ma fille qui se maquille. »
Alors, quand on compare la main capricieuse et elle qui fait des ennuis, qui réveille la nuit, elle
voudrait que l’on s’occupe d’elle…On s’aperçoit qu’elle a dessiné deux corps, le corps de sa fille
qui est incorporé dans le corps de sa mère
2) Une autre a donné un nom à sa main, elle l’appelle feuille en turc… Je lui dis pourquoi vous
l’avez appelée feuille ? Parce que les feuilles reverdissent chaque printemps. C’est une femme
négligente, anosognosique, elle ne semble pas savoir qu’elle est paralysée… (Elle dit par exemple
qu’elle s’est levée de son fauteuil lors de la consultation avec son neurologue) Comme la mort des
feuilles qui reverdissent chaque printemps…, l'hémiplégie n'aura qu'un temps.
Cette patiente dit : « Je dis que c’est ma fille. Je sais que c’est pas vrai. » Pourtant, cette fille a une
« date de naissance symbolique », le jour de l’AVC, elle a un berceau (on lui a fait un bel accoudoir
pour poser sa main), « Ma fille, elle a des rapports bizarres avec sa mère, avec la façon dont elle est
née ». Ou encore « quand j’irai dans le trou, elle viendra avec moi… » Donc elle n’y croit pas mais
c’est quand même vrai. Ce qui est vrai est imaginaire, c’est problématique.
3.) La troisième est une femme qui est plus jeune, elle est très handicapée. Elle a fait un séjour dans
un autre centre et elle vient chez nous à l’hôpital de jour. On ne la connaît pas, on fait connaissance.
L’orthophoniste lui demande : « Vous avez des enfants ? » Elle répond : « Oui »… « Mimi, tu es là,
dis bonjour ! » Sidération dans les rangs, l’orthophoniste se tait et la malade aussi, qui ne semble
d’ailleurs pas tellement perturbée par ce qu’elle avait dit…Je l’ai vue avec mon interrogatoire précis
et mon autoportrait qu’elle a fait pas si mal que ça. Je pensais qu’elle m’en dirait un peu plus, mais
comme elle ne voulait pas parler je lui ai dit de prendre son temps et proposé d’écrire. Et contre
toute attente, elle a écrit et dessiné ce qu’elle m’avait déjà raconté : « Quand j’étais en
neurochirurgie, il y a 8 ou 10 mois, j’avais des idées bizarres…» Quand elle voulait se lever, on lui
disait qu’elle ne pouvait pas et elle ne comprenait pas pourquoi (anosognosie). Quand elle voyait sa
fille, elle disait : « C’est pas ma fille ! », en revanche elle croyait que son bras, c’était soit sa fille,
soit le bras de sa fille selon les moments et elle a écrit :
Mon bras gauche était nu et replié (en position fœtale) et portait des traces blanches comme des
barres de colle laissées pars des pansements (Cf. les rayures sur le dessin). En fait, c’était le bras de
ma fille, elle avait voulu un câlin près de moi et nous étions restées soudées, le personnel ne voulait
pas le croire et soutenait que c’était mon bras… Moi seule savait la vérité qui était
pourtantévidente… » C’était une phrase compliquée à comprendre, la seule qui comporte une faute
d’orthographe (moi seule savait).
Bien qu’elle annonce qu’elle me parle d’illusions, elle ne savait pas dire autre chose que : « À
l’époque c’était vrai ! » Et ce que l’on trouve lorsque l’on demande à ce genre de patients comme
c’est arrivé, s’ils n’ont pas perdu connaissance, tout de suite ils disent : « Je suis tombée, je ne
pouvais pas me relever ! » « Mais pourquoi vous ne pouviez pas vous relever ? » « Je ne sais pas, je
ne pouvais pas… ». Ce sont des patients qui sont en rééducation depuis des mois et ils ne disent
jamais : « maintenant, je comprends que c’est parce que j' étais hémiplégique… » On n’entend
jamais cela quand il y a des négligences et des anosognosies.
C’était des illusions mais c’était pourtant la vérité qui était évidente….
Le personnel soutenait que c’était mon bras et soutenait que je ne pouvais pas me lever.
Solange Lemagueresse: On a l’impression que quand un mot sort ça va entraîner un pan de
pensée…
CM : C’est quand on parle du bras que ça va faire peut-être objet
Solange Lemagueresse : Je pensais cela à propos d’une expérience personnelle. Il s’agissait d’une
patiente alitée qui regardait le mur et qui disait : « C’est quoi cette bête-là, vous voyez là ! » en fait
il s’agissait d’un piton… je trouvais cela extrêmement troublant et quand vous parlez, je pense à des
choses comme cela…
CM : qu’est-ce qu’on peut en dire ?
On dit que l’enfant est un objet pour la mère, la chair de la chair et le travail de la mère c’est de s’en
séparer et là on trouve la chair de la chair comme si c’était actuel… parfois les femmes me disent :
ça me rappelle quand j’étais enceinte. C’est parfois hors de propos mais ça doit arriver plus souvent
qu’on ne le pense ce genre de choses, alors on peut se dire : est-ce qu’il va y avoir d’autres objets au
sens psychanalytique qui vont se manifester… ?
Je cite souvent cet homme qui me disait : « Je l’appelle ma cocotte » et d’ajouter : « elle pourrait
bien faire quelque chose pour moi la salope. »
La cocotte c’est un surnom que vous donnez à quelqu’un ? Votre épouse ?
« Je ne me permettrais pas, ma femme je l’appelle « ma biche »…
La cocotte et la biche voilà bien deux versants pour désigner la femme, pour certains hommes. Du
coup j’ai regardé ce que j’avais fait dans une autre étude que j’avais fait là aussi systématiquement
en comparant des gens qui avaient des lésions droites et gauches et là c’est celles dont je vous ai lu
des extraits, des gens qui disaient : « Ma main est fatiguée, elle est paresseuse, elle me lâche,
etc… » Donc ce sont des gens que j’ai vus au tout début de leur AVC, la première semaine. Parce
que depuis tout ce temps là, moi, je voulais travailler sur l’anosognosie, j’y suis arrivée
indirectement mais comme c’est un symptôme qui est très flagrant au début, je voulais voir les
patients au début. Donc j’ai fait ça, j’ai noté tout ce qu’ils disaient. Ce qui m’a permis en entendant
toutes ces choses, de relire et de voir étonnamment que quand on demande aux gens : « Voulez-
vous me parler de ce qui vous est arrivé? » et qui sont arrivés la veille ou l’avant-veille avec un
accident de santé grave et qu’est-ce qu’ils vont vous dire ? « J’ai une bronchite, je voudrais du
sirop. J'ai soif, je voudrais du jus d’orange. » Or ils sont perfusés : théoriquement ils ne peuvent pas
avoir soif, en tout cas ils ne sont pas déshydratés. « J’ai soif, je voudrais un jus d’orange, j’ai vu
passer un bras, j’ai eu envie de e mordre ». Et puis à un patient, une fois l’entretien fini je lui dis au
revoir. Il me dit : « Je vous fais un baisemain parce que je ne peux pas vous serrer la main. » Et il
avait d’ailleurs antérieurement dessiné des lèvres au-dessus de sa tête en disant : « Je vous dessine
un baisemain parce que je ne peux pas serrer la main. » ce qui est une totale absurdité puis qu’il est
droitier il pourrait très bien me serrer la main droite. « Depuis que je suis là, je ne suis jamais aller
à la selle, on ne me donne pas l’autorisation d’aller aux toilettes, j’ai hâte de me lever pour aller aux
toilettes. » Donc j’ai observé que c’était quelque chose qui était lié au côté de la lésion. Cette
insistance, tout de suite, tout de suite parce que ça paraît très disproportionné par rapport à tous les
ennuis de santé que les patients ont par ailleurs.
Ce que je vous ai dit sur l’objet oral ou l’objet anal, ça se confirme assez régulièrement. Donc on
peut dire que dans ces pathologies le dessin est morcelé, l’image du corps est morcelée et le corps
est parasité par le corps de l’autre et l’objet n’est pas présent comme chez le psychotique qui va tout
infiltrer et tout commander dans la vie psychique mais dans le discours il est extrêmement présent,
pas refoulé.
Avec Stéphane Thibierge, on avait travaillé là-dessus en le comparant au syndrome de Frégoli. Je ne
sais pas si vous avez lu la description princeps de la malade qui est toujours décrite maintenant par
les cognitivistes comme une patiente qui a un trouble de la reconnaissance des personnes, puisque
toutes les personnes qu’elle rencontrait étaient en réalité, mais sous diverses apparences justement,
toujours la même personne, la même actrice qu’elle va finir par agresser. Ce que les cognitivistes ne
racontent jamais c’est ce qu’elle disait de cette actrice, qui lui avait volé, pris, prélevé sur son corps
des choses [--], puisque tout son charme venait de ses yeux bistrés et les yeux étaient très bistrés
parce qu’elle se masturbait et qu’elle se masturbait avec l’index de la patiente. C’est une autre
configuration parce que ça va la conduire à des actes délirants ce qui n’est pas le cas des patients
neurologiques, elle va finir par essayer de l’agresser, cette actrice, mais dans les éléments qui sont
en jeu, on les retrouve, c'est-à-dire un corps qui est partagé avec autrui et cet objet qui revient
toujours et qui ne se laisse pas oublier malgré la différence des apparences des gens qu’elle
rencontre.
Donc c’est un travail et je vais conclure là-dessus, ça a un intérêt clinique quand même pour les
rééducateurs. Parce que c’est à mon avis important de différencier des cas où l’on est si on peut dire
en terrain connu, même s’il vaut mieux éviter que ce soit en terrain trop connu, mais enfin, sur le
terrain de la blessure narcissique, tout le monde comprend à peu près même s’il n’est pas
psychanalyste, on comprend à peu près ce qui se passe et on va trouver comment aider ces patients
et comment les renarcissiser et les soutenir. Et puis des patients qui ont des manifestations
psychologiques extrêmement spectaculaires mais qui ne s’offrent pas particulièrement à une
psychothérapie ni à une prise en charge psychanalytique, à la mise en mots et qui ne vont pas
tellement influer la thérapeutique, sauf à leur dire en quelque sorte : « Votre image n’est pas la
bonne ». Quand on leur dit : « Ça ne va pas, il faudrait corriger cela, vous voyez bien que vous ne
faites pas bien. » Alors c’est hyper mal pris par les patients qui disent : « On veut nous infantiliser,
on dit que je suis négligent, on ne voit pas que je fais des efforts et puis après tout j’ai toujours
marché comme ça. » Donc il faut éviter d’enfoncer les gens devant la réalité de leurs problèmes
parce qu’ils ne sont pas en mesure en fait d’avoir un point de vue sur leurs propres difficultés qui
peuvent être transitoires.
Bernard Frannais : Puis-je faire une remarque sur la résistance à la rééducation qui a l’air d’aller à
l’encontre de ce que dans le fond désire le sujet, comme s’il y avait, malgré l’AVC et quand ils
disent : « je ne peux pas, ça m’est impossible, etc. » C’est-à-dire ce côté comme ça d’impossible,
qui apparaît comme impossible après l’AVC, comme une réel sur lequel les patients viendraient
buter. Est-ce que c’est le même réel ou le même impossible que ce qui a présidé à la naissance du
sujet et à son maintien, je pense au refoulement originaire, c’est-à-dire que malgré cet AVC
subsisterait malgré tout un fondement du sujet qui resterait actif et que la rééducation viendrait
buter contre cet impossible primordial ?
Catherine Morin : Je ne sais pas si je dirais ça, mais je dirais que ce qui s’est constitué lors du stade
du miroir est là particulièrement défait, alors évidemment ça nous ramène avant mais en même
temps ce n’est pas entièrement défait. C’est défait pour ce qui concerne l’image du corps, mais ce
n’est pas défait pour l’identification du sujet. Alors il va y avoir une contradiction entre lui
dire : « Le corps ça va pas » alors qu’il n’a plus d’image pour dire :
« Je suis d’accord ou je ne suis pas d’accord. » Je ne pense pas que ce soit de l’ordre du refoulement
originaire.
Hubert de la Rochemacé : J’ai lu avec intérêt votre livre parce que je n’avais pas trop envie d’y
entrer à priori comme ça, je trouvais que c’était un domaine très spécifique, c’était un peu loin de
ma pratique, je n’ai pas de patient tel que vous en présentez et puis finalement, après la première
partie qui est un peu universitaire, dans laquelle il y a beaucoup de références, toute la deuxième
partie clinique avec les entretiens m’a beaucoup intéressé. La question que je voulais vous poser est
à propos de l’infantile. La désorganisation psychique, on pourrait presque penser à des principes
délirants que vous avez pu décrire tout à l’heure : cette femme qui prenait son bras à la fois pour son
bébé et pour le bras de sa fille, je me disais, on n’est pas dans la psychose.
Catherine Morin : Du tout.
Hubert de la Rochemacé : Ce qui m’apparaissait c’était la question de l’infantile. Je me disais au
fond que ces patients se présentent souvent, quelque fois avec agressivité devant vos questions,
devant le personnel soignant, disant : « Mais c’est évident, qu’est-ce que vous posez comme
question, vous ne voyez pas que c’est comme ci, ou comme ça » et je me disais qu’ils se
présentaient comme peut se présenter un enfant face au monde, face à l’étrangeté, face à l’étranger.
