1. CAS CLINIQUES
Tamponnade péricardique et hémothorax
gauche, modes de révélation de dissection
de l’aorte ascendante
Pericardial tamponade and left hemothorax
caused by ascending aortic dissection
S. PESSINABA, A. MBAYE, A.E. SIB, M. DIOUM, A.A. NGAIDÉ, B. DIACK, M. KANE,
D. DIAGNE-SOW, A. KANE
Correspondance :
Dr Soulemane PESSINABA. Service de Cardiologie, Hôpital Général de Grand Yoff (Service du Professeur Abdoul Kane).
BP : 3270 Dakar, Sénégal - Email : spessinaba@yahoo.fr
Résumé
La dissection aortique est une affection rare et très
grave, souvent mortelle et qui est révélée par des
symptômes variés dont les plus fréquents sont la douleur
thoracique typiquement à irradiation interscapulaire,
l’état de choc et les déficits neurologiques. Nous
rapportons deux cas de dissection aortique respectivement
révélées par une tamponnade cardiaque et un hémothorax
gauche.
Le premier cas est une patiente de 77 ans hypertendue,
admise aux urgences médicales pour un collapsus cardiovasculaire. L’échocardiographie montrait un épanchement
péricardique de moyenne abondance avec compression
des cavités droites. La ponction péricardique ramena un
liquide hématique et l’angioscanner thoracique retrouva
une dissection aortique type I de De Bakey. La patiente
n’avait pas bénéficié d’une chirurgie mais l’évolution a été
bonne sous contrôle médical de la tension artérielle avec
un recul actuel de 7 ans.
Le second cas est celui d’un patient de 39 ans, qui avait
consulté pour une douleur basithoracique gauche et une
dyspnée stade III de la New York Heart Association
(NYHA). Dans ses antécédents on retrouvait une
hypertension artérielle. La radiographie du thorax mettait
en évidence une pleurésie gauche de grande abondance
dont la ponction avait ramené un liquide hémorragique.
L’angioscanner thoracique avait montré une dissection
aortique type I de De Bakey. L’évolution a été également
favorable sous traitement médical après un recul de 22
mois.
Ces deux cas montrent que la dissection aortique peut
se révéler, en l’absence de douleur thoracique typique, par
une tamponnade ou par un hémothorax. A défaut du
traitement chirurgical indiqué dans ces cas, un contrôle
médical de la tension artérielle peut permettre une
évolution clinique favorable.
Mots clés : Dissection aortique, tamponnade,
hémothorax.
Abstract
Aortic dissection is a rare and very serious condition,
often fatal, mainly revealed by symptoms such as chest
pain with posterior irradiation, cardiac collapse or
neurologic disorders. We report two cases of aortic
dissection respectively one revealed by cardiac tamponade
and by left hemothorax.
The first case concerns a hypertensive woman of 77
years old who was admitted to the emergency department
for cardiovascular collapse. Echocardiography showed a
pericardial effusion of average volume with compression
of the right cavities. Pericardiocentesis collected an
hemorrhagic fluid. The diagnosis was confirmed by
thoracic CT angiography which showed type I De Bakey
aortic dissection. Under medical control of blood pressure,
the evolution was favorable after a follow-up of 7 years.
In the second case, we report a 39 years old patient who
presented with left chest pain and stage III dyspnea of the
New York Heart Association (NYHA). Chest X-ray showed
a huge left pleural effusion with hemorrhagic fluid at
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CAS CLINIQUES
thoracentesis. Chest CT angiography made confirms
diagnostic of type I De Bakey aortic dissection. Evolution
was favorable under medical treatment with after a
follow-up of 22 months.
These two observations suggest that aortic dissection
can be revealed, without a typical chest pain, by
tamponade or hemothorax. In the absence of surgical
treatment indicated in these cases, medical control of
blood pressure may allow a favorable clinical course.
Keywords: aortic dissection, tamponade, hemothorax.
Introduction
La dissection aortique de type I selon la classification
de De Bakey ou de type A selon la classification de
Stanford est une affection rare [1]. En effet, l’incidence
globale des dissections de l’aorte thoracique serait de
l’ordre de 5 à 10 par an et par million d’habitants. Cette
maladie est grevée d’une mortalité importante [2, 3]. Elle
se révèle par des symptômes variés dont les plus fréquents
sont les douleurs thoraciques, les signes de choc et les
déficits neurologiques. Notre travail porte sur deux cas de
dissection aortique respectivement révélés par une
tamponnade cardiaque et un hémothorax gauche.
