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M A R O C
" Ensemble pour un développement humain "




          Pour une Politique
    de Développement Social Intégré




                         Mission d’appui du PNUD
    au Ministère du Développement Social de la Famille et de la Solidarité

                                 Travail réalisé par
                         le Dr Abdeljalil GREFFT-ALAMI
                               en collaboration avec
                          Laârabi JAIDI et Driss BENALI




                                Février 2005
P R E F A C E




Le royaume du Maroc s’est résolument engagé au cours des quelques dernières années dans
un processus de renforcement et d’intégration de ses politiques sociales. La création, lors du
remaniement ministériel de juin 2004, d’un nouveau Département regroupant les institutions
oeuvrant dans le développement social – un pôle social en somme – est une éloquente
illustration de cet engagement.
Dés sa mise en place, le Ministère du développement social, de la famille et de la solidarité, en
étroite concertation avec les autres départements et l’ensemble de ses partenaires sociaux, a
procédé à une réflexion stratégique.
C’est dans ce contexte que le PNUD fut sollicité pour apporter un appui, tout d’abord à
l’organisation, en juillet 2004, d’un séminaire réunissant tous les acteurs impliqués dans le
développement social et ensuite, à la réalisation, en guise de suivi, d’un travail d’analyse et de
réflexion confié à des experts nationaux.
Le rapport que nous avons le privilège de préfacer aujourd’hui constitue l’un des résultats
d’une coopération à plus d’un égard exemplaire entre le Ministère du développement social
et le PNUD.
Ce travail représente un effort remarquable d’inventaire et d’évaluation des politiques
publiques menées au Maroc dans le domaine du développement social et dans la
valorisation des ressources humaines du pays.
Il apporte aussi une clarification conceptuelle qui permet d’enrichir, par une analyse
théorique, les constats de l’analyse empirique.
Enfin, il met en relief l’importance cruciale de la bonne gouvernance, de la coordination et de
l’inter-sectorialité dans la conduite des politiques publiques et des interventions publique et
privée en matière de développement social ainsi que celle du partenariat de la coresponsa-
bilité sociale, et de la coopération dans le domaine du développement.




           Abderrahim HAROUCHI                          Emmanuel Dierckx de Casterlé
       Ministre du développement Social,                      Représentant Résident
         de la famille et de la Solidarité                        PNUD Maroc




                                                3
S o m m a i r e

    INTRODUCTION     ....................................................................................................................................   5
            1. Rappel du contenu et des termes de référence de la mission                                           .....................................   5
            2. La démarche et la méthode retenues                            ............................................................................   5


                                                           CHAPITRE I
    Contexte et clarification des concepts                 ..............................................................................................   7


            1. Le contexte politique économique et social                               .................................................................   8
            2. Clarification conceptuelle du champ des politiques sociales                                         ....................................    12
            3. Revue critique des définitions et des typologies de la pauvreté                                           ..............................    16
            4. Nouveaux paradigmes en matière de développement                                           ..............................................    20
            5. Conclusions de l’analyse préliminaire                         ..........................................................................    22


                                                          CHAPITRE II
    Etat des lieux et évluation        ................................................................................................................    25
            1. Délimitation du champ de l’évaluation                            .......................................................................    27
            2. Stratégie de développement économique et cycles de croissance                                                  .........................    28
            3. Evaluation des politiques publiques                         ............................................................................    37
            4. Evaluation des programmes spécifiques
              de lutte contre la pauvreté et l’exclusion                            ...................................................................    49
    5. Gouvernance actuelle du développement social                               .....................................................................    91
    6. Principaux constats de l’évaluation                  ............................................................................................   95



                                                         CHAPITRE III
La stratégie proposée   ...............................................................................................................................    97
    1. Les bases théoriques et opérationnelles
      de la nouvelle stratégie nationale de développement social                                      .................................................    98
    2. Le programme national de lutte contre la pauvreté et l’exclusion                                        ......................................   116
    3. Modalités de mise en œuvre de la stratégie et gouvernance                                      ...............................................   125




