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23/07/2020 Diaspora italienne et identités urbaines à Tunis, xixe-xxie siècle
https://journals.openedition.org/diasporas/613 1/21
Diasporas
Circulations, migrations, histoire
28 | 2016
Scènes urbaines
Diaspora italienne et identités
urbaines à Tunis, e- e siècle
Italian Diaspora and Urban Identities in Tunis, 19-21th Centuries
C G
p. 85-104
https://doi.org/10.4000/diasporas.613
Résumés
Français English
Au milieu du e siècle, les Italiens participent au mouvement d’expansion urbaine de Tunis du
fait de leurs positions sociales et de leur présence dans le secteur de la construction. Après
l’établissement du protectorat français en 1881, la physionomie de cette communauté est
transformée par l’arrivée de nouveaux éléments, surtout originaires de Sicile et de condition
modeste. Cette minorité autrefois privilégiée et proche du pouvoir beylical subit un déclassement.
Des quartiers spécifiques apparaissent : Petite Sicile, Petite Calabre ou Venise. Le lien avec la
« mère patrie », conservé malgré la distance, permet à la communauté de s’affirmer comme
diaspora, avec une conscience nationale dominée par des oppositions sociales et régionales.
Après 1945, les Italiens – identifiés collectivement au fascisme – subissent des politiques
répressives de la part des autorités françaises et beaucoup quittent le pays.
In the middle of the 19th century, Italians participated in the urban expansion of Tunis, thanks to
their advantageous social positions and their presence in the building sector. After the French
protectorate in 1881, the structure of this community was shaken with the arrival of new
elements, most often from Sicily and generally of little means. The political status of this minority
was lowered, whereas it had once been privileged and close to the beylical power. Specific
neighborhoods appeared: Little Sicily, Little Calabria and Venice. The link with the “mother
country” was maintained despite the distance, which enabled the community to identify as a
diaspora, with a specific national consciousness dominated by social and regional oppositions.
After 1945, Italians – collectively identified with fascists – went through repressive politics led by
the French authorities and many left the country.
Entrées d’index
Mots-clés: migration, diaspora, sicilien, classe ouvrière, colonisation
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Keywords: migration, diaspora, sicilian, working class, colonization, France, Italy, Sicily, Tunis,
Little Sicily
Index géographique: France, Italie, Sicile, Tunis, Petite Sicile
Texte intégral
Processus d’urbanisation et identité
urbaine
Au milieu du e siècle, Tunis connaît de profondes mutations sous l’action d’agents
endogènes et exogènes. Les transformations liées aux réformes beylicales du milieu du
e siècle, celles générées ensuite par la colonisation française, puis par le
recouvrement de l’indépendance, font de Tunis une ville double, triple1, voire multiple
dans son fonctionnement social et son organisation spatiale. Les populations étrangères
associées aux Tunisois ont participé à ces diverses transformations, tant par leur
présence que par leurs activités professionnelles et leurs productions culturelles.
1
Les ressortissants de la péninsule italienne, en l’espèce, comptent parmi les acteurs
majeurs de ces mutations urbaines. Leur manière d’occuper et d’animer les quartiers,
les rues, les immeubles, ou encore les théâtres, les cafés, les écoles, incarne une
italianité non seulement exportée, mais aussi réinterprétée en fonction du contexte
local et des changements politiques survenus. Ainsi, l’installation du protectorat
français en 1881 bouleverse la physionomie de cette communauté urbaine, en
entraînant l’arrivée de nouveaux éléments, principalement originaires du sud de l’Italie
et socialement défavorisés. On assiste alors à une recomposition du groupe des Italiens
et à son déclassement politique par l’arrivée d’une puissance rivale et l’instauration du
protectorat. Ces Italiens demeurent toutefois le groupe majoritaire au sein de la
population européenne sur les plans démographique, économique et social, et ce,
jusque dans les années 1930. Pour une grande part, la ville de Tunis est alors forgée, au
sens propre du terme, par ces Italiens, qui dominent le secteur industriel, tout
particulièrement les travaux publics et la construction, assurant la majorité des emplois
d’ouvriers, de maçons, de façadiers, de ferronniers. Ils sont également entrepreneurs,
contremaîtres ou architectes. Après 1945, la situation est totalement bouleversée.
Nombre d’Italiens sont chassés, dépossédés de leurs biens par les autorités françaises
qui entendent leur faire payer ainsi un quelconque soutien au fascisme. La
communauté s’affaiblit de ces expulsions et spoliations. L’indépendance de la Tunisie,
les conflits en Algérie et au Moyen-Orient accélèrent le mouvement. Pour les juifs
italiens – comme pour l’ensemble de la communauté juive tunisienne –, les départs
définitifs s’amplifient lors de la guerre des Six Jours, en raison des actes d’hostilité
qu’elle provoque.
2
L’histoire des Italiens de Tunisie est souvent abordée sous l’angle linguistique,
culturel2, politique3 ou mémoriel4. Cette contribution aspire pour sa part à montrer
comment les Italiens ont marqué l’espace urbain de Tunis, en interrogeant, pour ce
faire, le rapport renouvelé que le groupe entretient à la ville sur la longue durée. Peut-
on ainsi parler de « marquage italien », et le cas échéant, comment l’identifier à travers
la ville ? Quelle échelle spatiale privilégier – celle du quartier, de la rue, de l’immeuble,
ou tout cela à la fois ? Quelles formes particulières prend donc cette présence italienne,
et quel sens peut-on leur donner ? S’agit-il véritablement de l’expression d’une italianité
revendiquée par une diaspora fédérée autour d’une mémoire et d’un projet identitaire ?
Comment, enfin, le processus de colonisation a-t-il agi sur l’affirmation de soi du
groupe, au demeurant fort disparate, au sein même d’un espace urbain en pleine
mutation ?
3
La ville de Tunis porte les marques d’une présence ancienne de populations en
provenance de la péninsule italienne. Jusqu’en 1870, ces Italiens sont les représentants
des différents États d’Italie (royaumes, principautés et comtés) et interviennent comme
4
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Fig. 1 : Plan du quartier européen de Tunis en 1860, la place de la Bourse.
D’après Jean Ganiage, cartographie C. Giudice, 1997.
intermédiaires entre l’Europe et la Tunisie. De par leur ancienneté en Afrique du Nord,
les Italiens ont toujours eu une attache avec cette région. Dès le e siècle, des marins
italiens venaient s’installer sur le littoral tunisien pour pêcher le thon, le corail ou les
éponges. La plupart d’entre eux ont fini par s’installer à La Goulette ou à Tunis même. À
partir du e siècle, les Italiens officialisent leur présence en obtenant des beys des
concessions de pêche5 sur les côtes. Le commerce et la pêche du thon sont à cette
époque l’apanage de leurs entreprises6.
Par ailleurs, il faut rappeler qu’à partir de 1837, sous l’impulsion du Bey Ahmed, il
était courant en Tunisie d’imiter les modes et les coutumes européennes. À l’exemple
du Premier ministre, tous les hauts dignitaires du palais avaient comme secrétaire,
médecin, avocat, cuisinier, personnel de maison, un Italien ou un juif livournais.
De 1835 à 1869, trois beys ont eu pour épouse des Italiennes7. La langue de Dante est la
deuxième langue pratiquée à la cour mais également dans les échanges commerciaux.
Elle est utilisée dans les rapports officiels avec les États étrangers et dans les actes
légaux, même au-delà de 1850.
5
Le gouvernement tunisien s’accommode de la présence de cette colonie. Dans
l’entourage du pouvoir se développe une élite d’avocats, de médecins, de négociants, qui
domine l’ensemble de la communauté européenne. Dans son rapport sur « La Tunisie
et l’émigration italienne » en 1903, T. Carletti, consul italien à Tunis, confirme ce
constat. La colonie comprend une composante bourgeoise qui participe à la gestion du
pays, et des éléments ouvriers et ruraux principalement originaires des régions
agricoles du sud de la Botte. La « tête » de la colonie est donc constituée d’une
bourgeoisie anciennement installée dans le pays et bien intégrée aux circuits
économiques du pays8.
6
Les premières familles italiennes installées à Tunis ont élu domicile dans la Médina,
plus précisément dans le quartier franc, au sein de la place de la Bourse et ses rues
adjacentes. On les retrouve aussi près des remparts, autour de la porte de la Mer : Bab
el Bahr9. Ce quartier est le centre de la vie économique et sociale des Italiens comme de
l’ensemble des Européens jusqu’aux réformes beylicales de 1858. À partir de cette date,
il devient possible aux non-musulmans d’acquérir des terrains en dehors des remparts
et de participer ainsi à l’établissement de l’embryon de la future ville européenne.
7
Entre 1837 et 1860, la place de la Bourse concentre les lieux de résidence et les
espaces économiques des principaux agents de la présence italienne. Une épine dorsale
se forme le long des rues de la Kasbah et de l’Église, coupées par les rues de la
Commission et de l’Ancienne Douane où se concentrent les échoppes italiennes. Au
8
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Entrez par la porte Espagnole, partout des inscriptions italiennes, une gare
italienne, une compagnie de bateaux italienne, un théâtre italien, et que vous
entriez chez le pharmacien, le bijoutier ou le dentiste, partout de l’italien rien que
de l’italien14.
centre se trouve l’église Sainte-Croix, principalement fréquentée par les Italiens et les
Maltais. En dehors des remparts, le long de la rue des Maltais, de la rue des Glacières,
de la place Halfaouine et autour de la kasbah, apparaît une véritable zone intermédiaire
mêlant Européens, Italiens, Maltais et Tunisois10. Les transactions s’y font en arabe, en
italien, en hébreu ; signe manifeste des porosités interethniques, mais aussi
cosmopolitisme par défaut.
En effet, les dignitaires italiens se distinguent des étrangers par leur position
privilégiée et les liens particuliers qu’ils entretiennent avec les différents princes et
cercles du pouvoir beylical. Cette position politique et économique se traduit par un
marquage du paysage urbain des abords de la médina. Ainsi, les demeures qu’ils
investissent présentent un ou deux étages ainsi que des ouvertures et une décoration
sur la rue. Ce style tranche radicalement avec les traditionnelles demeures à patio de la
notabilité tunisoise, généralement sobres à l’extérieur et luxueuses à l’intérieur. Celles
des négociants sardes ou génois s’imposent par leurs ouvertures, leurs balcons et leurs
ferronneries finement travaillées, ainsi que par la couleur ocre des pierres utilisées.
Cette marque architecturale frappe les visiteurs qui décrivent ce quartier comme celui,
exclusivement, des Italiens11. Les observateurs de l’époque sont impressionnés par le
style ostentatoire des demeures que se font construire les riches commerçants italiens.
L’une des plus remarquables d’entre elles, sur la place de la Bourse, appartient au
comte Raffo, sujet du royaume de Sardaigne, qui a occupé jusqu’en 1860 le poste de
ministre des Affaires étrangères auprès du bey Hussein et de ses successeurs. La famille
Raffo a obtenu du bey une concession de pêche, « la thonaire de Sidi Daoud » au Cap
Bon, qui lui a permis de constituer une partie de sa fortune12.
9
Un deuxième bâtiment apparaît régulièrement dans les descriptions des voyageurs, il
s’agit du palais Gnecco, propriété d’une riche famille de négociants génois dont la
fortune s’est consolidée par les liens étroits entretenus avec les milieux politiques
locaux. Ce palais est une vaste demeure dominant la place de la Bourse et présentée
comme un bel exemple de l’architecture italienne de Tunis. Empierrée sans ciment,
c’est-à-dire « à la sicilienne », cette habitation s’impose dans le paysage comme la
marque la plus ostentatoire de la présence des négociants italiens de la fin du e
siècle. La réussite économique de cette famille durant la première moitié du e siècle
lui permet d’investir dans la future ville européenne par l’achat de vastes terrains. Sur
l’un d’eux, près du port, une des filles Gnecco, mariée à un agent consulaire italien,
constitue une propriété où une grande partie des ouvriers siciliens de la ville
s’établissent à partir de 188013 :
10
À ces Italiens, qui n’existent en tant que tels qu’à partir de l’unité politique du pays en
1870, il faut ajouter la présence de juifs, appelé les Grana ou les Livournais. Rattachés
au duché de Toscane jusqu’à l’unification de l’Italie, ces ressortissant italiens sont
initialement installés dans la Hâra, le quartier réservé aux juifs et la rue qui porte leur
nom (suq el Grana). L’application des réformes beylicales de 1858 permet aux juifs de
sortir de la Hâra, d’investir le quartier franc et les quartiers de la ville européenne. Ils se
distinguent du reste de la communauté juive, les Touansa15, par leur implantation dans
la ville coloniale et leur rapprochement avec les Européens. La plupart abandonnent
l’habit traditionnel pour le costume trois-pièces, et privilégient l’italien et le français à
l’usage de la langue arabe.
11
Dans la mentalité des citadins de l’époque, une hiérarchie très précise structure cette
société urbaine : l’habitant de la médina est considéré comme supérieur à celui des
deux faubourgs Bab Souika et Bab Djezira. La proximité avec les centres politiques,
économiques et religieux en fait un Beldi, « un Tunisois de souche ». Les deux
faubourgs représentent un passage obligé pour les musulmans allogènes, les
populations de condition modeste et les néo-citadins avant d’intégrer, dans le meilleur
des cas, la bonne citadinité de la Médina el Arbi. Le faubourg nord apparaît plus aisé
que le faubourg sud. Ce dernier, davantage lié au monde rural, accueille les populations
12
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Fig. 2 : Répartition des établissements scolaires italiens à Tunis vers 1900.
pauvres issues de l’exode rural. Le protectorat bouleverse cette hiérarchie par l’ajout
d’un nouvel urbanisme mais en reprend la logique de répartition. Dans la ville
européenne, les espaces résidentiels et les quartiers aisés sont situés au nord de la ville.
Les entrepôts, les minoteries, les activités industrielles et les populations pauvres se
regroupent dans la partie sud de la ville coloniale, respectant ainsi la logique initiale.
À partir de 1881, les Italiens se fondent dans cette répartition. Leur implantation est
déterminée par leur origine sociale et leur activité professionnelle, plutôt que par leur
appartenance religieuse ou nationale. Si durant plusieurs décennies la vie citadine est
restée cantonnée dans la médina et ses faubourgs, l’augmentation numérique de la
population italienne et européenne entraîne l’essor de nouveaux quartiers en direction
du port et de l’avenue de la Marine. « Un ensemble tout à fait européen sort de terre au-
delà de la porte de la Mer16 », encadré par une puissance protectrice qui marque le
paysage de sa prépondérance par une architecture classique représentant le style du
« vainqueur ». Les bâtiments officiels de l’administration coloniale, les commerces et
les habitations s’inscrivent dans cette tendance. En 1900, le caractère italien est dilué
dans l’extension de la ville, les enseignes en italien sont accompagnées d’autres en
français ; la gare italienne située derrière la cathédrale est devenue la propriété d’une
compagnie de chemins de fer française, la centralité de la ville s’est déplacée autour du
siège de la résidence générale et de la cathédrale construite à la demande du cardinal
Lavigerie. Néanmoins, quelques marqueurs persistent à confirmer la présence d’une
communauté italienne dominée par l’élément prolétaire.
13
Les éléments les plus aisés de cette communauté entrent en résistance face à la
puissance dominante par la création d’écoles et d’associations de bienfaisance.
L’objectif est de susciter un sentiment d’unité nationale au sein d’un groupe divers, de
diffuser la langue et la culture italiennes auprès d’une population dont l’unité
linguistique est à construire. Ces établissements sont situés à proximité de la médina,
dans les faubourgs sud et nord, non loin des quartiers investis par les Italiens au début
du e siècle. Ils sont fondés à l’initiative de notables, issus des familles installées
depuis des décennies en Tunisie. Cette élite économique et intellectuelle est le « fer de
lance » d’une italianité exportée, animée par la crainte de voir son statut de privilégié
disparaître. D’autre part, il s’agit également de lutter contre la francisation des Siciliens
pauvres, peu éduqués, oubliés et souvent méprisés par les artisans de l’unité italienne.
