Note d’analyse de l’impact des politiques commerciales régionales sur la filière « lait local » en Afrique de l’Ouest.
Rédaction : Cécile Broutin, Laurent Levard et Amel Benkahla (Gret) | Coordination : Hindatou Amadou (Apess) et Imma de Miguel (Oxfam) | Crédits photos : APESS.ORG et Gret
Sommet2016 Quels leviers pour une production de viande ovine dynamique en 2...
Note d’analyse de l’impact des politiques commerciales régionales sur la filière « lait local » en Afrique de l’Ouest
1. Note d’analyse de l’impact des politiques
commercialesrégionalessur la filière « lait
local » en Afrique de l’Ouest
Cécile Broutin, Laurent Levard et Amel Benkahla – Juillet 2015
2. 2
Note d’analyse de l’impact des
politiques commercialesrégionales
sur la filière « lait local » en Afrique
de l’Ouest
Cécile BROUTIN
Laurent LEVARD
Amel BENKAHLA
GRET
Juillet 2015
3. 3
Rédaction : Cécile Broutin, Laurent Levard et Amel Benkahla (Gret)
Coordination : Hindatou Amadou (Apess) et Imma de Miguel (Oxfam)
Crédits photos : Apess et Gret
Les opinions exprimées dans cette publication ne reflètent pas nécessairement celles de la
Commission Européenne.
4. 4
SOMMAIRE
INTRODUCTION...................................................................................................................... 6
I. SITUATION ACTUELLE DES FILIERES LAITIERES OUEST-AFRICAINES.............................. 7
1. Quels sont les acteurs des filières et sous-filières laitières (produits issus du lait
local et de la poudre de lait importé) ? .....................................................................7
2. Quels sont les produits consommés dans les différents pays ? Sont-ils produits à
partir de lait local ?................................................................................................11
3. Dans quelle mesure, la production locale répond-elle à la demande des
consommateurs ? ...................................................................................................12
4. Les produits à base de lait local sont-ils plus chers que les produits importés ou
à base de poudre de lait ? .......................................................................................13
5. Quel est le niveau de contribution de ces filières à la création d’emplois et à la
richesse des pays ?.................................................................................................16
6. Quelles sont les principales politiques de soutien aux filières laitières (politiques
d’appui à l’élevage et politiques industrielles) ?.....................................................17
II. CONCURRENCES ET COMPLEMENTARITE ENTRE LA FILIERE « LAIT LOCAL » ET LA
FILIERE « LAIT EN POUDRE ». ATOUTS ET CONTRAINTES DE DEVELOPPEMENT DE
CES FILIERES ............................................................................................................... 20
1. Comment ces deux sous-filières s’adaptent aux attentes des consommateurs ? .......20
2. Quelles sont les freins rencontrés dans le développement des unités de
transformation valorisant le "lait local" ? ...............................................................21
3. Quelles sont les capacités d’adaptation de la filière « lait local » à la croissance
de la demande ?.....................................................................................................23
III. HYPOTHESES D’EVOLUTION DE CES FILIERES LIES A L’EVOLUTION DE LEUR
ENVIRONNEMENT COMMERCIAL.................................................................................. 25
1. Quels changements risquent d'induire la mise en place du TEC CEDEAO et la
signature des APE ?...............................................................................................25
2. La fin des quotas laitiers en Europe risque-t-elle d'augmenter les exportations
vers l'Afrique de l'Ouest ?......................................................................................29
3. Quelles mesures préventives peut prévoir la CEDEAO pour faire face à ces
menaces ? Dans ce contexte, quelles sont les voies possibles pour améliorer la
protection de la filière lait local ?...........................................................................31
5. 5
IV. DES POLITIQUES ADAPTEES POUR ACCOMPAGNER LE DEVELOPPEMENT DES
FILIERES « LAIT LOCAL » EN AFRIQUE DE L’OUEST..................................................... 32
1. La collecte de lait local par les minilaiteries peut-elle vraiment répondre aux
besoins des consommateurs à des prix abordables ? ...............................................32
2. Les entreprises de transformation industrielles pourraient-elles s’approvisionner
de manière plus importante en lait local et auprès d’exploitations
agropastorales ?.....................................................................................................33
3. Comment les Etats pourraient créer un environnement plus favorable capable de
stimuler le développement de la filière lait local ?..................................................34
V. CONCLUSION............................................................................................................... 37
BIBLIOGRAPHIE................................................................................................................... 38
6. 6
INTRODUCTION
Selon les statistiques nationales disponibles, la consommation de lait et de produits laitiers en
Afrique de l’Ouest (en majorité lait de bovins et dans une moindre mesure de chèvres) est en
croissance continue du fait de l’augmentation de la population (la consommation per capita
étant pour l’instant relativement stable). Cette consommation devrait continuer à progresser au
cours des prochaines années.
La production locale fournit en moyenne plus de 80% des volumes consommés (deux tiers si
l’on ne tient compte que du lait de vache) ; le reste de la consommation est réalisé à partir de
produits importés (un peu moins de 20%, mais environ un tiers pour le lait de vache). Dans les
pays côtiers, les importations représentent généralement la majorité de la consommation, alors
que, dans les pays sahéliens de l’intérieur, la population consomme essentiellement du lait
local. Les importations sont néanmoins globalement en progression constante.
La production laitière et la part de la consommation issue de la production locale est plus
importante dans les pays sahéliens que dans les pays côtiers et les échanges intra-régionaux
sont très faibles (essentiellement poudre de lait).
La production laitière ouest-africaine est issue principalement des systèmes pastoraux (70%),
le reste étant issu de systèmes agro-pastoraux plus ou moins intensifiés. Quelques fermes
laitières intensives et spécialisées se développent également autour des grandes villes.
Les types de produits consommés ou achetés par les ménages sont diversifiés (lait liquide,
poudre de lait, produits traditionnels, lait caillé, yaourts, etc.), de même que les types de
filières. Le lait local peut-être consommé frais ou sous forme de lait caillé et de yaourt. Les
importations de poudre de lait sont principalement en vrac, avec par la suite, soit un
reconditionnement en vue d’une vente au détail, soit une transformation en lait liquide ou plus
souvent en produits laitiers (principalement lait caillé et yaourt). Une partie de la poudre de
lait et du lait condensé sont également importés déjà conditionnés pour la vente.
L’élevage laitier traditionnel est confronté à diverses contraintes :
- Faible productivité et saisonnalité, avec notamment des problèmes liés à l’alimentation
animale, au faible potentiel laitier de certaines races locales, difficultés de gestion de
la reproduction animale et des problèmes sanitaires ;
- Parfois, difficultés de connexion aux marchés, notamment pour les systèmes
pastoraux, même si le développement de centres de collecte et de laiteries (dont mini-
laiteries) doit être souligné,
- Concurrence par les produits laitiers importés, dans un contexte où la protection
commerciale est faible et devrait s’accentuer avec la signature des APE.
L’APESS fait partie des principaux réseaux d’éleveurs regroupés au niveau de la région
CEDEAO. Un de ses mandats fondamentaux est de représenter ses membres et de défendre
ses intérêts dans l’élaboration, la négociation et la mise en œuvre des politiques agricoles. Elle
mène des actions de plaidoyer pour une meilleure prise en compte des intérêts des éleveurs, en
lien avec d’autres organisations de la société civile.
Cette note a été réalisée dans le cadre de la préparation de la campagne « Cultivons 2015-
2016 » et des analyses réalisées dans le cadre du projet GALO financé par l’Union
Européenne. Afin d’identifier les principaux défis à venir de la filière « lait local »,
7. 7
notamment dans le contexte d’une ouverture commerciale des pays de la région à partir
d’informations claires sur la situation du secteur et des politiques et les perspectives
d’évolution, elle vise à présenter une synthèse :
- De la situation actuelle de la production, la consommation et les échanges de lait et
produits laitiers en Afrique de l’Ouest, et des politiques commerciales concernant les
produits laitiers ;
- Des principales limitations au développement de la filière « lait local », et notamment
de la problématique de la concurrence entre le lait produit localement et les
importations de lait et de produits laitiers ;
- Une clarification du contexte et des enjeux de l’évolution à venir des politiques
commerciales et accords commerciaux, et notamment de l’APE, en tenant compte de
l’évolution probable des marchés (accroissement de la demande en Afrique de l’Ouest,
fin des quotas laitiers en Europe, etc.) ;
- Des expériences réussies de filières « lait local » en Afrique de l’Ouest et des
conditions qui ont contribué à cette réussite.
En s’appuyant sur ces éléments, la note vise par ailleurs à présenter, en vue de leur discussion
avec l’APESS, des propositions et argumentaires qui pourraient être défendues relatives aux
politiques agricoles et commerciales pour appuyer et promouvoir le développement de
l’élevage paysan et de la filière « lait local ».
I. SITUATION ACTUELLE DES FILIERES LAITIERES OUEST-AFRICAINES
1. Quels sont les acteurs des filières et sous-filières laitières (produits
issus du lait local et de la poudre de lait importé) ?
Des filières laitières interconnectées
On trouve sur les marchés ouest-africains différents types de produits laitiers issus de deux
sous-filières distinctes centrées sur la valorisation du lait local ou l’utilisation de poudre de lait
importé, mais qui sont fortement interconnectées. En effet, les filières lait local exclusives sont
rares et les acteurs impliqués dans la filière de valorisation du lait local utilisent aussi dans
leur majorité au moins à une période de l’année du lait en poudre importé.
La filière lait peut être représentée de manière schématique sous la forme suivante :
8. Importations Fermes intensives
périurbaines
Exploitations familiales pastorales et agro-
pastorales
Poudre de lait
(en vrac)
Grossistes
Industries et PME
laitières de
transformation
Minilaiteries
et petites industries de
collecte rurale
Boutiques et supermarchésPoudre de lait
Femmes d’éleveurs et
transformatrices
artisanales
Sans marque Marques internationales Marques locales Sans marque Marques locales Sans marque
Consommateurs
Produits transformés
(Yaourts aromatisés, lait
UHT, lait concentré…)
Poudre de lait
(en vrac et en boîtes)
Lait concentré,
Beurre, Fromages
Lait local
Lait de collecteLait de collecte
Poudre de lait
(reconditionnée)
Collecteurs / centres
de collecte
Kiosques et
ventes directes
Lait de ferme
Poudre
de lait
Lait de collecte
Lait de collecte
Auto-
consommation
Graphe schématique de la filière laitière en Afrique de d’Ouest
(d’après Corniaux et Duteurtre, 2010, adapté par les auteurs)
Intrants vétérinaires/ Sous-produits agro-industriels / Génétique
Micro-
entreprises
artisanales
urbaines
Industries
urbaines de
reconditionne
ment
Produits importés
(Poudre de lait, lait
concentré, lait UHT,
Beurre,
Fromages…)
Produit
«Made in UEMOA»
Yaourts, Laits UHT,
Crèmes de lait..
Lait pasteurisé
et yaourts à boire
en sachets thermo-soudés
Lait de ferme
(frais et caillé)
Beurre clarifié
Poudre de lait
en vrac
(sachets
noués)
9. Des systèmes pastoraux et agro-pastoraux majoritaires dans la production de lait
local
En Afrique de l’Ouest, la production laitière est essentiellement destinée à
l’autoconsommation et à la vente sur des marchés de proximité lorsque la production est
abondante. Les exploitations familiales pastorales et agropastorales disposent en effet de peu
d’opportunités pour intégrer des circuits de collecte organisés pour valoriser leur lait auprès
d’unités de transformation laitière.