                                                                     4
I N T R O D U C T I O N

1. RAPPEL DU CONTENU DE LA MISSION                              politiques sociales, sur les différents angles
  ET DE SES TERMES DE RÉFÉRENCE                                 d’analyse de ces politiques et sur la méthode de
                                                                travail à adopter pour les besoins de l’étude. A
Un remaniement ministériel intervenu au mois de
                                                                l’issue de ces réunions, un consensus a permis de
juin 2004 s’est traduit, entre autres changements,
                                                                préciser :
par la création, au sein du gouvernement du
Maroc, d’un nouveau département, le Ministère du                • la base documentaire à réunir
développement social, de la famille et de la
                                                                •   la liste des institutions et des acteurs gouverne-
solidarité. Ses missions consistent à :
                                                                    mentaux et non gouvernementaux à rencontrer
•   promouvoir la politique de développement social
                                                                • les visites sur le terrain à programmer
    et de lutte contre la pauvreté et l’exclusion sociale
                                                                • le plan et la consistance générale du document de
•   répondre aux besoins des catégories sociales fra-
                                                                    fin de mission à produire
    giles ayant des besoins spécifiques en renforçant
    les programmes destinés à la famille, à l’enfance,          •   et, enfin, la répartition des tâches après qu’elles
    aux personnes âgées et aux handicapés ;                         aient été au préalable définies.
•   promouvoir la solidarité, la participation et le            Ces réunions ont aussi permis aux experts de faire
    partenariat.                                                le constat suivant : une très grande ambiguïté
                                                                règne dans le domaine que l’on a l’habitude de
Au mois d’août 2004, le PNUD a décidé d’appuyer
                                                                qualifier par le terme de “social” En effet, des
                                                                                                      .
l’action du Ministère en confiant aux experts, auteurs
                                                                vocables tels que politique sociale, développement
du présent document, la mission d’aider le nouveau
                                                                social, secteurs sociaux, dépenses sociales,
département à définir une politique intégrée et une
                                                                dépenses de solidarité, aide sociale, action sociale,
stratégie de développement social à l’horizon 2010.
                                                                protection sociale, sécurité sociale, etc. sont cou-
Les termes de référence assignés à cette mission
                                                                ramment utilisés par les uns ou par les autres sans
comportaient globalement l’inventaire et
                                                                avoir le même sens pour tout le monde.
l’évaluation des politiques, des programmes, des
institutions, des acteurs et des coûts, actuellement            Constatant cette ambiguïté, les experts ont pensé
impliqués dans le champ du développement social.                qu’elle était en partie à l’origine de la verticalité
Pour parvenir, en fin de compte, à formuler et à                excessive des politiques et des programmes et
proposer les grands axes d’une stratégie comportant             probablement la cause de leur non intégration.
une meilleure intégration de tous ces éléments. Le              Pour dire les choses autrement, le morcellement
terme “grands axes” est utilisé à dessein sachant que           des différentes politiques sociales procède d’une
les délais impartis à la mission sont extrêmement               vision morcelée des problèmes sociaux.
courts (3 mois).                                                L’ambiguïté règne aussi dans les définitions et les
                                                                différentes typologies de la “pauvreté” de la
                                                                                                           ,
                                                                “vulnérabilité” et de la “précarité” ou même dans
                                                                                                   ,
2. LA DÉMARCHE ET LA MÉTHODE RETENUES
                                                                des termes aussi courants que les “inégalités
Concevoir une politique sociale intégrée et une                 sociales” et l’”exclusion sociale”
                                                                                                 .
stratégie de développement social à moyen terme
                                                                Dans ces conditions, tenter de proposer une politique
ne consiste heureusement pas à partir de zéro,
                                                                sociale intégrée et une stratégie de développement
mais à partir de ce qui existe ou plus précisément
                                                                social n’aurait aucun sens si on ne se préoccupe pas de
du bilan de ce qui existe.
                                                                définir, au préalable, le contenu des politiques sociales
L’ampleur de la mission a néanmoins nécessité la                et,par rapport,à celles-ci,ce qu’est au juste le dévelop-
tenue de plusieurs réunions préliminaires au siège              pement social. Ce dernier constitue-t-il une politique
du Ministère. Ces réunions ont été consacrées à                 spécifique centrée sur les pauvres ? Ou bien se
une réflexion approfondie sur le champ des                      confond-il avec toutes les formes d’intervention