Des souscriptions sont donc organisées pour en obtenir l’ouverture, relayées à Rome
par le soutien des consuls. Le gouvernement italien répond généralement
favorablement à ces demandes, il ne peut se permettre de perdre le soutien de ces
expatriés, très influents dans les milieux d’affaires et au Parlement à Rome. Les
conditions inscrites dans la convention franco-italienne de 1896 figent toutefois cette
œuvre scolaire en proscrivant la création de nouvelles écoles et en interdisant
l’extension des fondations existantes, ce qui génère une situation inextricable.
L’excédent d’élèves italiens est alors dirigé vers les établissements gérés par la France17.
14
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Cartographie C. Giudice, 1997.
Après l’avenue de Carthage, sur la droite de l’avenue Jules-Ferry, terminus du
tram électrique de Carthage par La Goulette. Non loin de la station de tram de La
Goulette, également sur la droite de l’avenue, on remarquera le théâtre de
l’avenue. Puis à mesure qu’on avance, les constructions qui bordent l’avenue
diminuent peu à peu d’ampleur : certaines ne sont que de simples baraquements.
Ces abris sommaires sont surtout nombreux à droite dans le quartier pauvre de la
Petite Sicile, ainsi nommé du pays d’origine de ses habitants18.
La demande de main-d’œuvre, amplifiée par la multiplication des chantiers initiés
par le protectorat pour exploiter le pays, accentue l’afflux régulier d’Italiens. C’est une
nouvelle société italienne qui voit le jour, se développe et bouleverse les projets
coloniaux comme ceux des notabilités installées dans ce pays. Des Siciliens ou des
Sardes fuient une Italie politiquement unie mais économiquement déprimée. Leur
rapport au sentiment national est difficile dès lors qu’ils se disent avant tout siciliens ou
sardes. Le développement de la composante ouvrière au sein de la population de
nationalité italienne provoque le changement de statut d’une minorité privilégiée sous
les beys à une communauté majoritaire mais aux droits minorés sous le protectorat.
L’affirmation d’un prolétariat composé en grande majorité d’Italiens et pour une autre
partie d’éléments autochtones permet l’émergence d’une contestation à la fois du
colonialisme, du capitalisme et de la bourgeoisie. Les luttes ouvrières convergent pour
se liguer contre le pouvoir colonial. Il est difficile par ailleurs de parler d’une union de
l’ensemble des travailleurs tant les clivages entre populations européennes et
populations locales persistent. La puissance coloniale pratique, par exemple, une
politique de ségrégation salariale fondée sur les nationalités et les statuts personnels. La
série de grèves des traminots révèle cette inégalité mais également le manque d’unité
des employés face à la politique coloniale.
15
Ainsi, des quartiers italiens se développent au sein de la ville coloniale, respectant les
logiques précoloniales de l’organisation urbaine. Au sud de la ville, sur des terrains
longtemps déconsidérés, jugés comme insalubres par les notabilités citadines, les
Siciliens et Sardes de basse condition s’établissent et espèrent profiter de l’aubaine
coloniale comme un ascenseur social. Autour du port se forme la Petite Sicile, un
quartier populaire dont la dénomination est indiquée sur les cartes urbaines à partir
des années 1930, et dont une première description est donnée en 1924 dans le Guide
bleu :
16
L’histoire de ce quartier met en relation deux des composantes les plus extrêmes de la
société italienne de Tunisie : à savoir, d’une part, une riche descendante d’une famille
de notables, et de l’autre, une masse d’ouvriers fuyant la misère. L’histoire de ce
quartier se confond, en effet, avec celle de Carlotta Fasciotti, la fille de Paolo Gnecco,
17
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Fig. 3 : Plan de Tunis en 1929, les quartiers du port et la Petite Sicile. Guide bleu,
Hachette, 1930.
mariée au consul d’Italie Carlo Fasciotti. Grâce aux relations de son père et de son mari,
et aux largesses du bey19, elle réussit à constituer une vaste propriété de près de quinze
hectares. Il s’agit en réalité d’un espace insalubre, dont les égouts à ciel ouvert (les
Kandaq) rappellent qu’à l’origine cette propriété était un espace de marais recueillant
les eaux usées de la ville. Pour le rendre salubre, Carlotta Fasciotti achète de pleines
charrettes de gravats venant du chantier du creusement du port afin de combler son
terrain. Dans l’attente d’éventuels acquéreurs, elle autorise sur son domaine la
construction de petites maisons basses, en échange d’un loyer modique. Ces logements
ne doivent pas posséder d’étage et doivent être détruits après l’expiration du bail. Ainsi
des centaines de maisonnettes d’une pièce ou deux recouvrent, en quelques années, la
partie basse de l’avenue Jules-Ferry (actuelle avenue Bourguiba) entre 1865 et 1900. En
1893, l’installation du port dans cette partie de la ville accentue ce phénomène
d’occupation du sol qui par endroits s’apparente à une urbanisation informelle.
Certaines familles se placent résolument dans une position de dépendance vis-à-vis de
la propriétaire. Des centaines d’ouvriers, principalement siciliens, s’installent à
proximité des entrepôts et des ateliers, d’où l’appellation de « Petite Sicile » attribuée à
ce quartier.
Les héritiers vendent, année après année, des lots de terres aux investisseurs qui
veulent rentabiliser la proximité du port. Le rythme des ventes de parcelles s’accélère le
long des avenues Jules-Ferry et Carthage. Les immeubles de quatre à cinq étages
s’érigent, des activités de commerce, de loisirs et d’hôtellerie se développent. Les
entrepreneurs et maçons italiens sont « aux premières loges » pour offrir leurs services
aux propriétaires et architectes.
18
Ce quartier connaît une mauvaise réputation, accentuée par les odeurs fétides durant
les périodes estivales, l’implantation d’activités peu nobles, mais encore par la présence
d’une population sicilienne de condition modeste, populeuse, ouvrière et par
conséquent jugée peu fréquentable et dangereuse.
19
À partir des années 1920, la Petite Sicile est convoitée par les autorités du
protectorat, les industriels, les agents immobiliers et investisseurs, qui voient dans cet
espace l’opportunité de spéculer sur des terrains bien situés dans la ville coloniale. En
effet, la Petite Sicile est entourée de deux axes qui structurent le quadrillage du plan de
Tunis. L’avenue de Carthage à l’est et l’avenue de la Marine, rebaptisée avenue Jules-
20
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Fig. 4 : Théâtre Politeana Rossini en 1900, carte postale.
Ferry, représentent les vitrines de la citadinité européenne. Le quartier change de
physionomie, les parcelles les plus proches des deux avenues principales connaissent
une élévation de leur bâti. L’implantation du théâtre municipal, de l’hôtel de la
Municipalité en 1900, donne au quartier une vocation plus officielle et plus française.
Par ailleurs, en réponse à ce déploiement d’édifices représentant la présence française,
plusieurs investisseurs italiens souhaitent marquer le territoire de leur place
prépondérante et exprimer le génie italien en matière d’architecture. En 1901, huit
personnalités de la communauté italienne se lancent dans la construction du théâtre
Rossini. Ce projet est animé par la volonté de réaliser un édifice « Politeana à usage de
théâtre et de cirque et de maisons de rapport20 », à proximité de la Petite Sicile, le long
de la principale artère de la ville. L’objectif est de rivaliser avec le théâtre municipal,
inauguré en 1900 à quelques dizaines de mètres du futur théâtre italien, et œuvre de
l’architecte Jean-Émile Resplandy, maître d’œuvre de l’Art nouveau en Tunisie. Parmi
les huit actionnaires de cette opération immobilière, nous trouvons cinq entrepreneurs
de travaux publics, un architecte ayant travaillé en Italie et un agent immobilier. Ce
théâtre se veut être le lieu du rayonnement culturel italien, relayé dans le quartier par la
construction du siège de la Dante Alighieri (institution de promotion de la langue
italienne) et de l’église Saint-Joseph, il est confié à l’architecte Radicioni. Dans les
années 1930, Florestano Di Fausto, l’architecte officiel de l’état fasciste pour les
bâtiments diplomatiques à l’étranger, réalise le consulat d’Italie, dont l’imposante
façade de style fasciste est orientée vers le sud, la gare et la Petite Sicile. Il achève
l’implantation officielle des Italiens dans la partie du sud de la ville et s’apparente à un
appel aux ouvriers à ne pas s’écarter de la mère patrie.
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Le développement de la ville en direction du port réduit les terrains vacants pour les
catégories sociales les plus démunies. Dans l’entre-deux-guerres, l’explosion
démographique, l’arrivée de nouveaux travailleurs de Sicile, l’exode rural des
campagnes tunisiennes poussent à investir de nouveaux espaces à l’ouest et au nord.
Les habitations spontanées se greffent à celles déjà existantes. Les Italiens se
regroupent et constituent dans ce secteur une « Petite Calabre » ou une « Petite
Venise » le long des rives du lac. Les mêmes procédés d’occupation de l’espace sont
reconduits : quelques propriétaires visionnaires louent dans un premier temps des
terrains à viabiliser, puis vendent parcelle après parcelle à ceux qui peuvent devenir
propriétaires. Des terrains marécageux sont de nouveau comblés et aménagés. On
permet la construction de petites maisons d’une ou deux pièces en échange d’un loyer
modeste en attendant mieux et notamment une urbanisation contrôlée et encouragée
par la municipalité. Les plus fortunés réussissent à y construire un étage pour
transformer la modeste maison en villa de rapport, l’étage servant de complément de
revenus pour le propriétaire installé au rez-de-chaussée. On retrouve ici la volonté de
marquer sa présence dans le quartier, de s’affirmer par rapport aux voisins en montrant
sa réussite sociale à travers le bâti. Cette pratique urbaine n’est pas propre aux seuls
Italiens, l’ensemble des Tunisois s’inscrivent dans cette tendance de monstration
sociale.
21
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La presse coloniale présente les Siciliens comme d’excellents ouvriers, manœuvres
consciencieux et courageux ne reculant pas devant la besogne, sobres et économisant
afin de devenir eux-mêmes propriétaires. En 1902, on dénombre 101 Italiens
propriétaires d’un immeuble à Tunis ; de 1902 à 1912, ils sont à l’origine de la
construction de 1 213 immeubles21.
22
Cette remarque s’inscrit dans la prise de possession de certains quartiers vierges au
début du e siècle et qui deviennent rapidement des espaces de promotion pour ceux
qui les habitent. La mobilité des habitants dans la ville est proportionnelle à l’ascension
sociale. Habiter dans la Petite Sicile est, pour un ouvrier, l’espoir de pouvoir posséder
un jour un logement en dur. La phase suivante de promotion sociale mène de
préférence rue de Marseille ou rue de Londres, dans un appartement d’un plus haut
standing. Pour les juifs livournais ou toscans, une telle ascension se traduit par le
départ de la médina et de la Hâra. Les juifs livournais investissent l’avenue de Paris,
l’avenue de Londres ou la rue Lafayette. Cette nouvelle localisation dans la ville
entraîne un changement, l’abandon des vêtements traditionnels pour les costumes
trois-pièces européen et italien. L’élite musulmane subit pour sa part un cinglant déclin
sous le protectorat, à l’inverse des juifs livournais qui voient dans la colonisation une
opportunité de s’émanciper, de se distinguer des Touansa, des musulmans, et de se
rapprocher du modèle européen.
23
Les artisans et ouvriers de la Petite Sicile, quant à eux, peuvent bâtir une maison sur
le schéma de maison colonica, habitation traditionnelle des campagnes de Sicile22, en y
ajoutant des éléments de l’architecture locale : une cour centrale ou patio distribuant la
cuisine et la chambre à coucher. La réussite sociale entraîne pour les éléments les plus
aisés un déplacement en direction du nord de la ville. On espère investir des quartiers
plus chics, comme celui de la place Jeanne d’Arc, le Belvédère ou le lotissement de
Mutuelleville. Pour le fonctionnaire, le petit commerçant ou l’ouvrier de nationalité
française, la promotion s’effectue par l’obtention d’un logement dans une des cités
HBM23 construites dans la périphérie de la ville. C’est l’image du petit pavillon de
banlieue qui s’impose ici comme la réussite sociale. Quant aux notables tunisois, le
changement de domicile signifie non pas un changement de statut mais plutôt de mode
de vie. Le beldi abandonne les vieux palais de la médina au profit de grandes villas
dotées du confort moderne dans la banlieue nord, souvent à proximité des palais
beylicaux. Cette démarche de rechercher à proximité de Tunis, à La Marsa, Carthage ou
Sidi Bou Saïd, de nouveaux lieux de résidence laisse apparaître une volonté d’acquérir
une maison à l’européenne. La villa devient le modèle d’habitation qu’il faut réaliser
pour atteindre la reconnaissance sociale Les plus fortunées des familles livournaises
acquièrent des terrains à La Marsa, Hammam Lif ou Carthage pour y bâtir des villas
avec « le confort moderne ». On y installe l’électricité, le téléphone, le garage pour la
voiture, le chauffage central et la salle de bains avec baignoire et faïence. Les
fonctionnaires et les employés municipaux sont également présents à La Fayette. C’est
dans ce quartier que le mythe de la cohabitation s’est construit et s’est exprimé dans
une série d’ouvrages mémoriaux et souvent nostalgiques24. Les récits sur les jeux
d’enfants et de rues alimentent ce mythe. Le quartier Lafayette possède son identité, les
enfants se regroupent par rue, s’opposent aux groupes des autres rues. La rue devient
un territoire dans lequel on s’identifie, des coalitions peuvent s’effectuer contre des
ressortissants de rues ou de quartiers plus lointains. « Des rivalités nous opposaient,
mais l’unité revenait lorsque d’autres bandes venaient de la rue Desaix ou des quartiers
italiens de l’avenue Garros et de la Petite Calabre25. »
24
Les catégories sociales supérieures, cadres et autres riches possédants, résident dans
les villas de la place Jeanne d’Arc26. Plus on s’éloigne de la médina et de l’avenue
Bourguiba et plus on s’élève dans la hiérarchie sociale de la ville.
25
Pour les classes modestes, la création des sociétés d’HBM à partir de la Première
Guerre mondiale a représenté une autre possibilité de se hisser dans l’échelle sociale.
Les cités HBM de la banlieue sud à Dubosville, La Cagna ou la cité Lescure accueillent
des ouvriers qui ont réussi à capitaliser pour s’offrir une petite maison, à l’image des
ouvriers français. Certains ouvriers italiens parviennent à acquérir leur maison et
peuvent s’intégrer dans cette société coloniale. La question de la nationalité apparaît
clairement comme un élément de distinction et de ségrégation. La distinction est
26
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Fig. 5 : Immeuble de la Petite Sicile. Cliché C. Giudice, 2002.
marquée tout d’abord par les salaires. L’ouvrier français est mieux rémunéré que
l’ouvrier italien, qui lui-même l’est davantage que l’ouvrier tunisien. En 1919, le salaire
d’un traminot français est de 7 francs, il est de 5,95 pour un Italien et de 4,50 pour un
Tunisien. Lors des grèves de 1919, le syndicat des transports intègre cette inégalité dans
sa liste de revendications. Une prime de cherté de la vie est réclamée, elle est évaluée à
4,50 francs pour les Français, 3,90 pour les Italiens et à 3 francs pour les Tunisiens27.
Certains emplois sont réservés aux seuls ressortissants français, comme à l’arsenal de
Bizerte. Dans le monde du bâtiment, secteur où les Italiens sont omniprésents, seuls les
architectes français peuvent participer à la réalisation des édifices relevant des autorités
publiques. Ainsi l’acquisition de la nationalité française pour les couches les plus
modestes apparaît comme l’assurance d’une vie meilleure, d’un avenir plus radieux.
