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Les journalistes face à la convergence des médias
au Québec : un aperçu des raisons d’un rejet massif
Marc-François Bernier
Université d’Ottawa
ABSTRACT A quantitative study conducted in 2007 on unionized journalists who work for
the larger media in Quebec revealed that 82% of them estimate that media convergence does
not have a positive effect on journalism, while about 70% believe that it threatens the pub-
lic’s right to quality information. In the course of qualitative research done in 2009 on the
members of the two main journalism associations, we tallied the reasons for such negative
reactions. Our analysis reveals that the journalists raise concerns mainly about the loss of
diversity of information, the disappearance of jobs, an increase in workloads and a decline
in freedom. Rare are those journalists who defend the convergence strategies of news enter-
prises.
KEYWORDS Media convergence; Media concentration; Journalism; Quality of information
RÉSUMÉ  Une étude quantitative menée en 2007 auprès des journalistes syndiqués des
grands médias du Québec a révélé que 82 % estiment que la convergence des médias n’a pas
d’effet positif sur le journalisme, tandis qu’environ 70 % croient qu’elle menace le droit du
public à une information de qualité. Dans le cadre d’une recherche qualitative menée en
2009 après des membres des deux principales associations de journalistes, nous avons
recensé les raisons sur lesquelles reposent de telles réactions négatives. L’analyse nous
apprend qu’ils invoquent principalement des considérations liées à la perte de la diversité de
l’information, aux pertes d’emploi, à l’alourdissement de leurs tâches et à l’effritement de leur
liberté. Rares sont ceux qui défendent les stratégies de convergence des entreprises de presse.
MOTS CLÉS Convergence des médias; Concentration des médias; Journalisme; Qualité de
l’information
Introduction
La présente recherche qualitative prolonge une recherche quantitative menée à
l’automne 2007 auprès de 385 journalistes syndiqués des principaux médias
d’information du Québec. Cette première enquête avait permis de mettre au jour les
opinions et les attitudes de ces journalistes face à la concentration de la propriété, la
convergence des médias et la commercialisation de l’information. Elle avait révélé
qu’il existait chez les journalistes syndiqués du Québec un fort rejet de la
concentration et de la convergence des médias d’information (Bernier 2008).
Canadian Journal of Communication Vol 35 (2010) 565-573
©2010 Canadian Journal of Communication Corporation
Marc-François Bernier, professeur agrégé, Titulaire de la Chaire de recherche en éthique du
journalisme (www.CREJ.ca), Département de communication, Université d’Ottawa. Courriel  :
mbernier@uottawa.ca .
Mais les statistiques ne disent pas tout. Elles n’expliquent pas les raisons de ce fort
rejet, bien que celles-ci puissent être déduites en partie à partir des autres questions et
des propositions auxquelles réagissaient les répondants, ainsi que grâce à une
abondante revue de littérature professionnelle et scientifique. Nous avons néanmoins
jugé plus prudent de compléter la recherche quantitative par une recherche qualitative.
Problématique
Au Québec comme au Canada et aux États-Unis, la question des impacts de la
convergence des médias sur la qualité, la diversité et l’intégrité de l’information demeure
un vif sujet de débat en même temps qu’un thème de recherche majeur depuis de
nombreuses années. Les constats que la recherche peut faire quant aux effets réels et
mesurés des stratégies de convergence sur la qualité, la diversité et l’intégrité de
l’information sont cependant équivoques. Le diagnostic est loin de faire consensus en ce
qui concerne les effets sur la qualité ou encore sur la diversité, mais il est plus
convaincant en ce qui regarde l’intégrité de l’information qui en serait la principale
victime (Bernier 2008).
En effet, il appert que la convergence a des effets sur le type de contenu qui sera
favorisé ou marginalisé, souvent en fonction des intérêts économiques ou politiques
des conglomérats médiatiques, même si la situation varie en fonction du mode de
propriété—public, privé à capital fermé, actionnaires, etc.—et de gestion. Dans tous les
cas, cependant, elle repose à la fois sur des impératifs économiques des entreprises de
presse et les possibilités technologiques liées à la numérisation de l’information.
Laconvergencedesmédiasd’information,qu’ilssoienttraditionnelsouémergeants,
suscite de nombreuses inquiétudes chez les journalistes. Pour plusieurs observateurs, ce
sontprincipalementlesimpératifséconomiquesliésauxmodesdepropriétédesmédias
qui favorisent la convergence, laquelle influence largement les pratiques journalistiques.
À ce sujet, le verdict du spécialiste américain de l’économie politique des médias et
fondateur de la revue scientifique The Journal of Media Economics, Robert G. Picard,
semble sans appel :
Les pressions économiques deviennent les facteurs déterminants du
comportement des entreprises de presse de l’Amérique. Il est de plus en plus
évident que les décisions de certains gestionnaires de journaux ont un effet
sur la qualité du journalisme, favorisant des pratiques qui diminuent la valeur
sociale du contenu des journaux et qui détournent du journalisme l’attention
du personneldecesentreprisesenfaveurd’activitésquisontavanttoutreliées
aux intérêts d’affaires de la presse (Picard 2004, p. 54, traduction libre).
L’économiste estimait alors que l’avenir des journaux est incertain en raison d’un
marché stagnant, d’une concurrence accrue de médias qui sollicitent l’attention des
publics, de la désaffection de certaines portions de la population et de changements dans
les choix faits par les annonceurs. Ces facteurs influencent les contenus rédactionnels qui
sont avant tout des nouvelles et des reportages façonnés
pour attirer de larges publics, pour divertir, pour être rentables et pour
retenir des lecteurs dont l’attention sera vendue aux annonceurs. Le résultat
est que les nouvelles qui peuvent déranger sont ignorées en faveur de celles
566 Canadian Journal of Communication, Vol 35 (4)
qui sont plus acceptables et divertissantes pour un grand nombre de lecteurs,
que les événements dont la couverture est dispendieuse sont marginalisés
ou ignorés et que ceux qui sont économiquement risqués sont aussi
ignorés … (Picard 2004, p. 63, traduction libre).
Les phénomènes de concentration et de convergence des médias, qui se déclinent
maintenant sur les plateformes des médias traditionnels et les nouveaux médias, ne
corrigent pas la situation, selon certains spécialistes :
Dans une ère de consolidation et de cartels médiatiques, la qualité et même
la quantité d’information se sont détériorés. Les entreprises de presse ne sont
devenues qu’une autre source de profits pour les conglomérats, et elles
doivent rapporter autant de profits que la plus rentable des divisions vouées
au divertissement. Même si les permis de diffusion continuent d’être
exploités en vue de servir  « l’intérêt public », les nouvelles dans une ère
d’empires médiatiques ont été réduites à de « l’infotainment » (Champlin et
Knoedler 2002, 459).