La production laitière totale de la sous-région est estimée à 2,4 millions de tonnes pour un
cheptel de 50 millions de bovins, mais moins de 10% de cette production ferait l’objet
d’une collecte organisée (Duteurtre, 2007). La valorisation marchande du lait se fait surtout
via des ventes locales de produits transformés par les femmes. Ces ventes sont saisonnières et
alimentent surtout des circuits orientés vers les marchés urbains (Boucher et al, 2009). Du fait
du manque de débouchés sécurisés, la majorité des exploitations agropastorales n’investissent
pas dans l’amélioration des performances laitières de leurs animaux. Les vaches produisent
entre un et quatre litres de lait par jour, sur une période souvent inférieure à une centaine de
jours.
En revanche, en périphérie des villes secondaires et dans les bassins laitiers ou des circuits de
collecte sont mis en place par des centres de collecte, des minilaiteries ou industries laitières,
là où existent des opportunités de commercialisation, les systèmes d’élevage agropastoraux
s’intensifient. Les éleveurs valorisent les compléments alimentaires disponibles dans la zone
(résidus de récolte, fourrages, graines et tourteaux de coton, fanes et tourteaux d’arachide, son
de céréale, etc.). Dans les bassins laitiers, les troupeaux sont parfois séparés en lot, une partie
des animaux restant sur place pendant qu’une autre partie part en transhumance.
L’organisation de la famille et la gestion des revenus du lait connaît aussi souvent dans ces
exploitations des évolutions importantes (Corniaux, 2008).
De nombreux acteurs impliqués dans les filières de collecte du lait local
Le développement de ceintures laitières périurbaines repose sur le développement d’unités de
transformation laitière, de collecteurs (ou collectrices) et de vendeurs (ou vendeuses), qui
jouent un grand rôle dans les filières lait local. En effet, l’essentiel du lait local collecté est
issu des systèmes agropastoraux semi-intensifiés. Il existe aussi une production laitière
urbaine et périurbaine dans des fermes intensives, mais elle ne représente que 2% de la
production (Duteurtre, 2013). Le développement des filières lait local repose donc
principalement sur un maillage territorial de collecteurs qui permettent d’approvisionner les
unités de transformation local à partir du lait issu des systèmes agropastoraux.
Des minilaiteries qui se développent dans la bande sahélienne
A côté des transformatrices artisanales et des industries de transformation laitière, se
développement depuis les années 70, de petites structures de transformation locale,
communément appelées « minilaiteries ».
10. 10
Transformatrices artisanales Minilaiteries Entreprises industrielles
Activités initiées par des femmes
rurales ou urbaines souvent
d’origine peule
Entreprises ou coopératives
créées à partir des années 70, sous
l’impulsion de projets d’ONG et
qui ont connu un essor dans les
années 2000, avec l’appui de
l’Etat et des bailleurs
Entreprises nationales privatisées
dans les années 80-90
Entreprises privées
Produisent du lait caillé ou des
glaces (sucettes)
Produisent principalement du lait
pasteurisé, lait caillé sucré ou non
sucré et des yaourts
Fabriquent une gamme de
produits frais (lait liquide, lait
caillé, yaourt, crème, beurre)
Capacité de transformation de
quelques dizaines de litres/jour
Capacité de transformation de 50
à 600 litres/jour (140 litres/jour
en moyenne)
Capacité de transformation de
5000 à 20000 litres/jour
Plusieurs centaines par pays 155 minilaiteries recensées en
2012 (dont 124 en activité)
Une vingtaine en 2013
Localisées dans les centres
urbains ou en milieu rural
Localisées dans les villes
secondaires au niveau de bassins
laitiers, rarement en capitale
Localisées principalement dans
les capitales
Transforment du lait local ou de
la poudre de lait
Fabriquent des produits frais à
partir de lait local (rayon de
collecte de 20-30 km) avec
souvent utilisation de lait en
poudre à certaines périodes de
l’année
Transforment exclusivement à
partir de poudre de lait
Ou collectent aussi du lait local :
au maximum 2000 litres, pour
une transformation de 4000 à
15 000 litres selon les entreprises
(10 à 50% de la production totale)
Motivations pour collecter le lait
local : disponibilité du lait
pendant l’hivernage
Motivations pour collecter le lait
local : motivation du chef
d’entreprise, différenciation par
rapport aux produits transformés
à partir de poudre de lait
Motivations pour collecter le lait
local : motivation du chef
d’entreprise, argument
commercial et obligations
contractuelles avec l’Etat
Cette analyse des différentes catégories d’acteurs impliquées dans la transformation du lait
montre que les acteurs travaillant exclusivement à partir du lait local sont rares. La chute de
production laitière pendant la saison sèche (et chaude), à une période où la demande des
consommateurs est la plus forte, constitue en effet une contrainte majeure pour assurer une
régularité des approvisionnements et conserver les parts de marchés.
Les acteurs qui travaillent exclusivement ou en grande partie à partir de lait local sont
principalement les femmes transformatrices artisanales en milieu rural (qui ont facilement
accès au lait local au sein de leur exploitation ou dans leur voisinage) ou les minilaiteries
portées par l’engagement de leur dirigeant et entretenant des liens forts avec leurs éleveurs
fournisseurs et dont la réputation et la différenciation du produit se font sur cette image de
qualité du lait local.
On observe aussi que l’Etat peut jouer un rôle important dans la promotion de l’utilisation du
lait local en imposant aux entreprises industrielles de s’approvisionner au moins en partie à
partir de lait local, même si cela représente toujours moins de la moitié des
approvisionnements (10 à 50%).
11. 11
2. Quels sont les produits consommés dans les différents pays ? Sont-
ils produits à partir de lait local ?
On trouve sur le marché d’Afrique de l’Ouest plusieurs types de produits issus du lait local ou
de la transformation de poudre de lait. Certains produits sont exclusivement réalisés à partir de
lait local (crème, beurre, boissons et plats traditionnels, fromages locaux), mais la majeure
partie des produits consommés peuvent être issus de lait local ou de lait reconstitué à partir de
poudre de lait.
Produits Lait
local
Lait
reconstitué
Consommation Conditionnement
Lait frais bouilli, pasteurisé
ou stérilisé commercialisé
x x Consommation de lait
frais local saisonnière
En vrac, en sachet, en
bouteille, en emballage
cartonné
Lait caillé ou lait acidifié
(fermenté)
x x 1er produit consommé
(0.5 à 2 fois plus que
le lait liquide)
En vrac, en sachets
Boissons lactés traditionnelles x En vrac
Yaourts à boire aromatisés ou
sucrés
x x En sachet, en bouteille
Yaourts en pot x xx Marché de niche
(haut de gamme)
En pot
Couscous, bouillies xx x En vrac, en pot
Crème maturée x En pot
Beurre solide fermier ou
industriel
x En sachet
Beurre clarifié (ou beurre
liquide)
x Peu consommé (rare
et cher)
En bouteille
Lait concentré ou condensé x En pot, en sachet
Fromages locaux x Peu consommés sauf
au Niger et Benin
En vrac
Lait en poudre x Pour faire lait frais ou
lait caillé
En vrac, en pot,en sachet
Fromages et produits laitiers
industriels importés
En emballage
Les choix des consommateurs entre produits issus du lait local ou du lait en poudre reposent
sur plusieurs critères. Des enquêtes consommateurs réalisés dans plusieurs pays d’Afrique de
l’Ouest montrent que les consommateurs privilégient en général des produits qu’ils
connaissent déjà, soit par les media, soit parce qu’ils les ont déjà goûtés. Le goût, la texture, la
disponibilité et le prix constituent les principaux éléments conditionnant l’achat. L’origine du
produit ne semble pas être un argument décisif dans l’acte d’achat, si ce n’est pour une petite
12. 12
partie de consommateurs engagés et à fort pouvoir d’achat et pour les consommateurs
nigériens, qui semblent plus attachés au goût et à l’origine du lait local (Bastard, 2013). Le
prix reste un élément déterminant pour les consommateurs à faible pouvoir d’achat.
3. Dans quelle mesure, la production locale répond-elle à la demande
des consommateurs ?
Une consommation globale de produits laitiers en hausse du fait de la croissance
démographique
La consommation par habitant de lait en Afrique de l’Ouest demeure globalement faible et en-
dessous des recommandations de l’OMS qui préconisent une consommation de 70 à 90
kg/an/habitant (en équivalents kg de lait). Les statistiques nationales ne montrent pas
d’évolution significative de la consommation par capita sur les dernières années, mais la
croissance démographique très soutenue (notamment en villes) laisse présager une réelle
dynamique de croissance du secteur laitier dans les décennies à venir. La question est de
savoir si le lait local va réussir à profiter de ce contexte favorable de croissance de la
demande, alors que plus de 90% de la consommation de lait en Afrique de l’Ouest est issu de
poudre de lait importée (Duteurtre et Corniaux, 2013). Ceci dépendra largement de l’existence
de politiques publiques de soutien au développement des filières locales, couplées à des
mesures de protection vis-à-vis du lait en poudre importé (voir III.-3. Et IV.-2 ci-dessous).
Des profils pays très différents dans la sous-région
Le poids des différents pays dans la production laitière régionale est très variable. Dans la
zone UEMOA, le Mali et le Niger sont les plus gros producteurs de lait avec 300 à 500
millions de litres de lait par an. Viennent ensuite le Sénégal et le Burkina Faso, qui sont dans
une position intermédiaire avec 170 à 270 millions de litres. Enfin, les autres pays produisent
moins de 50 millions de litres par an. La production nationale reste globalement en-dessous
des besoins de consommation, sauf pour le Burkina Faso, le Mali ou le Niger, où la production
locale est bien supérieure aux importations. Dans tous les pays, les importations viennent
prioritairement approvisionner les marchés urbains. Il existe cependant de fortes incertitudes
sur les statistiques de production, qui sont très difficiles à évaluer, étant donné qu’une faible
partie de la production est commercialisée.
Pays Production par
habitant de lait de
bovin (litres/an)
Production par
habitant de lait
d’autres espèces
(litres/an)
Importations de
lait par habitant
(litres EL/an)
Consommation
apparente de lait par
habitant (litres
EL/an)
Burkina Faso 13.9 2.9 2.4 17.9
Mali 19.9 74.3 3.9 64.9
Niger 29.8 31.7 4.1 63.8
Sénégal 11.2 2.0 19.7 39.3
UEMOA 12.7 17.8 6.5
(Source : FAOSTAT 2012 ; Duteurtre et Corniaux, 2013)
Les échanges intra-régionaux de produits laitiers sont très faibles. Seules la Côte d’Ivoire, le
Sénégal et le Togo utilisent leurs infrastructures portuaires pour importer de la poudre de lait
13. 13
en vrac et la conditionner en sachets de 500g ou en microdosettes avant de le réexporter dans
la région.
Sur la dernière décennie, les importations ont été en hausse dans tous les pays de la région.
Néanmoins, cela n’a pas bouleversé les systèmes en place et ces augmentations ont surtout
suivi la courbe de la croissance démographique (de l’ordre de 3% par an). Ces importations
sont constituées à 90% par la poudre de lait (sauf au Togo et au Bénin où le lait concentré
représente 35% des importations).
4. Les produits à base de lait local sont-ils plus chers que les produits
importés ou à base de poudre de lait ?