La ville coloniale est une cité ségrégative qui divise la société en groupes sociaux,
ethniques et religieux. Il n’existe pas de quartiers réservés ou interdits, mais une
multitude d’espaces dans lesquels des populations économiquement similaires se
regroupent. La structure interne des immeubles de la ville coloniale relève encore cette
réalité avec quelques immeubles de type haussmannien sur les avenues Jules-Ferry, de
Paris, de Marseille ou de Carthage. La logique haussmannienne de regrouper
verticalement toute la société urbaine est difficilement perceptible à Tunis. C’est une
autre logique qui organise l’agencement interne des logements. Les appartements sont
sensiblement de nature équivalente, les étages nobles affublés de chambres de bonne
dans les étages supérieurs sont très rares à Tunis. Dans la Petite Sicile, les immeubles
de deux ou trois étages qui accompagnent la densification du quartier offrent des
logements de deux ou trois pièces, dans l’ensemble équipés d’une salle de bains et de
toilettes. La législation municipale interdisant le séchage du linge aux fenêtres, elle
oblige les architectes à prévoir des espaces de séchage par des terrasses ou des cours
intérieures protégées des regards extérieurs.
27
Deux immeubles présentent ces caractéristiques dans la Petite Sicile. Il s’agit de deux
immeubles-îlots réalisés dans un style Art nouveau, situés derrière l’hôtel de ville de
Jean Resplandy. Ils illustrent le regain d’attractivité du quartier initié par la
construction de l’hôtel de ville28 et sont des interprétations italianisantes de l’Art
nouveau par l’utilisation d’une décoration chargée d’éléments floraux, de chérubins et
de ferronneries. C’est également une réinterprétation de l’oukala, la maison collective
populaire des villes arabo-musulmanes. Ces deux immeubles sont une synthèse des
influences locales et importées en matière d’architecture29.
28
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L’occupation de la rue
Dans le Tunis du début du e siècle, une multitude de populations aux origines
diverses coexistent. Les clivages préexistants de la société tunisoise ont été amplifiés
par l’introduction de la ségrégation coloniale. Le régime du protectorat a été défini
comme un régime économe qui devait exploiter à moindres frais. Tunis n’est certes pas
Casablanca, ni Alger, mais elle est le produit de ce que voulaient les aménageurs
coloniaux. La Tunisie a été dirigée par des résidents généraux et gérée comme on gère
« un placement de bon père de famille30 », modeste, mais qui devait rapporter.
29
Par certains aspects, la ville semble s’être construite toute seule. C’est en cela qu’elle
est originale car l’autorité coloniale n’a pas aménagé ou planifié la croissance de la ville
comme elle l’a fait dans les autres grandes villes du Maghreb colonial français. Certes, le
quadrillage est l’œuvre d’une action planificatrice, mais l’étude fine, à grande échelle,
démontre que la ville est essentiellement marquée par des initiatives individuelles qui
se sont inscrites dans les objectifs généraux de l’œuvre colonisatrice encadrée par la
législation sur la propriété et le bâti. Propriétaires et architectes bâtissent villas et
immeubles au sein d’un maillage régulier, viabilisé au gré des constructions, et
répondent aux attentes des commanditaires. La parcellisation des terrains à bâtir
s’intensifie à partir des années 1920 et les grands propriétaires, pour des raisons
fiscales sur lesquelles il n’est pas nécessaire de s’étendre, vendent parcelle après
30
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Fig. 6 : « Plans de maisons modestes reproduites dans la Petite Sicile », d’après Charles
Geniaux, Comment on devient colon, Paris, éditions Charpentier, 1908, p. 108 et 110.
parcelle, fournissant l’occasion d’acquérir un bien à ceux qui ont quitté leur Sicile
natale, non pas pour faire fortune mais pour acquérir une respectabilité sociale en
devenant propriétaires.
L’implantation des Italiens dans la ville est donc tributaire, d’une part, du rapport
entretenu avec les pouvoirs politiques et économiques, et d’autre part, de la position
occupée au sein de la société tunisoise. Il faut ajouter à ces logiques les évolutions liées
à l’imposition du protectorat, aux bouleversements des rapports avec les différents
pouvoirs politiques, à l’affirmation de nouveaux interlocuteurs économiques, d’un
nouveau rapport à la centralité urbaine et à l’espace habité. La médina demeure le
centre de la vie tunisoise jusque dans les années 1920. Elle est supplantée par la ville
européenne qui offre des espaces à bâtir et permet de répondre aux nouvelles attentes
des habitants. Le marquage de l’espace urbain par les Italiens s’établit dans un premier
temps, comme on l’a vu, par les notables et possédants qui construisent palais et vastes
demeures à la hauteur de leurs réussite sociale et rang dans la hiérarchie urbaine ; dans
un second temps, par la réalisation d’ouvrages destinés à l’ensemble de la communauté
italienne, en lien avec l’unification nationale et la nécessité de créer une italianité « de
résistance » face à la puissance coloniale française. Le point culminant de ce
mouvement visant à exprimer cette italianité dans l’espace urbain se situe dans les
années 1930, sous le régime fasciste. À cette époque, le nombre d’Italiens est
numériquement en baisse par le jeu des naturalisations automatiques.
31
Le lien avec la « mère patrie » n’étant pas totalement rompu, ces fidèles du régime
fasciste représentent une diaspora soutenue par Rome et importent les débats qui
traversent et déchirent la société italienne de l’entre-deux-guerres, provoquant heurts
et hostilités. Tunis devient alors le théâtre d’affrontements entre fascistes et
antifascistes. Dès 1923, la propagande mussolinienne insiste pour revendiquer la
Tunisie comme italienne. Elle s’appuie sur l’importance de la communauté, la
proximité et l’ancienneté de sa présence. L’objectif est également de raviver le
sentiment de victoire mutilée après la Première Guerre mondiale au sein de ces Italiens
« d’outre-mer ».
32
La ferveur religieuse marque également les quartiers italiens. La procession de la
Vierge Marie est l’occasion de se retrouver et de former une démonstration de force.
Dans toutes les « Petites Siciles », d’importants cortèges se forment autour d’une
représentation de la Vierge, la Madone de Trapani. C’est à La Goulette, la cité portuaire
située à quelques kilomètres de Tunis, que l’on célèbre l’Assomption le 15 août.
33
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La rue n’est pas seulement marquée par ces manifestations de foi. Elle révèle
également les tensions, les oppositions qui scindent la société urbaine italienne. La
communauté italienne n’hésite pas à investir largement la rue via diverses associations
telles que les anciens combattants, la société gymnique de Tunis, l’organisation des
« Juvenis de Carthagenis » ou encore le consulat même. Les commerces et les rues
pavoisent aux couleurs de l’Italie. La chaussée est occupée pour fêter l’unité de l’Italie,
l’anniversaire du roi le 11 novembre, l’occupation de l’Éthiopie ou encore la traversée
par Bruno Mussolini de l’Atlantique sud à la tête de trois bombardiers31. Les
rassemblements ont lieu devant le consulat, près de la gare de chemin de fer. Le cortège
emprunte la rue de Rome, l’avenue Roustan, l’avenue de Paris et de Lyon, pour se
rendre au cimetière de Bab el Khadra afin d’y déposer une gerbe sur le monument aux
morts.
34
Durant l’entre-deux guerres, l’opposition entre Français et Italiens est complexifiée
par la division de la communauté à propos de l’italianité et du soutien à la politique du
régime fasciste. Les antifascistes rejoignent les francs-maçons, les anarchistes, les
socialistes, qui organisent une résistance à la dictature de Mussolini par la création de
la Ligue des droits de l’homme, de journaux tels que la Voce Nuova, ou L’Italiano di
Tunisi. Tunis devient le deuxième centre de l’opposition fasciste après Paris, par le
nombre, la vigueur de ses membres et la proximité des deux camps.
35
L’inauguration en 1926 du nouveau siège de la Dante Alighieri dans la Petite Sicile est
l’objet d’une attention toute particulière de la part du résident général qui n’hésite pas à
prononcer un discours dans lequel il rappelle la mission de la France en Tunisie et met
en garde la communauté italienne contre d’éventuelles tentatives d’utiliser les
nouveaux locaux comme outil de propagande pour le régime fasciste. Cette période est
très tendue, les anciens combattants italiens se déchirent. Les cortèges se divisent, les
itinéraires diffèrent. Les chants se heurtent : à « Giovinezza, giovinezza » et « viva il
Re » s’opposent les chœurs antifascistes scandant L’Internationale. Durant une dizaine
d’années, Tunis devient ainsi le cadre d’un affrontement à ciel ouvert entre Italiens et se
mue en un haut-lieu de l’expression de l’antifascisme, qui s’ajoute aux tensions italo-
françaises.
36
Quartiers de toutes les peurs et de toutes les attentions, la Petite Sicile appartient
véritablement à la genèse de la ville, à la formation de son identité, même si les
autorités ont éprouvé des difficultés à maîtriser cet espace. Les autorités françaises
surveillent de près les Italiens, plus encore durant la période fasciste. Des rapports
37
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Fig. 7 : L’implantation des intérêts italiens à Tunis en 1930.
Cartographie C. Giudice, 2001.
précis décrivent l’ambiance, les propos, les jeux et les coutumes des habitués des
tavernes et autres dopolavoro32. Il y a une dizaine d’établissements de ce type à Tunis
en 1936 : deux sont implantés dans la Petite Sicile – le premier local est situé 1 rue de
Serbie (actuelle rue de Yougoslavie), le second rue Jean-Levacher (actuelle Ahmed
Tlili). Le plus important de la ville est situé non loin de l’ambassade d’Italie, rue Al
Djazira. Il est si vaste qu’il dispose d’une salle de spectacle. Les différents rapports de
police les décrivent comme pavoisant aux couleurs italiennes, les dimanches et les jours
de commémoration ou de fêtes. Les activités de ces cercles fascistes sont multiples, du
jeu de boules aux programmes radio en passant par les excursions sportives. Lors des
discours du Duce, les salles se remplissent d’Italiens ne disposant pas de TSF ; le soir,
on se regroupe autour de lectures collectives de la presse italienne de Tunisie. Le
dopolavoro se substitue en Italie aux cercles récréatifs des ouvriers organisés
auparavant par les syndicats ou les organisations paroissiales. En Tunisie, il s’agit de
gagner la sympathie de la population mais aussi de lutter contre des associations
antifascistes qui ont le soutien de la gauche française et de la franc-maçonnerie. À
Tunis, le dopolavoro est également un débit de boisson dont l’accès est contrôlé. Le
règlement intérieur n’accepte que les ouvriers de nationalité italienne, de conduite
irréprochable et âgés de 15 à 45 ans. Le problème est assez épineux lorsque certains
d’entre eux, pour des raisons économiques, employés dans des entreprises françaises,
ont opté pour la nationalité du frère ennemi. Les quolibets fusent, les railleries se
multiplient, on manie volontiers le couteau pour avoir été appelé « la carne vendutta »,
la « viande vendue ». L’appréciation de ces nouveaux Français est aussi délicate de
l’autre côté, où, malgré leur nouvelle nationalité, ils restent des « Macaroni », ou des
« Français de vingt centimes33 ».
La buvette fonctionne surtout l’été. On y consomme pour un prix modique
limonades, bières, anisette et quinine. On peut se divertir en jouant aux dames, aux
échecs ou au billard russe mais les jeux de cartes sont interdits. Ces règles internes aux
locaux fascistes sont gérées par le président de l’ensemble, Armando Rosso. Une revue
illustrée, Gli Italiani di Tunisi del dopolovaro34, est même distribuée à l’intérieur de ces
locaux afin d’éduquer l’ouvrier, de lui apprendre l’ordre et le respect du chef, des
valeurs du régime d’Il Duce.
38
Une multitude de manifestations sont organisées, avec des concerts, pièces de
théâtre, expositions, galas et fêtes de fin d’année. La Société italienne de bienfaisance y
organise ses galas annuels et la Dante Alighieri des conférences. Les différents comités
d’organisation prennent soin d’inviter toute la société mondaine et influente de Tunis,
39
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Conclusion
le consul d’Italie, sans oublier le Résident général35. Durant l’entre-deux-guerres, ce
théâtre est l’objet de convoitises et représente une scène idéale de propagande du
régime fasciste. On organise des conférences ou des projections de films, les murs se
couvrent de slogans fascistes : « Avanti Savoia, Tunisia Nostra ». Le 14 janvier 1923,
l’idéologue Stéfano Schiaccaluga captive la salle deux heures durant sur les modalités
de la montée du fascisme. Quelques mois plus tard, la projection du film « A Noï (À
nous !) » est plus problématique. Plusieurs affiches du film sont placardées et
présentent un fasciste portant une chemise noire, coiffé d’une chéchia de la même
couleur et armé d’un gourdin, protégeant l’Italie. Plusieurs antifascistes se procurent
des places et préparent une action de sabotage. Devant le risque de heurts, le Résident
général reporte la projection. Malgré cette précaution, des bagarres éclatent : 300 à 400
Italiens s’étripent au nom de la défense de leur Italie. À l’issue de ces heurts, le Résident
général impose l’interdiction du port de l’uniforme de l’armée italienne et de la chemise
noire sur l’ensemble du territoire. La police obtient le droit d’interpeller tout individu
avec une telle tenue vestimentaire36. À la fin de l’année 1923, le théâtre Rossini est
racheté par une entreprise d’ameublement, les établissements Boyoud37. La
communauté perd un espace d’affirmation de son italianité, les xénophobes et
antifascistes s’en réjouissent.
La Seconde Guerre mondiale révèle ces frustrations et oppositions qui se traduisent
par l’investissement de la rue comme cadre d’expression. Lors des moments de crises et
de difficultés, les rancœurs ressurgissent régulièrement, laissant apparaître les
contradictions du vivre ensemble en terre de colonisation. Pendant l’occupation de la
Tunisie par les troupes de l’Axe, plusieurs défilés de prisonniers de guerre (français,
anglais) sont accueillis dans la Petite Sicile, dans la rue du Portugal (rue Ferhat
Hached), par les crachats et les sifflets d’Italiens haineux et fanatiques38. Les
constructions du quartier du port sont alors gravement touchées par les
bombardements américains. Tous les soirs, cette partie de la ville était la cible des
forteresses volantes alliées. Plusieurs dizaines de bicoques de la Petite Sicile sont
détruites et, durant plusieurs semaines, cette partie de la ville désertée devient la cible
des pillards39. Reconstruit, le quartier représente de nouveau un espace d’accueil pour
les victimes de la crise d’après-guerre et de l’exode rural.
40
La présence italienne se réduit après 1945, les autorités françaises expulsent et
confisquent les biens des Italiens, identifiés globalement au fascisme. Plusieurs rues et
édifices sont débaptisés, comme la rue d’Italie qui devient la rue Charles de Gaulle. On
souhaite réaffirmer la présence française et réduire celle des Italiens. Les autorités
françaises engagent l’expulsion de près de 5 000 Italiens jugés complices du régime
fasciste. La minorité antifasciste n’est pas épargnée. L’amalgame est si total qu’il
entraîne le départ de plus de 10 000 personnes. Leurs biens sont confisqués et mis sous
séquestre. La France gaulliste engage alors une surenchère vis-à-vis des Italiens et des
sympathies qui s’étaient exprimées à l’égard des nationalistes tunisiens. La question
tunisienne succédant à la question italienne, les autorités françaises réagissent avec
fermeté et intransigeance à l’égard des Italiens. Elles leur reprochent leur déclaration,
faite en 1949 à la tribune de l’ONU, sur le sort des anciennes colonies italiennes, que la
délégation italienne souhaite voir évoluer en une série de pays indépendants. Les
Italiens sont accusés de tenir une position d’hostilité envers la France et de soutenir les
revendications des nationalistes et indépendantistes du Néo-Destour d’Habib
Bourguiba40. L’indépendance de la Tunisie en 1956 met un terme à la rivalité entre les
deux groupes nationaux, et impose une nouvelle réalité aux natifs de Tunisie : quelques
centaines de familles choisissent de rester dans le pays devenu indépendant, et de
poursuivre leur destinée sur cette rive de la Méditerranée. Pour le plus grand nombre,
c’est le départ et non un « retour » vers l’Italie ou la France, appréhendées comme deux
contrées inconnues.
