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Université de Haute-Alsace, Mulhouse
FSESJ – Faculté des Sciences Économiques, Sociales et Juridiques
Master Sciences de l’Information et Métiers de la Culture
Spécialité Patrimoine et Musées
2011/2012
LL’’IIMMMMAATTEERRIIEELL AAUU MMUUSSEEEE ??
IINNCCOORRPPOORRAATTIIOONN EETT GGEESSTTIIOONN DDUU
PPAATTRRIIMMOOIINNEE IIMMMMAATTEERRIIEELL DDAANNSS LLEESS
CCOOLLLLEECCTTIIOONNSS MMUUSSEEAALLEESS
Le cas du Centre d’histoire de Montréal
Angélique BACH
Directeur de mémoire : M. Benoît BRUANT
Maître de stage : Mme Catherine CHARLEBOIS
(Stage au Centre d’histoire de Montréal du 1er
mai 2012 au 24 août 2012).
2
« Notre héritage n’est précédé d’aucun testament » 1
René Char, Feuillets d’Hypnos (1943-1944).
1
CHAR René, « Feuillets d’Hypnos (1943-1944) », dans Fureur et mystère (1948), préface d’Yves
Berger, éd. Gallimard, coll. Poésie, 1962, p.121.
3
Remerciements
Je tiens à remercier M. Benoît Bruant, responsable du Master SCIMEC
spécialité Patrimoine et Musées à l’Université de Haute-Alsace de Mulhouse, pour son
enseignement et sa bienveillance durant ces deux années.
Mes remerciements vont aussi à Mme Catherine CHARLEBOIS, muséologue
responsable des collections et des expositions, pour m’avoir accueilli au sein du Centre
d’histoire de Montréal et aussi pour le temps et la confiance qu’elle m’a accordés tout
au long de mon stage.
Je tiens également à remercier tout spécialement M. Jean-François LECLERC,
directeur, pour la confiance qui m’a été accordée, ainsi que Mme Stéphanie MONDOR,
gestionnaire et technicienne des collections pour son soutien permanent.
Un grand merci également à tous les membres de l’équipe du musée pour leur accueil,
leur gentillesse et leur disponibilité.
J’adresse aussi mes remerciements aux différents professionnels des musées m’ayant
aidé au cours de mon stage en répondant à mes questions et en me consacrant de leur
temps. Parmi eux je tiens à remercier tout particulièrement Mme Sylvie DAUPHIN,
conservatrice du Musée Stewart et Mme Karine ROUSSEAU, registraire et gestionnaire
des collections du musée McCord d’histoire Canadienne.
Enfin, je remercie mes parents, mes amis et mes camarades pour leur soutien tout au
long de mes années d’études.
4
Sommaire
1. Patrimoines matériel et immatériel : une dichotomie marquée ?......................................10
1.1. Définition du cadre d’étude .............................................................................................10
1.1.1. Une définition en constante évolution : la collection..........................................10
1.1.1.1. Origine du terme.........................................................................................10
1.1.1.2. Une diversité de termes rendant difficile une vision d’ensemble ................12
1.1.2. Objets en milieu muséal ou l’objet muséalisé.....................................................14
1.1.2.1. Un nouveau statut de l’objet .......................................................................14
1.1.2.2. Vers un processus de gestion plus adapté ...................................................15
1.2. Vers un panorama de l’immatériel...................................................................................17
1.2.1. Difficultés terminologiques ................................................................................18
1.2.1.1. Une définition complexe et mouvante ........................................................18
1.2.1.2. La difficile description d’un « non-objet »..................................................20
1.2.2. La place grandissante de l’immatériel dans les politiques et projets culturels ....22
1.2.2.1. L’immatériel au cœur des préoccupations : vers un « nouveau régime de
patrimonialité ? »............................................................................................................22
1.2.2.2. Un cheminement vers une vision plus sensible du patrimoine culturel .......24
1.3. Reconnaissance institutionnelle du patrimoine immatériel..............................................26
1.3.1. Une reconnaissance au niveau international .......................................................26
1.3.2. Des initiatives nationales....................................................................................29
2. Les témoignages d’histoire orale : un modèle pour l’entrée de l’immatériel au musée ? 33
2.1. Le musée, vers un rôle sauvegarde des mémoires vivantes ?...........................................33
2.1.1. L’histoire orale, une source ou un expôt ?..........................................................33
2.1.2. Le « collectage » : travail d’historien, d’archiviste ou de muséologue ?.............35
2.1.2.1. Collecter pour les générations futures : exemples d’initiatives .......................38
2.2. Un exemple d’intégration complète au musée : le cas du Centre d’histoire de Montréal.41
2.2.1. Une institution hybride, entre musée et centre d’interprétation ..........................42
2.2.2. Un appel à la conscience citoyenne ou l’exemple du Musée de la Personne ......43
2.2.2.1. Les « Cliniques de mémoire » : vers un don de patrimoine oral .................44
2.2.2.2. Amener à une véritable cohésion citoyenne : le projet « Vous faites partie de
l’histoire ! »45
2.2.3. Les témoignages d’histoire orale, objets d’expositions.......................................46
2.2.4. La place laissée aux initiatives locales................................................................47
2.3. Procédure de collecte des témoignages............................................................................48
5
2.3.1. La collecte au Centre d’histoire de Montréal......................................................48
2.3.1.1. Principes dirigeant la collecte de témoignages............................................49
2.3.1.2. Diverses méthodes d’acquisition ................................................................51
2.3.1.3. Gestion et archivage des témoignages ........................................................55
2.3.2. Droits d’auteur sur les témoignages....................................................................57
3. Gestion, conservation et valorisation de l’immatériel au musée : des outils et des
pratiques ........................................................................................................................................61
3.1. Intégrer les témoignages oraux à une collection : une tâche ardue ..................................61
3.1.1. Des difficultés conceptuelles ..............................................................................61
3.1.1.1. Une refonte des méthodes traditionnelles de gestion des collections. .........62
3.1.1.2. Un manque de ressources méthodologiques précises..................................66
3.1.2. Des difficultés pratiques .....................................................................................67
3.1.2.1. Problèmes techniques liés à l’informatisation des collections.....................67
3.1.2.2. Des difficultés dans la conservation des supports .......................................68
3.2. Exposer la mémoire : un nouveau support pour l’exposition ?........................................71
3.2.1. Un nouveau type d’expôt ou un multimédia revisité ?........................................71
3.2.2. Vers un musée qui s’exporte hors les murs.........................................................72
3.2.3. Valeur documentaire et scientifique ...................................................................73
3.3. Le musée est-il aujourd’hui en mutation ?.......................................................................74
3.3.1. Enjeux sociaux : un accroissement du rôle social et identitaire du musée ?.......74
3.3.1. Une définition hypocrite ? ..................................................................................77
3.3.1. La fin du musée traditionnel ? ............................................................................78
Conclusion ......................................................................................................................................81
Bibliographie commentée .............................................................................................................83
Annexes
6
« Il est généralement admis, même si cette définition est en
constante évolution, que tout musée est un conservatoire, permanent, le
plus souvent ouvert au public, de collections d’objets ou de documents
artistiques, artisanaux ou industriels, végétaux ou animaux, acquis par
dons ou achats, toujours sélectionnés, si possible classés et entretenus,
parfois replacés dans le contexte de leur création en tant que témoins de
l’évolution de la nature ou d’une culture (considérée comme un ensemble
de biens et de valeurs à un moment donné) »2
.
C’est en ces termes que le grand muséologue Georges-Henri Rivière définissait
en son temps le musée et ses collections. Cette définition est particulièrement
intéressante en ce qu’elle renseigne sur la nature de ce que l’auteur appelle un objet.
Ceci révèle qu’il y a quelques décennies seulement, le terme de collections ne renvoyait
qu’aux objets matériels de tout ordre que les musées collectionnaient. Aujourd’hui, cette
conception de l’objet de musée tend à s’élargir et devenir plus mouvante puisque la
notion de patrimoine immatériel semble prendre une place grandissante dans le paysage
muséal. « Depuis le développement du concept de patrimoine immatériel, la matérialité
n’est plus une condition de l’entrée dans le patrimoine », souligne en ce sens François
Mairesse3
.
Le patrimoine, qu’il soit matériel ou immatériel ouvre la voie à une nouvelle
interprétation des éléments. L’interprétation d’éléments non-matériels en milieu muséal
est une tendance très en vogue à l’heure actuelle, notamment dans l’espace nord-
américain. Forts d’un patrimoine ethnographique riche et diversifié, avec notamment
l’apport des expéditions ethnologiques en Amérique du sud, ainsi que l’héritage des
amérindiens, des pays comme le Canada ou les États-Unis font aujourd’hui de
l’immatériel une priorité.
Le présent mémoire s’attache à cette question d’ampleur que constitue la prise
en compte et la gestion du patrimoine immatériel dans le cadre muséal. En effet, depuis
qu’il a été reconnu « patrimoine mondial » en 2003, de nombreux efforts ont été fait
dans le domaine de la muséologie pour intégrer et traiter à sa juste valeur ce patrimoine
2
D’après RIVIERE Georges-Henri, Musées et collections publiques. Muséologie et muséographie in
POIRIER Jean, Histoire des mœurs, III-1 : Thèmes et systèmes culturels, Paris, Gallimard, 2002 [1991],
p. 185.
3
MAIRESSE François, « Article muséalisation », dans DESVALLEES André, MAIRESSE François,
Dictionnaire encyclopédique de muséologie, Editions Armand Colin, 2011, 724 pages, p.254.
7
si spécifique et si fragile de part son caractère éphémère. Intangible, immatériel, les
termes sensés en définir les contours sont légion, mais ils ne sont toutefois pas à même
d’en définir toutes les nuances et toutes les facettes. La prise en compte de ce nouveau
type de patrimoine induit aussi des modifications de fond en ce qui concerne la gestion
des collections au musée. De manière générale, gérer les collections d’un musée est un
travail de longue haleine. Il s’avère cependant que les techniques et procédures de
gestion et de conservation des collections traditionnelles, qui se sont affinées au fil des
siècles, ne sont que peu adaptées au patrimoine immatériel. Par ailleurs, l’hétérogénéité
du patrimoine immatériel engendre une multiplicité de solutions à mettre en œuvre et
demande une adaptation constante de la part des professionnels des musées. La prise en
compte du patrimoine immatériel apporte une nouvelle dimension et de nouveaux
enjeux pour la muséologie, en impulsant de nouvelles dynamiques, en la forçant à se
réinventer et à mettre en place de nouvelles stratégies pour assurer la préservation des
richesses immatérielles et intangibles ainsi que leur transmission aux générations
futures.
Ainsi que nous l’avons mentionné, l’Amérique du Nord fait partie des précurseurs
en ce qui concerne le traitement dans un cadre muséal des ressources du patrimoine
immatériel. En témoigne l’exemple du Centre d’histoire de Montréal, au Québec, une
institution à la convergence entre musée municipal et centre d’interprétation, qui est
aujourd’hui en quelque sorte le « porte-étendard » du patrimoine immatériel à Montréal.
Il est à l’origine d’une initiative appelée le Musée de la Personne qui, depuis 2004,
s’attache aux histoires de vie des Montréalais, à leur mémoire et leurs souvenirs. Depuis
les années 1999/2000, ce musée a commencé à constituer une collection de témoignages
d’histoire orale, qui est aujourd’hui en constante augmentation, au gré des expositions et
des collectes organisées.
Cependant, la question de la gestion de ces collections demeure en suspens. Quelle
place donner dans le musée à ces collections au caractère si particulier et si mouvant, et
comment les intégrer dans le processus muséal de gestion des collections? Quelle valeur
leur accorder, en contrepoint des trésors artistiques et artisanaux qu’ont légués les
générations passées ? Nous tenterons de répondre à cette question par l’étude de la place
du patrimoine immatériel dans le monde et la manière dont ce patrimoine est traité dans
le cadre muséal. En ce sens, nous pencherons dans un premier temps sur un état des
lieux de la situation actuelle du patrimoine immatériel et sur les normes le régissant et le
définissant. Dans une seconde partie, nous analyserons en détail les procédés mis en
8
œuvre aujourd’hui pour sauvegarder ce patrimoine : pour ce faire, nous nous baserons
sur des observations en milieu muséal ainsi que sur quelques exemples internationaux.
Pour terminer, nous nous interrogerons sur le devenir de ces collections, sur leur valeur
et leur utilité, ainsi que sur les impacts qu’elles risquent d’avoir sur la gestion des
collections muséales et donc, sur le quotidien des institutions.
9
Première partie :
Patrimoines matériel et immatériel :
une dichotomie marquée
10
1. Patrimoines matériel et immatériel : une dichotomie
marquée ?
Ce mémoire s’articulant en trois temps, une première partie sera consacrée
essentiellement à un état des lieux de la situation actuelle. Il apparaît en effet qu’une
dichotomie encore marquée existe de nos jours entre la prise en compte du patrimoine
matériel et du patrimoine immatériel. Cette distinction existe tant au niveau de la
conception qu’en ont le grand public et les professionnels du patrimoine, qu’en ce qui
concerne sa gestion effective.
1.1. Définition du cadre d’étude
Avant de pouvoir s’intéresser au cœur du sujet, il s’agit d’en définir clairement
les limites et les points clés. En ce sens, nous nous pencherons successivement sur la
définition de ce qu’est une collection, puis sur ce qu’englobent les notions de
patrimoine matériel et immatériel.
1.1.1. Une définition en constante évolution : la collection
1.1.1.1. Origine du terme
Ainsi que mentionné en 2003 dans les actes d’une table ronde au Centre
Pompidou portant sur la notion de collection, « le mot « Collection » n’est entré dans la
langue française qu’au milieu du XVIIIème
siècle, en 1755, dans Le Grand Robert, avec
pour définition : « réunion d’objets ayant un intérêt esthétique, scientifique ou valeur de
rareté ». Le verbe « collectionner » et le substantif « collectionneur » ne sont quant à
eux apparus que vers 1840 dans la langue française pour évoquer le lien avec les objets
d’art »4
. Cette définition, très simple, pouvait être à cette époque suffisante et
appropriée pour décrire la réalité des collections. Les musées, ou plutôt les « cabinets de
4
La notion de collection ou comment lutter contre l’éparpillement des choses dans le monde, Table ronde
dans le cadre de la manifestation « Jean Cocteau, un des visages de l’ange », organisé par la BPI au
Centre Georges Pompidou, Paris, le 7 novembre 2003.
http://editionsdelabibliotheque.bpi.fr/resources/titles/84240100384280/extras/84240100384280.pdf
11
curiosités » n’ont eu pendant longtemps aucun mandat scientifique, mais étaient
essentiellement destinés à l’émerveillement de quelques rares privilégiés ou à la mise en
scène de concepts politiques et patriotiques (valeurs de la monarchie) ou pédagogiques.
Même lorsque les musées ont pris le parti de devenir publics et accessibles à tous, cette
conception du musée, conservateur des trésors matériels du monde a perduré durant des
siècles dans le paysage muséal ; et ce depuis les premiers musées jusqu’aux dernières
décennies du XXème
siècle5
.
Par la suite, le terme de collection a fait l’objet de nombreuses définitions qui
ont été amenées à s’affiner et à évoluer considérablement au gré des nouvelles réalités
qui se sont imposées aux muséologues. De nombreux chercheurs se sont attachés à en
définir les contours parfois mouvants et évolutifs, notamment au cours des cinquante
dernières années.
Pour ce travail, nous considérerons la définition générale de la collection donnée
par Yves Bergeron dans le Dictionnaire encyclopédique de muséologie, en 2011. Celle-
ci mentionne que :
« De manière générale, une collection peut être définie comme un
ensemble d’objets matériels ou immatériels [...] qu’un individu ou un
établissement a pris soin de rassembler, de sélectionner, de classer, de
conserver dans un contexte sécurisé et le plus souvent de communiquer à
un public plus ou moins large, selon qu’elle est publique ou privée. Pour
constituer une véritable collection, il faut par ailleurs que ces
regroupements, d’objets forment un ensemble (relativement) cohérent et
signifiant.»6
.
Cette définition décrit en quelques termes ce qu’est une collection, en
mentionnant bien le fait que celle-ci peut être de nature soit matérielle, soit
immatérielle. Elle a toutefois la particularité de la définir tant par sa nature, que par les
actions et les missions qu’elle engendre, à savoir des processus de gestion, de
conservation et de valorisation spécifiques.
5
POULOT Dominique, Une histoire des musées de France, XVIIIe-XXe siècles. Paris, La Découverte,
coll. « L’espace de l’Histoire », 2005, 198 p.
6
BERGERON Yves, Article « Collection », dans DESVALLEES André, MAIRESSE François,
Dictionnaire encyclopédique de muséologie, Editions Armand Colin, 2011, 724 pages.
12
1.1.1.2. Une diversité de termes rendant difficile une vision
d’ensemble
La terminologie employée pour décrire la nature des collections a également
subi les impacts des modifications des pratiques de collecte, qui se sont affinées ou
transformées en fonction des époques. Dans ce qui est considéré comme le tout premier
manuel de muséologie, rédigé en 1565, le médecin d’origine anversoise Samuel
Quiccheberg décrit les objets présents dans les cabinets de curiosité7
. Il mentionne dans
le titre de son ouvrage les éléments suivants (traduits du latin) : « des objets fabriqués
avec art et merveilleux», ainsi que des « trésors rares »8
.
Si le terme d’objet est utilisé de manière courante pour désigner tous types de
biens du musée, tant matériels qu’immatériels, il existe un vocabulaire très spécifique
pour décrire de manière fine leurs différentes natures. Au-delà de la dénomination latine
des objets, qui les classent en tant qu’artificialia, naturalia, mirabilia et sous de
nombreux autres termes encore9
; au-delà même d’une terminologie plus nouvellement
apparue qui distingue les objets de musée en artefacts et écofacts10
, la distinction entre
7
DESVALLEES André, MAIRESSE François, « Sur la muséologie », dans Culture & Musées, n°6,
2005. pp. 131-155.
En ligne : http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/pumus_1766-
2923_2005_num_6_1_1377
Consulté le 7 août 2012.
8
QUICCHEBERG Samuel, Inscriptions ou titres du théâtre immense comportant toutes la matière de
l'univers et des images extraordinaires si bien qu'il peut à juste titre être appelé aussi réserve des objets
fabriqués avec art et merveilleux ainsi que de tout trésor rare, qu'on a décidé de réunir tous ensembles
dans ce théâtre afin qu'en les manipulant fréquemment on puisse acquérir rapidement, facilement et
sûrement une connaissance singulière des choses et une sagesse admirable, trad. du latin, Munich, 1565.
Cité dans DESVALLEES André, MAIRESSE François, Op. Cit., p.132.
9
Ces termes peuvent être traduits en français et définis de la manière suivante :
Artificialia : éléments fabriqués par l’homme; Naturalia : éléments d’origine naturelle; Mirabilia :
élément relevant du merveilleux.
D’après le document : « Termes muséologiques de base », dans Publics et Musées, N°14, Éducation
artistique à l'école et au musée, 1998, p. 170.
En ligne :
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/pumus_1164-5385_1998_num_14_1_1128
Consulté le 29 juillet 2012.
10
Un artefact désigne un « Objet fabriqué ou transformé par la main humaine, il représente une réponse
tangible à un besoin humain. Il se caractérise par ses matériaux, sa fabrication, son origine, sa fonction et
sa valeur » D’après le glossaire du Ministère de la culture, de la communication et de la condition
féminine du Québec.
En ligne : http://www.mcccf.gouv.qc.ca/index.php?id=1899
(Consulté le 12 mai 2012).
Les écofacts désignent, d’après la DRAC Lorraine/ Service Régional de l’archéologie, « les matériaux
issus du règne animal, végétal ou minéral prélevés par l’homme dans l’environnement et qui n’ont pas été
transformés par lui en objets ».
En ligne : http://www.culture.gouv.fr/lorraine/drac/Patrimoi/archeo/protMob.pdf
(Consulté le 12 mai 2012).
13
le type de musée et la manière de nommer leurs collections est grandement divergente.
Serge Chaumier soulève cette idée lors de ses réflexions sur la nature de l’objet muséal :
il souligne alors que chacun des grands types de musées utilise une dénomination bien
précise pour les objets qu’il a le mandat de collecter.
Dans cet ordre d’idées :
« Les musées d’art vont rassembler des collections « d’œuvres
d’art », les muséums d’histoires naturelles recherchent « les spécimens »,
les musées d’anthropologie s’intéressent aux « artefacts », les musées
techniques aux « témoins exemplaires ». Des qualificatifs viennent
prolonger parfois cette dénomination, la notion de type liée au spécimen,
de chef d’œuvre lié à la notion d’œuvre. La notion « d’antiques »,
longtemps usitée par les musées d’art est à présent plus désuète. En
revanche, le terme de « cultural relic » est encore utilisé concernant les
objets archéologiques et historiques. D’un point de vue scientifique, on
parle aussi de « documents » ou « d’items » pour neutraliser les
connotations de concepts attachés à des disciplines »11
.
Cette diversité de termes dénote d’une ferme volonté de décrire d’une manière
précise la nature de l’objet afin d’asseoir sa définition nouvelle d’objet muséal. On
notera cependant que les termes liés au domaine de l’immatériel sont encore très peu
usités dans le vocabulaire propre à la collection muséale et à l’ « objet » à proprement
parler. Nous verrons un peu plus loin que les termes sont plus précis en ce qui concerne
l’idée générale de patrimoine immatériel.
11
CHAUMIER Serge, Qu’est-ce qui définit un objet de musée, Musée de la vie Bourguignone, Dijon,
Dossier documentaire dans le cadre de l’exposition « Tout garder? Tout jeter? Et réinventer? » du 23
avril-20 septembre 2010, 12p.
14
1.1.2. Objets en milieu muséal ou l’objet muséalisé
1.1.2.1. Un nouveau statut de l’objet
Les objets de collection disposent d’un statut particulier par rapport aux objets
du commun. Il peut s’agir tant d’objets de grande valeur que d’objets anodins et sans
valeur propre. Leur importance réside dans leur muséalisation, c’est-à-dire leur « mise
au musée ou, de manière plus générale, la transformation en une sorte de musée d’un
foyer de vie : centre d’activités humaines ou site naturel »12
ou encore une « opération
tendant à extraire, physiquement et conceptuellement, une chose de son milieu naturel
ou culturel d’origine et à lui donner un statut muséal, à la transformer en muséalium, -
objet de musée -, soit à la faire entrer sur le champ du muséal»13
. Ainsi que le
mentionne l’auteur dans le même article, la notion est à prendre avec précautions : la
simple entrée physique d’un objet au musée ne fait pas de lui un véritable « Objet de
musée ». Il faut pour cela qu’un véritable processus mental s’engrange, celui-ci
transformant la nature de l’objet en lui conférant des fonctions nouvelles et distinctes de
sa fonction première, en le thésaurisant. Serge Chaumier indique de son côté qu’ « En se
transformant en objet de musée, les choses sont défonctionnalisées et décontextualisées,
ils ne servent plus à ce à quoi ils étaient destinés mais entrent dans un ordre symbolique
qui leur confèrent une nouvelle signification et une nouvelle valeur. Ils deviennent des
témoins souvent sacralisés, ce qui engage une tendance au fétichisme, soulignée par
nombre de commentateurs critiques du musée (par exemple Jean Baudrillard ou Bernard
Deloche) »14
. Il y a par conséquent une véritable idée de thésaurisation de l’objet au
travers de son accession au statut d’objet muséal, sans tenir compte de la valeur
intrinsèque de l’objet, mais justifiant sa sauvegarde et sa transmission aux générations
futures.
