1. Traces du corps
« Le corps comme interface : d'une
économie de l'attention à une
économie de l'occupation »
Ertzscheid Olivier.
Université de Nantes
Laboratoire DICEN-idf
www.affordance.info
Paris. Juillet 2016
Creative Commons by / sa
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2. Pitch
• Le corps comme interface : d'une économie de l'attention à une économie
de l'occupation
• Disparition des écrans, multiplication des capteurs passifs, internet des
objets, interfaces vocales et assistants intelligents : le web documentaire,
après avoir été remplacé par celui des profils est en train de vivre sa
troisième révolution en mettant le corps au centre d'un nouvel écosystème
des données et des processus de monétisation et de socialisation afférents.
La dimension "biologique" – des traces "médicalisables" au fantasme du
transhumanisme en passant par le développement de la génomique
personnelle – devient le centre de gravité d'une "nouvelle" économie qui
vise moins à capitaliser sur notre temps d'attention (Herbert Simon) que
sur des stratégies relevant d'une économie de l'occupation définie comme
la somme du temps de captation passive de nos données physio-
biologiques, du temps de mesure passive de nos comportements et du
temps d'usage passif de dispositifs et/ou d'objets disséminés à même notre
corps et/ou dans notre environnement cinesthésique direct, c'est à dire à
portée de 3 de nos 5 sens.
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3. Super Pitch
• La génomique personnelle et l’internet du
génome sont le web 4.0
• Le corps y devient une technologie
« détachable »
• Dont les « traces » fondent un bio-capitalisme
de la surveillance
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4. Demandez le programme.
• 1. Resituer la notion de profil et de trace
• 2. Voir comment nous sommes passés d’une
économie de l’attention à une économie de
l’occupation.
• 3. questionner cette nouvelle « corporéité »
des traces et leur exploitation marchande
• 4. pour illustrer la transition d’un capitalisme
linguistique et cognitif à un bio-capitalisme de
la surveillance.
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6. 6
– va progressivement se scinder en deux sous-réseaux : le web "ouvert" d'un côté et
de l'autre celui des plateformes propriétaires, des écosystèmes "fermés" qui
fourniront à la fois l'accès et les contenus comme Facebook s'apprête à le faire en
Inde avec son projet Internet.org.
1. Internet des profils et des documents (GAFA)
7. 7
– Révolution pour l'ensemble du paradigme économique actuel : nouvel âge du libéralisme dans lequel,
au-delà duremplacement d'un grand nombre d'emplois par différents types d'automatismes robotiques
– Digital Labor : de + en + complexe de savoir qui est l'employeur et qui est l'employé, à quel moment nous
sommes en train de travailler (et pour qui ...) et à quel moment nous sommes "off-job ».
2. Internet des services (NATU)
8. • va systématiser des logiques d'automatisation (des voitures sans chauffeur,
interfaces vocales, assistants « intelligents »)
• échanger avec et/ou de posséder un robot et d’interagir vocalement avec lui sera
aussi naturel qu’utiliser utiliser et/ou posséder un PC et de taper au clavier.
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3. Internet des objets (IoT) et des (ro-)bots
9. 4. Internet de l’ADN, du génome
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– faire abstraction de l'homme en tant que sujet pour se concentrer sur
les services et les potentialités qu'il offre en tant que séquence
génétique programmable, calculable, « computable ».
11. « Profil ? Vous avez dit profil ? »
• Profil comme notion structurante :
– fonde la première grande transition de l’écosystème du web, le
passage d’un web des documents à un web des profils, notamment
grâce à l’avènement des réseaux sociaux.
– c’est sur une économie des profils que s’est construite l’économie de la
Data, du Big Data et des données notamment « personnelles ».
• Profil comme notion « diluée » :
– dans l’héritage de la notion de « trace » (MERZEAU, JEANNERET)
– se décline en autant d’instances (économiquement) exploitables qu’il
peut exister de variantes situationnelles liées
• aux options ou aux orientations stratégiques et marchandes des écosystèmes
les mettant en œuvre et collectant les données s’y rattachant.
• À nos propres comportements ou désirs d’interactions
• À la manière dont nos propres comportements ou désirs d’interaction sont
instrumentalisés et traduits dans les orientations stratégiques et marchandes
des écosystèmes qui les captent, les mesurent et en organisent la satisfaction
ou la frustration.