Une étude sur l’état des médias américains va dans le même sens, quand elle
rapporte que la tendance paradoxale du journalisme est de diffuser de moins en moins
de contenu original sur de plus en plus de plateformes différentes. Les auteurs ajoutent
que les pressions économiques vont expulser le service de l’intérêt public si les
journalistes et leurs supérieurs immédiats ne résistent pas assez aux désirs des conseils
d’administration (Project for Excellence in Journalism 2006).
Résumant des ouvrages récents consacrés au journalisme multimédia qui s’inscrit
dans les stratégies de convergence des conglomérats, Deuze note que ce phénomène ne
vise aucunement une amélioration de la qualité de l’information, mais répond
strictement à des impératifs économiques, de mise en commun des ressources et
d’économied’échelle(Deuze2006).Lesauteursqu’ilrésumeestimentquelejournalisme
multimédia peut être une occasion d’améliorer la qualité de l’information, mais à la
condition que les gestionnaires des médias s’y consacrent réellement au lieu de
simplement implanter des mécanismes de convergence. Ces mécanismes obligent bon
nombredejournalistesàêtredesgénéralistessuperficiels,toujourspressésde« produire »,
plutôt que des spécialistes dans certains domaines. Or, en ce qui regarde la qualité de
l’information, il est impossible pour un même journaliste de couvrir adéquatement un
événement majeur pour plusieurs médias, souligne Quinn (2004, 113).
Sans être exhaustif, ce survol est révélateur des inquiétudes engendrées par la
convergence des médias que notre enquête quantitative de 2007 avait mise en évidence.
Danslaprésentecontribution,nousidentifionslesprincipalesraisonspourlesquellesles
journalistes du Québec rejettent les stratégies de convergence des médias.
Méthodologie
Pour réaliser notre enquête, nous avons élaboré un questionnaire en ligne contenant
treize questions. Ce questionnaire a été soumis aux journalistes membres de deux
grandes associations professionnelles québécoises, soit la Fédération professionnelle
des journalistes du Québec (FPJQ) et l’Association des journalistes indépendants du
Québec (AJIQ). Ces associations nous ont fourni les adresses courriels de leurs mem-
Bernier Les journalistes face à la convergence des médias au Québec 567
bres qui avaient accepté qu’elles soient publiques. Nous avons invité 1883 journalistes,
et 441 ont répondu au questionnaire, dont 270 qui ont répondu à toutes les questions.
Le taux de participation est de 14,3 % si on ne retient que les journalistes qui ont
répondu à toutes les questions (270/1883), mais pour certaines questions ayant été
plus populaires, il grimpe à 23,4 % (441/1883). Volontairement, les questions cher-
chaient à atteindre la saturation chez les répondants, si bien que plusieurs ont pu y
percevoir une certaine redondance. Nous avons donc observé un taux de décrochage
progressif au fil des questions (saturation, désintérêt, charge de travail). Dans le cadre
de la présente contribution, nous nous limitons à analyser les faits saillants résultant
de deux des treize questions.
1. Comment expliquer que la grande majorité des journalistes du Québec
soient d’avis que la convergence des médias n’a pas d’effet positif sur le
journalisme?
Àcette première question, plus de 37 % des 611 commentaires catégorisés signalent que
la convergence des médias est une menace pour la diversité de l’information, c’est-à-
dire une perte dans la multitude de points de vue auxquels seront exposés les publics.
Le premier réflexe des journalistes est donc de considérer le phénomène sous l’angle
des impacts sur le public et non sur le journalisme en tant qu’activité professionnelle.
Nos répondants suggèrent notamment que les journalistes sont « conditionnés à croire
que la pluralité des points de vue est essentielle à l’aspect crédible et pertinent de
l’information. La diversité des sources d’information est le premier point, le point le plus
important du traitement d’une nouvelle. Tirer ses sources d’un même point d’origine biaise
l’information ». D’autres estiment que la répétition des mêmes points de vue sur
plusieurs plateformes «  risque de mener à une uniformisation et à un contrôle de
l’information qui risquent de nuire à la liberté de presse ».
La seconde catégorie d’importance est davantage associée aux risques de pertes
d’emploi ou encore à la faible mobilité professionnelle qui résulte de la rareté
d’employeurs distincts. Ces préoccupations représentent plus de 17 % des commentaires
catégorisés.Onécriranotammentquela«convergencemenaceessentiellementlesemplois
dans le journalisme » et qu’il y a «  beaucoup moins de possibilités de repli pour les
journalistes, s’ils ne rentrent pas dans le moule d’un gros employeur », ou encore, « cette
convergence risque de réduire à une peau de chagrin les opportunités d’emploi ». Pour
d’aucuns, elle « limite les possibilités d’emploi dans la mesure où un différend avec son
employeur actuel ne permet que d’aller chez le compétiteur » dans un contexte oùla rareté
des « joueurs pénalise les journalistes qui doivent souvent sacrifier leur indépendance pour
pouvoir bénéficier d’un emploi au sein de ces conglomérats ». La convergence pourrait
même menacer l’indépendance ou l’intégrité des journalistes lorsque des cas de
conscience ou des conflits de diverses natures les opposent à leur employeur.
Deux autres catégories de préoccupations se sont manifestées avec une même
importance. Elles concernent tout d’abord les craintes liées à une surcharge de travail
compte tenu de la diminution des effectifs, ce qui aura pour conséquence de limiter le
temps consacré à la recherche et la vérification des informations (8,5 %). Dans un tel
contexte, les « journalistes qui doivent fournir toutes les plateformes médiatiques passent
leur temps à “nourrir la bête” plutôt que d’approfondir les sujets ». On signale aussi que
568 Canadian Journal of Communication, Vol 35 (4)
« plus on passe de temps sur la production et la mise en forme de la nouvelle, moins de
temps on passe à rechercher l’information. Écrire un reportage pour la radio, la télé ou le
web demande des approches de travail différentes. En essayant de combiner les trois,
beaucoup de temps est perdu à la production ». La même production répartie sur « moins
de journalistes signifie aussi moins de temps, de ressources, d’efforts investis dans la
recherche, la réflexion qui sont partie intégrante du travail des journalistes ». Cela n’est pas
sans affecter indirectement la qualité : « La qualité du contenu produit par certains
grands groupes de médias ne répond pas aux attentes déontologiques de nombreux
journalistes (temps pour préparer les articles ou reportages, choix des sujets à couvrir,
vérification des sources, etc.) ».