La concurrence entre lait local et lait importé s’effectue aussi bien au niveau de la
consommation que de la transformation. Aussi, il convient de distinguer :
d’une part le niveau de la consommation du lait, mais aussi des autres produits laitiers,
d’autre part, les prix auxquels les industriels ont accès au lait local et à la poudre de
lait importée.
Prix à la consommation du lait
Concernant les prix à la consommation du lait, il existe souvent des variations de prix pour
un même type de produit selon le pays et la zone considérée ou selon le type de
conditionnement. Cependant on observe globalement :
des prix relativement plus faibles pour le lait reconstitué à domicile à partir de poudre
de lait reconditionnée localement, lait cru (ou bouilli) local (mais il peut exister des
conditions de valorisation plus favorables) ;
des prix intermédiaires pour a) la poudre de lait importée sous forme déjà conditionnée
pour la consommation, b) le lait UHT à partir de poudre de lait importée, c) le lait
local pasteurisé, UHT ou cru mais bénéficiant de conditions de valorisations
particulières, d) les produits laitiers fabriqués à partir de lait local ou de poudre de lait
importée ;
des prix les plus élevés pour le lait UHT importé et les produits laitiers destinés à la
consommation et importés.
14. 14
Les facteurs explicatifs sont les suivants :
Le prix de la poudre de lait est fortement lié à son cours sur le marché mondial, où
dominent des pays exportateurs ayant de faibles coûts de production (Nouvelle
Zélande) et bénéficiant de subventions (Union européenne notamment). La faiblesse
des droits de douane appliqués dans la zone UEMOA (5%) contribue à accroître l’
« avantage comparatif » de la poudre de lait importée en vrac et reconditionnée sur
place (y compris directement au niveau des boutiques sous forme de sachets noués).
Le lait en poudre bénéficie en outre tout à la fois d’une bonne image en termes de
qualité et de santé, d’une facilité de conservation, d’utilisation (sous forme de lait
liquide, lait caillé, poudre dans boisson ou pâtisserie), de disponibilité au travers des
réseaux de boutiques de quartier, de visibilité au travers des médias de masse TV et
radio. C’est pourquoi il y a tout lieu de penser que, même si le prix du lait local est
plus élevé et si la production de lait locale est largement insuffisante pour couvrir la
demande, le prix de la poudre de lait tend à « tirer à la baisse » son prix. Le prix de la
poudre de lait importée sous forme conditionnée pour la consommation peut, par
contre, être jusqu’à deux fois plus élevé que celui de la poudre reconditionnée sur
place.
Le lait cru (ou bouilli) local tend à être commercialisé à un prix faible du fait d’une
conjonction de facteurs : concurrence du lait en poudre à un prix inférieur ou
équivalent, image négative en terme d’hygiène, préférence des consommateurs pour
d’autres produits laitiers (même à un prix plus élevé), caractère périssable du produit
(qui ne permet aucun stockage de la part des producteurs et des distributeurs), absence
Hiérarchie générale de prix Exemples (par litre équivalent-lait)
Bamako 2014 Dakar 2013 OuagadougouDakar/Bamako
(1) (2) 2013 (2) 2010 (3)
Lait UHT importé 1200 1000
625 ?
Lait UHT local 1500/2000?
Lait pasteurisé local 800 700
et
Lait UHT reconstitué à partir de
poudre importée ? 850
Lait cru 600 600 400/600
Poudre de lait pour
reconstitution de lait à domicile 500/700 300
(1) : Diop Aly Saleh, Bastard, Guillaume, Dia, Moussa, Rapport des enquêtes ménages et observations structurées au Niger, Mali et Sénégal , 2014
(2) : Gret
(3) : Corniaux, Christian, Vatin, François, Ancey, Véronique, Lait en poudre importé versus production locale en Afrique de l'Ouest :
vers un nouveau modèle industriel ? , Cahiers agriculture vol. 21, n°1, janvier-février 2012
15. 15
de coûts de transformation. A noter cependant que le lait cru est souvent transformé
artisanalement en lait caillé ou yaourt, produits qui sont mieux valorisés (voir ci-
dessous).
Le prix du lait UHT reconstitué à partir de poudre importée est intermédiaire. S’il
bénéficie d’une part du faible coût de la matière première importée, le processus de
reconstitution qu’il subit et le coût de l’emballage le rendent cependant plus onéreux
pour le consommateur que la poudre de lait achetée directement.
Le prix du lait local pasteurisé est lui-aussi intermédiaire, plus faible dans les régions
de forte production locale, plus élevé dans les zones urbaines côtières. Par rapport au
lait cru, il ne présente pas les mêmes risques sanitaires, il peut être stocké un certain
temps à condition qu’il n’y ait pas de rupture de la chaîne du froid et il bénéficie
souvent d’une mise en valeur commerciale de son origine locale. Il s’apparente alors à
un produit de niche acheté par les consommateurs les plus aisés.
Le prix du lait UHT local est lui aussi intermédiaire, même s’il tend à être un peu plus
élevé que les deux types précédents. Il bénéficie du même type de reconnaissance que
le lait pasteurisé local. Il tend à être plus onéreux que le lait UHT reconstitué du fait du
différentiel de prix, pour le transformateur, du lait local et de la poudre de lait (voir ci-
dessous).
Le prix du lait UHT importé est plus élevé, du fait de son coût d’importation
nettement plus élevé que la poudre de lait (transport international, droit de douane de
20% au lieu de 5%). Il s’agit d’un marché essentiellement destiné aux classes
moyennes et supérieures et aux expatriés.
Prix à la consommation des autres produits laitiers
Certains produits ne peuvent être fabriqués qu’avec du lait frais (en totalité ou en partie). C’est
le cas du fromage blanc, du beurre, de la crème fraîche, du féné). En termes de prix ramené à
l’unité d’équivalent lait, ces produits sont commercialisés à un prix plus élevé que les autres
produits laitiers. Ces produits correspondent à des marchés de niche : les consommateurs
(notamment classes moyennes urbaines) sont disposés à acquérir ces produits à un prix plus
élevé (en équivalent lait) que les autres produits laitiers. Par contre, leur prix est inférieur à des
produits identiques ou substituables importés (beurre importé, etc.), du fait notamment de
l’existence de droits de douanes relativement protecteurs (20%).
Il en va de même des produits fabriqués indifféremment à partir de poudre de lait importée ou
de lait local (yaourts, lait caillé) : ils tendent à être bien valorisés (davantage notamment que le
lait cru), mais à être moins onéreux que les produits équivalents importés (lorsqu’ils existent).
Les études disponibles ne permettent pas d’apprécier les différences de prix à la
consommation entre le lait caillé issu de lait local d’une part, et le lait caillé issu de la
poudre de lait ou les yaourts d’autre part. Ces informations seraient pourtant très
intéressantes pour mieux comprendre le niveau de concurrence entre sous-filières (lait local et
poudre de lait) et entre types d’unités de transformation (transformation artisanale,
minilaiteries, industries laitières). Le lait caillé est en effet l’un des principaux produits laitiers
consommés dans la région.
Prix du lait local en tant que matière première de la transformation
Concernant les produits qui peuvent être fabriqués aussi bien à partir de lait local qu’à partir
de poudre de lait et autres matières importées (lait UHT, lait caillé, yaourt), la concurrence
s’effectue principalement non pas au niveau des consommateurs, mais au niveau des
16. 16
industries de transformation qui peuvent s’approvisionner soit en lait frais local, soit en
poudre de lait et autres sous-produits du lait importés. La poudre de lait importée revient alors
nettement moins cher aux industriels : à Bamako, fin 2012, 200 F CFA en équivalent litre de
lait liquide contre 375 à 400 F CFA pour le lait local, dont le prix est accru par les frais de
transports1. Il s’en suit une pression à la baisse sur les prix du lait payé aux éleveurs. Certains
industriels ont opté pour une complémentarité des deux types d’approvisionnement, la poudre
de lait intervenant en complément (mais très majoritaire en termes de volumes) des
approvisionnements en lait local (qui ne sont pas réguliers dans l’année) et avec :
une utilisation du lait local en priorité vers : a) les produits qui ne peuvent être
fabriqués avec de la poudre de lait (voir ci-dessus) et qui permettent de dégager une
meilleure marge ; b) plus généralement, les produits à plus forte valeur ajoutée
permettant de valoriser en termes de marketing l’origine locale de la matière
première ;
une utilisation de la poudre de lait importée pour les autres produits de consommation
plus massive.
L’importation à bas coût de lait en poudre pose ainsi de nombreuses questions quant aux
conditions possibles de développement de la filière lait local, dans un contexte de concurrence
directe avec la poudre importée, surtout dans les pays côtiers. En effet, les entreprises qui
souhaitent s’approvisionner majoritairement à partir de lait local doivent tout de même
s’aligner en terme de prix final au consommateur sur ceux pratiqués par leurs concurrents qui
s’approvisionnent exclusivement à partir de poudre de lait. En milieu rural, les coûts de
transport et difficultés d’approvisionnement en lait en poudre permettent en général au lait
local d’avoir une bonne compétitivité-prix et de constituer l’une des sources privilégiées
d’approvisionnement des minilaiteries, dont les produits sont destinés aux marchés locaux. En
revanche, dans les grandes villes, les entreprises de transformation devraient en théorie aligner
leurs prix d’achat aux éleveurs au coût de revient qu’elles auraient en s’approvisionnant à
partir de lait en poudre, pour rester compétitives. Cela n’est pas sans poser question quant au
prix d’achat du lait aux éleveurs et aux réelles possibilités d’amélioration de leur élevage que
cela permet. Une augmentation des importations de lait en poudre ou une diminution de
son coût peuvent ainsi avoir des effets déstructurant importants sur les filières locales et
sur les entreprises qui ont misé sur l’approvisionnement majoritaire auprès des
exploitations familiales.
5. Quel est le niveau de contribution de ces filières à la création
d’emplois et à la richesse des pays ?
Contribution de la filière lait local
Aucune statistique n’est disponible sur la vente directe de produits laitiers par les familles
d’éleveurs. Quelques études récentes donnent néanmoins des informations sur le secteur
industriel et les minilaiteries.
Soixante-trois entreprises industrielles ont été dénombrées en 2014 en Afrique de l’Ouest
(hors Nigéria et Ghana) dont moins d’une dizaine collectent du lait et transforment aussi du
1
Corniaux, Christian, Duteurtre, Guillaume, et Broutin, Cécile (sous la direction de), Filières laitières et
développement de l’élevage en Afrique de l’Ouest – L’essor des minilaiteries, Karthala, 2014. Coefficient de
transformation du lait en poudre en lait liquide : 7.7.
17. 17
lait en poudre (Corniaux, 2014). Le volume collecté peut être estimé à 30 000 litres/j
correspondant à un chiffre d’affaires journalier de 24 millions de F CFA et annuel d’environ 5
milliards de FCFA.
Le recensement réalisé par le Gret et le Cirad en 2012 avait recensé 155 minilaiteries dont
124 en activités dans les 4 pays d’Afrique de l’Ouest où elles se sont développées (Sénégal,
Burkina, Mali, Niger) (Broutin C. et al, 2014). Les données disponibles pour 72 minilaiteries
permettent d’estimer le nombre de fournisseurs à 4 000 familles et les volumes collectées à
près de 20 000 litres par jour soit un chiffre d’affaires de 16 millions de FCFA/jour. Ces
laiteries valorisent le lait cru en moyenne 6 mois par an, ce qui représente un chiffre d’affaires
de 3 milliards de FCFA.