                                                            5
fondées sur le principe de solidarité et sur l’objectif de       politiques. Cette clarification s’avère d’autant plus
cohésion sociale,pour finalement les englober toutes?            nécessaire que :
Dans le même ordre d’idées, vouloir proposer une                 •   d’une part les inégalités sociales ne se réduisent
stratégie de lutte contre la pauvreté et l’exclusion                 pas aux écarts de revenu entre les riches et les
sociale implique de commencer par définir la                         pauvres. La structure inégalitaire de la société
pauvreté et l’exclusion. Le bon sens consisterait                    marocaine et son déficit d’équité obéissent à
alors à répondre à des questions telles que : qui                    d’autres facteurs tels que des facteurs culturels
sont les pauvres, pourquoi sont-ils pauvres et où                    ou d’appartenance à des réseaux, etc.
sont les pauvres ? Qui sont les exclus, de quoi sont-
                                                                 •   d’autre part la politique et les programmes de
ils exclus et où sont les exclus ? Autrement dit, une
                                                                     protection sociale non centrés sur les pauvres
politique de réduction de la pauvreté et de
                                                                     sont aussi générateurs d’inégalités sociales lors-
l’exclusion ne peut être efficace que si elle découle
                                                                     qu’ils laissent beaucoup trop de monde sur le
d’une bonne connaissance et d’une meilleure
                                                                     bord du chemin.
compréhension de ces problèmes sociaux. On peut
donc s’attendre à ce que des politiques fondées sur              C’est la raison pour laquelle le contexte et l’envi-
une mécompréhension des causes de persistance                    ronnement politique, social, sociologique et
de la pauvreté, ou sur une vision réductrice,                    culturel du pays dans lequel s’élaborent à un
puissent être remises en cause aujourd’hui à la                  moment donné les principes et les moyens des
lumière des concepts et des paradigmes récents                   politiques sociales, est déterminant pour
qui tendent à en donner une définition plus                      comprendre les logiques en présence. Tout autant
extensive et plus exhaustive.                                    que l’environnement international et la manière et
Par exemple, on peut remédier à certains aspects                 le rythme adoptés par le pays pour s’insérer dans le
de la misère sans remédier à tous, c’est ce qui se               processus de la mondialisation avec les contraintes
produit lorsqu’on réduit la mortalité infantile par              économiques et sociales qui en découlent pour lui.
des campagnes de vaccination et de réhydratation                 Ces réflexions ont permis aux experts d’adopter la
orale alors que le revenu des pauvres reste                      démarche intellectuelle et la méthode suivantes :
inchangé ; ou encore lorsqu’on construit une école
                                                                 •   examiner le contexte dans lequel les politiques,
qui ne sera pas fréquentée en raison des coûts
                                                                     les programmes et les stratégies sont conçues
d’opportunité trop lourds pour y accéder.
                                                                 •   procéder à une clarification des concepts et faire
L’objectif de réduction de la pauvreté et de
                                                                     une revue critique des différentes typologies de
l’exclusion ne peut être atteint que par une stratégie
intégrée dans le temps et dans l’espace ; car dans la                la pauvreté et de l’exclusion
plupart des cas, il faut agir en même temps sur les              •   analyser les nouveaux paradigmes en matière de
trois fronts suivants : développement des                            développement et de gouvernance
opportunités, création de dispositifs d’insertion
                                                                 • tirer les principales leçons de ces axes d’analyse
politique, économique et sociale, assurance d’une
sécurité matérielle susceptible d’atténuer la vulnéra-           • faire l’état des lieux et l’évaluation des politiques et
bilité (aux aléas climatiques, aux catastrophes                      des programmes en cours à la lumière de la clarifi-
naturelles,aux chocs économiques,à la maladie,etc.).                 cation conceptuelle des nouveaux paradigmes et
                                                                     des formes concrètes que revêt l’action publique
Faisant ce constat préliminaire,les experts ont estimé
                                                                     au Maroc dans les domaines du développement
qu’il était nécessaire d’opérer une clarification
                                                                     social et de la lutte contre la pauvreté et l’exclusion
conceptuelle avant tout travail d’inventaire et
d’évaluation des politiques poursuivies dans le                  •   proposer, à l’issue de cette évaluation, les grands
domaine social, car elle peut être utile au débat                    axes d’une politique intégrée et d’une stratégie
public et au processus même d’élaboration de ces                     de développement social à moyen terme.



                                                             6
CHAPITRE I




Contexte et clarification des concepts




                  7
1. LE CONTEXTE POLITIQUE,                                      transparence, le souci de modernisation et d’effi-
   ÉCONOMIQUE ET SOCIAL                                        cacité, le respect des droits des citoyens, le souci de
                                                               proximité et le nouveau concept d’autorité.
Le Maroc est engagé, depuis quelques années,
dans un processus de mutations rapides et de                   A cet égard, il faut noter quatre évolutions
transformations profondes. Ce processus est d’une              majeures qui caractérisent le pays :
telle ampleur qu’on peut qualifier le Maroc
                                                               - La remise en cause implicite et explicite du mono-
aujourd’hui de pays de toutes les transitions :
                                                                 pole gouvernemental dans la gestion des affaires
transition démocratique, transition économique,
                                                                 publiques a favorisé l’émergence et le dynamisme
transition démographique, transition sociologique
                                                                 de la société civile dans un essor sans précédent
et culturelle.
                                                                 dans le pays. La vitalité du tissu associatif, qu’il soit
1.1 SUR LE PLAN POLITIQUE ET INSTITUTIONNEL                      local, communautaire, régional et culturel, ou à
                                                                 caractère général ou national, donne au Maroc un
L’évolution du pays vers la démocratie, l’Etat de                rôle d’avant-garde dans les pays de la région. Les
droit et la modernisation est un processus dont                  pouvoirs publics ont accompagné ce phénomène
l’irréversibilité est garantie au plus haut niveau de            en multipliant les dispositifs réglementaires ainsi
l’Etat et dont la cadence s’accélère depuis la fin des           que les conventions de partenariat, conventions
années 90.                                                       qui intègrent aussi le secteur privé en général et
La transition démocratique est attestée par des                  le monde de l’entreprise.
réformes majeures visant à approfondir et à                     Ces dispositifs contractuels et conventionnels
accélérer le processus démocratique, à affirmer la              entre l’Etat, le secteur privé et la société civile,
primauté du droit et la défense des droits de                   impulsant de nouvelles formes de régulation, de
l’homme en général, et particulièrement les droits              responsabilisation, de prise d’initiatives et de
de la femme, de l’enfant et des catégories sociales             décisions dans le processus de développement
fragiles (handicapés, personnes âgées, personnes                économique et dans le champ de la solidarité.
pauvres ou exclues). Parmi ces réformes, trois
d’entre elles méritent d’être signalées pour                   - La mise à niveau du processus de démocratie
l’importance qu’elles ont dans le cadre de cette                locale : la réforme de la charte communale par
étude. Il s’agit :                                              une nouvelle loi promulguée en octobre 2002
                                                                vise à renforcer les compétences des collectivités
•   du code des libertés publiques et de l’harmoni-             locales et territoriales de manière à obtenir une
    sation de la législation interne avec les                   décentralisation mieux réussie que par le passé et
    dispositions des instruments internationaux                 une meilleure implication des élus locaux dans le
    relatifs aux droits de l’homme ratifiés par le Maroc        processus de développement. Cette loi est venue
•   du code du travail et de l’harmonisation des                rétablir aussi une gestion municipale unifiée pour
    législations et des réglementations régissant les           les six plus grandes villes du pays.
    relations professionnelles et l’exercice des               - L’élargissement des compétences des services
    libertés syndicales                                         locaux de l’administration centrale et les nou-
•   du code de la famille réformant la Moudawana                velles règles de gestion budgétaire, vise une
    dans le sens d’une égalisation des rapports de              déconcentration mieux réussie que par le passé et
    genre (homme-femme) et visant l’intégration de              une véritable politique de proximité.
    la femme dans la responsabilité politique et               - Enfin la mise à niveau du champ politique est
    sociale et dans le processus de développement.               l’objectif visé par le projet de loi sur les partis
D’autres réformes ont concerné le secteur de la                  politiques. Cette mise à niveau a pour dessein de
justice et celui de l’administration publique                    clarifier le champ politique, sortir de l’émiet-
fondées globalement sur le souci d’équité et de                  tement actuel de la représentation nationale en