L’autre catégorie de préoccupations qui regroupe 8,5 % des commentaires fait
référence au sentiment d’embrigadement des journalistes et des risques que ceux-ci
soient obligés de se livrer à des pratiques de promotion des intérêts de leur employeur
et d’autopromotion. Bien entendu, c’est l’exemple de Quebecor qui est le plus souvent
cité par les journalistes, mais Gesca n’échappe pas à la critique non plus. Certains, par
exemple, auraient «  peur de subir des pressions pour promouvoir des entreprises
commerciales du même groupe », ce qui aurait pour effet de faire des médias des « outils
de vente d’autres produits médiatiques (par exemple Le Journal de Montréal publie trop
de contenu du Star System de Quebecor en faisant la promotion des émissions de télévision
TVA, etc.) ». Des journalistes estiment de plus que le rejet de la convergence s’explique
« sans doute parce que les propriétaires de médias consacrent de l’espace à la promotion de
leurs différents produits là où il devrait y avoir de l’information ». Un autre parlera d’une «
autopromotion ... entre les différents médias du même groupe de presse qui accentue
certains sujets non pertinents au détriment d’autres sujets plus pertinents » car « derrière
la convergence, il y a souvent des impératifs économiques, promotionnels, ou autres qui
prennent plus d’importance que les devoirs d’intégrité et d’exactitude des journalistes ».
Mentionnonsparailleursque2,5%descommentairesrecenséscherchentàréfuter
le discours hypercritique dominant. Certains répondants estiment que les journalistes
qui critiquent la convergence des médias le font par militantisme syndical,
conservatisme, résistance aux changements ou en vertu d’un certain corporatisme. On
écrira par exemple qu’il s’agit d’une « réaction corporatiste fortement influencée par les
positions de la CSN, le syndicat dominant » au sein des médias québécois. Il s’agirait d’un
« syndicalisme aigu qui amène les journalistes (dont la moyenne d’âge au Québec est assez
élevée) à se dresser contre tout changement dans leurs petites habitudes. Pour le reste, c’est
un mouvement qui semble inévitable. Tant qu’à le décrier inutilement, aussi bien essayer
de faire avec ».
2. Comment expliquer que la grande majorité des journalistes du Québec
soient d’avis que la convergence des médias ne favorise pas le droit du
public à une information de qualité?
Notons tout d’abord que bon nombre de commentaires répètent ceux de la première
question (du reste, certains répondants renvoient explicitement le lecteur à leur
réponse à la question précédente, comme quoi il y aurait des facteurs communs entre
ce qui nuit au journalisme, de leur point de vue, et ce qui nuit à la qualité de
l’information). Pour de très nombreux journalistes, la question de la qualité de
Bernier Les journalistes face à la convergence des médias au Québec 569
l’information dans un contexte de convergence suscite aussitôt les craintes liées à la
diversité et à l’uniformatisation de l’information, celles-ci représentant plus de 39 % des
418 commentaires catégorisés. Comme elles s’expriment de façon similaire à celles
formulées en rapport avec les effets sur le journalisme, il n’y a pas lieu de les détailler
longuement. Notons toutefois que la perte de diversité est identifiée à une perte de
qualité d’une information qui serait « diluée » en raison de la diminution du « nombre
de points de vue auxquels le public peut se référer ». En effet, avoir une « seule information
qui tourne en boucle ne permet pas d’envisager tous les angles possibles à une nouvelle.
C’est de l’information appauvrie ».
Ce qui est significatif en rapport avec l’information de qualité, c’est que les
répondants se montrent particulièrement inquiets quant aux risques pour la
démocratie et le contrôle de l’information afin de favoriser des intérêts particuliers
plutôt que l’intérêt public. Ces préoccupations représentent 15,3 % des commentaires
recensés pour la seconde question, contre seulement 6,5 % de ceux générés en réponse
à la première question. À ce sujet, les journalistes font valoir plusieurs objections qui
touchent à la fois à la qualité et l’intégrité de l’information, laquelle serait en quelque
sorte détournée de son service de l’intérêt public à des fins particulières. Cela serait le
cas « si des demandes patronales obligent des journalistes à écrire sur un sujet donné qui
n’est pas d’intérêt public; cela brime encore une fois le droit du public à une information de
qualité ». De plus, l’intérêt public n’est « pas toujours [ce qui prime] quand vient le temps
de prendre des décisions commerciales au sein d’un empire », décisions qui peuvent
« favoriser des intérêts commerciaux au détriment d’intérêts journalistiques. On le voit
notamment chez Quebecor ».
Outre le détournement à des fins particulières liées aux impératifs économiques
des conglomérats médiatiques, des journalistes expriment leurs craintes quant à un
contrôle de l’information à des fins politiques. Pour certains, la convergence des médias
permet en effet de « défendre des positions politiques inscrites dans la ligne de pensée ou
la ligne économique des éditeurs ». Àce sujet, le conglomérat médiatique Gesca, filiale de
Power Corporation, est principalement mis en cause, en raison de l’orientation
fédéralisteindéfectibledelafamilleDesmarais.Laconvergencepourraitmêmeimposer
une ligne de parti à leurs journalistes qui ne pourraient plus avoir leur « libre arbitre. Il
n’y a qu’à penser à un sujet comme “la souveraineté vs Power Corporation, Gesca, le journal
La Presse…” ».
Les inquiétudes portent aussi sur les contraintes qui limitent la capacité des
journalistes de se livrer à des recherches et des vérifications (10,8 % des commentaires).
On fait observer que « jusqu’ici la convergence a été effectuée dans un but de réduction des
effectifs alors qu’une mise en commun des moyens pourrait plutôt, en plus d’éviter les
dédoublements de couverture, donner lieu à des reportages et des enquêtes plus
approfondies et diffusées plus largement ». Cette réduction des effectifs a pour corollaire
une « augmentation des responsabilités pour une même période de temps donné, ce qui
entraî ne une dilution de la qualité du travail ». En effet, on déplore que pour «  le
journaliste, cela implique nécessairement de faire plus vite, de rester à la surface des choses,
de rapporter les nouvelles du jour sans avoir la possibilité d’approfondir, d’aborder les
événements sous un angle original ».
570 Canadian Journal of Communication, Vol 35 (4)
Viennent ensuite les inquiétudes liées au sentiment d’embrigadement et aux
pratiques de promotion et d’autopromotion qui favorisent les conflits d’intérêts. Ici
encore, les commentaires sont similaires à ceux de la question précédente, mais on
note que leur proportion est plus élevée (10,3 % contre 8,5 %). Je n’y reviendrai pas ici.