41
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Notes
1 Jellal Abdelkefi, La médina de Tunis, Paris, Presses du CNRS 1989, p. 278.
2 On citera les travaux de : Guy Degas, Tunisie. Rêves de partages, Paris, Omnibus, 2005 ;
Adrien Salmieri, Chronique des morts, Paris, Julliard, 1974 ; Michele Brondino, La presse
italienne, histoire et société, 1881-1956, Paris, Publisud, 2005 ; Marinette Pendola, Gli Italiani di
Tunisia, storia di une communità, Roma, Editoriale Umbra, I quaderni del Museo
dell’emigrazione, 2007 ; Jean-Charles Vegliante, Gli Italiani all’estero, 1861-1981, Paris,
Publications de la Sorbonne, 1986.
3 Juliette Bessis, La Méditerranée fasciste. L’Italie mussolinienne et la Tunisie, Paris, Kartala,
1981 ; Rainero Romano, Les Italiens dans la Tunisie contemporaine, Paris, Publisud, 2002,
p. 250 ; Daniela Melfa, Migrando a sud, coloni in Tunisie, 1881-1939, Roma, Aracine, 2008.
Du milieu du e siècle au milieu des années 1950, les Italiens ont représenté un
groupe influent dans la vie politique, économique et sociale de la ville de Tunis. Par leur
intégration, leur nombre et leurs activités, ils ont œuvré à la construction d’une identité
tunisoise spécifique en situation coloniale.
42
Cette population italienne de Tunis est issue d’un pays entré tardivement dans l’ère
industrielle, et sans véritable tradition nationale. Une telle spécificité politique
s’exprime à Tunis par l’absence de projet commun aux Italiens, ou même de sentiment
d’appartenance. Leurs multiples facettes régionales ont représenté des obstacles à la
possibilité d’une communion nationale, amplifiés voire suscités par la situation
coloniale. La colonisation a déclenché un mouvement de « résistance » au processus de
mise à l’écart, de sorte que la colonisation a représenté une période propice à
l’affirmation d’une italianité « unie », sur fond d’unification nationale. Par ailleurs, la
fragilité du sentiment national et l’hétérogénéité du groupe, les intenses divisions
sociales et les clivages régionaux n’ont pu constituer véritablement une diaspora41.
43
La composante sicilienne est numériquement majoritaire au sein d’un groupe
économiquement dominé par les juifs livournais. Les Siciliens représentent une
diaspora en tant que telle au sein même de cette communauté. Une diaspora de
déshérités, de prolétaires en quête d’une vie meilleure, d’exclus en mal d’adhésion avec
une italianité venue du nord. La colonisation a détourné une partie de ces Italiens pour
les fondre dans la communauté française par l’école, le jeu des naturalisations et d’une
politique salariale discriminatoire. Dans ces conditions, certains quartiers de Tunis ont
pu s’apparenter à des espaces exclusifs, comme la Petite Sicile ou la Petite Calabre, mais
ils étaient avant tout des réceptacles de la ségrégation sociale de la société urbaine.
D’autres quartiers se présentent comme des espaces de cohabitation – comme
« Lafayette » ou le « Passage » – mais rarement de mélange. La ville de Tunis
entre 1881 et 1956 est marquée par un urbanisme et une architecture qui sont l’œuvre
d’une société urbaine façonnée par un système ségrégatif et inégalitaire. Elle est
dominée par une bourgeoisie européenne importée, secondée ou relayée par une
bourgeoisie locale dans laquelle les juifs livournais s’inscrivaient, jouant le rôle d’entre-
deux42.
44
Les éléments distinctifs imposés par les autorités coloniales pour obtenir quelques
privilèges en termes d’emplois, de salaires, de logements sont si importants que le
cosmopolitisme n’est que de façade. Durant les périodes de difficultés, les distinctions
sociales et nationales ont provoqué rancœurs, frustrations et divisions irréversibles.
45
Aujourd’hui, la communauté italienne se résume à quelques centaines de familles.
Certaines possèdent les trois nationalités mais se sentent, avant tout,
méditerranéennes. C’est le cas de la famille Finzi, descendant du premier imprimeur
installé en Tunisie. Elle perpétue cette tradition d’éditeur et d’animateur culturel par la
publication du Corriere di Tunisi, le dernier périodique en langue italienne. Elle
souhaite contribuer par son travail au développement de la Tunisie43.
46
Ce pays est devenu le leur, et illustre une conséquence des migrations économiques
analysées par le socialiste italien Antonio Gramsci : « La nation, ce n’est pas où on est
né ni le pays de nos aïeux, mais c’est là où on a des attaches44… » ; pour ces familles,
c’est à Tunis qu’elles les ont créées.
47
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4 Sylvia Finzi (ed.), Mémoires italiennes de Tunisie, Tunis, Imprimerie Finzi, 2000.
5 Daniel Grange, L’Italie et la Méditerranée, 1896-1911, Rome, Collection de l’École française de
Rome, 1994, vol. I, p. 554.
6 Jean Ganiage, Une entreprise italienne de Tunisie au milieu du e siècle, correspondance
commerciale de la thonaire de Sidi Daoud, Paris, Puf, 1960, p. 164.
7 Michele Brondino, « Des rapports euro-maghrébins : le cas tunisien », in Annuaire de l’Afrique
du Nord, Paris, 1990, p. 171-184.
8 « Rapport Carletti sur l’immigration italienne en Tunisie en 1903 », arch. MAE, Nantes, NS
Tunisie, 1885-1916, vol. 456, dossier n° 1, F 59.
9 Bab el Bahr signifie porte de la Mer en arabe ; rebaptisée porte de France durant le protectorat,
elle a également été désignée comme la porte d’Espagne lors de l’occupation espagnole au e
siècle.
10 « Rapport Carletti… », op. cit., p. 5.
11 Gaston Loth, Le peuplement italien en Tunisie et en Algérie, Paris, A. Colin, 1905, p. 72.
12 Jean Ganiage, Les origines du protectorat français en Tunisie, 1861-1881, Tunis, Maison
tunisienne de l’édition, 1968, p. 597.
13 « Réquisition d’immatriculation de la propriété Carlotta Gnecco Fasciotti », arch. mun. Tunis,
titre de propriété 2929.
14 Jean Lux, Trois mois en Tunisie, journal d’un volontaire, Paris, A. Ghio, 1882, p. 142.
15 Les juifs touansa sont les juifs locaux, dit « autochtones », plus traditionalistes et souvent plus
pauvres que l’autre partie de la communauté juive, les juifs livournais.
16 Pierre Giffard, Les Français à Tunis, Paris, Havard éditeur, 1881, p. 51.
17 Archives du lycée Carnot à Tunis, Recueil des comptes rendus des conseils d’administration du
lycée Carnot, 1924-1954.
18 Guide bleu Tunis, Paris, Hachette, 1927, p. 343.
19 En 1865, Sadok Bey accepte la cession de terrains dépendant d’institutions religieuses au profit
de Paolo Gnecco et de ses descendants.
20 « Acte de vente sous seing privé du terrain Politeana », archives de la conservation foncière de
Tunis, titre de propriété 8068, n° d’ordre 18 578.
21 Joseph Valensi, Étude sur la valeur locative des immeubles de la ville de Tunis, en 1913, sa
répartition par nationalités, tableaux statistiques et graphiques, Tunis, imprimerie Weber, 1913,
p. 23.
22 La casa colonica est l’expression qui définit une maison rurale habitée par une famille sur un
domaine dont elle n’est pas propriétaire.
23 HBM : Habitations à bon marché ; introduites en Tunisie à la fin du e siècle, elles se
développent principalement après la Première Guerre mondiale.
24 Georges Cohen, De l’Ariana à Galata, itinéraire d’un enfant juif de Tunisie, Paris, éditions
Racines, 1994, p. 11.
25 Ibid., p. 15.
26 Serge Santelli, Tunis, le creuset méditerranéen, Paris, Éditions du CNRS, 1995, p. 64.
27 Claude Liauzu, « Les traminots de Tunis au début du siècle », Les cahiers de Tunisie, 1975,
n° 89-90, t. XXIII, p. 157.
28 Sur le détail de ces deux immeubles : Christophe Giudice, « Immeuble Abita », in Juliette
Hueber, Claudine Piaton, Tunis, architectures, 1860-1960, Arles, éditions Honoré Clair, 2011,
p. 102.
29 Sur le transfert des savoirs et l’adaptation des expertises en matière d’architecture, voir
Christophe Giudice, « De l’usage et du brassage des modèles architecturaux dans le Maghreb
colonial, itinéraires d’architectes et d’entrepreneurs italiens », in Myriam Bacha, Architectures
au Maghreb ( e- e siècles), réinvention du patrimoine, Rennes, PUR, 2011, p. 229-244.
30 Daniel Rivet, Le Maghreb à l’épreuve de la colonisation, Paris, Hachette, 2002, p. 220.
31 Adrien Salmieri, Chroniques des morts, Paris, Julliard, 1974, p. 120.
32 Dopolavoro signifie « après le travail » ; constitué d’un local, il permet aux organisations
fascistes de prendre en charge et de contrôler les activités culturelles et récréatives de la classe
ouvrière.
33 La somme de vingt centimes représente le montant du timbre pour le dépôt du dossier de
naturalisation.
34 « Immigration italienne en Tunisie, 1926-1934 », arch. MAE, Nantes, arch. rapatriées de
l’ambassade de France à Rome, dossier n° 25.
23/07/2020 Diaspora italienne et identités urbaines à Tunis, xixe-xxie siècle
https://journals.openedition.org/diasporas/613 20/21
35 « Société de bienfaisance », 1912, arch. MAE, Nantes, 1er versement, Tunisie, dossier 932,
folio 62.
36 « Propagande fasciste en Tunisie en 1923 », arch. MAE, Nantes, 1er versement, Tunisie,
dossier 329, folio 181.
37 La Tunisie française, 12 février 1923.
38 Jean Pupier, Six mois de guerre à Tunis, Tunis, éditions La Rapide, 1943, p. 34.
39 « État des dégâts et des vols dans la Petite Sicile à la fin de la guerre », L’Unione du 15 février
1943.
40 Romain Rainero, Les Italiens dans la Tunisie contemporaine, Paris, Publisud, 2002, p. 250.
41 Jean-Charles Vegliante, Gli Italiani all’estero, 1861-1981, op. cit., t. 1, p. 1.
42 Daniel Rivet, op. cit., p. 241.
43 Silvia Finzi, Métiers et professions des Italiens de Tunisie, Tunis, Edizione Finzi, 2003, p. 29.
44 Cité dans Laura Davi, « Des histoires de vie de la vieille émigration italienne en Tunisie », in
Sylvia Finzi, Memorie italiane di Tunisia, Tunis, Edizione Finzi, 2000, p. 235.
Table des illustrations
Titre Fig. 1 : Plan du quartier européen de Tunis en 1860, la place de la
Bourse.
Crédits D’après Jean Ganiage, cartographie C. Giudice, 1997.
URL http://journals.openedition.org/diasporas/docannexe/image/613/img-1.jpg
Fichier image/jpeg, 412k
Titre Fig. 2 : Répartition des établissements scolaires italiens à Tunis vers
1900.
Crédits Cartographie C. Giudice, 1997.
URL http://journals.openedition.org/diasporas/docannexe/image/613/img-2.jpg
Fichier image/jpeg, 624k
Titre Fig. 3 : Plan de Tunis en 1929, les quartiers du port et la Petite Sicile.
Guide bleu, Hachette, 1930.
URL http://journals.openedition.org/diasporas/docannexe/image/613/img-3.jpg
Fichier image/jpeg, 1,2M
Titre Fig. 4 : Théâtre Politeana Rossini en 1900, carte postale.
URL http://journals.openedition.org/diasporas/docannexe/image/613/img-4.jpg
Fichier image/jpeg, 208k
Titre Fig. 5 : Immeuble de la Petite Sicile. Cliché C. Giudice, 2002.
URL http://journals.openedition.org/diasporas/docannexe/image/613/img-5.jpg
Fichier image/jpeg, 172k
Titre
Fig. 6 : « Plans de maisons modestes reproduites dans la Petite Sicile »,
d’après Charles Geniaux, Comment on devient colon, Paris, éditions
Charpentier, 1908, p. 108 et 110.
URL http://journals.openedition.org/diasporas/docannexe/image/613/img-6.jpg
Fichier image/jpeg, 24k
URL http://journals.openedition.org/diasporas/docannexe/image/613/img-7.jpg
Fichier image/jpeg, 72k
URL http://journals.openedition.org/diasporas/docannexe/image/613/img-8.jpg
Fichier image/jpeg, 52k
URL http://journals.openedition.org/diasporas/docannexe/image/613/img-9.jpg
Fichier image/jpeg, 44k
Titre Fig. 7 : L’implantation des intérêts italiens à Tunis en 1930.
23/07/2020 Diaspora italienne et identités urbaines à Tunis, xixe-xxie siècle
https://journals.openedition.org/diasporas/613 21/21
Crédits Cartographie C. Giudice, 2001.
URL http://journals.openedition.org/diasporas/docannexe/image/613/img-
10.jpg
Fichier image/jpeg, 712k
Pour citer cet article
Référence papier
Christophe Giudice, « Diaspora italienne et identités urbaines à Tunis, e-
e siècle », Diasporas, 28 | 2016, 85-104.