Cette conception de l’objet de musée démontre que l’idée d’une valeur et d’une
dimension sensible qui lui est accordée réside essentiellement dans les esprits et la
perception qu’en a la société qui l’entoure. C’est lors de son interaction avec l’œil qui le
contemple que l’objet muséal se dote d’une valeur subjective. En définitive, plus qu’une
12
D’après MAIRESSE François, Op. Cit., p.251.
13
DESVALLEE, André, MAIRESSE, François et DELOCHE, Bernard, Museology : Back to Basics –
Muséologie : revisiter nos fondamentaux, Working papers, ISS 38, Morlanwelz, 2009, p. 36 (volume
présenté lors du colloque ICOFOM 2009 à Liège et Mariemont, juillet 2009).
14
CHAUMIER Serge, Op. Cit., p.1.
15
simple manipulation logistique qui ferait entrer l’objet dans « l’enceinte muséale », il se
produit une modification relevant du domaine cognitif15
. Il paraît à cet effet judicieux de
rappeler le terme de « sémiophore », avancé par le philosophe et historien Krzysztof
Pomian, par lequel il désigne des objets porteurs de signification et détournés de leur
fonction originale. Pomian va d’ailleurs même plus loin en présentant ce qui selon lui
définit un clivage entre ce qu’il appelle le « monde visible et le monde invisible ». Pour
lui, « les collections, […] ne constituent qu'une composante de cet éventail des moyens
mis en œuvre pour assurer la communication entre les deux mondes, l'unité de l'univers.
On comprend alors la diversité des objets qui les forment, des lieux où elles se trouvent
et des comportements de leurs visiteurs, celle-ci correspondant à la diversité de
manières d'opposer l'invisible au visible »16
. Selon sa conception des choses, les objets
sont déjà revêtus d’une aura invisible qui les distingue des artefacts du commun. Il voit
dans l’aptitude à collectionner un moyen d’accéder à ce « monde invisible », faisant de
l’objet comme un intermédiaire entre le visiteur et le monde invisible.
Il découle de ces exemples que le statut de l’objet muséal, de la « chose »
transformée en objet, si l’on reprend les mots de Serge Chaumier, est issu d’un
processus qui lui adjoint des valeurs immatérielles. En soi, la question de l’application
de ce processus de transformation muséale des objets peut être considérée à l’aune du
patrimoine immatériel. En effet, comment muséaliser ces éléments qui sont déjà
intangibles par nature et qui comportent en eux-mêmes leur propre sens ? Cette question
est aujourd’hui à l’étude par de nombreux scientifique, tandis que divers concepts et
méthodes tendent à émerger.
1.1.2.2. Vers un processus de gestion plus adapté
L’idée d’une mutation du statut de l’objet et de sa représentation dans la société
date de plusieurs décennies. Ainsi que le souligne François Mairesse, c’est en parallèle
de l’émergence d’une « Muséologie scientifique », durant les années 1960, qu’est née le
concept de muséalisation des objets, alors qu’auparavant, aucun vocabulaire particulier
15
D’après MAIRESSE François, Op. Cit,, p.251
16
Dans POMIAN Krzysztof, Collectionneurs, amateurs, curieux: Paris-Venise, XVIe - XVIIIe siècles,
Paris, Gallimard, 1987, 368p.
16
n’avait été proposé pour identifier ce processus17
. A l’heure actuelle, les objets
présentés dans le milieu muséal sont appelées couramment des musealia. Ce terme a été
proposé en 1970, par le muséologue tchèque Zbyneck Stránský sous la forme
«musealiumï » pour désigner spécifiquement les objets de musée18
. Ce processus de
transformation de l’objet en objet muséal s’inscrit en complémentarité du terme de
patrimonialisation19
, dans le sens où, en plus de mettre en place une volonté de
préservation et de pérennisation de l’objet, la muséalisation y adjoint des fonctions de
gestion en milieu muséal. Cette gestion passe, ainsi que le mentionne André Gob, par :
« le processus d’incorporation d’un objet dans une collection muséale. On pourrait
désigner cette opération par le terme d’acquisition […]. Cependant, il y désigne
habituellement la stricte acquisition : l’achat, la réception d’un don ou d’un legs,
l’acceptation d’une mise en dépôt […]. Le terme muséalisation présente l’avantage de
bien marquer la différence entre l’acquisition d’une pièce par un musée et son
incorporation dans l’univers muséal»20
.
La muséalisation ajoute donc un caractère particulier à l’objet, il fait en sorte que
celui-ci acquiert une dimension supplémentaire à celle que constitue sa simple fonction
de base. En ce sens, ce n’est qu’avec la perte de sa fonction d’origine que l’objet est à
même d’acquérir une fonction nouvelle.
Il est essentiel de revenir sur cette question de muséalisation, dans la mesure où
ce processus semble aujourd’hui lui-même se dépasser et englober des champs qui lui
étaient longtemps inconnus. André Gob ajoute que « la fonction patrimoniale du musée
s’exerce de façon permanente tandis que le concept de muséalisation désigne un
processus transitoire, comme l’indique le suffixe du mot ». Ceci est tout
particulièrement intéressant, en ce qu’il semble lier intrinsèquement l’objet au processus
complet d’intégration physique et intellectuel au musée. Alors que le patrimoine
immatériel prend aujourd’hui une place grandissante en milieu muséal, la question se
17
Dans MAIRESSE François, Conférence « Muséal, muséalité, muséalisation », dans BERGERON Yves,
BERNIER Christine, DUBE Philippe, DUBUC Élise (organisé par), LAMOUREUX Johanne, Muséalité
et intermédialité. Les nouveaux paradigmes des musées / Museality and Intermediality. The New Museum
Paradigms, Montréal, du 28 au 31 octobre 2009
18
MAIRESSE François, Op. Cit., p.251.
19
Le terme de patrimonialisation, contrairement à celui de muséalisation, définit davantage « le geste
culturel visant à extraire du premier ou du second contexte une vraie chose pour la préserver. La
patrimonialisation participe du processus de muséalisation mais ne l’englobe pas totalement […] ».
D’après François MAIRESSE, Op. Cit., p.254.
20
Dans GOB André, « Le jardin des Viard ou les valeurs de la muséalisation », CeROArt [En ligne], 4 |
2009, mis en ligne le 10 octobre 2009, consulté le 31 juillet 2012. URL : http://ceroart.revues.org/1326
17
pose de savoir si ces principes de gestion sont applicables à des objets relevant du
domaine de l’immatériel.
François Mairesse, lui, met en avant l’aspect scientifique de la muséalisation : « la
muséalisation, entendue comme processus scientifique, implique nécessairement
l’ensemble des activités du musée : préservation (sélection, acquisition, gestion,
conservation), recherche (dont le catalogage) et communication (par le biais de
l’exposition, de publications, etc.) ou, selon le point de vue de Stransky : sélection,
thésaurisation, présentation »21
. Cette description, plus générale laisse une place plus
grande à l’adaptation aux divers types de patrimoines, si l’on considère que le processus
scientifique, fait de définitions et de règles doit pouvoir être universellement appliqué.
Ces éléments relèvent toutefois de la théorie muséologie et sont cependant bien plus
ardus à concrétiser.
Par extension, il est judicieux de relever que la muséalisation ne concerne pas
uniquement les objets matériels ou encore les objets immatériels, mais également les
lieux et l’architecture. La ville de Montréal est ainsi l’objet même de la collection du
Centre d’histoire de Montréal. Sa volonté de conservation de la mémoire des
Montréalais passe tant par le pan matériel, que par le pan immatériel de l’histoire de la
ville, au travers des témoignages. Ce ne sont pas seulement les objets mais également
les lieux et leur histoire que cette structure, à la convergence du musée et du centre
d’interprétation, tente de mettre en valeur. Il est donc pertinent de voir si les données
disponibles pour l’« acquisition muséale » des objets matériels est applicable dans un
cadre plus vaste. Nous n’aborderont toutefois pas ici la question de la muséalisation des
sites, quoique ceci puisse être approprié compte tenu de la nature du mandat du musée,
qui est celui d’être le musée de la ville.
1.2. Vers un panorama de l’immatériel
L’idée d’une distinction entre le matériel et l’immatériel n’est pas neuve. Platon,
au IVème
siècle avant Jésus-Christ a déjà émis l’idée d’une dualité de l’objet, séparé
21
MAIRESSE François, Op. Cit., p.253.
18
entre l’objet matériel et l’idée émanant de ce même objet22
. Sa philosophie de pensée l’a
mené vers une distinction qui veut que le matériel ne soit qu’une extension physique de
l’immatériel. Il est en ce sens un précurseur et ses théories ont servi de terreau à la
philosophie développée bien plus tard par Descartes. Aristote quant à lui a pris le
contrepied de Platon en réfutant partiellement sa thèse et en rééquilibrant les deux
notions. Les exemples que nous venons de citer n’ont pour but que de démontrer que le
cheminement de pensée ayant mené à la définition d’une idée de l’immatériel est un
processus ancien et construit. Cependant, sa reconnaissance officielle en terme de
patrimoine n’est quant à elle intervenue au cours du XXème
siècle. Nous nous
attacherons ici à en définir la nature et à étudier comment l’immatériel est devenu une
préoccupation pour la muséologie actuelle.
1.2.1. Difficultés terminologiques
1.2.1.1. Une définition complexe et mouvante
Parvenir à une définition exhaustive de ce qu’englobe le patrimoine immatériel est
réellement complexe. Différentes propositions sont disponibles à ce jour, comme par
exemple celle avancée par le Conseil québécois du patrimoine vivant :
« Patrimoine immatériel : les savoir-faire, les connaissances, les
expressions, les pratiques et les représentations transmis de génération en
génération et recréés en permanence en conjonction, le cas échéant, avec
les objets et les espaces culturels qui leur sont associés, qu’une
communauté ou un groupe reconnaît comme faisant partie de son
patrimoine culturel et dont la connaissance, la sauvegarde, la
transmission ou la mise en valeur présente un intérêt public » 23
.
22
Platon développe la “Théorie des Formes” appelée aussi la « Théorie des Idées », dans son dialogue: Le
Timée. Source: PLATON, Timée/Critias, intro. trad. et notes BRISSON Luc, 3e éd. corrigée et mise à
jour, Paris, 1996.
23
CONSEIL QUEBECOIS DU PATRIMOINE VIVANT, définition du patrimoine immatériel, dans Journal
des débats, Assemblée nationale, Le jeudi 18 août 2011 – Vol. 42 N° 17
En ligne : http://patrimoinevivant.qc.ca/2011/08/une-nouvelle-definition-du-patrimoine-immateriel-dans-le-
projet-de-loi-82/
19
Une autre définition qui peut être avancée est celle de l’UNESCO qui avance aux
articles 1 et 2 de la Convention pour la sauvegarde du patrimoine culturel immatériel
que :
« 1. On entend par “patrimoine culturel immatériel” les pratiques,
représentations, expressions, connaissances et savoir-faire - ainsi que les
instruments, objets, artefacts et espaces culturels qui leur sont associés -
que les communautés, les groupes et, le cas échéant, les individus
reconnaissent comme faisant partie de leur patrimoine culturel. Ce
patrimoine culturel immatériel, transmis de génération en génération, est
recréé en permanence par les communautés et groupes en fonction de
leur milieu, de leur interaction avec la nature et de leur histoire, et leur
procure un sentiment d’identité et de continuité, contribuant ainsi à
promouvoir le respect de la diversité culturelle et la créativité humaine.
Aux fins de la présente Convention, seul sera pris en considération le
patrimoine culturel immatériel conforme aux instruments internationaux
existants relatifs aux droits de l’Homme, ainsi qu’à l’exigence du respect
mutuel entre communautés, groupes et individus, et d’un développement
durable.
2. Le “patrimoine culturel immatériel”, tel qu’il est défini au
paragraphe 1 ci-dessus, se manifeste notamment dans les domaines
suivants :
(a) les traditions et expressions orales, y compris la langue comme
vecteur du patrimoine culturel immatériel ;
(b) les arts du spectacle ;
(c) les pratiques sociales, rituels et événements festifs ;
(d) les connaissances et pratiques concernant la nature et l’univers ;
(e) les savoir-faire liés à l’artisanat traditionnel »24
.
Cette définition est reconnue en France par la Direction générale des Patrimoines
qui la reprend telle quelle, sous le sigle de PCI, soit Patrimoine Culturel Immatériel.
24
UNESCO, Convention pour la sauvegarde du patrimoine culturel immatériel, 2003.
20
Cette direction assure sa sauvegarde dans l’Hexagone, au même titre que le patrimoine
matériel dont il a la charge. Ces deux définitions, très proches l’une de l’autre sur la
question de la nature du patrimoine immatériel (dans les deux cas, on trouve mention
des savoir-faire, des connaissances, expressions, pratiques et représentations) montrent
toutefois qu’il ne s’agit pas d’un champ clos et que celui-ci s’applique à diverses
réalités. Les termes employés sont toutefois peu précis et ne distinguent que de grands
domaines. En définitive, les définitions disponibles permettent de se dresser un portrait
en filigrane de tous les champs d’étude que peut englober le patrimoine immatériel.
Cependant, il importe de demeurer vigilant et de faire évoluer cette terminologie en
parallèle des « découvertes » et nouveaux besoins des chercheurs.
1.2.1.2. La difficile description d’un « non-objet »25
Si des définitions générales sont acceptables pour définir les grands champs dans
lesquels le patrimoine immatériel s’inscrit, il est encore plus complexe de trouver des
descripteurs pour les objets eux-mêmes. Le terme d’objet prête en effet à confusion :
dans le dictionnaire Larousse, il désigne clairement : « Toute chose concrète,
perceptible par la vue, le toucher ». Cette définition désigne donc clairement un objet
matériel, il renvoie à une notion de perception par les sens et ne semble pas proposer
d’alternative pour les éléments relevant du domaine de l’esprit. Ceux-ci sont cependant
accessibles par le biais des supports sur lesquels ils sont conservés. François Mairesse et
Bernard Deloche, dans le Dictionnaire Encyclopédique de Muséologie, mentionnent
que l’objet (sous-entendu de musée) «n’est pas une réalité en lui-même, mais un
produit, un résultat ou un corrélat. En d’autres termes, il désigne ce qui est posé ou jeté
en face (ob-jectum, Gegen-stand) par un sujet, qui le traite comme différent de lui,
même lorsqu’il se prend lui-même comme objet » et par ailleurs, il « n’a donc pas de
réalité intrinsèque »26
. Ainsi que nous l’avons mentionné plus haut, Serge Chaumier
utilise le terme de « non-objet » pour désigner spécifiquement les objets de musée, dans
25
Le terme de « non-objet » est utilisé par Serge Chaumier dans CHAUMIER Serge, Qu’est-ce qui définit
un objet de musée, Musée de la vie Bourguignonne, Dijon, Dossier documentaire dans le cadre de
l’exposition « Tout garder? Tout jeter? Et réinventer? » du 23 avril-20 septembre 2010, p.10.
26
MAIRESSE François, DELOCHE Bernard, Article « Objet », dans DESVALLEES André, MAIRESSE
François, Dictionnaire encyclopédique de muséologie, Éditions Armand Colin, 2011, 724 pages.
21
la mesure où ceux-ci n’ont plus leur caractère utilitaire d’origine27
. En conséquence,
pour ce travail, nous utiliseront indifféremment le terme d’objet pour désigner les
collections matérielles et immatérielles.
Par ailleurs, même si l’on excepte le mot « objet » (de collection), les termes utilisés
pour décrire le patrimoine immatériel sont nombreux, mais parfois difficiles à
distinguer. On pourra parler d’immatériel, ceci renvoyant selon une définition basique à
ce «qui n'a pas de consistance matérielle, qui n'est pas formé de matière28
». La notion
est cependant plus complexe et nuancée. On rencontre en effet régulièrement le terme
d’intangible, qui signifie plutôt « Que l'on ne peut toucher. Synon. Impalpable,
insaisissable
29
». Ce mot est utilisé en anglais comme équivalent d’immatériel, mais
une différence existe en français. En effet, ces deux termes ne sont pas synonymes et ne
doivent pas être utilisés indifféremment. Nous réserverons donc plutôt le terme
intangible à ce qui a trait au patrimoine vivant, comme certaines productions d’art
contemporain, ou encore les réalisations virtuelles.
Les éléments relevant du patrimoine immatériel sont aussi parfois décris sous le
terme de « mentefacts ». Ce terme désigne, selon le Ministère de la culture, des
communications et de la condition féminine du Québec, l’« ensemble des productions
spirituelles ou intangibles qui constitue le volet immatériel du patrimoine
ethnologique »30
. Cette définition semble plus vaste puisqu’elle englobe de manière
générale l’immatériel et l’intangible. Ainsi que mentionné dans la revue Publics et
Musées, « parallèlement aux artefacts, il existe une autre catégorie d’objets fabriqués
par l’homme que l’on désigne généralement par le terme de mentefacts, […] renvoie à
des données abstraites, indépendamment de leur support physique »31
. Le terme de
mentefact sera donc utilisé ici avec parcimonie et uniquement pour désigner de manière
très globale les objets muséaux immatériels.
27
CHAUMIER Serge, Op. Cit., p.10.
28
TLF, Dictionnaire de la langue du 19e et 20e siècle, CNRS Gallimard, Paris, 1971-1994.
Version informatisée. En ligne : http://atilf.atilf.fr/
29
Ibid., En ligne : http://atilf.atilf.fr/
30
Ministère de la culture, des communications et de la condition féminine du Québec (MCCCF),
Glossaire Ethnologie, 2011.
En ligne : http://www.mcccf.gouv.qc.ca/index.php?id=1899
[Consulté le 15 juillet 2012].
31
DARRAS Bernard (Dir.), Éducation artistique à l'école et au musée, vol.14, Presses Universitaires
Lyon, 1999, 172 p., p.167.
22
En définitive, tout comme la muséologie est une science en constante évolution,
les termes nécessaires à une définition de l’immatériels sont amenés à évoluer. Ainsi
que nous l’avons mentionné plus haut, quoique relativement vague, le terme
d’immatériel sera utilisé ici comme un terme générique, et sera préféré à mentefact.
1.2.2. La place grandissante de l’immatériel dans les
politiques et projets culturels
1.2.2.1. L’immatériel au cœur des préoccupations : vers un
« nouveau régime de patrimonialité ? »32
.
L’incursion de l’immatériel au musée, vu comme un objet muséal, est
relativement récente. La notion est cependant demeurée latente dans les esprits depuis
des décennies sans que celle-ci soit concrètement formulée. Ainsi George-Henri Rivière
avait lui-même déjà utilisé l’expression d’objet-symbole pour désigner certains objets-
témoins, lourds de contenus, qui pouvaient prétendre résumer toute une culture ou toute
une époque. Il avait alors déjà à l’esprit tout le poids de la signification cachée de
nombreux objets ethnographiques. Selon Anik Meunier, une certaine conscience de
l’immatériel a fait jour vers « la fin des années 1960, période au cours de laquelle
Georges-Henri Rivière initie une nouvelle vision de la muséologie, en mettant l’homme,
la société et son développement, plutôt que l’objet, exclusivement, au centre des
préoccupations de la discipline muséologique »33
.
La conséquence de cette nouvelle conception est d’avoir provoqué un
mouvement pour la prise en compte de ce type de patrimoine. Laurier Turgeon
mentionne cette incursion de l’immatériel dans la revue Ethnologie Française en posant
la question suivante : la muséologie s’avance-t-elle vers un « nouveau régime de
patrimonialité »34
. Il entend par là que :
32
TURGEON Laurier, « Introduction. Du matériel à l'immatériel. Nouveaux défis, nouveaux enjeux »,
dans Ethnologie française, 3/2010 (Vol. 40), p. 390.
33
MEUNIER Anik, « Conjuguer architecture, culture et communauté », Téoros, 27-3, 2008, p.55.
En ligne : http://teoros.revues.org/84
Consulté le 22 juillet 2012.
34
TURGEON Laurier, Op. Cit., p.389.
23
« Depuis une dizaine d’années, nous sommes passés d’un régime
patrimonial soucieux de l’authenticité, de la conservation de la culture
matérielle et de la contemplation esthétique de l’objet dans sa matérialité à un
régime qui valorise la transformation des pratiques culturelles, la performance
de la personne et l’expérience sensible de la culture »35
.
Cette conception de l’idée de patrimoine, évoluant du matériel vers l’immatériel,
traduit un paradigme nouveau, intrinsèquement lié à un mouvement de renouveau dans
les disciplines présentées au musée, et notamment dans le domaine de l’ethnologie. On
ne s’intéresse désormais pas seulement à l’objet pour sa qualité matérielle et esthétique,
mais pour les valeurs et le sens qu’il véhicule. Cette idée n’est pas nouvelle, mais elle
s’est longtemps appuyée sur l’objet matériel pour permettre d’accéder à une dimension
de sens. Désormais, cette recherche du sens est proposée directement dans l’immatériel
lui-même, sans recourir à un objet matériel en guise d’intermédiaire (du moins en
principe, mais ceci n’est pas tout à fait exact en raison des supports nécessaires à
l’exposition et la conservation de l’immatériel). Ainsi que le mentionne Pablo Avilès
Flores, « la logique des collections reste celle d’illustrer un propos intellectuel et non
seulement une pièce particulière, que ce soit un chef-d’œuvre ou une pièce curieuse.
Cette dernière attitude est plutôt propre aux collections d’aujourd’hui »36
.
Au passage, il est intéressant de comparer cette pratique avec celles des icones et
reliques dans le domaine religieux, sensées permettre au fidèle d’accéder par le biais à
une dimension spirituelles. Les objets matériels, des « objets parfois sacralisés par des
opérations muséales, transformés en reliques »37
semblent parfois, dans une certaines
mesure, s’apparenter à ces éléments de la pratique religieuse par leur thésaurisation et
l’usage qui en est fait, permettant au commun des mortels une accession simplifiée à
une dimension qu’ils auraient du mal à aborder en d’autres circonstances. Pour autant,
la qualité d’un objet matériel ne se limite pas à une simple fonction de relique, même si
celle-ci paraît en être une facette.
Une fois encore, les chercheurs proposent une terminologie différente selon la
manière dont ils développent le concept de sens, relié aux objets matériels. Friedrich
35
TURGEON Laurier, Op. Cit., p.390.
36
AVILES FLORES Pablo, Collections d’objets merveilleux et d’objets d’art. La propriété du roi, des
particuliers et du peuple, Communication présentée aux écoles d'été au sein du doctorat des cultures
juridiques européennes, en 2006.
37
BOURSIER Jean-Yves, « La mémoire comme trace des possibles», dans Socio-anthropologie, n.9,
2001.