Les craintes relatives à la perte de liberté et aux risques d’autocensure arrivent au
cinquième rang avec 6,5 % des commentaires. Dans certains cas, ces craintes sont le
prolongement des préoccupations liées aux conflits d’intérêts, à l’embrigadement et au
détournement de la mission journalistique déjà évoquées plus haut. Ainsi, la qualité de
l’information serait touchée par un trop grand contrôle de la part de gestionnaires de
médias, car depuis le premier jour « de la mise en place du plan de convergence, le public
a perdu son accès à une information libre. Dans l’empire [Quebecor], l’information libre et
exempte de pression externe n’existe plus ». On ajoutera qu’il « peut devenir difficile pour
certains de conserver leur objectivité quand vient le temps de commenter des événements
commandités par son groupe de presse ». Cela rejoint par ailleurs un des constats de
l’enquête quantitative de 2007, où les journalistes [et surtout ceux à l’emploi de
Quebecor] soutenaient de façon importante diverses propositions associant
l’autocensure et les chances de promotion au sein de leur média.
On observe que plusieurs commentaires s’inscrivent contre la proposition (4,5 %
contre 2  % pour la proposition précédente). Ils font plutôt valoir des aspects
avantageux de la convergence, ou encore ils estiment que celle-ci ne menace pas la
qualité de l’information. Àce sujet, on insiste notamment sur les avantages potentiels
de la convergence en même temps qu’on laisse entendre que certains des maux qu’on
lui reproche trouvent leur véritable origine chez les journalistes eux-mêmes. C’est
notamment ce qu’exprime un répondant selon qui «  l’atteinte à la qualité de
l’information ne provient pas de la convergence mais du peu de culture des journalistes »
tandis qu’un autre cherche à réfuter bon nombre des commentaires déjà évoqués plus
haut en affirmant qu’il « s’agit selon moi d’une thèse exagérée étant donné que les médias
qui convergent laissent tout de même une grande marge de manœuvre à leurs journalistes
». On va aussi s’opposer à ceux qui considèrent que la multiplication des plateformes
ne garantie aucunement la diversité ou la qualité de l’information en faisant valoir que
si « on prend le monde de l’information dans son ensemble—télé, radio, quotidiens, hebdos,
magazines, Internet—la multiplicité des sources et leur diversité procure au public une
information variée, complète, de meilleure qualité qu’on le croit. Et réduit les risques que l’on
associe à la convergence ».
Conclusion
Les journalistes du Québec ont un large éventail de raisons et de commentaires pour
expliquer le rejet massif de la convergence des médias si on ne s’en tient qu’aux
propositions qui s’intéressent à ses effets sur le journalisme et sur la qualité de
l’information.
Dans une certaine mesure, il semble que les principaux promoteurs de la
convergence ont aussi été les principaux obstacles à une plus grande réceptivité de la
part des journalistes. À de nombreuses reprises, l’exemple de Quebecor a été évoqué
pour confirmer que les craintes s’appuient sur du concret. En voulant imposer de
nouvelles façons de faire sans accepter de prendre le temps nécessaire à convaincre les
Bernier Les journalistes face à la convergence des médias au Québec 571
journalistes des avantages (en procédant à deux lock-out successifs auprès de ses
journalistes du Journal de Québec et du Journal de Montréal, deux quotidiens qui
généraient pourtant des profits), Quebecor pourrait avoir sédimenté de façon durable
uneattitudederejetfaceàlaconvergencedesmédias.Plusieursrépondantsontsignalé
que si les journalistes ont des attitudes et des opinions défavorables à la convergence,
c’est parce qu’ils en vivent les conséquences néfastes au quotidien.
Il n’en demeure pas moins que l’enquête quantitative de 2007 et la présente
enquête qualitative confirment que les journalistes québécois ont élaboré un discours
hypercritique face à la convergence des médias. Ce rejet semble en voie de
sédimentation, c’est-à-dire qu’il pourrait perdurer et devenir progressivement une
posture dominante difficile à modifier. Cette posture est lourde de suspicion à l’endroit
des propriétaires et gestionnaires des conglomérats médiatiques. Dans un tel contexte,
il y a lieu de se demander comment pourra se reconstruire un dialogue entre des
journalistes et des employeurs condamnés à la cohabitation. On peut aussi penser que
le dialogue sera plus difficile à réaliser là où la stratégie de convergence aura été
imposée de façon autoritaire, contrairement aux entreprises où employeurs et
journalistes auront réussi à trouver un terrain d’entente fondé sur des efforts de
compréhension mutuelle et, bien entendu, de compromis honorables et donc durables.
Même si les gouvernements du Québec et du Canada se sont distingués par leur
politique de laisser-faire favorable aux entreprises de presse, il est possible que les
appels répétés des journalistes et de certains publics réussissent à enclencher des
réformes en rapport avec les lois sur le travail dans un contexte de travail à distance et
de mobilité—qui permet à des conglomérats médiatiques de s’approvisionner en
nouvelles à l’extérieur des salles de rédaction traditionnelles—en reconnaissant un
statut de journaliste ou encore en favorisant la protection des droits d’auteur. Voilà trois
chantiers qui font régulièrement l’objet de revendications publiques de la part des
journalistes et de ceux qui les représentent, professionnellement ou syndicalement.
Mais la véritable clé de voûte d’une hypothétique réconciliation entre les
journalistes, les employeurs et les publics—qui se méfient eux aussi de la
concentration de la propriété et des effets de la convergence des médias selon bon
nombre d’enquêtes—pourrait être la redéfinition du contrat social implicite qui repose
sur une certaine conception de la liberté responsable des médias (Bernier 2004). Ce qui
aurait pour effet de mettre à l’avant-scène la mission démocratique du journalisme
professionnel, avec ce que cela comporte en matière de qualité, de diversité et
d’intégrité.
Remerciements
L’auteur remercie les évaluateurs anonymes pour la qualité de leurs commentaires et
observations.
References
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Paris : La Découverte.
Bernier, Marc-François. (2008). Journalistes au pays de la convergence : sérénité, malaise et détresse
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572 Canadian Journal of Communication, Vol 35 (4)
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Convergence, 4(10), 109-123.