Le volume de lait collecté par jour par les entreprises industrielles et les minilaiteries
peut donc être estimé à 50 000 l/j et le chiffre d’affaires journalier de 40 millions de
FCFA et annuel de 8 milliards de FCFA, issus de la production de 10 000 familles
(Corniaux, Duteurtre 2012). Cela représente pour ces ménages un revenu moyen mensuel de
67 000 FCFA. La transformation industrielle et artisanale de lait cru représente également des
emplois. Une minilaiterie emploie 4 à 6 personnes. Ce secteur créé donc plus de 600 emplois
et sans doute au moins autant dans le secteur industriel qui transforme plus de lait collecté,
soit un total estimé à plus de 1200 emplois. On peut estimer que les filières industrielle et
semi-industrielle (minilaiteries) offrent des emplois et revenus à plus de 11 000 familles,
d’après les chiffres dont on dispose mais d’autres emplois et revenus seraient à
comptabiliser dans ces filières (collecteurs de lait cru, vendeurs de produits laitiers,
fournisseurs d’intrants et autres services) Il faudrait également comptabiliser les revenus (et
auto-emplois) issus de la vente directe de produits laitiers par les femmes d’éleveurs et les
micro-entreprises urbaines. Des centaines de milliers de familles d’éleveurs sont concernées
par la valorisation du lait local puisque pratiquement toutes vendent du lait au moins après
l’hivernage, quand il est abondant. Cette activité menée le plus souvent par les femmes,
représente un revenu essentiel pour les familles d’éleveurs (notamment dans la zone pastorale
sèche ou les opportunités de revenus sont limitées). Le chiffre d’affaires du commerce et de la
transformation du lait en poudre est sans doute plus élevé au vu des importations dont le
montant a atteint 200 milliards de Francs CFA en 2010 (près de 550 millions de FCFA/jour).
Mais le nombre d’emplois et donc de familles bénéficiant de revenus à travers l’activité
industrielle est beaucoup moins important (propriétaires employés des industries, importateurs
et vendeurs au détail). Même en prenant en compte la transformation artisanale du lait en
poudre dans les centres urbains, le nombre de familles concernées est plus faible et ce ne sont
pas les plus vulnérables (pauvreté rurale beaucoup plus élevée).
6. Quelles sont les principales politiques de soutien aux filières
laitières (politiques d’appui à l’élevage et politiques industrielles) ?
Les quatre grandes périodes des politiques laitières
En Afrique de l’Ouest, les politiques de développement du secteur laitier ont été marquées par
quatre grandes périodes :
Années 60-80 : politiques laitières administrées. L’Etat s’est directement impliqué dans la
mise en place de laiteries gouvernementales et a tenté de développer la collecte de lait sous un
mode administré. Cela s’est traduit en réalité par des besoins accrus d’importation de poudre
18. 18
de lait pour satisfaire les besoins d’approvisionnement de ces usines, du fait des difficultés
rencontrées pour collecter du lait local.
Années 80-2000 : période des ajustements structurels. Le désengagement de l’Etat du
secteur agricole a conduit à la privatisation de ces usines et à la libéralisation du marché, avec
un recours croissant aux importations.
Années 2000-2008 : régulation concertée des filières laitières. Le retour de l’Etat grâce à
des programmes et projets d’appui au secteur laitier au niveau local et national a permis de
relancer un peu la filière lait local. Néanmoins, des politiques commerciales très défavorables
persistent, avec un TEC très bas sur la poudre de lait (5%), élargi en 2015 à toute la zone
CEDEAO. Seuls les produits transformés font l’objet d’une protection commerciale, ce qui
traduit la stratégie de la région de protéger les entreprises locales, mais pas forcément la
production laitière locale.
Depuis la crise de 2008 : le renouveau des programmes de développement laitier. La
hausse du cours des matières premières et de la poudre de lait suite à la crise alimentaire de
2008 a conduit les Etats à lancer de nouveaux programmes d’appui au secteur agricole, y
compris à l’élevage et au secteur laitier. Les axes majeurs de ces programmes, qui reposent sur
le développement d’un élevage « moderne » sont détaillés plus bas.
Des programmes nationaux de développement laitier orientés vers
l’intensification de la production et la création de minilaiteries
Depuis la fin des années 2000 en lien avec la flambée du prix du lait en poudre, plusieurs
programmes de développement se sont mis en place dans de nombreux pays d’Afrique de
l’Ouest avec pour objectif principal la réduction des importations (Duteurtre et al, 2014). Ces
programmes sont tous centrés sur des approches d’intensification de la production et de
création de nouvelles infrastructures de collecte et de transformation. Ils prennent assez peu en
compte les structures déjà existantes et les dynamiques portées par les organisations
d’éleveurs.
Pays Programme Axes Dates
indicatives
Burkina
Faso
PNDEL Projet national de développement laitier.
Appui aux bassins laitiers de Ouagadougou et Bobo Dioulasso.
Projet comportant 6 composantes : productivité des élevages
laitiers (zones d’intensification, alimentation, santé,
insémination), qualité du lait local (hygiène, conditionnement),
mise en marché (collecte, tissu de transformation, réseau de
distribution, promotion lait), renforcement des capacités
(création d’organisations de base de producteurs laitiers,
création association professionnelle, création organisation
faîtière capable de piloter la filière), impacts environnementaux
(unité pilote biodigesteur, recyclage déchets, formation), gestion
du projet.
Pas de données disponibles sur la mise en œuvre et les résultats.
2013-2018
Mali Prodevelait Projet de développement et de valorisation de la production
laitière
2009-2014
19. 19
Implantation d’unités de transformation laitières modernes et
aux normes au cœur de bassins laitiers. Projet organisé autour
de 5 composantes : organisation des bassins laitiers, appui à la
production (intensification promue à travers l’insémination et
l’amélioration de l’alimentation), création de 20 centres de
collecte, implantation et réhabilitation d’unités laitières, appui
institutionnel.
Le projet de développement et de valorisation de la production
laitière est toujours en activités puisque la session de son conseil
de surveillance s’est tenue en mars dernier : 32 centres de
collecte installés, plus de 11 000 vaches inséminées selon le
ministère du développement rural.
Niger initiative 3N Création en 2011 d’un haut-commissariat à l’Initiative 3N
« Les Nigériens Nourrissent les Nigériens ». Adoption en 2012
de la Stratégie de Sécurité Alimentaire et Nutritionnelle et
Développement Agricole durable « les Nigériens Nourrissent
les Nigériens ». Pour le Ministère de l’Élevage : l’émergence de
fermes laitières, accompagnement des exploitations en faveur de
l’élevage familial, et création d’usines de transformation et de
conditionnement des produits agro-alimentaires.
Initiative 3N, toujours en cours mais pas de données sur les
activités et résultats pour la filière lait
2012-2015
Sénégal Prodelait
PSE
Le Prodelait (mis en place sous la Goana) visait à constituer un
troupeau laitier de 100 000 vaches métisses et 30 000 vaches
laitières exotiques de race pure pour une production
additionnelle de 400 000 litres de lait, à travers l’importation de
génisse d’Europe et du Brésil, de l’insémination artificielle et le
renforcement de l’approvisionnement en semences fourragères.
Les nouvelles orientations de l’Etat (PNIA) portent maintenant
sur des programmes de production de fourrage, l’élaboration
d’un code pastoral et la politique de relance de l’insémination
artificielle.
Les actions du Prodelait se poursuivent dans le cadre du Plan
Sénégal émergent (PSE) mis en place depuis l’élection du
Président Macky Sall avec un plan d’actions prioritaires (2014-
2018). Ce plan prévoit notamment l’installation de fermes
agricoles intégrées dans le secteur de l’élevage (lait, aviculture)
mais aussi le soutien à des projets d’appui à l’agriculture
familiale avec les mêmes orientations que le Prodelait et des
investissements dans les infrastructures.
Aucune donnée disponible sur l’impact de ces actions.
2007-2012
2014-2018
A côté de ces projets et programmes nationaux définis par les Etats, des projets menés par les
organisations d’éleveurs régionales (Apess, RBM) et nationales ou locales (Adena,Uprolait,
UMPLB) et par des ONG (AVSF, Gret, Iram, VSF Belgique, etc.), soutiennent le
développement de la production, de la collecte et de la transformation du lait local, notamment
au Sénégal, Mali, Niger, Burkina Faso. Cependant la prise en compte par les ministères des
actions et expérimentations menées dans le cadre de ces projets semble encore faible.
20. 20
II. CONCURRENCE ET COMPLEMENTARITE ENTRE LA FILIERE « LAIT
LOCAL » ET LA FILIERE « LAIT EN POUDRE ». ATOUTS ET
CONTRAINTES DE DEVELOPPEMENT DE CES FILIERES
1. Comment ces deux sous-filières s’adaptent aux attentes des
consommateurs ?
Des produits variés issus de la tradition laitière africaine
Les produits issus de la tradition laitière africaine et du développement des minilaiteries sont
relativement variés : lait frais pasteurisé, crème, laits fermentés doux ou aigres, beurre solide,
huile de beurre, fromages maigres, bouillies à base de lait, etc. Les produits traditionnels les
plus consommés sont les laits fermentés et différents beurres :
- les laits fermentés entiers comme le M’bannick (wolof) au Sénégal, le rayeb (arabe) au
Tchad ou l’ergo (amharique) en Éthiopie ;
- les laits fermentés écrémés (obtenus après barattage pour extraire le beurre) comme le
Katch (wolof) ou kossam kaadam (peul) au Sénégal, le rouaba (arabe) ou pendidam
(peul) au Tchad, ou l’arera (amharique) en Éthiopie ;
- la « crème fermentée /maturée» comme le fènè (bambara) au Mali ou le kétoungol
(peul) au Sénégal ;
- les beurres obtenus par barattage du lait fermenté, ou de la crème. Ils sont solides
(dans les régions où la température est relativement basse, comme en Éthiopie) ou plus
souvent liquides (beurre chauffé, appelé « huile de vache », « huile de beurre » comme
diin baggar en arabe tchadien, nebbam naï en peul, diwu nior en wolof au Sénégal.
Les produits à base de lait cru font l’objet d’une fabrication domestique au sein des ménages
d’éleveurs et d’un commerce limité en volume et en distance en raison de la faible durée de
conservation (hormis « l’huile de beurre »). Ils sont surtout vendus par les femmes d’éleveurs,
généralement responsables de la transformation, au niveau des villages, des marchés ruraux et
des villes proches des bassins de production laitière. Ils sont également produits par les
minilaiteries qui ont introduit le lait pasteurisé et vendent surtout du lait caillé en sachets dans
les marchés urbains proches. Ils répondent à une demande des consommateurs pour des
produits locaux, de qualité, emballés mais leur prix lié au volume de l’offre limite le niveau de
consommation. Il s’agit donc surtout d’une consommation individuelle et souvent de ménages
urbains aisés.
Une adaptation des industries laitières pour répondre aux nouvelles habitudes de
consommation
Les industries laitières ont su répondre à cette demande de produits
laitiers en proposant des produits à base de lait en poudre vendus en
sachets et en sceaux à des prix plus bas que les produits locaux du
fait des coûts de production plus faibles (prix de la poudre plus bas,
absence de coût de collecte et de contrôle qualité, coûts de transport
plus bas ..). Si des consommateurs regrettent de ne pas retrouver le
gout du lait cru ou des produits laitiers traditionnels, de plus en plus
d’urbains habitués depuis le plus jeune âge à les consommer ne les distinguent pas des
produits à base de lait cru et se fient aux emballages qui parfois les trompent (femmes peuhls,
nom du produit, etc.). Des tests sensoriels à « l’aveugle » effectués à Dakar le confirment. Des
21. 21
enquêtes ont également montré que si les consommateurs urbains souhaitent consommer
davantage de produits locaux, la majorité d’entre eux ne sont pas prêts à les payer plus cher.