Référence électronique
Christophe Giudice, « Diaspora italienne et identités urbaines à Tunis, e-
e siècle », Diasporas [En ligne], 28 | 2016, mis en ligne le 28 juin 2017, consulté le 23 juillet
2020. URL : http://journals.openedition.org/diasporas/613 ; DOI :
https://doi.org/10.4000/diasporas.613
Auteur
Christophe Giudice
Christophe G , docteur en histoire, chercheur associé à l’IMAF (université de
Paris/UMR4171 CNRS), est l’auteur d’une thèse sur la construction de la ville de Tunis
entre 1860 et 1945, d’ouvrages sur les Italiens de Tunisie et l’architecture au Maghreb aux e
et e siècles. Parmi ses publications récentes : « Pour une histoire ordinaire de la ville
maghrébine », in Charlotte Jelidi, Les villes maghrébines à l’époque coloniale, urbanisme,
architecture, patrimoine ( e- e siècles), Paris, IRMC-Karthala, 2014, p. 205-220 ;
« Architectes et entrepreneurs italiens au Maghreb, une expérience qui s’exporte », in Ezio
Godoli, Architectures et architectes italiens au Maghreb, Firenze, Edizioni Polistampa, 2011,
p. 22-33 ; « Parcours du Tunis colonial », in Claudine Piaton, Juliette Hueber (dir.), Architectures
de Tunis, 1860-1960, Paris, éditions Honoré Clair, 2011, p. 27-39 et notices d’architectes ; « De
l’usage et du brassage des modèles architecturaux dans le Maghreb colonial : itinéraires
d’architectes et d’entrepreneurs italiens » in Myriam Bacha, L’architecture au Maghreb ( e- e
siècles), la réinvention du patrimoine, Rennes, PUR-IRMC, 2011, p. 229-244 ; « La législation
foncière et la colonisation de la Tunisie », in Samya El Mechat, Les administrations coloniales,
Rennes, PUR, 2009, p. 229-239 ; « Le Tunis des Italiens », Qantara, Revue de l’Institut du
monde arabe, 2006, n° 58, p. 34-35
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  • 1. 23/07/2020 Diaspora italienne et identités urbaines à Tunis, xixe-xxie siècle https://journals.openedition.org/diasporas/613 1/21 Diasporas Circulations, migrations, histoire 28 | 2016 Scènes urbaines Diaspora italienne et identités urbaines à Tunis, e- e siècle Italian Diaspora and Urban Identities in Tunis, 19-21th Centuries C G p. 85-104 https://doi.org/10.4000/diasporas.613 Résumés Français English Au milieu du e siècle, les Italiens participent au mouvement d’expansion urbaine de Tunis du fait de leurs positions sociales et de leur présence dans le secteur de la construction. Après l’établissement du protectorat français en 1881, la physionomie de cette communauté est transformée par l’arrivée de nouveaux éléments, surtout originaires de Sicile et de condition modeste. Cette minorité autrefois privilégiée et proche du pouvoir beylical subit un déclassement. Des quartiers spécifiques apparaissent : Petite Sicile, Petite Calabre ou Venise. Le lien avec la « mère patrie », conservé malgré la distance, permet à la communauté de s’affirmer comme diaspora, avec une conscience nationale dominée par des oppositions sociales et régionales. Après 1945, les Italiens – identifiés collectivement au fascisme – subissent des politiques répressives de la part des autorités françaises et beaucoup quittent le pays. In the middle of the 19th century, Italians participated in the urban expansion of Tunis, thanks to their advantageous social positions and their presence in the building sector. After the French protectorate in 1881, the structure of this community was shaken with the arrival of new elements, most often from Sicily and generally of little means. The political status of this minority was lowered, whereas it had once been privileged and close to the beylical power. Specific neighborhoods appeared: Little Sicily, Little Calabria and Venice. The link with the “mother country” was maintained despite the distance, which enabled the community to identify as a diaspora, with a specific national consciousness dominated by social and regional oppositions. After 1945, Italians – collectively identified with fascists – went through repressive politics led by the French authorities and many left the country. Entrées d’index Mots-clés: migration, diaspora, sicilien, classe ouvrière, colonisation
  • 2. 23/07/2020 Diaspora italienne et identités urbaines à Tunis, xixe-xxie siècle https://journals.openedition.org/diasporas/613 2/21 Keywords: migration, diaspora, sicilian, working class, colonization, France, Italy, Sicily, Tunis, Little Sicily Index géographique: France, Italie, Sicile, Tunis, Petite Sicile Texte intégral Processus d’urbanisation et identité urbaine Au milieu du e siècle, Tunis connaît de profondes mutations sous l’action d’agents endogènes et exogènes. Les transformations liées aux réformes beylicales du milieu du e siècle, celles générées ensuite par la colonisation française, puis par le recouvrement de l’indépendance, font de Tunis une ville double, triple1, voire multiple dans son fonctionnement social et son organisation spatiale. Les populations étrangères associées aux Tunisois ont participé à ces diverses transformations, tant par leur présence que par leurs activités professionnelles et leurs productions culturelles. 1 Les ressortissants de la péninsule italienne, en l’espèce, comptent parmi les acteurs majeurs de ces mutations urbaines. Leur manière d’occuper et d’animer les quartiers, les rues, les immeubles, ou encore les théâtres, les cafés, les écoles, incarne une italianité non seulement exportée, mais aussi réinterprétée en fonction du contexte local et des changements politiques survenus. Ainsi, l’installation du protectorat français en 1881 bouleverse la physionomie de cette communauté urbaine, en entraînant l’arrivée de nouveaux éléments, principalement originaires du sud de l’Italie et socialement défavorisés. On assiste alors à une recomposition du groupe des Italiens et à son déclassement politique par l’arrivée d’une puissance rivale et l’instauration du protectorat. Ces Italiens demeurent toutefois le groupe majoritaire au sein de la population européenne sur les plans démographique, économique et social, et ce, jusque dans les années 1930. Pour une grande part, la ville de Tunis est alors forgée, au sens propre du terme, par ces Italiens, qui dominent le secteur industriel, tout particulièrement les travaux publics et la construction, assurant la majorité des emplois d’ouvriers, de maçons, de façadiers, de ferronniers. Ils sont également entrepreneurs, contremaîtres ou architectes. Après 1945, la situation est totalement bouleversée. Nombre d’Italiens sont chassés, dépossédés de leurs biens par les autorités françaises qui entendent leur faire payer ainsi un quelconque soutien au fascisme. La communauté s’affaiblit de ces expulsions et spoliations. L’indépendance de la Tunisie, les conflits en Algérie et au Moyen-Orient accélèrent le mouvement. Pour les juifs italiens – comme pour l’ensemble de la communauté juive tunisienne –, les départs définitifs s’amplifient lors de la guerre des Six Jours, en raison des actes d’hostilité qu’elle provoque. 2 L’histoire des Italiens de Tunisie est souvent abordée sous l’angle linguistique, culturel2, politique3 ou mémoriel4. Cette contribution aspire pour sa part à montrer comment les Italiens ont marqué l’espace urbain de Tunis, en interrogeant, pour ce faire, le rapport renouvelé que le groupe entretient à la ville sur la longue durée. Peut- on ainsi parler de « marquage italien », et le cas échéant, comment l’identifier à travers la ville ? Quelle échelle spatiale privilégier – celle du quartier, de la rue, de l’immeuble, ou tout cela à la fois ? Quelles formes particulières prend donc cette présence italienne, et quel sens peut-on leur donner ? S’agit-il véritablement de l’expression d’une italianité revendiquée par une diaspora fédérée autour d’une mémoire et d’un projet identitaire ? Comment, enfin, le processus de colonisation a-t-il agi sur l’affirmation de soi du groupe, au demeurant fort disparate, au sein même d’un espace urbain en pleine mutation ? 3 La ville de Tunis porte les marques d’une présence ancienne de populations en provenance de la péninsule italienne. Jusqu’en 1870, ces Italiens sont les représentants des différents États d’Italie (royaumes, principautés et comtés) et interviennent comme 4
  • 3. 23/07/2020 Diaspora italienne et identités urbaines à Tunis, xixe-xxie siècle https://journals.openedition.org/diasporas/613 3/21 Fig. 1 : Plan du quartier européen de Tunis en 1860, la place de la Bourse. D’après Jean Ganiage, cartographie C. Giudice, 1997. intermédiaires entre l’Europe et la Tunisie. De par leur ancienneté en Afrique du Nord, les Italiens ont toujours eu une attache avec cette région. Dès le e siècle, des marins italiens venaient s’installer sur le littoral tunisien pour pêcher le thon, le corail ou les éponges. La plupart d’entre eux ont fini par s’installer à La Goulette ou à Tunis même. À partir du e siècle, les Italiens officialisent leur présence en obtenant des beys des concessions de pêche5 sur les côtes. Le commerce et la pêche du thon sont à cette époque l’apanage de leurs entreprises6. Par ailleurs, il faut rappeler qu’à partir de 1837, sous l’impulsion du Bey Ahmed, il était courant en Tunisie d’imiter les modes et les coutumes européennes. À l’exemple du Premier ministre, tous les hauts dignitaires du palais avaient comme secrétaire, médecin, avocat, cuisinier, personnel de maison, un Italien ou un juif livournais. De 1835 à 1869, trois beys ont eu pour épouse des Italiennes7. La langue de Dante est la deuxième langue pratiquée à la cour mais également dans les échanges commerciaux. Elle est utilisée dans les rapports officiels avec les États étrangers et dans les actes légaux, même au-delà de 1850. 5 Le gouvernement tunisien s’accommode de la présence de cette colonie. Dans l’entourage du pouvoir se développe une élite d’avocats, de médecins, de négociants, qui domine l’ensemble de la communauté européenne. Dans son rapport sur « La Tunisie et l’émigration italienne » en 1903, T. Carletti, consul italien à Tunis, confirme ce constat. La colonie comprend une composante bourgeoise qui participe à la gestion du pays, et des éléments ouvriers et ruraux principalement originaires des régions agricoles du sud de la Botte. La « tête » de la colonie est donc constituée d’une bourgeoisie anciennement installée dans le pays et bien intégrée aux circuits économiques du pays8. 6 Les premières familles italiennes installées à Tunis ont élu domicile dans la Médina, plus précisément dans le quartier franc, au sein de la place de la Bourse et ses rues adjacentes. On les retrouve aussi près des remparts, autour de la porte de la Mer : Bab el Bahr9. Ce quartier est le centre de la vie économique et sociale des Italiens comme de l’ensemble des Européens jusqu’aux réformes beylicales de 1858. À partir de cette date, il devient possible aux non-musulmans d’acquérir des terrains en dehors des remparts et de participer ainsi à l’établissement de l’embryon de la future ville européenne. 7 Entre 1837 et 1860, la place de la Bourse concentre les lieux de résidence et les espaces économiques des principaux agents de la présence italienne. Une épine dorsale se forme le long des rues de la Kasbah et de l’Église, coupées par les rues de la Commission et de l’Ancienne Douane où se concentrent les échoppes italiennes. Au 8
  • 4. 23/07/2020 Diaspora italienne et identités urbaines à Tunis, xixe-xxie siècle https://journals.openedition.org/diasporas/613 4/21 Entrez par la porte Espagnole, partout des inscriptions italiennes, une gare italienne, une compagnie de bateaux italienne, un théâtre italien, et que vous entriez chez le pharmacien, le bijoutier ou le dentiste, partout de l’italien rien que de l’italien14. centre se trouve l’église Sainte-Croix, principalement fréquentée par les Italiens et les Maltais. En dehors des remparts, le long de la rue des Maltais, de la rue des Glacières, de la place Halfaouine et autour de la kasbah, apparaît une véritable zone intermédiaire mêlant Européens, Italiens, Maltais et Tunisois10. Les transactions s’y font en arabe, en italien, en hébreu ; signe manifeste des porosités interethniques, mais aussi cosmopolitisme par défaut. En effet, les dignitaires italiens se distinguent des étrangers par leur position privilégiée et les liens particuliers qu’ils entretiennent avec les différents princes et cercles du pouvoir beylical. Cette position politique et économique se traduit par un marquage du paysage urbain des abords de la médina. Ainsi, les demeures qu’ils investissent présentent un ou deux étages ainsi que des ouvertures et une décoration sur la rue. Ce style tranche radicalement avec les traditionnelles demeures à patio de la notabilité tunisoise, généralement sobres à l’extérieur et luxueuses à l’intérieur. Celles des négociants sardes ou génois s’imposent par leurs ouvertures, leurs balcons et leurs ferronneries finement travaillées, ainsi que par la couleur ocre des pierres utilisées. Cette marque architecturale frappe les visiteurs qui décrivent ce quartier comme celui, exclusivement, des Italiens11. Les observateurs de l’époque sont impressionnés par le style ostentatoire des demeures que se font construire les riches commerçants italiens. L’une des plus remarquables d’entre elles, sur la place de la Bourse, appartient au comte Raffo, sujet du royaume de Sardaigne, qui a occupé jusqu’en 1860 le poste de ministre des Affaires étrangères auprès du bey Hussein et de ses successeurs. La famille Raffo a obtenu du bey une concession de pêche, « la thonaire de Sidi Daoud » au Cap Bon, qui lui a permis de constituer une partie de sa fortune12. 9 Un deuxième bâtiment apparaît régulièrement dans les descriptions des voyageurs, il s’agit du palais Gnecco, propriété d’une riche famille de négociants génois dont la fortune s’est consolidée par les liens étroits entretenus avec les milieux politiques locaux. Ce palais est une vaste demeure dominant la place de la Bourse et présentée comme un bel exemple de l’architecture italienne de Tunis. Empierrée sans ciment, c’est-à-dire « à la sicilienne », cette habitation s’impose dans le paysage comme la marque la plus ostentatoire de la présence des négociants italiens de la fin du e siècle. La réussite économique de cette famille durant la première moitié du e siècle lui permet d’investir dans la future ville européenne par l’achat de vastes terrains. Sur l’un d’eux, près du port, une des filles Gnecco, mariée à un agent consulaire italien, constitue une propriété où une grande partie des ouvriers siciliens de la ville s’établissent à partir de 188013 : 10 À ces Italiens, qui n’existent en tant que tels qu’à partir de l’unité politique du pays en 1870, il faut ajouter la présence de juifs, appelé les Grana ou les Livournais. Rattachés au duché de Toscane jusqu’à l’unification de l’Italie, ces ressortissant italiens sont initialement installés dans la Hâra, le quartier réservé aux juifs et la rue qui porte leur nom (suq el Grana). L’application des réformes beylicales de 1858 permet aux juifs de sortir de la Hâra, d’investir le quartier franc et les quartiers de la ville européenne. Ils se distinguent du reste de la communauté juive, les Touansa15, par leur implantation dans la ville coloniale et leur rapprochement avec les Européens. La plupart abandonnent l’habit traditionnel pour le costume trois-pièces, et privilégient l’italien et le français à l’usage de la langue arabe. 11 Dans la mentalité des citadins de l’époque, une hiérarchie très précise structure cette société urbaine : l’habitant de la médina est considéré comme supérieur à celui des deux faubourgs Bab Souika et Bab Djezira. La proximité avec les centres politiques, économiques et religieux en fait un Beldi, « un Tunisois de souche ». Les deux faubourgs représentent un passage obligé pour les musulmans allogènes, les populations de condition modeste et les néo-citadins avant d’intégrer, dans le meilleur des cas, la bonne citadinité de la Médina el Arbi. Le faubourg nord apparaît plus aisé que le faubourg sud. Ce dernier, davantage lié au monde rural, accueille les populations 12
