1. 1
Le Petit Chaperon Rouge
Il était une fois une petite fille de village, la plus jolie qu'on aurait
su voir ; sa mère en était folle, et sa mère-grand plus folle encore. Cette
bonne femme lui fit faire un petit chaperon(1) rouge, qui lui seyait(2) si
bien, que partout on l'appelait le Petit Chaperon Rouge.
Un jour, sa mère, ayant cuit et fait des galettes, lui dit :
« Va voir comme se porte ta mère-grand, car on m'a dit qu'elle était
écrivain français malade, porte-lui une galette et ce petit pot de beurre. »
(1628-1703), a recueilli Le Petit Chaperon Rouge partit aussitôt pour aller chez sa mère-grand,
de nombreux contes
transmis par la qui demeurait dans un autre village. En passant dans un bois elle rencontra
tradition orale afin de compère le loup, qui eut bien envie de la manger, mais il n'osa, à cause de
les faire connaître aux quelques bûcherons qui étaient dans la forêt. Il lui demanda où elle allait ; la
enfants : Contes de
ma mère l'Oye (1697). pauvre enfant, qui ne savait pas qu'il est dangereux de s'arrêter à écouter un
loup, lui dit :
« Je vais voir ma mère-grand, et lui porter une galette avec un petit pot
de beurre que ma mère lui envoie.
- Demeure-t-elle bien loin ? lui dit le loup.
- Oh ! oui, dit le Petit Chaperon Rouge, c'est par-delà le moulin que vous
voyez tout là-bas, là-bas, à la première maison du village.
- Eh bien ! dit le loup, je veux l'aller voir aussi ; je m'y en vais par ce
chemin ici, et toi par ce chemin-là, et nous verrons qui plus tôt y sera. »
Le loup se mit à courir de toute sa force par le chemin qui était le plus
court, et la petite fille s'en alla par le chemin le plus long, s'amusant à cueillir
des noisettes, à courir après des papillons, et à faire des bouquets des petites
fleurs qu'elle rencontrait. Le loup ne fut pas longtemps à arriver à la maison
de la mère-grand ; il heurte : Toc, toc.
« Qui est là ?
- C'est votre fille le Petit Chaperon Rouge (dit le loup en contrefaisant(3)
sa voix) qui vous apporte une galette et un petit pot de beurre que ma mère
1. un chaperon: bande de vous envoie. »
tissu que les femmes La bonne mère-grand, qui était dans son lit à cause qu'elle se trouvait un
portaient sur l'arrière de
la tête. peu mal, lui cria :
2. seyait: allait. « Tire la chevillette, la bobinette cherra.(4) »
3. contrefaire: changer Le loup tira la chevillette, et la porte s'ouvrit. Il se jeta sur la bonne
pour tromper.
4. la chevillette femme, et la dévora en moins de rien ; car il y avait plus de trois jours qu'il
est une clef en bois ; la n'avait mangé. Ensuite il ferma la porte, et s'alla coucher dans le lit de la mère-
bobinette est un morceau
de bois qui tient la porte grand, en attendant le Petit Chaperon Rouge qui, quelque temps après, vint
fermée. C'est le vieux heurter à la porte. Toc, toc.
verbe choir (= tomber) « Qui est là ? »
qui donne au futur
cherra. Le Petit Chaperon Rouge, qui entendit la grosse voix du loup, eut peur
d'abord, mais, croyant que sa grand-mère était enrhumée, répondit :
2. 5. la huche: coffre en
bois dans lequel on
range le pain.
6. accorte: agréable,
plaisante.
7. sans fiel et sans
courroux: sans
méchanceté et sans
colère.
8. la ruelle:
le passage entre
le lit et le mur.
9. doucereux:
qui agit avec des
manières douces
mais pas naturelles.
3. i vous apporte une galette et un petit pot de
beurre que ma mère vous envoie. »
Le loup lui cria, en adoucissant un peu sa
« voix :
« Tire la chevillette, la bobinette cherra. »
C Le Petit Chaperon Rouge tira la chevillette, et la
' porte s'ouvrit. Le loup, la voyant entrer, lui dit
e en se cachant dans le lit sous la couverture :
s « Mets la galette et le petit pot de beurre
t sur la huche(5), et viens te coucher avec moi.