Une étude récente réalisée pour le RBM a montré que les « prix psychologiques »2
que les
consommateurs étaient prêts à payer pour du lait caillé local était de 475 FCFA/litre au
Sénégal. Au Mali, il se situe à 375 FCFA/litre pour le lait frais et 450 FCFA/litre pour le lait
caillé. Ils se situent en dessous de la fourchette de prix (cf. partie I.4), en tous les cas dans les
capitales (importantes variations selon la proximité de la zone de production). Ceci confirme
donc que les consommateurs ont tendance à considérer les produits laitiers locaux trop chers.
Pour conquérir ce marché, les produits à base de lait local doivent pouvoir être vendus à un
prix proche de ceux des produits à base de lait en poudre.
La filière « lait en poudre » a également su répondre à une demande croissante de lait en
poudre3
pour le petit déjeuner (ajout au kinkéliba, au café soluble) des ménages urbains,
notamment dans les capitales (souvent le marché le plus important et le plus solvable). Cette
forme de consommation du lait, comme celle de la transformation domestique du lait en
poudre en lait caillé, se développe grâce à une offre diversifiée
répondant aux attentes des consommateurs et de leurs capacités
financières (microdoses dans des boutiques de quartier, sachets
unidoses de lait en poudre ou mélangé à des arômes, vente en vrac
ou en pot de 500 g, 1kg,..). La filière « lait local » ne peut pas
répondre à cette demande avec du lait pasteurisé difficile à
conditionner en microdoses et qui nécessiterait une chaine du
froid de la production jusqu’aux marchés de consommation. Il
s’agit là de marchés totalement différents et non concurrentiels entre les deux filières. C’est-à-
dire qu’il est vraisemblable que sans modification importante des pratiques de consommation
au petit déjeuner en milieu urbain, les filières locales ne pourront pas se substituer au lait en
poudre pour ce type de consommation.
2. Quelles sont les freins rencontrés dans le développement des unités
de transformation valorisant le "lait local" ?
Freins au développement des industries qui collectent le lait local
Les unités qui transforment le lait local font face à des contraintes de plusieurs ordres :
industries souvent installées dans ou à proximité des centres urbains et qui ont dans
certains pays des difficultés à collecter le lait dans un rayon proche ou avec des coûts
de collecte très élevés (ex. l’usine Nestlé installée à Dakar devait collecter du lait frais
à plus de 300 km, idem pour les industries du Cameroun très éloignées des bassins de
production. Plus facile au Burkina (Ouagadougou, Bobo Diolasso), au Niger ou au
Mali où il existe une offre de lait local proche des villes.)
2
Le prix psychologiqueou prixd’acceptabilité est le prix théorique pourlequelles ventes d’unproduit pourraient
être maximales en fonction des seuils psychologiques auxquels fait face le consommateur (prixd’achat moyen
que le consommateurest prêt à payer).En dessous,le prix est jugé trop bas et induit une peurou une suspicion
sur la qualité du produit et au-dessus, le consommateur juge le produit trop cher.
3
Le lait en poudre a remplacé le lait concentré
22. 22
besoins en matière première élevés, plus difficiles à gérer que pour des minilaiteries
qui peuvent collecter localement les volumes de lait dont elles ont besoin (cas de
beaucoup d’industries agroalimentaires qui transforment les produits locaux). Les
petites entreprises arrivent plus facilement à s’approvisionner en raison de volumes
plus petits) ;
coût du lait local (et de la collecte) plus élevé que le lait en poudre (même quand
l’usine est située dans les zones de production et qu’il faut transporter le lait en poudre
– cas de la laiterie du Berger). Il y a donc baisse de compétitivité des produits lorsqu’il
y a un mélange de lait local et de lait en poudre ou une nécessité de création d’une
gamme de produits à base de lait cru à condition qu’il existe une demande /un marché
pour ces produits (réflexion en cours au Niger).
Freins au développement des fermes et laiteries périurbaines (intégrant la
production)
En milieu périurbain, les fermes laitières font face aussi à des contraintes spécifiques :
manque d’espaces disponibles pour les fermes et les installations de transformation
et/ou prix foncier élevé (compétition agriculture/ville) ;
coûts de production élevés pour l’alimentation des vaches laitières liés à l’offre faible
de sous-produits agricoles, au coût et à la disponibilité du foncier à la périphérie des
villes pour produire l’alimentation ou au coût de transport du fourrage et des aliments
concentrés (besoins plus élevés que les élevages ruraux car peu ou pas de pâturages) ;
cohabitation parfois difficile entre habitations et élevages (nuisances olfactives,
sonores, mouches) ;
parfois en compétition avec des femmes qui vendent du lait caillé local artisanal ;
souvent investisseurs /actionnaires et donc peu de connaissance du secteur et coûts RH
plus élevés et parfois faible motivation et volonté de défendre les intérêts de la filière
locale (loisir et non réel « investissement » dans la filière).
Freins au développement des minilaiteries
Enfin, les minilaiteries rencontrent aussi de nombreuses limites à leur développement :
irrégularité de l’offre de lait liée au mode de production. La stabulation et
l’alimentation raisonnée des vaches laitières sont encore rares. L’élevage reste
majoritairement extensif. La production varie donc en fonction de la disponibilité en
fourrages et en eau. Elle est abondante pendant et après la saison des pluies et faible en
saison sèche. Ainsi de nombreuses laiteries arrêtent la production durant 6 mois de
l’année ou ont recours à la poudre de lait ;
difficultés d’accès au marché, car les laiteries sont installées dans les zones de
production et parfois loin d’un marché (urbain) solvable et porteur ;
compétitivité des produits par rapport aux transformateurs artisanaux de lait en poudre
ou industriels en raison du prix du lait cru (350-450 FCFA/lait cru rendu usine contre
200-250 F le litre de lait reconstitué (Duteurtre et al, 2014) ;
concurrence avec des femmes ou commerçants de lait cru/caillé et difficultés à
fidéliser leurs fournisseurs car les coûts de production d’une minilaiterie sont plus
élevés (locaux, pasteurisation, personnel) et elles ne peuvent pas acheter au même prix
le lait cru. Lorsqu’il existe un marché urbain proche, certaines familles préfèrent
vendre directement leur lait plutôt que de fournir la laiterie (notamment en période
sèche où les prix sont plus élevés et l’offre faible) ;
23. 23
prix du lait cru parfois très élevé notamment dans les zones où l’offre est limitée (ou
quand la demande est importante si beaucoup de laiteries sont au même endroit). Les
fournisseurs traient un nombre limité de vaches et imposent parfois leur prix pour
avoir un revenu minimum (sans lien avec les coûts de production souvent difficiles à
estimer), vente jusqu’à 500 ou 600 FCFA/litre ;
difficulté de financement des coûts de collecte et de conseil aux éleveurs pour
augmenter le volume transformé (problèmes également d’infrastructures routières et
d’équipement de réfrigération).
3. Quelles sont les capacités d’adaptation de la filière « lait local » à la
croissance de la demande ?
La capacité d’adaptation de la filière dépend de l’évolution des systèmes d’élevage pastoraux
et agro-pastoraux et de fermes périurbaines.
Les appuis des Etats à la production rurale se limitent souvent à des programmes
d’insémination artificielle, d’accès à des soins vétérinaires et des concentrés subventionnés
avec des résultats très limités sur la croissance de la production et l’approvisionnement des
marchés de consommation.
On observe dans de nombreux pays que l’évolution des systèmes est fortement liée à
l’existence de circuits de collecte qui assurent aux familles d’éleveurs un débouché pour leur
production et les incitent à modifier leurs pratiques d’élevage. L’essor des minilaiteries en
Afrique de l’Ouest et les quelques industries qui valorisent le lait local ont contribué à créer
des bassins de collecte ruraux et à mieux valoriser la production laitière sur les marchés
urbains. Elles ont incité les éleveurs à s’intéresser davantage à la production de lait pour le
marché en pratiquant l’allotement de quelques vaches, à qui des compléments alimentaires
sont donnés.
Des projets d’appui à la filière, menés par des ONG en collaboration avec des organisations
d’éleveurs et des entreprises de transformation sont encore rares. Ils montrent que des soutiens
sur l’ensemble des contraintes avec des solutions innovantes, notamment pour l’alimentation
des animaux et le conseil, donnent des résultats probants en termes d’évolution des systèmes
d’élevage et de croissance de la production (cf. encadré ci-dessous).
Développement d’une filière laitière autour de la laiterie du Berger au Sénégal
La Laiterie du Berger (LdB), créée en 2005 à Richard Toll, dans le nord du Sénégal, collecte
le lait auprès de plus de 600 familles d’éleveurs peuls dans un rayon d’une quarantaine de
kilomètres autour de l’usine. Le lait frais est transformé dans l’usine de Richard Toll pour être
commercialisé sous forme de yaourt liquide, de cakry (produit traditionnel sénégalais à base
de yaourt et de couscous de mil) ou crème fraîche, essentiellement à Dakar (à 350 km), où les
produits similaires sont fabriqués par des industries à partir de poudre de lait importée.
La collecte est l’une des contraintes majeures de l’entreprise, tant en terme de volume que de
qualité du lait. Le prix payé aux éleveurs (200 FCFA/litre) au plus près de leurs habitations est
un des facteurs de fidélisation des producteurs, mais n’est pas suffisant pour garantir la
collecte. La LdB a rapidement mis en place des services aux éleveurs : puits pastoraux,
fourniture d’aliments à prix coûtant payable à crédit sur le revenu laitier, ... Cette stratégie a
24. 24
effectivement permis d’augmenter la collecte. Cependant, elle n’est pas suffisante pour
permettre à la LDB de s’approvisionner uniquement en lait frais auprès des éleveurs peuls et
de ne plus avoir recours à la poudre de lait importée.
Pour augmenter la production laitière dans la zone, la Laiterie du Berger a créé une direction,
chargée de l’organisation de la collecte et de la fourniture de services (fourrage, aliments
concentrés, soins vétérinaires) et a cherché à réduire les coûts de collecte, avec l’appui du Gret
et de ses partenaires. En parallèle, la structuration des éleveurs laitiers et la concertation avec
la laiterie s’est renforcée, ce qui a abouti à la mise en place d’une plateforme d’innovations, en
collaboration avec l’Apess et le Gret. Un cadre de concertation entre les acteurs publics
(collectivités locales, services de l’Etat) et privés (LdB, éleveurs, et autres organismes
d’appui) a également vu le jour pour des échanges sur l’évolution des politiques publiques.
En 2014, le volume collecté a atteint près de 1000 tonnes (+ 30 % par rapport à 2013) grâce
notamment à un service fourrage de proximité pendant la saison sèche (feuilles de cannes
fournies par la Compagnie sucrière du Sénégal et livrées par la LDB), des actions de
formation et l’expérimentation d’un dispositif de conseil (CEF et contrôle laitier). Le prix
payé aux éleveurs a été augmenté de 12,5 % (225F/l au niveau des exploitations). Le coût de
la collecte a été fortement réduit en substituant des pick-up par des motos et tricycles. Le coût
du lait rendu usine est passé de 370 FCFA/KG en 2013, à 315 FCFA/kg au premier trimestre
2015, soit un coût sensiblement identique à celui du lait reconstitué à partir de lait en poudre à
l’usine.