C’est-à-dire dans des processus de construction de la personnalité et ça m’a fait penser au stade du
miroir et à cette partie dont on ne parle pas beaucoup dans les stade du miroir, c'est-à-dire
l’agressivité, c'est-à-dire le fait que le patient ou l’enfant doit faire un processus d’extraction, il doit
rejeter quelque chose pour accepter quelque chose de son image. Et je trouve que ça apparaît dans
les exemples que vous donnez. Par exemple vous relatez le moment où cette jeune femme de quinze
ans se retrouve devant le miroir, souffrant d’un symptôme gravissime et qui finalement s’est
construit une figure imaginaire et qui, dans l’image réelle, cette fois, va se trouver confrontée à de
l’insupportable, pas tant de l’impossible que de l’insupportable. On voit bien que l’agressivité
apparaît à ce moment là : à la fois elle attaque son image et on peut voir dans votre livre que les
attaques se font sur le personnel, sur la personne qui questionne. Alors cet infantile est en œuvre. On
voit des patients qui régressent, qui se mettent à travers des jeux de mots, des productions, dans un
positionnement très infantile.
CM : Oui. D’ailleurs il y a des gens qui le disent. On est comme des enfants, on est contents quand
on nous félicite. En même temps, ce sont des adultes.
Hubert de la Rochemacé : Ils en reviennent à un processus qui a été déjà normalement effectué et
qui est arrêté. Et il faut repartir… Par exemple le fait que vous leur demandiez de faire des dessins,
ça peut laisser entendre cela. C’est rare de demander de faire des dessins à des adultes. En général
c’est utilisé avec les enfants.
X : On utilise cela avec les psychotiques et aussi la peinture.
CM : Quelque part j’ai dit que c’était des patients qui étaient des chimères. Il y a une moitié qui est
restée identique, les identifications sont restées ce qu’elles étaient et du côté de la représentation du
corps, ça ne colle plus du tout. L’agressivité, je la verrais plutôt d’un côté un peu paranoïde, c'est-à-
dire c’est mon image, qu’est-ce qu’ils ont à me dire que ça ne va pas. Du coup, ils m’insultent. Au
début, je n’étais pas très familière avec ces questions d’héminégligence et de difficultés avec le
schéma corporel. Je m’étais dit, je vais les écouter puisque personne ne les écoute.
Donc je n’avais pas tellement de soucis neurologiques en tête et je suis allée dans un service dans
lequel je n’étais pas connue et au début je me suis dit : « Ils sont vraiment salauds avec leurs
malades » parce que les plaintes des patients je les prenais au premier degré. Et au fil du temps, j’ai
compris qu’ils n’avaient aucun humour, bien qu’eux-mêmes pouvaient faire un humour absolument
sinistre sur leur propre cas mais si l’aide soignant maladroit va leur dire : « Bien, alors levez-vous,
je vous tiens, n’ayez crainte, je ne vais pas vous assassiner. » « Comment, il a osé me dire ça : je
ne vais pas vous assassiner ! Il ne voit pas que je fais des efforts, il n’est pas gentil avec moi. » Je
dirais que c’est presque paranoïde.
Bernard Frannais : Ça éclaire également sur cette question qui a l’air d’être à la mode sur la
représentation de soi. Qu’est-ce qu’on recherche à travers cette représentation de soi ? Est-ce
l’accord avec l’autre, un accord bienveillant, à partir du moment où ce qu’on nous renvoie n’est
plus conforme à ce qu’on en attend, alors ça débouche sur de l’agressivité. Cette thématique de la
représentation de soi a l’air de devenir envahissante.
CM : Facebook !
Bernard Frannais : Par exemple mais aussi les selfies, il y a nombre d’ouvrages qui en ce moment
sortent sur cette question et donc ce que vous nous amenez permet de préciser et d’éclairer ce qu’on
entend par la représentation de soi. C'est-à-dire ce qui normalement reste intriqué entre différentes
instances, va se mettre après l’AVC à être désintriqué et à paraître au grand jour : l’objet d’un côté,
l’image idéale de l’autre…
X : Il y a un dénouage.
CM : On voit que c’est complètement hétéroclite.
Bernard Frannais : Mais ce dénouage n’est pas complet, ce n’est pas de la psychose.
Solange Lemagueresse : Une partie du corps devient étrangère, voire persécutrice.
CM : Ce qu’il y a c’est que c’est des patients, si ça perdure… Parce que là, les trois patientes dont je
vous parle, c’est exceptionnel parce que d’habitude, on voit ça au début puis ça s’arrête. Là, elles
étaient chez nous et elles ont persévéré dans leurs convictions. Celle qui était jeune ne s’en est pas
trop mal sortie, mais les deux personnes âgées sont parties en maison de retraite. Mais on voit que,
bien que le déficit moteur soit très important, s’il n’y avait pas tout ça, on pourrait gérer. Mais les
gens sont devenus incapables de se débrouiller par eux-mêmes ; il y aussi peut-être d’autres raisons.
Hubert de la Rochemacé : Je trouve aussi dans ce que vous dites l’articulation entre le langage et le
dessin. On voit qu’à un moment donné il y a quelque chose qui est déstructuré du côté du langage.
Il y a quelque chose qui devient incohérent. On pourrait presque dire que c’est délirant. Il y a un
discours qui tient et puis d’un seul coup ça devient ce que j’appelle l’infantile, je pense aux
moustaches du monsieur qui a une espèce de posture, qui se présente facilement et puis hop ! d’un
seul coup il y a quelque chose qui vient déstructurer la bonne tenue dans le langage et pas seulement
dans l’image. D’où la question de l’articulation entre le discours et l’image, entre symbolique et
imaginaire.
CM : Pour le monsieur à la moustache, le ne le trouve pas trop incohérent.
Hubert de la Rochemacé : Son discours est plutôt du côté du déni, en disant qu’il n’était pas malade.
CM : Les autres patients commencent à « délirer » avec des guillemets surtout quand ça touche au
corps. Par exemple le monsieur qui est coupé en deux sur le dessin suivant. C’est un monsieur qui
s’est mis à manger comme un goinfre. Les ergothérapeutes disaient qu’il se remplissait les joues
comme un hamster avec les restes des repas, sa femme étant obligée de condamner le frigo avec une
chaîne tellement c’était terrible, eh bien lui, avec cette histoire d’être coupé en deux, lui, disait :
« Avant j’étais un type super normal, j’avais une femme et une maîtresse. » Il était super normal
parce qu’il avait deux femmes. Elles ne le savaient ni l’une ni l’autre, mais comme il était malade ça
c’est su et ça a fini par péter et donc maintenant il n’y en a plus qu’une. Donc maintenant il dit : « Je
suis normal ». Et puis il se dessine avec cette fente. Donc il y a un lien entre être deux fois normal et
cette division.
Bernard Frannais : Est-ce qu’il y aurait d’autres questions ?
X : Où vont les gens victimes d’AVC qui ne peuvent pas retourner chez eux ?
CM : S’ils ont plus de 60 ans, ils vont dans les EPAHD mais s’ils n’ont pas l’âge, alors c’est là que
ça se corse, bien qu’il y ait des dérogations.
Bernard Frannais : Je remercie Mme Morin d’avoir accepté notre invitation et d’avoir bien voulu
tenir cette conférence qui a été suivie avec grand intérêt et qui est une bonne introduction à votre
livre : « Schéma corporel, image du corps, image spéculaire » paru chez ERES en 2013.

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Quelques leçons de la neurologie : accident vasculaire cérébral, troubles de schéma corporel et narcissisme

  • 1. Conférence organisée par Alef-Ali Orléans le 22 novembre 2014 à la librairie « Passion culture » à Orléans Quelques leçons de la neurologie : accident vasculaire cérébral, troubles de schéma corporel et narcissisme. Par le Docteur Catherine Morin, neurologue, psychanalyste, ex-chargé de recherche Inserm, membre de l’Association lacanienne internationale. [J'ai commencé ma carrière à l'INSERM en 1977 dans le laboratoire de neurophysiologie clinique rattaché au service de rééducation neurologique de La Salpêtrière]. J'avais gardé ma consultation et j'ai fini par plutôt avoir envie d'entendre ce que les patients avaient à dire, j'étais déjà chargée de recherche à l'Inserm et j'aime autant vous dire que si j'étais rentrée, si j'avais voulu rentrer à l'Inserm sur ce programme, étudier le discours des patients cérébro-..., même en les qualifiant, ces patients, de "cérébrolésés", ça n'aurait jamais marché, et comme j'étais déjà chercheur et fonctionnaire j'ai pu rester à condition quand même, ce qui ne me dérangeait pas, de présenter quelque chose de justifié c'est à dire ne pas se contenter d'histoires de chasse, (« j'ai vu un malade extraordinaire qui m'a enseigné beaucoup de choses » ou même simplement « extraordinaire qui va vous fasciner ») ou de mes impressions mais, si j'avais une impression clinique, de la confirmer par des études ; Dans le livre c'est pas trop, c'est pas là dessus que l'on insiste le plus mais tout ce que je vais vous présenter sur les auto-portraits, c'est quand même une étude statistique, c'est à dire que je ne pars pas de l'idée que j'ai déjà, j'essaye de faire quelque chose d'un peu neutre et de voir ce qui sort, voilà. Alors ce service dans lequel j’ai travaillé il est, il reçoit, en gros il y a beaucoup de services de rééducation qui sont un peu plus polyvalents qui reçoivent des malades neurologiques et puis aussi des patients qui se sont cassés la figure, qui ont les deux jambes cassées, une fracture du col et qui ne peuvent pas rentrer chez eux tout de suite. Nous on est très spécialisés dans les choses neurologiques avec des troubles cognitifs importants, des patients, ça reste encore vrai maintenant qui ont des difficultés à rentrer chez eux parce que c’est vraiment lourd, ce qui est assez spécifique parce qu' il y a des patients qui restent là [--] longtemps --bien que, comment dire, la tendance actuelle c'est de ne pas avoir des malades qui restent longtemps, il faut que ça tourne--, la moitié en gros sont des patients qui ont des accidents vasculaires cérébraux et l'autre moitié des gens qui ont des traumas crâniens. Je vous parlerai que des accidents vasculaires cérébraux aujourd'hui parce que c'est avec ces patients- là que j'ai travaillé, c'est une problématique qui est différente de celle des traumas crânien. Les accidents vasculaires cérébraux, il y en a chez les enfants, il y en a chez les jeunes, il y en a chez les gens d'âge moyen mais c'est quand même beaucoup une pathologie sinon du troisième âge du moins de la fin de la vie active, c'est à dire, c'est quelque chose qui survient chez des gens qui ont eu une vie, qui vont la voir bouleversée par cet accident, qui, en principe, vont avoir des séquelles, mais ça ne va pas s'aggraver. Donc ce n’est pas une maladie dégénérative et ce ne sont pas non plus des gens qui ont eu un trauma crânien (c'est à dire des gens qui sont jeunes qui ont eu des lésions diffuses parce qu’un accident a secoué vraiment leur cerveau avec des troubles de connexions diffus qui peut être après sans aller de 1
  • 2. moins en moins bien, enfin vous rencontrez à la limite de plus en plus de problèmes parce que ça leur est arrivé quand ils étaient jeunes et qu'il y a toute la vie à faire comme ça). Donc c'est pas la même problématique, bien sûr il y a des choses communes, donc aujourd'hui on reste dans les AVC (accidents vasculaires cérébraux). Vous avez, si vous regardez votre première image, c’est un auto-portrait d’un patient hémiplégique en rééducation qui vous montre bien la problématique de ces patients dirons nous, ils viennent d’avoir un accident de santé grave, on a fait le diagnostic, on a mis en route le traitement, on a mis en route une prévention secondaire pour que ça ne se reproduise plus, ils vont avoir des séquelles sans ça ils seraient rentrés chez eux, mais on leur a pas encore dit "vous aurez des séquelles », bien entendu, on leur a dit "vous allez aller en rééducation pour aller mieux, vous allez faire énormément de progrès », ce qui n’est pas faux et ils viennent dans un service tel que le nôtre (si on pensait qu’ils ne rentreraient jamais chez eux ils seraient dans d’autres circuits, ils viennent parce que nous on pense qu’on va les remettre debout, on va leur permettre de rentrer chez eux, parfois on se trompe mais disons que globalement c’est l’idée). Donc ils arrivent, si les problèmes moteurs dominent, dans un fauteuil roulant mais c’est pas du tout leur destin, c'est simplement momentané, c'est une phase comme ça. Le Monsieur porte une écharpe parce que pour des raisons que je vais vous dire après, très souvent la main est plus paralysée, plus durablement que le bras, voire définitivement. Les AVC, c'est la première cause de handicap, c'est un problème de santé public réel, c'est la troisième cause de mortalité. Sur les AVC, il y a un tiers qui meurt, que nous on ne voit jamais, dans le premier mois, un tiers qui va rentrer chez lui sans séquelle, on ne les voit jamais non plus, nous, et un tiers qui va avoir des séquelles. Il y a 140 000 cas par an ce qui fait 360 personnes par jour en France qui font un AVC. Alors, c'est pas spécialement le lieu de dire ça mais c'est…. tous les lieux sont bons, vous devez avoir entendu à la radio ou à la télé la campagne actuelle de France AVC, les AVC sont parfois transitoires donc on est tenté de penser que pendant une minute j'ai pas pu bouger ou j'ai un côté qui fourmillait ou j'ai pas vu clair ou j'ai pas pu parler et ou j'ai bredouillé ou j'ai vu que la moitié des choses mais c'est fini c'est pas grave. Au contraire c'est là qu'il faut s'agiter même si c'est la nuit même si on était en train de faire un gueuleton parce que ça peut revenir, de toute façon que ce soit transitoire ou que ça persiste, un seul réflexe c'est le 15, il faut pas consulter son médecin traitant, au bout du fil du 15, il y a des gens qui sont capables de trier ce que vous leur racontez, si vous êtes complètement à côté de la plaque, si vous avez pas du tout un AVC ils 2