                                                           8
favorisant l’émergence de pôles capables de                 celles de la libéralisation et de la déréglementation
 constituer un gouvernement homogène,                        de la plupart des secteurs de l’économie ainsi que
 apporter de la transparence aux règles de                   celles du rattrapage des déficits en matière d’infra-
 fonctionnement et de financement des partis                 structures physiques et des déficits sociaux.
 tout en renforçant leur démocratie interne, et              L’ensemble des prix ont été libérés à l’exception
 enfin d’immuniser le pays contre les tentatives             d’un petit nombre de denrées de première
 d’exploiter la religion à des fins politiques               nécessité, faisant l’objet de subventions ou de
 extrémistes.                                                compensations.
Cette brève revue du contexte permet de constater            Le désengagement de l’Etat des secteurs concur-
que le pays est doté d’atouts institutionnels                rentiels s’est traduit par des transferts importants
importants pour améliorer la qualité du processus de         de capitaux au secteur privé national et étranger.
formulation et de conduite des politiques publiques
et pour améliorer la qualité de la gouvernance.              Des conditions favorables ont ainsi été aménagées
                                                             pour faciliter la transition et le passage d’une
Cependant, et en anticipant sur l’évaluation qui             économie protégée à dominante étatique à une
sera développée au chapitre II, il est utile de noter        économie libérale de marché ouverte sur
dès maintenant une certaine dichotomie entre la              l’extérieur et en cours d’insertion progressive dans
qualité des institutions et des lois et la qualité des       l’économie mondiale.
pratiques, tant que demeurent importantes des
résistances et des inerties aux changements voulus           Le partage des responsabilités entre l’Etat et le
sur le plan politique. Cette dichotomie étant                secteur privé évoqué au paragraphe précédent
probablement la cause des pertes d’efficacité des            sous l’angle politique est aussi à l’œuvre dans la
politiques publiques.                                        reconfiguration du rôle de l’Etat dans le domaine
                                                             de l’économie : à l’Etat incombent désormais les
1.2. SUR LE PLAN ÉCONOMIQUE                                  rôles d’arbitrage, de réglementation et de
                                                             régulation et la garantie de l’équité par la redistri-
La transition est marquée par l’ouverture de                 bution des revenus. Au secteur privé et au marché
l’économie nationale et son intégration                      en général incombent les rôles de la création de
progressive dans l’économie mondiale. Cette                  richesse et de la relance de l’activité économique
dynamique d’ouverture a été jalonnée par des                 par l’investissement, y compris dans les
étapes successives de libéralisation des échanges :          infrastructures et les secteurs sociaux.
accord OMC, accord d’association avec l’Union
européenne, accord de libre échange avec les                 Les incitations à l’investissement privé national et
Etats-Unis, la Turquie, et plus récemment avec la            étranger sont très fortes et font l’objet d’une
Tunisie, la Jordanie et l’Egypte (et d’autres accords        dynamique de réformes positives (malgré
en cours de négociation).                                    quelques points faibles persistants comme la
                                                             corruption et le manque de confiance dans la
Cette phase d’intégration de l’économie dans la              justice des affaires économiques).
mondialisation des échanges a été préparée et
rendue possible par des efforts importants                   La dynamique macroéconomique est globalement
consentis par le pays pour mener des réformes                bonne en dépit de la tendance récente à la reprise
économiques et financières majeures afin de                  du déficit budgétaire et en dépit du déficit de la
surmonter les contraintes et de lever les distorsions        balance commerciale. Mais elle ne s’accompagne
qui inhibaient son potentiel de croissance. Ces              pas, pour autant, d’un niveau de croissance suffisant.
efforts ont été constants au cours des deux                  La croissance réelle du PIB a été respectivement de
dernières décennies : les années 80 étant celles de          4,1% au cours de la période 1986-1991, de 1,8% au
l’ajustement, de la stabilisation macroéconomique            cours de la période 1991-1999 et de 4% au cours de
et des réformes structurelles, les années 90 étant           la période 1999-2003. Sur l’ensemble de ces deux