Le dispositif est encore expérimental et en partie subventionné (service fourrage de canne et
appui technique de l’équipe projet). Cependant il permet d’entrevoir des possibilités
intéressantes d’évolution des filières locales avec des défis encore importants à relever
puisque la collecte ne couvre que 50 % des besoins de la laiterie en raison des actions
commerciales qui ont permis de développer son marché à Dakar, que les coûts d’alimentation
doivent encore être réduits et qu’il y a un risque de concurrence accrue sur le marché de Dakar
si le prix de la poudre de lait diminue.
Ces constats illustrent les possibilités d’évolution de la filière et ses capacités d’adaptation
lorsqu’il existe un débouché assuré à travers la collecte par des entreprises de transformation
et des soutiens pour faire évoluer les conditions de production.
Les unités de transformation valorisent la production d’un nombre limité d’éleveurs et ne
collectent qu’une part très faible de la production commercialisable. « La part du lait collecté
est estimée au Burkina Faso et du Sénégal à respectivement à 1,6% et 7% du lait produit dans
le pays. Le faible pourcentage du lait collecté en zone rurale indique des marges de progrès
importantes pour la valorisation du « lait de brousse ». » (Corniaux C. Duteurtre G., 2014). Il
faut cependant souligner que le développement du secteur de la transformation et des réseaux
de collecte doit être accompagné d’appuis à la production pour améliorer la productivité des
systèmes en sachant que l’évolution des pratiques et les effets sur l’offre sont relativement
lents. L’introduction d’innovations dans le secteur de l’élevage ne peut pas donner des impacts
aussi rapides que pour des productions végétales annuelles. Les impacts de l’amélioration de
la gestion du troupeau, l’introduction de races plus productives ou de l’insémination
artificielle ne peuvent être mesurés que plusieurs années après.
L’analyse des capacités d’adaptation de la filière « lait local » concerne également le
développement des systèmes urbains (quelques vaches dans les quartiers comme à
25. 25
Ouagadougou) et périurbains (fermes en périphérie des villes avec des vaches métisses ou
importées).
Certaines études mettent aussi en avant la nécessité d’accompagner le développement des
fermes intensives péri-urbaines (agro-entrepreneurs), mais les coûts de production très élevés
de ces systèmes posent question quant à leur durabilité. Néanmoins, leur développement
pourrait aussi conduire à développer un nouveau marché lié à l’augmentation de la production
et à la promotion à grande échelle du lait local. La mise en œuvre de nouveaux circuits de
collecte pourrait aussi à terme profiter aux petites unités de transformation locale, souvent plus
viables que de grandes industries laitières.
L’étude relative à la formulation du programme d’actions détaillé de développement de la
filière lait en zone UEMOA, réalisée en 2013, propose ainsi d’agir sur 3 piliers : (i) l’appui
aux fermes intensives périurbaines (agro-entrepreneurs) ; (ii) l’incitation à la collecte du lait
local par les laiteries industrielles et (iii) l’appui à la collecte rurale portée par des minilaiteries
artisanales, des laiteries et des organisations de producteurs.
On observe aujourd’hui que la plupart des orientations politiques sont bien plus centrées sur la
mise en place de fermes « modernes » que vers le développement des systèmes agro-pastoraux
et l’appui aux circuits de collecte en milieu rural. Pourtant, du point de vue de l’intérêt général
et dans une optique de réduction de la pauvreté, l’appui aux systèmes agro-pastoraux demeure
bien une voie prioritaire. Les succès rencontrés lorsque des services adéquats en matière
d’alimentation, de soins vétérinaires, d’amélioration de la productivité et de rationalisation des
circuits de collecte sont mis en place conjointement montrent qu’il existe encore de nombreux
leviers à activer en matière de politique d’appui au secteur laitier.
III. HYPOTHESES D’EVOLUTION DE CES FILIERES LIES A L’EVOLUTION
DE LEUR ENVIRONNEMENT COMMERCIAL
Les filières laitières sont très dépendantes de leur environnement commercial. Celui-ci est en
évolution et comporte plusieurs incertitudes liées à la signature de l’APE et l’application du
TEC de la CEDEAO, et surtout à l’évolution probable des marchés (accroissement de la
demande en Afrique de l’Ouest, fin des quotas laitiers en Europe, etc.).
1. Quels changements risquent d'induire la mise en place du TEC
CEDEAO et la signature des APE ?
En matière de politique commerciale, deux changements influeront sur les prix des produits
importés au cours des prochaines années : d’une part la mise en œuvre du TEC CEDEAO,
d’autre part la mise en œuvre de l’Accord de Partenariat Economique (APE) avec l’Union
européenne.
26. 26
La mise en place du TEC CEDEAO
Le nouveau TEC CEDEAO sera mis en place de façon progressive sur cinq ans à partir du 1er
janvier 2015. Le TEC CEDEAO différencie 5 catégories de biens avec un taux de protection
spécifique à chaque catégorie4
:
Catégorie de biens Définition Droit de douane
0 Biens sociaux essentiels 0%
1 Biens de première nécessité, matières premières de base,
biens d’équipement, intrants spécifiques (lait en poudre
conditionné en emballages de plus de 25 kg, babeurre en
poudre, lactosérum, huile de beurre)
5%
2
Intrants et produits intermédiaires
(dont lait en poudre conditionné en emballages de moins de
25 kg et crèmes conditionnées en emballages de plus de 25
kg)
10%
3 Biens de consommation finale (lait liquide, beurre, fromage) 20%
4 Biens spécifiques pour le développement économique
(yaourt)
35%
Par rapport à la structure du TEC UEMOA, une cinquième bande tarifaire (catégorie 4) a été
introduite.
Pour les pays membres de l’UEMOA, le TEC CEDEAO remplace le TEC UEMOA. Les
deux TEC sont relativement proches en ce qui concerne le lait et les produits laitiers. Il existe
cependant certaines différences. Ainsi :
Concernant la poudre de lait, qui représente la grande majorité de la valeur des
importations de produits laitiers des pays de l’UEMOA5
:
- La poudre de lait conditionnée en emballages de 25 kg ou plus, qui est soit
utilisée par les industriels, soit reconditionnée en lots plus réduits, continue à
se voir appliquer un droit de douane très peu protecteur de 5%.
- La protection est légèrement améliorée (10% au lieu de 5%) pour la poudre de
lait conditionnée en emballages de moins de 25 kg (sauf s’il s’agit de produits
dont la vente est exclusivement réservée aux pharmacies, pour lesquels le taux
de 5% est maintenu),
Le taux de protection est diminué de 20 à 10% pour le lait et la crème concentrés
(hors poudre), en emballages de plus de 25 kg.
4
Deux mesures complémentaires de protection sont prévues. La Taxe d’ajustement à l’importation (Tai) est applicable de façon
transitoirepar les Etats pendant cinqans pour faire faceaux baisses de protectiontarifaire. La Taxe complémentairede protection(Tcp)
permet aux Etat de faire face pendant un à deux ans aux effets d’une importation massive de produits ou à une baisse conséquente de
leur prix.
Par ailleurs, outre les droits de douane, les produits importés sont soumis à une Redevance statistique (RST, 1%) et au Prélèvement
Communautaire de la CEDEAO (PCC, 0.5%). A titre transitoire (5 ans), en en attente de la mise en place d’un prélèvement
communautaireunique, les produits importés des Etats hors UEMOA restent assujettis au Prélèvement Communautaire de Solidarité
(PCS) de 1%.
5
Source : http://www.trademap.org/Country_SelProduct_TS.aspx
27. 27
Le taux moyennement protecteur de 20% est inchangé pour les fromages et le lait
caillé, ainsi que pour le lait et la crème de lait non concentrés ni additionnés de sucres
ou d’autres édulcorants,
A noter également, même si cela est marginal en termes de volumes d’importation,
que le taux de protection est amélioré pour les yaourts (de 20 à 35%).
L’orientation dominante est donc de maintenir un taux de protection très faible (5%) à faible
(10%) pour les matières premières des industries laitières et de reconditionnement, un taux
faible pour le lait en poudre destiné directement à la consommation, et un taux moyennement
(20%) à significativement protecteur (35%) pour les autres biens de consommation finaux. Il
apparait ainsi clairement que la politique commerciale vise davantage à protéger les
industries laitières que les éleveurs.
Cette orientation n’est pas nouvelle au sein de l’UEMOA et le TEC CEDEAO vient la
confirmer. Elle soumet la production laitière régionale à la concurrence d’importations à bas
prix en provenance de diverses régions du monde. Elle compromet ainsi fortement le
développement des filières lait local en Afrique de l’Ouest.
Concernant les pays non membres de l’UEMOA, l’application du TEC CEDEAO se traduira
dans certains cas par une diminution de leurs taux de protection par rapport aux taux
auparavant appliqués, mais la situation dépend des pays :
Pour le Nigeria, l’impact est en général similaire pour les pays de l’UEMOA,
notamment pour la poudre de lait, avec le maintien d’une très faible protection (5%)
pour la poudre de lait en emballages de plus de 25 kg, légère amélioration de la
protection (de 5% à 10%) pour les petits emballages. De même, la protection est
améliorée pour les yaourts (de 20 à 35%). Par contre, la protection est diminuée de 20
à 10% ou 5% pour d’autres produits (babeurre, lait et crèmes caillés, etc.).
Pour le Ghana, qui avait un taux de protection uniforme de 20% pour l’ensemble des
produits laitiers, il y a une baisse de protection pour de nombreux produits, notamment
pour la poudre de lait (passage à une protection de 5 ou 10% selon le type
d’emballage), mais aussi pour le lait et la crème concentrés (hors poudre), en
emballages de plus de 25 kg (passage à un taux de 10%).
En définitive, pour les pays de l’UEMOA et le Nigeria, l’impact de la mise en place du TEC
CEDEAO devrait être neutre ou faible sur les prix d’importation de la poudre de lait et les
autres matières premières de l’industrie laitière, avec cependant un impact plus significatif
(baisse de prix de 10%) pour le lait concentré conditionné en emballages de plus de 25 kg.
Concernant le Ghana, un avantage comparatif supplémentaire sera donné à la poudre de lait
importée, avec une baisse des prix de l’ordre de 15%. Les impacts de la mise en application du
TEC dans ce pays devraient faire l’objet d’une attention particulière par les organisations
d’éleveurs, acteurs engagés dans la filière lait local et par les pouvoirs publics.
Le prix d’importation des yaourts devrait par contre être accru d’une façon un peu plus
significative (15%) pour l’ensemble de ces pays, donnant un léger avantage comparatif aux
fabrications locales (à partir de lait local ou de matières premières importées).
L’impact du TEC CEDEAO dépendra également de l’utilisation ou non la clause de
sauvegarde spéciale de l’Accord sur l’Agriculture (AsA) de l’OMC. A plus long terme, une
plus grande autonomie politique de la région pour mieux protéger ses marchés agricoles
28. 28
dépendra du choix éventuel de notifier à l’OMC des taux plafonds supérieurs aux taux du
TEC6
.
La signature de l’APE
L’APE distingue quatre groupes de produits importés par les pays de l’Afrique de l’Ouest en
provenance de l’Union européenne. La libéralisation concerne les groupes A, B et C, avec un
rythme de libéralisation plus rapide pour le groupe A (dans un délai de 5 ans) et plus lent pour
le groupe C (délai de libéralisation complète pouvant aller jusqu’à 20 ans).