24
Waidacher parle ainsi de « nouophore »38
, c’est-à-dire de porteur de sens, Kryzstof
Pomian évoque quant à lui les sémiophores, c'est-à-dire des « porteurs de signe »39
,
tandis qu’Herman Parret parle quant à lui de la culture mnésique, qui « est investie dans
la mémoire des individus et des collectivités. Cette mémoire peut être codée et
matérialisée dans les styles de vie, les habitudes sociétales, même dans l’urbanisme des
villes »40
. Ce sont donc selon ces auteurs au travers de l’objet matériel, que l’immatériel
pourrait être accessible, d’où l’idée d’une omniprésence de l’immatériel.
Somme toute, au-delà de toute considération pratique, le paysage muséal à
connu dans la seconde moitié du XXème
siècle une modification de fond ayant balayé les
acquis en place pour englober de nouveaux aspects et donner un sens inédit à la notion
de patrimoine. En conséquence, l’idée d’un « nouveau régime de patrimonialité »
avancée par Laurier Turgeon semble faire sens.
1.2.2.2. Un cheminement vers une vision plus sensible du patrimoine
culturel
Il faut cependant noter que la nouvelle vague en faveur de la protection du
patrimoine immatériel et la reconnaissance de son statut d’objet muséal ne se fait pas
sans heurts. Il s’agit d’une part de bouleverser des conventions sociales et culturelles
établies de longue date, mais en plus de promouvoir des ressources culturelles
considérées alors comme de second ordre, voire purement et simplement déconsidérées.
Nous nous attacherons dans ce paragraphe à souligner la manière dont la reconnaissance
du patrimoine immatériel a causé un choc sans précédent dans le monde de la
muséologie. Loin d’être simplement un nouvel aspect culturel à considérer, le
patrimoine immatériel impacte toutes les normes et conventions, il «trouble les
classifications établies, […] bouscule les règles canoniques de la conservation et
38
WAIDACHER Friedrich, Vom redlichen Umgang mit Dingen : Sammlungsmanagement im System
musealer Aufgaben und Ziele; Workshop zum Sammlungsmanagement, Inst. für Museumskunde, Berlin,
1997, 25 p., p.20. Cité dans SCHÄRER Martin, « L’exposition, lieu de rencontre pour objets et acteurs »,
dans MARIAUX Pierre-Alain (dir.), Les lieux de la muséologie, Ed. P.Lang, Bern, 2007, 183p. p.49.
39
POMIAN, Krzysztof, Op. Cit.
40
PARRET Herman, « Vestige, archive et trace : Présences du temps passé », Protée, vol.32, n.2, 2004,
p.37.
25
participe largement à la définition des nouvelles politiques patrimoniales »41
et de plus,
« longtemps déconsidéré, ce patrimoine apparaît aujourd’hui comme un axe majeur du
patrimoine mondial »42
.
Cette vision des choses découle en partie du mouvement de la « nouvelle
muséologie » qui a apporté une vague de renouveau au domaine à partir de la fin des
années 1960. C’est à ce moment que les questions d’identité culturelle, dans la
mouvance des décolonisations que connaissent les états Européens face à leurs
anciennes colonies, et l’apparition de l’idée d’une muséologie plus participative, se font
jour43
. Soutenu par de grands muséologues tels que Georges-Henri Rivière ou encore
Hughes de Varine, ce mouvement a cherché à mettre en place un nouveau concept de
musée, afin que « l’ancien « cœur » du musée – la collection - [soit] placé à la
périphérie du système pour être remplacée par l’humain »44
. Il n’est donc pas étonnant
que ce mouvement soit contemporain de celui qui a vu apparaître la prise en compte
progressive de l’immatériel, il y est même intrinsèquement lié. Cette idée est
aujourd’hui encore plus exacerbée, si l’on en croit Laurier Turgeon qui, mentionnant les
Québécois, déclare que : « Les citoyens sont en quête d’un patrimoine plus interactif,
participatif et vivant »45
. Ceci montre une constance de l’opinion en faveur d’une
muséologie plus proche de l’être humain, plus vivante et plus participative.
L’idée du patrimoine immatériel et de sa conception peut cependant faire peur.
La crainte que celui-ci vienne surclasser le patrimoine matériel peut exister. Avec la
« nouvelle muséologie » et l’incursion de l’immatériel dans le champ muséal, l’objet
matériel a en effet été pris en défaut et ses insuffisances à servir le discours muséal
stigmatisées par les défenseurs d’une muséologie plus intangible. Le but est cependant
d’opérer un véritable cheminement vers une vision bilatérale du patrimoine, qui mêle
les deux notions avec hétérogénéité et égalité. Pour ce faire, les comités nationaux et
internationaux ont progressivement dû revoir leurs codes et leurs pratiques. Ce
changement de statut de l’objet patrimonial, qu’il soit matériel ou immatériel est alors
révélateur d’un phénomène de mondialisation des idées.
41
TURGEON Laurier, Op. Cit., p.390.
42
Ibid. p.390.
43
DESVALLEES André, MAIRESSE François, Sur la muséologie, dans Culture & Musées, n°6, 2005.
pp. 131-155.
En ligne : http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/pumus_1766-
2923_2005_num_6_1_1377
Consulté le 13 septembre 2012.
44
Ibid., p.146.
45
TURGEON Laurier, Op. Cit., p.392.
26
1.3. Reconnaissance institutionnelle du patrimoine
immatériel
1.3.1. Une reconnaissance au niveau international
Ainsi que nous l’avons vu, la conscience du patrimoine immatériel et de son
importance n’est pas neuve. Cependant, l’élément décisif est qu’aujourd’hui, les
nouvelles politiques du patrimoine ont permis sa reconnaissance juridique à l’échelle
internationale. Le processus a pourtant mis plusieurs années pour arriver à maturation et
pour être adopté, au moins en principe, par les états. Durant plus de vingt années, par le
biais de jalons successifs, la reconnaissance institutionnelle du patrimoine immatériel a
fini par émerger sous la forme d’une convention.
Le préalable à cette démarche est la Convention pour la protection du
patrimoine mondial, culturel et naturel de 197246
. Cette toute première convention ne
concerne pas encore le patrimoine immatériel, mais elle témoigne d’une prise de
conscience de l’urgence de mettre en place des procédures de sauvegarde pour de très
nombreuses richesses du patrimoine mondial. Elle porte sur : « les sites naturels, les
monuments historiques, les ensembles architecturaux et les collections archéologiques,
donc essentiellement sur les éléments matériels47
». Suite à ces prémices a eu lieu la
Conférence de Mexico de 1982, connue sous le nom de Mondiacult, où ont siégé de très
nombreux pays membres de l’UNESCO. Celle-ci a permis de poser les premiers jalons
de la reconnaissance patrimoniale de l’immatériel : il a été décidé d’incorporer dans la
notion de patrimoine « une nouvelle définition du patrimoine culturel, englobant les
œuvres tant matérielles qu’immatérielles par lesquelles la créativité des populations
trouve son expression : langues, rites, croyances, sites et monuments historiques,
littérature, œuvres d’art, archives et bibliothèques48
». Cette conférence a clairement
défini les prérogatives des Etats membres sur la question de l’élaboration des politiques
culturelles, l’égalité des cultures et le refus de toute hiérarchie, en même temps qu’elle a
46
UNESCO, Convention concernant la protection du patrimoine mondial, culturel et naturel, Paris, 16
novembre 1972.
En ligne : http://portal.unesco.org/fr/ev.php-
URL_ID=13055&URL_DO=DO_TOPIC&URL_SECTION=201.html
Consulté le 8 septembre 2012.
47
TURGEON Laurier, Op. Cit., p. 391.
48
UNESCO, « 1982 - 2000 : de MONDIACULT à Notre diversité créatrice ».
En ligne : http://www.unesco.org/culture/ich/index.php?lg=fr&pg=00309
Consulté le 8 septembre 2012.
27
posé la définition de la notion d’identité culturelle. Ainsi que le mentionne le texte
disponible sur le site de l’UNESCO, c’est à cette occasion qu’à été utilisée l’une des
premières fois l’expression « patrimoine immatériel » dans un document officiel, lors
d’une proposition de définition pour la culture49
.
Cette prise en compte nouvelle de l’immatériel a lancé un mouvement de fond
qui s’est concrétisé dans les quinze années suivantes lors d’une série de conférences,
afin d’établir une définition toujours plus fine de l’immatériel. C’est ainsi qu’une
recommandation adoptée lors de la conférence de Paris de 1989 ouvre la voie à une
véritable prise en compte institutionnelle du patrimoine immatériel. Cependant,
« confrontés à des problèmes de définition et de terminologie, les pays membres de
L'UNESCO utilisèrent un nombre important d'expressions pour désigner la réalité dont
on voulait parler et le sens véritable de cette réalité50
». On peut aussi citer la
Recommandation sur la sauvegarde de la culture traditionnelle et populaire de 1989,
qui, sous le terme de folklore (encore utilisé de nos jours aux Etats-Unis pour désigner
les arts et traditions populaires) pose les fondements de la prise en compte et de la
sauvegarde du patrimoine immatériel des différentes cultures en insistant sur leur
importance sociale, économique ou encore politique, de même que pour l’identité
culturelle propre aux différents groupes sociaux51
. Elle propose en outre aux Etats des
conseils afin de gérer ce patrimoine, de le sauvegarder et de le valoriser. En termes de
conservation, ces recommandations suggèrent que les Etats membres devraient :
« (a) mettre en place des services nationaux d'archives où les matériaux de la
culture traditionnelle et populaire collectés puissent être stockés dans des
conditions appropriées et mis à disposition ;
(b) mettre en place une unité nationale centrale d'archives aux fins, de la
prestation de certains services (indexation centrale, diffusion de, l'information
49 UNESCO, Ibid., en ligne : http://www.unesco.org/culture/ich/index.php?lg=fr&pg=00309
50
D’après l’article : « Le patrimoine immatériel dans le monde et au Québec » sur le site internet du
Ministère de la culture, de la communication et de la condition féminine du Québec.
http://www.mcccf.gouv.qc.ca/index.php?id=1914
Consulté le 8 septembre 2012.
51
UNESCO, Recommandation sur la sauvegarde de la culture traditionnelle et populaire, Paris, 15
novembre 1989.
En ligne : http://portal.unesco.org/fr/ev.php-
URL_ID=13141&URL_DO=DO_TOPIC&URL_SECTION=201.html
Consulté le 8 septembre 2012.
28
relative aux matériaux de la culture traditionnelle et populaire et aux normes
applicables aux activités la concernant, y compris l'aspect préservation) ;
(c) créer des musées ou des sections de la culture traditionnelle et populaire
dans les musées existants où celle-ci puisse être présentée ;
(d) privilégier les formes de présentation des cultures traditionnelles et
populaires qui mettent en valeur les témoignages vivants ou révolus de ces
cultures (sites, modes de vie, savoirs matériels ou immatériels) ;
(e) harmoniser les méthodes de collecte et d'archivage ;
(f) former des collecteurs, des archivistes, des documentalistes et autres
spécialistes à la conservation de la culture traditionnelle et populaire, de la
conservation matérielle au travail d'analyse ;
(g) octroyer des moyens en vue d'établir des copies d'archives et de travail de
tous les matériaux de la culture traditionnelle et populaire, ainsi que des copies,
destinées aux institutions régionales, assurant de la sorte à la communauté
culturelle concernée un accès aux matériaux collectés »52
.
Le patrimoine immatériel obtient dès lors une première reconnaissance officielle
par l'ensemble des pays membres de l'UNESCO et se voit octroyer des conseils et
moyens d’action.
La dernière étape en date du processus a été la rédaction d’une Convention pour
la sauvegarde du patrimoine culturel immatériel, qui a été adoptée lors de la 32e
session de la Conférence générale de l'Unesco en octobre 2003. Laurier Turgeon
rappelle que « d’après l’ancien président du Comité du patrimoine mondial et le
directeur général sortant de l’UNESCO, Koïchiro Matsuura, c’est en réponse à la
demande croissante d’inscription de sites sur la liste du patrimoine mondial pour leurs
valeurs culturelles immatérielles et face aux difficultés de les faire reconnaître selon la
convention de 1972, qu’il a soutenu l’élaboration et la mise en œuvre de la Convention
52
UNESCO, Ibid., En ligne : http://portal.unesco.org/fr/ev.php-
URL_ID=13141&URL_DO=DO_TOPIC&URL_SECTION=201.html
29
pour la sauvegarde du patrimoine culturel immatériel de 2003 »53
. Celle-ci s’est donc
fait en total contrepoint de celle de 1972 qui ne laissait place qu’au seul patrimoine
matériel. A contrario, la convention de 2003 cause un « élargissement de la notion de
patrimoine »54
en mettant en avant la culture immatérielle sous toutes ses formes et
valorise les pratiques plus que les objets matériels, sans toutefois exclure ces derniers.
Laurier Turgeon souligne bien que cette convention conçoit le patrimoine « comme un
processus plutôt qu’un produit » et qu’elle « attache une grande importance à la
préservation des « communautés » et à la transmission active de leurs pratiques, perçue
comme un moyen efficace de conservation, au point où on le définit désormais comme
« l’héritage culturel vivant des communautés »55
. Depuis 2003, près de 130 états ont
adhéré à la convention de l’UNESCO, ce qui traduit l’ampleur de ce mouvement.
En définitive, le processus de reconnaissance du patrimoine immatériel au
niveau international a mis plusieurs décennies avant de parvenir à maturation. C’est par
étapes progressives que celui-ci a été identifié, évalué, et que sa conservation et sa
sauvegarde ont été définies comme essentielles et souvent même urgentes. Cependant,
si la reconnaissance est internationale, l’application des recommandations est laissée à
la libre appréciation des états membres ; aussi ces derniers se dotent-il parfois de
législations nationales afin d’assurer une bonne sauvegarde de leurs richesses
patrimoniales de toutes natures.
1.3.2. Des initiatives nationales
Des initiatives nationales ont été entreprises à divers moments dans les états
membres de l’UNESCO pour prendre en compte le patrimoine immatériel, qui était
jusque là souvent relativement déconsidéré.
Tel est le cas par exemple au Québec, où dès 1987 le ministère des Affaires
culturelles a entrepris « une réflexion qui va conduire à la reconnaissance formelle de
l'immatériel comme l'une des composantes majeures du patrimoine. La Politique
53
TURGEON Laurier, Op. Cit., p. 391-392.
54
Selon les termes de l’ancien directeur général de l’UNESCO Maatsuura Koiricho.
55
TURGEON Laurier, Op. Cit., p. 391.
30
culturelle du Québec (1992) ouvre la voie à une conception globale du patrimoine qui
reconnaît l'interrelation de l'immatériel et du matériel »56
.
Le gouvernement du Québec a publié à deux reprises, en 1994 et en 2004 des dossiers
afin de souligner son implication et sa connaissance des enjeux soulevés par le
patrimoine immatériel. Il a de plus affirmé sa position dès 2002 en proclamant que : « le
patrimoine immatériel compte parmi les composantes essentielles de l'identité des
peuples et que son soutien constituait l'un des moyens par lesquels il entendait
contribuer à maintenir et à promouvoir la diversité culturelle »57
. Depuis 2008, d’autres
démarches ont été amorcées, notamment en lien avec la Loi sur les Biens Culturels
(1972), qui sera remplacée courant 2012 par la Loi sur le Patrimoine Culturel, qui elle
englobe clairement le champ de l’immatériel58
.
En Europe, les états sont parvenus à la réalisation d’une convention, connue sous
le nom de convention de Faro, en 2005. Celle-ci met en place une nouvelle politique du
patrimoine culturel et en propose une définition englobant le patrimoine immatériel. Le
1er
juin 2011, cette convention, appelée aussi Convention-cadre du Conseil de l’Europe
sur la valeur du patrimoine culturel pour la société, est entrée en vigueur, ayant obtenu
les dix signataires nécessaires à sa validation.
La France n’est pas signataire de la convention de Faro, à ce jour, mais elle a
entrepris une politique à l’échelle nationale afin de valoriser elle aussi le patrimoine
immatériel. Elle est également état-partie à la convention de 2003 de l’UNESCO,
qu’elle a ratifié en 2006, et peut en conséquence « soumettre des candidatures en vue
d'inscription de certains des éléments de son patrimoine culturel immatériel sur les listes
du PCI »59
. La France a aussi entrepris un inventaire de son patrimoine culturel
immatériel, en coopération avec de nombreuses organisations non-gouvernementales,
56
D’après l’article : « Le patrimoine immatériel dans le monde et au Québec » sur le site internet du
Ministère de la culture, de la communication et de la condition féminine du Québec.
http://www.mcccf.gouv.qc.ca/index.php?id=1914
Consulté le 8 septembre 2012.
57
Ministère de la culture, de la communication et de la condition féminine du Québec, Ibid.,en ligne :
http://www.mcccf.gouv.qc.ca/index.php?id=1914
58
D’après le Ministère de la culture, de la communication et de la condition féminine du Québec.
En ligne :
http://www2.publicationsduquebec.gouv.qc.ca/dynamicSearch/telecharge.php?type=5&file=2011C21F.P
DF
Consulté le 17 septembre 2012.
59
D’après le site internet du Ministère de la Culture et de la Communication.
En ligne : http://www.culturecommunication.gouv.fr/index.php/Disciplines-et-secteurs/Patrimoine-
culturel-immateriel/Les-PCI-francais-et-l-UNESCO
Consulté le 17 septembre 2012.
31
telles que des universités, associations et centres de recherches. Elle dispose également
d’un Centre français du patrimoine culturel immatériel, à Vitré, en Ille-et-Vilaine, qui
organise très régulièrement des colloques et conférences afin de réfléchir à la gestion et
la valorisation de ce type de patrimoine et permet l’accès aux ressources, le tout en
collaboration directe avec le Ministère de la culture et de la communication. En
complément de toutes ces législations nationales et supranationales, on peut également
noter l’augmentation du nombre de conférences et de colloques qui sont organisés sur le
thème du patrimoine immatériel et de la place à lui accorder. Ceci est révélateur d’une
profonde mutation dans les esprits et d’une conscience nouvelle de la réalité de la
question patrimoniale.
Somme toute, la question se pose quant à savoir s’il est vraiment pertinent de parler
de « dichotomie » en ce qui concerne les patrimoines matériels et immatériels. Selon les
auteurs, les réponses vont être différentes, chacun avançant des arguments en faveur de
sa thèse. Certains auteurs avancent l’idée que les deux types de patrimoine doivent être
clairement séparés et considérés différemment. D’autres, comme Laurier Turgeon
militent en faveur d’une union des deux notions sous le seul giron du patrimoine
culturel, « unis dans une étroite interaction, l’un se construisant par rapport à l’autre »60
.
Ces éléments reflètent ainsi la tâche ardue que présente l’entrée du patrimoine
immatériel au musée et les débats que ce sujet suscite.
60
TURGEON Laurier, Op. Cit., p. 391.
32
Deuxième partie :
Un patrimoine d’interprétation en voie
de conception :
le patrimoine d’histoire orale
33
2. Les témoignages d’histoire orale : un modèle pour
l’entrée de l’immatériel au musée ?
Nous l’avons vu dans la première partie de ce travail, le patrimoine immatériel
dispose aujourd’hui d’une reconnaissance formelle et légale à l’échelle internationale.
Cependant, il n’est pas simplement un domaine de la culture servant à la documentation
des collections matérielles : il est au contraire de plus en plus présenté en tant qu’expôt
dans les institutions patrimoniales. Ainsi que le mentionne Laurier Turgeon en citant
Yves Bergeron, « Les musées aussi se tournent vers le patrimoine immatériel […] les
muséologues aujourd’hui veulent enrichir l’exposition et l’interprétation des objets par
la connaissance de leurs modes de fabrication et leurs usages sociaux »61
.
2.1. Le musée, vers un rôle sauvegarde des mémoires
vivantes ?
2.1.1. L’histoire orale, une source ou un expôt ?
Ainsi que nous l’avons mentionné dans la première partie de ce document, le
patrimoine culturel immatériel peut se présenter sous des formes très variées, incluant,
selon la définition de l’UNESCO « les traditions et expressions orales, y compris la
langue […], les arts du spectacle, les pratiques sociales, rituels et événements festifs, les
connaissances et pratiques concernant la nature et l’univers [et] les savoir-faire liés à
l’artisanat traditionnel »62
. Prendre en compte la diversité de ces richesses culturelles
pour les incorporer au musée ne serait pas possible dans le cadre précis de ce travail, ce
pourquoi nous nous concentrerons sur les témoignages d’histoire orale. Les autres types
de sources du patrimoine immatériel, tels que par exemple les chants folkloriques, les
savoir-faire artisanaux ou rituels, englobent un champ de compréhension d’autant plus
61
TURGEON Laurier, Op. Cit., p. 392.
62
UNESCO, Convention pour la sauvegarde du patrimoine culturel immatériel, 2003.
34
vaste et des compétences de collecte souvent liées à l’ethnographie qui nous paraissent
impossible à décrire ici. Les témoignages oraux seront notre sujet d’étude, d’autant plus
que leur nature, leur collecte et leur gestion muséales ont pu être étudiées de près dans
le cadre d’un stage au Centre d’histoire de Montréal, permettant leur utilisation comme
exemples et support de réflexion. Ces observations, dans le cadre d’un musée
québécois, permettront également de mettre en avant le positionnement actuel de la
muséographie nord-américaine et tout spécialement sa manière d’envisager la
sauvegarde et la mise en valeur du patrimoine immatériel. Celui-ci est en effet très prisé
du grand public nord-américain, où sa présence dans le cadre muséal est souvent plus
marquée qu’en Europe. Laurier Turgeon mentionnait d’ailleurs :
« Encore aujourd’hui, le patrimoine immatériel est celui auquel la
population québécoise s’identifie le plus et celui qu’elle utilise le plus
pour marquer son identité. Un sondage mené en 2000 sur la perception de
la notion de patrimoine pour le compte du groupe conseil sur la politique
du patrimoine culturel du Québec, mieux connu sous le nom de rapport
Arpin, démontre que les trois quarts des personnes interrogées plaçaient
au premier rang les éléments immatériels de la culture, notamment la
langue et l’histoire, alors que seulement le quart accordait la priorité à
l’architecture et aux œuvres d’art, situation très différente des pays
d’Europe où les monuments historiques arrivent presque toujours en
tête »63
.
Cette conception particulière à l’égard du patrimoine immatériel s’explique par
le fait que, pays relativement « nouveau » comparé aux états de la « vieille Europe », le
Canada et le Québec en particulier ne disposent souvent pas toujours de collections
matérielles aussi conséquentes que les musées européens. Par contre, ils ont accès à un
patrimoine ethnographique et naturel particulièrement riche, notamment de par la
présence sur le territoire d’amérindiens, appelés au Canada les « Premières Nations ».
En tant que peuple « jeune », les canadiens n’ont pas cette conception de trésors
matériels, de vestiges régaliens que l’on peut retrouver en Europe. Ils sont bien plus
attachés à une idée de communautés, d’appartenance à un groupe et d’identité. Yves
63
TURGEON Laurier, Op. Cit., p. 395.
35
Bergeron relève en ce sens que « ce n’est pas un hasard si les musées de société qui
font largement appel à l’immatériel se sont développés chez les francophones de
l’Amérique du Nord64
» au contact d’une culture différente. Il faut alors considérer sur
un même plan ces deux types de conceptions, qui apportent chacune des connaissances
et des apprentissages. « Le patrimoine immatériel n’est pas juste un pis-aller, un
substitut du bâti. Il est un puissant moyen de montrer et d’affirmer l’existence des
groupes, surtout ceux qui sont en situation minoritaires »65
. En effet, une fois encore, il
s’agit de sauver un patrimoine en danger, les pratiques des populations amérindiennes
décroissant souvent avec les jeunes générations et le phénomène de mondialisation.