  • 5. 23/07/2020 Diaspora italienne et identités urbaines à Tunis, xixe-xxie siècle https://journals.openedition.org/diasporas/613 5/21 Fig. 2 : Répartition des établissements scolaires italiens à Tunis vers 1900. pauvres issues de l’exode rural. Le protectorat bouleverse cette hiérarchie par l’ajout d’un nouvel urbanisme mais en reprend la logique de répartition. Dans la ville européenne, les espaces résidentiels et les quartiers aisés sont situés au nord de la ville. Les entrepôts, les minoteries, les activités industrielles et les populations pauvres se regroupent dans la partie sud de la ville coloniale, respectant ainsi la logique initiale. À partir de 1881, les Italiens se fondent dans cette répartition. Leur implantation est déterminée par leur origine sociale et leur activité professionnelle, plutôt que par leur appartenance religieuse ou nationale. Si durant plusieurs décennies la vie citadine est restée cantonnée dans la médina et ses faubourgs, l’augmentation numérique de la population italienne et européenne entraîne l’essor de nouveaux quartiers en direction du port et de l’avenue de la Marine. « Un ensemble tout à fait européen sort de terre au- delà de la porte de la Mer16 », encadré par une puissance protectrice qui marque le paysage de sa prépondérance par une architecture classique représentant le style du « vainqueur ». Les bâtiments officiels de l’administration coloniale, les commerces et les habitations s’inscrivent dans cette tendance. En 1900, le caractère italien est dilué dans l’extension de la ville, les enseignes en italien sont accompagnées d’autres en français ; la gare italienne située derrière la cathédrale est devenue la propriété d’une compagnie de chemins de fer française, la centralité de la ville s’est déplacée autour du siège de la résidence générale et de la cathédrale construite à la demande du cardinal Lavigerie. Néanmoins, quelques marqueurs persistent à confirmer la présence d’une communauté italienne dominée par l’élément prolétaire. 13 Les éléments les plus aisés de cette communauté entrent en résistance face à la puissance dominante par la création d’écoles et d’associations de bienfaisance. L’objectif est de susciter un sentiment d’unité nationale au sein d’un groupe divers, de diffuser la langue et la culture italiennes auprès d’une population dont l’unité linguistique est à construire. Ces établissements sont situés à proximité de la médina, dans les faubourgs sud et nord, non loin des quartiers investis par les Italiens au début du e siècle. Ils sont fondés à l’initiative de notables, issus des familles installées depuis des décennies en Tunisie. Cette élite économique et intellectuelle est le « fer de lance » d’une italianité exportée, animée par la crainte de voir son statut de privilégié disparaître. D’autre part, il s’agit également de lutter contre la francisation des Siciliens pauvres, peu éduqués, oubliés et souvent méprisés par les artisans de l’unité italienne. Des souscriptions sont donc organisées pour en obtenir l’ouverture, relayées à Rome par le soutien des consuls. Le gouvernement italien répond généralement favorablement à ces demandes, il ne peut se permettre de perdre le soutien de ces expatriés, très influents dans les milieux d’affaires et au Parlement à Rome. Les conditions inscrites dans la convention franco-italienne de 1896 figent toutefois cette œuvre scolaire en proscrivant la création de nouvelles écoles et en interdisant l’extension des fondations existantes, ce qui génère une situation inextricable. L’excédent d’élèves italiens est alors dirigé vers les établissements gérés par la France17. 14
  • 6. 23/07/2020 Diaspora italienne et identités urbaines à Tunis, xixe-xxie siècle https://journals.openedition.org/diasporas/613 6/21 Cartographie C. Giudice, 1997. Après l’avenue de Carthage, sur la droite de l’avenue Jules-Ferry, terminus du tram électrique de Carthage par La Goulette. Non loin de la station de tram de La Goulette, également sur la droite de l’avenue, on remarquera le théâtre de l’avenue. Puis à mesure qu’on avance, les constructions qui bordent l’avenue diminuent peu à peu d’ampleur : certaines ne sont que de simples baraquements. Ces abris sommaires sont surtout nombreux à droite dans le quartier pauvre de la Petite Sicile, ainsi nommé du pays d’origine de ses habitants18. La demande de main-d’œuvre, amplifiée par la multiplication des chantiers initiés par le protectorat pour exploiter le pays, accentue l’afflux régulier d’Italiens. C’est une nouvelle société italienne qui voit le jour, se développe et bouleverse les projets coloniaux comme ceux des notabilités installées dans ce pays. Des Siciliens ou des Sardes fuient une Italie politiquement unie mais économiquement déprimée. Leur rapport au sentiment national est difficile dès lors qu’ils se disent avant tout siciliens ou sardes. Le développement de la composante ouvrière au sein de la population de nationalité italienne provoque le changement de statut d’une minorité privilégiée sous les beys à une communauté majoritaire mais aux droits minorés sous le protectorat. L’affirmation d’un prolétariat composé en grande majorité d’Italiens et pour une autre partie d’éléments autochtones permet l’émergence d’une contestation à la fois du colonialisme, du capitalisme et de la bourgeoisie. Les luttes ouvrières convergent pour se liguer contre le pouvoir colonial. Il est difficile par ailleurs de parler d’une union de l’ensemble des travailleurs tant les clivages entre populations européennes et populations locales persistent. La puissance coloniale pratique, par exemple, une politique de ségrégation salariale fondée sur les nationalités et les statuts personnels. La série de grèves des traminots révèle cette inégalité mais également le manque d’unité des employés face à la politique coloniale. 15 Ainsi, des quartiers italiens se développent au sein de la ville coloniale, respectant les logiques précoloniales de l’organisation urbaine. Au sud de la ville, sur des terrains longtemps déconsidérés, jugés comme insalubres par les notabilités citadines, les Siciliens et Sardes de basse condition s’établissent et espèrent profiter de l’aubaine coloniale comme un ascenseur social. Autour du port se forme la Petite Sicile, un quartier populaire dont la dénomination est indiquée sur les cartes urbaines à partir des années 1930, et dont une première description est donnée en 1924 dans le Guide bleu : 16 L’histoire de ce quartier met en relation deux des composantes les plus extrêmes de la société italienne de Tunisie : à savoir, d’une part, une riche descendante d’une famille de notables, et de l’autre, une masse d’ouvriers fuyant la misère. L’histoire de ce quartier se confond, en effet, avec celle de Carlotta Fasciotti, la fille de Paolo Gnecco, 17
  • 7. 23/07/2020 Diaspora italienne et identités urbaines à Tunis, xixe-xxie siècle https://journals.openedition.org/diasporas/613 7/21 Fig. 3 : Plan de Tunis en 1929, les quartiers du port et la Petite Sicile. Guide bleu, Hachette, 1930. mariée au consul d’Italie Carlo Fasciotti. Grâce aux relations de son père et de son mari, et aux largesses du bey19, elle réussit à constituer une vaste propriété de près de quinze hectares. Il s’agit en réalité d’un espace insalubre, dont les égouts à ciel ouvert (les Kandaq) rappellent qu’à l’origine cette propriété était un espace de marais recueillant les eaux usées de la ville. Pour le rendre salubre, Carlotta Fasciotti achète de pleines charrettes de gravats venant du chantier du creusement du port afin de combler son terrain. Dans l’attente d’éventuels acquéreurs, elle autorise sur son domaine la construction de petites maisons basses, en échange d’un loyer modique. Ces logements ne doivent pas posséder d’étage et doivent être détruits après l’expiration du bail. Ainsi des centaines de maisonnettes d’une pièce ou deux recouvrent, en quelques années, la partie basse de l’avenue Jules-Ferry (actuelle avenue Bourguiba) entre 1865 et 1900. En 1893, l’installation du port dans cette partie de la ville accentue ce phénomène d’occupation du sol qui par endroits s’apparente à une urbanisation informelle. Certaines familles se placent résolument dans une position de dépendance vis-à-vis de la propriétaire. Des centaines d’ouvriers, principalement siciliens, s’installent à proximité des entrepôts et des ateliers, d’où l’appellation de « Petite Sicile » attribuée à ce quartier. Les héritiers vendent, année après année, des lots de terres aux investisseurs qui veulent rentabiliser la proximité du port. Le rythme des ventes de parcelles s’accélère le long des avenues Jules-Ferry et Carthage. Les immeubles de quatre à cinq étages s’érigent, des activités de commerce, de loisirs et d’hôtellerie se développent. Les entrepreneurs et maçons italiens sont « aux premières loges » pour offrir leurs services aux propriétaires et architectes. 18 Ce quartier connaît une mauvaise réputation, accentuée par les odeurs fétides durant les périodes estivales, l’implantation d’activités peu nobles, mais encore par la présence d’une population sicilienne de condition modeste, populeuse, ouvrière et par conséquent jugée peu fréquentable et dangereuse. 19 À partir des années 1920, la Petite Sicile est convoitée par les autorités du protectorat, les industriels, les agents immobiliers et investisseurs, qui voient dans cet espace l’opportunité de spéculer sur des terrains bien situés dans la ville coloniale. En effet, la Petite Sicile est entourée de deux axes qui structurent le quadrillage du plan de Tunis. L’avenue de Carthage à l’est et l’avenue de la Marine, rebaptisée avenue Jules- 20
  • 8. 23/07/2020 Diaspora italienne et identités urbaines à Tunis, xixe-xxie siècle https://journals.openedition.org/diasporas/613 8/21 Fig. 4 : Théâtre Politeana Rossini en 1900, carte postale. Ferry, représentent les vitrines de la citadinité européenne. Le quartier change de physionomie, les parcelles les plus proches des deux avenues principales connaissent une élévation de leur bâti. L’implantation du théâtre municipal, de l’hôtel de la Municipalité en 1900, donne au quartier une vocation plus officielle et plus française. Par ailleurs, en réponse à ce déploiement d’édifices représentant la présence française, plusieurs investisseurs italiens souhaitent marquer le territoire de leur place prépondérante et exprimer le génie italien en matière d’architecture. En 1901, huit personnalités de la communauté italienne se lancent dans la construction du théâtre Rossini. Ce projet est animé par la volonté de réaliser un édifice « Politeana à usage de théâtre et de cirque et de maisons de rapport20 », à proximité de la Petite Sicile, le long de la principale artère de la ville. L’objectif est de rivaliser avec le théâtre municipal, inauguré en 1900 à quelques dizaines de mètres du futur théâtre italien, et œuvre de l’architecte Jean-Émile Resplandy, maître d’œuvre de l’Art nouveau en Tunisie. Parmi les huit actionnaires de cette opération immobilière, nous trouvons cinq entrepreneurs de travaux publics, un architecte ayant travaillé en Italie et un agent immobilier. Ce théâtre se veut être le lieu du rayonnement culturel italien, relayé dans le quartier par la construction du siège de la Dante Alighieri (institution de promotion de la langue italienne) et de l’église Saint-Joseph, il est confié à l’architecte Radicioni. Dans les années 1930, Florestano Di Fausto, l’architecte officiel de l’état fasciste pour les bâtiments diplomatiques à l’étranger, réalise le consulat d’Italie, dont l’imposante façade de style fasciste est orientée vers le sud, la gare et la Petite Sicile. Il achève l’implantation officielle des Italiens dans la partie du sud de la ville et s’apparente à un appel aux ouvriers à ne pas s’écarter de la mère patrie.
  • 9. 23/07/2020 Diaspora italienne et identités urbaines à Tunis, xixe-xxie siècle https://journals.openedition.org/diasporas/613 9/21 Le développement de la ville en direction du port réduit les terrains vacants pour les catégories sociales les plus démunies. Dans l’entre-deux-guerres, l’explosion démographique, l’arrivée de nouveaux travailleurs de Sicile, l’exode rural des campagnes tunisiennes poussent à investir de nouveaux espaces à l’ouest et au nord. Les habitations spontanées se greffent à celles déjà existantes. Les Italiens se regroupent et constituent dans ce secteur une « Petite Calabre » ou une « Petite Venise » le long des rives du lac. Les mêmes procédés d’occupation de l’espace sont reconduits : quelques propriétaires visionnaires louent dans un premier temps des terrains à viabiliser, puis vendent parcelle après parcelle à ceux qui peuvent devenir propriétaires. Des terrains marécageux sont de nouveau comblés et aménagés. On permet la construction de petites maisons d’une ou deux pièces en échange d’un loyer modeste en attendant mieux et notamment une urbanisation contrôlée et encouragée par la municipalité. Les plus fortunés réussissent à y construire un étage pour transformer la modeste maison en villa de rapport, l’étage servant de complément de revenus pour le propriétaire installé au rez-de-chaussée. On retrouve ici la volonté de marquer sa présence dans le quartier, de s’affirmer par rapport aux voisins en montrant sa réussite sociale à travers le bâti. Cette pratique urbaine n’est pas propre aux seuls Italiens, l’ensemble des Tunisois s’inscrivent dans cette tendance de monstration sociale. 21
  • 10. 23/07/2020 Diaspora italienne et identités urbaines à Tunis, xixe-xxie siècle https://journals.openedition.org/diasporas/613 10/21 La presse coloniale présente les Siciliens comme d’excellents ouvriers, manœuvres consciencieux et courageux ne reculant pas devant la besogne, sobres et économisant afin de devenir eux-mêmes propriétaires. En 1902, on dénombre 101 Italiens propriétaires d’un immeuble à Tunis ; de 1902 à 1912, ils sont à l’origine de la construction de 1 213 immeubles21. 22 Cette remarque s’inscrit dans la prise de possession de certains quartiers vierges au début du e siècle et qui deviennent rapidement des espaces de promotion pour ceux qui les habitent. La mobilité des habitants dans la ville est proportionnelle à l’ascension sociale. Habiter dans la Petite Sicile est, pour un ouvrier, l’espoir de pouvoir posséder un jour un logement en dur. La phase suivante de promotion sociale mène de préférence rue de Marseille ou rue de Londres, dans un appartement d’un plus haut standing. Pour les juifs livournais ou toscans, une telle ascension se traduit par le départ de la médina et de la Hâra. Les juifs livournais investissent l’avenue de Paris, l’avenue de Londres ou la rue Lafayette. Cette nouvelle localisation dans la ville entraîne un changement, l’abandon des vêtements traditionnels pour les costumes trois-pièces européen et italien. L’élite musulmane subit pour sa part un cinglant déclin sous le protectorat, à l’inverse des juifs livournais qui voient dans la colonisation une opportunité de s’émanciper, de se distinguer des Touansa, des musulmans, et de se rapprocher du modèle européen. 23 Les artisans et ouvriers de la Petite Sicile, quant à eux, peuvent bâtir une maison sur le schéma de maison colonica, habitation traditionnelle des campagnes de Sicile22, en y ajoutant des éléments de l’architecture locale : une cour centrale ou patio distribuant la cuisine et la chambre à coucher. La réussite sociale entraîne pour les éléments les plus aisés un déplacement en direction du nord de la ville. On espère investir des quartiers plus chics, comme celui de la place Jeanne d’Arc, le Belvédère ou le lotissement de Mutuelleville. Pour le fonctionnaire, le petit commerçant ou l’ouvrier de nationalité française, la promotion s’effectue par l’obtention d’un logement dans une des cités HBM23 construites dans la périphérie de la ville. C’est l’image du petit pavillon de banlieue qui s’impose ici comme la réussite sociale. Quant aux notables tunisois, le changement de domicile signifie non pas un changement de statut mais plutôt de mode de vie. Le beldi abandonne les vieux palais de la médina au profit de grandes villas dotées du confort moderne dans la banlieue nord, souvent à proximité des palais beylicaux. Cette démarche de rechercher à proximité de Tunis, à La Marsa, Carthage ou Sidi Bou Saïd, de nouveaux lieux de résidence laisse apparaître une volonté d’acquérir une maison à l’européenne. La villa devient le modèle d’habitation qu’il faut réaliser pour atteindre la reconnaissance sociale Les plus fortunées des familles livournaises acquièrent des terrains à La Marsa, Hammam Lif ou Carthage pour y bâtir des villas avec « le confort moderne ». On y installe l’électricité, le téléphone, le garage pour la voiture, le chauffage central et la salle de bains avec baignoire et faïence. Les fonctionnaires et les employés municipaux sont également présents à La Fayette. C’est dans ce quartier que le mythe de la cohabitation s’est construit et s’est exprimé dans une série d’ouvrages mémoriaux et souvent nostalgiques24. Les récits sur les jeux d’enfants et de rues alimentent ce mythe. Le quartier Lafayette possède son identité, les enfants se regroupent par rue, s’opposent aux groupes des autres rues. La rue devient un territoire dans lequel on s’identifie, des coalitions peuvent s’effectuer contre des ressortissants de rues ou de quartiers plus lointains. « Des rivalités nous opposaient, mais l’unité revenait lorsque d’autres bandes venaient de la rue Desaix ou des quartiers italiens de l’avenue Garros et de la Petite Calabre25. » 24 Les catégories sociales supérieures, cadres et autres riches possédants, résident dans les villas de la place Jeanne d’Arc26. Plus on s’éloigne de la médina et de l’avenue Bourguiba et plus on s’élève dans la hiérarchie sociale de la ville. 25 Pour les classes modestes, la création des sociétés d’HBM à partir de la Première Guerre mondiale a représenté une autre possibilité de se hisser dans l’échelle sociale. Les cités HBM de la banlieue sud à Dubosville, La Cagna ou la cité Lescure accueillent des ouvriers qui ont réussi à capitaliser pour s’offrir une petite maison, à l’image des ouvriers français. Certains ouvriers italiens parviennent à acquérir leur maison et peuvent s’intégrer dans cette société coloniale. La question de la nationalité apparaît clairement comme un élément de distinction et de ségrégation. La distinction est 26