  • 3. sont capables de vous dire que ça doit pas être ça et si s'en est un, ils s'en occupent parce qu'il y a des techniques maintenant plus actives qu'autrefois où, quand on est transporté dans des délais suffisants dans un service spécialisé, il peut y avoir des traitements qui diminuent les séquelles. Et de toute façon, sans parler même de ça, un accident transitoire c'est quelque chose qu'il faut traiter immédiatement, bien que quand ça arrive, moi j'en ai fait l'expérience pour des gens proches, c'est pas du tout évident de se dire ben ça va mieux, on va quand même aller à l'hosto, il y a toujours quelqu'un pour dire on peut attendre demain, il se passera peut être rien mais ça peut aussi revenir en plus important donc ça c'est un message que l'on doit toujours faire entendre. Alors, un accident vasculaire cérébral, c’est focalisé, c’est pas une atteinte diffuse du cerveau, c’est une atteinte à un endroit du cerveau avec des troubles qui sont limités à certaines fonctions, tout est un peu lié certes, mais quand même ça va être limité à une… à certaines fonctions parce que les vaisseaux ont des territoires attitrés et que dans ces territoires les neurones se sont groupés en modules qui sont spécialisés dans tel ou tel traitement de l’information (de la sensibilité, de la vue….), de la commande motrice et aussi les fonctions intellectuelles et psychiques. Vous avez une photo d’IRM réalisé en urgence, juste pour vous montrer, peu importe, que c’est quelque chose de focalisé à un endroit, Ça peut être soit un territoire qui est mal irrigué c’est à dire un vaisseau athéromateux qui est bouché, ou alors, il était normal, mais il est bouché par une embolie qui est consécutive à une maladie cardiaque qui est venue du cœur. Ça peut être un gros vaisseau qui a un caillot qui est fragile, qui se délite, qui va lui aussi envoyer des embolies plus haut. Et puis, il y a des causes plus rares parce que si le sang caillotte trop ou pas assez il peut aussi y avoir des problèmes vasculaires, alors à ce moment là le cerveau est mal irrigué. L’image que vous avez là, c'est une image de mauvaise irrigation, si vous la regardez, quelqu'un qui s'y connaît, il sait quel est le vaisseau dont le territoire est bouché. Après il peut aussi y avoir un hématome, dans le cerveau un vaisseau se rompt, comme quand on a un bleu, mais un bleu dans le cerveau ça prend de la place, ça gêne, donc ça va avoir aussi des conséquences localisées, mais on ne va pas forcément retrouver un territoire vasculaire. Dans les deux cas ça arrive d’un seul coup. 3
  • 4. Le Monsieur que je vous ai montré, je vous ai parlé de la main, pourquoi la main est souvent définitivement paralysée parce que dans ces modules fonctionnels, il y a dans la commande et la sensibilité de la main, je ne sais pas si vous avez déjà vu dans des livres l’homoncule de Penfield, la zone de la main et de la bouche elle est hyper représentée sur la face extérieure du cerveau, comme ça, et le pied il est tout petit dans la face interne et il se trouve que le vaisseau le plus souvent bouché, comme celui que je vous ai montré sur cette photo-là, c’est l’artère cérébrale moyenne qui a un très gros territoire qui recouvre complètement celui qui fonctionnellement est la commande de la main. Le retour à domicile après un AVC (John Libbey Eurotext, 2009) Donc c'est pas obligé que l'on ait une paralysie de la main énorme parce que si on a une autre artère qui est lésée et que c'est un territoire beaucoup plus haut situé, ça sera le pied et alors on aura une problématique différente. Mais statistiquement c'est très souvent la commande de la main qui va être le plus gênée. Alors que pour la marche, il y a toutes sortes de possibilités dans le système nerveux quand même d'activité automatique pour la marche, qui se fait quand même à deux jambes, qu'il y a des organisations complexes, ce qui fait qu'il est la plupart du temps possible de faire remarcher quelqu'un même s'il n'a pas une force extraordinaire dans sa jambe paralysée alors qu'il est très difficile d'avoir une bonne commande de la main si on a pas un bon tonus, une bonne sensibilité, une bonne motricité, on peut avoir une main, très bien la commander, si on sent rien on a beaucoup de mal à s'en servir, donc c'est pour ça que le pronostic de la récupération du membre supérieur est une chose dont on parle pas tout de suite aux patients, en général, on attend qu'ils nous le demandent mais on est pas toujours très optimiste. On verra que la main, c'est un organe qui a beaucoup d'importance. L’hémiplégie, vous le savez ou je vous le redis, c’est la paralysie d’un bras, d’une jambe et d’une hémiface, du même côté et tout du côté opposé à la lésion, souvent c’est ce qu’on retient d’une hémiplégie, il a eu une attaque, il est paralysé d’un côté et il a la figure de travers, mais il y a plein de choses qui peuvent être associées : les troubles sensitifs, je vous ai dit, peuvent être très gênants, les troubles du tonus, le tonus va être exagéré sur les fléchisseurs et diminué sur les extenseurs, donc ça peut rendre l’utilisation et la réalisation des gestes différentes, c’est-à-dire que la marche va être la marche mais le patient va se déplacer, mais il va dire « ben non je marche pas parce que c’est pas comme avant », parce qu’il ne peut pas courir, parce que c’est raide parce qu’éventuellement ça va lui faire mal au bout d’un petit moment et donc ça va être assez compliqué, il peut y avoir des douleurs rhumatismales parce 4
  • 5. que le cerveau commande aussi les vaisseaux qui innervent les artères, les muscles et les os et puis il peut surtout y avoir des troubles cognitifs et des troubles intellectuels. Tout le monde sait à peu près que quand on a une hémiplégie droite on a des gros risques d’avoir une aphasie -- c’est pas obligé mais enfin….-- un trouble du langage, c’est-à-dire pas seulement des difficultés à s’exprimer mais un trouble qui peut gêner pour comprendre ce qu’on entend, pour comprendre ce qu’on lit, [–-], ça peut être difficile d’écrire, ça peut être difficile de s’exprimer de façon compréhensible il y a des patients qui ne parlent pas du tout et sans comprendre complètement tout ne sont pas trop gênés pour comprendre et puis il y a des patients, à l’inverse, peut être vous avez entendu parler de l’aphasie de Wernicke qui parlent sans arrêt, la grammaire a l’air correcte, les mots parfois sont les bons mais ça n’a aucun sens bien que l’intonation soit là, l’adresse à l’autre soit là, (c’est des gens qui, ça arrive encore qu’ils passent pour fous aux urgences mais c’est quand même de plus en plus rare) et puis très souvent il y a des mots qui n’existent pas, on parle de « jargon », des mots qui peuvent avoir un rapport soit dans la forme soit dans le sens avec ce que le patient veut dire mais c’est des mots qui n’existent pas, ça c’est pour quand l’hémisphère dit dominant est lésé. Quand les lobes frontaux ou les connexions du lobe frontal avec le reste du cerveau sont atteints, il y a énormément de troubles très variés qui vont perturber toute la vie relationnelle du patient parce que tout ce qui est prospective, programmer sa journée, se dire que ça il faut le faire avant telle chose, que ça il faut l'avoir fini à telle heure, que si je veux aller à la gym après le travail, il faut que j'emporte mon sac de gym et qu'il faut que je sois prêt à l'heure, tout ça, ça peut être très difficile à mettre en place pour des raisons organiques, pas parce que le patient il est déprimé ou parce qu'il veut rien faire ou qu'il profite de sa maladie pour buller, non il ne peut pas y arriver, il peut y avoir une agitation excessive, sans but, une distractibilité, on commence une conversation, quelqu'un parle d'autre chose, tout de suite il y a une digression et on en finit plus, on n' arrive plus à suivre, comme il peut y avoir une inhibition, une apathie, la personne qui reste tout le temps devant la télé, c'est pas obligatoirement parce que le patient est déprimé qu'il va rien faire, c'est qu'il ne peut pas se mettre en route. Et tout ça c'est quelque chose qui pour les jeunes va gêner les apprentissages par exemple.Alors dans les livres on trouve encore "la moria", des gens qui font des jeux de mots à tout propos, c'est un des aspects apparemment sympathique, très jovial du syndrome frontal mais ça n'en est qu'un aspect, Mais ce dont je vais vous parler aujourd'hui le plus c'est de ce qui va plus nous intéresser d'un point de vue psychanalytique, c'est tout ce qui touche à l'image du corps, aux identifications et ça c'est moi qui le dit avec ma culture analytique mais au premier abord ça se présente par des troubles du schéma corporel et de la représentation de l'espace, et c'est dû à des lésions de l'hémisphère droit. On appelait autrefois l'hémisphère droit l'hémisphère mineur,et si vous voyez il y a un article assez complet dans l'Encyclopédie Médico Chirurgicale qui s'appelle les syndromes majeurs de l'hémisphère mineur. Parce que, en réalité des gens qui ont en permanence des troubles de la représentation du corps, de l'espace, ça distord un peu tout leur rapport au reste, on s'aperçoit qu'ils ont de plus grandes difficultés à retravailler, même à avoir la vie qu'ils avaient avant, c'est aussi très handicapant bien qu'au premier abord ça ne se voie pas. La trajectoire d'un patient AVC donc je le redis, au début c'est quand même un risque vital, on sait que c'est quelque chose qui peut tuer, le patient ne se rend pas forcément toujours compte, mais sa famille on leur a bien expliqué : « attention les premiers jours il y a un cap à passer », « il a eu de la chance » « c'est un survivant », « il a failli mourir », et plus le patient est dans 5
  • 6. le coltar et moins il le sait et plus sa famille a entendu dire que c'était super dangereux. Ensuite il arrive en rééducation, là on lui a dit vous allez vous rééduquer mais, total, résultat des courses la rééducation ne peut pas…. (s' il est là c'est parce que il va avoir des séquelles) …. donc la rééducation va avoir des limites et on lui demande à la fois, en tout cas dans la façon dont nous on travaille maintenant après toutes ces années de travail en équipe avec tout le monde, on leur demande à la fois de faire des efforts parce qu'il faut gagner tout ce qu'on peut gagner et puis qu'il faut se réadapter et puis qu'il faut rentrer chez soi puisque la vie continue, et en même temps d'admettre que ça va jamais être comme avant, alors c'est quand même un petit peu difficile, on est dans les premiers mois après, le travail du deuil ne peut pas être aussi rapide surtout pour quelque chose qui n'est pas stable. Et puis nous, on est très contents en tant que médecins de la réadaptation on apprend plein de choses aux patients, à se débrouiller avec ceci avec cela, à faire avec, à compenser, mais il faut aussi qu'il accepte, que ça corresponde à sa façon d'être de s'en servir dans la vie quotidienne. Si bien que très souvent on voit des patients qui… On n’a pas le même regard du patient qu'on voit dans le service, qui vient à sa rééducation, ou qui même déambule entre les séances, il n’a pas la même démarche que le monsieur que l'on voit dans la rue qui lui veut aller prendre son métro, je parle pour les patients que l'on voit longtemps après et qui marchent souvent beaucoup moins bien que ce qu'on leur a appris à faire. Et puis après, un service de réadaptation qui se respecte il a aussi une perspective de réinsertion1 . Alors c'est forcément une expérience violente, le mot anglais c'est "strike" qui correspond au vieux mot français d'attaque, c'est à dire on prend un coup brutal, il y a aussi la possibilité d'avoir des crises d'épilepsie séquellaires2 ,et puis tous ces troubles neuropsychologiques il faut s'y adapter et faire avec. S'ajoute à ça une fatigabilité qui est très importante qui est beaucoup plus pénible pour les gens qui ont peu de déficit moteur parce que tout le temps que le patient est en fauteuil, qu'il ne marche pas, qu'il est centré sur l'hémiplégie, il n’a pas trop envie de faire quelque chose, la possibilité même, le loisir de faire d'autres activités et après à la sortie, on se rend compte que.. qu' on peut faire beaucoup de choses parfois mais il faut les découper en tranches parce qu'on est trop, on se fatigue très vite. Donc voilà, c'est ça la vie un peu concrète après un accident vasculaire (et peut être un trauma crânien aussi mais il y a des nuances…). Alors souvent je présente ça aux médecins, et donc je fais deux colonnes avec ce que c'est pour un neurologue un AVC et ce que c'est du point de vue psychanalytique pour un patient. Ici, je vais peut être faire l'inverse, tout le monde comprend que c'est un traumatisme et une perte. Alors il y a quelque chose de particulier qui moi m'a toujours étonnée, c'est qu'au point de vue du traumatisme ça donne, c'est rare que ça donne lieu à des manifestations très bruyantes de névrose traumatique, les gens ne font pas de cauchemars où ils revivraient en permanence la survenue de l'accident, il y a des gens qui vont raconter très souvent comment c'est arrivé, mais plus souvent d'ailleurs quand il y a eu une erreur médicale ou quelqu'un qui n'a pas fait attention, mais ça n'a pas ce côté vraiment violent de la névrose traumatique je trouve, de même, que les gens ne racontent pas d'angoisses sensationnelles au début même si ils n'ont pas de troubles de la conscience, même si ils ne sont pas 1 2 Donc c’est quelque chose que l’on ne peut pas annoncer aux patients parce que ça va arriver, il y a quelqu'un qui m'a dit l'autre jour "on m'avait jamais dit que je risquais de faire des crises d'épilepsie", ça doit arriver une fois sur dix, on les prévient pas, il y a dix pour cent de chance pour faire une crise d'épilepsie, quand on les voit c'est la cicatrice cérébrale qui est hyper sensible donc c'est une chose qui peut arriver 6