Le projet d’histoire orale du Centre d’histoire de Montréal s’inscrit tout à fait dans
cette conception profondément liée à l’identité des communautés. Oscillant entre son
rôle de centre d’interprétation et de musée d’histoire, cette structure municipale s’est
attachée à créer un nouveau discours historique, laissant place aux voix de ses habitants.
Il s’agissait alors de « proposer une alternative vivante au musée d’histoire66
». Le
directeur, Jean-François Leclerc, mentionne que l’inspiration qui a guidé la création de
ce nouveau discours provient d’expériences menées aux Pays-Bas et aux Etats-Unis
d’Amérique. Ce musée est donc un exemple intéressant d’une nouvelle forme de
collections muséales, proche des hommes et non plus seulement de leurs productions
matérielles.
2.1.2. Le « collectage » : travail d’historien, d’archiviste ou
de muséologue ?
Traditionnellement, les sources de l’historien sont des sources matérielles,
écrites dans la pierre ou des matériaux d’écriture divers. L’entrée au musée du
témoignage oral induit donc un nouveau type de pratiques permis par l’arrivée des
nouvelles technologies et l’augmentation de l’espérance de vie (qui permet un échange
intergénérationnel direct). La question de la place de l’histoire orale au musée en tant
que collection sera traitée plus loin dans le présent document, nous nous attacherons
64
Laurier Turgeon, citant des exemples présentés dans d’autres publications par Yves BERGERON,
Olivier MALIGNE ou encore Marie RENIER, dans TURGEON Laurier, Op. Cit., p. 395.
65
TURGEON Laurier, Op. Cit., p. 395.
66
LECLERC Jean-François, Le Centre d’Histoire de Montréal : histoire d’une institution et d’une vision
du passé, Montréal, UQAM, 1991, 23p.
36
davantage ici à comprendre que sont ces témoignages et comment ils peuvent s’intégrer
en tant qu’expôt, soit « tout ce qui est ou peut être exposé, sans distinction de nature »67
,
au musée.
La collecte des témoignages oraux est plus spécifiquement appelée
« Collectage », si l’on en croit Florence Descamps qui mentionne que :
« Le terme « collectage » est un terme très ancien, puisqu’il est
usité dès l’Ancien Régime, […] c’est en effet un terme utilisé tout au
long du XIXe siècle par les sociétés savantes, les érudits locaux, les
Académies qui ont mené des collectes de traditions orales, de coutumes,
de textes, d’ouvrages anciens ou de musiques anciennes, et ce, dès la fin
de la Révolution française. C’est donc un terme qui nous vient du
traditionalisme, du folklorisme, de l’ethnographie, de l’ethnomusicologie
et qui est utilisé aujourd’hui pour la collecte des musiques et danses
traditionnelles, pour la littérature orale et les ethno-textes et, plus
largement, pour le patrimoine oral et immatériel. La définition actuelle
du collectage pourrait être « recueil de la mémoire ou du patrimoine
oral » et les « collecteurs » seraient « ceux qui pratiquent le collectage.
[…] Enfin, on ne peut pas oublier la connotation patrimoniale, comme si
« collectage » était le résultat de la fusion des mots « collecte » et
« archivage » : on collecte pour conserver et transmettre »68
.
L’action de collecter les témoignages oraux n’est pas anodine : lourde de sens en
elle-même, elle vient conditionner les témoignages et souvent leur donner une tonalité
particulière, en fonction du contexte et de la personnalité des intervenants. La procédure
dans son ensemble, qui transforme le témoignage en objet muséal, lui permet de passer
du statut de souvenir à celui de mémoire et de véritable « histoire ».
Cependant l’histoire orale, si elle est une pratique de plus en plus prisée aujourd’hui, est
toutefois relativement nouvelle et souffre parfois d’une certaine déconsidération. Il est
vrai que souvent, la valeur de l’écrit prime sur celle de l’oral, cependant, la possibilité
que le document soit faux, partial ou retravaillé, reste le même et il revient toujours à
67
DESVALLEES André, « Les Galeries du Musée national des Arts et traditions populaires : leçon d’une
expérience muséologique », Musées et collections publiques de France, 134, 1976, pp. 5-37.
68
DESCAMPS Florence, « La place et le rôle du collecteur de témoignages oraux », Bulletin de liaison
des adhérents de l'AFAS, 28, hiver 2005 - printemps 2006, mis en ligne le 14 juillet 2010.
En ligne : http://afas.revues.org/1514
Consulté le 11 septembre 2012.
37
l’historien d’exercer son esprit critique. Le terme d’histoire orale est à la base une
traduction littérale de l’anglais « Oral History ». La discipline historique a bien entendu
toujours laissé place aux témoignages oraux, sans quoi elle manquerait cruellement de
sources. Le récit d’évènements est essentiel à la construction de tout récit historique, et
ce depuis les débuts de la discipline, avec des historiens grecs tels que Hérodote et
Thucydide au Vème
siècle avant J-C69
. Ils ont, selon les époques, été considérés comme
des témoignages de premier ou de second ordre. A proprement parler, l’histoire orale en
tant que « discipline » est née au début des années 1930, durant la période de la
« Grande Dépression »70
, aux Etats-Unis à l’occasion d’une enquête nationale sur la
mémoire des anciens esclaves noirs, afin de tenter de fédérer la société américaine. Le
premier centre d’histoire orale est né quant à lui à l’Université de Columbia, à New
York et a, dès ses débuts, mené des enquêtes d’ampleur afin de réunir une
documentation inédite sur de grands personnages et de grands évènements71
. La
naissance de l’histoire orale en tant que vrai champ de recherche et source historique est
donc une initiative résolument nord-américaine, dont la pratique s’est ensuite exportée
dans le monde.
Enfin, on peut souligner le fait que, selon certains auteurs, les témoignages oraux
appartiennent à ce qui est couramment nommé l’ « histoire immédiate », soit
« l'ensemble de la partie terminale de l'histoire contemporaine, englobant aussi bien
celle dite du temps présent que celle des trente dernières années; une histoire, qui a pour
caractéristique principale d'avoir été vécue par l'historien ou ses principaux témoins »72
.
Cette histoire immédiate, qui serait donc la partie la plus proche de l’actualité, surtout
en raison de son caractère vivant, en ce qu’elle implique la présence vivante et active de
témoins. Cette césure de l’histoire contemporaine, si elle est contestée aujourd’hui et ne
fait pas l’objet de ce travail, est néanmoins à considérer en ce qu’elle témoigne de
l’évolution de la science historique et du parallèle qui se fait, en temps comme en
pratique, avec les évolutions connues par la muséologie. La question est donc bien de
savoir comment faire passer ces éléments de la mémoire commune d’une utilisation
69
D’après DESCAMPS Florence, MARTINANT DE PRÉNEUF Jean, DE RUFFRAY Françoise,
TERRAY Aude, Les sources orales et l’histoire : Récits de vie, entretiens, témoignages oraux, Paris,
Bréal, Coll. Sources d’histoire, 2006, 287p.
70
La Grande Dépression, appelée aussi la « Crise de 1929 » est une période s’échelonnant du crash
boursier à Wall Street en 1929, jusqu’à la Seconde Guerre mondiale.
71
D’après DESCAMPS Florence, MARTINANT DE PRÉNEUF Jean, DE RUFFRAY Françoise,
TERRAY Aude, Op. Cit., 2006, 287p.
72
SOULET Jean-François, L'histoire immédiate, PUF, Collection « Que-Sais-Je ? », n° 2841, 1994, 128p.
38
résolument universitaire à un objet muséal utile à la délectation et l’apprentissage du
grand public. En d’autres termes, on pourrait parler de vulgarisation de la culture orale
et de sa diffusion de manière moins élitiste.
Ainsi, la question du recueil ou « collectage » de l’histoire orale demeure
ouverte, de même que la question du choix de ses collecteurs, archivistes, historiens ou
muséologues. Le témoignage oral est passé par diverses strates, diverses dénominations
et divers niveaux de considération. Somme toute, c’est l’usage qui est fait de ce
témoignage qui détermine sa nature d’archive, de source documentaire ou encore
d’objet muséal.
2.1.2.1. Collecter pour les générations futures : exemples
d’initiatives
Cette idée de transmission patrimoniale liée à la collecte de mémoire vivante est
donc tout particulièrement vivace : on collecte pour préserver, mais également pour
transmettre et valoriser. Le témoignage oral ne serait par conséquent pas qu’un simple
support, une source pour le chercheur en sciences humaines, mais bien un expôt. Il
apparaît en effet que la présence des témoignages oraux dans les expositions muséales,
au même titre que des objets matériels, est de plus en plus fréquente. Alors qu’ils sont
présents dans les musées de longue date, plutôt en tant que complément documentaire
des objets matériels ou de documentation que comme objets muséaux à part entière, les
témoignages oraux (présentés sous forme audio ou vidéo) sont aujourd’hui souvent
utilisés pour préserver la mémoire d’un lieu, d’une histoire, d’une activité ou d’un
savoir-faire, notamment lorsque celui-ci est menacé de disparition. Il s’agit le plus
souvent d’initiatives de musées d’histoire ou de société, de sociétés savantes,
d’associations locales, ou encore d’universités.
A titre d’exemple, le Musée municipal de la Mine du Livet, dans le Calvados et
son association « Mémoire de Fer » œuvre aujourd’hui, entre autres, à :
« Collecter et valoriser la mémoire locale. Explorer les sources
d'archives qui y sont liées. Mener une collecte documentaire et
39
iconographique permanente. Encourager à la mise à jour de fonds privés
et au don (ou prêt) d'objets qui trouvent leur place dans le musée.
Enregistrer des témoignages oraux. Constituer une banque de données
accessible, à terme, au public »73
.
Ce petit musée de site, à proximité des anciennes mines qu’il est aujourd’hui
possible de visiter, a entrepris de collecter les témoignages d’anciens mineurs, pour
conserver ce qui est la mémoire « des dernières mines de l'Ouest »74
. Ces témoignages
ne sont cependant pas recueillis par le personnel du musée lui-même, mais par des
membres bénévoles de l’association. Même si les procédures employées ne sont pas
issues d’une pratique professionnelle clairement règlementée, l’initiative reste toutefois
à souligner. L’exemple est très révélateur d’une volonté de sauvegarder une mémoire en
perdition, la mémoire de tout un mode de vie, au-delà même d’un savoir-faire ouvrier
lié à l’extraction industrielle des matières premières dans les mines. Le savoir des
anciens mineurs est celui d’une frange laborieuse de la société qui peut souvent parler
tant de dispositifs techniques liés à son travail, que du cadre social dans lequel lui, sa
famille et ses collègues évoluaient. Il a donc dans ces témoignages la perspective de
recréation par le récit d’une époque révolue, sous forme d’une source primaire. Certains
musées de sites en France, tels que le musée de la Mine de Blanzy, en Bourgogne, ont
même formé pour guides d’anciens mineurs afin que ceux-ci puissent apporter
directement leur mémoire aux visiteurs75
. Bien entendu, les témoignages oraux sont
utiles à une préservation sur le long terme pour les générations futures. En cela, la
collecte est essentielle pour la mémoire d’un lieu et des hommes qui y ont vécu.
Autre exemple, étant désireux de s’ouvrir à une autre culture et de développer
des liens avec lui, le musée de Bretagne a présenté une exposition temporaire intitulée
« Mali au Féminin » du 16 mars au 3 octobre 201076
. Dans celle-ci, il proposait aux
visiteurs de rencontrer des intervenants dans l’exposition, mais aussi de visionner des
témoignages oraux en plus des films, objets, photographies et clips documentaires
disponibles. C’est le musée lui-même qui a entrepris ce travail de collecte, pour aboutir
73
D’après le site internet du musée de la Mine du Livet.
En ligne : http://www.saintgermainlevasson.fr/presentation.htm
Consulté le 2 septembre 2012.
74
Idem.
75
Voir le site internet du Musée de la Mine de Blanzy : http://www.blanzy71.fr/
76
D’après le site internet du musée de Bretagne :
En ligne : http://mali-feminin.musee-bretagne.fr/Les-temoignages-oraux.html
Consulté le 2 septembre 2012.
40
à la sélection de quinze témoignages présentés dans « Mali au Féminin ». Cette
exposition a vraiment cherché à créer un contact entre le public et les différents
intervenants, à les aider à découvrir et comprendre d’autres modes de vie et de pensées
et à vouloir s’investir plus loin dans cette relation. Il y a vraiment ici une dimension
d’échange qui se crée : il ne s’agit pas vraiment de protéger une mémoire menacée mais
vraiment de poser les bases d’un dialogue interculturel. Ce musée a œuvré dans le cadre
d’un partenariat et ainsi tenté d’utiliser les nouvelles technologies pour valoriser la
parole, et mettre l’humain au centre de l’exposition et des préoccupations.
Ensuite, on peut citer l’exemple du musée-mémorial du 9/11, à New York, qui
lui aussi s’appuie sur la base de témoignages oraux pour développer et illustrer son
discours. Encore en travaux aujourd’hui, ce musée devrait ouvrir pour la fin de l’année
2012, mais est déjà présent de manière virtuel sur internet, sur un site largement
participatif. Il propose à l’internaute, s’il a vécu les évènements du 11 septembre 2001,
de contribuer à la sauvegarde de la mémoire de l’évènement par la mise en ligne de
photographies, de vidéos ou par le récit de sa propre histoire. Cette histoire personnelle
est collectée dans le cadre d’entrevues accompagnées par un professionnel77
. Elle
servira ensuite à alimenter la documentation sur le site internet et à conserver la
mémoire des survivants et de leur famille. Très touchés par les événements du 11
septembre 2001, cette montre à quel point les habitants des États-Unis souhaitent
commémorer la mémoire des disparus et apporter leur contribution à l’histoire
nationale. Cette initiative est un véritable appel à une conscience nationale, appelant à
donner de sa personne, de sa mémoire, pour la survivance du souvenir dans la
communauté nationale. Il s’agit donc ici d’une collecte de mémoire très spécifique, très
récente et centrée sur un évènement particulier, plus focalisée sur l’idée d’un devoir de
mémoire que d’une collecte documentaire ou de sauvegarde.
Enfin, l’exemple du Musée de la mémoire vivante de Saint-Jean-Port-Joli permet
d’illustrer l’importance du patrimoine immatériel dans l’esprit des Québécois78
. Sa
mission mentionne explicitement qu’ « il conserve, étudie et met en valeur la mémoire
de ses publics dans le but d’enrichir leur compréhension du monde et afin de
transmettre ces repères culturels aux générations futures. Cette institution est en soi une
mémoire vivante en constante évolution »79
. Ce musée interpelle directement les
77
D’après le site internet du Musée-mémorial du 11/9 : http://www.911memorial.org/share-your-story
78
Le site du musée de la mémoire vivante est disponible à l’adresse : http://www.memoirevivante.org/
79
Idem.
41
québécois à venir au musée partager leur patrimoine, par des dons d’objets, de mémoire
(sous forme de témoignages écrits et oraux) et de documents80
. Tous les contributeurs
potentiels sont sollicités, le musée se déplaçant à domicile dans le cadre du programme
appelé « Musée de la mémoire vivante sur la route », ainsi que dans les écoles de la
région. Il collecte sur des thèmes divers les souvenirs et récits en tous genres. En
somme, le musée opère un passage du matériel à l’immatériel, se servant du cadre
ancien du musée pour aller vers une perspective de futur et de transmission du
patrimoine, de la mémoire, aux générations futures.
Ces quatre exemples sont finalement très différents, en ce que ni leur processus
de collecte, ni les autorités qui les régissent, ni les finalités de la collecte de
témoignages ne sont les mêmes. Le premier exemple est destiné à la sauvegarde de la
mémoire d’un site et des activités et modes de vie qui en ont découlé, le second à
valoriser une culture et renforcer un lien social, et le dernier à commémorer et préserver
la mémoire d’un évènement. En soi, chacun de ces exemples apporte une vision
différente du témoignage oral et de son utilité dans un cadre patrimonial.
Ces exemples, quoiqu’intéressants, ne font qu’effleurer en surface la question de
la présence des témoignages oraux au musée. Dès lors, il paraît judicieux de se pencher
plus en détail sur un cas concret, qui sera ici celui du Centre d’histoire de Montréal et de
son Musée de la Personne.
2.2. Un exemple d’intégration complète au musée : le cas du
Centre d’histoire de Montréal
S’il arrive souvent que les musées choisissent d’inclure des témoignages oraux dans
leurs expositions, leur prise en compte comme objet muséal à part entière est plus rare.
Ceux-ci constituent pourtant une collection actuellement en augmentation constante au
Centre d’histoire de Montréal, en parallèle de la collection matérielle d’artefacts et
d’archives. Depuis près d’une dizaine d’année maintenant, ce musée montréalais a en
effet entrepris la collecte de la mémoire de ses habitants, au point d’en faire un nouvel
80
Quelques uns de ces témoignages écrits et oraux sont accessibles en ligne sur le site du musée, à
l’adresse : http://www.memoirevivante.org/temoignages.html
Consulté le 2 septembre 2012.
42
axe de collection. Il possède aujourd’hui une collection de plus de 600 témoignages de
natures et de thèmes variés, cette collection ayant vocation à s’enrichir très rapidement
au cours des prochaines années. Ce choix de développement est cependant propre à ce
musée dont la nature même le pousse à se positionner au plus près des communautés.
Cet exemple est particulièrement intéressant en ce qu’il permet de voir de l’intérieur
comment fonctionne la gestion et la valorisation d’une collection de patrimoine
immatériel, en l’occurrence ici de témoignages d’histoire orale.
2.2.1. Une institution hybride, entre musée et centre
d’interprétation
Le Centre d'histoire de Montréal est un établissement permanent à but non
lucratif, qui dépend de la ville de Montréal. Ses valeurs rejoignent les principes des
politiques municipales du patrimoine de la métropole, ainsi que la charte montréalaise
des droits et responsabilités81
. Le Centre d'histoire de Montréal a été fondé en 1983,
mais l’idée d’une institution pouvant interpréter et diffuser le patrimoine de la ville était
alors déjà dans les esprits depuis quelques décennies. Dès son origine, l’institution s’est
posée comme un élément original dans le paysage muséal de son époque en proposant
au visiteur de prendre lui-même part à l’histoire de la métropole. Il a été choisi de faire
primer l’interprétation sur la mission traditionnelle des musées qu’est la conservation
afin d’interpeller au mieux le visiteur. Le Centre d’histoire a refusé d’être défini comme
un « musée historique » et ce, depuis ses origines. Une ancienne directrice, Sylvie
Dufresne mentionnait à cet effet que « le véritable musée à découvrir, c’est la ville, et
par conséquent, toute la dynamique est orientée vers le dehors, vers l’environnement
urbain réel dont il n’est qu’un instrument facilitant la compréhension et la visite »82
.
Le Centre d’histoire de Montréal étant d’abord un centre d’interprétation, peu
d’objets y étaient conservés et présentés. Ce n’est qu’après 1987 que des objets ont été
81
LECLERC Jean-François, Le Centre d’Histoire de Montréal : histoire d’une institution et d’une vision
du passé, Montréal, UQAM, 1991, 23p.
82
DUFRESNE Sylvie, « Le Centre d’histoire de Montréal. Vocation et champs d’interventions», Réunion
du Comité permanent de l’entente, Ministère des Affaires Culturelles – Ville de Montréal, 1988, pp. 7-8.
43
acquis afin d’illustrer les propos scientifiques. Cette première collection était une
collection dite « fermée », à savoir que tous les artefacts étaient destinés à l’exposition.
Le Centre d’histoire de Montréal est malgré tout devenu aujourd’hui un musée
d’histoire, notamment d’histoire urbaine et populaire. Sa collection se compose pour
l’essentiel d’objets représentatifs de la vie de la métropole, tels du mobilier urbain, des
objets rappelant de grands évènements, des objets de la vie quotidienne, le tout dans une
véritable perspective d’histoire populaire centrée sur le XXème
siècle. Sa mission
première demeure toutefois une mission d’interprétation : il s’agit d’ « interpréter toute
l’histoire de la métropole et le patrimoine montréalais et les faire comprendre à ses
citoyens, nouveaux arrivants et touristes. Le CHM se démarque des musées d’histoire
en adoptant une raison d’être qui épouse les besoins des Montréalais.». La mission du
musée s’articule par conséquent selon trois lignes directrices :
 L’interprétation du patrimoine montréalais et sa mise en valeur ;
 La sensibilisation des Montréalais et des visiteurs à l’histoire de la métropole, à
ses évolutions et ses particularités ;
 Diffuser l’histoire de Montréal, ville cosmopolite et francophone du Québec et
contribuer à son rayonnement dans la sphère locale, nationale et internationale.
Dans cette optique de développement et de proximité avec la population, le recueil
de témoignages oraux apparait comme une solution pertinente et surtout essentielle pour
la mémoire de la métropole. Nous allons voir ici en quoi ce processus modifie les
relations et les comportements du musée et des habitants de la ville.
2.2.2. Un appel à la conscience citoyenne ou l’exemple du
Musée de la Personne
Ainsi que nous venons de le mentionner, par son lien direct avec la population, le
Centre d’histoire de Montréal développe une conscience spécifique du patrimoine dont
il assure la sauvegarde. En effet son action, plus qu’une simple préservation
patrimoniale et un rapprochement avec les Montréalais, pousse à une véritable demande
d’action citoyenne. En ce sens, « peu importe l’évènement, le quartier, la langue ou
l’origine, le CHM fait connaître et aimer Montréal aux Montréalais en dénichant et en
44
transmettant leurs récits et leur patrimoine personnel. Il accompagne les services
municipaux et les organismes dans leurs projets de commémoration, d’animation et de
diffusion en histoire et en patrimoine »83
.
2.2.2.1. Les « Cliniques de mémoire » : vers un don de patrimoine
oral
Afin de mener a bien cet objectif, le musée a crée en 2004 le « Musée de la
Personne » afin de prolonger sa mission sociale et civique et « mettre en valeur le
patrimoine immatériel que représentent les histoires de vie et les témoignages »84
. Il
s’est inspiré du Museu da Pessoa, au Brésil, un musée né à Sao Paulo en 1991 dans le
but de recueillir et conserver les histoires de vie. Ce musée a ensuite essaimé, en
encourageant la création de nouveaux musées du même type à l’échelle mondiale.
Ainsi, « en 1999, l'Université de Minho au Portugal devient le premier partenaire. En
2002, l'Université de l'Indiana se joint au réseau [et] le Musée de la Personne - Montréal
[…] en 2004 »85
.
Le musée de la Personne, musée entièrement virtuel, a permis de mettre en valeur
une nouvelle initiative du musée, apparue en 2003, les « cliniques de mémoires »86
. Ces
collectes de témoignages permettent au musée de recueillir sur support audio ou vidéo
les témoignages des habitants de la ville, le plus souvent membres de communautés
culturelles, telles que les communautés chinoises, portugaises ou encore haïtiennes. Ces
évènements prennent une forme très spéciale, qui se veut résolument attirante et
« festive », ainsi que le mentionne Jean-François Leclerc :
« Pour la clinique, nous avons choisi d’associer une activité
classique de collecte de témoignages et d’objets à une célébration du
patrimoine communautaire. Nous nous sommes inspirés de certains traits
emblématiques d’une collecte de sang (familièrement désignée sous le
nom de « clinique de sang »), avec son décor – cloisons pour entrevues,
83
DUFRESNE Sylvie, Ibid., p.2.