  • 11. 23/07/2020 Diaspora italienne et identités urbaines à Tunis, xixe-xxie siècle https://journals.openedition.org/diasporas/613 11/21 Fig. 5 : Immeuble de la Petite Sicile. Cliché C. Giudice, 2002. marquée tout d’abord par les salaires. L’ouvrier français est mieux rémunéré que l’ouvrier italien, qui lui-même l’est davantage que l’ouvrier tunisien. En 1919, le salaire d’un traminot français est de 7 francs, il est de 5,95 pour un Italien et de 4,50 pour un Tunisien. Lors des grèves de 1919, le syndicat des transports intègre cette inégalité dans sa liste de revendications. Une prime de cherté de la vie est réclamée, elle est évaluée à 4,50 francs pour les Français, 3,90 pour les Italiens et à 3 francs pour les Tunisiens27. Certains emplois sont réservés aux seuls ressortissants français, comme à l’arsenal de Bizerte. Dans le monde du bâtiment, secteur où les Italiens sont omniprésents, seuls les architectes français peuvent participer à la réalisation des édifices relevant des autorités publiques. Ainsi l’acquisition de la nationalité française pour les couches les plus modestes apparaît comme l’assurance d’une vie meilleure, d’un avenir plus radieux. La ville coloniale est une cité ségrégative qui divise la société en groupes sociaux, ethniques et religieux. Il n’existe pas de quartiers réservés ou interdits, mais une multitude d’espaces dans lesquels des populations économiquement similaires se regroupent. La structure interne des immeubles de la ville coloniale relève encore cette réalité avec quelques immeubles de type haussmannien sur les avenues Jules-Ferry, de Paris, de Marseille ou de Carthage. La logique haussmannienne de regrouper verticalement toute la société urbaine est difficilement perceptible à Tunis. C’est une autre logique qui organise l’agencement interne des logements. Les appartements sont sensiblement de nature équivalente, les étages nobles affublés de chambres de bonne dans les étages supérieurs sont très rares à Tunis. Dans la Petite Sicile, les immeubles de deux ou trois étages qui accompagnent la densification du quartier offrent des logements de deux ou trois pièces, dans l’ensemble équipés d’une salle de bains et de toilettes. La législation municipale interdisant le séchage du linge aux fenêtres, elle oblige les architectes à prévoir des espaces de séchage par des terrasses ou des cours intérieures protégées des regards extérieurs. 27 Deux immeubles présentent ces caractéristiques dans la Petite Sicile. Il s’agit de deux immeubles-îlots réalisés dans un style Art nouveau, situés derrière l’hôtel de ville de Jean Resplandy. Ils illustrent le regain d’attractivité du quartier initié par la construction de l’hôtel de ville28 et sont des interprétations italianisantes de l’Art nouveau par l’utilisation d’une décoration chargée d’éléments floraux, de chérubins et de ferronneries. C’est également une réinterprétation de l’oukala, la maison collective populaire des villes arabo-musulmanes. Ces deux immeubles sont une synthèse des influences locales et importées en matière d’architecture29. 28
  • 12. 23/07/2020 Diaspora italienne et identités urbaines à Tunis, xixe-xxie siècle https://journals.openedition.org/diasporas/613 12/21 L’occupation de la rue Dans le Tunis du début du e siècle, une multitude de populations aux origines diverses coexistent. Les clivages préexistants de la société tunisoise ont été amplifiés par l’introduction de la ségrégation coloniale. Le régime du protectorat a été défini comme un régime économe qui devait exploiter à moindres frais. Tunis n’est certes pas Casablanca, ni Alger, mais elle est le produit de ce que voulaient les aménageurs coloniaux. La Tunisie a été dirigée par des résidents généraux et gérée comme on gère « un placement de bon père de famille30 », modeste, mais qui devait rapporter. 29 Par certains aspects, la ville semble s’être construite toute seule. C’est en cela qu’elle est originale car l’autorité coloniale n’a pas aménagé ou planifié la croissance de la ville comme elle l’a fait dans les autres grandes villes du Maghreb colonial français. Certes, le quadrillage est l’œuvre d’une action planificatrice, mais l’étude fine, à grande échelle, démontre que la ville est essentiellement marquée par des initiatives individuelles qui se sont inscrites dans les objectifs généraux de l’œuvre colonisatrice encadrée par la législation sur la propriété et le bâti. Propriétaires et architectes bâtissent villas et immeubles au sein d’un maillage régulier, viabilisé au gré des constructions, et répondent aux attentes des commanditaires. La parcellisation des terrains à bâtir s’intensifie à partir des années 1920 et les grands propriétaires, pour des raisons fiscales sur lesquelles il n’est pas nécessaire de s’étendre, vendent parcelle après 30
  • 13. 23/07/2020 Diaspora italienne et identités urbaines à Tunis, xixe-xxie siècle https://journals.openedition.org/diasporas/613 13/21 Fig. 6 : « Plans de maisons modestes reproduites dans la Petite Sicile », d’après Charles Geniaux, Comment on devient colon, Paris, éditions Charpentier, 1908, p. 108 et 110. parcelle, fournissant l’occasion d’acquérir un bien à ceux qui ont quitté leur Sicile natale, non pas pour faire fortune mais pour acquérir une respectabilité sociale en devenant propriétaires. L’implantation des Italiens dans la ville est donc tributaire, d’une part, du rapport entretenu avec les pouvoirs politiques et économiques, et d’autre part, de la position occupée au sein de la société tunisoise. Il faut ajouter à ces logiques les évolutions liées à l’imposition du protectorat, aux bouleversements des rapports avec les différents pouvoirs politiques, à l’affirmation de nouveaux interlocuteurs économiques, d’un nouveau rapport à la centralité urbaine et à l’espace habité. La médina demeure le centre de la vie tunisoise jusque dans les années 1920. Elle est supplantée par la ville européenne qui offre des espaces à bâtir et permet de répondre aux nouvelles attentes des habitants. Le marquage de l’espace urbain par les Italiens s’établit dans un premier temps, comme on l’a vu, par les notables et possédants qui construisent palais et vastes demeures à la hauteur de leurs réussite sociale et rang dans la hiérarchie urbaine ; dans un second temps, par la réalisation d’ouvrages destinés à l’ensemble de la communauté italienne, en lien avec l’unification nationale et la nécessité de créer une italianité « de résistance » face à la puissance coloniale française. Le point culminant de ce mouvement visant à exprimer cette italianité dans l’espace urbain se situe dans les années 1930, sous le régime fasciste. À cette époque, le nombre d’Italiens est numériquement en baisse par le jeu des naturalisations automatiques. 31 Le lien avec la « mère patrie » n’étant pas totalement rompu, ces fidèles du régime fasciste représentent une diaspora soutenue par Rome et importent les débats qui traversent et déchirent la société italienne de l’entre-deux-guerres, provoquant heurts et hostilités. Tunis devient alors le théâtre d’affrontements entre fascistes et antifascistes. Dès 1923, la propagande mussolinienne insiste pour revendiquer la Tunisie comme italienne. Elle s’appuie sur l’importance de la communauté, la proximité et l’ancienneté de sa présence. L’objectif est également de raviver le sentiment de victoire mutilée après la Première Guerre mondiale au sein de ces Italiens « d’outre-mer ». 32 La ferveur religieuse marque également les quartiers italiens. La procession de la Vierge Marie est l’occasion de se retrouver et de former une démonstration de force. Dans toutes les « Petites Siciles », d’importants cortèges se forment autour d’une représentation de la Vierge, la Madone de Trapani. C’est à La Goulette, la cité portuaire située à quelques kilomètres de Tunis, que l’on célèbre l’Assomption le 15 août. 33
  • 14. 23/07/2020 Diaspora italienne et identités urbaines à Tunis, xixe-xxie siècle https://journals.openedition.org/diasporas/613 14/21
  • 15. 23/07/2020 Diaspora italienne et identités urbaines à Tunis, xixe-xxie siècle https://journals.openedition.org/diasporas/613 15/21 La rue n’est pas seulement marquée par ces manifestations de foi. Elle révèle également les tensions, les oppositions qui scindent la société urbaine italienne. La communauté italienne n’hésite pas à investir largement la rue via diverses associations telles que les anciens combattants, la société gymnique de Tunis, l’organisation des « Juvenis de Carthagenis » ou encore le consulat même. Les commerces et les rues pavoisent aux couleurs de l’Italie. La chaussée est occupée pour fêter l’unité de l’Italie, l’anniversaire du roi le 11 novembre, l’occupation de l’Éthiopie ou encore la traversée par Bruno Mussolini de l’Atlantique sud à la tête de trois bombardiers31. Les rassemblements ont lieu devant le consulat, près de la gare de chemin de fer. Le cortège emprunte la rue de Rome, l’avenue Roustan, l’avenue de Paris et de Lyon, pour se rendre au cimetière de Bab el Khadra afin d’y déposer une gerbe sur le monument aux morts. 34 Durant l’entre-deux guerres, l’opposition entre Français et Italiens est complexifiée par la division de la communauté à propos de l’italianité et du soutien à la politique du régime fasciste. Les antifascistes rejoignent les francs-maçons, les anarchistes, les socialistes, qui organisent une résistance à la dictature de Mussolini par la création de la Ligue des droits de l’homme, de journaux tels que la Voce Nuova, ou L’Italiano di Tunisi. Tunis devient le deuxième centre de l’opposition fasciste après Paris, par le nombre, la vigueur de ses membres et la proximité des deux camps. 35 L’inauguration en 1926 du nouveau siège de la Dante Alighieri dans la Petite Sicile est l’objet d’une attention toute particulière de la part du résident général qui n’hésite pas à prononcer un discours dans lequel il rappelle la mission de la France en Tunisie et met en garde la communauté italienne contre d’éventuelles tentatives d’utiliser les nouveaux locaux comme outil de propagande pour le régime fasciste. Cette période est très tendue, les anciens combattants italiens se déchirent. Les cortèges se divisent, les itinéraires diffèrent. Les chants se heurtent : à « Giovinezza, giovinezza » et « viva il Re » s’opposent les chœurs antifascistes scandant L’Internationale. Durant une dizaine d’années, Tunis devient ainsi le cadre d’un affrontement à ciel ouvert entre Italiens et se mue en un haut-lieu de l’expression de l’antifascisme, qui s’ajoute aux tensions italo- françaises. 36 Quartiers de toutes les peurs et de toutes les attentions, la Petite Sicile appartient véritablement à la genèse de la ville, à la formation de son identité, même si les autorités ont éprouvé des difficultés à maîtriser cet espace. Les autorités françaises surveillent de près les Italiens, plus encore durant la période fasciste. Des rapports 37
  • 16. 23/07/2020 Diaspora italienne et identités urbaines à Tunis, xixe-xxie siècle https://journals.openedition.org/diasporas/613 16/21 Fig. 7 : L’implantation des intérêts italiens à Tunis en 1930. Cartographie C. Giudice, 2001. précis décrivent l’ambiance, les propos, les jeux et les coutumes des habitués des tavernes et autres dopolavoro32. Il y a une dizaine d’établissements de ce type à Tunis en 1936 : deux sont implantés dans la Petite Sicile – le premier local est situé 1 rue de Serbie (actuelle rue de Yougoslavie), le second rue Jean-Levacher (actuelle Ahmed Tlili). Le plus important de la ville est situé non loin de l’ambassade d’Italie, rue Al Djazira. Il est si vaste qu’il dispose d’une salle de spectacle. Les différents rapports de police les décrivent comme pavoisant aux couleurs italiennes, les dimanches et les jours de commémoration ou de fêtes. Les activités de ces cercles fascistes sont multiples, du jeu de boules aux programmes radio en passant par les excursions sportives. Lors des discours du Duce, les salles se remplissent d’Italiens ne disposant pas de TSF ; le soir, on se regroupe autour de lectures collectives de la presse italienne de Tunisie. Le dopolavoro se substitue en Italie aux cercles récréatifs des ouvriers organisés auparavant par les syndicats ou les organisations paroissiales. En Tunisie, il s’agit de gagner la sympathie de la population mais aussi de lutter contre des associations antifascistes qui ont le soutien de la gauche française et de la franc-maçonnerie. À Tunis, le dopolavoro est également un débit de boisson dont l’accès est contrôlé. Le règlement intérieur n’accepte que les ouvriers de nationalité italienne, de conduite irréprochable et âgés de 15 à 45 ans. Le problème est assez épineux lorsque certains d’entre eux, pour des raisons économiques, employés dans des entreprises françaises, ont opté pour la nationalité du frère ennemi. Les quolibets fusent, les railleries se multiplient, on manie volontiers le couteau pour avoir été appelé « la carne vendutta », la « viande vendue ». L’appréciation de ces nouveaux Français est aussi délicate de l’autre côté, où, malgré leur nouvelle nationalité, ils restent des « Macaroni », ou des « Français de vingt centimes33 ». La buvette fonctionne surtout l’été. On y consomme pour un prix modique limonades, bières, anisette et quinine. On peut se divertir en jouant aux dames, aux échecs ou au billard russe mais les jeux de cartes sont interdits. Ces règles internes aux locaux fascistes sont gérées par le président de l’ensemble, Armando Rosso. Une revue illustrée, Gli Italiani di Tunisi del dopolovaro34, est même distribuée à l’intérieur de ces locaux afin d’éduquer l’ouvrier, de lui apprendre l’ordre et le respect du chef, des valeurs du régime d’Il Duce. 38 Une multitude de manifestations sont organisées, avec des concerts, pièces de théâtre, expositions, galas et fêtes de fin d’année. La Société italienne de bienfaisance y organise ses galas annuels et la Dante Alighieri des conférences. Les différents comités d’organisation prennent soin d’inviter toute la société mondaine et influente de Tunis, 39