                                                         9
décennies, la structure du PIB a peu varié : le              autres programmes de développement rural, ce
secteur primaire représente 16%, le secteur                  qui pose manifestement les problèmes de l’effi-
secondaire 35% et le secteur tertiaire 53%.                  cacité, du ciblage et de l’inertie des dépenses
Le faible taux de croissance enregistré dans les             publiques en matière sociale. Pour ne prendre
années 90 s’explique en grande partie par la faible          qu’un seul exemple et pour s’exprimer
performance de l’agriculture qui a connu, au cours           franchement, les résultats de la politique de santé
de cette période, une moyenne annualisée de                  en milieu rural sont nettement décevants, les taux
régression de -0,3%. La croissance globale dépend            de mortalité infantile et maternelle qui y prévalent
donc en grande partie de la croissance agricole. Sa          étant indignes d’un pays du niveau de dévelop-
variabilité et sa volatilité sont en rapport avec des        pement du Maroc. On peut en dire autant de l’anal-
fluctuations spectaculaires de la production                 phabétisme et des performances tant quanti-
céréalière : 17 millions de quintaux en 1995 et 97           tatives que qualitatives de la politique d’éducation.
millions de quintaux en 1996. En raison de la                Plus fondamentalement, malgré la reprise de la
sévérité de la sécheresse (3 années sèches sur 4), la        croissance économique, le rythme de cette
valeur ajoutée du secteur agricole a été stagnante           croissance apparaît nettement insuffisant pour
sur plus d’une décennie, ce qui explique l’aggra-            résorber les déficits sociaux persistants, faire face à
vation de la pauvreté rurale enregistrée sur la              la montée en puissance des nouveaux besoins
même période. L’agriculture n’est pas seule en               sociaux et surtout affronter l’augmentation de la
cause dans la faiblesse de la croissance, les années         population active.
90 ayant aussi enregistré une perte de compéti-              En effet, en ce début de millénaire, la question
tivité du secteur manufacturier et une tendance au           sociale au Maroc revêt deux aspects
ralentissement de l’activité économique.                     fondamentaux :
L’économie marocaine, malgré les efforts consentis           •   la situation de plus en plus préoccupante de
et les réformes accomplies, demeure très                         l’emploi et la montée en puissance du chômage
vulnérable aux chocs intérieurs (aléas climatiques),             de masse ;
et aux chocs extérieurs (prix des hydrocarbures et
fluctuations monétaires). Beaucoup reste à faire             •    la persistance, voire la recrudescence de la
face aux défis qui attendent le pays.                            pauvreté et des inégalités sociales malgré les
                                                                 efforts des pouvoirs publics pour les réduire, la
1.3. SUR LE PLAN SOCIAL                                          répartition des revenus et des patrimoines au
                                                                 sein de la société marocaine demeurant très
En 20 ans, des progrès notables ont été accomplis,
                                                                 inégalitaire.
attestés par l’évolution positive de la plupart des
indicateurs sociaux et socioéconomiques.                     Le taux de chômage national estimé à 12% masque
                                                             mal les réalités suivantes : le chômage urbain est de
Mais les progrès enregistrés sont constamment
                                                             19,5% et dépasse les 30% pour les diplômés de
meilleurs en milieu urbain qu’en milieu rural où les
                                                             l’enseignement supérieur. Le taux de chômage
déficits sociaux persistent s’accompagnant d’une
                                                             rural estimé à 4,5% est à un niveau relativement
recrudescence de la pauvreté rurale observée dans
                                                             bas en raison des critères retenus. Mais ce taux
la décennie 90. Pourtant depuis le milieu de cette
                                                             cache mal une réalité qui est tout autre : surplus de
décennie, les dépenses publiques dans les secteurs
                                                             main-d’œuvre, excédent de la force de travail et
sociaux ont connu une forte progression, particu-
                                                             sous-emploi très importants. Cette réalité étant le
lièrement dans le milieu rural et les provinces
                                                             véritable moteur de l’exode rural, les cycles de
défavorisées. D’ambitieux programmes d’infra-
                                                             sécheresse ne faisant que l’amplifier.
structure à orientation rurale comme le PERG, le
PAGER, le PNCRR sont venus compléter les                     Du reste, des causes cumulatives ont été à l’œuvre
dépenses publiques sociales sectorielles et les              dans la montée des tensions sur le marché de