84
Centre d’histoire de Montréal, Exercice de positionnement et de planification stratégique (document
interne), 26 octobre 2009, 10p.
85
Le site internet du Museu da Pessoa est disponible à l’adresse : http://www.museudapessoa.net/ingles/
86
Voir Annexe 4 : Iconographie « Cliniques de Mémoire », p. 103.
L’Immatériel au musée? Incorporation et gestion du patrimoine immatériel en milieu muséal. Le cas du Centre d’histoire de Montréal
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L’Immatériel au musée? Incorporation et gestion du patrimoine immatériel en milieu muséal. Le cas du Centre d’histoire de Montréal

  • 1. Université de Haute-Alsace, Mulhouse FSESJ – Faculté des Sciences Économiques, Sociales et Juridiques Master Sciences de l’Information et Métiers de la Culture Spécialité Patrimoine et Musées 2011/2012 LL’’IIMMMMAATTEERRIIEELL AAUU MMUUSSEEEE ?? IINNCCOORRPPOORRAATTIIOONN EETT GGEESSTTIIOONN DDUU PPAATTRRIIMMOOIINNEE IIMMMMAATTEERRIIEELL DDAANNSS LLEESS CCOOLLLLEECCTTIIOONNSS MMUUSSEEAALLEESS Le cas du Centre d’histoire de Montréal Angélique BACH Directeur de mémoire : M. Benoît BRUANT Maître de stage : Mme Catherine CHARLEBOIS (Stage au Centre d’histoire de Montréal du 1er mai 2012 au 24 août 2012).
  • 2. 2 « Notre héritage n’est précédé d’aucun testament » 1 René Char, Feuillets d’Hypnos (1943-1944). 1 CHAR René, « Feuillets d’Hypnos (1943-1944) », dans Fureur et mystère (1948), préface d’Yves Berger, éd. Gallimard, coll. Poésie, 1962, p.121.
  • 3. 3 Remerciements Je tiens à remercier M. Benoît Bruant, responsable du Master SCIMEC spécialité Patrimoine et Musées à l’Université de Haute-Alsace de Mulhouse, pour son enseignement et sa bienveillance durant ces deux années. Mes remerciements vont aussi à Mme Catherine CHARLEBOIS, muséologue responsable des collections et des expositions, pour m’avoir accueilli au sein du Centre d’histoire de Montréal et aussi pour le temps et la confiance qu’elle m’a accordés tout au long de mon stage. Je tiens également à remercier tout spécialement M. Jean-François LECLERC, directeur, pour la confiance qui m’a été accordée, ainsi que Mme Stéphanie MONDOR, gestionnaire et technicienne des collections pour son soutien permanent. Un grand merci également à tous les membres de l’équipe du musée pour leur accueil, leur gentillesse et leur disponibilité. J’adresse aussi mes remerciements aux différents professionnels des musées m’ayant aidé au cours de mon stage en répondant à mes questions et en me consacrant de leur temps. Parmi eux je tiens à remercier tout particulièrement Mme Sylvie DAUPHIN, conservatrice du Musée Stewart et Mme Karine ROUSSEAU, registraire et gestionnaire des collections du musée McCord d’histoire Canadienne. Enfin, je remercie mes parents, mes amis et mes camarades pour leur soutien tout au long de mes années d’études.
  • 4. 4 Sommaire 1. Patrimoines matériel et immatériel : une dichotomie marquée ?......................................10 1.1. Définition du cadre d’étude .............................................................................................10 1.1.1. Une définition en constante évolution : la collection..........................................10 1.1.1.1. Origine du terme.........................................................................................10 1.1.1.2. Une diversité de termes rendant difficile une vision d’ensemble ................12 1.1.2. Objets en milieu muséal ou l’objet muséalisé.....................................................14 1.1.2.1. Un nouveau statut de l’objet .......................................................................14 1.1.2.2. Vers un processus de gestion plus adapté ...................................................15 1.2. Vers un panorama de l’immatériel...................................................................................17 1.2.1. Difficultés terminologiques ................................................................................18 1.2.1.1. Une définition complexe et mouvante ........................................................18 1.2.1.2. La difficile description d’un « non-objet »..................................................20 1.2.2. La place grandissante de l’immatériel dans les politiques et projets culturels ....22 1.2.2.1. L’immatériel au cœur des préoccupations : vers un « nouveau régime de patrimonialité ? »............................................................................................................22 1.2.2.2. Un cheminement vers une vision plus sensible du patrimoine culturel .......24 1.3. Reconnaissance institutionnelle du patrimoine immatériel..............................................26 1.3.1. Une reconnaissance au niveau international .......................................................26 1.3.2. Des initiatives nationales....................................................................................29 2. Les témoignages d’histoire orale : un modèle pour l’entrée de l’immatériel au musée ? 33 2.1. Le musée, vers un rôle sauvegarde des mémoires vivantes ?...........................................33 2.1.1. L’histoire orale, une source ou un expôt ?..........................................................33 2.1.2. Le « collectage » : travail d’historien, d’archiviste ou de muséologue ?.............35 2.1.2.1. Collecter pour les générations futures : exemples d’initiatives .......................38 2.2. Un exemple d’intégration complète au musée : le cas du Centre d’histoire de Montréal.41 2.2.1. Une institution hybride, entre musée et centre d’interprétation ..........................42 2.2.2. Un appel à la conscience citoyenne ou l’exemple du Musée de la Personne ......43 2.2.2.1. Les « Cliniques de mémoire » : vers un don de patrimoine oral .................44 2.2.2.2. Amener à une véritable cohésion citoyenne : le projet « Vous faites partie de l’histoire ! »45 2.2.3. Les témoignages d’histoire orale, objets d’expositions.......................................46 2.2.4. La place laissée aux initiatives locales................................................................47 2.3. Procédure de collecte des témoignages............................................................................48
  • 5. 5 2.3.1. La collecte au Centre d’histoire de Montréal......................................................48 2.3.1.1. Principes dirigeant la collecte de témoignages............................................49 2.3.1.2. Diverses méthodes d’acquisition ................................................................51 2.3.1.3. Gestion et archivage des témoignages ........................................................55 2.3.2. Droits d’auteur sur les témoignages....................................................................57 3. Gestion, conservation et valorisation de l’immatériel au musée : des outils et des pratiques ........................................................................................................................................61 3.1. Intégrer les témoignages oraux à une collection : une tâche ardue ..................................61 3.1.1. Des difficultés conceptuelles ..............................................................................61 3.1.1.1. Une refonte des méthodes traditionnelles de gestion des collections. .........62 3.1.1.2. Un manque de ressources méthodologiques précises..................................66 3.1.2. Des difficultés pratiques .....................................................................................67 3.1.2.1. Problèmes techniques liés à l’informatisation des collections.....................67 3.1.2.2. Des difficultés dans la conservation des supports .......................................68 3.2. Exposer la mémoire : un nouveau support pour l’exposition ?........................................71 3.2.1. Un nouveau type d’expôt ou un multimédia revisité ?........................................71 3.2.2. Vers un musée qui s’exporte hors les murs.........................................................72 3.2.3. Valeur documentaire et scientifique ...................................................................73 3.3. Le musée est-il aujourd’hui en mutation ?.......................................................................74 3.3.1. Enjeux sociaux : un accroissement du rôle social et identitaire du musée ?.......74 3.3.1. Une définition hypocrite ? ..................................................................................77 3.3.1. La fin du musée traditionnel ? ............................................................................78 Conclusion ......................................................................................................................................81 Bibliographie commentée .............................................................................................................83 Annexes
  • 6. 6 « Il est généralement admis, même si cette définition est en constante évolution, que tout musée est un conservatoire, permanent, le plus souvent ouvert au public, de collections d’objets ou de documents artistiques, artisanaux ou industriels, végétaux ou animaux, acquis par dons ou achats, toujours sélectionnés, si possible classés et entretenus, parfois replacés dans le contexte de leur création en tant que témoins de l’évolution de la nature ou d’une culture (considérée comme un ensemble de biens et de valeurs à un moment donné) »2 . C’est en ces termes que le grand muséologue Georges-Henri Rivière définissait en son temps le musée et ses collections. Cette définition est particulièrement intéressante en ce qu’elle renseigne sur la nature de ce que l’auteur appelle un objet. Ceci révèle qu’il y a quelques décennies seulement, le terme de collections ne renvoyait qu’aux objets matériels de tout ordre que les musées collectionnaient. Aujourd’hui, cette conception de l’objet de musée tend à s’élargir et devenir plus mouvante puisque la notion de patrimoine immatériel semble prendre une place grandissante dans le paysage muséal. « Depuis le développement du concept de patrimoine immatériel, la matérialité n’est plus une condition de l’entrée dans le patrimoine », souligne en ce sens François Mairesse3 . Le patrimoine, qu’il soit matériel ou immatériel ouvre la voie à une nouvelle interprétation des éléments. L’interprétation d’éléments non-matériels en milieu muséal est une tendance très en vogue à l’heure actuelle, notamment dans l’espace nord- américain. Forts d’un patrimoine ethnographique riche et diversifié, avec notamment l’apport des expéditions ethnologiques en Amérique du sud, ainsi que l’héritage des amérindiens, des pays comme le Canada ou les États-Unis font aujourd’hui de l’immatériel une priorité. Le présent mémoire s’attache à cette question d’ampleur que constitue la prise en compte et la gestion du patrimoine immatériel dans le cadre muséal. En effet, depuis qu’il a été reconnu « patrimoine mondial » en 2003, de nombreux efforts ont été fait dans le domaine de la muséologie pour intégrer et traiter à sa juste valeur ce patrimoine 2 D’après RIVIERE Georges-Henri, Musées et collections publiques. Muséologie et muséographie in POIRIER Jean, Histoire des mœurs, III-1 : Thèmes et systèmes culturels, Paris, Gallimard, 2002 [1991], p. 185. 3 MAIRESSE François, « Article muséalisation », dans DESVALLEES André, MAIRESSE François, Dictionnaire encyclopédique de muséologie, Editions Armand Colin, 2011, 724 pages, p.254.
  • 7. 7 si spécifique et si fragile de part son caractère éphémère. Intangible, immatériel, les termes sensés en définir les contours sont légion, mais ils ne sont toutefois pas à même d’en définir toutes les nuances et toutes les facettes. La prise en compte de ce nouveau type de patrimoine induit aussi des modifications de fond en ce qui concerne la gestion des collections au musée. De manière générale, gérer les collections d’un musée est un travail de longue haleine. Il s’avère cependant que les techniques et procédures de gestion et de conservation des collections traditionnelles, qui se sont affinées au fil des siècles, ne sont que peu adaptées au patrimoine immatériel. Par ailleurs, l’hétérogénéité du patrimoine immatériel engendre une multiplicité de solutions à mettre en œuvre et demande une adaptation constante de la part des professionnels des musées. La prise en compte du patrimoine immatériel apporte une nouvelle dimension et de nouveaux enjeux pour la muséologie, en impulsant de nouvelles dynamiques, en la forçant à se réinventer et à mettre en place de nouvelles stratégies pour assurer la préservation des richesses immatérielles et intangibles ainsi que leur transmission aux générations futures. Ainsi que nous l’avons mentionné, l’Amérique du Nord fait partie des précurseurs en ce qui concerne le traitement dans un cadre muséal des ressources du patrimoine immatériel. En témoigne l’exemple du Centre d’histoire de Montréal, au Québec, une institution à la convergence entre musée municipal et centre d’interprétation, qui est aujourd’hui en quelque sorte le « porte-étendard » du patrimoine immatériel à Montréal. Il est à l’origine d’une initiative appelée le Musée de la Personne qui, depuis 2004, s’attache aux histoires de vie des Montréalais, à leur mémoire et leurs souvenirs. Depuis les années 1999/2000, ce musée a commencé à constituer une collection de témoignages d’histoire orale, qui est aujourd’hui en constante augmentation, au gré des expositions et des collectes organisées. Cependant, la question de la gestion de ces collections demeure en suspens. Quelle place donner dans le musée à ces collections au caractère si particulier et si mouvant, et comment les intégrer dans le processus muséal de gestion des collections? Quelle valeur leur accorder, en contrepoint des trésors artistiques et artisanaux qu’ont légués les générations passées ? Nous tenterons de répondre à cette question par l’étude de la place du patrimoine immatériel dans le monde et la manière dont ce patrimoine est traité dans le cadre muséal. En ce sens, nous pencherons dans un premier temps sur un état des lieux de la situation actuelle du patrimoine immatériel et sur les normes le régissant et le définissant. Dans une seconde partie, nous analyserons en détail les procédés mis en
  • 8. 8 œuvre aujourd’hui pour sauvegarder ce patrimoine : pour ce faire, nous nous baserons sur des observations en milieu muséal ainsi que sur quelques exemples internationaux. Pour terminer, nous nous interrogerons sur le devenir de ces collections, sur leur valeur et leur utilité, ainsi que sur les impacts qu’elles risquent d’avoir sur la gestion des collections muséales et donc, sur le quotidien des institutions.
  • 9. 9 Première partie : Patrimoines matériel et immatériel : une dichotomie marquée
  • 10. 10 1. Patrimoines matériel et immatériel : une dichotomie marquée ? Ce mémoire s’articulant en trois temps, une première partie sera consacrée essentiellement à un état des lieux de la situation actuelle. Il apparaît en effet qu’une dichotomie encore marquée existe de nos jours entre la prise en compte du patrimoine matériel et du patrimoine immatériel. Cette distinction existe tant au niveau de la conception qu’en ont le grand public et les professionnels du patrimoine, qu’en ce qui concerne sa gestion effective. 1.1. Définition du cadre d’étude Avant de pouvoir s’intéresser au cœur du sujet, il s’agit d’en définir clairement les limites et les points clés. En ce sens, nous nous pencherons successivement sur la définition de ce qu’est une collection, puis sur ce qu’englobent les notions de patrimoine matériel et immatériel. 1.1.1. Une définition en constante évolution : la collection 1.1.1.1. Origine du terme Ainsi que mentionné en 2003 dans les actes d’une table ronde au Centre Pompidou portant sur la notion de collection, « le mot « Collection » n’est entré dans la langue française qu’au milieu du XVIIIème siècle, en 1755, dans Le Grand Robert, avec pour définition : « réunion d’objets ayant un intérêt esthétique, scientifique ou valeur de rareté ». Le verbe « collectionner » et le substantif « collectionneur » ne sont quant à eux apparus que vers 1840 dans la langue française pour évoquer le lien avec les objets d’art »4 . Cette définition, très simple, pouvait être à cette époque suffisante et appropriée pour décrire la réalité des collections. Les musées, ou plutôt les « cabinets de 4 La notion de collection ou comment lutter contre l’éparpillement des choses dans le monde, Table ronde dans le cadre de la manifestation « Jean Cocteau, un des visages de l’ange », organisé par la BPI au Centre Georges Pompidou, Paris, le 7 novembre 2003. http://editionsdelabibliotheque.bpi.fr/resources/titles/84240100384280/extras/84240100384280.pdf
  • 11. 11 curiosités » n’ont eu pendant longtemps aucun mandat scientifique, mais étaient essentiellement destinés à l’émerveillement de quelques rares privilégiés ou à la mise en scène de concepts politiques et patriotiques (valeurs de la monarchie) ou pédagogiques. Même lorsque les musées ont pris le parti de devenir publics et accessibles à tous, cette conception du musée, conservateur des trésors matériels du monde a perduré durant des siècles dans le paysage muséal ; et ce depuis les premiers musées jusqu’aux dernières décennies du XXème siècle5 . Par la suite, le terme de collection a fait l’objet de nombreuses définitions qui ont été amenées à s’affiner et à évoluer considérablement au gré des nouvelles réalités qui se sont imposées aux muséologues. De nombreux chercheurs se sont attachés à en définir les contours parfois mouvants et évolutifs, notamment au cours des cinquante dernières années. Pour ce travail, nous considérerons la définition générale de la collection donnée par Yves Bergeron dans le Dictionnaire encyclopédique de muséologie, en 2011. Celle- ci mentionne que : « De manière générale, une collection peut être définie comme un ensemble d’objets matériels ou immatériels [...] qu’un individu ou un établissement a pris soin de rassembler, de sélectionner, de classer, de conserver dans un contexte sécurisé et le plus souvent de communiquer à un public plus ou moins large, selon qu’elle est publique ou privée. Pour constituer une véritable collection, il faut par ailleurs que ces regroupements, d’objets forment un ensemble (relativement) cohérent et signifiant.»6 . Cette définition décrit en quelques termes ce qu’est une collection, en mentionnant bien le fait que celle-ci peut être de nature soit matérielle, soit immatérielle. Elle a toutefois la particularité de la définir tant par sa nature, que par les actions et les missions qu’elle engendre, à savoir des processus de gestion, de conservation et de valorisation spécifiques. 5 POULOT Dominique, Une histoire des musées de France, XVIIIe-XXe siècles. Paris, La Découverte, coll. « L’espace de l’Histoire », 2005, 198 p. 6 BERGERON Yves, Article « Collection », dans DESVALLEES André, MAIRESSE François, Dictionnaire encyclopédique de muséologie, Editions Armand Colin, 2011, 724 pages.
  • 12. 12 1.1.1.2. Une diversité de termes rendant difficile une vision d’ensemble La terminologie employée pour décrire la nature des collections a également subi les impacts des modifications des pratiques de collecte, qui se sont affinées ou transformées en fonction des époques. Dans ce qui est considéré comme le tout premier manuel de muséologie, rédigé en 1565, le médecin d’origine anversoise Samuel Quiccheberg décrit les objets présents dans les cabinets de curiosité7 . Il mentionne dans le titre de son ouvrage les éléments suivants (traduits du latin) : « des objets fabriqués avec art et merveilleux», ainsi que des « trésors rares »8 . Si le terme d’objet est utilisé de manière courante pour désigner tous types de biens du musée, tant matériels qu’immatériels, il existe un vocabulaire très spécifique pour décrire de manière fine leurs différentes natures. Au-delà de la dénomination latine des objets, qui les classent en tant qu’artificialia, naturalia, mirabilia et sous de nombreux autres termes encore9 ; au-delà même d’une terminologie plus nouvellement apparue qui distingue les objets de musée en artefacts et écofacts10 , la distinction entre 7 DESVALLEES André, MAIRESSE François, « Sur la muséologie », dans Culture & Musées, n°6, 2005. pp. 131-155. En ligne : http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/pumus_1766- 2923_2005_num_6_1_1377 Consulté le 7 août 2012. 8 QUICCHEBERG Samuel, Inscriptions ou titres du théâtre immense comportant toutes la matière de l'univers et des images extraordinaires si bien qu'il peut à juste titre être appelé aussi réserve des objets fabriqués avec art et merveilleux ainsi que de tout trésor rare, qu'on a décidé de réunir tous ensembles dans ce théâtre afin qu'en les manipulant fréquemment on puisse acquérir rapidement, facilement et sûrement une connaissance singulière des choses et une sagesse admirable, trad. du latin, Munich, 1565. Cité dans DESVALLEES André, MAIRESSE François, Op. Cit., p.132. 9 Ces termes peuvent être traduits en français et définis de la manière suivante : Artificialia : éléments fabriqués par l’homme; Naturalia : éléments d’origine naturelle; Mirabilia : élément relevant du merveilleux. D’après le document : « Termes muséologiques de base », dans Publics et Musées, N°14, Éducation artistique à l'école et au musée, 1998, p. 170. En ligne : http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/pumus_1164-5385_1998_num_14_1_1128 Consulté le 29 juillet 2012. 10 Un artefact désigne un « Objet fabriqué ou transformé par la main humaine, il représente une réponse tangible à un besoin humain. Il se caractérise par ses matériaux, sa fabrication, son origine, sa fonction et sa valeur » D’après le glossaire du Ministère de la culture, de la communication et de la condition féminine du Québec. En ligne : http://www.mcccf.gouv.qc.ca/index.php?id=1899 (Consulté le 12 mai 2012). Les écofacts désignent, d’après la DRAC Lorraine/ Service Régional de l’archéologie, « les matériaux issus du règne animal, végétal ou minéral prélevés par l’homme dans l’environnement et qui n’ont pas été transformés par lui en objets ». En ligne : http://www.culture.gouv.fr/lorraine/drac/Patrimoi/archeo/protMob.pdf (Consulté le 12 mai 2012).
  • 13. 13 le type de musée et la manière de nommer leurs collections est grandement divergente. Serge Chaumier soulève cette idée lors de ses réflexions sur la nature de l’objet muséal : il souligne alors que chacun des grands types de musées utilise une dénomination bien précise pour les objets qu’il a le mandat de collecter. Dans cet ordre d’idées : « Les musées d’art vont rassembler des collections « d’œuvres d’art », les muséums d’histoires naturelles recherchent « les spécimens », les musées d’anthropologie s’intéressent aux « artefacts », les musées techniques aux « témoins exemplaires ». Des qualificatifs viennent prolonger parfois cette dénomination, la notion de type liée au spécimen, de chef d’œuvre lié à la notion d’œuvre. La notion « d’antiques », longtemps usitée par les musées d’art est à présent plus désuète. En revanche, le terme de « cultural relic » est encore utilisé concernant les objets archéologiques et historiques. D’un point de vue scientifique, on parle aussi de « documents » ou « d’items » pour neutraliser les connotations de concepts attachés à des disciplines »11 . Cette diversité de termes dénote d’une ferme volonté de décrire d’une manière précise la nature de l’objet afin d’asseoir sa définition nouvelle d’objet muséal. On notera cependant que les termes liés au domaine de l’immatériel sont encore très peu usités dans le vocabulaire propre à la collection muséale et à l’ « objet » à proprement parler. Nous verrons un peu plus loin que les termes sont plus précis en ce qui concerne l’idée générale de patrimoine immatériel. 11 CHAUMIER Serge, Qu’est-ce qui définit un objet de musée, Musée de la vie Bourguignone, Dijon, Dossier documentaire dans le cadre de l’exposition « Tout garder? Tout jeter? Et réinventer? » du 23 avril-20 septembre 2010, 12p.