  • 7. anosognosiques, ils semblent pas très angoissés, ils constatent, peut être la sidération de la chose qui est très rapide. Bien sûr on s’attend à ce que ça entraîne une blessure narcissique, ça c’est obligé, on sait parce qu’on l’a tous entendu autour de nous que c’est une affection stigmatisante, quand à l’ouverture du service de neurologie vasculaire de l’hôpital Tenon, j’ai entendu le chef de service qui avait impulsé ça raconter les commentaires de ses collègues, en salle de garde : « alors comme ça tu vas t’occuper des légumes », c’est pas récent récent non plus c’est pas il y a cinquante ans. Mais il faut aussi comprendre qu’il y a ces troubles du schéma corporel, ces troubles de l’image de soi, la personnification des membres paralysés dont je vais vous parler après, tout ça, c’est des choses dont on a pas l’habitude en psychologie clinique courante, il y a des troubles neurologiques de la représentation de soi et des altérations neurologiques de ce qu’on pourrait appeler l’identité ou l’identification qui sont très différents de la blessure narcissique ordinaire et ça c’est l’existence ou non de ces troubles neurologiques de l’idée que l’on se fait de soi-même, ça tient à la localisation de la lésion ça tient pas à la personnalité antérieure du patient ça tient à où c’est que le caillot s’est propagé dans les artères, quel vaisseau a été bouché, essentiellement ça, après la sémiologie, enfin la formule de chacun d’exprimer ça, ça va être personnel mais la survenue de ce type de trouble avec des altérations de la représentation du corps de l’espace et de la représentation de soi c’est lié à une certaine localisation cérébrale, je vais y revenir longuement après mais en gros ça se passe à droite. Alors je fais une parenthèse pour les gauchers qui ont droit à ce qu’on parle d’eux, les gauchers c’est, parfois on pense que c’est à l’envers, c’est quand même exceptionnellement que c’est à l’envers, c’est-à-dire quelqu’un qui a une hémiplégie de droite il va pas avoir zéro troubles du langage et plein de troubles de la représentation du corps et de l’espace, mais il va avoir une aphasie qui va mieux régresser peut-être mixée avec quelques troubles du schéma corporel, peut être on va être obligé de rechercher parce que ça va pas se voir comme ça sur le devant de la scène, c’est plutôt que chez les gauchers c’est mélangé, mais c’est pas l’envers des droitiers. Voilà. Alors, on va commencer par la pathologie, celle que l'on va comprendre le mieux au premier abord, un AVC c'est une blessure narcissique. Je présente toujours aux médecins et aux neurologues mais j'ai voulu le lire aussi à vous parce que je trouve que c'est assez fantastique ce texte d'une personne qui a eu quelque chose d'entièrement périphérique sans lésion cérébrale, une jeune femme qui fait un mal de Pott dans l'enfance, qui passe de l'âge de cinq ans, je crois, jusqu'à son adolescence couchée, comme c'était autrefois, dans une coquille à plat, avec une famille très aimante qui la traite tout à fait gentiment, normalement, qui lui donne des papiers pour qu'elle puisse dessiner et elle deviendra peintre après, une petite fille heureuse... Et elle raconte, elle dit : je voyais quelque fois, il y avait un bossu qui boitait un peu qui venait... Je crois que le titre c'est "The little locksmith ". C'est un serrurier qui venait graisser toutes les serrures de la maison et elle sentait qu'il y avait un mot qu'elle ne pouvait pas dire, peut-être infirme, pour ce petit jeune homme qu'on traitait avec beaucoup de commisération et c'était à des lieux pour elle, c'était à des lieux de distance de sa situation à elle. Donc, elle dit :"quand enfin je pus me lever et marcher, je pris à la main une glace et j'allais vers un miroir en pied pour me regarder et j'y allais seule, je ne voulais pas que quelqu'un, surtout pas ma mère, puisse savoir ce que j'éprouverai quand je me verrai pour la première fois. Alors" 7
  • 8. surtout pas ma mère" ça ne vous étonne pas mais ce texte là, je l'ai lu pour la première fois en traduction française, fait de telle sorte, comme ça venait de l'anglais, que je ne pouvais pas savoir si c'était homme ou femme, l'auteur et c'est dans un livre d'un sociologue Goffman qui parle des usages sociaux du handicap et il explique très clairement qu'il ne veut pas parler des problèmes psychologiques du handicap, il ne veut parler que des problèmes sociologiques et par conséquent, très honnêtement d'ailleurs , il a mis des braquettes et il a enlevé "surtout pas ma mère". Alors: "cette personne dans le miroir, ça ne pouvait pas être moi, intérieurement, je me sentais quelqu'un d'ordinaire, en bonne santé, veinarde, pas du tout comme celle du miroir. Sans cesse, j'oubliais ce que j'avais vu dans le miroir, cela ne parvenait pas à pénétrer à l'intérieur de mon esprit et à devenir partie intégrante de moi-même, j'avais l'impression que ça n'avait rien à voir avec moi, ce n'était qu'un déguisement, on me l'avait mis sans mon assentiment et à mon insu comme dans les contes de fées, c'était moi qu'il trompait sur ma propre identité". C'est pour ça que Goffman avait repris ça, à cause de cette allusion à l'identité, je pense. « Je regardais dans le miroir et j'étais frappée d'épouvante parce que je ne me reconnaissais pas (avant, elle n'avait jamais vu). A l'endroit où je me tenais avec en moi, cette exaltation romantique persistante qui me soufflait encore que j'étais une personne favorisée par le sort, à qui tout était possible, je voyais une inconnue, une petite silhouette pitoyable, hideuse et un visage qui à mesure que je le fixais, se tordait de douleur et rougissait de honte ». Voilà! X : Quel âge ? Catherine Morin : 15 ans ! Alors ensuite c'est quelqu'un, il faut imaginer qui devait être presque naine après avoir eu une maladie comme ça, osseuse et qui est devenue peintre, qui s'est mariée, qui a divorcé, qui a écrit un livre enfin qui a mené une vie de femme active, normale, complètement comme elle dit :" Cette exaltation romantique qui me soufflait que j'étais une personne favorisée par le sort". Donc ça, ça me permet d'illustrer quand même cette idée qu'il y a les mots, ce pôle d'attributs, que l'enfant et pour les parents, ces attributs qui vont lui fixer son idéal du moi et il faut que ça corresponde à un moi idéal, à un moi du corps qui soit une image du corps qui soit quand même un peu cohérente, ça ne peut pas aller « veinarde et favorisée par le sort » avec " je suis rabougrie et j'ai une cyphose terrible". Au départ, ça ne peut pas aller comme ça, il va falloir faire du travail pour accepter de continuer à vivre comme ça. Alors, on va revenir aux patients hémiplégiques qui peuvent tout à fait s'inscrire dans cette problématique normale, ils ne vont peut-être pas le dire d'une façon aussi extraordinaire que cette personne. -Je ne ressemble pas à la personne que j'étais!" m'a dit une patiente l’autre fois "Oui, je n’aime pas me regarder dans le miroir, vous savez..... -Pourquoi ? -Mon reflet est grisâtre et puis je ne ressemble pas à la personne que j'étais. » C'était quelqu'un qui avait vraiment un déficit léger et une paralysie faciale très, très, très discrète. Récemment, il y a un patient qui travaillait en rééducation, donc, les kinés à force d'entendre parler du stade du miroir, ils lui demandent, parce qu'on travaille au miroir en rééducation par contre, pour la stature, pour maintenir sa position, il lui dit: "Alors qu'est ce que vous en pensez de travailler devant le miroir, qu'est ce que ça vous fait ? " Il lui dit : "Ah bien je vois que je suis encore mignon ! Je me trouve mignon ". Donc, il me raconte ça et puis je revois le patient pour autre chose, on reparle de ça et il me dit :" Dans le miroir, je vois que je suis foutu !" Donc, on voit très bien cette dimension de l'image où il y a quelque chose qui ne se voit pas, "être foutu" ça ne peut pas se voir sur un miroir, d'ailleurs même l'hémiplégie à la limite ne se voit pas forcément tant qu'on ne bouge pas mais donc cette image, c'est ou je suis mignon ou je suis foutu mais ça n'a pas à voir directement avec 8
  • 9. le corps. D'autres patients qui disent : "De se voir comme ça, c'est pas la peine de tourner, on est des épaves ". Alors, vous entendez en plus le passage, elle n'insiste pas beaucoup mais dans le livre, j'avais fait un travail systématique sur les je et les on. J'ai zappé ici mais il y avait le truc typique, c'est:" je suis gênée, je suis surtout gênée." La personne, je lui demande tout à fait au début:" Voulez vous me parler de ce qui vous arrive ? Je suis surtout gênée parce que moi qui aime aider les autres, être tributaire des autres, ça gêne beaucoup de se voir comme ça ". Donc, c'est moi , moi je pense, moi je suis gênée, on est tributaire des autres et pour parler du corps, peu de choses :"ça répond pas , ça remue encore un peu , ça répond pas et puis très souvent revient pour la main paralysée surtout, "elle est morte" mais la plupart du temps, c'est pour dire : elle bouge pas eh bien oui elle est morte, elle bouge pas mais ce n'est pas qu'elle soit ni froide ou mal vascularisée, elle est morte parce qu'elle bouge pas . Je vais vous exposer ici quelques traits d'un entretien un petit peu suivi avec un patient qui avait aussi fait un dessin. C'est un monsieur, c'est des propriétaires, des commerçants , son grand-père était commerçant son père a repris l'affaire, lui, il a continué , il a amassé plein d'argent, il a une grande maison il reçoit plein de monde, les enfants, les petits enfants, il est généreux puis il n'y va pas par quatre chemin, il s'est marié en trois mois, il a rencontré sa femme en Amérique du sud, soit dit en passant, il y a une quantité phénoménale de psychanalystes qui racontent des conneries, m'a-t- il expliqué, il l'a épousé à New York trois mois après, donc c'est un monsieur très décidé. Donc il fait un dessin où je suis assez étonnée, il commence par faire sa tête, il fait une moustache et lui n'en a pas, alors, je lui demande pourquoi et il me dit : « je l'avais mais je l'ai rasée hier, ça n'a aucune importance, ça repousse! Cela a tellement peu d'importance qu'il a toujours eu une moustache sauf, il a fait un pari stupide quand il avait vingt ans et puis là, il vient de la couper mais ça repousse. Puis, il fait un dessin où il est un peu comme çà, je lui demande pourquoi, je fais bien de me taire parce que pour moi j'avais l'impression que c'était comme une silhouette un peu comme ce qu'il y a sur le macadam quand quelqu'un a été renversé par une voiture....j'étais plutôt dans le sinistre et donc il me dit "moi, je suis quelqu'un qui a les bras ouvert" et c'est là qu'il me raconte toute sa générosité, ses richesses qu'il fait partager à tout le monde . Il ne parle pas du tout de son hémiplégie, de maladie tout ce qu'il dit c'est qu'il a une sténose œsophagienne donc c'est très gênant parce qu'il a un petit diverticule aussi, alors, des fois, il régurgite, alors vous vous rendez compte si je suis à table avec des jolies voisines, c'est quand même, dans une conversation agréable, je vais leur vomir dessus, c'est pas bien! Donc, on voit son coté, on va dire peut-être l'importance de l'objet oral et puis le coté, quand même un homme viril qui veut séduire les dames et qui y arrive probablement. Finalement, je suis bien obligée de l'interroger sur son hémiplégie puisqu'il ne m'en parle pas. C'est un monsieur qui est dans un fauteuil roulant, qui a un certain âge, qui a une maladie de cœur qui n'est pas du tout réglée, qui a le cœur très arythmique et qu'est-ce que c'est que cette hémiplégie pour lui et il me dit:" je ne pouvais plus communiquer mes volontés ". Alors, c'est un monsieur qui n'a aucun trouble du langage, vraiment mais qui a été mutique parce que c'était la commande de la bouche qui était perturbée au départ, donc il était mutique, il ne pouvait plus communiquer ses volontés. Donc à la première permission, il est rentré chez lui et il a transféré tous ses pouvoirs à sa femme, je ne pense pas que ça l'amusait beaucoup mais il a transféré ses pouvoirs. Et alors, autrement qu'est ce qu'il en a pensé d'avoir cette hémiplégie ?" Je n'ai plus rien, je n'avais plus rien". Ce n'est pas la première fois que j'entends ça: "je n'ai plus rien" Qu'est ce que ça veut dire ?" Eh bien avant, j'ai beaucoup maigri", alors, ça c'est vrai qu'au bout de dix jours de soins intensifs les gens ont maigri, nous on ne le sait pas parce que on les connaissait pas avant," j'ai beaucoup maigri, avant j'avais la rondeur qui séduit". Donc de nouveau, on revoit ce truc que c'est les mots du corps qui comptent, l'hémiplégie en elle- même, on ne va jamais, jamais, en entendre parler mais on va rester dans quelque chose qu'on comprend bien, auquel les cliniciens sont habitués c'est à dire un idéal qui va maintenir le 9
