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La quête de
longévité en Inde
Médecine et alchimie
SANDRA SMETS, COLLÈGE BELGIQUE, LE 24/09/2013
Un paradoxe ?
 « Les brâhmanes ont voulu préparer par
leur liturgie et leurs formules la liqueur
d’immortalité. Les médecins l’ont
recherchée dans les drogues végétales.
Les alchimistes dans les préparations
mercurielles. Les Yogin ont demandé les
mêmes effets à leur technique corporelle
et respiratoire. Les sages ont bien
condamné, parfois avec vigueur, tous
ces efforts à fins matérielles ; l’Inde n’en a
pas moins fait de tout temps à l’étranger
l’effet d’un pays où on cultivait à la fois la
sagesse la plus détachée de la vie et les
techniques les plus anxieuses de la
conserver et d’en dépasser les limites
ordinaires en pouvoir comme en durée »
FILLIOZAT J., « Taoïsme et yoga », dans
Journal Asiatique 257 (1969), 46
La quête de longue vie dans la
littérature védique
LA RELIGION VÉDIQUE ET LE RITE SACRIFICIEL
« Religion du Veda »
 Parole (Vāc) universelle et éternelle
-> « Audition » (Śruti) perçue par des sages
« voyants » (ṛṣi)
-> Veda « Savoir »
 Le Ṛg-Veda, « Savoir des strophes »
 Divinités
 « Architecture » cosmique : ṛta
La religion védique et le rite
sacrificiel
 Relations régulées par le rite sacrificiel, considéré comme l’acte
liturgique par excellence
 « Connexions » entre le destinataire du sacrifice et le sacrifiant
(yajamāna, « celui qui sacrifie pour lui-même »), par l’intermédiaire de la
victime sacrificielle
 Le sacrifice comme élément du contrat cosmique et liturgique : do
ut des
Biens mondains et ultra-mondains
 Sacrifice -> obtention de biens matériels : la prospérité, une
descendance mâle, la santé ou une vie pleine, une vie de cent
ans...
 Liqueur d’immortalité, amṛta (« non-mort ») < plante appelée soma
 Nectar des dieux qui enivre Indra et provoque l’extase chez les mortels
qui le consomment
 Prolongation de la vie
 Conquête de la non-mort dans le « monde immortel », « là-bas »
L’immortalité dans les Brāhmaṇa
 Brāhmaṇa : commentaires en prose de la liturgie, composés entre le
Xème et le VIIème s. avant notre ère.
 La « part de Yama »
 Vaincre la punar-mṛtyu (« mort de nouveau ») -> cultiver l’ātman, prāṇa ou
aśu (« souffle »).
 -> la longévité comme condition nécessaire à l’immortalité après la
mort terrestre
Du Ṛg-Veda aux Upaniṣad
 Hymnes védiques :
 -> avantages matériels comme la prospérité, la santé ou la longévité,
en contrepartie de la satisfaction des dieux.
 -> avantages ultra-mondains : accéder au monde lumineux des dieux,
le svarga
 Brāhmaṇa : dieux védiques relégués au second plan au profit d’une
réflexion sur le mécanisme du sacrifice et son efficacité inhérente
 Puissance de la Parole révélée, le Veda, qui accompagne le rituel :
brahman -> valeur d’Absolu, le Brahman des Upaniṣad
Les Upaniṣad : la voie de la
connaissance
 Upaniṣad (« Connexions », aussi Vedānta): comme les Saṃhitā et les
Brāhmaṇa, appartiennent au corpus du Veda.
 Textes composés à partir de 700 avant notre ère sous la forme de
dialogues entre un maître et un disciple
 Textes védiques les plus anciens = « voie de l’acte » (karma-mārga) via le
sacrifice >< Upaniṣad = « voie de la connaissance (jñāna-mārga) » via les
« connexions » ou équivalences mystiques entre le microcosme,
l’homme, et le macrocosme, l’univers
 Identité essentielle entre l’ātman, le « Soi », et le Brahman, principe
cosmique, le « Réel du réel ».
La mécanique de l’« acte »
 Point de départ = analyse de la mécanique de l’« acte » (karman)
et de la condition humaine
 Karman = toute forme d’action humaine (corps, pensée, parole)
 -> le rite est un acte, c’est-à-dire une peine que l’on se donne pour
produire un « fruit »
 Désir (besoin, manque) -> acte -> « fruit de l’acte » (karma-phala) ->
désir…
 Application au rite :
 Désir d’avantages (mondains ou ultra-mondains) -> rite sacrificiel -> fruit du
sacrifice -> (réincarnation) désir…
 Cycle sans commencement ni fin = saṃsāra, « flot » ou « flux »
Au-delà du flux des naissances et
des morts
 Idéal de délivrance (mokṣa)
 Voie de la connaissance (jñāna) : expérience directe de l’identité
profonde entre le soi incarné (ātman) et le Soi universel (Brahman)
 Rituel intériorisé : l’agnihotra intérieur
 Le souffle tient lieu à la fois d’oblation et de feu sacrificiel.
 « quand, se concentrant, au moyen de la vraie nature du Soi comme au
moyen d’une lampe, on éclaire la vraie nature du brahman, (le brahman)
non-né, inébranlable, (…) on est alors libéré de tous les liens » (Śvetāśvatara-
Upaniṣad 2.15). (trad. A. SILBURN)
La quête de longue vie dans la
médecine ayurvédique
SAVOIR MÉDICAL ET SOTÉRIOLOGIE
Origines
 Filiation avec l’Atharva-Veda (AV) :
 « un médecin doit montrer sa dévotion au Veda d’Atharvan » (CS sū.
XXX.21).
 Le « savoir des Atharvan » (du nom d’une famille de prêtres
védiques) = dernier des « Quatre Veda »
 Hymnes et formules à caractère magico-religieux : charmes d’amour,
incantations de protection contre les démons, contre les maladies, etc.