  • 14. 14 1.1.2. Objets en milieu muséal ou l’objet muséalisé 1.1.2.1. Un nouveau statut de l’objet Les objets de collection disposent d’un statut particulier par rapport aux objets du commun. Il peut s’agir tant d’objets de grande valeur que d’objets anodins et sans valeur propre. Leur importance réside dans leur muséalisation, c’est-à-dire leur « mise au musée ou, de manière plus générale, la transformation en une sorte de musée d’un foyer de vie : centre d’activités humaines ou site naturel »12 ou encore une « opération tendant à extraire, physiquement et conceptuellement, une chose de son milieu naturel ou culturel d’origine et à lui donner un statut muséal, à la transformer en muséalium, - objet de musée -, soit à la faire entrer sur le champ du muséal»13 . Ainsi que le mentionne l’auteur dans le même article, la notion est à prendre avec précautions : la simple entrée physique d’un objet au musée ne fait pas de lui un véritable « Objet de musée ». Il faut pour cela qu’un véritable processus mental s’engrange, celui-ci transformant la nature de l’objet en lui conférant des fonctions nouvelles et distinctes de sa fonction première, en le thésaurisant. Serge Chaumier indique de son côté qu’ « En se transformant en objet de musée, les choses sont défonctionnalisées et décontextualisées, ils ne servent plus à ce à quoi ils étaient destinés mais entrent dans un ordre symbolique qui leur confèrent une nouvelle signification et une nouvelle valeur. Ils deviennent des témoins souvent sacralisés, ce qui engage une tendance au fétichisme, soulignée par nombre de commentateurs critiques du musée (par exemple Jean Baudrillard ou Bernard Deloche) »14 . Il y a par conséquent une véritable idée de thésaurisation de l’objet au travers de son accession au statut d’objet muséal, sans tenir compte de la valeur intrinsèque de l’objet, mais justifiant sa sauvegarde et sa transmission aux générations futures. Cette conception de l’objet de musée démontre que l’idée d’une valeur et d’une dimension sensible qui lui est accordée réside essentiellement dans les esprits et la perception qu’en a la société qui l’entoure. C’est lors de son interaction avec l’œil qui le contemple que l’objet muséal se dote d’une valeur subjective. En définitive, plus qu’une 12 D’après MAIRESSE François, Op. Cit., p.251. 13 DESVALLEE, André, MAIRESSE, François et DELOCHE, Bernard, Museology : Back to Basics – Muséologie : revisiter nos fondamentaux, Working papers, ISS 38, Morlanwelz, 2009, p. 36 (volume présenté lors du colloque ICOFOM 2009 à Liège et Mariemont, juillet 2009). 14 CHAUMIER Serge, Op. Cit., p.1.
  • 15. 15 simple manipulation logistique qui ferait entrer l’objet dans « l’enceinte muséale », il se produit une modification relevant du domaine cognitif15 . Il paraît à cet effet judicieux de rappeler le terme de « sémiophore », avancé par le philosophe et historien Krzysztof Pomian, par lequel il désigne des objets porteurs de signification et détournés de leur fonction originale. Pomian va d’ailleurs même plus loin en présentant ce qui selon lui définit un clivage entre ce qu’il appelle le « monde visible et le monde invisible ». Pour lui, « les collections, […] ne constituent qu'une composante de cet éventail des moyens mis en œuvre pour assurer la communication entre les deux mondes, l'unité de l'univers. On comprend alors la diversité des objets qui les forment, des lieux où elles se trouvent et des comportements de leurs visiteurs, celle-ci correspondant à la diversité de manières d'opposer l'invisible au visible »16 . Selon sa conception des choses, les objets sont déjà revêtus d’une aura invisible qui les distingue des artefacts du commun. Il voit dans l’aptitude à collectionner un moyen d’accéder à ce « monde invisible », faisant de l’objet comme un intermédiaire entre le visiteur et le monde invisible. Il découle de ces exemples que le statut de l’objet muséal, de la « chose » transformée en objet, si l’on reprend les mots de Serge Chaumier, est issu d’un processus qui lui adjoint des valeurs immatérielles. En soi, la question de l’application de ce processus de transformation muséale des objets peut être considérée à l’aune du patrimoine immatériel. En effet, comment muséaliser ces éléments qui sont déjà intangibles par nature et qui comportent en eux-mêmes leur propre sens ? Cette question est aujourd’hui à l’étude par de nombreux scientifique, tandis que divers concepts et méthodes tendent à émerger. 1.1.2.2. Vers un processus de gestion plus adapté L’idée d’une mutation du statut de l’objet et de sa représentation dans la société date de plusieurs décennies. Ainsi que le souligne François Mairesse, c’est en parallèle de l’émergence d’une « Muséologie scientifique », durant les années 1960, qu’est née le concept de muséalisation des objets, alors qu’auparavant, aucun vocabulaire particulier 15 D’après MAIRESSE François, Op. Cit,, p.251 16 Dans POMIAN Krzysztof, Collectionneurs, amateurs, curieux: Paris-Venise, XVIe - XVIIIe siècles, Paris, Gallimard, 1987, 368p.
  • 16. 16 n’avait été proposé pour identifier ce processus17 . A l’heure actuelle, les objets présentés dans le milieu muséal sont appelées couramment des musealia. Ce terme a été proposé en 1970, par le muséologue tchèque Zbyneck Stránský sous la forme «musealiumï » pour désigner spécifiquement les objets de musée18 . Ce processus de transformation de l’objet en objet muséal s’inscrit en complémentarité du terme de patrimonialisation19 , dans le sens où, en plus de mettre en place une volonté de préservation et de pérennisation de l’objet, la muséalisation y adjoint des fonctions de gestion en milieu muséal. Cette gestion passe, ainsi que le mentionne André Gob, par : « le processus d’incorporation d’un objet dans une collection muséale. On pourrait désigner cette opération par le terme d’acquisition […]. Cependant, il y désigne habituellement la stricte acquisition : l’achat, la réception d’un don ou d’un legs, l’acceptation d’une mise en dépôt […]. Le terme muséalisation présente l’avantage de bien marquer la différence entre l’acquisition d’une pièce par un musée et son incorporation dans l’univers muséal»20 . La muséalisation ajoute donc un caractère particulier à l’objet, il fait en sorte que celui-ci acquiert une dimension supplémentaire à celle que constitue sa simple fonction de base. En ce sens, ce n’est qu’avec la perte de sa fonction d’origine que l’objet est à même d’acquérir une fonction nouvelle. Il est essentiel de revenir sur cette question de muséalisation, dans la mesure où ce processus semble aujourd’hui lui-même se dépasser et englober des champs qui lui étaient longtemps inconnus. André Gob ajoute que « la fonction patrimoniale du musée s’exerce de façon permanente tandis que le concept de muséalisation désigne un processus transitoire, comme l’indique le suffixe du mot ». Ceci est tout particulièrement intéressant, en ce qu’il semble lier intrinsèquement l’objet au processus complet d’intégration physique et intellectuel au musée. Alors que le patrimoine immatériel prend aujourd’hui une place grandissante en milieu muséal, la question se 17 Dans MAIRESSE François, Conférence « Muséal, muséalité, muséalisation », dans BERGERON Yves, BERNIER Christine, DUBE Philippe, DUBUC Élise (organisé par), LAMOUREUX Johanne, Muséalité et intermédialité. Les nouveaux paradigmes des musées / Museality and Intermediality. The New Museum Paradigms, Montréal, du 28 au 31 octobre 2009 18 MAIRESSE François, Op. Cit., p.251. 19 Le terme de patrimonialisation, contrairement à celui de muséalisation, définit davantage « le geste culturel visant à extraire du premier ou du second contexte une vraie chose pour la préserver. La patrimonialisation participe du processus de muséalisation mais ne l’englobe pas totalement […] ». D’après François MAIRESSE, Op. Cit., p.254. 20 Dans GOB André, « Le jardin des Viard ou les valeurs de la muséalisation », CeROArt [En ligne], 4 | 2009, mis en ligne le 10 octobre 2009, consulté le 31 juillet 2012. URL : http://ceroart.revues.org/1326
  • 17. 17 pose de savoir si ces principes de gestion sont applicables à des objets relevant du domaine de l’immatériel. François Mairesse, lui, met en avant l’aspect scientifique de la muséalisation : « la muséalisation, entendue comme processus scientifique, implique nécessairement l’ensemble des activités du musée : préservation (sélection, acquisition, gestion, conservation), recherche (dont le catalogage) et communication (par le biais de l’exposition, de publications, etc.) ou, selon le point de vue de Stransky : sélection, thésaurisation, présentation »21 . Cette description, plus générale laisse une place plus grande à l’adaptation aux divers types de patrimoines, si l’on considère que le processus scientifique, fait de définitions et de règles doit pouvoir être universellement appliqué. Ces éléments relèvent toutefois de la théorie muséologie et sont cependant bien plus ardus à concrétiser. Par extension, il est judicieux de relever que la muséalisation ne concerne pas uniquement les objets matériels ou encore les objets immatériels, mais également les lieux et l’architecture. La ville de Montréal est ainsi l’objet même de la collection du Centre d’histoire de Montréal. Sa volonté de conservation de la mémoire des Montréalais passe tant par le pan matériel, que par le pan immatériel de l’histoire de la ville, au travers des témoignages. Ce ne sont pas seulement les objets mais également les lieux et leur histoire que cette structure, à la convergence du musée et du centre d’interprétation, tente de mettre en valeur. Il est donc pertinent de voir si les données disponibles pour l’« acquisition muséale » des objets matériels est applicable dans un cadre plus vaste. Nous n’aborderont toutefois pas ici la question de la muséalisation des sites, quoique ceci puisse être approprié compte tenu de la nature du mandat du musée, qui est celui d’être le musée de la ville. 1.2. Vers un panorama de l’immatériel L’idée d’une distinction entre le matériel et l’immatériel n’est pas neuve. Platon, au IVème siècle avant Jésus-Christ a déjà émis l’idée d’une dualité de l’objet, séparé 21 MAIRESSE François, Op. Cit., p.253.
  • 18. 18 entre l’objet matériel et l’idée émanant de ce même objet22 . Sa philosophie de pensée l’a mené vers une distinction qui veut que le matériel ne soit qu’une extension physique de l’immatériel. Il est en ce sens un précurseur et ses théories ont servi de terreau à la philosophie développée bien plus tard par Descartes. Aristote quant à lui a pris le contrepied de Platon en réfutant partiellement sa thèse et en rééquilibrant les deux notions. Les exemples que nous venons de citer n’ont pour but que de démontrer que le cheminement de pensée ayant mené à la définition d’une idée de l’immatériel est un processus ancien et construit. Cependant, sa reconnaissance officielle en terme de patrimoine n’est quant à elle intervenue au cours du XXème siècle. Nous nous attacherons ici à en définir la nature et à étudier comment l’immatériel est devenu une préoccupation pour la muséologie actuelle. 1.2.1. Difficultés terminologiques 1.2.1.1. Une définition complexe et mouvante Parvenir à une définition exhaustive de ce qu’englobe le patrimoine immatériel est réellement complexe. Différentes propositions sont disponibles à ce jour, comme par exemple celle avancée par le Conseil québécois du patrimoine vivant : « Patrimoine immatériel : les savoir-faire, les connaissances, les expressions, les pratiques et les représentations transmis de génération en génération et recréés en permanence en conjonction, le cas échéant, avec les objets et les espaces culturels qui leur sont associés, qu’une communauté ou un groupe reconnaît comme faisant partie de son patrimoine culturel et dont la connaissance, la sauvegarde, la transmission ou la mise en valeur présente un intérêt public » 23 . 22 Platon développe la “Théorie des Formes” appelée aussi la « Théorie des Idées », dans son dialogue: Le Timée. Source: PLATON, Timée/Critias, intro. trad. et notes BRISSON Luc, 3e éd. corrigée et mise à jour, Paris, 1996. 23 CONSEIL QUEBECOIS DU PATRIMOINE VIVANT, définition du patrimoine immatériel, dans Journal des débats, Assemblée nationale, Le jeudi 18 août 2011 – Vol. 42 N° 17 En ligne : http://patrimoinevivant.qc.ca/2011/08/une-nouvelle-definition-du-patrimoine-immateriel-dans-le- projet-de-loi-82/
  • 19. 19 Une autre définition qui peut être avancée est celle de l’UNESCO qui avance aux articles 1 et 2 de la Convention pour la sauvegarde du patrimoine culturel immatériel que : « 1. On entend par “patrimoine culturel immatériel” les pratiques, représentations, expressions, connaissances et savoir-faire - ainsi que les instruments, objets, artefacts et espaces culturels qui leur sont associés - que les communautés, les groupes et, le cas échéant, les individus reconnaissent comme faisant partie de leur patrimoine culturel. Ce patrimoine culturel immatériel, transmis de génération en génération, est recréé en permanence par les communautés et groupes en fonction de leur milieu, de leur interaction avec la nature et de leur histoire, et leur procure un sentiment d’identité et de continuité, contribuant ainsi à promouvoir le respect de la diversité culturelle et la créativité humaine. Aux fins de la présente Convention, seul sera pris en considération le patrimoine culturel immatériel conforme aux instruments internationaux existants relatifs aux droits de l’Homme, ainsi qu’à l’exigence du respect mutuel entre communautés, groupes et individus, et d’un développement durable. 2. Le “patrimoine culturel immatériel”, tel qu’il est défini au paragraphe 1 ci-dessus, se manifeste notamment dans les domaines suivants : (a) les traditions et expressions orales, y compris la langue comme vecteur du patrimoine culturel immatériel ; (b) les arts du spectacle ; (c) les pratiques sociales, rituels et événements festifs ; (d) les connaissances et pratiques concernant la nature et l’univers ; (e) les savoir-faire liés à l’artisanat traditionnel »24 . Cette définition est reconnue en France par la Direction générale des Patrimoines qui la reprend telle quelle, sous le sigle de PCI, soit Patrimoine Culturel Immatériel. 24 UNESCO, Convention pour la sauvegarde du patrimoine culturel immatériel, 2003.
  • 20. 20 Cette direction assure sa sauvegarde dans l’Hexagone, au même titre que le patrimoine matériel dont il a la charge. Ces deux définitions, très proches l’une de l’autre sur la question de la nature du patrimoine immatériel (dans les deux cas, on trouve mention des savoir-faire, des connaissances, expressions, pratiques et représentations) montrent toutefois qu’il ne s’agit pas d’un champ clos et que celui-ci s’applique à diverses réalités. Les termes employés sont toutefois peu précis et ne distinguent que de grands domaines. En définitive, les définitions disponibles permettent de se dresser un portrait en filigrane de tous les champs d’étude que peut englober le patrimoine immatériel. Cependant, il importe de demeurer vigilant et de faire évoluer cette terminologie en parallèle des « découvertes » et nouveaux besoins des chercheurs. 1.2.1.2. La difficile description d’un « non-objet »25 Si des définitions générales sont acceptables pour définir les grands champs dans lesquels le patrimoine immatériel s’inscrit, il est encore plus complexe de trouver des descripteurs pour les objets eux-mêmes. Le terme d’objet prête en effet à confusion : dans le dictionnaire Larousse, il désigne clairement : « Toute chose concrète, perceptible par la vue, le toucher ». Cette définition désigne donc clairement un objet matériel, il renvoie à une notion de perception par les sens et ne semble pas proposer d’alternative pour les éléments relevant du domaine de l’esprit. Ceux-ci sont cependant accessibles par le biais des supports sur lesquels ils sont conservés. François Mairesse et Bernard Deloche, dans le Dictionnaire Encyclopédique de Muséologie, mentionnent que l’objet (sous-entendu de musée) «n’est pas une réalité en lui-même, mais un produit, un résultat ou un corrélat. En d’autres termes, il désigne ce qui est posé ou jeté en face (ob-jectum, Gegen-stand) par un sujet, qui le traite comme différent de lui, même lorsqu’il se prend lui-même comme objet » et par ailleurs, il « n’a donc pas de réalité intrinsèque »26 . Ainsi que nous l’avons mentionné plus haut, Serge Chaumier utilise le terme de « non-objet » pour désigner spécifiquement les objets de musée, dans 25 Le terme de « non-objet » est utilisé par Serge Chaumier dans CHAUMIER Serge, Qu’est-ce qui définit un objet de musée, Musée de la vie Bourguignonne, Dijon, Dossier documentaire dans le cadre de l’exposition « Tout garder? Tout jeter? Et réinventer? » du 23 avril-20 septembre 2010, p.10. 26 MAIRESSE François, DELOCHE Bernard, Article « Objet », dans DESVALLEES André, MAIRESSE François, Dictionnaire encyclopédique de muséologie, Éditions Armand Colin, 2011, 724 pages.
  • 21. 21 la mesure où ceux-ci n’ont plus leur caractère utilitaire d’origine27 . En conséquence, pour ce travail, nous utiliseront indifféremment le terme d’objet pour désigner les collections matérielles et immatérielles. Par ailleurs, même si l’on excepte le mot « objet » (de collection), les termes utilisés pour décrire le patrimoine immatériel sont nombreux, mais parfois difficiles à distinguer. On pourra parler d’immatériel, ceci renvoyant selon une définition basique à ce «qui n'a pas de consistance matérielle, qui n'est pas formé de matière28 ». La notion est cependant plus complexe et nuancée. On rencontre en effet régulièrement le terme d’intangible, qui signifie plutôt « Que l'on ne peut toucher. Synon. Impalpable, insaisissable 29 ». Ce mot est utilisé en anglais comme équivalent d’immatériel, mais une différence existe en français. En effet, ces deux termes ne sont pas synonymes et ne doivent pas être utilisés indifféremment. Nous réserverons donc plutôt le terme intangible à ce qui a trait au patrimoine vivant, comme certaines productions d’art contemporain, ou encore les réalisations virtuelles. Les éléments relevant du patrimoine immatériel sont aussi parfois décris sous le terme de « mentefacts ». Ce terme désigne, selon le Ministère de la culture, des communications et de la condition féminine du Québec, l’« ensemble des productions spirituelles ou intangibles qui constitue le volet immatériel du patrimoine ethnologique »30 . Cette définition semble plus vaste puisqu’elle englobe de manière générale l’immatériel et l’intangible. Ainsi que mentionné dans la revue Publics et Musées, « parallèlement aux artefacts, il existe une autre catégorie d’objets fabriqués par l’homme que l’on désigne généralement par le terme de mentefacts, […] renvoie à des données abstraites, indépendamment de leur support physique »31 . Le terme de mentefact sera donc utilisé ici avec parcimonie et uniquement pour désigner de manière très globale les objets muséaux immatériels. 27 CHAUMIER Serge, Op. Cit., p.10. 28 TLF, Dictionnaire de la langue du 19e et 20e siècle, CNRS Gallimard, Paris, 1971-1994. Version informatisée. En ligne : http://atilf.atilf.fr/ 29 Ibid., En ligne : http://atilf.atilf.fr/ 30 Ministère de la culture, des communications et de la condition féminine du Québec (MCCCF), Glossaire Ethnologie, 2011. En ligne : http://www.mcccf.gouv.qc.ca/index.php?id=1899 [Consulté le 15 juillet 2012]. 31 DARRAS Bernard (Dir.), Éducation artistique à l'école et au musée, vol.14, Presses Universitaires Lyon, 1999, 172 p., p.167.
  • 22. 22 En définitive, tout comme la muséologie est une science en constante évolution, les termes nécessaires à une définition de l’immatériels sont amenés à évoluer. Ainsi que nous l’avons mentionné plus haut, quoique relativement vague, le terme d’immatériel sera utilisé ici comme un terme générique, et sera préféré à mentefact. 1.2.2. La place grandissante de l’immatériel dans les politiques et projets culturels 1.2.2.1. L’immatériel au cœur des préoccupations : vers un « nouveau régime de patrimonialité ? »32 . L’incursion de l’immatériel au musée, vu comme un objet muséal, est relativement récente. La notion est cependant demeurée latente dans les esprits depuis des décennies sans que celle-ci soit concrètement formulée. Ainsi George-Henri Rivière avait lui-même déjà utilisé l’expression d’objet-symbole pour désigner certains objets- témoins, lourds de contenus, qui pouvaient prétendre résumer toute une culture ou toute une époque. Il avait alors déjà à l’esprit tout le poids de la signification cachée de nombreux objets ethnographiques. Selon Anik Meunier, une certaine conscience de l’immatériel a fait jour vers « la fin des années 1960, période au cours de laquelle Georges-Henri Rivière initie une nouvelle vision de la muséologie, en mettant l’homme, la société et son développement, plutôt que l’objet, exclusivement, au centre des préoccupations de la discipline muséologique »33 . La conséquence de cette nouvelle conception est d’avoir provoqué un mouvement pour la prise en compte de ce type de patrimoine. Laurier Turgeon mentionne cette incursion de l’immatériel dans la revue Ethnologie Française en posant la question suivante : la muséologie s’avance-t-elle vers un « nouveau régime de patrimonialité »34 . Il entend par là que : 32 TURGEON Laurier, « Introduction. Du matériel à l'immatériel. Nouveaux défis, nouveaux enjeux », dans Ethnologie française, 3/2010 (Vol. 40), p. 390. 33 MEUNIER Anik, « Conjuguer architecture, culture et communauté », Téoros, 27-3, 2008, p.55. En ligne : http://teoros.revues.org/84 Consulté le 22 juillet 2012. 34 TURGEON Laurier, Op. Cit., p.389.
  • 23. 23 « Depuis une dizaine d’années, nous sommes passés d’un régime patrimonial soucieux de l’authenticité, de la conservation de la culture matérielle et de la contemplation esthétique de l’objet dans sa matérialité à un régime qui valorise la transformation des pratiques culturelles, la performance de la personne et l’expérience sensible de la culture »35 . Cette conception de l’idée de patrimoine, évoluant du matériel vers l’immatériel, traduit un paradigme nouveau, intrinsèquement lié à un mouvement de renouveau dans les disciplines présentées au musée, et notamment dans le domaine de l’ethnologie. On ne s’intéresse désormais pas seulement à l’objet pour sa qualité matérielle et esthétique, mais pour les valeurs et le sens qu’il véhicule. Cette idée n’est pas nouvelle, mais elle s’est longtemps appuyée sur l’objet matériel pour permettre d’accéder à une dimension de sens. Désormais, cette recherche du sens est proposée directement dans l’immatériel lui-même, sans recourir à un objet matériel en guise d’intermédiaire (du moins en principe, mais ceci n’est pas tout à fait exact en raison des supports nécessaires à l’exposition et la conservation de l’immatériel). Ainsi que le mentionne Pablo Avilès Flores, « la logique des collections reste celle d’illustrer un propos intellectuel et non seulement une pièce particulière, que ce soit un chef-d’œuvre ou une pièce curieuse. Cette dernière attitude est plutôt propre aux collections d’aujourd’hui »36 . Au passage, il est intéressant de comparer cette pratique avec celles des icones et reliques dans le domaine religieux, sensées permettre au fidèle d’accéder par le biais à une dimension spirituelles. Les objets matériels, des « objets parfois sacralisés par des opérations muséales, transformés en reliques »37 semblent parfois, dans une certaines mesure, s’apparenter à ces éléments de la pratique religieuse par leur thésaurisation et l’usage qui en est fait, permettant au commun des mortels une accession simplifiée à une dimension qu’ils auraient du mal à aborder en d’autres circonstances. Pour autant, la qualité d’un objet matériel ne se limite pas à une simple fonction de relique, même si celle-ci paraît en être une facette. Une fois encore, les chercheurs proposent une terminologie différente selon la manière dont ils développent le concept de sens, relié aux objets matériels. Friedrich 35 TURGEON Laurier, Op. Cit., p.390. 36 AVILES FLORES Pablo, Collections d’objets merveilleux et d’objets d’art. La propriété du roi, des particuliers et du peuple, Communication présentée aux écoles d'été au sein du doctorat des cultures juridiques européennes, en 2006. 37 BOURSIER Jean-Yves, « La mémoire comme trace des possibles», dans Socio-anthropologie, n.9, 2001.