  • 10. patient, même si son moi idéal il n'est plus trop accordé, il se maintient comme un homme généreux, rond en affaire, rond en famille, rond pour séduire qui va transférer ses pouvoirs et puis, ma foi, continuer à vivre avec toujours ses mêmes intérêts. Donc, c'était au cours des premières explorations que j'avais faites et moi, ce qui me gênait la dedans c'est que je n'entendais jamais parler de l'hémiplégie, en tant que neurologue, on peut encore dire que c'est le neurologue qui a à s'occuper de l'hémiplégie, le malade, il n'en parle pas mais je n'entendais pas parler du corps. C'est quand même un peu étonnant alors que le corps est devenu asymétrique, il fait mal, il est raide et en particulier pas de la main. Ce monsieur, il avait dessiné une tête enfin, sur son portrait, il n'y avait pas de bouche, alors, est-ce qu'on va dire c'est l'image du mutisme ? Les mains étaient très mal faites de toute façon et pas totalement symétriques, est-ce qu'il y avait l'hémiplégie dessus ? Tout ça, on ne sait pas, c'est pour ça, je vous parlais d'études scientifiques, il y a déjà eu des articles de gens qui disent : voilà, j'ai fait dessiner des hémiplégiques, le dessin d'hémiplégiques, j'ai pris quatre hémiplégiques et je les ai fait dessiner. Non, on peut dire c'est le dessin de l'hémiplégique si on a fait dessiner des gens qui n'ont pas d'hémiplégie et si on a fait dessiner diverses sortes d'hémiplégiques. Donc, c'est pour ça que, à ce moment là, je me suis décidée à faire dessiner tout le monde et en triant vaguement les dessins que je gardais pour la recherche de façon à prendre des patients, par exemple qui n'avait pas une maladie mentale, qui n'étaient pas handicapés par autre chose avant, qui n'avaient pas 98 ans qui avaient une seule lésion cérébrale, que c'était la première pour ne pas compliquer avec des facteurs surnuméraires. Donc, je me suis mise à la suite des entretiens que j'avais toujours avant, des entretiens qui sont, comment dire ? Je ne sais pas si vous avez certains d'entre vous assisté aux consultations de Bergès qui était un neurologue d'enfants, psychanalyste d'enfants et je me suis aperçue, comme je le faisais, il avait un interrogatoire stéréotypé, si on va par là à chaque fois avec toujours des digressions particulières selon l'enfant mais sa direction générale, c'était toujours la même. Donc, moi, j'avais une espèce d'interrogatoire : " Parlez moi de ce qui vous arrive, quel effet ça vous a fait ? Est ce que vous croyez que c'était grave? Comment ça va aller à votre avis et ici comment c'est, on s'occupe bien de vous ? Est ce que les gens, il y en a que vous préférez, que vous ne préférez pas, est ce que les séances sont pénibles? Qu'est ce qu'on y fait, Qu'est ce que vous en pensez ? Est ce que vous dormez bien, est ce que vous rêvez? " Et après, je me suis mise à terminer ça par: "Est ce que vous voulez bien, c'est pas obligatoire, vous pouvez refuser, me faire un dessin qui vous représente vous?" Alors, il y a des gens qui commencent par autre chose que de se dessiner en pied, je les laisse faire et puis après, je leur dis :"Mais moi ce que je voudrais, c'est un dessin du corps des pieds à la tête, d'ailleurs c'est marrant, moi , je dis toujours des pieds à la tête et tout le monde commence par la tête. Alors, ce que j'ai fait, souvent les gens s'arrêtent et je leur donne un crayon d'une autre couleur ,voir s'ils veulent rajouter quelque chose parce que comme vous le verrez la plupart des dessins sont incomplets, on s'étonne dans notre idée de ce que devrait être un dessin normal , on est un peu étonné, donc " Est ce que vous voulez rajouter quelque chose? " et avec la deuxième couleur on peut voir ce qui a été rajouté et puis j'écris tous les commentaires aussi vite que je peux, je ne fais pas d'enregistrement parce que ça m'énerve et puis, il faudrait demander l'autorisation, faire signer des papiers, s'engager à je ne sais quoi, donc, je ne le fais pas et comme maintenant, je suis à la retraite, on ne m'obligera plus à le faire ! Donc, vous en avez des autoportraits à la deuxième page, je pense, ceux du haut, c'est les autoportraits normaux. Donc, pour ça, les autoportraits normaux, je me suis adressée à des gens qui venaient en visite, soit des familles ou des visiteurs des patients, des soignants qui s'occupaient des patients, on peut dire que tout ce monde là n'est pas vraiment indifférents par rapport à la chose mais, enfin, à la limite tant mieux. Et puis aussi, on a été dans une consultation de gériatrie, où les gens venaient pour des affections de tout venant et où ils étaient très habitués à répondre à tout un tas de questions parce que à sainte Perrine, on les interviewe à qui mieux 10
  • 11. mieux sur le contenu de leur frigidaire, de leur armoire à pharmacie, la fréquence de leurs sorties et pour une fois, on leur a demandé de se dessiner et puis voilà ! Alors, vous les avez ces dessins, vous voyez, qu'est ce qu'on peut dire ? On est un peu étonné, le petit a , c'est un professeur à l'université qui me dit : « Tu sais, ma mère m'a toujours dit que j'avais les oreilles décollées », eh bien nous les voyons! Le d , c'est un portrait tout nu, c'est rarissime, je dis qu'il est tout nu parce qu'il y a un tout petit trait qui viserait pour ce monsieur à dessiner le sexe mais ça , c'est tout à fait exceptionnel! Ce qu'on s'attendrait le plus normal, ce qui est le plus fréquent aussi, c'est quand même, la dame du petit e, où tout y est, les habits, les oreilles, les cheveux, les traits du visage mais les mains ne sont pas, si c'était assez gros vous le verriez, elles sont assez elliptiques et c'est dans quatre-vingt trois pour cent des cas comme ça! Il y a un dessinateur sur six qui ne fait pas les mains du tout, c'est à dire que vous avez les bras qui s'arrêtent là ...? Les mains, c'est très compliqué. Vous avez lu le livre avant ? Non, oui! Vous l'avez lu ! Figure extraite de Schéma corporel, image du corps, image spéculaire. Neurologie et psychanalyse, Erès, 2013 11
  • 12. Parce que c'est ce que disent les gens, les mains, c'est très compliqué! Moi, quelque part ça me fait rire, parce que les yeux c'est très compliqué aussi et ça ne dérange personne. « Ah ! je vais faire les yeux, je vais lui faire un tel ou tel regard » ..Personne dit : Je ne pourrai jamais faire les yeux ! Par contre, il y en a qui ne font pas la bouche, vous les avez en haut à droite et c'est essentiellement des patients âgés et déprimés, on y reviendra après pour les patients. Alors, vous voyez, ces dessins, ils ont quand même un rapport avec l'image du corps et pas là ce qu'on en voit ou ce qu'on en sent puisque... je ne vous l'ai pas montré, ils n'y sont pas ceux- là , il y a Gerda Alexander qui est une kinésithérapeute qui avait inventé l'eutonie, une technique de rééducation qui a beaucoup plu aux musiciens pour garder des bonnes attitudes pendant qu'ils sont au violon, au violoncelle ou au piano, cette femme là quand elle recevait les gens, elle leur demandait de se dessiner, dessiner ce qu'ils sentaient de leur corps et elle avait quand même une clientèle beaucoup de kinésithérapeutes, de médecins, de gens qui faisaient de la danse, enfin des gens qui avaient appris l'anatomie et premièrement quand ils faisaient un dessin de leur squelette, ils faisaient toutes les erreurs que font tout le monde, c'est à dire que les côtes sont horizontales ce qu'elles ne sont pas du tout alors qu'ils avaient appris ça à l'école, ils continuaient à le faire et deuxièmement là, j'ai des photocopies, quelques exemples de dessins on a les paupières, la langue. Il y a quelqu'un qui fait ça : Qu'est ce que vous sentez de votre corps? Les paupières et la langue ! Enfin, il n'y a rien, il n'y a rien qui ressemble à un corps. Bon ! Là, je ne demande pas : Qu'est que vous voyez de votre corps ? Les gens font une représentation qui est complexe finalement, puisque...Là, j'en ai deux exemples que je montre très souvent, c'est une dame qui se dessine, elle dessine bien, elle fait un dessin et il y a un sein, un sein très bien dessiné, vous l'avez là. Et je lui dis : "Ah bon pourquoi vous faites un sein ?" « Ah, je ne l'avais pas vu que j'avais fait ça mais je suis allée voir mon amie hier, on lui a enlevé un sein, elle avait un cancer" Figure extraite de Schéma corporel, image du corps, image spéculaire. Neurologie et psychanalyse, Erès, 2013 Et puis, le monsieur qui se met un chapeau : « Ah bon, vous portez un chapeau, alors, d'habitude ? "Ah non, jamais, c'est mon père ! " C'est un monsieur qui a 77 ans, son père était médecin de campagne, il avait des souvenirs d'enfance, il sortait la voiture à cheval pour aller 1
  • 13. voir ses patients avec son chapeau parce qu'on ne peut pas voir un médecin sans chapeau, ça date ! Mais 77 ans ! On lui dit dessiner vous vous- même et il met un chapeau! Figure extraite de Schéma corporel, image du corps, image spéculaire. Neurologie et psychanalyse, Erès, 2013 88 Donc, on a quelque légitimité à penser que ça a un rapport avec l'image spéculaire autant qu'avec la représentation cognitive du corps ce type de dessin…. Alors, pourquoi est-ce que les mains sont mal faites et que c'est si compliqué de les faire ? Je ne suis pas la première à avoir vu ça, Karen Machover, qui avait fait le test de dessiner une personne, enfin, en général les gens ne demandent pas directement de se dessiner soi-même, c'est réputé extrêmement brutal et violent, on ne le fait pas, mais enfin bon. Elle, elle disait dessiner une personne, dessiner un homme, dessiner une femme, jamais dessine toi toi-même elle disait, de toute façon, moi, la représentation des mains et des doigts, je ne m'en occupe pas, ça ne compte pas, ce n'est pas des anomalies que je considère, c'est en anglais, c'est des « popular problems », c'est des trucs totalement banals, ça ne vaut pas le coup de s'y intéresser d'un point de vue psychologique, elle avait quand même une explication un peu psychologique, la société américaine est tellement compétitive et appelle tellement à toujours faire mieux que aucun américain moyen ne peut être à la hauteur de ça et c'est pour ça que les gens ne font pas les mains, ce que confirme finalement les patients en disant : C'est trop compliqué ! X : Mais même dans les écoles de dessin, quand ils doivent dessiner les mains, c'est très difficile ! Mais n'importe qui ferait ça mieux que moi, mais mon neveu dessine mieux que moi, parce qu'on dessine avec les mains aussi, donc tout ça, c'est quand même une affirmation de 2
  • 14. l'incomplétude, je suis pas à la hauteur… Il y a même une dame qui fait un truc assez rigolo, parce qu'elle dit :"c'est très difficile à dessiner les mains, j'adore sur les peintures, justement les mains et moi je trouve que c'est rien, c'est du gribouillis, ce ne sont pas des mains actives ce sont des mains de rien du tout, ce ne sont pas des mains, ce sont des gants". Et c'est une personne qui n'a pas d'infirmité! Ce sont des gants, il y a une élégance parfois de la main qui est magnifique, Léotard, c'était le ministre à l'époque, Léotard ne m'est pas sympathique mais je lui trouve des mains magnifiques, des mains d'artiste ! Moi, je n'ai pas de belles mains, et ma nièce, l'autre jour, j'ai vu ma nièce une femme absolument remarquable, j'ai vu ses mains et je me suis dis : « Quel dommage, cette femme qui a une telle qualité, ce n'est pas juste qu'elle aie des mains comme ça ! » Donc, ce n'est pas compliqué de faire équivaloir cette absence des mains à quelque chose du niveau de la castration, personne ne peut-être assez bien, assez à la hauteur de son image idéale pour se faire des belles mains, c'est pas possible ou alors , il faut avoir pris des cours à l'école de dessin . Figure extraite de Schéma corporel, image du corps, image spéculaire. Neurologie et psychanalyse, Erès, 2013 Alors, la bouche, pourquoi, elle n'y est pas, j'ai dit, c'est déjà connu dans la littératurel'absence des traits du visage, ça se voit beaucoup chez les personnes déprimées d'ailleurs la dame du petit d qui s'était fait d'ailleurs, je ne sais pas pourquoi, deux sacs à main , elle avait perdu sa fille dans des circonstances très tragiques et elle disait qu'elle n'avait jamais pu pleurer et qu'elle n'aimait pas parler parce qu'on est maître des paroles qu'on n'a pas dites et on est esclave des mots qu'on a prononcés. Là, on voit qu’il y a un sens de ne pas les faire. 3
  • 15. Donc, déjà pour ce qu'on peut penser d'un rapport au corps normal, on apprend déjà quelque chose là. On n'aurait pas fait ça, on aurait dit il n'y a pas les mains parce qu'ils sont paralysés c'est très important de savoir à quoi l'on compare les choses que l'on étudie. En vrai, j'ai fait ça parce que j'ai voulu montrer à un patient qui ne comprenait pas ce que je lui disais ce que c'était de faire son autoportrait et j'ai tellement mal fait les mains que je me suis dit là, il y a quelque chose qui ne va pas, moi je suis gauchère et il y avait quatre doigts à la main gauche, il faut voir ce que font les gens normaux parce que j'ai continué à considérer que j'étais normale ! Qu'est ce que font les malades ? Comment j'ai procédé ? J'ai donc pris ces quatre-vingt dix- huit sujets normaux dont je vous ai parlé là et puis deux cents patients dont, il y en avait, je n'ai plus les chiffres là, on va dire, cent cinquante qui avaient des lésions cérébrales et cinquante qui avait des paraplégies par exemple. Ces patients, ils sont paraplégiques1 , c'est neurologique, ils ne peuvent pas bouger mais ils n'ont pas de maladies cérébrales et dans les hémiplégiques, il y en avaient qui avaient des lésions droites, d'autres des lésions gauches. Évidemment l'idée au départ , cela aurait été de comparer les groupes les uns aux autres , mais je n'ai pas fait comme ça parce que les statisticiens m'ont dit , d'abord un dessin il faut le caractériser, donc , on va le décrire, il va avoir plein de caractéristiques, on va les comparer deux par deux, on va faire une multitude de CHI2 et si on fait ça , on va forcément avoir 5 % de trucs qui vont avoir des relations qui seront liées au hasard et on ne saura pas quoi en faire, donc on prend une autre technique, ce qui est intéressant parce que avec cette technique on n’a pas d'a priori sur la pathologie. On mélange tous les dessins, on les décrit. Il y a la bouche, il n’y a pas la bouche, il y a les mains, il y en a une, il y en a deux, il y a les doigts, il n’y a pas les doigts, il y a les traits du visage, il y a les habits, il n’y a pas les habits, c’est vertical, ce n’est pas vertical, c’est symétrique en gros, ce n’est pas symétrique, il y a les yeux. Enfin bon ! Donc ça fait des oui et des non. Et puis on ne regarde pas la fréquence de chaque trait, on regarde comment il contribue à différencier les dessins les uns des autres. Quels sont les traits – par exemple bouche, pas de bouche, mains pas de main – qui sont les plus différemment répartis dans la population. Je vous dis ça parce que c’est ce qui est apparu comme ça en les moulinant. Ce sont les deux premiers – il y en a plein d’autres – facteurs qui différencient les dessins les uns des autres, c’est la représentation de la bouche, c’est la représentation des mains. Donc on a une espèce de diagramme : il y a un axe bouche plus, moins, il y a un axe des mains, plus moins. Les dessins vont se répartir dans cette espace à deux dimensions mais dont les statisticiens pourraient mettre en trois ou quatre dimensions s’ils ajoutaient d’autres facteurs. Si tous les dessins sont pareils, on aura une boule centrée, tout est pareil, il n’y a pas de différence. S’il y a des différences, le dessin s’étire dans un sens ou dans l’autre et chaque dessin a une place dans cet espace. Et puis on décrit aussi les dessinateurs , leur pathologie, leur âge, leur sexe, leur niveau d’étude ou leurs troubles cognitifs qui sont discriminants. Mais ce sont les caractères des dessins et non des dessinateurs qui sont discriminants. Après, du coup on peut regarder : ces dessins là, qui les a faits ? Donc on a trois groupes de dessins. On a un énorme groupe de dessins « normaux ». Il est tellement énorme qu’il est beaucoup plus grand que..., il comprend les dessins des quatre vingt dix huit personnes dont je vous ai parlé mais aussi une centaine d’autres. Ces cent autres sont forcément des malades, y compris des hémiplégiques. Ça veut dire déjà : un patient avec des lésions cérébrales, il est parfaitement capable de faire un dessin qui est exactement pareil que s’il n’avait rien du tout. Déjà c’est important. Après il y a un autre groupe, quand je dis les groupes, c’est le logiciel informatique qui les met en évidence, qui « diagnostique » quels sont les dessins qui sont les plus différents des autres. Il 1 Paraplégie : paralysie des deux membres inférieurs par lésion de la moelle épinière 4