Il y a une certaine cohérence entre les catégories du TEC CEDEAO et les groupes de produits
de l’APE. Ainsi, les produits du groupe D, considérés comme « produits sensibles », sont
exclus de la libéralisation. Les produits de la catégorie 4 du TEC CEDEAO (35% de
protection) appartiennent tous au groupe D, tout comme une bonne partie des produits de la
catégorie 3 (20% de protection). Les produits les moins protégés (5%) sont libéralisés plus
rapidement.
Concernant le lait et les produits laitiers, en règle générale, l’ensemble des produits des
catégories 2, 3 et 4 du TEC CEDEAO (taux de protection de 10, 20 et 35%) sont exclus de la
libéralisation.
Par contre, l’ensemble des produits de la catégorie 1 (taux de protection de 5%), en tant que
matières premières de base, sont inclus dans le groupe A et soumis à une libéralisation rapide
(suppression des droits de douane à l’échéance de 5 ans). C’est notamment le cas de la poudre
de lait conditionnée dans des emballages de plus de 25kg, mais également du lactosérum et
des matières grasses du lait destinées à l’industrie.
En définitive, la mise en œuvre de l’APE devrait essentiellement se traduire par un
avantage comparatif supplémentaire pour les matières premières importées de l’Union
européenne à destination des industries laitières (baisse de prix de 5%), au détriment du
lait local. Cet impact est cependant très faible comparé aux amplitudes de variation du prix
mondial des matières premières importées.
6 La clause de sauvegarde spéciale de l’Accordsur l’Agriculture(AsA) de l’OMC permet aux gouvernements de prendre des mesures
d’urgence temporaires encas d’effondrement des prix sur le marché mondial ou d’augmentation soudaine des importations afin de
protéger leurs marchés et leurs producteurs locaux. Jusqu’à présent,les pays de l’UEMOA ont en règle générale, notifié à l’OMC des
taux plafonds, ce qui ne leur permet pas d’utiliser cette clause.
La question est donc de savoir si la CEDEAO notifieraà l’OMC les taux de son nouveau TEC ou bien des taux plafonds plus élevés.
Dans le premier cas, les Etats de l’Afrique de l’Ouest pourraient alors recourir à l’avenir à la clause de sauvegarde spéciale. Ceci
semble le plus plausible, car le TEC CEDEAO prévoit bien une telle mesure(taxecomplémentaire de protection)6
. Notons cependant
que la taxe complémentaire de protectionduTEC CEDEAOn’apparait vraiment pas comme un outil efficace pour protéger les Etat s
contre une chute des prixd’importations.En effet, pour qu’elle puisse être mise en œuvre, il faut que le prix d’importation du produit
tombe en deçà de 80% de la moyenneduprix d’importation des trois dernières années pour lesquelles des données sont disponibles
(elle peut aussi être mise en œuvre encas d’accroissement des volumes d’importation de plus de 25%)6
. D’unepart, le chiffre de 80%
par rapport à une moyennede trois ans correspondà un véritable effondrement des prixtout -à-fait exceptionnel et fort improbable !
D’autre part, le principe de faireréférence à la moyennedes trois années précédentes signifie que si la baisse est graduelle sur plusieurs
années, le chiffre de 80% n’est jamais atteint, même si, dans la pratique, il y a bien une baisse globale de plus de 80%.
Dans le deuxième cas (notificationà l’OMC de taux plafonds plus élevés que ceux duTEC), la CEDEAO nepourrait pas recourir à la
clause de sauvegarde spéciale. Mais, outre le fait que cette-dernière est, comme nous venons de le voir, de toutes façons a priori
inopérante, dumoins pour les produits laitiers, la CEDEAO disposerait alors d’une liberté importante pour releverà l’avenirsi besoin -
ousi décision des Etats de la région de mettreen œuvreune véritable politique de soutiende leurs marchés locaux- les taux de douane
réellement appliqués.
29. 29
Cependant, l’APE implique un cadre juridique contraignant qui interdira à l’avenir aux pays
signataires de relever les droits de douane appliqués aux importations en provenance de
l’Union européenne. Ainsi, si la CEDEAO notifiait à l’OMC des taux plafonds plus élevés
que les taux du TEC CEDEAO et qu’elle décidait un jour de relever les taux appliqués,
elle ne pourrait pas appliquer cette hausse aux importations en provenance de l’Union
européenne.
Par ailleurs, l’APE prévoit des mesures de sauvegarde, similaires à celle de l’OMC, qui
autorisent les Etats de l’Afrique de l’Ouest à accroître temporairement (4 ans maximum,
renouvelable une fois) les droits de douane (ainsi qu’à suspendre la réduction des droits de
douane et à appliquer des contingentements tarifaires) en cas de fort accroissement des
importations ou de forte baisse des prix, causant des perturbations économiques et sociales
importantes. Cependant, ces mesures ne peuvent amener à appliquer des droits de douanes
supérieurs à ceux appliqués aux autres membres de l’OMC. Or, comme on l’a vu, le taux de
protection appliqué, notamment pour la poudre de lait, aux autres membres de l’OMC est lui-
même très faible. Les mesures prises doivent par ailleurs simplement compenser l’effet de la
hausse des importations ou de la baisse de leur prix, et ne pas aller au-delà. Il ne s’agit donc
pas d’un moyen qui permettrait de remettre en cause la faible protection structurelle du
marché laitier africain, de revenir sur la logique de libéralisation des marchés. La
possibilité de recours aux mesures de sauvegarde ne doit cependant pas être négligée (voir ci-
dessous).
L’APE prévoit également que les mesures antidumping autorisées par l’OMC puissent être
appliquées. Cependant, l’Union européenne s’engage dans l’APE à ne pas recourir à de
subventions aux exportations sur les produits destinés aux marchés ouest-africains. Comme
par ailleurs, les subventions agricoles de l’UE sont considérées comme « non distorsives » par
l’OMC7
(boîte verte), du fait de leur découplage des types et des volumes de production, les
Etats de la CEDEAO ne peuvent espérer pouvoir recourir à ces mesures antidumping à
l’encontre de l’UE.
2. La fin des quotas laitiers en Europe risque-t-elle d'augmenter les
exportations vers l'Afrique de l'Ouest ?
La fin de quotas laitiers européens au 1er
avril 2015 devrait se traduire par une hausse
significative de la production laitière européenne. Selon Agritel, la production européenne
devrait s’accroître d’environ 8% d’ici 20208
. Le marché européen étant saturé, ce surcroit de
production devra principalement être écoulé sur le marché mondial.
Cependant, l’évolution du prix mondial du lait - et donc la compétitivité de la matière
première importée (poudre de lait notamment) par rapport au lait local pour les industries
ouest-africaines - dépendra d’un ensemble d’autres facteurs sur le marché mondial, à savoir :
D’une part l’évolution de la production des grands pays exportateurs (notamment,
Union européenne, Nouvelle-Zélande et Etats-Unis),
7
Ce qui est par ailleurs fortement discutable.
8
Fourreaux, Renaud, Le lait en ébullition, Agrodistribution n° 257, février 2015.
30. 30
D’autre part, l’évolution de la consommation dans le monde, et notamment dans les
pays fortement importateurs et les pays émergents où les modes de consommation
évoluent, ainsi que la capacité de ses pays à accroître leur production. Il s’agit
notamment de la Chine, la Russie, le Japon, l’Indonésie, le Mexique et les pays
d’Afrique du Nord.
Les évolutions de prix pour les dix prochaines années sont donc incertaines. Depuis 2007, les
prix mondiaux sont à un niveau élevé (de 3.000 à 4.000 USD / tonne pour le lait en poudre)
par rapport aux 15 années qui avaient précédé (de 1.500 à 2.000 USD / tonne du début des
années 90 à 2003 et entre 2.000 et 3.000 USD / tonne entre 2004 et 2006). Même en termes
réels, l’accroissement de prix entre les années 90 et les années 2007-2014 est d’environ 50%9
.
Les prévisions indiquent que les prix en termes nominaux devraient être à peu près stables
d’ici 2024 et décroitre d’ici 2024 d’environ 10 à 20% en termes réels.
Cependant, ces chiffres doivent être considérés avec la plus grande précaution compte tenu
des incertitudes mentionnées ci-dessus et du contexte de forte volatilité des prix. Ce qui est
certain c’est qu’il n’est absolument pas exclu que les prix mondiaux redescendent
conjoncturellement à des niveaux très inférieurs aux niveaux relativement élevés des dernières
années, accroissant fortement la compétitivité de la poudre de lait importée par les pays ouest-
africains par rapport au lait local. De fait, on assiste depuis avril 2014 à une chute du prix
mondial du lait (de 5.000 USD / tonne en mars 2014 à 3.000 USD / tonne en mars 2015).
On a vu que certaines entreprises laitières installées ou s’installant en Afrique de l’Ouest ont,
pour diverses raisons (sécurité d’approvisionnement et faible prix grâce à la poudre de lait,
produits à haute valeur ajoutée et image de marque de l’entreprise et de ses produits grâce au
lait local), une stratégie d’approvisionnement mixte (lait local et poudre importée). Cette
tendance pourrait se renforcer, mais elle risque d’être en partie menacée si le prix de la poudre
importée diminue significativement. De plus, dans un tel cas, la pression à la baisse sur le prix
du lait local ne peut être qu’accrue (et également du fait de la concurrence de la poudre de lait
achetée directement par les consommateurs), compromettant le revenu des producteurs, ainsi
que leur intérêt économique et leurs capacités pour produire davantage. La fin des quotas
laitiers en Europe et la course à la productivité qui s’en suivra ne pourra que contribuer à
accroître la pression à la baisse sur les prix d’importation de poudre de lait et donc,
indirectement, sur le prix du lait local payé aux producteurs.
9
OCDE/FAO, Perspectives agricoles de l’OCDE et de la FAO 2014, 2014
31. 31
WMP : Poudre de lait entière – SMP : Poudre de lait écrémée
3. Quelles mesures préventives peut prévoir la CEDEAO pour faire face
à ces menaces ? Dans ce contexte, quelles sont les voies possibles
pour améliorer la protection de la filière lait local ?
La CEDEAO pourrait considérer comme référence le prix moyen des dernières années des
importations de lait et de produits laitiers. Même si les Etats de la région n’ont pas, dans le
cadre de leur politique commerciale, fait le choix de ce système contraire aux règles de l’OMC
et au principe du TEC (droits de douane fixes), il convient de souligner que l’outil de politique
commerciale le plus efficace pour stabiliser le prix des importations à un niveau élevé est le
système des prélèvements variables (qui pourrait prendre comme référence le prix
relativement élevé des dernières années).
Au minimum, la CEDEAO pourrait prendre cette moyenne comme référence en vue de
déclencher des clauses de sauvegarde dans le cas d’une baisse des prix sensible en deçà de ce
niveau de prix. Cependant le TEC CEDEAO ne prévoit pas une telle disposition, puisque la
référence est une référence glissante au cours du temps (les 3 années précédentes). De plus, on
a vu que, compte tenu des conditions prévues (80% de chute de prix ou 25% de hausse des
importations), qu’il est très hautement improbable que ce dispositif puisse un jour être utilisé
pour les produits laitiers.