  • 24. 24 Waidacher parle ainsi de « nouophore »38 , c’est-à-dire de porteur de sens, Kryzstof Pomian évoque quant à lui les sémiophores, c'est-à-dire des « porteurs de signe »39 , tandis qu’Herman Parret parle quant à lui de la culture mnésique, qui « est investie dans la mémoire des individus et des collectivités. Cette mémoire peut être codée et matérialisée dans les styles de vie, les habitudes sociétales, même dans l’urbanisme des villes »40 . Ce sont donc selon ces auteurs au travers de l’objet matériel, que l’immatériel pourrait être accessible, d’où l’idée d’une omniprésence de l’immatériel. Somme toute, au-delà de toute considération pratique, le paysage muséal à connu dans la seconde moitié du XXème siècle une modification de fond ayant balayé les acquis en place pour englober de nouveaux aspects et donner un sens inédit à la notion de patrimoine. En conséquence, l’idée d’un « nouveau régime de patrimonialité » avancée par Laurier Turgeon semble faire sens. 1.2.2.2. Un cheminement vers une vision plus sensible du patrimoine culturel Il faut cependant noter que la nouvelle vague en faveur de la protection du patrimoine immatériel et la reconnaissance de son statut d’objet muséal ne se fait pas sans heurts. Il s’agit d’une part de bouleverser des conventions sociales et culturelles établies de longue date, mais en plus de promouvoir des ressources culturelles considérées alors comme de second ordre, voire purement et simplement déconsidérées. Nous nous attacherons dans ce paragraphe à souligner la manière dont la reconnaissance du patrimoine immatériel a causé un choc sans précédent dans le monde de la muséologie. Loin d’être simplement un nouvel aspect culturel à considérer, le patrimoine immatériel impacte toutes les normes et conventions, il «trouble les classifications établies, […] bouscule les règles canoniques de la conservation et 38 WAIDACHER Friedrich, Vom redlichen Umgang mit Dingen : Sammlungsmanagement im System musealer Aufgaben und Ziele; Workshop zum Sammlungsmanagement, Inst. für Museumskunde, Berlin, 1997, 25 p., p.20. Cité dans SCHÄRER Martin, « L’exposition, lieu de rencontre pour objets et acteurs », dans MARIAUX Pierre-Alain (dir.), Les lieux de la muséologie, Ed. P.Lang, Bern, 2007, 183p. p.49. 39 POMIAN, Krzysztof, Op. Cit. 40 PARRET Herman, « Vestige, archive et trace : Présences du temps passé », Protée, vol.32, n.2, 2004, p.37.
  • 25. 25 participe largement à la définition des nouvelles politiques patrimoniales »41 et de plus, « longtemps déconsidéré, ce patrimoine apparaît aujourd’hui comme un axe majeur du patrimoine mondial »42 . Cette vision des choses découle en partie du mouvement de la « nouvelle muséologie » qui a apporté une vague de renouveau au domaine à partir de la fin des années 1960. C’est à ce moment que les questions d’identité culturelle, dans la mouvance des décolonisations que connaissent les états Européens face à leurs anciennes colonies, et l’apparition de l’idée d’une muséologie plus participative, se font jour43 . Soutenu par de grands muséologues tels que Georges-Henri Rivière ou encore Hughes de Varine, ce mouvement a cherché à mettre en place un nouveau concept de musée, afin que « l’ancien « cœur » du musée – la collection - [soit] placé à la périphérie du système pour être remplacée par l’humain »44 . Il n’est donc pas étonnant que ce mouvement soit contemporain de celui qui a vu apparaître la prise en compte progressive de l’immatériel, il y est même intrinsèquement lié. Cette idée est aujourd’hui encore plus exacerbée, si l’on en croit Laurier Turgeon qui, mentionnant les Québécois, déclare que : « Les citoyens sont en quête d’un patrimoine plus interactif, participatif et vivant »45 . Ceci montre une constance de l’opinion en faveur d’une muséologie plus proche de l’être humain, plus vivante et plus participative. L’idée du patrimoine immatériel et de sa conception peut cependant faire peur. La crainte que celui-ci vienne surclasser le patrimoine matériel peut exister. Avec la « nouvelle muséologie » et l’incursion de l’immatériel dans le champ muséal, l’objet matériel a en effet été pris en défaut et ses insuffisances à servir le discours muséal stigmatisées par les défenseurs d’une muséologie plus intangible. Le but est cependant d’opérer un véritable cheminement vers une vision bilatérale du patrimoine, qui mêle les deux notions avec hétérogénéité et égalité. Pour ce faire, les comités nationaux et internationaux ont progressivement dû revoir leurs codes et leurs pratiques. Ce changement de statut de l’objet patrimonial, qu’il soit matériel ou immatériel est alors révélateur d’un phénomène de mondialisation des idées. 41 TURGEON Laurier, Op. Cit., p.390. 42 Ibid. p.390. 43 DESVALLEES André, MAIRESSE François, Sur la muséologie, dans Culture & Musées, n°6, 2005. pp. 131-155. En ligne : http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/pumus_1766- 2923_2005_num_6_1_1377 Consulté le 13 septembre 2012. 44 Ibid., p.146. 45 TURGEON Laurier, Op. Cit., p.392.
  • 26. 26 1.3. Reconnaissance institutionnelle du patrimoine immatériel 1.3.1. Une reconnaissance au niveau international Ainsi que nous l’avons vu, la conscience du patrimoine immatériel et de son importance n’est pas neuve. Cependant, l’élément décisif est qu’aujourd’hui, les nouvelles politiques du patrimoine ont permis sa reconnaissance juridique à l’échelle internationale. Le processus a pourtant mis plusieurs années pour arriver à maturation et pour être adopté, au moins en principe, par les états. Durant plus de vingt années, par le biais de jalons successifs, la reconnaissance institutionnelle du patrimoine immatériel a fini par émerger sous la forme d’une convention. Le préalable à cette démarche est la Convention pour la protection du patrimoine mondial, culturel et naturel de 197246 . Cette toute première convention ne concerne pas encore le patrimoine immatériel, mais elle témoigne d’une prise de conscience de l’urgence de mettre en place des procédures de sauvegarde pour de très nombreuses richesses du patrimoine mondial. Elle porte sur : « les sites naturels, les monuments historiques, les ensembles architecturaux et les collections archéologiques, donc essentiellement sur les éléments matériels47 ». Suite à ces prémices a eu lieu la Conférence de Mexico de 1982, connue sous le nom de Mondiacult, où ont siégé de très nombreux pays membres de l’UNESCO. Celle-ci a permis de poser les premiers jalons de la reconnaissance patrimoniale de l’immatériel : il a été décidé d’incorporer dans la notion de patrimoine « une nouvelle définition du patrimoine culturel, englobant les œuvres tant matérielles qu’immatérielles par lesquelles la créativité des populations trouve son expression : langues, rites, croyances, sites et monuments historiques, littérature, œuvres d’art, archives et bibliothèques48 ». Cette conférence a clairement défini les prérogatives des Etats membres sur la question de l’élaboration des politiques culturelles, l’égalité des cultures et le refus de toute hiérarchie, en même temps qu’elle a 46 UNESCO, Convention concernant la protection du patrimoine mondial, culturel et naturel, Paris, 16 novembre 1972. En ligne : http://portal.unesco.org/fr/ev.php- URL_ID=13055&URL_DO=DO_TOPIC&URL_SECTION=201.html Consulté le 8 septembre 2012. 47 TURGEON Laurier, Op. Cit., p. 391. 48 UNESCO, « 1982 - 2000 : de MONDIACULT à Notre diversité créatrice ». En ligne : http://www.unesco.org/culture/ich/index.php?lg=fr&pg=00309 Consulté le 8 septembre 2012.
  • 27. 27 posé la définition de la notion d’identité culturelle. Ainsi que le mentionne le texte disponible sur le site de l’UNESCO, c’est à cette occasion qu’à été utilisée l’une des premières fois l’expression « patrimoine immatériel » dans un document officiel, lors d’une proposition de définition pour la culture49 . Cette prise en compte nouvelle de l’immatériel a lancé un mouvement de fond qui s’est concrétisé dans les quinze années suivantes lors d’une série de conférences, afin d’établir une définition toujours plus fine de l’immatériel. C’est ainsi qu’une recommandation adoptée lors de la conférence de Paris de 1989 ouvre la voie à une véritable prise en compte institutionnelle du patrimoine immatériel. Cependant, « confrontés à des problèmes de définition et de terminologie, les pays membres de L'UNESCO utilisèrent un nombre important d'expressions pour désigner la réalité dont on voulait parler et le sens véritable de cette réalité50 ». On peut aussi citer la Recommandation sur la sauvegarde de la culture traditionnelle et populaire de 1989, qui, sous le terme de folklore (encore utilisé de nos jours aux Etats-Unis pour désigner les arts et traditions populaires) pose les fondements de la prise en compte et de la sauvegarde du patrimoine immatériel des différentes cultures en insistant sur leur importance sociale, économique ou encore politique, de même que pour l’identité culturelle propre aux différents groupes sociaux51 . Elle propose en outre aux Etats des conseils afin de gérer ce patrimoine, de le sauvegarder et de le valoriser. En termes de conservation, ces recommandations suggèrent que les Etats membres devraient : « (a) mettre en place des services nationaux d'archives où les matériaux de la culture traditionnelle et populaire collectés puissent être stockés dans des conditions appropriées et mis à disposition ; (b) mettre en place une unité nationale centrale d'archives aux fins, de la prestation de certains services (indexation centrale, diffusion de, l'information 49 UNESCO, Ibid., en ligne : http://www.unesco.org/culture/ich/index.php?lg=fr&pg=00309 50 D’après l’article : « Le patrimoine immatériel dans le monde et au Québec » sur le site internet du Ministère de la culture, de la communication et de la condition féminine du Québec. http://www.mcccf.gouv.qc.ca/index.php?id=1914 Consulté le 8 septembre 2012. 51 UNESCO, Recommandation sur la sauvegarde de la culture traditionnelle et populaire, Paris, 15 novembre 1989. En ligne : http://portal.unesco.org/fr/ev.php- URL_ID=13141&URL_DO=DO_TOPIC&URL_SECTION=201.html Consulté le 8 septembre 2012.
  • 28. 28 relative aux matériaux de la culture traditionnelle et populaire et aux normes applicables aux activités la concernant, y compris l'aspect préservation) ; (c) créer des musées ou des sections de la culture traditionnelle et populaire dans les musées existants où celle-ci puisse être présentée ; (d) privilégier les formes de présentation des cultures traditionnelles et populaires qui mettent en valeur les témoignages vivants ou révolus de ces cultures (sites, modes de vie, savoirs matériels ou immatériels) ; (e) harmoniser les méthodes de collecte et d'archivage ; (f) former des collecteurs, des archivistes, des documentalistes et autres spécialistes à la conservation de la culture traditionnelle et populaire, de la conservation matérielle au travail d'analyse ; (g) octroyer des moyens en vue d'établir des copies d'archives et de travail de tous les matériaux de la culture traditionnelle et populaire, ainsi que des copies, destinées aux institutions régionales, assurant de la sorte à la communauté culturelle concernée un accès aux matériaux collectés »52 . Le patrimoine immatériel obtient dès lors une première reconnaissance officielle par l'ensemble des pays membres de l'UNESCO et se voit octroyer des conseils et moyens d’action. La dernière étape en date du processus a été la rédaction d’une Convention pour la sauvegarde du patrimoine culturel immatériel, qui a été adoptée lors de la 32e session de la Conférence générale de l'Unesco en octobre 2003. Laurier Turgeon rappelle que « d’après l’ancien président du Comité du patrimoine mondial et le directeur général sortant de l’UNESCO, Koïchiro Matsuura, c’est en réponse à la demande croissante d’inscription de sites sur la liste du patrimoine mondial pour leurs valeurs culturelles immatérielles et face aux difficultés de les faire reconnaître selon la convention de 1972, qu’il a soutenu l’élaboration et la mise en œuvre de la Convention 52 UNESCO, Ibid., En ligne : http://portal.unesco.org/fr/ev.php- URL_ID=13141&URL_DO=DO_TOPIC&URL_SECTION=201.html
  • 29. 29 pour la sauvegarde du patrimoine culturel immatériel de 2003 »53 . Celle-ci s’est donc fait en total contrepoint de celle de 1972 qui ne laissait place qu’au seul patrimoine matériel. A contrario, la convention de 2003 cause un « élargissement de la notion de patrimoine »54 en mettant en avant la culture immatérielle sous toutes ses formes et valorise les pratiques plus que les objets matériels, sans toutefois exclure ces derniers. Laurier Turgeon souligne bien que cette convention conçoit le patrimoine « comme un processus plutôt qu’un produit » et qu’elle « attache une grande importance à la préservation des « communautés » et à la transmission active de leurs pratiques, perçue comme un moyen efficace de conservation, au point où on le définit désormais comme « l’héritage culturel vivant des communautés »55 . Depuis 2003, près de 130 états ont adhéré à la convention de l’UNESCO, ce qui traduit l’ampleur de ce mouvement. En définitive, le processus de reconnaissance du patrimoine immatériel au niveau international a mis plusieurs décennies avant de parvenir à maturation. C’est par étapes progressives que celui-ci a été identifié, évalué, et que sa conservation et sa sauvegarde ont été définies comme essentielles et souvent même urgentes. Cependant, si la reconnaissance est internationale, l’application des recommandations est laissée à la libre appréciation des états membres ; aussi ces derniers se dotent-il parfois de législations nationales afin d’assurer une bonne sauvegarde de leurs richesses patrimoniales de toutes natures. 1.3.2. Des initiatives nationales Des initiatives nationales ont été entreprises à divers moments dans les états membres de l’UNESCO pour prendre en compte le patrimoine immatériel, qui était jusque là souvent relativement déconsidéré. Tel est le cas par exemple au Québec, où dès 1987 le ministère des Affaires culturelles a entrepris « une réflexion qui va conduire à la reconnaissance formelle de l'immatériel comme l'une des composantes majeures du patrimoine. La Politique 53 TURGEON Laurier, Op. Cit., p. 391-392. 54 Selon les termes de l’ancien directeur général de l’UNESCO Maatsuura Koiricho. 55 TURGEON Laurier, Op. Cit., p. 391.
  • 30. 30 culturelle du Québec (1992) ouvre la voie à une conception globale du patrimoine qui reconnaît l'interrelation de l'immatériel et du matériel »56 . Le gouvernement du Québec a publié à deux reprises, en 1994 et en 2004 des dossiers afin de souligner son implication et sa connaissance des enjeux soulevés par le patrimoine immatériel. Il a de plus affirmé sa position dès 2002 en proclamant que : « le patrimoine immatériel compte parmi les composantes essentielles de l'identité des peuples et que son soutien constituait l'un des moyens par lesquels il entendait contribuer à maintenir et à promouvoir la diversité culturelle »57 . Depuis 2008, d’autres démarches ont été amorcées, notamment en lien avec la Loi sur les Biens Culturels (1972), qui sera remplacée courant 2012 par la Loi sur le Patrimoine Culturel, qui elle englobe clairement le champ de l’immatériel58 . En Europe, les états sont parvenus à la réalisation d’une convention, connue sous le nom de convention de Faro, en 2005. Celle-ci met en place une nouvelle politique du patrimoine culturel et en propose une définition englobant le patrimoine immatériel. Le 1er juin 2011, cette convention, appelée aussi Convention-cadre du Conseil de l’Europe sur la valeur du patrimoine culturel pour la société, est entrée en vigueur, ayant obtenu les dix signataires nécessaires à sa validation. La France n’est pas signataire de la convention de Faro, à ce jour, mais elle a entrepris une politique à l’échelle nationale afin de valoriser elle aussi le patrimoine immatériel. Elle est également état-partie à la convention de 2003 de l’UNESCO, qu’elle a ratifié en 2006, et peut en conséquence « soumettre des candidatures en vue d'inscription de certains des éléments de son patrimoine culturel immatériel sur les listes du PCI »59 . La France a aussi entrepris un inventaire de son patrimoine culturel immatériel, en coopération avec de nombreuses organisations non-gouvernementales, 56 D’après l’article : « Le patrimoine immatériel dans le monde et au Québec » sur le site internet du Ministère de la culture, de la communication et de la condition féminine du Québec. http://www.mcccf.gouv.qc.ca/index.php?id=1914 Consulté le 8 septembre 2012. 57 Ministère de la culture, de la communication et de la condition féminine du Québec, Ibid.,en ligne : http://www.mcccf.gouv.qc.ca/index.php?id=1914 58 D’après le Ministère de la culture, de la communication et de la condition féminine du Québec. En ligne : http://www2.publicationsduquebec.gouv.qc.ca/dynamicSearch/telecharge.php?type=5&file=2011C21F.P DF Consulté le 17 septembre 2012. 59 D’après le site internet du Ministère de la Culture et de la Communication. En ligne : http://www.culturecommunication.gouv.fr/index.php/Disciplines-et-secteurs/Patrimoine- culturel-immateriel/Les-PCI-francais-et-l-UNESCO Consulté le 17 septembre 2012.
  • 31. 31 telles que des universités, associations et centres de recherches. Elle dispose également d’un Centre français du patrimoine culturel immatériel, à Vitré, en Ille-et-Vilaine, qui organise très régulièrement des colloques et conférences afin de réfléchir à la gestion et la valorisation de ce type de patrimoine et permet l’accès aux ressources, le tout en collaboration directe avec le Ministère de la culture et de la communication. En complément de toutes ces législations nationales et supranationales, on peut également noter l’augmentation du nombre de conférences et de colloques qui sont organisés sur le thème du patrimoine immatériel et de la place à lui accorder. Ceci est révélateur d’une profonde mutation dans les esprits et d’une conscience nouvelle de la réalité de la question patrimoniale. Somme toute, la question se pose quant à savoir s’il est vraiment pertinent de parler de « dichotomie » en ce qui concerne les patrimoines matériels et immatériels. Selon les auteurs, les réponses vont être différentes, chacun avançant des arguments en faveur de sa thèse. Certains auteurs avancent l’idée que les deux types de patrimoine doivent être clairement séparés et considérés différemment. D’autres, comme Laurier Turgeon militent en faveur d’une union des deux notions sous le seul giron du patrimoine culturel, « unis dans une étroite interaction, l’un se construisant par rapport à l’autre »60 . Ces éléments reflètent ainsi la tâche ardue que présente l’entrée du patrimoine immatériel au musée et les débats que ce sujet suscite. 60 TURGEON Laurier, Op. Cit., p. 391.
  • 32. 32 Deuxième partie : Un patrimoine d’interprétation en voie de conception : le patrimoine d’histoire orale
  • 33. 33 2. Les témoignages d’histoire orale : un modèle pour l’entrée de l’immatériel au musée ? Nous l’avons vu dans la première partie de ce travail, le patrimoine immatériel dispose aujourd’hui d’une reconnaissance formelle et légale à l’échelle internationale. Cependant, il n’est pas simplement un domaine de la culture servant à la documentation des collections matérielles : il est au contraire de plus en plus présenté en tant qu’expôt dans les institutions patrimoniales. Ainsi que le mentionne Laurier Turgeon en citant Yves Bergeron, « Les musées aussi se tournent vers le patrimoine immatériel […] les muséologues aujourd’hui veulent enrichir l’exposition et l’interprétation des objets par la connaissance de leurs modes de fabrication et leurs usages sociaux »61 . 2.1. Le musée, vers un rôle sauvegarde des mémoires vivantes ? 2.1.1. L’histoire orale, une source ou un expôt ? Ainsi que nous l’avons mentionné dans la première partie de ce document, le patrimoine culturel immatériel peut se présenter sous des formes très variées, incluant, selon la définition de l’UNESCO « les traditions et expressions orales, y compris la langue […], les arts du spectacle, les pratiques sociales, rituels et événements festifs, les connaissances et pratiques concernant la nature et l’univers [et] les savoir-faire liés à l’artisanat traditionnel »62 . Prendre en compte la diversité de ces richesses culturelles pour les incorporer au musée ne serait pas possible dans le cadre précis de ce travail, ce pourquoi nous nous concentrerons sur les témoignages d’histoire orale. Les autres types de sources du patrimoine immatériel, tels que par exemple les chants folkloriques, les savoir-faire artisanaux ou rituels, englobent un champ de compréhension d’autant plus 61 TURGEON Laurier, Op. Cit., p. 392. 62 UNESCO, Convention pour la sauvegarde du patrimoine culturel immatériel, 2003.
  • 34. 34 vaste et des compétences de collecte souvent liées à l’ethnographie qui nous paraissent impossible à décrire ici. Les témoignages oraux seront notre sujet d’étude, d’autant plus que leur nature, leur collecte et leur gestion muséales ont pu être étudiées de près dans le cadre d’un stage au Centre d’histoire de Montréal, permettant leur utilisation comme exemples et support de réflexion. Ces observations, dans le cadre d’un musée québécois, permettront également de mettre en avant le positionnement actuel de la muséographie nord-américaine et tout spécialement sa manière d’envisager la sauvegarde et la mise en valeur du patrimoine immatériel. Celui-ci est en effet très prisé du grand public nord-américain, où sa présence dans le cadre muséal est souvent plus marquée qu’en Europe. Laurier Turgeon mentionnait d’ailleurs : « Encore aujourd’hui, le patrimoine immatériel est celui auquel la population québécoise s’identifie le plus et celui qu’elle utilise le plus pour marquer son identité. Un sondage mené en 2000 sur la perception de la notion de patrimoine pour le compte du groupe conseil sur la politique du patrimoine culturel du Québec, mieux connu sous le nom de rapport Arpin, démontre que les trois quarts des personnes interrogées plaçaient au premier rang les éléments immatériels de la culture, notamment la langue et l’histoire, alors que seulement le quart accordait la priorité à l’architecture et aux œuvres d’art, situation très différente des pays d’Europe où les monuments historiques arrivent presque toujours en tête »63 . Cette conception particulière à l’égard du patrimoine immatériel s’explique par le fait que, pays relativement « nouveau » comparé aux états de la « vieille Europe », le Canada et le Québec en particulier ne disposent souvent pas toujours de collections matérielles aussi conséquentes que les musées européens. Par contre, ils ont accès à un patrimoine ethnographique et naturel particulièrement riche, notamment de par la présence sur le territoire d’amérindiens, appelés au Canada les « Premières Nations ». En tant que peuple « jeune », les canadiens n’ont pas cette conception de trésors matériels, de vestiges régaliens que l’on peut retrouver en Europe. Ils sont bien plus attachés à une idée de communautés, d’appartenance à un groupe et d’identité. Yves 63 TURGEON Laurier, Op. Cit., p. 395.