                                                        10
l’emploi. L’application des programmes de stabili-          ans, c’est-à-dire des personnes d’âge actif et une
sation et d’ajustement structurel, les faibles              augmentation encore modérée des plus de 60
performances de la croissance et de l’investis-             ans. Au cours de cette période, les charges qui
sement, la relative stagnation du PIB industriel et         pèsent sur les actifs vont être transférées progres-
le cycle rapproché des années de sécheresse ont             sivement du bas vers le haut de la pyramide, ou,
aggravé la détérioration de la situation sociale.           pour dire les choses en termes simples, les
                                                            transferts vers les enfants vont diminuer alors que
Face à ces besoins, les mesures et les programmes
                                                            ceux en direction des personnes âgées vont
relatifs à la politique de l’emploi ont donné des
                                                            augmenter, le poids relatif des dépenses
résultats peu probants, tant il est vrai que la
                                                            d’éducation ayant tendance à s’alléger en volume
réduction du chômage passe obligatoirement par
                                                            alors que celui des dépenses de retraite aura
un taux de croissance économique plus élevé,
                                                            tendance à s’alourdir. Cet alourdissement
supérieur à 5% et par des mesures actives plus
                                                            deviendra considérable après 2025.
favorables à la création d’emplois.
                                                            Que retenir au juste, pour les besoins de cette
Etant donné ces déterminants macroéconomiques
                                                            étude, des évolutions démographiques ? Deux ou
et macrosociaux ; l’incidence de la pauvreté sous
                                                            trois choses :
ses différentes formes reste élevée dans le pays
ainsi que les inégalités de revenu. Au cours de la          - En l’absence d’une croissance économique forte
décennie 90, les 20% les plus aisés de la population          et soutenue, le Maroc ne pourra pas exploiter
ont amélioré leur part dans les dépenses totales de           l’effet d’aubaine et la fenêtre démographique
1,5 point, celle des 20% les plus défavorisés ayant           favorable des deux premières décennies du
régressé de 1,7 point. Dans le milieu rural, une              millénaire. En effet, l’augmentation considérable
personne sur 4 est pauvre, alors qu’on ne compte              de la population active induira une très forte
qu’un pauvre sur 10 en ville. La campagne                     demande d’emploi qu’il faudra bien satisfaire.
concentre 67% de la pauvreté totale, bien que la              C’est le défi majeur pour le pays au cours des 15
pauvreté urbaine tend à augmenter rapidement, à               prochaines années. Si la tendance de croissance
un rythme supérieur à celui de l’exode rural, ce qui          actuelle de l’économie se maintient, les tensions
démontre l’impact social néfaste du chômage.                  sur le marché du travail risquent de devenir
                                                              intolérables et de peser lourdement sur le climat
1.4. SUR LE PLAN DÉMOGRAPHIQUE                                social et la cohésion sociale en reproduisant la
La transition démographique que connaît le                    pauvreté et en créant de nouvelles formes de
Maroc va s’achever plus tôt que prévu. Le déclin              pauvreté.
progressif de la fécondité se poursuit et le                 Car il faut bien comprendre que la faiblesse de la
vieillissement progressif de la population va                croissance économique est doublement
considérablement s’accélérer à partir de 2020,               responsable de la persistance ou de l’extension
date à laquelle les nombreuses cohortes du                   de la pauvreté : non seulement elle crée
baby boom nées dans les années 60 vont                       directement de nouveaux pauvres, mais elle ôte
franchir le cap des 60 ans.                                  simultanément à la collectivité les moyens
Pour résumer les choses, on peut dire que le                 financiers pour lutter contre la pauvreté.
Maroc connaîtra dans les deux décennies 2000-               - Le Maroc, comme d’autres pays en dévelop-
2020 une période d’aubaine démographique que                 pement, risque de devenir “vieux” avant d’être
les spécialistes qualifient d’”âge d’or” démogra-            “riche”alors que les pays industrialisés sont
phique. Cet effet d’aubaine réside dans les                  devenus “riches” avant d’être “vieux” Cela est
                                                                                                   .
caractéristique suivantes : une diminution du                d’autant plus préoccupant que les gains
pourcentage des moins de 15 ans, un élargis-                 d’espérance de vie ont été plus rapides dans les
sement considérable du pourcentage des 15-59                 pays en développement. C’est dire les besoins



