1. Museo Pigorini Roma
Modernity
Most European ethnography museums were established in the early stages of colonization. In
some instances, their role was overtly political, for they were designed as showcases for the
colonial enterprise, which was presented as a civilizing mission. Their collections were
instruments of propaganda for colonial expansion, setting the stage for the economic benefits that
European countries could reap from exploiting the colonized territories. Independence has led to
something of an identity crisis in these museums in recent decades. Their purpose gone, these
museums have had to reconsider their position in a society where the perception of remote peoples
is still stereotyped.
The concept of modernity is considered by some as having been overtaken by ideas of
‘postmodernity’, ‘hypermodernity’ or by multiple ‘local modernities’. We propose rethinking the
concept of modernity as applied to ethnographic museums, as such museums are far more closely
entangled with the contemporary world than is generally thought. The processes of evangelization
and colonization with which these museums were closely, or indirectly, linked have trapped some
in the past, side-lining them from contemporary intellectual currents, often accompanied by an
uneasy sense of guilt. The term ‘ethnography’ itself has suffered from this marginalization, to the
point that some of these museums have ceased to use it in their names. Yet they all continue to
study the societies whose artefacts are in their collections and archives. They are still gathering
information today, doing fieldwork in a world where ‘the field’ is less easily defined, is multiple,
and close at hand, both physically and virtually.
This component of the project approaches the theme of first encounters: both the earliest contacts
in the age of exploration and those of migration today. Europeans setting out to discover the world
and its riches established contacts with remote peoples who are today trying to make the same
journey in reverse in search of a better life. Ethnography museums cannot overlook these
migrations, which generate ‘first encounters’ of a new kind, offering the potential for rich dialogue
whose neglect risks impoverishing museums.
In a globalising world, cultural diversity remains a potential source of enrichment and openness.
For some, diversity generates fear and insecurity, contributes to racial stereotyping and falsely
legitimises harsh immigration policies. Ethnography museums have a role to play in dismantling
such cultural and racial clichés, so that genuine ‘first encounters’ once again become possible.
At one time what made ethnographic museums special was their capacity to give visitors a taste of
the exotic, taking them on a journey to faraway places. Now that mass tourism allows trips to the
most distant destinations and the media hunt for ever more exotic ‘getaways’, this can no longer
be a unique selling point for ethnographic museums. More unfortunate is a widespread public
assumption that a museum always deals with heritage that belongs to the past. The vision of
culture which ethnography museums project ought to be one in which the cultures in question are
self-reflexively located firmly in the present. Historical, geographical and political contexts should
be incorporated, as much as voyeurism, cliché and exoticism must be avoided.
Modernité
La plupart des musées d’ethnographie européens sont nés dans la mouvance de la constitution des
colonies. Leur rôle éminemment politique visait à offrir une vitrine à l’entreprise coloniale
2. présentée à l’époque comme civilisatrice. Outils de propagande de l’expansion impérialiste, leurs
collections servaient à mettre en scène les bénéfices économiques que les nations européennes
pouvaient retirer de l’exploitation des territoires investis. Avec l’accession à l’indépendance de
l’ensemble des pays colonisés, les musées ont connu, ces dernières décennies, une véritable “crise
identitaire”. Appelés à disparaître ou à se reconvertir fondamentalement, ils ont dû reconsidérer
leur position dans une société où la perception des populations lointaines est toujours empreinte de
préjugés.
Galvaudé selon certains ou franchement dépassé depuis qu’on parle de “post” et d’“hyper”
modernité, ce concept doit être entendu dans le sens où les musées d’ethnographie sont beaucoup
plus confrontés au monde contemporain que d’aucuns ne l’imaginent. Les histoires
d’évangélisation et de colonisation auxquelles ils ont été généralement mêlés, même
indirectement, les ont installés dans un passé révolu et ont contribué à les précipiter dans un oubli
souvent associé à une culpabilité mal assumée. Le terme “ethnographie” a souffert de cette
marginalisation, à tel point que certains musées l’ont banni de leur dénomination. Pourtant, tous
ont continué à s’impliquer dans l’étude des sociétés dont ils avaient accumulé des artefacts ainsi
que des connaissances précieuses. Tous continuent aujourd’hui leur quête d’information envoyant
sur place des anthropologues qui se voient confrontés à des sociétés résolument contemporaines et
dynamiques qui n’ont cessé de connaître de profonds changements faits d’un mélange complexe
de contacts, d’importations, d’influences et de résistances. Contrairement aux préjugés qui
circulent toujours sur les cultures non européennes (trop souvent encore qualifiées de primitives),
ce n’est pas exclusivement le contact avec l’Occident qui les a installées dans une forme de
modernité. Par définition, le changement est constitutif de chaque société aussi réduite et aussi peu
développée technologiquement soit-elle.