  • 16. y a donc le groupe des dessins normaux. Il y a un autre groupe de soixante-dix dessins qui est un groupe de dessins où manquent les deux mains ou la bouche, ou les deux mains et la bouche, pas dans tous les dessins mais plus fréquemment, plus fréquemment que chez les sujets normaux. Et ce dessin-là, qui l’a fait ? Quels dessinateurs sont là-dedans ? Il y a des patients qui ont des lésions de ma moelle épinière, des paraplégies, des lésions traumatiques et aussi des patients qui ont des hémiplégies droites et qui n’ont pas de trouble du schéma corporel. Et un troisième groupe plus petit de gens qui font des dessins complètement asymétriques. Pour l’instant on va dire complètement anormaux, n’importe qui va dire : « non ça ne va pas, ce n’est pas un dessin normal » et ces gens là sont ceux qui ont un trouble du schéma corporel sur lequel je vais revenir. D‘ailleurs, je vais commencer par là. Donc qu’est-ce que sont ces troubles du schéma corporel dont je vous ai parlé depuis le début ? Ça arrive quand les patients ont des lésions de l’hémisphère droit et il y a un certains nombres de caractéristiques. Il y en a qui sont connus des neurologues, c’est ce qu’on appelle le syndrome hémisphérique droit qu’on trouve décrit dans l’article de l’encyclopédie médico-chirurgicale. Le premier, le plus connu, le plus étudié parce qu'il est persistant, il peut durer des mois, des années, parce qu’il se prête à des explorations papier-crayon, c’est ce qu’on appelle la négligence unilatérale, gauche en général, c’est le fait de ne pas prêter attention, de ne pas réagir aux stimuli qui viennent de la gauche, qu’ils viennent de l’extérieur ou qu’ils concernent le corps propre du patient. Parfois on dit : forcément il ne regarde pas à gauche à gauche de son hémianopsie, dans son champ visuel gauche il ne voit rien. Quand on ne voit rien dans son champ visuel gauche et qu’on n’a que ça, on dit je ne vois pas, donc je regarde. L’héminégligence, ce n’est pas ça. C'est-à-dire que ce qui vient de la gauche, que ce soit d’ailleurs visuel ou auditif, ça m’intéresse moins que ce qui vient de la droite. Il y a un patient qui m’a…, ça fait des années que je demande aux patients qu’est-ce que c’est pour eux et en général ils ne peuvent pas répondre et l’autre jour un patient qui devait savoir que je venais parler, il m’a expliqué : « les gens, je les vois mais je ne les englobe pas dans mon environnement ». Donc c’est moins intéressant, moins net, plus flou, ce n’est pas dans son environnement. Je pense que c’est une excellente définition : « Je ne les englobe pas dans ma vie ». C’est quelque chose qui est absolument lié au fait d’avoir une lésion dans certaines zones du cerveau droit. Quand on fait dessiner les gens qui ont ce trouble, que ce soit de mémoire ou de copie, ils vont faire la moitié droite et pas la moitié gauche. Des marguerites coupées au milieu comme vous le verrez dans le bouquin. Vous verrez aussi que c’est rarement la moitié, ce n’est pas vraiment la moitié. 5
  • 17. Figure extraite de Schéma corporel, image du corps, image spéculaire. Neurologie et psychanalyse, Erès, 2013 6
  • 18. On avait photographié un monsieur en cuisine par exemple, vous avez un modèle, avec un plateau qui va dans le four avec une douzaine de ronds de pâte pour faire des petits gâteaux, si vous regardez bien la photo, vous verrez qu’entre les deux photos la main du monsieur a glissé et la main gauche, il ne s’en est pas occupé. La douzaine de ronds pour préparer les petits gâteaux est toute, pas la moitié mais en tout cas les trois quarts, dans la moitié droite, si bien que ça se mélange. Figure extraite de Schéma corporel, image du corps, image spéculaire. Neurologie et psychanalyse, Erès, 2013 Ça a des conséquences dans la vie de tous les jours pour se raser se maquiller. On peut voir des dames qui n’ont qu’un œil maquillé, des messieurs qui se sont rasés qu’à moitié… quand les gens sont aux toilettes, ils ont mal remonté d’un côté la moitié du pantalon, ils peuvent se cogner, tourner en rond, tourner vers la droite ou se cogner par la gauche ; c’est vraiment quelque chose qui nécessite du temps, de la rééducation dont les gens ne se rendent pas forcément compte et puis on peut voir cette histoire « c’est pas englobé dans ma vie ». Moi aussi ça peut m’arriver de ne pas voir un truc, ah oui c’est bête, mon téléphone était là, tandis que ces patients vont dire : « on ne m’a pas donné de pain » ou bien ils vont laisser la moitié de leur assiette, alors on leur dit « Monsieur vous n’avez pas fini, votre pain est toujours là… » Et eux de répondre étonnés « Ah bon ! » Avant le monde était entier, il y avait ou il n’y avait pas de pain. 7
  • 19. Ce sont des choses qui sont connues, quand c’est important surtout au début, il peut y avoir une asomatognosie, ça veut dire que le patient se comporte comme s’il n’y avait pas d’hémicorps à gauche, il va se cogner à toutes les portes, il ne reconnaît pas sa main gauche, il va dire : « C’est la vôtre » et parfois il peut la traiter comme une personne… « Ce n’est pas la mienne, mon ami l’a laissée en partant… c’est la main de mon fils ou bien on m’a greffé une autre… » Tout cela est décrit dans des articles de neurologie qui ont été écrits depuis que les neurologues ont décrit ces choses-là et c’est souvent associé à une méconnaissance de l’hémiplégie qui a été décrite en 1914 par Babinski, c’est le syndrome d’Anton Babinski… il a eu deux patientes qu’il allait voir à domicile et il se demandait pourquoi elles se comportaient comme si elles n’étaient pas hémiplégiques… elles ne demandaient rien pour soulager leur hémiplégie. Mais c’était paradoxal puisqu’en même temps il y en avait une qui disait d'une part « Pourquoi vous me dites cela (que j'ai une hémiplégie), je ne suis quand même pas paralysée… » et d'autre part : « Vous voyez docteur, cette fois, avec votre science vous êtes impuissant à me guérir » On sait que quelque chose ne va pas mais le rapporter au corps, c’est là que ça bloque… On en parle beaucoup de l’anosognosie à propos de la maladie d’Alzheimer en disant que les patients ne se rendent pas compte de leurs troubles intellectuels, mais là c’est un peu différent. Certains troubles intellectuels peuvent être suffisamment intenses pour que le patient soit incapable de les critiquer, on peut facilement se le représenter. Mais l’hémiplégie, on la voit, si on demande à quelqu’un de bouger, il devrait « voir » qu'il ne peut pas le faire. Des médecins aux urgences se demandent parfois comment faire pour obtenir l'accord de patients anosognosiques pour des traitements tels que des thrombolyses… Si on demande aux gens : « Est-ce que vous êtes d’accord pour le faire, il peut arriver qu'ils disent : « Mais je ne suis pas malade ! » Aux USA où les gens sont très respectueux des libertés même quand les gens ne sont pas au top de leurs possibilités mentales, ça leur pose des problèmes et ils demandent alors au patient ce qu'il faudrait faire, au cas où une personne anosognosique refuserait une thrombolyse. C’est pour dire que ça peut être vraiment important comme symptôme cette asomatognosie… Après ça va diminuer mais ça laisse toujours quelque chose d’ambigu. Tel patient me dit : « Je sais bien, on m’a dit de ne pas me lever tout seul » Pourtant quand il commence à marcher tout seul, on lui dit vous sonnez, vous appelez… « Je sais bien, mais j’ai voulu essayer… » Et il s’est cassé la figure. Voilà ça, c’est ce que l’on connaît en neurologie. Ce que l’on entend du malade c'est « Il parait que je suis hémiplégique ! ». Il se réfère toujours à ce que les autres disent…, comme s'il n'avait pas de point de vue personnel sur son corps. Et dans le cas de ces patients, moi qui voulais entendre parler de la main, je suis servie, ils parlent de façons différentes… « Il ne répond pas… » « Pour l’instant elle n’a pas envie de réagir comme on lui demande… » « Pourquoi elle n’obéit pas ? Vous n’avez qu’à lui demander, elle vous le dira peut-être… « À moi elle ne m’a rien dit, je l’ai traitée de connasse » « J’ai une main en caoutchouc qui ne répond pas à mes appels ». « Elle est comme moi, elle a trop travaillé, elle voudrait s’arrêter… » Tout ça, c’est des personnifications, c’est connu en neurologie mais c’est souvent réputé rare parce qu’on ne le demande plus au malade, ça n’a pas d’intérêt diagnostique, à la limite, on sait déjà ce qu’ont les gens, quel accident, quelle localisation… Ça ne changera pas forcément la rééducation… Les gens ne viennent pas en disant : « Vous voyez, je parle à ma main… J’en 8
  • 20. parle comme à une personne… » Mais c’est assez fréquent… « Il m’a trahi alors que je prends soin de moi, j’ai perdu 13 kg, il est paresseux…je suis vexé de le voir me lâcher lâché… lâcheur, gros fainéant, Lazare… Ça du point de vue de l’anosognosie, c’est très joli, Lazare… Et puis il y a des choses que j’ai observées et qui ne sont pas dans les livres, comme ce Monsieur qui me disait : « J’avais un gros sens de l’humour et je disais à mon voisin de chambre : la nourriture est très mauvaise, ils nous donnent le corps des malades décédés… » Les questions de nourritures sont fréquentes comme ce monsieur qui avait une paralysie très invalidante et qui disait : « Qu’est-ce que vous faites avec vos exercices répétitifs, on fait ceci, on fait cela, mais ce qu’il faut c’est attendre le déclic, le jour où il y aura un déclic, je vais marcher… » Ce Monsieur disait : « Il faudrait me laisser tout seul dans une chambre où il y ait un water, alors je crois que je ferais n’importe quoi, il faudrait bien que j’y aille… Ce serait presque une expérience à faire même si c’est dangereux… ». On se dit, c’est normal…si j’étais hospitalisé longtemps, j’aimerais être indépendant, aller aux toilettes, je n’aimerais pas que l’on m’apporte un bassin. Mais quand on regarde les patients qui ne sont pas aphasiques…qui peuvent parler et que l’on compare ceux qui ont des lésions droites et ceux qui ont des lésions gauches, ceux qui ont des troubles du schéma corporel et ceux qui n’en ont pas, cette insistance à aller seul à la selle, ou sur leurs problèmes pour uriner, ça revient tout le temps, chez ce type de patients. Alors dans tout ça, on a zappé les dessins mais c’est exprès parce que maintenant je vais vous présenter des cas plus détaillés, plus spectaculaires… Prenez les feuilles distribuées… 9
  • 21. On commence par celle où il y a cinq dessins… En haut j’ai mis : pas de trouble, pas de syndrome de l’hémisphère droit… Ça ne veut pas dire pas de lésion droite, ça veut dire pas de troubles du schéma corporel, pas d’anosognosie, pas d’héminégligence. Là, vous avez un patient qui dessine bien et là un patient qui dessine mal mais dans les deux cas vous avez un dessin symétrique où il peut manquer les mains ou pas mais ça ne vous donne pas l’impression d’avoir un patient hémiplégique. Vous êtes incapable de dire s’il est hémiplégique ou non alors que dans les deux autres dessins il y en un qui est fendu en dessous et l’autre a un corps où il n’y a qu’une moitié. Au milieu, c’est un Monsieur qui est peintre professionnel, il a appris à dessiner ; il a d’abord fait la tête, je lui ai dit que ce n’est pas ce que je voulais, il a fait le corps mais, par-dessus et ça ne l’a pas gêné de le faire avec une main pleine de doigts… et le troisième, il n’est pas droit, pas vertical, et il en manque à gauche de la feuille ; quand je lui demande s’il ne veut pas rajouter quelque chose, il rajoute des décorations sur les manches, sur les boutonnières, la pochette des vêtements mais pas sur le corps qu’il peut regarder sans constater qu’il manque quelque chose… On peut dire que l’on a un corps morcelé et désarticulé dans ces lésions de l’hémisphère droit et cela va au-delà d’une négligence, ce n’est pas que la moitié gauche qui va manquer, c’est le corps qui est défait.