Bernier Les journalistes face à la convergence des médias au Québec 573
574 Canadian Journal of Communication, Vol 35 (4)

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  • 1. Les journalistes face à la convergence des médias au Québec : un aperçu des raisons d’un rejet massif Marc-François Bernier Université d’Ottawa ABSTRACT A quantitative study conducted in 2007 on unionized journalists who work for the larger media in Quebec revealed that 82% of them estimate that media convergence does not have a positive effect on journalism, while about 70% believe that it threatens the pub- lic’s right to quality information. In the course of qualitative research done in 2009 on the members of the two main journalism associations, we tallied the reasons for such negative reactions. Our analysis reveals that the journalists raise concerns mainly about the loss of diversity of information, the disappearance of jobs, an increase in workloads and a decline in freedom. Rare are those journalists who defend the convergence strategies of news enter- prises. KEYWORDS Media convergence; Media concentration; Journalism; Quality of information RÉSUMÉ  Une étude quantitative menée en 2007 auprès des journalistes syndiqués des grands médias du Québec a révélé que 82 % estiment que la convergence des médias n’a pas d’effet positif sur le journalisme, tandis qu’environ 70 % croient qu’elle menace le droit du public à une information de qualité. Dans le cadre d’une recherche qualitative menée en 2009 après des membres des deux principales associations de journalistes, nous avons recensé les raisons sur lesquelles reposent de telles réactions négatives. L’analyse nous apprend qu’ils invoquent principalement des considérations liées à la perte de la diversité de l’information, aux pertes d’emploi, à l’alourdissement de leurs tâches et à l’effritement de leur liberté. Rares sont ceux qui défendent les stratégies de convergence des entreprises de presse. MOTS CLÉS Convergence des médias; Concentration des médias; Journalisme; Qualité de l’information Introduction La présente recherche qualitative prolonge une recherche quantitative menée à l’automne 2007 auprès de 385 journalistes syndiqués des principaux médias d’information du Québec. Cette première enquête avait permis de mettre au jour les opinions et les attitudes de ces journalistes face à la concentration de la propriété, la convergence des médias et la commercialisation de l’information. Elle avait révélé qu’il existait chez les journalistes syndiqués du Québec un fort rejet de la concentration et de la convergence des médias d’information (Bernier 2008). Canadian Journal of Communication Vol 35 (2010) 565-573 ©2010 Canadian Journal of Communication Corporation Marc-François Bernier, professeur agrégé, Titulaire de la Chaire de recherche en éthique du journalisme (www.CREJ.ca), Département de communication, Université d’Ottawa. Courriel  : mbernier@uottawa.ca .
  • 2. Mais les statistiques ne disent pas tout. Elles n’expliquent pas les raisons de ce fort rejet, bien que celles-ci puissent être déduites en partie à partir des autres questions et des propositions auxquelles réagissaient les répondants, ainsi que grâce à une abondante revue de littérature professionnelle et scientifique. Nous avons néanmoins jugé plus prudent de compléter la recherche quantitative par une recherche qualitative. Problématique Au Québec comme au Canada et aux États-Unis, la question des impacts de la convergence des médias sur la qualité, la diversité et l’intégrité de l’information demeure un vif sujet de débat en même temps qu’un thème de recherche majeur depuis de nombreuses années. Les constats que la recherche peut faire quant aux effets réels et mesurés des stratégies de convergence sur la qualité, la diversité et l’intégrité de l’information sont cependant équivoques. Le diagnostic est loin de faire consensus en ce qui concerne les effets sur la qualité ou encore sur la diversité, mais il est plus convaincant en ce qui regarde l’intégrité de l’information qui en serait la principale victime (Bernier 2008). En effet, il appert que la convergence a des effets sur le type de contenu qui sera favorisé ou marginalisé, souvent en fonction des intérêts économiques ou politiques des conglomérats médiatiques, même si la situation varie en fonction du mode de propriété—public, privé à capital fermé, actionnaires, etc.—et de gestion. Dans tous les cas, cependant, elle repose à la fois sur des impératifs économiques des entreprises de presse et les possibilités technologiques liées à la numérisation de l’information. Laconvergencedesmédiasd’information,qu’ilssoienttraditionnelsouémergeants, suscite de nombreuses inquiétudes chez les journalistes. Pour plusieurs observateurs, ce sontprincipalementlesimpératifséconomiquesliésauxmodesdepropriétédesmédias qui favorisent la convergence, laquelle influence largement les pratiques journalistiques. À ce sujet, le verdict du spécialiste américain de l’économie politique des médias et fondateur de la revue scientifique The Journal of Media Economics, Robert G. Picard, semble sans appel : Les pressions économiques deviennent les facteurs déterminants du comportement des entreprises de presse de l’Amérique. Il est de plus en plus évident que les décisions de certains gestionnaires de journaux ont un effet sur la qualité du journalisme, favorisant des pratiques qui diminuent la valeur sociale du contenu des journaux et qui détournent du journalisme l’attention du personneldecesentreprisesenfaveurd’activitésquisontavanttoutreliées aux intérêts d’affaires de la presse (Picard 2004, p. 54, traduction libre). L’économiste estimait alors que l’avenir des journaux est incertain en raison d’un marché stagnant, d’une concurrence accrue de médias qui sollicitent l’attention des publics, de la désaffection de certaines portions de la population et de changements dans les choix faits par les annonceurs. Ces facteurs influencent les contenus rédactionnels qui sont avant tout des nouvelles et des reportages façonnés pour attirer de larges publics, pour divertir, pour être rentables et pour retenir des lecteurs dont l’attention sera vendue aux annonceurs. Le résultat est que les nouvelles qui peuvent déranger sont ignorées en faveur de celles 566 Canadian Journal of Communication, Vol 35 (4)