 Charmes curatifs (bhaiṣajya) et charmes de longévité (āyuṣya).
Atharva-Veda
 Maladie = conséquence d’une infraction à l’ordre ou la Loi
cosmique, ṛta.
 Thérapeutique de type magique : formules accompagnées de rites
pour obtenir le pardon de la divinité offensée ou chasser les
démons
-> Āyur-veda
 Croyances « magico-religieuses » dans la médecine dite
« scientifique » : par ex., le traitement des cas de possession (bhūta-
vidyā)
L’Āyurveda, scientifique ?
 Āyurveda : médecine empirique ?
 Premières planches d’anatomie réaliste ~ XIXème s.
 Méthode de dissection dans la Suśruta-saṃhitā (SS, śā. V.47-51), mais
notions d’impureté et de pollution liées au contact avec les cadavres.
 Connaissances anatomiques et physiologiques relativement limitées ->
modèles idéologiques
Théorie humorale
 Approche pragmatique et raisonnée des maladies ?
 Théorie humorale systémique
 + Autres conceptions et approches thérapeutiques: mantra, yoga,
magie, religion ou comportement
 Pratique inclusive -> l’homme est un composé de trois éléments : le
corps, le mental et l’âme.
 -> 3 thérapies : médecine raisonnée (diététique et médicaments),
religion/magie et Yoga
Āyurveda, « Savoir de la longévité »
 Objectif : par des moyens préventifs et curatifs, offrir au patient une
vie pleine
 Moyens : rasāyana (médecine tonifiante)
 Rasāyana (rasa + ayana) = « voie du suc vital »
 Rasa : « sève », « jus des plantes », « essence » -> « quintessence »
 -> fluide vital, dans le règne végétal, animal ou minéral. Dans le langage
alchimique, le fluide par excellence, le mercure
 nourriture (anna) > chyle ou suc nourricier ((anna-)rasa) > sang > chair >
graisse > os > moelle > sperme = 7 constituants corporels, nécessaires au
maintien du corps (DHĀ- « tenir, supporter, soutenir »), les 7 dhātu.
Médecine tonifiante
 Le rasāyana : « moyen favorisant l’apport du suc organique et
d’autres éléments constitutifs du corps (dhātu) » (CS)
 Méthode kuṭīpraveśika (« relatif à l’entrée dans la hutte »)
 Conditions préalables
 Purification : se débarrasser des souillures (doṣa) physiques et mentales
par onguents, sudation, purge, etc.
 Préparation psychique, voire spirituelle : pratiquer les « astreintes et
restreintes » (yama et niyama) -> pratiques préliminaires du yoga
kuṭīpraveśika
 Chambre ou hutte entourée trois fois (trivṛtam) -> trois pièces
agencées l’une dans l’autre
 Durée: plus de trois mois -> d’abord dans la pièce centrale, avant
d’effectuer un retour progressif vers l’extérieur
 Cadre de la régénération physique et psychique = lieu de
renaissance, où s’opère un regressus ad uterum, retour aux origines
de l’existence
Du pouvoir des plantes
 La « nourriture de Cyavana » (ci. 1.62-74, 2.3, 4.44), du nom d’un
sage mythique ramené à la jeunesse par les Aśvin, les Jumeaux
divins : remède essentiellement végétal
 Le potentiel du soma + quelques simples
 Acquisition de huit pouvoirs surnaturels (aiśvarya), généralement
appelés siddhi (« perfections », « accomplissements », « réalisations »,
« succès ») dans les textes du Yoga
Médecine ou quête
sotériologique ?
 Agniveśa à Ātreya : la durée de vie est-elle, oui ou non,
déterminée ?
 Si les actes accumulés dans nos vies antérieures influencent notre
existence présente, dans quelle mesure la médecine peut-elle agir sur
la longévité du patient ? (CS vi. III.27)
 Réponse : daiva, « ce que l’on a fait avec un corps précédent » (vi.
III.29) >< puruṣakāra, « l’action humaine », accomplie avec ce corps
ici-bas (ibidem)
 « si la durée de vie était fixe pour tout un chacun, il n’y aurait aucune nécessité de
recourir aux mantra, simples, pierres précieuses, rites propitiatoires, offrandes, dons,
oblations, expiations, jeûnes, bénédictions, prosternations, à la fréquentation des temples,
etc. » (vi. III.36)
« Longévité divine » et immortalité
spirituelle
 L’Āyurveda d’abord une médecine ?
 But : la recherche de longévité, dīrghaṃ jīvitam (« une longue vie »).
 Durée de vie idéale de cent ans (sū. I.2, XI.34, XVII.351) : l’homme mène une vie
« pleine »
 L’objectif des ṛṣi : une vie de mille ans, sans vieillesse (ci. I.4.7)
 -> « longévité divine »
 « L’Āyurveda est le meilleur instrument pour les immortels » (CS sū. XXVII.40d)
 -> Sotériologies
 Yoga : recherche d’immortalité spirituelle
 Āyurveda : se préparer, dans ce corps, à l’immortalité spirituelle
 « Du dharma ‘Loi Naturelle’, des affaires du monde, de l’amour et de la délivrance, la <santé>
sans maladies est la base par excellence tandis que les maladies sapent cette <base>, le bien-
être et la vie même » (CS sū. I.15b-16a)
 « Quant aux voyants désireux de longue vie, ils reçurent de Bharadvāja ce Veda utile à
l’humanité et qui enrichit la vie. (…) et c’est par la connaissance de la règle énoncée dans ce
traité, qu’ils acquirent le plus grand bonheur ainsi qu’une vie sans fin » (CS sū. I. 27-29)
Devenir un dieu par le rasāyana
GOÛTER À LA DÉLIVRANCE EN ÉTAT DE VIE (JĪVANMUKTI)
Périodisation de l’alchimie indienne
 Modèle proposé par D. G. White (1996): médecines de
rajeunissement >< « l’alchimie religieuse », caractérisée par son
double objectif
 la transmutation des métaux vulgaires en or (lohavāda ou dhātuvāda)
 la transmutation du corps ordinaire en un corps divin (dehavāda)
 Trois périodes de l’alchimie religieuse :
 l’alchimie magique (ca. IIIème – Xème s. de notre ère)
 l’alchimie tantrique (ca. Xème – XIVème s.)
 la iatro-chimie ou alchimie pharmaceutique (à partir du XIVème s.).