  • 22. Je vais terminer avec trois dames qui ont été très instructives pour moi….mais il a fallu du temps ! La première malade, je l’ai vue en 1988 et les deux dernières en 1998. La première je peux dire que c’est extraordinaire, c’est une histoire de chasse…Ça fascine, c’est bizarre, on peut en parler à un dîner avec des amis… c’est une dame qui avait 79 ans et trois fils… Elle a eu un accident d’origine cardiaque avec une hémiplégie droite, une hémiplégie gauche, une négligence, une anosognosie…(On était en train de préparer son entrée dans une maison de retraite et elle disait que lorsqu’elle en sortirait elle organiserait un dîner et ferait venir un traiteur pour recevoir ses enfant). On n’était pas étonnés, on savait bien que cela faisait partie du tableau neurologique, pas plus que quand elle dit : « Ma main gauche a une odeur de cadavre. » Le fait que les mains d’hémiplégiques mal lavées ne sentent pas bon, ça se rapporte à cette perception désagréable. Jusque-là on n’est pas trop étonnés, il y a une chose pourtant qui m’a étonnée lorsqu’elle a dit : « Peut-être que les médecins s’imaginent que je suis enceinte… » Bon, elle a 77 ans, peut-être qu’il y a des lésions cérébrales que l’on ne voit pas sur les scanners, qu’elle est un peu démente, je le note et puis je la fais dessiner… Dès le premier dessin, elle dessine le plan de sa maison, alors que je lui demandais de se représenter. Ensuite elle fait celui-là à gauche (b) où elle insiste sur les cheveux… des cheveux, des cheveux… Cela nous indique une persévération comme dans la démence. Elle est tellement héminégligente qu’elle n’a pas fait la tête. On sait qu’elle craignait de perdre la tête comme son mari qui a eu un Alzheimer. Et quand je lui demande si elle veut rajouter quelque chose, elle rajoute : « Mon manteau, mon sac, mes cheveux… » mais ce n’est pas son premier dessin, voyez celui de droite où là c’est presque bien, on voit qu’elle est quand même négligente parce que là il manque un contour du bras sur le côté gauche et puis il y a cette dysgraphie spatiale (elle commence avec des lignes qui sont longues et plus ça va plus elle va à droite). Le texte du poème qu’elle écrit c’est : « A la fille que nous n’avons pas eue.» (Elle a eu trois filles.) « Tu es restée dans l’antre de mon corps et quelque fois j’y pense encore » et ensuite elle enchaîne sur « Si tu étais là, tu me soutiendrais dans
  • 23. mes derniers jours. » Elle se croit enceinte, elle imagine sa fille restée dans l’antre de son corps, c’est ce que Freud range dans « l’inquiétante étrangeté » (Être enfermée dans un tombeau, enterré vivant, c’est une crainte qui pour Freud, fait penser au rapport des fils à leurs mères…enfermés dans l’utérus). Donc il y a quelque chose par rapport à l’enfant qui se manifeste directement. Mais à l’époque je ne savais pas quoi en faire. Trois autres patientes sont venues ensuite. 1) Une patiente me dit : «Ma main, elle fait le contraire de nous, elle joue la nuit et se repose le jour, elle est feignante, je ne la touche pas parce qu’elle me fait mal, elle doit se sentir délaissée… Je lui ai dit que je voudrais qu’elle revienne, elle se glisse sous moi et vient me griffer. Elle doit m’en vouloir de ne pas m’occuper d’elle. » Elle lui a donné le nom de quelqu’un qu’elle n’aime pas, le nom de son mari. Elle disait que son mari buvait comme un trou, qu’il buvait l’argent de la paye, que ses enfants ne mangeaient pas assez… Son mari est mort de cirrhose. Elle l’a amené tard à l’hôpital et on lui dit : « Madame vous nous avez amené un cadavre. . » C’est le nom de cet homme qu’elle a donné à sa main qui avait déjà une odeur de cadavre comme chez l’autre patiente. Elle se dessine en deux temps : le rimmel, c’est rajouté quand je lui ai demandé si elle souhaitait ajouter quelque chose… La main a gauche est toute noire et elle a dessiné deux petites jambes… Elle a d’ailleurs dit : Pourquoi j’ai fait des doubles jambes ? Quand elle met ce vernis et ce rimmel qui ne correspondent pas à son allure, je lui demande : « Vous vous maquillez ? » Et elle me répond : « Pas du tout ? C’est ma fille qui se maquille. » Alors, quand on compare la main capricieuse et elle qui fait des ennuis, qui réveille la nuit, elle voudrait que l’on s’occupe d’elle…On s’aperçoit qu’elle a dessiné deux corps, le corps de sa fille qui est incorporé dans le corps de sa mère
  • 24. 2) Une autre a donné un nom à sa main, elle l’appelle feuille en turc… Je lui dis pourquoi vous l’avez appelée feuille ? Parce que les feuilles reverdissent chaque printemps. C’est une femme négligente, anosognosique, elle ne semble pas savoir qu’elle est paralysée… (Elle dit par exemple qu’elle s’est levée de son fauteuil lors de la consultation avec son neurologue) Comme la mort des feuilles qui reverdissent chaque printemps…, l'hémiplégie n'aura qu'un temps. Cette patiente dit : « Je dis que c’est ma fille. Je sais que c’est pas vrai. » Pourtant, cette fille a une « date de naissance symbolique », le jour de l’AVC, elle a un berceau (on lui a fait un bel accoudoir pour poser sa main), « Ma fille, elle a des rapports bizarres avec sa mère, avec la façon dont elle est née ». Ou encore « quand j’irai dans le trou, elle viendra avec moi… » Donc elle n’y croit pas mais c’est quand même vrai. Ce qui est vrai est imaginaire, c’est problématique. 3.) La troisième est une femme qui est plus jeune, elle est très handicapée. Elle a fait un séjour dans un autre centre et elle vient chez nous à l’hôpital de jour. On ne la connaît pas, on fait connaissance. L’orthophoniste lui demande : « Vous avez des enfants ? » Elle répond : « Oui »… « Mimi, tu es là, dis bonjour ! » Sidération dans les rangs, l’orthophoniste se tait et la malade aussi, qui ne semble d’ailleurs pas tellement perturbée par ce qu’elle avait dit…Je l’ai vue avec mon interrogatoire précis et mon autoportrait qu’elle a fait pas si mal que ça. Je pensais qu’elle m’en dirait un peu plus, mais comme elle ne voulait pas parler je lui ai dit de prendre son temps et proposé d’écrire. Et contre toute attente, elle a écrit et dessiné ce qu’elle m’avait déjà raconté : « Quand j’étais en neurochirurgie, il y a 8 ou 10 mois, j’avais des idées bizarres…» Quand elle voulait se lever, on lui disait qu’elle ne pouvait pas et elle ne comprenait pas pourquoi (anosognosie). Quand elle voyait sa fille, elle disait : « C’est pas ma fille ! », en revanche elle croyait que son bras, c’était soit sa fille, soit le bras de sa fille selon les moments et elle a écrit :
  • 25. Mon bras gauche était nu et replié (en position fœtale) et portait des traces blanches comme des barres de colle laissées pars des pansements (Cf. les rayures sur le dessin). En fait, c’était le bras de ma fille, elle avait voulu un câlin près de moi et nous étions restées soudées, le personnel ne voulait pas le croire et soutenait que c’était mon bras… Moi seule savait la vérité qui était pourtantévidente… » C’était une phrase compliquée à comprendre, la seule qui comporte une faute d’orthographe (moi seule savait). Bien qu’elle annonce qu’elle me parle d’illusions, elle ne savait pas dire autre chose que : « À l’époque c’était vrai ! » Et ce que l’on trouve lorsque l’on demande à ce genre de patients comme
  • 26. c’est arrivé, s’ils n’ont pas perdu connaissance, tout de suite ils disent : « Je suis tombée, je ne pouvais pas me relever ! » « Mais pourquoi vous ne pouviez pas vous relever ? » « Je ne sais pas, je ne pouvais pas… ». Ce sont des patients qui sont en rééducation depuis des mois et ils ne disent jamais : « maintenant, je comprends que c’est parce que j' étais hémiplégique… » On n’entend jamais cela quand il y a des négligences et des anosognosies. C’était des illusions mais c’était pourtant la vérité qui était évidente…. Le personnel soutenait que c’était mon bras et soutenait que je ne pouvais pas me lever. Solange Lemagueresse: On a l’impression que quand un mot sort ça va entraîner un pan de pensée… CM : C’est quand on parle du bras que ça va faire peut-être objet Solange Lemagueresse : Je pensais cela à propos d’une expérience personnelle. Il s’agissait d’une patiente alitée qui regardait le mur et qui disait : « C’est quoi cette bête-là, vous voyez là ! » en fait il s’agissait d’un piton… je trouvais cela extrêmement troublant et quand vous parlez, je pense à des choses comme cela… CM : qu’est-ce qu’on peut en dire ? On dit que l’enfant est un objet pour la mère, la chair de la chair et le travail de la mère c’est de s’en séparer et là on trouve la chair de la chair comme si c’était actuel… parfois les femmes me disent : ça me rappelle quand j’étais enceinte. C’est parfois hors de propos mais ça doit arriver plus souvent qu’on ne le pense ce genre de choses, alors on peut se dire : est-ce qu’il va y avoir d’autres objets au sens psychanalytique qui vont se manifester… ? Je cite souvent cet homme qui me disait : « Je l’appelle ma cocotte » et d’ajouter : « elle pourrait bien faire quelque chose pour moi la salope. » La cocotte c’est un surnom que vous donnez à quelqu’un ? Votre épouse ? « Je ne me permettrais pas, ma femme je l’appelle « ma biche »… La cocotte et la biche voilà bien deux versants pour désigner la femme, pour certains hommes. Du coup j’ai regardé ce que j’avais fait dans une autre étude que j’avais fait là aussi systématiquement en comparant des gens qui avaient des lésions droites et gauches et là c’est celles dont je vous ai lu des extraits, des gens qui disaient : « Ma main est fatiguée, elle est paresseuse, elle me lâche, etc… » Donc ce sont des gens que j’ai vus au tout début de leur AVC, la première semaine. Parce que depuis tout ce temps là, moi, je voulais travailler sur l’anosognosie, j’y suis arrivée indirectement mais comme c’est un symptôme qui est très flagrant au début, je voulais voir les patients au début. Donc j’ai fait ça, j’ai noté tout ce qu’ils disaient. Ce qui m’a permis en entendant toutes ces choses, de relire et de voir étonnamment que quand on demande aux gens : « Voulez- vous me parler de ce qui vous est arrivé? » et qui sont arrivés la veille ou l’avant-veille avec un accident de santé grave et qu’est-ce qu’ils vont vous dire ? « J’ai une bronchite, je voudrais du sirop. J'ai soif, je voudrais du jus d’orange. » Or ils sont perfusés : théoriquement ils ne peuvent pas avoir soif, en tout cas ils ne sont pas déshydratés. « J’ai soif, je voudrais un jus d’orange, j’ai vu passer un bras, j’ai eu envie de e mordre ». Et puis à un patient, une fois l’entretien fini je lui dis au revoir. Il me dit : « Je vous fais un baisemain parce que je ne peux pas vous serrer la main. » Et il avait d’ailleurs antérieurement dessiné des lèvres au-dessus de sa tête en disant : « Je vous dessine un baisemain parce que je ne peux pas serrer la main. » ce qui est une totale absurdité puis qu’il est droitier il pourrait très bien me serrer la main droite. « Depuis que je suis là, je ne suis jamais aller à la selle, on ne me donne pas l’autorisation d’aller aux toilettes, j’ai hâte de me lever pour aller aux toilettes. » Donc j’ai observé que c’était quelque chose qui était lié au côté de la lésion. Cette insistance, tout de suite, tout de suite parce que ça paraît très disproportionné par rapport à tous les ennuis de santé que les patients ont par ailleurs. Ce que je vous ai dit sur l’objet oral ou l’objet anal, ça se confirme assez régulièrement. Donc on peut dire que dans ces pathologies le dessin est morcelé, l’image du corps est morcelée et le corps est parasité par le corps de l’autre et l’objet n’est pas présent comme chez le psychotique qui va tout infiltrer et tout commander dans la vie psychique mais dans le discours il est extrêmement présent, pas refoulé. Avec Stéphane Thibierge, on avait travaillé là-dessus en le comparant au syndrome de Frégoli. Je ne