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12. Le profil en diachronie
• Profil documentaire : individu qualifié par somme des traces
documentaires produites et repérables (web 1.0)
• Profil identitaire : individu qualifié ET quantifié par la somme
des différents profils individuels permettant, par agrégation,
de reconstituer la trace de son expression sur les réseaux et
donc de son « identité numérique » (ERTZSCHEID) (Web 2.0)
• Profilage algorithmique : profil documentaire + profil
identitaire + explosion volumétrique (big data) + impératifs
économiques d’un capitalisme linguistique (qui est aussi
capitalisme de la trace) = « tentation algorithmique » de la
bulle de filtre. Effet normatif de régimes de croyances et
d’opinions artefactuels (= fabriqués) (PARISER / ERTZSCHEID).12
13. Profil = Pro. Fil
• 1 Profil = instanciation d’une pro(fondeur) +
(sur le) fil (de l’actualité / de son actualisation)
• Le profil c’est l’articulation :
– d’une profondeur dans l’indexation de données
déclaratives et navigationnelles
– et d’une contextualisation au regard de logiques
attentionnelles contraintes (effet de nombre /
impossibilité de « tout voir ») et contrôlées
(satisfaction du besoin + élimination de la
« friction » + fabrique de la pulsion).
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14. Internet des objets :
le profil obje(c)t(ivé)
?
• Nouveau régime documentaire des profils qui s’amorce.
• Chaque « objet connecté » et chaque « capteur passif » a vocation à collecter, traiter, accéder (en
lecture et en écriture) à des traces appartenant à nos profils documentaires (combien de sucre dans le
café), à nos profils identitaires (a liké pages commerce équitable, penser à lui suggérer d’acheter du café
bio) au service d’une nouvelle itération d’un profilage algorithmique
• Placer les données dans les objets, épars, triviaux, plutôt que dans des plateformes centralisées c’est
accentuer l’illusion d’une dissémination qui diminuerait le danger de la surveillance en le diluant, alors
qu’au contraire cela le renforce. On se méfie d’une caméra de surveillance. Pas de son frigo ou de sa
cafetière.
• Internet des objets est une forme « d’anecdotisation » de régimes de collecte, de captation et donc de
surveillance toujours plus prégnants.
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15. Internet du génome : le profil ADN
• Web 4.0 ?
• Dans les 10 technologies disruptives 2015 du MIT avec avènement à 2 ans
https://www.technologyreview.com/s/535016/internet-of-dna/
• L'internet de l'ADN est un projet dont l'objectif est "de documenter chaque
variation de chaque gène humain et de déterminer quelles sont les conséquences de
ces différences."
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16. 2. Ce qui a
changé dans
l’économie de
l’attention. 16
17. D’une économie de l’attention à 1
économie de l’occupation
Via stratégies de prestidigita(lisa)tion
17
19. Une économie de
l’attention … en
pleine mutation
• Économie de l’attention a changé d’objet :
– Non plus repérer (recommander) et à fixer (indexer) les traces documentaires produites
– Mais les profils (d’individus ou de collectifs organisés – associations, médias, groupes d’opinion) les
plus susceptibles de produire des traces documentaires capables de s’accorder avec notre propre
profil (Filter Bubble)
• Economie de l’attention a changé de stratégie : fonctions anciennes de « repérage », de
« matching » (moteurs de recherche, indexation, algos de « pertinence ») remplacées par d’autres
ingénieries reposant :
– sur des capteurs en temps-réel (actifs ou passifs) dont le spectre s’étend de l’analyse de
nos données physio-biologiques à celle de nos différents comportements et
déplacements en-ligne ou hors-ligne,
– sur l’imposition de nouvelles « cadences cognitives » par le relai de systèmes de
notifications, véritables contremaîtres attentionnels (ERTZSCHEID / LICOPPE)
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20. Les deux grandes figures de la Prestidigita(lisa)tion
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« Le Turc mécanique » ou la grande
(dés)illusion du « Digital Labor »
« La femme coupée en deux » ou la
persuasion technologique
(Stanford University)
21. Prestidigita(lisa)tion : comment entretenir (et légitimer) cette
impression de continuité, cette linéarité du fil ?
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Profil(s)
Habitus social
Impression de continuité
Données « personnelles » Données « préparées »
PERSUASION TECHNOLOGIQUE
(ET SES « PETITES ASYMÉTRIES DE LA PERCEPTION »)
Prescription(s)
« fil » d’information / mur / flux / etc
S’appuyer sur « habitus » social (les algorithmes seront toujours moins « prédictifs » que nous ne sommes prévisibles)
ESCAMOTAGE
22. Prestidigita(lisa)tion : comment entretenir (et légitimer) cette
impression de continuité, cette linéarité du fil ?
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Profil(s)
Posture « contrainte » et normative
(je vais bien, j’aime les chats
Ou
Tout fout le camp, je suis en colère)
Habitus algorithmique
Habitus social
Impression de continuité
Habitus algorithmique
Données « personnelles » Données « préparées »
Qui pour être efficient au sein des écosystèmes
hôtes et bénéficier de « récompenses »
ou de gratifications sociales
Postule une … Qui entretient en retour une …
PERSUASION TECHNOLOGIQUE
(ET SES « PETITES ASYMÉTRIES DE LA PERCEPTION »)
Prescription(s)
« fil » d’information / mur / flux / etc
S’appuyer sur « habitus » social (les algorithmes seront toujours moins « prédictifs » que nous ne sommes prévisibles)
ESCAMOTAGE
23. Que cherche-t-on à escamoter ?
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Par exemple : mur qui efface les migrants, images d’enfants morts, opinions politiques clivantes
(http://affordance.typepad.com//mon_weblog/2015/09/recherche-aylan-kurdi.html)
En gros, la « friction »
Il est des traces qu’il vaut mieux perdre.