  • 3. qui sont plus acceptables et divertissantes pour un grand nombre de lecteurs, que les événements dont la couverture est dispendieuse sont marginalisés ou ignorés et que ceux qui sont économiquement risqués sont aussi ignorés … (Picard 2004, p. 63, traduction libre). Les phénomènes de concentration et de convergence des médias, qui se déclinent maintenant sur les plateformes des médias traditionnels et les nouveaux médias, ne corrigent pas la situation, selon certains spécialistes : Dans une ère de consolidation et de cartels médiatiques, la qualité et même la quantité d’information se sont détériorés. Les entreprises de presse ne sont devenues qu’une autre source de profits pour les conglomérats, et elles doivent rapporter autant de profits que la plus rentable des divisions vouées au divertissement. Même si les permis de diffusion continuent d’être exploités en vue de servir  « l’intérêt public », les nouvelles dans une ère d’empires médiatiques ont été réduites à de « l’infotainment » (Champlin et Knoedler 2002, 459). Une étude sur l’état des médias américains va dans le même sens, quand elle rapporte que la tendance paradoxale du journalisme est de diffuser de moins en moins de contenu original sur de plus en plus de plateformes différentes. Les auteurs ajoutent que les pressions économiques vont expulser le service de l’intérêt public si les journalistes et leurs supérieurs immédiats ne résistent pas assez aux désirs des conseils d’administration (Project for Excellence in Journalism 2006). Résumant des ouvrages récents consacrés au journalisme multimédia qui s’inscrit dans les stratégies de convergence des conglomérats, Deuze note que ce phénomène ne vise aucunement une amélioration de la qualité de l’information, mais répond strictement à des impératifs économiques, de mise en commun des ressources et d’économied’échelle(Deuze2006).Lesauteursqu’ilrésumeestimentquelejournalisme multimédia peut être une occasion d’améliorer la qualité de l’information, mais à la condition que les gestionnaires des médias s’y consacrent réellement au lieu de simplement implanter des mécanismes de convergence. Ces mécanismes obligent bon nombredejournalistesàêtredesgénéralistessuperficiels,toujourspressésde« produire », plutôt que des spécialistes dans certains domaines. Or, en ce qui regarde la qualité de l’information, il est impossible pour un même journaliste de couvrir adéquatement un événement majeur pour plusieurs médias, souligne Quinn (2004, 113). Sans être exhaustif, ce survol est révélateur des inquiétudes engendrées par la convergence des médias que notre enquête quantitative de 2007 avait mise en évidence. Danslaprésentecontribution,nousidentifionslesprincipalesraisonspourlesquellesles journalistes du Québec rejettent les stratégies de convergence des médias. Méthodologie Pour réaliser notre enquête, nous avons élaboré un questionnaire en ligne contenant treize questions. Ce questionnaire a été soumis aux journalistes membres de deux grandes associations professionnelles québécoises, soit la Fédération professionnelle des journalistes du Québec (FPJQ) et l’Association des journalistes indépendants du Québec (AJIQ). Ces associations nous ont fourni les adresses courriels de leurs mem- Bernier Les journalistes face à la convergence des médias au Québec 567
  • 4. bres qui avaient accepté qu’elles soient publiques. Nous avons invité 1883 journalistes, et 441 ont répondu au questionnaire, dont 270 qui ont répondu à toutes les questions. Le taux de participation est de 14,3 % si on ne retient que les journalistes qui ont répondu à toutes les questions (270/1883), mais pour certaines questions ayant été plus populaires, il grimpe à 23,4 % (441/1883). Volontairement, les questions cher- chaient à atteindre la saturation chez les répondants, si bien que plusieurs ont pu y percevoir une certaine redondance. Nous avons donc observé un taux de décrochage progressif au fil des questions (saturation, désintérêt, charge de travail). Dans le cadre de la présente contribution, nous nous limitons à analyser les faits saillants résultant de deux des treize questions. 1. Comment expliquer que la grande majorité des journalistes du Québec soient d’avis que la convergence des médias n’a pas d’effet positif sur le journalisme? Àcette première question, plus de 37 % des 611 commentaires catégorisés signalent que la convergence des médias est une menace pour la diversité de l’information, c’est-à- dire une perte dans la multitude de points de vue auxquels seront exposés les publics. Le premier réflexe des journalistes est donc de considérer le phénomène sous l’angle des impacts sur le public et non sur le journalisme en tant qu’activité professionnelle. Nos répondants suggèrent notamment que les journalistes sont « conditionnés à croire que la pluralité des points de vue est essentielle à l’aspect crédible et pertinent de l’information. La diversité des sources d’information est le premier point, le point le plus important du traitement d’une nouvelle. Tirer ses sources d’un même point d’origine biaise l’information ». D’autres estiment que la répétition des mêmes points de vue sur plusieurs plateformes «  risque de mener à une uniformisation et à un contrôle de l’information qui risquent de nuire à la liberté de presse ». La seconde catégorie d’importance est davantage associée aux risques de pertes d’emploi ou encore à la faible mobilité professionnelle qui résulte de la rareté d’employeurs distincts. Ces préoccupations représentent plus de 17 % des commentaires catégorisés.Onécriranotammentquela«convergencemenaceessentiellementlesemplois dans le journalisme » et qu’il y a «  beaucoup moins de possibilités de repli pour les journalistes, s’ils ne rentrent pas dans le moule d’un gros employeur », ou encore, « cette convergence risque de réduire à une peau de chagrin les opportunités d’emploi ». Pour d’aucuns, elle « limite les possibilités d’emploi dans la mesure où un différend avec son employeur actuel ne permet que d’aller chez le compétiteur » dans un contexte oùla rareté des « joueurs pénalise les journalistes qui doivent souvent sacrifier leur indépendance pour pouvoir bénéficier d’un emploi au sein de ces conglomérats ». La convergence pourrait même menacer l’indépendance ou l’intégrité des journalistes lorsque des cas de conscience ou des conflits de diverses natures les opposent à leur employeur. Deux autres catégories de préoccupations se sont manifestées avec une même importance. Elles concernent tout d’abord les craintes liées à une surcharge de travail compte tenu de la diminution des effectifs, ce qui aura pour conséquence de limiter le temps consacré à la recherche et la vérification des informations (8,5 %). Dans un tel contexte, les « journalistes qui doivent fournir toutes les plateformes médiatiques passent leur temps à “nourrir la bête” plutôt que d’approfondir les sujets ». On signale aussi que 568 Canadian Journal of Communication, Vol 35 (4)