Prémices de la voie mercurielle
dans les traités ayurvédiques
 Usage thérapeutique du mercure uniquement pour des
applications externes (CS et SS)
 Première attestation de l’emploi interne du mercure à des fins
thérapeutiques : Vāgbhaṭa
 Deux célèbres traités de médecine (vers 600 après J.-C.) :
 l’Aṣṭāṅgahṛdayasaṃhitā (AhS), « Recueil sur le cœur de la médecine »,
 l’Aṣṭāṅgasaṃgraha (AS), « La somme ou synthèse sur la médecine »
 Dans l’AS (Utt. 49.392 = AhS 39.161), remède comprenant notamment le
mercure qui renforce les constituants corporels (dhātu)
L’alchimie magique (ca. IIIe – Xe s.
de notre ère)
 Méthodes < magie et croyances populaires
 Dans les textes de cette époque, en majorité bouddhiques,
l’accent est mis sur l’aurification (lohavāda)
 Vocabulaire, matériaux et techniques rudimentaires
L’alchimie tantrique (ca. Xe – XIVe
s. de notre ère)
 Âge d’or de l’alchimie religieuse en Inde
 Débuts du tantrisme en Inde vers le Vème s., voire le IVème s. de
notre ère -> floruit des VIIIème-IXème s. au XIVème s.
 Objectif véritable de l’alchimiste : immortalité corporelle (dehavāda),
conçue comme un dépassement de la condition humaine
 Explosion des connaissances dans les domaines de la botanique, la
minéralogie, la chimie, la métallurgie, etc.
 Le mercure, identifié à la semence du dieu Śiva, devient l’élément
incontournable de toute opération alchimique
La iatro-chimie ou alchimie
pharmaceutique (< XIVe s. de notre ère)
 Au XIVème s., déclin de l’alchimie tantrique
 Apparition d’un nouveau corpus de textes ayurvédiques, les
rasaśāstra : traités de pharmacologie qui mettent l’accent sur
l’emploi du mercure sous forme d’oxydes ou de sels minéraux
 Visée essentiellement thérapeutique (rogavāda)
 Survivance de l’alchimie transmutationnelle, indépendamment de
toute quête métaphysique ou spirituelle
L’alchimie magique et les Siddha
 Les alchimistes, parfois simplement appelés rasavādin, « enseignants
du rasa », sont souvent aussi qualifiés de Rasa-siddha ou Siddha
« Parfaits »
 Culte des Siddha :figures semi-divines
 -> univers mythologique bouddhiste et hindou : les Siddha vivent dans un
monde, entre ciel et terre
 Progressivement est apparue l’idée que les simples mortels pouvaient
eux aussi accéder à ce statut semi-divin
 À côté des Siddha « par nature » ou des « nés-Siddha », alchimistes Rasa-
Siddha
L’alchimie magique et les siddhi
 Mise en garde de Vyāsa, commentateur des Yoga-Sūtra (YS) de Patañjali
au Vème s. (ad YS 3.51)
 Motifs extraordinaires : élixir qui vainc la vieillesse et la mort, arbre qui
exauce les souhaits, une vue et une ouïe merveilleuses, un corps
adamantin.
 Siddhi, pouvoirs surnaturels atteints par la pratique du yoga, mais pas
seulement…
 Dans ses YS (IV.1), Patañjali énumère plusieurs moyens d’atteindre les siddhi :
 la naissance (janma)
 les drogues (oṣadhi)
 les formules (mantra)
 l’ascèse (tapas)
 la concentration (samādhi)
La transmutation comme pouvoir
surnaturel
 Vyāsa glose le terme oṣadhi par « plantes » et les associe aux
démons, les Asura
 Vijñānabhikṣu (XVIème s.) attribue aux oṣadhi l’accroissement de la
force, le don de fabriquer de l’or, etc. -> identification des oṣadhi
aux élixirs à base de mercure
 Dans divers textes tantriques, pouvoir de transmutation des métaux
et de transformation du corps parmi les siddhi
 Ces pouvoirs innés chez les dieux peuvent être conquis par l’homme
L’alchimie « tantrique »
 Tantra et tāntrika
 Racine TAN- « tendre » ou « étendre » : tantra = « navette » du tisserand,
la « chaîne » du tissu -> idée de « système », de doctrine ou d’ouvrage
(ouvrage tissé et littéraire).
 Tāntrika, adj. : textes, souvent appelés tantra, qui exposent des doctrines
et pratiques nouvelles, et qui se réclament d’une révélation divine non
védique (vaidika).
 La Révélation (Śruti) serait donc double :
 védique (vaidika), issue de la Parole éternelle du Veda
 tantrique (tāntrika), proclamée par une divinité non védique
 « descente du tantra » (tantrāvatāra), qui offrirait aux hommes ordinaires une voie
de salut plus efficace
Quelques doctrines et pratiques
tantriques
 Conceptions relatives au monde, physique et psychique, parfois très
anciennes :
 Homologie entre le corps et le cosmos -> correspondances entre micro-
et macro-cosme ou entre physiologie et cosmologie : l’univers est un
corps à l’échelle du macrocosme, le corps est un univers miniature.