  • 35. 35 Bergeron relève en ce sens que « ce n’est pas un hasard si les musées de société qui font largement appel à l’immatériel se sont développés chez les francophones de l’Amérique du Nord64 » au contact d’une culture différente. Il faut alors considérer sur un même plan ces deux types de conceptions, qui apportent chacune des connaissances et des apprentissages. « Le patrimoine immatériel n’est pas juste un pis-aller, un substitut du bâti. Il est un puissant moyen de montrer et d’affirmer l’existence des groupes, surtout ceux qui sont en situation minoritaires »65 . En effet, une fois encore, il s’agit de sauver un patrimoine en danger, les pratiques des populations amérindiennes décroissant souvent avec les jeunes générations et le phénomène de mondialisation. Le projet d’histoire orale du Centre d’histoire de Montréal s’inscrit tout à fait dans cette conception profondément liée à l’identité des communautés. Oscillant entre son rôle de centre d’interprétation et de musée d’histoire, cette structure municipale s’est attachée à créer un nouveau discours historique, laissant place aux voix de ses habitants. Il s’agissait alors de « proposer une alternative vivante au musée d’histoire66 ». Le directeur, Jean-François Leclerc, mentionne que l’inspiration qui a guidé la création de ce nouveau discours provient d’expériences menées aux Pays-Bas et aux Etats-Unis d’Amérique. Ce musée est donc un exemple intéressant d’une nouvelle forme de collections muséales, proche des hommes et non plus seulement de leurs productions matérielles. 2.1.2. Le « collectage » : travail d’historien, d’archiviste ou de muséologue ? Traditionnellement, les sources de l’historien sont des sources matérielles, écrites dans la pierre ou des matériaux d’écriture divers. L’entrée au musée du témoignage oral induit donc un nouveau type de pratiques permis par l’arrivée des nouvelles technologies et l’augmentation de l’espérance de vie (qui permet un échange intergénérationnel direct). La question de la place de l’histoire orale au musée en tant que collection sera traitée plus loin dans le présent document, nous nous attacherons 64 Laurier Turgeon, citant des exemples présentés dans d’autres publications par Yves BERGERON, Olivier MALIGNE ou encore Marie RENIER, dans TURGEON Laurier, Op. Cit., p. 395. 65 TURGEON Laurier, Op. Cit., p. 395. 66 LECLERC Jean-François, Le Centre d’Histoire de Montréal : histoire d’une institution et d’une vision du passé, Montréal, UQAM, 1991, 23p.
  • 36. 36 davantage ici à comprendre que sont ces témoignages et comment ils peuvent s’intégrer en tant qu’expôt, soit « tout ce qui est ou peut être exposé, sans distinction de nature »67 , au musée. La collecte des témoignages oraux est plus spécifiquement appelée « Collectage », si l’on en croit Florence Descamps qui mentionne que : « Le terme « collectage » est un terme très ancien, puisqu’il est usité dès l’Ancien Régime, […] c’est en effet un terme utilisé tout au long du XIXe siècle par les sociétés savantes, les érudits locaux, les Académies qui ont mené des collectes de traditions orales, de coutumes, de textes, d’ouvrages anciens ou de musiques anciennes, et ce, dès la fin de la Révolution française. C’est donc un terme qui nous vient du traditionalisme, du folklorisme, de l’ethnographie, de l’ethnomusicologie et qui est utilisé aujourd’hui pour la collecte des musiques et danses traditionnelles, pour la littérature orale et les ethno-textes et, plus largement, pour le patrimoine oral et immatériel. La définition actuelle du collectage pourrait être « recueil de la mémoire ou du patrimoine oral » et les « collecteurs » seraient « ceux qui pratiquent le collectage. […] Enfin, on ne peut pas oublier la connotation patrimoniale, comme si « collectage » était le résultat de la fusion des mots « collecte » et « archivage » : on collecte pour conserver et transmettre »68 . L’action de collecter les témoignages oraux n’est pas anodine : lourde de sens en elle-même, elle vient conditionner les témoignages et souvent leur donner une tonalité particulière, en fonction du contexte et de la personnalité des intervenants. La procédure dans son ensemble, qui transforme le témoignage en objet muséal, lui permet de passer du statut de souvenir à celui de mémoire et de véritable « histoire ». Cependant l’histoire orale, si elle est une pratique de plus en plus prisée aujourd’hui, est toutefois relativement nouvelle et souffre parfois d’une certaine déconsidération. Il est vrai que souvent, la valeur de l’écrit prime sur celle de l’oral, cependant, la possibilité que le document soit faux, partial ou retravaillé, reste le même et il revient toujours à 67 DESVALLEES André, « Les Galeries du Musée national des Arts et traditions populaires : leçon d’une expérience muséologique », Musées et collections publiques de France, 134, 1976, pp. 5-37. 68 DESCAMPS Florence, « La place et le rôle du collecteur de témoignages oraux », Bulletin de liaison des adhérents de l'AFAS, 28, hiver 2005 - printemps 2006, mis en ligne le 14 juillet 2010. En ligne : http://afas.revues.org/1514 Consulté le 11 septembre 2012.
  • 37. 37 l’historien d’exercer son esprit critique. Le terme d’histoire orale est à la base une traduction littérale de l’anglais « Oral History ». La discipline historique a bien entendu toujours laissé place aux témoignages oraux, sans quoi elle manquerait cruellement de sources. Le récit d’évènements est essentiel à la construction de tout récit historique, et ce depuis les débuts de la discipline, avec des historiens grecs tels que Hérodote et Thucydide au Vème siècle avant J-C69 . Ils ont, selon les époques, été considérés comme des témoignages de premier ou de second ordre. A proprement parler, l’histoire orale en tant que « discipline » est née au début des années 1930, durant la période de la « Grande Dépression »70 , aux Etats-Unis à l’occasion d’une enquête nationale sur la mémoire des anciens esclaves noirs, afin de tenter de fédérer la société américaine. Le premier centre d’histoire orale est né quant à lui à l’Université de Columbia, à New York et a, dès ses débuts, mené des enquêtes d’ampleur afin de réunir une documentation inédite sur de grands personnages et de grands évènements71 . La naissance de l’histoire orale en tant que vrai champ de recherche et source historique est donc une initiative résolument nord-américaine, dont la pratique s’est ensuite exportée dans le monde. Enfin, on peut souligner le fait que, selon certains auteurs, les témoignages oraux appartiennent à ce qui est couramment nommé l’ « histoire immédiate », soit « l'ensemble de la partie terminale de l'histoire contemporaine, englobant aussi bien celle dite du temps présent que celle des trente dernières années; une histoire, qui a pour caractéristique principale d'avoir été vécue par l'historien ou ses principaux témoins »72 . Cette histoire immédiate, qui serait donc la partie la plus proche de l’actualité, surtout en raison de son caractère vivant, en ce qu’elle implique la présence vivante et active de témoins. Cette césure de l’histoire contemporaine, si elle est contestée aujourd’hui et ne fait pas l’objet de ce travail, est néanmoins à considérer en ce qu’elle témoigne de l’évolution de la science historique et du parallèle qui se fait, en temps comme en pratique, avec les évolutions connues par la muséologie. La question est donc bien de savoir comment faire passer ces éléments de la mémoire commune d’une utilisation 69 D’après DESCAMPS Florence, MARTINANT DE PRÉNEUF Jean, DE RUFFRAY Françoise, TERRAY Aude, Les sources orales et l’histoire : Récits de vie, entretiens, témoignages oraux, Paris, Bréal, Coll. Sources d’histoire, 2006, 287p. 70 La Grande Dépression, appelée aussi la « Crise de 1929 » est une période s’échelonnant du crash boursier à Wall Street en 1929, jusqu’à la Seconde Guerre mondiale. 71 D’après DESCAMPS Florence, MARTINANT DE PRÉNEUF Jean, DE RUFFRAY Françoise, TERRAY Aude, Op. Cit., 2006, 287p. 72 SOULET Jean-François, L'histoire immédiate, PUF, Collection « Que-Sais-Je ? », n° 2841, 1994, 128p.
  • 38. 38 résolument universitaire à un objet muséal utile à la délectation et l’apprentissage du grand public. En d’autres termes, on pourrait parler de vulgarisation de la culture orale et de sa diffusion de manière moins élitiste. Ainsi, la question du recueil ou « collectage » de l’histoire orale demeure ouverte, de même que la question du choix de ses collecteurs, archivistes, historiens ou muséologues. Le témoignage oral est passé par diverses strates, diverses dénominations et divers niveaux de considération. Somme toute, c’est l’usage qui est fait de ce témoignage qui détermine sa nature d’archive, de source documentaire ou encore d’objet muséal. 2.1.2.1. Collecter pour les générations futures : exemples d’initiatives Cette idée de transmission patrimoniale liée à la collecte de mémoire vivante est donc tout particulièrement vivace : on collecte pour préserver, mais également pour transmettre et valoriser. Le témoignage oral ne serait par conséquent pas qu’un simple support, une source pour le chercheur en sciences humaines, mais bien un expôt. Il apparaît en effet que la présence des témoignages oraux dans les expositions muséales, au même titre que des objets matériels, est de plus en plus fréquente. Alors qu’ils sont présents dans les musées de longue date, plutôt en tant que complément documentaire des objets matériels ou de documentation que comme objets muséaux à part entière, les témoignages oraux (présentés sous forme audio ou vidéo) sont aujourd’hui souvent utilisés pour préserver la mémoire d’un lieu, d’une histoire, d’une activité ou d’un savoir-faire, notamment lorsque celui-ci est menacé de disparition. Il s’agit le plus souvent d’initiatives de musées d’histoire ou de société, de sociétés savantes, d’associations locales, ou encore d’universités. A titre d’exemple, le Musée municipal de la Mine du Livet, dans le Calvados et son association « Mémoire de Fer » œuvre aujourd’hui, entre autres, à : « Collecter et valoriser la mémoire locale. Explorer les sources d'archives qui y sont liées. Mener une collecte documentaire et
  • 39. 39 iconographique permanente. Encourager à la mise à jour de fonds privés et au don (ou prêt) d'objets qui trouvent leur place dans le musée. Enregistrer des témoignages oraux. Constituer une banque de données accessible, à terme, au public »73 . Ce petit musée de site, à proximité des anciennes mines qu’il est aujourd’hui possible de visiter, a entrepris de collecter les témoignages d’anciens mineurs, pour conserver ce qui est la mémoire « des dernières mines de l'Ouest »74 . Ces témoignages ne sont cependant pas recueillis par le personnel du musée lui-même, mais par des membres bénévoles de l’association. Même si les procédures employées ne sont pas issues d’une pratique professionnelle clairement règlementée, l’initiative reste toutefois à souligner. L’exemple est très révélateur d’une volonté de sauvegarder une mémoire en perdition, la mémoire de tout un mode de vie, au-delà même d’un savoir-faire ouvrier lié à l’extraction industrielle des matières premières dans les mines. Le savoir des anciens mineurs est celui d’une frange laborieuse de la société qui peut souvent parler tant de dispositifs techniques liés à son travail, que du cadre social dans lequel lui, sa famille et ses collègues évoluaient. Il a donc dans ces témoignages la perspective de recréation par le récit d’une époque révolue, sous forme d’une source primaire. Certains musées de sites en France, tels que le musée de la Mine de Blanzy, en Bourgogne, ont même formé pour guides d’anciens mineurs afin que ceux-ci puissent apporter directement leur mémoire aux visiteurs75 . Bien entendu, les témoignages oraux sont utiles à une préservation sur le long terme pour les générations futures. En cela, la collecte est essentielle pour la mémoire d’un lieu et des hommes qui y ont vécu. Autre exemple, étant désireux de s’ouvrir à une autre culture et de développer des liens avec lui, le musée de Bretagne a présenté une exposition temporaire intitulée « Mali au Féminin » du 16 mars au 3 octobre 201076 . Dans celle-ci, il proposait aux visiteurs de rencontrer des intervenants dans l’exposition, mais aussi de visionner des témoignages oraux en plus des films, objets, photographies et clips documentaires disponibles. C’est le musée lui-même qui a entrepris ce travail de collecte, pour aboutir 73 D’après le site internet du musée de la Mine du Livet. En ligne : http://www.saintgermainlevasson.fr/presentation.htm Consulté le 2 septembre 2012. 74 Idem. 75 Voir le site internet du Musée de la Mine de Blanzy : http://www.blanzy71.fr/ 76 D’après le site internet du musée de Bretagne : En ligne : http://mali-feminin.musee-bretagne.fr/Les-temoignages-oraux.html Consulté le 2 septembre 2012.
  • 40. 40 à la sélection de quinze témoignages présentés dans « Mali au Féminin ». Cette exposition a vraiment cherché à créer un contact entre le public et les différents intervenants, à les aider à découvrir et comprendre d’autres modes de vie et de pensées et à vouloir s’investir plus loin dans cette relation. Il y a vraiment ici une dimension d’échange qui se crée : il ne s’agit pas vraiment de protéger une mémoire menacée mais vraiment de poser les bases d’un dialogue interculturel. Ce musée a œuvré dans le cadre d’un partenariat et ainsi tenté d’utiliser les nouvelles technologies pour valoriser la parole, et mettre l’humain au centre de l’exposition et des préoccupations. Ensuite, on peut citer l’exemple du musée-mémorial du 9/11, à New York, qui lui aussi s’appuie sur la base de témoignages oraux pour développer et illustrer son discours. Encore en travaux aujourd’hui, ce musée devrait ouvrir pour la fin de l’année 2012, mais est déjà présent de manière virtuel sur internet, sur un site largement participatif. Il propose à l’internaute, s’il a vécu les évènements du 11 septembre 2001, de contribuer à la sauvegarde de la mémoire de l’évènement par la mise en ligne de photographies, de vidéos ou par le récit de sa propre histoire. Cette histoire personnelle est collectée dans le cadre d’entrevues accompagnées par un professionnel77 . Elle servira ensuite à alimenter la documentation sur le site internet et à conserver la mémoire des survivants et de leur famille. Très touchés par les événements du 11 septembre 2001, cette montre à quel point les habitants des États-Unis souhaitent commémorer la mémoire des disparus et apporter leur contribution à l’histoire nationale. Cette initiative est un véritable appel à une conscience nationale, appelant à donner de sa personne, de sa mémoire, pour la survivance du souvenir dans la communauté nationale. Il s’agit donc ici d’une collecte de mémoire très spécifique, très récente et centrée sur un évènement particulier, plus focalisée sur l’idée d’un devoir de mémoire que d’une collecte documentaire ou de sauvegarde. Enfin, l’exemple du Musée de la mémoire vivante de Saint-Jean-Port-Joli permet d’illustrer l’importance du patrimoine immatériel dans l’esprit des Québécois78 . Sa mission mentionne explicitement qu’ « il conserve, étudie et met en valeur la mémoire de ses publics dans le but d’enrichir leur compréhension du monde et afin de transmettre ces repères culturels aux générations futures. Cette institution est en soi une mémoire vivante en constante évolution »79 . Ce musée interpelle directement les 77 D’après le site internet du Musée-mémorial du 11/9 : http://www.911memorial.org/share-your-story 78 Le site du musée de la mémoire vivante est disponible à l’adresse : http://www.memoirevivante.org/ 79 Idem.
  • 41. 41 québécois à venir au musée partager leur patrimoine, par des dons d’objets, de mémoire (sous forme de témoignages écrits et oraux) et de documents80 . Tous les contributeurs potentiels sont sollicités, le musée se déplaçant à domicile dans le cadre du programme appelé « Musée de la mémoire vivante sur la route », ainsi que dans les écoles de la région. Il collecte sur des thèmes divers les souvenirs et récits en tous genres. En somme, le musée opère un passage du matériel à l’immatériel, se servant du cadre ancien du musée pour aller vers une perspective de futur et de transmission du patrimoine, de la mémoire, aux générations futures. Ces quatre exemples sont finalement très différents, en ce que ni leur processus de collecte, ni les autorités qui les régissent, ni les finalités de la collecte de témoignages ne sont les mêmes. Le premier exemple est destiné à la sauvegarde de la mémoire d’un site et des activités et modes de vie qui en ont découlé, le second à valoriser une culture et renforcer un lien social, et le dernier à commémorer et préserver la mémoire d’un évènement. En soi, chacun de ces exemples apporte une vision différente du témoignage oral et de son utilité dans un cadre patrimonial. Ces exemples, quoiqu’intéressants, ne font qu’effleurer en surface la question de la présence des témoignages oraux au musée. Dès lors, il paraît judicieux de se pencher plus en détail sur un cas concret, qui sera ici celui du Centre d’histoire de Montréal et de son Musée de la Personne. 2.2. Un exemple d’intégration complète au musée : le cas du Centre d’histoire de Montréal S’il arrive souvent que les musées choisissent d’inclure des témoignages oraux dans leurs expositions, leur prise en compte comme objet muséal à part entière est plus rare. Ceux-ci constituent pourtant une collection actuellement en augmentation constante au Centre d’histoire de Montréal, en parallèle de la collection matérielle d’artefacts et d’archives. Depuis près d’une dizaine d’année maintenant, ce musée montréalais a en effet entrepris la collecte de la mémoire de ses habitants, au point d’en faire un nouvel 80 Quelques uns de ces témoignages écrits et oraux sont accessibles en ligne sur le site du musée, à l’adresse : http://www.memoirevivante.org/temoignages.html Consulté le 2 septembre 2012.
  • 42. 42 axe de collection. Il possède aujourd’hui une collection de plus de 600 témoignages de natures et de thèmes variés, cette collection ayant vocation à s’enrichir très rapidement au cours des prochaines années. Ce choix de développement est cependant propre à ce musée dont la nature même le pousse à se positionner au plus près des communautés. Cet exemple est particulièrement intéressant en ce qu’il permet de voir de l’intérieur comment fonctionne la gestion et la valorisation d’une collection de patrimoine immatériel, en l’occurrence ici de témoignages d’histoire orale. 2.2.1. Une institution hybride, entre musée et centre d’interprétation Le Centre d'histoire de Montréal est un établissement permanent à but non lucratif, qui dépend de la ville de Montréal. Ses valeurs rejoignent les principes des politiques municipales du patrimoine de la métropole, ainsi que la charte montréalaise des droits et responsabilités81 . Le Centre d'histoire de Montréal a été fondé en 1983, mais l’idée d’une institution pouvant interpréter et diffuser le patrimoine de la ville était alors déjà dans les esprits depuis quelques décennies. Dès son origine, l’institution s’est posée comme un élément original dans le paysage muséal de son époque en proposant au visiteur de prendre lui-même part à l’histoire de la métropole. Il a été choisi de faire primer l’interprétation sur la mission traditionnelle des musées qu’est la conservation afin d’interpeller au mieux le visiteur. Le Centre d’histoire a refusé d’être défini comme un « musée historique » et ce, depuis ses origines. Une ancienne directrice, Sylvie Dufresne mentionnait à cet effet que « le véritable musée à découvrir, c’est la ville, et par conséquent, toute la dynamique est orientée vers le dehors, vers l’environnement urbain réel dont il n’est qu’un instrument facilitant la compréhension et la visite »82 . Le Centre d’histoire de Montréal étant d’abord un centre d’interprétation, peu d’objets y étaient conservés et présentés. Ce n’est qu’après 1987 que des objets ont été 81 LECLERC Jean-François, Le Centre d’Histoire de Montréal : histoire d’une institution et d’une vision du passé, Montréal, UQAM, 1991, 23p. 82 DUFRESNE Sylvie, « Le Centre d’histoire de Montréal. Vocation et champs d’interventions», Réunion du Comité permanent de l’entente, Ministère des Affaires Culturelles – Ville de Montréal, 1988, pp. 7-8.
  • 43. 43 acquis afin d’illustrer les propos scientifiques. Cette première collection était une collection dite « fermée », à savoir que tous les artefacts étaient destinés à l’exposition. Le Centre d’histoire de Montréal est malgré tout devenu aujourd’hui un musée d’histoire, notamment d’histoire urbaine et populaire. Sa collection se compose pour l’essentiel d’objets représentatifs de la vie de la métropole, tels du mobilier urbain, des objets rappelant de grands évènements, des objets de la vie quotidienne, le tout dans une véritable perspective d’histoire populaire centrée sur le XXème siècle. Sa mission première demeure toutefois une mission d’interprétation : il s’agit d’ « interpréter toute l’histoire de la métropole et le patrimoine montréalais et les faire comprendre à ses citoyens, nouveaux arrivants et touristes. Le CHM se démarque des musées d’histoire en adoptant une raison d’être qui épouse les besoins des Montréalais.». La mission du musée s’articule par conséquent selon trois lignes directrices :  L’interprétation du patrimoine montréalais et sa mise en valeur ;  La sensibilisation des Montréalais et des visiteurs à l’histoire de la métropole, à ses évolutions et ses particularités ;  Diffuser l’histoire de Montréal, ville cosmopolite et francophone du Québec et contribuer à son rayonnement dans la sphère locale, nationale et internationale. Dans cette optique de développement et de proximité avec la population, le recueil de témoignages oraux apparait comme une solution pertinente et surtout essentielle pour la mémoire de la métropole. Nous allons voir ici en quoi ce processus modifie les relations et les comportements du musée et des habitants de la ville. 2.2.2. Un appel à la conscience citoyenne ou l’exemple du Musée de la Personne Ainsi que nous venons de le mentionner, par son lien direct avec la population, le Centre d’histoire de Montréal développe une conscience spécifique du patrimoine dont il assure la sauvegarde. En effet son action, plus qu’une simple préservation patrimoniale et un rapprochement avec les Montréalais, pousse à une véritable demande d’action citoyenne. En ce sens, « peu importe l’évènement, le quartier, la langue ou l’origine, le CHM fait connaître et aimer Montréal aux Montréalais en dénichant et en
  • 44. 44 transmettant leurs récits et leur patrimoine personnel. Il accompagne les services municipaux et les organismes dans leurs projets de commémoration, d’animation et de diffusion en histoire et en patrimoine »83 . 2.2.2.1. Les « Cliniques de mémoire » : vers un don de patrimoine oral Afin de mener a bien cet objectif, le musée a crée en 2004 le « Musée de la Personne » afin de prolonger sa mission sociale et civique et « mettre en valeur le patrimoine immatériel que représentent les histoires de vie et les témoignages »84 . Il s’est inspiré du Museu da Pessoa, au Brésil, un musée né à Sao Paulo en 1991 dans le but de recueillir et conserver les histoires de vie. Ce musée a ensuite essaimé, en encourageant la création de nouveaux musées du même type à l’échelle mondiale. Ainsi, « en 1999, l'Université de Minho au Portugal devient le premier partenaire. En 2002, l'Université de l'Indiana se joint au réseau [et] le Musée de la Personne - Montréal […] en 2004 »85 . Le musée de la Personne, musée entièrement virtuel, a permis de mettre en valeur une nouvelle initiative du musée, apparue en 2003, les « cliniques de mémoires »86 . Ces collectes de témoignages permettent au musée de recueillir sur support audio ou vidéo les témoignages des habitants de la ville, le plus souvent membres de communautés culturelles, telles que les communautés chinoises, portugaises ou encore haïtiennes. Ces évènements prennent une forme très spéciale, qui se veut résolument attirante et « festive », ainsi que le mentionne Jean-François Leclerc : « Pour la clinique, nous avons choisi d’associer une activité classique de collecte de témoignages et d’objets à une célébration du patrimoine communautaire. Nous nous sommes inspirés de certains traits emblématiques d’une collecte de sang (familièrement désignée sous le nom de « clinique de sang »), avec son décor – cloisons pour entrevues, 83 DUFRESNE Sylvie, Ibid., p.2. 84 Centre d’histoire de Montréal, Exercice de positionnement et de planification stratégique (document interne), 26 octobre 2009, 10p. 85 Le site internet du Museu da Pessoa est disponible à l’adresse : http://www.museudapessoa.net/ingles/ 86 Voir Annexe 4 : Iconographie « Cliniques de Mémoire », p. 103.