  • 5. « plus on passe de temps sur la production et la mise en forme de la nouvelle, moins de temps on passe à rechercher l’information. Écrire un reportage pour la radio, la télé ou le web demande des approches de travail différentes. En essayant de combiner les trois, beaucoup de temps est perdu à la production ». La même production répartie sur « moins de journalistes signifie aussi moins de temps, de ressources, d’efforts investis dans la recherche, la réflexion qui sont partie intégrante du travail des journalistes ». Cela n’est pas sans affecter indirectement la qualité : « La qualité du contenu produit par certains grands groupes de médias ne répond pas aux attentes déontologiques de nombreux journalistes (temps pour préparer les articles ou reportages, choix des sujets à couvrir, vérification des sources, etc.) ». L’autre catégorie de préoccupations qui regroupe 8,5 % des commentaires fait référence au sentiment d’embrigadement des journalistes et des risques que ceux-ci soient obligés de se livrer à des pratiques de promotion des intérêts de leur employeur et d’autopromotion. Bien entendu, c’est l’exemple de Quebecor qui est le plus souvent cité par les journalistes, mais Gesca n’échappe pas à la critique non plus. Certains, par exemple, auraient «  peur de subir des pressions pour promouvoir des entreprises commerciales du même groupe », ce qui aurait pour effet de faire des médias des « outils de vente d’autres produits médiatiques (par exemple Le Journal de Montréal publie trop de contenu du Star System de Quebecor en faisant la promotion des émissions de télévision TVA, etc.) ». Des journalistes estiment de plus que le rejet de la convergence s’explique « sans doute parce que les propriétaires de médias consacrent de l’espace à la promotion de leurs différents produits là où il devrait y avoir de l’information ». Un autre parlera d’une « autopromotion ... entre les différents médias du même groupe de presse qui accentue certains sujets non pertinents au détriment d’autres sujets plus pertinents » car « derrière la convergence, il y a souvent des impératifs économiques, promotionnels, ou autres qui prennent plus d’importance que les devoirs d’intégrité et d’exactitude des journalistes ». Mentionnonsparailleursque2,5%descommentairesrecenséscherchentàréfuter le discours hypercritique dominant. Certains répondants estiment que les journalistes qui critiquent la convergence des médias le font par militantisme syndical, conservatisme, résistance aux changements ou en vertu d’un certain corporatisme. On écrira par exemple qu’il s’agit d’une « réaction corporatiste fortement influencée par les positions de la CSN, le syndicat dominant » au sein des médias québécois. Il s’agirait d’un « syndicalisme aigu qui amène les journalistes (dont la moyenne d’âge au Québec est assez élevée) à se dresser contre tout changement dans leurs petites habitudes. Pour le reste, c’est un mouvement qui semble inévitable. Tant qu’à le décrier inutilement, aussi bien essayer de faire avec ». 2. Comment expliquer que la grande majorité des journalistes du Québec soient d’avis que la convergence des médias ne favorise pas le droit du public à une information de qualité? Notons tout d’abord que bon nombre de commentaires répètent ceux de la première question (du reste, certains répondants renvoient explicitement le lecteur à leur réponse à la question précédente, comme quoi il y aurait des facteurs communs entre ce qui nuit au journalisme, de leur point de vue, et ce qui nuit à la qualité de l’information). Pour de très nombreux journalistes, la question de la qualité de Bernier Les journalistes face à la convergence des médias au Québec 569
  • 6. l’information dans un contexte de convergence suscite aussitôt les craintes liées à la diversité et à l’uniformatisation de l’information, celles-ci représentant plus de 39 % des 418 commentaires catégorisés. Comme elles s’expriment de façon similaire à celles formulées en rapport avec les effets sur le journalisme, il n’y a pas lieu de les détailler longuement. Notons toutefois que la perte de diversité est identifiée à une perte de qualité d’une information qui serait « diluée » en raison de la diminution du « nombre de points de vue auxquels le public peut se référer ». En effet, avoir une « seule information qui tourne en boucle ne permet pas d’envisager tous les angles possibles à une nouvelle. C’est de l’information appauvrie ». Ce qui est significatif en rapport avec l’information de qualité, c’est que les répondants se montrent particulièrement inquiets quant aux risques pour la démocratie et le contrôle de l’information afin de favoriser des intérêts particuliers plutôt que l’intérêt public. Ces préoccupations représentent 15,3 % des commentaires recensés pour la seconde question, contre seulement 6,5 % de ceux générés en réponse à la première question. À ce sujet, les journalistes font valoir plusieurs objections qui touchent à la fois à la qualité et l’intégrité de l’information, laquelle serait en quelque sorte détournée de son service de l’intérêt public à des fins particulières. Cela serait le cas « si des demandes patronales obligent des journalistes à écrire sur un sujet donné qui n’est pas d’intérêt public; cela brime encore une fois le droit du public à une information de qualité ». De plus, l’intérêt public n’est « pas toujours [ce qui prime] quand vient le temps de prendre des décisions commerciales au sein d’un empire », décisions qui peuvent « favoriser des intérêts commerciaux au détriment d’intérêts journalistiques. On le voit notamment chez Quebecor ». Outre le détournement à des fins particulières liées aux impératifs économiques des conglomérats médiatiques, des journalistes expriment leurs craintes quant à un contrôle de l’information à des fins politiques. Pour certains, la convergence des médias permet en effet de « défendre des positions politiques inscrites dans la ligne de pensée ou la ligne économique des éditeurs ». Àce sujet, le conglomérat médiatique Gesca, filiale de Power Corporation, est principalement mis en cause, en raison de l’orientation fédéralisteindéfectibledelafamilleDesmarais.Laconvergencepourraitmêmeimposer une ligne de parti à leurs journalistes qui ne pourraient plus avoir leur « libre arbitre. Il n’y a qu’à penser à un sujet comme “la souveraineté vs Power Corporation, Gesca, le journal La Presse…” ». Les inquiétudes portent aussi sur les contraintes qui limitent la capacité des journalistes de se livrer à des recherches et des vérifications (10,8 % des commentaires). On fait observer que « jusqu’ici la convergence a été effectuée dans un but de réduction des effectifs alors qu’une mise en commun des moyens pourrait plutôt, en plus d’éviter les dédoublements de couverture, donner lieu à des reportages et des enquêtes plus approfondies et diffusées plus largement ». Cette réduction des effectifs a pour corollaire une « augmentation des responsabilités pour une même période de temps donné, ce qui entraî ne une dilution de la qualité du travail ». En effet, on déplore que pour «  le journaliste, cela implique nécessairement de faire plus vite, de rester à la surface des choses, de rapporter les nouvelles du jour sans avoir la possibilité d’approfondir, d’aborder les événements sous un angle original ». 570 Canadian Journal of Communication, Vol 35 (4)