» Le Petit Chaperon Rouge se déshabille, et va se
v mettre dans le lit, où elle fut bien étonnée de
o voir comment sa mère-grand était faite en son
t déshabillé. Elle lui dit :
r « Ma mère-grand, que vous avez de grands
e bras !
- C'est pour mieux t'embrasser, ma fille.
f - Ma mère-grand, que vous avez de
i grandes jambes !
l - C'est pour mieux courir, mon enfant.
l - Ma mère-grand, que vous avez de grandes oreilles !
e - C'est pour mieux écouter, mon enfant.
- Ma mère-grand, que vous avez de grands yeux !
l - C'est pour mieux te voir, mon enfant.
e - Ma mère-grand, que vous avez de grandes dents !
- C'est pour te manger.
P Et en disant ces mots, ce méchant loup se jeta sur le Petit Chaperon
e Rouge, et la mangea.
t
i Moralité
t On voit ici que de jeunes enfants,
Surtout de jeunes filles,
C Belles, bien faites, et gentilles,
h Font très mal d'écouter toute sorte de gens.
a Et que ce n'est pas chose étrange,
p S'il en est tant que le loup mange.
e Je dis le loup, car tous les loups
r Ne sont pas de la même sorte ;
o Il en est d'une humeur accorte(6),
n Sans bruit, sans fiel et sans courroux(7),
Qui privés, complaisants et doux,
R Suivent les jeunes demoiselles
o Jusque dans les maisons, jusque dans les ruelles(8);
u Mais hélas! qui ne sait que ces loups doucereux(9),
g De tous les loups sont les plus dangereux.
e
,
q
u
4. A. Le temps, l'espace, les objets
1.a) Par quelle formule commence le récit ? 7. Vrai ou faux ? Le but de ce conte, c'est :
b) Relevez le groupe nominal qui commence
le deuxième paragraphe et dont la fonction est a) nous démontrer qu'il ne faut pas faire
complément de temps. confiance à n'importe qui ;
b) nous prouver que les loups sont cruels ;
c) Cette formule et ce complément situent-ils c) nous expliquer pourquoi les loups
l'histoire à une époque précise ? peuvent parler ;
d) nous donner des exemples au sujet de
l'alimentation des loups à l'époque de
2.a) Quels sont les deux principaux endroits Perrault.
où se passe l'histoire ? Répondez en relevant
deux compléments de lieu entre les lignes 8 à C. Bilan de l'étude
12, et 21 à 25.
8. Comparez le début et la fin du conte :
b) Lequel de ces lieux est en général sûr, pourquoi cette histoire est-elle
lequel est inquiétant ? L'histoire confirme-t- particulièrement cruelle ?
elle votre réponse ?
9. Pourquoi l'auteur a-t-il choisi une fin
aussi cruelle ?
3.a) Quels sont les deux objets que la fillette
apporte à sa grand-mère ? Relevez les groupes
D. Réflexion :
nominaux qui les désignent et dites combien
de fois ils apparaissent dans le texte.
A. Les frères Grimm ont réécrit la fin de
ce conte : un chasseur passant par-là entend
b) Ces groupes ont-ils toujours la fonction de
le loup ronfler, ouvre le ventre de la bête et
compléments d’objet ?
sauve l'enfant et la grand-mère.
a) Pourquoi, d'après vous, les frères Grimm
c) Quel est l'effet produit par ces choix du
ont-ils réécrit cette fin ?
narrateur ?
b) Quelle fin préférez-vous ? pourquoi ?
B. Le récit : organisation et effet
B. La maman du Petit Chaperon Rouge,
ne voyant pas sa fille revenir, part à sa
4. Dans ce texte, qu'est-ce qui permet de recherche. Racontez, avec des passages de
distinguer le récit et la moralité ? Indiquez le narration, de description et de dialogue.
numéro des lignes de ces deux grandes
parties. C. « Je vous avais pourtant bien
prévenu... » Racontez une histoire dans
5. Pourquoi le dialogue entre le loup et la laquelle un personnage prononcera cette
fillette est-il plus long que celui entre le loup phrase.
et la grand-mère ?
6. Pour quelle raison, au fond, la fillette est-
elle morte ? Expliquez.