 Emprunt à l’école (ou « point de vue », darśana) du Sāṃkhya
(« dénombrement ») : explication évolutive et étagée du monde
 Processus d’émanation à l’origine des réalités physiques et psychiques (tattva)
depuis la Nature naturante (prakrti), principe cosmique éternel, jusqu’aux
éléments grossiers du monde visible
 Versant théorique du Yoga
Les trente-six tattva des systèmes tantriques shivaïtes
Shiva
Shakti
Sadâshiva L’éternel Shiva
îshvara le Seigneur
shuddhavidyâ la connaissance pure
mâyâ l’illusion cosmique
kalâ le principe de détermination
vidyâ la sagesse (limitée limitante)
râga l’attachement passionnel
niyati la nécessité
kâla le temps
purusha l’Esprit ou le Seigneur
prakriti la Nature
buddhi l’intellect
ahamkâra l’ « égoïté »
manas le sens interne
Shrotra, etc. l’ouïe, etc. (5 facultés de connaissance)
Vâc, etc. la parole, etc. (5 facultés d’action)
Shabda, etc. le son, etc. (5 objets des sens)
âkâsha l’éther spatial
vâyu l’air
tejas le feu
jala l’eau
prithivî la terre
Présentation inspirée de PADOUX 2010, p. 87
Émanation et résorption
 « Étages » supplémentaires, reliant la divinité au monde visible,
organique, matériel
 De haut en bas, passage de la divinité illimitée et transcendante à un
monde matériel limité et empirique,
 De bas en haut, mouvement de la résorption cosmique, chaque niveau
inférieur se résorbant dans le niveau supérieur
 Par le yoga, parcours à rebours des étapes du déploiement
cosmique pour s’unir à la divinité et atteindre la libération (mokṣa)
ou les pouvoirs surnaturels (siddhi)
Yoga tantrique
 Yoga tantrique, aussi appelé haṭha-yoga, c’est-à-dire yoga « de
l’effort violent »
 Haṭhayoga, cfr Kuṇḍalinīyoga -> l’ « annelée » = équivalent de la
puissance cosmique, féminine, appelée Śakti.
 Serpent femelle, « lové » à la base de la colonne vertébrale (premier
cakra, élément terre)
 Par un « effort violent », l’énergie « réveillée » s’élève à travers la
suṣumnā et rejoint son époux, Śiva
 Union de l’Énergie avec la Conscience suprême
Objectifs de l’alchimie tantrique
 L’alchimie transmutationnelle (dhātu- ou loha-vāda) > étape
préliminaire vers la transformation du corps en un corps divin
(dehavāda)
 « Le mercure doit être utilisé [dans le métal tel que dans le corps]… on
doit d’abord l’essayer sur un métal »
Rasārṇava « L’Océan de Mercure » (XIème s. ?)
 Forme d’alchimie indissociable des doctrines et pratiques tantriques:
 Métaphore alchimique pour décrire l’expérience mystique du
haṭhayogin
 Pratique du haṭhayoga conjointe aux opérations mercurielles, le mercure
jouant le rôle de catalyseur
« Résorption » des métaux
 Hiérarchie des métaux dans l’ordre micro-/macro-cosmique : de
bas en haut, les métaux vils (plomb, étain, cuivre), les métaux nobles
(argent, or), et enfin, le mercure, considéré comme le rasa, la
semence du dieu Śiva
 Processus de résorption des principes (tattva) -> le mercure
réabsorbe les métaux, du plus vil au plus noble
 Le plomb, réabsorbé ou pénétré par le mercure, devient l’étain, l’étain
devient du cuivre, le cuivre de l’argent et l’argent de l’or.
 Transmutation des métaux vils en or, catalysée par le mercure =
mouvement ascendant qui renverse le flux ordinaire de l’existence
vers le vieillissement et la mort pour atteindre l’immortalité
Yoga et opérations mercurielles
 Les deux pratiques, mercurielle et yogique, s’appuient l’une sur
l’autre
 L’élixir amplifie les effets du haṭhayoga
 Le haṭhayoga est un préalable à la consommation de l’élixir
 « Le travail pratique est double, connu [sous forme de] préparations
mercurielles (rasa) et [de maîtrise des] souffles (pavana) » - Rasārṇava
 Stabilisation du mental aussi volatile que le mercure à l’état brut
 -> Transformation corporelle et spirituelle
Symbolique du soufre et du
mercure
 L’union sexuelle de Śiva et de la Déesse se reflète à chaque niveau
de la manifestation cosmique
 Le soufre représente le sang menstruel de la Déesse et le mercure, la
semence de Śiva -> le soufre joue un rôle primordial dans le processus
de purification du mercure. Il le stabilise et le fortifie.
 La transmutation des métaux vils en métaux nobles est précédée de
l’union sexuelle de Śiva et de la Déesse, par l’union du mercure et
du soufre.
 Cette union engendre l’or alchimique : le « nouveau-né »
Les « sacrements » alchimiques
 Les opérations alchimiques = saṃskāra : cfr rites de passage qui font
du jeune hindou un être « parfait », un être « accompli » socialement
 Ces « sacrements » alchimiques font du mercure une substance
transformante, capable de « parfaire » les autres métaux et les corps
 « Statut de Śiva » (śivatva). Dans le corps doté des siddhi, l’homme
est « libéré en vie » (jīvanmukta)
Conclusion
VEDA, ĀYURVEDA ET RASĀYANA
De la quête de longévité à la
quintessence de la vie
 Veda et quête de longévité : don et contre-don
 Obtenir une vie « pleine » par le rite
 Expérimenter l’immortalité dans le monde des dieux
 Les Upaniṣad : limites de l’immortalité divine
 Fruit éphémère de l’acte (karman) et intériorisation du rite
 Idéal de délivrance (mokṣa).
 L’Āyurveda, « Savoir de longévité » : moyens thérapeutiques et immortalité
spirituelle
 Médecine tonifiante (rasāyana) : renforcer la santé physique et mentale
 Complexe corps-mental-âme traité dans la perspective de l’immortalité spirituelle
 Alchimie tantrique : quête intégrée dans la réalité du corps vécu
 Transformation du corps grossier en un corps divin, pour devenir un « second Śiva »
 Quête de délivrance et quête de jouissance dans l’idéal de la délivrance en vie
(jīvanmukti)
Merci !