                                                       11
énormes de financement de la protection sociale                   de mécanismes d’autorégulation sociale sous la
 en direction des personnes âgées. Compte tenu                     pression des difficultés économiques que connais-
 du fait que le système national de retraites mis en               sent les ménages. Ainsi en va-t-il du phénomène de
 œuvre ne couvre qu’une fraction des actifs                        recohabitation ou de décohabitation différée que
 salariés (en raison de la taille du secteur informel              l’on note chez nombre de jeunes : en cherchant
 et donc de l’importance de l’élusion et de                        auprès de leurs familles une protection contre les
 l’évasion sociofiscale) et qu’il exclut, pour le                  conséquences matérielles et psychologiques des
 moment, la fraction la plus importante de la                      difficultés d’embauche qu’ils rencontrent, ils font
 population active, c’est-à-dire les travailleurs                  jouer des solidarités privées qui complètent ou se
 indépendants (artisans, commerçants, exploitants                  substituent à un dispositif public qui leur est peu
 agricoles, professions libérales, etc.), il est à craindre        favorable. Ce faisant, ils limitent l’extension de la
 que l’âge devienne demain un facteur supplé-                      pauvreté, du moins de celle que l’on pourrait cal-
 mentaire et prédominant de pauvreté, les “working                 culer par ménage, c’est-à-dire par cellule financiè-
 poors” devenant peu à peu des vieux pauvres.                      rement autonome. On pourrait en dire autant pour
- La transition démographique se manifeste aussi                   l’hébergement familial des parents âgés, des filles
  dans l’espace comme l’évolution historique le                    divorcées ou des parents sans ressources. Mais ces
  prouve dans à peu près tous les pays ; en 2020,                  solidarités familiales et communautaires liées à la
  plus des deux tiers des Marocains seront citadins.               tradition et aux valeurs socioculturelles propres au
  Cumulé avec le déclin de la fécondité, les gains                 pays ont elles-mêmes leurs limites. On peut même
  relativement rapides en matière d’espérance de                   dire que le délitement et l’épuisement de ces
  vie et le vieillissement progressif de la population,            réseaux de solidarité traditionnels, la montée en
  ce processus d’urbanisation accélérée induit une                 charge des nouvelles formes de pauvreté et la
  transition épidémiologique qui alourdit la charge                pression accrue sur l’Etat qu’exerce une demande
  de morbidité. Le Maroc n’a pas encore maîtrisé ses               de protection sociale publique de plus en plus vive,
  maladies de pays pauvre alors qu’il connaît une                  ont un destin lié. Nous verrons au paragraphe 3
  augmentation rapide des maladies dites des pays                  comment l’épuisement de ces réseaux et les trans-
  riches. Le système de santé doit améliorer nota-                 formations des modes de vie génèrent l’exclusion
  blement ses performances tant du point de vue                    sociale.
  de l’équité du financement de l’accès aux soins
  que du point de vue de la qualité de l’offre de
  soins. La lenteur des réformes dans ce domaine                   2. CLARIFICATION CONCEPTUELLE
  laisse persister des inégalités criardes dans l’état                DU CHAMP DES POLITIQUES SOCIALES
  de santé des Marocains en fonction de leur statut
  socioéconomique. Qu’en sera-t-il demain quand                    2.1. LEVER L’AMBIGUÏTÉ QUI PÈSE
  les nouveaux besoins de santé exigeront des                           SUR LE TERME "SOCIAL"
  technologies et des moyens de plus en plus coû-                  Qu’est-ce que le social ? Si l’on pose une telle
  teux ?                                                           question au citoyen ordinaire, il ira probablement
                                                                   chercher la réponse dans les journaux qu’il lit
1.5. SUR LE PLAN SOCIOLOGIQUE ET CULTUREL                          d’habitude en essayant de se remémorer ce qu’ils
Des transformations en profondeur traversent la                    mettent dans leur "rubrique sociale", ou bien dans
société marocaine. Ces transformations dont cer-                   la composition du gouvernement en essayant de
taines sont positives et d’autres le sont moins, sont              se rappeler la liste des ministères dits "sociaux". La
la rançon en quelque sorte de la modernité et de la                réponse n’est pas si facile qu’il ne paraît et la plus
modernisation des mœurs. Elles affectent les                       simple serait encore la plus exhaustive : le social
modes de vie, les modes de consommation, les                       englobe tous les aspects des conditions
structures familiales. Elles revêtent parfois la forme             d’existence des individus.