Observation 1
Une patiente de 77 ans a été admise le 6 juin 2004 en
urgence pour collapsus cardio-vasculaire. La
symptomatologie a débuté 5 heures avant son admission
par une sensation d’asthénie associée à des vomissements
postprandiaux précoces. Il n’y avait pas de douleur
thoracique. Une semaine avant son admission, la patiente
avait présenté un syndrome grippal fait de rhinorrhée,
céphalées, toux sèche évoluant dans un contexte fébrile
n’ayant pas cédé à une automédication à base de
Figure 1 : Echocardiographie transthoracique, coupe sous
costale montrant un épanchement péricardique de
moyenne abondance avec compression du ventricule droit.
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Chloroquine. Dans les antécédents, elle était connue
hypertendue depuis 5 ans, sous Aténolol 100 mg par jour.
Elle était également suivie depuis 2 mois pour discopathie
en neurologie. Il n’y avait pas de notion de contage
tuberculeux.
A l’admission l’examen clinique retrouvait une patiente
en mauvais état général avec des muqueuses
conjonctivales pâles, des sueurs profuses et des extrémités
froides. La conscience était conservée. Elle avait une
pression artérielle (PA) basse à 70/40 mm Hg aux deux
bras, une fréquence cardiaque à 100 battements/min, une
température à 36 °C et une saturation en oxygène à 95 %.
On notait un assourdissement des bruits du cœur, une
turgescence spontanée des veines jugulaires, une
hépatomégalie à surface lisse (flèche hépatique = 13 cm)
avec reflux hépato-jugulaire. Il n`y avait pas d’œdèmes
aux membres inférieurs. Devant ce tableau, les diagnostics
évoqués étaient une embolie pulmonaire et une
tamponnade péricardique. En urgence un remplissage de
1000 ml de macromolécules avait été effectué.
L’électrocardiogramme réalisé en urgence inscrivait une
tachycardie sinusale régulière à 105 cycles/min, une
hypertrophie auriculaire gauche et une hypertrophie
ventriculaire gauche sans signes électriques d’insuffisance
coronaire. L’échocardiographie transthoracique (figure 1)
montra un épanchement péricardique de moyenne
abondance avec compression des cavités droites, une
hypertrophie concentrique des parois du ventricule
gauche, une hypocinésie des parois latérale et inférieure.
Une ponction péricardique faite en urgence avait ramené
200 ml de liquide hématique incoagulable. Après la
Figure 2: Angioscanner thoracique en coupe transversale
montrant une dissection aortique de type I de De Bakey
(lambeau intimal dans la lumière de l’aorte ascendante
et descendante) et l’épanchement péricardique remontant devant l’aorte et l’artère pulmonaire.
3. CAS CLINIQUES
Figure 3: Radiographie du thorax de face montrant un
épanchement pleural liquidien gauche avec refoulement
controlatéral du médiastin.
Figure 4: Angioscanner thoracique en coupe transversale
montrant une dissection aortique de type I de De Bakey
et un épanchement pleural gauche abondant.
ponction péricardique, la PA était remontée à 140/80 mm
Hg et la saturation en oxygène à 100 %. L’angioscanner
thoracique (figure 2) montrait une dissection aortique de
type I de De Backey allant de l’aorte ascendante sussigmoïdienne jusqu’au niveau de l’aorte abdominale susrénale. On notait une aorte athéromateuse avec dilatation
anévrysmale. La patiente avait été mise ensuite sous
traitement antihypertenseur à base de bisoprolol 10 mg
par jour, Nicardipine 50 mg 2 fois par jour, Ramipril 10 mg
par jour et hydrochlorothiazide 25 mg par jour. L’état
hémodynamique est resté stable pendant l’hospitalisation.
Après un suivi de 7 ans, l’évolution ne retrouve pas de
récidive.
liquide hématique incoagulable. L’angioscanner
thoracique (figure 4) objectivait une ectasie de l’aorte
ascendante avec une dissection allant jusqu’à l’aorte
descendante (type I de De Backey). Par ailleurs on
retrouvait un épanchement pleural gauche de grande
abondance refoulant modérément le médiastin à droite.
Un traitement antihypertenseur associant Amlodipine et
Bisoprolol a alors été instauré. L’évolution était favorable
avec une nette régression de l’hémothorax et le patient
était sorti après 20 jours d’hospitalisation. Le suivi
ambulatoire note un état clinique stable sans récidive avec
un recul de 22 mois.
Observation 2
Un patient âgé de 39 ans avait consulté le 17 juillet
2009 pour une douleur basithoracique gauche à type de
point de côté aggravé par l’inspiration profonde, le
décubitus latéral droit et évoluant depuis 10 jours. Il est
apparu secondairement une dyspnée stade III de la NYHA.