Dans le cadre de l’APE, des conditions plus souples sont prévues et la clause de sauvegarde
pourrait a priori être assez facilement utilisée en cas de baisse des prix importante. Cependant,
les mesures supplémentaires de taxation des importations dans le cadre de cette clause de
sauvegarde seraient plafonnées dès que les droits de douanes atteindraient les taux appliqués
aux autres Etats, qui sont à peine supérieurs aux taux prévus par l’APE (5% pour la poudre de
lait au lieu de 0%). En cas de forte baisse des cours mondiaux, une telle mesure de sauvegarde
dans le cadre de l’APE n’aurait donc qu’une efficacité tout-à-fait marginale.
La CEDEAO pourrait également notifier à l’OMC, non pas les taux appliqués, mais des taux
plafonds, comme l’avaient fait la plupart des Etats, de façon à garder la possibilité d’un
accroissement à venir des droits de douane. Pour tous les pays qui ont consolidé leurs droits à
des taux plafonds élevés, il n’y aurait aucun problème (par exemple, Nigeria : 150%, Burkina
Faso : 98%, Ghana : 97%). Il y a aurait par contre a priori un problème juridique encore accru
avec le Sénégal (29.8%) et la Côte d’Ivoire (14,9%)10
. Cependant, diverses solutions existent
qui permettraient de résoudre le problème11
. Les droits de douane appliqués - notamment sur
la poudre de lait - seraient ensuite progressivement accrus (avec également possibilité de
s’inspirer du système des prélèvements variables) dans le cadre d’un plan pluriannuel visant
au développement de l’élevage régional et à une substitution progressive d’une partie des
importations par des produits originaires de la région.
10
L’incompatibilité juridique existerait y compris si la CEDEAO notifiait les tauxréellement appliqués, puisque
certains produits agricoles sont taxés à 35% (incompatibilité pour le Sénégal et la Côte d’Ivoire) ou à 20%
(incompatibilité pour la Côte d’Ivoire).
11
Voir à ce sujet : Diouf, El Hadj Abdourahmane, Nouveau tarif extérieur commun de la CEDEAO et
engagementsindividuelsde ses membres à l’OMC : des incompatibilités surmontables, Passerelles, ICTSD,
Volume 13, n°3, octobre 2012.
32. 32
Cependant, on a vu que, dans ce cas, la signature de l’APE constituerait une contrainte
majeure. Ainsi, si la CEDEAO notifiait à l’OMC des taux plafonds plus élevés que les taux du
TEC CEDEAO et qu’elle décidait un jour de relever les taux appliqués, elle ne pourrait pas
appliquer cette hausse aux importations en provenance de l’Union européenne.
IV. DES POLITIQUES ADAPTEES POUR ACCOMPAGNER LE
DEVELOPPEMENT DES FILIERES « LAIT LOCAL » EN AFRIQUE DE
L’OUEST
Du fait de leur ancrage dans les territoires ruraux, au plus près des bassins de collecte du lait
local, les minilaiteries constituent aujourd’hui l’une des voies de développement principales
des filières lait local. L’augmentation de la part de lait local collecté par les entreprises
industrielles et le développement de nouvelles structures de taille intermédiaire dans les zones
à plus fort potentiel peut en constituer une autre. Ce développement ne pourra néanmoins
s’effectuer que si des conditions favorables sont réunies pour une réelle émergence de la
filière lait local.
1. La collecte de lait local par les minilaiteries peut-elle vraiment
répondre aux besoins des consommateurs à des prix abordables ?
Il n’existe pas un modèle étalon garantissant la viabilité d’une minilaiterie, mais des
arrangements divers en fonction du contexte local (caractéristiques de la production, du
marché et des systèmes de transformation existants). Le profil du gérant, son réseau social et
sa capacité à l’étendre en créant la confiance et la rigueur dans l’entreprise sont déterminants.
La gestion d’une croissance maîtrisée en commençant par des volumes limités (qui permettent
de tester les modalités de collecte, les modes d’organisation interne, la distribution et le
marché), et la capacité à faire face aux crises diverses sont également des éléments décisifs
pour la durabilité des minilaiteries.
La taille et le statut des entreprises n’ont en réalité qu’un rôle secondaire. La survie d’une
minilaiterie n’est pas liée uniquement au volume traité. Le seuil de rentabilité dépend de
l’unité et de la gamme de produits proposés. Il est aussi fonction des charges de l’entreprise
qui sont parfois élevées en raison d’un mauvais dimensionnement des investissements, du
matériel, et quelques fois des ressources humaines. Cependant, la décision de création et le
choix du statut doivent tenir compte de l’ensemble du paysage économique et social, en
faisant notamment attention aux autres laiteries déjà en activité, dans un objectif de création
de revenus pour le plus grand nombre et de rémunération équitable du travail. Enfin, pour
durer ou grandir, les structures collectives (GIE, coopératives) doivent impérativement éviter
de mélanger vie associative et entreprise.
Quoi qu’il en soit, et en dépit des limites que nous venons de souligner, les faits sont là : les
minilaiteries se sont multipliées depuis les années 1990 et font preuve d’une formidable
capacité d’adaptation sur les plans structurels et commerciaux.
La petite taille de ces entreprises représente sans doute à la fois un atout et une limite. Environ
80 % des minilaiteries recensées collectent moins de 200 litres de lait par jour ; 60 % en
collectent moins de 100 litres quotidiennement. Cette dimension artisanale offre beaucoup de
33. 33
souplesse dans la mise en œuvre de l’activité de collecte, de transformation et de distribution
du lait. L’investissement initial est faible et l’entretien de l’équipement, souvent sommaire, est
peu coûteux. Il est également relativement aisé d’assurer un approvisionnement de quelques
dizaines de litres, même en saison sèche. En revanche, au regard des petites quantités
commercialisées, les charges fixes énergétiques et salariales menacent la pérennité des
entreprises. En outre, leur créneau de marché est souvent en concurrence directe avec des
produits laitiers industriels fabriqués à partir de poudre de lait ou avec du lait local vendu sur
les circuits traditionnels. La multiplication de petites laiteries autour d’un même marché,
comme à Kolda au Sénégal ou à Koutiala au Mali, a d’ailleurs entraîné des arrêts de
production. Pourtant, la part des échecs est relativement modeste (de l’ordre de 20 %), si on la
compare à l’ensemble du secteur des micro et petites entreprises en Afrique. La qualité et
l’engagement sans cesse renouvelé des dirigeants des petites laiteries ont sans doute contribué
à limiter les échecs. L’appui des ONG et des projets aux minilaiteries explique aussi ce « bon
» résultat.
En réalité, l’impact des minilaiteries sur le marché national reste marginal. La demande totale
en produits laitiers est de l’ordre de plusieurs centaines de millions de litres pour chaque pays
sahélien. Or, l’offre des minilaiteries ne couvre tout au plus que 1 à 3 % de cette demande.
Même si le potentiel de développement des minilaiteries est encore important, il faudrait
changer réellement d’échelle pour avoir un impact significatif au niveau national.
Pour autant, les minilaiteries ont un impact local évident en matière d’emplois et de revenus,
aussi bien en amont qu’en aval de l’unité de transformation du lait. Le chiffre d’affaires
annuel global représente plusieurs milliards de francs CFA. Leur rôle dans l’adoption de
nouvelles pratiques est également indéniable. L’approvisionnement s’est nettement amélioré
en quantité et en qualité sanitaire. Les marchés de consommation sont étroits dans les villes
secondaires, mais les produits artisanaux y ont désormais une place reconnue et encouragée
par les pouvoirs publics, surtout grâce à la mise en place de « codes de bonnes pratiques » en
matière d’hygiène laitière. Ainsi, les petites entreprises laitières ont aujourd’hui un fort
ancrage territorial qui, à défaut de leur donner une envergure économique nationale, leur
confère un puissant levier social dans les zones de collecte et de consommation.
Ce modèle, tel qu’il est aujourd’hui, a clairement ses « limites ». Il est notamment incapable
de se substituer à court terme aux industries qui ont recours aux importations massives de lait
en poudre pour répondre à la demande. Il montre néanmoins que la collecte de lait de brousse
est possible et que l’effet sur l’emploi local ou sur les revenus est conséquent.
2. Les entreprises de transformation industrielles pourraient-elles
s’approvisionner de manière plus importante en lait local et auprès
d’exploitations agropastorales ?
Les entreprises de transformation laitière s’approvisionnent principalement à partir de poudre
de lait. Le lait local ne représente que 10 à 50% de leur approvisionnement. L’augmentation
de la part de lait local collecté par ces entreprises constitue donc une voie primordiale, à côté
du développement des minilaiteries, pour dynamiser la filière lait local et augmenter le niveau
de collecte auprès des exploitations familiales.
34. 34
Le travail mené par une équipe de recherche sénégalaise12
montre ainsi qu’avec un niveau de
taxation supérieur d’au moins 15% (TVA et droits de douane) sur la poudre de lait importée
combiné à une subvention d’au moins 90% au coût d’investissement des centres de collecte,
les industriels substituent la totalité du lait en poudre qu’ils utilisaient par du lait local collecté
au niveau des exploitations familiales du Ferlo (principale zone pastorale du Sénégal). Le
faible niveau de taxation a un impact faible sur la consommation de lait en poudre et de lait
caillé issu du lait en poudre (baisse de 5%), ainsi que sur les revenus issus des importations de
lait en poudre (baisse de 3%). En revanche, les producteurs améliorent significativement leurs
revenus. L’augmentation du niveau de collecte du lait est estimée à 17% en 5 ans et la
majorité des petits producteurs (plus nombreux) sont privilégiés pour rentabiliser le centre de
collecte. Même si les plus grandes exploitations tirent le plus d’avantages de la situation
(augmentation de leurs revenus de 150%), les petits producteurs voient aussi leur revenu par
actif augmenter de manière significative (+30%). L’exode rural de saison sèche s’en trouve
diminué. Pour l’Etat, c’est aussi un bilan positif de plus de 2 milliards d’euros qui ressort de
ces simulations économiques, malgré les importantes subventions mises en place dans le
secteur laitier.
3. Comment les Etats pourraient créer un environnement plus
favorable capable de stimuler le développement de la filière lait
local ?
À l’avenir, doit-on viser, à travers les politiques laitières, à satisfaire le marché des grandes
villes, et à privilégier un modèle industriel « standard », qui s’appuie sur de grandes fermes
laitières intensives, ainsi que sur l’importation de poudre de lait à bas prix ? Ou bien doit-on
au contraire miser sur la collecte du lait issu des exploitations familiales pastorales et agro-
pastorales et appuyer uniquement de petites et grandes entreprises laitières dans leur
approvisionnement en lait local ?
Mener les deux politiques de front, sans frein idéologique, semble possible et même
souhaitable. C’est en effet en prenant le chemin d’une politique laitière « duale » que
l’Afrique de l’Ouest pourra continuer à faire émerger des trajectoires de développement laitier
originales, capables de concilier les objectifs économiques et sociaux de ce secteur. En
combinant des politiques tarifaires à des politiques de subvention qui permettent d’améliorer
la collecte du lait et les performances des troupeaux des exploitations familiales, des études
montrent qu’il est possible de dynamiser fortement la filière lait local, sans impacter la
consommation en poudre de lait des ménages urbains les plus pauvres.
Plusieurs mesures pourraient être développées par les Etats afin d’accompagner la mise en
place de circuits de collecte dans les principaux bassins d’élevage, le développement des
unités de transformation s’approvisionnant à partir de lait local, favoriser la production laitière
et la consommation de produits issus du lait local.
12
Diarra A.et al., Echanges internationauxet développement de l’élevage laitiersénégalais.Etude comparative de
trois simulations de politique économique. Économie rurale n°335, mai-juin 2013, pages 35-54