Restons en contact :
be.linkedin.com/in/sandrasmets/

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La quête de longévité en Inde : médecine et alchimie

  • 1. La quête de longévité en Inde Médecine et alchimie SANDRA SMETS, COLLÈGE BELGIQUE, LE 24/09/2013
  • 2. Un paradoxe ?  « Les brâhmanes ont voulu préparer par leur liturgie et leurs formules la liqueur d’immortalité. Les médecins l’ont recherchée dans les drogues végétales. Les alchimistes dans les préparations mercurielles. Les Yogin ont demandé les mêmes effets à leur technique corporelle et respiratoire. Les sages ont bien condamné, parfois avec vigueur, tous ces efforts à fins matérielles ; l’Inde n’en a pas moins fait de tout temps à l’étranger l’effet d’un pays où on cultivait à la fois la sagesse la plus détachée de la vie et les techniques les plus anxieuses de la conserver et d’en dépasser les limites ordinaires en pouvoir comme en durée » FILLIOZAT J., « Taoïsme et yoga », dans Journal Asiatique 257 (1969), 46
  • 3. La quête de longue vie dans la littérature védique LA RELIGION VÉDIQUE ET LE RITE SACRIFICIEL
  • 4. « Religion du Veda »  Parole (Vāc) universelle et éternelle -> « Audition » (Śruti) perçue par des sages « voyants » (ṛṣi) -> Veda « Savoir »  Le Ṛg-Veda, « Savoir des strophes »  Divinités  « Architecture » cosmique : ṛta
  • 5. La religion védique et le rite sacrificiel  Relations régulées par le rite sacrificiel, considéré comme l’acte liturgique par excellence  « Connexions » entre le destinataire du sacrifice et le sacrifiant (yajamāna, « celui qui sacrifie pour lui-même »), par l’intermédiaire de la victime sacrificielle  Le sacrifice comme élément du contrat cosmique et liturgique : do ut des
  • 6. Biens mondains et ultra-mondains  Sacrifice -> obtention de biens matériels : la prospérité, une descendance mâle, la santé ou une vie pleine, une vie de cent ans...  Liqueur d’immortalité, amṛta (« non-mort ») < plante appelée soma  Nectar des dieux qui enivre Indra et provoque l’extase chez les mortels qui le consomment  Prolongation de la vie  Conquête de la non-mort dans le « monde immortel », « là-bas »
  • 7. L’immortalité dans les Brāhmaṇa  Brāhmaṇa : commentaires en prose de la liturgie, composés entre le Xème et le VIIème s. avant notre ère.  La « part de Yama »  Vaincre la punar-mṛtyu (« mort de nouveau ») -> cultiver l’ātman, prāṇa ou aśu (« souffle »).  -> la longévité comme condition nécessaire à l’immortalité après la mort terrestre
  • 8. Du Ṛg-Veda aux Upaniṣad  Hymnes védiques :  -> avantages matériels comme la prospérité, la santé ou la longévité, en contrepartie de la satisfaction des dieux.  -> avantages ultra-mondains : accéder au monde lumineux des dieux, le svarga  Brāhmaṇa : dieux védiques relégués au second plan au profit d’une réflexion sur le mécanisme du sacrifice et son efficacité inhérente  Puissance de la Parole révélée, le Veda, qui accompagne le rituel : brahman -> valeur d’Absolu, le Brahman des Upaniṣad
  • 9. Les Upaniṣad : la voie de la connaissance  Upaniṣad (« Connexions », aussi Vedānta): comme les Saṃhitā et les Brāhmaṇa, appartiennent au corpus du Veda.  Textes composés à partir de 700 avant notre ère sous la forme de dialogues entre un maître et un disciple  Textes védiques les plus anciens = « voie de l’acte » (karma-mārga) via le sacrifice >< Upaniṣad = « voie de la connaissance (jñāna-mārga) » via les « connexions » ou équivalences mystiques entre le microcosme, l’homme, et le macrocosme, l’univers  Identité essentielle entre l’ātman, le « Soi », et le Brahman, principe cosmique, le « Réel du réel ».
  • 10. La mécanique de l’« acte »  Point de départ = analyse de la mécanique de l’« acte » (karman) et de la condition humaine  Karman = toute forme d’action humaine (corps, pensée, parole)  -> le rite est un acte, c’est-à-dire une peine que l’on se donne pour produire un « fruit »  Désir (besoin, manque) -> acte -> « fruit de l’acte » (karma-phala) -> désir…  Application au rite :  Désir d’avantages (mondains ou ultra-mondains) -> rite sacrificiel -> fruit du sacrifice -> (réincarnation) désir…  Cycle sans commencement ni fin = saṃsāra, « flot » ou « flux »
  • 11. Au-delà du flux des naissances et des morts  Idéal de délivrance (mokṣa)  Voie de la connaissance (jñāna) : expérience directe de l’identité profonde entre le soi incarné (ātman) et le Soi universel (Brahman)  Rituel intériorisé : l’agnihotra intérieur  Le souffle tient lieu à la fois d’oblation et de feu sacrificiel.  « quand, se concentrant, au moyen de la vraie nature du Soi comme au moyen d’une lampe, on éclaire la vraie nature du brahman, (le brahman) non-né, inébranlable, (…) on est alors libéré de tous les liens » (Śvetāśvatara- Upaniṣad 2.15). (trad. A. SILBURN)
  • 12. La quête de longue vie dans la médecine ayurvédique SAVOIR MÉDICAL ET SOTÉRIOLOGIE
  • 13. Origines  Filiation avec l’Atharva-Veda (AV) :  « un médecin doit montrer sa dévotion au Veda d’Atharvan » (CS sū. XXX.21).  Le « savoir des Atharvan » (du nom d’une famille de prêtres védiques) = dernier des « Quatre Veda »  Hymnes et formules à caractère magico-religieux : charmes d’amour, incantations de protection contre les démons, contre les maladies, etc.  Charmes curatifs (bhaiṣajya) et charmes de longévité (āyuṣya).