Le patient était hypertendu depuis 2006 sous traitement
médical associant Quinapril et Hydrochlorotiazide.
L’examen clinique retrouvait une fièvre à 39º C, une
tachycardie régulière à 108 battements/min, un éclat du
deuxième bruit au foyer d’auscultation pulmonaire et un
syndrome d’épanchement pleural basal gauche. La
pression artérielle était de 120/80 mm Hg sans asymétrie
de tension artérielle ni de pouls. Le taux d’hémoglobine
était de 6,7 g/dl, les leucocytes étaient de 13600/mm3. La
radiographie du thorax (figure 3) montrait un
épanchement pleural liquidien occupant le champ
pulmonaire gauche. La ponction pleurale avait ramené un
Discussion
La dissection aortique est une urgence diagnostique et
thérapeutique engageant le pronostic vital à très court
terme par le risque de rupture en particulier lorsqu’elle
touche l’aorte ascendante [2,4]. Les modes de révélation
sont variables, mais les plus fréquents sont la douleur
thoracique migratrice, l’état de choc, l’asymétrie de
tension et du pouls [5]. La tamponnade péricardique
souvent mortelle d’emblée est rarement révélatrice de la
dissection aortique. Un épanchement péricardique est
présent dans 5 à 10 % des cas de dissection aortique [6]
mais la tamponnade est plus rare et de mauvais pronostic
à court terme. Dans le travail de Ho [7], sur 56 cas de
dissection aortique, 13 avaient eu un épanchement
péricardique et seulement 7 avaient présenté une
tamponnade. Cette tamponnade est due à la rupture de
l’aorte dans le péricarde. Chez notre patiente l’absence de
douleur thoracique rendait le diagnostic difficile. C’est la
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CAS CLINIQUES
nature du liquide après ponction péricardique qui a
orienté le diagnostic.
Les épanchements pleuraux lors de la dissection
aortique ne sont pas exceptionnels [8,9]. Il s’agit dans la
majorité des cas de pleurésie inflammatoire [8,9]. La
survenue d’un hémothorax semble beaucoup plus rare et
estimée à environ 10 % [10,11]. La majorité des cas
rapportés concernent la plèvre gauche comme chez notre
patient. L’hémothorax fait généralement suite à une
rupture de l’aorte thoracique descendante, initialement
dans la région médiastinale, puis dans l’espace pleural
gauche en raison de sa proximité avec la cavité pleurale
[12]. Plus rarement, l’hémothorax peut être en rapport
avec une dissection de l’aorte ascendante [13].
L’hémothorax droit est rare dans la dissection aortique.
Chez notre patient, il s’agissait d’une dissection de l’aorte
ascendante étendue à l’aorte descendante. La
radiographie du thorax peut orienter le diagnostic en
mettant en évidence un contour aortique anormal et un
élargissement du médiastin [10]. Le diagnostic est
confirmé dans près de 80 % par l’échocardiographie qui
peut mettre en évidence une dilatation de l’aorte, une
insuffisance aortique, une double lumière séparée par un
voile intimal et un hémopéricarde éventuellement. Elle
recherche une compression des cavités cardiaques en cas
d’hémopéricarde associé. L’angioscanner thoracique
confirme le diagnostic dans tous les cas et permet, en
outre, de faire le bilan d’extension de la dissection [14].
Le traitement de la dissection aortique de type I de De
Bakey est chirurgical. Il consiste en un remplacement de
l’aorte ascendante. En cas de dilatation importante de
l’aorte et/ou de dilacération de la racine de l’aorte une
intervention de Bentall est nécessaire [15]. La mortalité
post opératoire est inférieure à 10 %. En l’absence de
chirurgie cette mortalité est lourde de l’ordre de 35 %
dans les premières 24 heures allant jusqu’à 80% la
deuxième semaine [2]. Malgré l’indication opératoire, nos
deux patients n’avaient pu bénéficier de la chirurgie parce
qu’elle n’était pas réalisable dans notre milieu. Toutefois,
l’évolution a été bonne dans les 2 cas sous contrôle
médical de la pression artérielle avec un recul
respectivement de 22 mois et 7 ans.
Conclusion
La dissection aortique est une pathologie rare dont les
manifestations révélatrices sont variables. Elle doit être
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évoquée devant un hémothorax ou un hémopéricarde avec
tamponnade même sans douleur thoracique surtout chez
un sujet hypertendu. L’évolution peut être favorable sous
contrôle médical de la tension artérielle.
Références
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