  • 27. sais pas si vous avez lu la description princeps de la malade qui est toujours décrite maintenant par les cognitivistes comme une patiente qui a un trouble de la reconnaissance des personnes, puisque toutes les personnes qu’elle rencontrait étaient en réalité, mais sous diverses apparences justement, toujours la même personne, la même actrice qu’elle va finir par agresser. Ce que les cognitivistes ne racontent jamais c’est ce qu’elle disait de cette actrice, qui lui avait volé, pris, prélevé sur son corps des choses [--], puisque tout son charme venait de ses yeux bistrés et les yeux étaient très bistrés parce qu’elle se masturbait et qu’elle se masturbait avec l’index de la patiente. C’est une autre configuration parce que ça va la conduire à des actes délirants ce qui n’est pas le cas des patients neurologiques, elle va finir par essayer de l’agresser, cette actrice, mais dans les éléments qui sont en jeu, on les retrouve, c'est-à-dire un corps qui est partagé avec autrui et cet objet qui revient toujours et qui ne se laisse pas oublier malgré la différence des apparences des gens qu’elle rencontre. Donc c’est un travail et je vais conclure là-dessus, ça a un intérêt clinique quand même pour les rééducateurs. Parce que c’est à mon avis important de différencier des cas où l’on est si on peut dire en terrain connu, même s’il vaut mieux éviter que ce soit en terrain trop connu, mais enfin, sur le terrain de la blessure narcissique, tout le monde comprend à peu près même s’il n’est pas psychanalyste, on comprend à peu près ce qui se passe et on va trouver comment aider ces patients et comment les renarcissiser et les soutenir. Et puis des patients qui ont des manifestations psychologiques extrêmement spectaculaires mais qui ne s’offrent pas particulièrement à une psychothérapie ni à une prise en charge psychanalytique, à la mise en mots et qui ne vont pas tellement influer la thérapeutique, sauf à leur dire en quelque sorte : « Votre image n’est pas la bonne ». Quand on leur dit : « Ça ne va pas, il faudrait corriger cela, vous voyez bien que vous ne faites pas bien. » Alors c’est hyper mal pris par les patients qui disent : « On veut nous infantiliser, on dit que je suis négligent, on ne voit pas que je fais des efforts et puis après tout j’ai toujours marché comme ça. » Donc il faut éviter d’enfoncer les gens devant la réalité de leurs problèmes parce qu’ils ne sont pas en mesure en fait d’avoir un point de vue sur leurs propres difficultés qui peuvent être transitoires. Bernard Frannais : Puis-je faire une remarque sur la résistance à la rééducation qui a l’air d’aller à l’encontre de ce que dans le fond désire le sujet, comme s’il y avait, malgré l’AVC et quand ils disent : « je ne peux pas, ça m’est impossible, etc. » C’est-à-dire ce côté comme ça d’impossible, qui apparaît comme impossible après l’AVC, comme une réel sur lequel les patients viendraient buter. Est-ce que c’est le même réel ou le même impossible que ce qui a présidé à la naissance du sujet et à son maintien, je pense au refoulement originaire, c’est-à-dire que malgré cet AVC subsisterait malgré tout un fondement du sujet qui resterait actif et que la rééducation viendrait buter contre cet impossible primordial ? Catherine Morin : Je ne sais pas si je dirais ça, mais je dirais que ce qui s’est constitué lors du stade du miroir est là particulièrement défait, alors évidemment ça nous ramène avant mais en même temps ce n’est pas entièrement défait. C’est défait pour ce qui concerne l’image du corps, mais ce n’est pas défait pour l’identification du sujet. Alors il va y avoir une contradiction entre lui dire : « Le corps ça va pas » alors qu’il n’a plus d’image pour dire : « Je suis d’accord ou je ne suis pas d’accord. » Je ne pense pas que ce soit de l’ordre du refoulement originaire. Hubert de la Rochemacé : J’ai lu avec intérêt votre livre parce que je n’avais pas trop envie d’y entrer à priori comme ça, je trouvais que c’était un domaine très spécifique, c’était un peu loin de ma pratique, je n’ai pas de patient tel que vous en présentez et puis finalement, après la première partie qui est un peu universitaire, dans laquelle il y a beaucoup de références, toute la deuxième partie clinique avec les entretiens m’a beaucoup intéressé. La question que je voulais vous poser est à propos de l’infantile. La désorganisation psychique, on pourrait presque penser à des principes délirants que vous avez pu décrire tout à l’heure : cette femme qui prenait son bras à la fois pour son bébé et pour le bras de sa fille, je me disais, on n’est pas dans la psychose. Catherine Morin : Du tout. Hubert de la Rochemacé : Ce qui m’apparaissait c’était la question de l’infantile. Je me disais au
  • 28. fond que ces patients se présentent souvent, quelque fois avec agressivité devant vos questions, devant le personnel soignant, disant : « Mais c’est évident, qu’est-ce que vous posez comme question, vous ne voyez pas que c’est comme ci, ou comme ça » et je me disais qu’ils se présentaient comme peut se présenter un enfant face au monde, face à l’étrangeté, face à l’étranger. C’est-à-dire dans des processus de construction de la personnalité et ça m’a fait penser au stade du miroir et à cette partie dont on ne parle pas beaucoup dans les stade du miroir, c'est-à-dire l’agressivité, c'est-à-dire le fait que le patient ou l’enfant doit faire un processus d’extraction, il doit rejeter quelque chose pour accepter quelque chose de son image. Et je trouve que ça apparaît dans les exemples que vous donnez. Par exemple vous relatez le moment où cette jeune femme de quinze ans se retrouve devant le miroir, souffrant d’un symptôme gravissime et qui finalement s’est construit une figure imaginaire et qui, dans l’image réelle, cette fois, va se trouver confrontée à de l’insupportable, pas tant de l’impossible que de l’insupportable. On voit bien que l’agressivité apparaît à ce moment là : à la fois elle attaque son image et on peut voir dans votre livre que les attaques se font sur le personnel, sur la personne qui questionne. Alors cet infantile est en œuvre. On voit des patients qui régressent, qui se mettent à travers des jeux de mots, des productions, dans un positionnement très infantile. CM : Oui. D’ailleurs il y a des gens qui le disent. On est comme des enfants, on est contents quand on nous félicite. En même temps, ce sont des adultes. Hubert de la Rochemacé : Ils en reviennent à un processus qui a été déjà normalement effectué et qui est arrêté. Et il faut repartir… Par exemple le fait que vous leur demandiez de faire des dessins, ça peut laisser entendre cela. C’est rare de demander de faire des dessins à des adultes. En général c’est utilisé avec les enfants. X : On utilise cela avec les psychotiques et aussi la peinture. CM : Quelque part j’ai dit que c’était des patients qui étaient des chimères. Il y a une moitié qui est restée identique, les identifications sont restées ce qu’elles étaient et du côté de la représentation du corps, ça ne colle plus du tout. L’agressivité, je la verrais plutôt d’un côté un peu paranoïde, c'est-à- dire c’est mon image, qu’est-ce qu’ils ont à me dire que ça ne va pas. Du coup, ils m’insultent. Au début, je n’étais pas très familière avec ces questions d’héminégligence et de difficultés avec le schéma corporel. Je m’étais dit, je vais les écouter puisque personne ne les écoute. Donc je n’avais pas tellement de soucis neurologiques en tête et je suis allée dans un service dans lequel je n’étais pas connue et au début je me suis dit : « Ils sont vraiment salauds avec leurs malades » parce que les plaintes des patients je les prenais au premier degré. Et au fil du temps, j’ai compris qu’ils n’avaient aucun humour, bien qu’eux-mêmes pouvaient faire un humour absolument sinistre sur leur propre cas mais si l’aide soignant maladroit va leur dire : « Bien, alors levez-vous, je vous tiens, n’ayez crainte, je ne vais pas vous assassiner. » « Comment, il a osé me dire ça : je ne vais pas vous assassiner ! Il ne voit pas que je fais des efforts, il n’est pas gentil avec moi. » Je dirais que c’est presque paranoïde. Bernard Frannais : Ça éclaire également sur cette question qui a l’air d’être à la mode sur la représentation de soi. Qu’est-ce qu’on recherche à travers cette représentation de soi ? Est-ce l’accord avec l’autre, un accord bienveillant, à partir du moment où ce qu’on nous renvoie n’est plus conforme à ce qu’on en attend, alors ça débouche sur de l’agressivité. Cette thématique de la représentation de soi a l’air de devenir envahissante. CM : Facebook ! Bernard Frannais : Par exemple mais aussi les selfies, il y a nombre d’ouvrages qui en ce moment sortent sur cette question et donc ce que vous nous amenez permet de préciser et d’éclairer ce qu’on entend par la représentation de soi. C'est-à-dire ce qui normalement reste intriqué entre différentes instances, va se mettre après l’AVC à être désintriqué et à paraître au grand jour : l’objet d’un côté, l’image idéale de l’autre… X : Il y a un dénouage. CM : On voit que c’est complètement hétéroclite. Bernard Frannais : Mais ce dénouage n’est pas complet, ce n’est pas de la psychose. Solange Lemagueresse : Une partie du corps devient étrangère, voire persécutrice.
  • 29. CM : Ce qu’il y a c’est que c’est des patients, si ça perdure… Parce que là, les trois patientes dont je vous parle, c’est exceptionnel parce que d’habitude, on voit ça au début puis ça s’arrête. Là, elles étaient chez nous et elles ont persévéré dans leurs convictions. Celle qui était jeune ne s’en est pas trop mal sortie, mais les deux personnes âgées sont parties en maison de retraite. Mais on voit que, bien que le déficit moteur soit très important, s’il n’y avait pas tout ça, on pourrait gérer. Mais les gens sont devenus incapables de se débrouiller par eux-mêmes ; il y aussi peut-être d’autres raisons. Hubert de la Rochemacé : Je trouve aussi dans ce que vous dites l’articulation entre le langage et le dessin. On voit qu’à un moment donné il y a quelque chose qui est déstructuré du côté du langage. Il y a quelque chose qui devient incohérent. On pourrait presque dire que c’est délirant. Il y a un discours qui tient et puis d’un seul coup ça devient ce que j’appelle l’infantile, je pense aux moustaches du monsieur qui a une espèce de posture, qui se présente facilement et puis hop ! d’un seul coup il y a quelque chose qui vient déstructurer la bonne tenue dans le langage et pas seulement dans l’image. D’où la question de l’articulation entre le discours et l’image, entre symbolique et imaginaire. CM : Pour le monsieur à la moustache, le ne le trouve pas trop incohérent. Hubert de la Rochemacé : Son discours est plutôt du côté du déni, en disant qu’il n’était pas malade. CM : Les autres patients commencent à « délirer » avec des guillemets surtout quand ça touche au corps. Par exemple le monsieur qui est coupé en deux sur le dessin suivant. C’est un monsieur qui s’est mis à manger comme un goinfre. Les ergothérapeutes disaient qu’il se remplissait les joues comme un hamster avec les restes des repas, sa femme étant obligée de condamner le frigo avec une chaîne tellement c’était terrible, eh bien lui, avec cette histoire d’être coupé en deux, lui, disait : « Avant j’étais un type super normal, j’avais une femme et une maîtresse. » Il était super normal parce qu’il avait deux femmes. Elles ne le savaient ni l’une ni l’autre, mais comme il était malade ça c’est su et ça a fini par péter et donc maintenant il n’y en a plus qu’une. Donc maintenant il dit : « Je suis normal ». Et puis il se dessine avec cette fente. Donc il y a un lien entre être deux fois normal et cette division. Bernard Frannais : Est-ce qu’il y aurait d’autres questions ? X : Où vont les gens victimes d’AVC qui ne peuvent pas retourner chez eux ? CM : S’ils ont plus de 60 ans, ils vont dans les EPAHD mais s’ils n’ont pas l’âge, alors c’est là que ça se corse, bien qu’il y ait des dérogations. Bernard Frannais : Je remercie Mme Morin d’avoir accepté notre invitation et d’avoir bien voulu tenir cette conférence qui a été suivie avec grand intérêt et qui est une bonne introduction à votre livre : « Schéma corporel, image du corps, image spéculaire » paru chez ERES en 2013.