  • 7. Viennent ensuite les inquiétudes liées au sentiment d’embrigadement et aux pratiques de promotion et d’autopromotion qui favorisent les conflits d’intérêts. Ici encore, les commentaires sont similaires à ceux de la question précédente, mais on note que leur proportion est plus élevée (10,3 % contre 8,5 %). Je n’y reviendrai pas ici. Les craintes relatives à la perte de liberté et aux risques d’autocensure arrivent au cinquième rang avec 6,5 % des commentaires. Dans certains cas, ces craintes sont le prolongement des préoccupations liées aux conflits d’intérêts, à l’embrigadement et au détournement de la mission journalistique déjà évoquées plus haut. Ainsi, la qualité de l’information serait touchée par un trop grand contrôle de la part de gestionnaires de médias, car depuis le premier jour « de la mise en place du plan de convergence, le public a perdu son accès à une information libre. Dans l’empire [Quebecor], l’information libre et exempte de pression externe n’existe plus ». On ajoutera qu’il « peut devenir difficile pour certains de conserver leur objectivité quand vient le temps de commenter des événements commandités par son groupe de presse ». Cela rejoint par ailleurs un des constats de l’enquête quantitative de 2007, où les journalistes [et surtout ceux à l’emploi de Quebecor] soutenaient de façon importante diverses propositions associant l’autocensure et les chances de promotion au sein de leur média. On observe que plusieurs commentaires s’inscrivent contre la proposition (4,5 % contre 2  % pour la proposition précédente). Ils font plutôt valoir des aspects avantageux de la convergence, ou encore ils estiment que celle-ci ne menace pas la qualité de l’information. Àce sujet, on insiste notamment sur les avantages potentiels de la convergence en même temps qu’on laisse entendre que certains des maux qu’on lui reproche trouvent leur véritable origine chez les journalistes eux-mêmes. C’est notamment ce qu’exprime un répondant selon qui «  l’atteinte à la qualité de l’information ne provient pas de la convergence mais du peu de culture des journalistes » tandis qu’un autre cherche à réfuter bon nombre des commentaires déjà évoqués plus haut en affirmant qu’il « s’agit selon moi d’une thèse exagérée étant donné que les médias qui convergent laissent tout de même une grande marge de manœuvre à leurs journalistes ». On va aussi s’opposer à ceux qui considèrent que la multiplication des plateformes ne garantie aucunement la diversité ou la qualité de l’information en faisant valoir que si « on prend le monde de l’information dans son ensemble—télé, radio, quotidiens, hebdos, magazines, Internet—la multiplicité des sources et leur diversité procure au public une information variée, complète, de meilleure qualité qu’on le croit. Et réduit les risques que l’on associe à la convergence ». Conclusion Les journalistes du Québec ont un large éventail de raisons et de commentaires pour expliquer le rejet massif de la convergence des médias si on ne s’en tient qu’aux propositions qui s’intéressent à ses effets sur le journalisme et sur la qualité de l’information. Dans une certaine mesure, il semble que les principaux promoteurs de la convergence ont aussi été les principaux obstacles à une plus grande réceptivité de la part des journalistes. À de nombreuses reprises, l’exemple de Quebecor a été évoqué pour confirmer que les craintes s’appuient sur du concret. En voulant imposer de nouvelles façons de faire sans accepter de prendre le temps nécessaire à convaincre les Bernier Les journalistes face à la convergence des médias au Québec 571
  • 8. journalistes des avantages (en procédant à deux lock-out successifs auprès de ses journalistes du Journal de Québec et du Journal de Montréal, deux quotidiens qui généraient pourtant des profits), Quebecor pourrait avoir sédimenté de façon durable uneattitudederejetfaceàlaconvergencedesmédias.Plusieursrépondantsontsignalé que si les journalistes ont des attitudes et des opinions défavorables à la convergence, c’est parce qu’ils en vivent les conséquences néfastes au quotidien. Il n’en demeure pas moins que l’enquête quantitative de 2007 et la présente enquête qualitative confirment que les journalistes québécois ont élaboré un discours hypercritique face à la convergence des médias. Ce rejet semble en voie de sédimentation, c’est-à-dire qu’il pourrait perdurer et devenir progressivement une posture dominante difficile à modifier. Cette posture est lourde de suspicion à l’endroit des propriétaires et gestionnaires des conglomérats médiatiques. Dans un tel contexte, il y a lieu de se demander comment pourra se reconstruire un dialogue entre des journalistes et des employeurs condamnés à la cohabitation. On peut aussi penser que le dialogue sera plus difficile à réaliser là où la stratégie de convergence aura été imposée de façon autoritaire, contrairement aux entreprises où employeurs et journalistes auront réussi à trouver un terrain d’entente fondé sur des efforts de compréhension mutuelle et, bien entendu, de compromis honorables et donc durables. Même si les gouvernements du Québec et du Canada se sont distingués par leur politique de laisser-faire favorable aux entreprises de presse, il est possible que les appels répétés des journalistes et de certains publics réussissent à enclencher des réformes en rapport avec les lois sur le travail dans un contexte de travail à distance et de mobilité—qui permet à des conglomérats médiatiques de s’approvisionner en nouvelles à l’extérieur des salles de rédaction traditionnelles—en reconnaissant un statut de journaliste ou encore en favorisant la protection des droits d’auteur. Voilà trois chantiers qui font régulièrement l’objet de revendications publiques de la part des journalistes et de ceux qui les représentent, professionnellement ou syndicalement. Mais la véritable clé de voûte d’une hypothétique réconciliation entre les journalistes, les employeurs et les publics—qui se méfient eux aussi de la concentration de la propriété et des effets de la convergence des médias selon bon nombre d’enquêtes—pourrait être la redéfinition du contrat social implicite qui repose sur une certaine conception de la liberté responsable des médias (Bernier 2004). Ce qui aurait pour effet de mettre à l’avant-scène la mission démocratique du journalisme professionnel, avec ce que cela comporte en matière de qualité, de diversité et d’intégrité. Remerciements L’auteur remercie les évaluateurs anonymes pour la qualité de leurs commentaires et observations. References Becker, Howard S. (2002). Les ficelles du métier: Comment conduire sa recherche en sciences sociales. Paris : La Découverte. Bernier, Marc-François. (2008). Journalistes au pays de la convergence : sérénité, malaise et détresse dans la profession. Québec : Presses de l’Université Laval. 572 Canadian Journal of Communication, Vol 35 (4)
  • 9. Bernier, Marc-François. (2004). Éthique et déontologie du journalisme. (2e édition revue et augmen- tée). Québec : Presses de l’Université Laval. Champlin, Dell, & Knoedler, Janet. (2002). Operating in the public interest or in pursuit of private profits? News in the age of media consolidation. Journal of Economic Issues, 36(2), 459-468. Deuze, Mark. (2006). Convergent journalism education [Book Review Essay]. Journalism and Mass Communication Educator, 61(3), 330-333. Picard, Robert G. (2004). Commercialism and newspaper quality. Newspaper Research Journal, 25(1), 54-65. Project for Excellence in Journalism. (2006). The State of the News Media 2006. URL : http://www.stateofthenewsmedia.com/2006/ [17 octobre 2010]. Quinn, Stephen. (2004). An intersection of ideals: Journalism, profits, technology and convergence. Convergence, 4(10), 109-123. Bernier Les journalistes face à la convergence des médias au Québec 573
  • 10. 574 Canadian Journal of Communication, Vol 35 (4)