  • 14. Atharva-Veda  Maladie = conséquence d’une infraction à l’ordre ou la Loi cosmique, ṛta.  Thérapeutique de type magique : formules accompagnées de rites pour obtenir le pardon de la divinité offensée ou chasser les démons -> Āyur-veda  Croyances « magico-religieuses » dans la médecine dite « scientifique » : par ex., le traitement des cas de possession (bhūta- vidyā)
  • 15. L’Āyurveda, scientifique ?  Āyurveda : médecine empirique ?  Premières planches d’anatomie réaliste ~ XIXème s.  Méthode de dissection dans la Suśruta-saṃhitā (SS, śā. V.47-51), mais notions d’impureté et de pollution liées au contact avec les cadavres.  Connaissances anatomiques et physiologiques relativement limitées -> modèles idéologiques
  • 16. Théorie humorale  Approche pragmatique et raisonnée des maladies ?  Théorie humorale systémique  + Autres conceptions et approches thérapeutiques: mantra, yoga, magie, religion ou comportement  Pratique inclusive -> l’homme est un composé de trois éléments : le corps, le mental et l’âme.  -> 3 thérapies : médecine raisonnée (diététique et médicaments), religion/magie et Yoga
  • 17. Āyurveda, « Savoir de la longévité »  Objectif : par des moyens préventifs et curatifs, offrir au patient une vie pleine  Moyens : rasāyana (médecine tonifiante)  Rasāyana (rasa + ayana) = « voie du suc vital »  Rasa : « sève », « jus des plantes », « essence » -> « quintessence »  -> fluide vital, dans le règne végétal, animal ou minéral. Dans le langage alchimique, le fluide par excellence, le mercure  nourriture (anna) > chyle ou suc nourricier ((anna-)rasa) > sang > chair > graisse > os > moelle > sperme = 7 constituants corporels, nécessaires au maintien du corps (DHĀ- « tenir, supporter, soutenir »), les 7 dhātu.
  • 18. Médecine tonifiante  Le rasāyana : « moyen favorisant l’apport du suc organique et d’autres éléments constitutifs du corps (dhātu) » (CS)  Méthode kuṭīpraveśika (« relatif à l’entrée dans la hutte »)  Conditions préalables  Purification : se débarrasser des souillures (doṣa) physiques et mentales par onguents, sudation, purge, etc.  Préparation psychique, voire spirituelle : pratiquer les « astreintes et restreintes » (yama et niyama) -> pratiques préliminaires du yoga
  • 19. kuṭīpraveśika  Chambre ou hutte entourée trois fois (trivṛtam) -> trois pièces agencées l’une dans l’autre  Durée: plus de trois mois -> d’abord dans la pièce centrale, avant d’effectuer un retour progressif vers l’extérieur  Cadre de la régénération physique et psychique = lieu de renaissance, où s’opère un regressus ad uterum, retour aux origines de l’existence
  • 20. Du pouvoir des plantes  La « nourriture de Cyavana » (ci. 1.62-74, 2.3, 4.44), du nom d’un sage mythique ramené à la jeunesse par les Aśvin, les Jumeaux divins : remède essentiellement végétal  Le potentiel du soma + quelques simples  Acquisition de huit pouvoirs surnaturels (aiśvarya), généralement appelés siddhi (« perfections », « accomplissements », « réalisations », « succès ») dans les textes du Yoga
  • 21. Médecine ou quête sotériologique ?  Agniveśa à Ātreya : la durée de vie est-elle, oui ou non, déterminée ?  Si les actes accumulés dans nos vies antérieures influencent notre existence présente, dans quelle mesure la médecine peut-elle agir sur la longévité du patient ? (CS vi. III.27)  Réponse : daiva, « ce que l’on a fait avec un corps précédent » (vi. III.29) >< puruṣakāra, « l’action humaine », accomplie avec ce corps ici-bas (ibidem)  « si la durée de vie était fixe pour tout un chacun, il n’y aurait aucune nécessité de recourir aux mantra, simples, pierres précieuses, rites propitiatoires, offrandes, dons, oblations, expiations, jeûnes, bénédictions, prosternations, à la fréquentation des temples, etc. » (vi. III.36)
  • 22. « Longévité divine » et immortalité spirituelle  L’Āyurveda d’abord une médecine ?  But : la recherche de longévité, dīrghaṃ jīvitam (« une longue vie »).  Durée de vie idéale de cent ans (sū. I.2, XI.34, XVII.351) : l’homme mène une vie « pleine »  L’objectif des ṛṣi : une vie de mille ans, sans vieillesse (ci. I.4.7)  -> « longévité divine »  « L’Āyurveda est le meilleur instrument pour les immortels » (CS sū. XXVII.40d)  -> Sotériologies  Yoga : recherche d’immortalité spirituelle  Āyurveda : se préparer, dans ce corps, à l’immortalité spirituelle  « Du dharma ‘Loi Naturelle’, des affaires du monde, de l’amour et de la délivrance, la <santé> sans maladies est la base par excellence tandis que les maladies sapent cette <base>, le bien- être et la vie même » (CS sū. I.15b-16a)  « Quant aux voyants désireux de longue vie, ils reçurent de Bharadvāja ce Veda utile à l’humanité et qui enrichit la vie. (…) et c’est par la connaissance de la règle énoncée dans ce traité, qu’ils acquirent le plus grand bonheur ainsi qu’une vie sans fin » (CS sū. I. 27-29)
  • 23. Devenir un dieu par le rasāyana GOÛTER À LA DÉLIVRANCE EN ÉTAT DE VIE (JĪVANMUKTI)
  • 24. Périodisation de l’alchimie indienne  Modèle proposé par D. G. White (1996): médecines de rajeunissement >< « l’alchimie religieuse », caractérisée par son double objectif  la transmutation des métaux vulgaires en or (lohavāda ou dhātuvāda)  la transmutation du corps ordinaire en un corps divin (dehavāda)  Trois périodes de l’alchimie religieuse :  l’alchimie magique (ca. IIIème – Xème s. de notre ère)  l’alchimie tantrique (ca. Xème – XIVème s.)  la iatro-chimie ou alchimie pharmaceutique (à partir du XIVème s.).