  • 17. 23/07/2020 Diaspora italienne et identités urbaines à Tunis, xixe-xxie siècle https://journals.openedition.org/diasporas/613 17/21 Conclusion le consul d’Italie, sans oublier le Résident général35. Durant l’entre-deux-guerres, ce théâtre est l’objet de convoitises et représente une scène idéale de propagande du régime fasciste. On organise des conférences ou des projections de films, les murs se couvrent de slogans fascistes : « Avanti Savoia, Tunisia Nostra ». Le 14 janvier 1923, l’idéologue Stéfano Schiaccaluga captive la salle deux heures durant sur les modalités de la montée du fascisme. Quelques mois plus tard, la projection du film « A Noï (À nous !) » est plus problématique. Plusieurs affiches du film sont placardées et présentent un fasciste portant une chemise noire, coiffé d’une chéchia de la même couleur et armé d’un gourdin, protégeant l’Italie. Plusieurs antifascistes se procurent des places et préparent une action de sabotage. Devant le risque de heurts, le Résident général reporte la projection. Malgré cette précaution, des bagarres éclatent : 300 à 400 Italiens s’étripent au nom de la défense de leur Italie. À l’issue de ces heurts, le Résident général impose l’interdiction du port de l’uniforme de l’armée italienne et de la chemise noire sur l’ensemble du territoire. La police obtient le droit d’interpeller tout individu avec une telle tenue vestimentaire36. À la fin de l’année 1923, le théâtre Rossini est racheté par une entreprise d’ameublement, les établissements Boyoud37. La communauté perd un espace d’affirmation de son italianité, les xénophobes et antifascistes s’en réjouissent. La Seconde Guerre mondiale révèle ces frustrations et oppositions qui se traduisent par l’investissement de la rue comme cadre d’expression. Lors des moments de crises et de difficultés, les rancœurs ressurgissent régulièrement, laissant apparaître les contradictions du vivre ensemble en terre de colonisation. Pendant l’occupation de la Tunisie par les troupes de l’Axe, plusieurs défilés de prisonniers de guerre (français, anglais) sont accueillis dans la Petite Sicile, dans la rue du Portugal (rue Ferhat Hached), par les crachats et les sifflets d’Italiens haineux et fanatiques38. Les constructions du quartier du port sont alors gravement touchées par les bombardements américains. Tous les soirs, cette partie de la ville était la cible des forteresses volantes alliées. Plusieurs dizaines de bicoques de la Petite Sicile sont détruites et, durant plusieurs semaines, cette partie de la ville désertée devient la cible des pillards39. Reconstruit, le quartier représente de nouveau un espace d’accueil pour les victimes de la crise d’après-guerre et de l’exode rural. 40 La présence italienne se réduit après 1945, les autorités françaises expulsent et confisquent les biens des Italiens, identifiés globalement au fascisme. Plusieurs rues et édifices sont débaptisés, comme la rue d’Italie qui devient la rue Charles de Gaulle. On souhaite réaffirmer la présence française et réduire celle des Italiens. Les autorités françaises engagent l’expulsion de près de 5 000 Italiens jugés complices du régime fasciste. La minorité antifasciste n’est pas épargnée. L’amalgame est si total qu’il entraîne le départ de plus de 10 000 personnes. Leurs biens sont confisqués et mis sous séquestre. La France gaulliste engage alors une surenchère vis-à-vis des Italiens et des sympathies qui s’étaient exprimées à l’égard des nationalistes tunisiens. La question tunisienne succédant à la question italienne, les autorités françaises réagissent avec fermeté et intransigeance à l’égard des Italiens. Elles leur reprochent leur déclaration, faite en 1949 à la tribune de l’ONU, sur le sort des anciennes colonies italiennes, que la délégation italienne souhaite voir évoluer en une série de pays indépendants. Les Italiens sont accusés de tenir une position d’hostilité envers la France et de soutenir les revendications des nationalistes et indépendantistes du Néo-Destour d’Habib Bourguiba40. L’indépendance de la Tunisie en 1956 met un terme à la rivalité entre les deux groupes nationaux, et impose une nouvelle réalité aux natifs de Tunisie : quelques centaines de familles choisissent de rester dans le pays devenu indépendant, et de poursuivre leur destinée sur cette rive de la Méditerranée. Pour le plus grand nombre, c’est le départ et non un « retour » vers l’Italie ou la France, appréhendées comme deux contrées inconnues. 41
  • 18. 23/07/2020 Diaspora italienne et identités urbaines à Tunis, xixe-xxie siècle https://journals.openedition.org/diasporas/613 18/21 Notes 1 Jellal Abdelkefi, La médina de Tunis, Paris, Presses du CNRS 1989, p. 278. 2 On citera les travaux de : Guy Degas, Tunisie. Rêves de partages, Paris, Omnibus, 2005 ; Adrien Salmieri, Chronique des morts, Paris, Julliard, 1974 ; Michele Brondino, La presse italienne, histoire et société, 1881-1956, Paris, Publisud, 2005 ; Marinette Pendola, Gli Italiani di Tunisia, storia di une communità, Roma, Editoriale Umbra, I quaderni del Museo dell’emigrazione, 2007 ; Jean-Charles Vegliante, Gli Italiani all’estero, 1861-1981, Paris, Publications de la Sorbonne, 1986. 3 Juliette Bessis, La Méditerranée fasciste. L’Italie mussolinienne et la Tunisie, Paris, Kartala, 1981 ; Rainero Romano, Les Italiens dans la Tunisie contemporaine, Paris, Publisud, 2002, p. 250 ; Daniela Melfa, Migrando a sud, coloni in Tunisie, 1881-1939, Roma, Aracine, 2008. Du milieu du e siècle au milieu des années 1950, les Italiens ont représenté un groupe influent dans la vie politique, économique et sociale de la ville de Tunis. Par leur intégration, leur nombre et leurs activités, ils ont œuvré à la construction d’une identité tunisoise spécifique en situation coloniale. 42 Cette population italienne de Tunis est issue d’un pays entré tardivement dans l’ère industrielle, et sans véritable tradition nationale. Une telle spécificité politique s’exprime à Tunis par l’absence de projet commun aux Italiens, ou même de sentiment d’appartenance. Leurs multiples facettes régionales ont représenté des obstacles à la possibilité d’une communion nationale, amplifiés voire suscités par la situation coloniale. La colonisation a déclenché un mouvement de « résistance » au processus de mise à l’écart, de sorte que la colonisation a représenté une période propice à l’affirmation d’une italianité « unie », sur fond d’unification nationale. Par ailleurs, la fragilité du sentiment national et l’hétérogénéité du groupe, les intenses divisions sociales et les clivages régionaux n’ont pu constituer véritablement une diaspora41. 43 La composante sicilienne est numériquement majoritaire au sein d’un groupe économiquement dominé par les juifs livournais. Les Siciliens représentent une diaspora en tant que telle au sein même de cette communauté. Une diaspora de déshérités, de prolétaires en quête d’une vie meilleure, d’exclus en mal d’adhésion avec une italianité venue du nord. La colonisation a détourné une partie de ces Italiens pour les fondre dans la communauté française par l’école, le jeu des naturalisations et d’une politique salariale discriminatoire. Dans ces conditions, certains quartiers de Tunis ont pu s’apparenter à des espaces exclusifs, comme la Petite Sicile ou la Petite Calabre, mais ils étaient avant tout des réceptacles de la ségrégation sociale de la société urbaine. D’autres quartiers se présentent comme des espaces de cohabitation – comme « Lafayette » ou le « Passage » – mais rarement de mélange. La ville de Tunis entre 1881 et 1956 est marquée par un urbanisme et une architecture qui sont l’œuvre d’une société urbaine façonnée par un système ségrégatif et inégalitaire. Elle est dominée par une bourgeoisie européenne importée, secondée ou relayée par une bourgeoisie locale dans laquelle les juifs livournais s’inscrivaient, jouant le rôle d’entre- deux42. 44 Les éléments distinctifs imposés par les autorités coloniales pour obtenir quelques privilèges en termes d’emplois, de salaires, de logements sont si importants que le cosmopolitisme n’est que de façade. Durant les périodes de difficultés, les distinctions sociales et nationales ont provoqué rancœurs, frustrations et divisions irréversibles. 45 Aujourd’hui, la communauté italienne se résume à quelques centaines de familles. Certaines possèdent les trois nationalités mais se sentent, avant tout, méditerranéennes. C’est le cas de la famille Finzi, descendant du premier imprimeur installé en Tunisie. Elle perpétue cette tradition d’éditeur et d’animateur culturel par la publication du Corriere di Tunisi, le dernier périodique en langue italienne. Elle souhaite contribuer par son travail au développement de la Tunisie43. 46 Ce pays est devenu le leur, et illustre une conséquence des migrations économiques analysées par le socialiste italien Antonio Gramsci : « La nation, ce n’est pas où on est né ni le pays de nos aïeux, mais c’est là où on a des attaches44… » ; pour ces familles, c’est à Tunis qu’elles les ont créées. 47
  • 19. 23/07/2020 Diaspora italienne et identités urbaines à Tunis, xixe-xxie siècle https://journals.openedition.org/diasporas/613 19/21 4 Sylvia Finzi (ed.), Mémoires italiennes de Tunisie, Tunis, Imprimerie Finzi, 2000. 5 Daniel Grange, L’Italie et la Méditerranée, 1896-1911, Rome, Collection de l’École française de Rome, 1994, vol. I, p. 554. 6 Jean Ganiage, Une entreprise italienne de Tunisie au milieu du e siècle, correspondance commerciale de la thonaire de Sidi Daoud, Paris, Puf, 1960, p. 164. 7 Michele Brondino, « Des rapports euro-maghrébins : le cas tunisien », in Annuaire de l’Afrique du Nord, Paris, 1990, p. 171-184. 8 « Rapport Carletti sur l’immigration italienne en Tunisie en 1903 », arch. MAE, Nantes, NS Tunisie, 1885-1916, vol. 456, dossier n° 1, F 59. 9 Bab el Bahr signifie porte de la Mer en arabe ; rebaptisée porte de France durant le protectorat, elle a également été désignée comme la porte d’Espagne lors de l’occupation espagnole au e siècle. 10 « Rapport Carletti… », op. cit., p. 5. 11 Gaston Loth, Le peuplement italien en Tunisie et en Algérie, Paris, A. Colin, 1905, p. 72. 12 Jean Ganiage, Les origines du protectorat français en Tunisie, 1861-1881, Tunis, Maison tunisienne de l’édition, 1968, p. 597. 13 « Réquisition d’immatriculation de la propriété Carlotta Gnecco Fasciotti », arch. mun. Tunis, titre de propriété 2929. 14 Jean Lux, Trois mois en Tunisie, journal d’un volontaire, Paris, A. Ghio, 1882, p. 142. 15 Les juifs touansa sont les juifs locaux, dit « autochtones », plus traditionalistes et souvent plus pauvres que l’autre partie de la communauté juive, les juifs livournais. 16 Pierre Giffard, Les Français à Tunis, Paris, Havard éditeur, 1881, p. 51. 17 Archives du lycée Carnot à Tunis, Recueil des comptes rendus des conseils d’administration du lycée Carnot, 1924-1954. 18 Guide bleu Tunis, Paris, Hachette, 1927, p. 343. 19 En 1865, Sadok Bey accepte la cession de terrains dépendant d’institutions religieuses au profit de Paolo Gnecco et de ses descendants. 20 « Acte de vente sous seing privé du terrain Politeana », archives de la conservation foncière de Tunis, titre de propriété 8068, n° d’ordre 18 578. 21 Joseph Valensi, Étude sur la valeur locative des immeubles de la ville de Tunis, en 1913, sa répartition par nationalités, tableaux statistiques et graphiques, Tunis, imprimerie Weber, 1913, p. 23. 22 La casa colonica est l’expression qui définit une maison rurale habitée par une famille sur un domaine dont elle n’est pas propriétaire. 23 HBM : Habitations à bon marché ; introduites en Tunisie à la fin du e siècle, elles se développent principalement après la Première Guerre mondiale. 24 Georges Cohen, De l’Ariana à Galata, itinéraire d’un enfant juif de Tunisie, Paris, éditions Racines, 1994, p. 11. 25 Ibid., p. 15. 26 Serge Santelli, Tunis, le creuset méditerranéen, Paris, Éditions du CNRS, 1995, p. 64. 27 Claude Liauzu, « Les traminots de Tunis au début du siècle », Les cahiers de Tunisie, 1975, n° 89-90, t. XXIII, p. 157. 28 Sur le détail de ces deux immeubles : Christophe Giudice, « Immeuble Abita », in Juliette Hueber, Claudine Piaton, Tunis, architectures, 1860-1960, Arles, éditions Honoré Clair, 2011, p. 102. 29 Sur le transfert des savoirs et l’adaptation des expertises en matière d’architecture, voir Christophe Giudice, « De l’usage et du brassage des modèles architecturaux dans le Maghreb colonial, itinéraires d’architectes et d’entrepreneurs italiens », in Myriam Bacha, Architectures au Maghreb ( e- e siècles), réinvention du patrimoine, Rennes, PUR, 2011, p. 229-244. 30 Daniel Rivet, Le Maghreb à l’épreuve de la colonisation, Paris, Hachette, 2002, p. 220. 31 Adrien Salmieri, Chroniques des morts, Paris, Julliard, 1974, p. 120. 32 Dopolavoro signifie « après le travail » ; constitué d’un local, il permet aux organisations fascistes de prendre en charge et de contrôler les activités culturelles et récréatives de la classe ouvrière. 33 La somme de vingt centimes représente le montant du timbre pour le dépôt du dossier de naturalisation. 34 « Immigration italienne en Tunisie, 1926-1934 », arch. MAE, Nantes, arch. rapatriées de l’ambassade de France à Rome, dossier n° 25.
  • 20. 23/07/2020 Diaspora italienne et identités urbaines à Tunis, xixe-xxie siècle https://journals.openedition.org/diasporas/613 20/21 35 « Société de bienfaisance », 1912, arch. MAE, Nantes, 1er versement, Tunisie, dossier 932, folio 62. 36 « Propagande fasciste en Tunisie en 1923 », arch. MAE, Nantes, 1er versement, Tunisie, dossier 329, folio 181. 37 La Tunisie française, 12 février 1923. 38 Jean Pupier, Six mois de guerre à Tunis, Tunis, éditions La Rapide, 1943, p. 34. 39 « État des dégâts et des vols dans la Petite Sicile à la fin de la guerre », L’Unione du 15 février 1943. 40 Romain Rainero, Les Italiens dans la Tunisie contemporaine, Paris, Publisud, 2002, p. 250. 41 Jean-Charles Vegliante, Gli Italiani all’estero, 1861-1981, op. cit., t. 1, p. 1. 42 Daniel Rivet, op. cit., p. 241. 43 Silvia Finzi, Métiers et professions des Italiens de Tunisie, Tunis, Edizione Finzi, 2003, p. 29. 44 Cité dans Laura Davi, « Des histoires de vie de la vieille émigration italienne en Tunisie », in Sylvia Finzi, Memorie italiane di Tunisia, Tunis, Edizione Finzi, 2000, p. 235. Table des illustrations Titre Fig. 1 : Plan du quartier européen de Tunis en 1860, la place de la Bourse. Crédits D’après Jean Ganiage, cartographie C. Giudice, 1997. URL http://journals.openedition.org/diasporas/docannexe/image/613/img-1.jpg Fichier image/jpeg, 412k Titre Fig. 2 : Répartition des établissements scolaires italiens à Tunis vers 1900. Crédits Cartographie C. Giudice, 1997. URL http://journals.openedition.org/diasporas/docannexe/image/613/img-2.jpg Fichier image/jpeg, 624k Titre Fig. 3 : Plan de Tunis en 1929, les quartiers du port et la Petite Sicile. Guide bleu, Hachette, 1930. URL http://journals.openedition.org/diasporas/docannexe/image/613/img-3.jpg Fichier image/jpeg, 1,2M Titre Fig. 4 : Théâtre Politeana Rossini en 1900, carte postale. URL http://journals.openedition.org/diasporas/docannexe/image/613/img-4.jpg Fichier image/jpeg, 208k Titre Fig. 5 : Immeuble de la Petite Sicile. Cliché C. Giudice, 2002. URL http://journals.openedition.org/diasporas/docannexe/image/613/img-5.jpg Fichier image/jpeg, 172k Titre Fig. 6 : « Plans de maisons modestes reproduites dans la Petite Sicile », d’après Charles Geniaux, Comment on devient colon, Paris, éditions Charpentier, 1908, p. 108 et 110. URL http://journals.openedition.org/diasporas/docannexe/image/613/img-6.jpg Fichier image/jpeg, 24k URL http://journals.openedition.org/diasporas/docannexe/image/613/img-7.jpg Fichier image/jpeg, 72k URL http://journals.openedition.org/diasporas/docannexe/image/613/img-8.jpg Fichier image/jpeg, 52k URL http://journals.openedition.org/diasporas/docannexe/image/613/img-9.jpg Fichier image/jpeg, 44k Titre Fig. 7 : L’implantation des intérêts italiens à Tunis en 1930.
  • 21. 23/07/2020 Diaspora italienne et identités urbaines à Tunis, xixe-xxie siècle https://journals.openedition.org/diasporas/613 21/21 Crédits Cartographie C. Giudice, 2001. URL http://journals.openedition.org/diasporas/docannexe/image/613/img- 10.jpg Fichier image/jpeg, 712k Pour citer cet article Référence papier Christophe Giudice, « Diaspora italienne et identités urbaines à Tunis, e- e siècle », Diasporas, 28 | 2016, 85-104. Référence électronique Christophe Giudice, « Diaspora italienne et identités urbaines à Tunis, e- e siècle », Diasporas [En ligne], 28 | 2016, mis en ligne le 28 juin 2017, consulté le 23 juillet 2020. URL : http://journals.openedition.org/diasporas/613 ; DOI : https://doi.org/10.4000/diasporas.613 Auteur Christophe Giudice Christophe G , docteur en histoire, chercheur associé à l’IMAF (université de Paris/UMR4171 CNRS), est l’auteur d’une thèse sur la construction de la ville de Tunis entre 1860 et 1945, d’ouvrages sur les Italiens de Tunisie et l’architecture au Maghreb aux e et e siècles. Parmi ses publications récentes : « Pour une histoire ordinaire de la ville maghrébine », in Charlotte Jelidi, Les villes maghrébines à l’époque coloniale, urbanisme, architecture, patrimoine ( e- e siècles), Paris, IRMC-Karthala, 2014, p. 205-220 ; « Architectes et entrepreneurs italiens au Maghreb, une expérience qui s’exporte », in Ezio Godoli, Architectures et architectes italiens au Maghreb, Firenze, Edizioni Polistampa, 2011, p. 22-33 ; « Parcours du Tunis colonial », in Claudine Piaton, Juliette Hueber (dir.), Architectures de Tunis, 1860-1960, Paris, éditions Honoré Clair, 2011, p. 27-39 et notices d’architectes ; « De l’usage et du brassage des modèles architecturaux dans le Maghreb colonial : itinéraires d’architectes et d’entrepreneurs italiens » in Myriam Bacha, L’architecture au Maghreb ( e- e siècles), la réinvention du patrimoine, Rennes, PUR-IRMC, 2011, p. 229-244 ; « La législation foncière et la colonisation de la Tunisie », in Samya El Mechat, Les administrations coloniales, Rennes, PUR, 2009, p. 229-239 ; « Le Tunis des Italiens », Qantara, Revue de l’Institut du monde arabe, 2006, n° 58, p. 34-35 Droits d’auteur Diasporas – Circulations, migrations, histoire est mis à disposition selon les termes de la licence Creative Commons Attribution - Pas d'Utilisation Commerciale - Pas de Modification 4.0 International.