L’objectif du chantier de réflexion initié par ce projet est de proposer une critique de la modernité.
Il s’agit de distinguer la construction théorique de cette critique et son effectivité pratique. Ainsi,
d’un point de vue discursif la modernité serait l’apanage d’un occident rationnel qui manifeste la
volonté de s’opposer à l’irrationnel. Le discours que la modernité produit sur elle-même institue
un système d’analyse binaire du monde (croyance/savoir ; religion/science ; théorie/pratique). Or
cette grille de lecture ne permet pas de penser l’effectivité de la modernité engagée de fait dans un
incessant processus d’hybridation.
Ainsi, ce thème de recherche vise à critiquer un certain usage de la modernité en soulignant, à
travers des productions artistiques, comment elle est à l’oeuvre dans l’ensemble des sociétés
humaines.
Cette thématique est abordée d’un point de vue diachronique et synchronique : les premières
rencontres survenues au cours des voyages d’exploration et celles qui ont lieu aujourd’hui à
travers les phénomènes migratoires. Les Européens, à la découverte du monde et de ses richesses,
ont établi des premiers contacts avec des populations lointaines qui, à leur tour, tentent
aujourd’hui le périple en sens inverse, à la recherche d’une vie meilleure. Il appartient également
aux musées d’ethnographie de s’intéresser à ces migrations qui engendrent un nouveau type de
premières rencontres et des possibilités de dialogue trop souvent évacuées.
Bien que le monde contemporain soit de plus en plus globalisé, la diversité des cultures apparaît
comme une source d’enrichissement et d’ouverture. Cependant, pour certains, cette diversité est
source de déstabilisation et de peur. Dans les politiques de contrôle des flux migratoires, les
craintes liées à des visions stéréotypées des étrangers, servent de justificatifs à des durcissements
dont les conséquences peuvent être néfastes. Stigmatisés dans leur altérité, les migrants, les sanspapiers et les étrangers en général font les frais de l’indigence des connaissances qui circulent à
leur égard. Déconstruire les clichés qui réduisent les individus et leurs spécificités à des entités
culturelles dans lesquelles, bien souvent, ils ne se reconnaissent pas, permettrait de rétablir des
possibilités de premiers contacts.
3. Les évocations de ces premières rencontres doivent rendre compte du contexte dans lequel elles se
sont produites et de l’environnement cognitif mobilisé par les individus. Retracer ces rencontres
historiques pour déconstruire les appréhensions qui nous taraudent aujourd’hui représente un enjeu
essentiel de ce projet.
Autrefois, les musées d’ethnographie offraient à leurs publics une forme de dépaysement, de
possibilité de voyage vers des contrées lointaines. Aujourd’hui, face à l’industrie touristique, qui
propose des destinations toujours plus insolites et aux médias qui ciblent les situations les plus
exotiques possibles, ils pourraient ne plus disposer d’une capacité attractive suffisante. Qui plus
est, dans l’esprit du public, la notion de musée est souvent associée à un patrimoine qui appartient
au passé. Les musées d’ethnographie doivent démontrer que leur approche est aussi
contemporaine et intégrer la modernité des cultures dans la présentation des collections. Cette
perspective ne peut se faire qu’en contextualisant et surtout en resituant l’étude des collections et
des pratiques dans une perspective historique, géographique et politique. Les musées ont les atouts
et les outils pour proposer un autre type de rencontres en évitant les écueils du voyeurisme, des
préjugés et de l’exotisme