  • 25. Prémices de la voie mercurielle dans les traités ayurvédiques  Usage thérapeutique du mercure uniquement pour des applications externes (CS et SS)  Première attestation de l’emploi interne du mercure à des fins thérapeutiques : Vāgbhaṭa  Deux célèbres traités de médecine (vers 600 après J.-C.) :  l’Aṣṭāṅgahṛdayasaṃhitā (AhS), « Recueil sur le cœur de la médecine »,  l’Aṣṭāṅgasaṃgraha (AS), « La somme ou synthèse sur la médecine »  Dans l’AS (Utt. 49.392 = AhS 39.161), remède comprenant notamment le mercure qui renforce les constituants corporels (dhātu)
  • 26. L’alchimie magique (ca. IIIe – Xe s. de notre ère)  Méthodes < magie et croyances populaires  Dans les textes de cette époque, en majorité bouddhiques, l’accent est mis sur l’aurification (lohavāda)  Vocabulaire, matériaux et techniques rudimentaires
  • 27. L’alchimie tantrique (ca. Xe – XIVe s. de notre ère)  Âge d’or de l’alchimie religieuse en Inde  Débuts du tantrisme en Inde vers le Vème s., voire le IVème s. de notre ère -> floruit des VIIIème-IXème s. au XIVème s.  Objectif véritable de l’alchimiste : immortalité corporelle (dehavāda), conçue comme un dépassement de la condition humaine  Explosion des connaissances dans les domaines de la botanique, la minéralogie, la chimie, la métallurgie, etc.  Le mercure, identifié à la semence du dieu Śiva, devient l’élément incontournable de toute opération alchimique
  • 28. La iatro-chimie ou alchimie pharmaceutique (< XIVe s. de notre ère)  Au XIVème s., déclin de l’alchimie tantrique  Apparition d’un nouveau corpus de textes ayurvédiques, les rasaśāstra : traités de pharmacologie qui mettent l’accent sur l’emploi du mercure sous forme d’oxydes ou de sels minéraux  Visée essentiellement thérapeutique (rogavāda)  Survivance de l’alchimie transmutationnelle, indépendamment de toute quête métaphysique ou spirituelle
  • 29. L’alchimie magique et les Siddha  Les alchimistes, parfois simplement appelés rasavādin, « enseignants du rasa », sont souvent aussi qualifiés de Rasa-siddha ou Siddha « Parfaits »  Culte des Siddha :figures semi-divines  -> univers mythologique bouddhiste et hindou : les Siddha vivent dans un monde, entre ciel et terre  Progressivement est apparue l’idée que les simples mortels pouvaient eux aussi accéder à ce statut semi-divin  À côté des Siddha « par nature » ou des « nés-Siddha », alchimistes Rasa- Siddha
  • 30. L’alchimie magique et les siddhi  Mise en garde de Vyāsa, commentateur des Yoga-Sūtra (YS) de Patañjali au Vème s. (ad YS 3.51)  Motifs extraordinaires : élixir qui vainc la vieillesse et la mort, arbre qui exauce les souhaits, une vue et une ouïe merveilleuses, un corps adamantin.  Siddhi, pouvoirs surnaturels atteints par la pratique du yoga, mais pas seulement…  Dans ses YS (IV.1), Patañjali énumère plusieurs moyens d’atteindre les siddhi :  la naissance (janma)  les drogues (oṣadhi)  les formules (mantra)  l’ascèse (tapas)  la concentration (samādhi)
  • 31. La transmutation comme pouvoir surnaturel  Vyāsa glose le terme oṣadhi par « plantes » et les associe aux démons, les Asura  Vijñānabhikṣu (XVIème s.) attribue aux oṣadhi l’accroissement de la force, le don de fabriquer de l’or, etc. -> identification des oṣadhi aux élixirs à base de mercure  Dans divers textes tantriques, pouvoir de transmutation des métaux et de transformation du corps parmi les siddhi  Ces pouvoirs innés chez les dieux peuvent être conquis par l’homme
  • 32. L’alchimie « tantrique »  Tantra et tāntrika  Racine TAN- « tendre » ou « étendre » : tantra = « navette » du tisserand, la « chaîne » du tissu -> idée de « système », de doctrine ou d’ouvrage (ouvrage tissé et littéraire).  Tāntrika, adj. : textes, souvent appelés tantra, qui exposent des doctrines et pratiques nouvelles, et qui se réclament d’une révélation divine non védique (vaidika).  La Révélation (Śruti) serait donc double :  védique (vaidika), issue de la Parole éternelle du Veda  tantrique (tāntrika), proclamée par une divinité non védique  « descente du tantra » (tantrāvatāra), qui offrirait aux hommes ordinaires une voie de salut plus efficace
  • 33. Quelques doctrines et pratiques tantriques  Conceptions relatives au monde, physique et psychique, parfois très anciennes :  Homologie entre le corps et le cosmos -> correspondances entre micro- et macro-cosme ou entre physiologie et cosmologie : l’univers est un corps à l’échelle du macrocosme, le corps est un univers miniature.  Emprunt à l’école (ou « point de vue », darśana) du Sāṃkhya (« dénombrement ») : explication évolutive et étagée du monde  Processus d’émanation à l’origine des réalités physiques et psychiques (tattva) depuis la Nature naturante (prakrti), principe cosmique éternel, jusqu’aux éléments grossiers du monde visible  Versant théorique du Yoga