24. Que vise cette persuasion technologique via
ces « petites asymétries de la perception » ?
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Des régimes de plus en plus « infra-attentionnels »
• Documents > profil > objets > corps / ADN = Régimes de plus en plus infra-attentionnels
• De la même manière que l’économie de l’attention a toujours cherché et fini par obtenir des stratégies du
zéro clic (notifications), l’économie de l’occupation s’efforce de proposer des dispositifs de captation, de
mesure et d’analyse ne nécessitant aucune démarche consciente.
26. Nobody is no-body
• manque de corps problématique :
– sur le plan économique (comment « monétiser » les données issues directement de notre corps)
– sur le plan technologique (avènement de la réalité « augmentée », Oculus Rift, qui mobilise notre
corporéité autant que nos fonctions cognitives)
– Sur le plan situationnel (que faire – et comment – de ces nouvelles sources de données).
• Ce manque est aujourd’hui en passe d’être résolu :
– En surface (World Wide Wear - Google glasses, projet Jacquard, apple watch, quantified-self …)
– En profondeur (internet du génome)
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27. Notre corps peut-il devenir un
objet technique comme un autre ?
• Simondon : "Un objet technique est produit quand il est détachable ;
il y a, dans d'autres cultures, des formes de cette séparation entre l'homme et l'objet autres que la
condition de vénalité ; la transmission héréditaire, nécessitant apprentissage et continuité du savoir sous
peine d'évacuation du sens fonctionnel de l'outil, en est une. Mais, dans note culture, la vénalité est la
forme la plus répandue de cette libération qui intervient lorsque l'objet a été produit (...).
• Le cyborg ou l’homme augmenté est déjà l’instanciation d’un corps
détachable.
• On parle déjà de bio-capitalisme, de bio-hacking, de bio-design …
• L’internet du génome c’est la vision du corps comme objet technique
détachable (cf ciseaux à couper l’ADN)
• Dans le même temps les plateformes techniques, les technologies
visent à produire toujours plus d’attachement.
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30. Traces cognitives et traces du corps
• Problématique de la trace dans l’économie de l’attention :
– dimension active (ou « semi-consciente ») de l’usager
– fondée sur traçabilité et historicité de routines cognitives
– Régimes documentaires de « l’inscription »
• Problématique de la trace dans l’économie de l’occupation :
– dimension passive de l’usager
– fondée sur traçabilité de nos comportements et constantes
biologiques
– Régimes documentaires de la « souscription » (sub-scribere :
écrire en-dessous). Forme d’écriture automatique, pas toujours
consentie, souvent subie.
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33. • Si notre corps est devenu le dispositif de traçage et de collecte ultime, l'aliénation
produite nous contraint soit à nous y soumettre sans mot dire, soit à systématiser
des stratégies d'évitement de plus en plus « organiques »
• lorsque l'on ne voulait pas être tracé au moyen de sa carte bleue, on pouvait payer
en liquide ; lorsque l'on ne veut pas être tracé par nos smartphones ou nos
ordinateurs ou "le réseau" on peut les éteindre ou les patcher avec différentes
techniques de cryptage ou utiliser des réseaux alternatifs (Tor par exemple).
• Mais comment et que peut-on faire lorsque l'on ne veut plus que notre corps nous
trace ?
• On ne peut ni « éteindre » ni « éviter » son corps.
• L'idée des industries des Big Data et le Graal d'une omniscience des marchés au
travers de leur principal thuriféraire (le marketing) est de nous amener à ce point
au-delà duquel il devient bien plus financièrement coûteux, cognitivement
complexe, socialement castrateur et physiquement impossible pour un individu
de refuser la collecte et le traçage plutôt que de s'y soumettre tout en le
déplorant. Et elles y sont presque parfaitement parvenues. Et s’apprêtent à franchir
un pallier supplémentaire.
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34. La « trace » comme matière première.
La mise en concurrence des exploitants de la trace
La dérégulation des marchés (économie de la citation > économie de l’attention >
économie de l’occupation)
La spéculation comme paradigme transformatif
capitalisme linguistique / cognitif > capitalisme de la surveillance > bio-capitalisme
Capitalisme linguistique organise spéculation sur la langue
Capitalisme cognitif organise spéculation sur rentes cognitives attentionnelles
Capitalisme biologique organise spéculation sur le corps (traces extra-corporelles (=
capteurs) et intra-corporelles (= marqueurs au sens génétique)
De la même manière qu’il nous a fallu répondre à la question de la « pertinence » et
donc de la « valeur » d’un document, puis à celle de la « pertinence » et donc de la
« valeur » d’un profil, il nous faudra répondre à la question de la « pertinence » et de
la « valeur » d’un corps.
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