  • 34. Les trente-six tattva des systèmes tantriques shivaïtes Shiva Shakti Sadâshiva L’éternel Shiva îshvara le Seigneur shuddhavidyâ la connaissance pure mâyâ l’illusion cosmique kalâ le principe de détermination vidyâ la sagesse (limitée limitante) râga l’attachement passionnel niyati la nécessité kâla le temps purusha l’Esprit ou le Seigneur prakriti la Nature buddhi l’intellect ahamkâra l’ « égoïté » manas le sens interne Shrotra, etc. l’ouïe, etc. (5 facultés de connaissance) Vâc, etc. la parole, etc. (5 facultés d’action) Shabda, etc. le son, etc. (5 objets des sens) âkâsha l’éther spatial vâyu l’air tejas le feu jala l’eau prithivî la terre Présentation inspirée de PADOUX 2010, p. 87
  • 35. Émanation et résorption  « Étages » supplémentaires, reliant la divinité au monde visible, organique, matériel  De haut en bas, passage de la divinité illimitée et transcendante à un monde matériel limité et empirique,  De bas en haut, mouvement de la résorption cosmique, chaque niveau inférieur se résorbant dans le niveau supérieur  Par le yoga, parcours à rebours des étapes du déploiement cosmique pour s’unir à la divinité et atteindre la libération (mokṣa) ou les pouvoirs surnaturels (siddhi)
  • 36. Yoga tantrique  Yoga tantrique, aussi appelé haṭha-yoga, c’est-à-dire yoga « de l’effort violent »  Haṭhayoga, cfr Kuṇḍalinīyoga -> l’ « annelée » = équivalent de la puissance cosmique, féminine, appelée Śakti.  Serpent femelle, « lové » à la base de la colonne vertébrale (premier cakra, élément terre)  Par un « effort violent », l’énergie « réveillée » s’élève à travers la suṣumnā et rejoint son époux, Śiva  Union de l’Énergie avec la Conscience suprême
  • 37. Objectifs de l’alchimie tantrique  L’alchimie transmutationnelle (dhātu- ou loha-vāda) > étape préliminaire vers la transformation du corps en un corps divin (dehavāda)  « Le mercure doit être utilisé [dans le métal tel que dans le corps]… on doit d’abord l’essayer sur un métal » Rasārṇava « L’Océan de Mercure » (XIème s. ?)  Forme d’alchimie indissociable des doctrines et pratiques tantriques:  Métaphore alchimique pour décrire l’expérience mystique du haṭhayogin  Pratique du haṭhayoga conjointe aux opérations mercurielles, le mercure jouant le rôle de catalyseur
  • 38. « Résorption » des métaux  Hiérarchie des métaux dans l’ordre micro-/macro-cosmique : de bas en haut, les métaux vils (plomb, étain, cuivre), les métaux nobles (argent, or), et enfin, le mercure, considéré comme le rasa, la semence du dieu Śiva  Processus de résorption des principes (tattva) -> le mercure réabsorbe les métaux, du plus vil au plus noble  Le plomb, réabsorbé ou pénétré par le mercure, devient l’étain, l’étain devient du cuivre, le cuivre de l’argent et l’argent de l’or.  Transmutation des métaux vils en or, catalysée par le mercure = mouvement ascendant qui renverse le flux ordinaire de l’existence vers le vieillissement et la mort pour atteindre l’immortalité
  • 39. Yoga et opérations mercurielles  Les deux pratiques, mercurielle et yogique, s’appuient l’une sur l’autre  L’élixir amplifie les effets du haṭhayoga  Le haṭhayoga est un préalable à la consommation de l’élixir  « Le travail pratique est double, connu [sous forme de] préparations mercurielles (rasa) et [de maîtrise des] souffles (pavana) » - Rasārṇava  Stabilisation du mental aussi volatile que le mercure à l’état brut  -> Transformation corporelle et spirituelle
  • 40. Symbolique du soufre et du mercure  L’union sexuelle de Śiva et de la Déesse se reflète à chaque niveau de la manifestation cosmique  Le soufre représente le sang menstruel de la Déesse et le mercure, la semence de Śiva -> le soufre joue un rôle primordial dans le processus de purification du mercure. Il le stabilise et le fortifie.  La transmutation des métaux vils en métaux nobles est précédée de l’union sexuelle de Śiva et de la Déesse, par l’union du mercure et du soufre.  Cette union engendre l’or alchimique : le « nouveau-né »
  • 41. Les « sacrements » alchimiques  Les opérations alchimiques = saṃskāra : cfr rites de passage qui font du jeune hindou un être « parfait », un être « accompli » socialement  Ces « sacrements » alchimiques font du mercure une substance transformante, capable de « parfaire » les autres métaux et les corps  « Statut de Śiva » (śivatva). Dans le corps doté des siddhi, l’homme est « libéré en vie » (jīvanmukta)
  • 43. De la quête de longévité à la quintessence de la vie  Veda et quête de longévité : don et contre-don  Obtenir une vie « pleine » par le rite  Expérimenter l’immortalité dans le monde des dieux  Les Upaniṣad : limites de l’immortalité divine  Fruit éphémère de l’acte (karman) et intériorisation du rite  Idéal de délivrance (mokṣa).  L’Āyurveda, « Savoir de longévité » : moyens thérapeutiques et immortalité spirituelle  Médecine tonifiante (rasāyana) : renforcer la santé physique et mentale  Complexe corps-mental-âme traité dans la perspective de l’immortalité spirituelle  Alchimie tantrique : quête intégrée dans la réalité du corps vécu  Transformation du corps grossier en un corps divin, pour devenir un « second Śiva »  Quête de délivrance et quête de jouissance dans l’idéal de la délivrance en vie (jīvanmukti)
  • 44. Merci ! Restons en contact : be.linkedin.com/in/sandrasmets/