                                                              12
Ainsi entendue globalement, la politique sociale a              tives : durée du travail, rémunération du travail,
un champ beaucoup plus vaste que celui habituel-                salaire minimum, contrats de travail, statuts, exerci-
lement retenu par les praticiens et les hommes                  ce du droit syndical, contentieux du travail, etc. sont
politiques. En toute rigueur et en toute logique,               les éléments régis par ce domaine de la politique
toute la politique économique d’un gouvernement                 sociale animé par le triptyque classique Etat et
pourrait figurer comme un élément de la politique               "partenaires sociaux" (syndicats de travailleurs et
sociale : en effet, les efforts de relèvement de l’effi-        organisations patronales). L’ensemble de ces dis-
cacité et de la croissance économique, de plein                 positions ont été récemment harmonisées dans le
emploi, de stabilité des prix, etc. n’ont de raison             Code du travail dont les décrets d’application sont
d’être ultime que d’améliorer les conditions de vie             en cours d’adoption.
de l’ensemble de la population. Il est toutefois                La politique de l’emploi porte sur la nature et le
classique de faire une distinction entre la politique           volume des emplois et puise ses moyens dans la
économique stricto sensu, dont les effets sont                  panoplie des instruments de la politique écono-
globaux, et la politique sociale qui se préoccupe,              mique.
pour des individus ou des groupes d’individus, de
la répartition des revenus entre ménages, de la                 Ces interventions, relations professionnelles et
nature des biens et des services disponibles, de                politique de l’emploi ont pour point de chute, en
l’insertion de l’individu dans le système                       termes de comptabilité nationale, le revenu primai-
économique, dans le système d’éducation, dans le                re des ménages qu’ils tirent de leur contribution à
système de santé, dans le système de protection                 l’activité de production.
sociale et dans la société en général.                          Au Maroc, la conduite de cette politique est
                                                                confiée au Ministère de l’Emploi et de la
2.2. DÉLIMITER PLUS NETTEMENT                                   Formation professionnelle, qui assure aussi la
     LE DOMAINE DES POLITIQUES SOCIALES                         tutelle administrative sur la CNSS et la mutualité,
En partant de cette définition extensive, on peut               le Secrétariat d’Etat à la Famille, à l’Enfance et aux
préciser le contenu du social en distinguant 4                  Personnes handicapées, l’Entraide nationale,
domaines :                                                      l’Agence de Développement social et la Direction
                                                                de l’action sociale ayant été transférés au nou-
  A. les relations professionnelles et l’emploi
                                                                veau Ministère.
  B. la protection sociale
                                                                B. Le domaine de la protection sociale
  C. les politiques sociales sectorielles
                                                                Appelé aussi domaine de la sécurité sociale, il peut
  D. les politiques sociales transversales                      être défini par la nature des risques contre lesquels
                                                                on cherche à protéger les individus ; ces risques
Les deux premiers domaines relèvent de la
                                                                dits "sociaux" font référence aux droits fondamen-
conception traditionnelle du social et mettent en
                                                                taux : droit au travail, droit à la santé, droit à la sécu-
exergue le rôle majeur du travail et de l’emploi dans
                                                                rité matérielle.
l’organisation économique et sociale. Les deux autres
élargissent le champ des politiques sociales aux autres         Face aux événements prévus ou non (la vieillesse,
aspects des conditions d’existence des individus sans           par exemple, n’est pas un risque) qui compro-
référence au travail ou à l’emploi.                             mettent ces besoins sociaux (maladie, accidents,
                                                                accidents de travail, invalidité, décès, charges
A. Les relations professionnelles et l’emploi
                                                                familiales, vieillesse, chômage), la réponse
Les relations professionnelles font l’objet de poli-            collective peut être celle de l’assurance sociale qui
tiques dont les instruments essentiels résident                 protège ceux qui participent aux mécanismes de
dans la législation du travail, la réglementation, la           financement, ou celle de l’assistance qui, elle, exclut
politique contractuelle et les conventions collec-              tout lien, au niveau individuel, entre protection et



                                                           13
financement préalable. Le financement de                       C. Les politiques sectorielles
l’assurance sociale se fait par des cotisations                Elles visent les conditions d’existence des
sociales obligatoires ; celui de l’assistance a recours        individus indépendamment d’une activité profes-
à l’impôt et au budget de l’Etat (bien que de                  sionnelle et de la protection sociale à l’égard des
nombreux systèmes d’assurance sociale et de                    risques collectifs.
sécurité sociale distribuent des prestations dites
"non contributives" telles que la pension minimum              L’éducation, la formation professionnelle, la santé,
par exemple).                                                  le logement, l’équipement et l’aménagement du
                                                               territoire, les transports en commun, la jeunesse et
Quels que soient les mécanismes retenus, la                    les sports, la culture : toutes ces politiques consis-
protection est réalisée par la distribution de                 tent à fournir des services collectifs ou à agir sur la
prestations sociales aux bénéficiaires qui                     production de biens et de services marchands.
conduisent à la formation du revenu disponible
des ménages et donc à la correction du revenu                  En fait, chacune de ces politiques sectorielles
primaire. C’est pourquoi le domaine de la                      apporte une contribution à la politique sociale et à
                                                               la lutte contre la pauvreté même si ce n’est pas leur
protection sociale remplit une triple fonction :
                                                               objectif unique ou explicitement affiché.
solidarité, assurance et redistribution des revenus.
                                                               La politique d’éducation, de formation et d’alphabé-
Au Maroc, le domaine de l’assurance sociale
                                                               tisation constitue à n’en pas douter le volet essentiel
concerne les régimes obligatoires de sécurité
                                                               d’une action à long terme de développement social
sociale : CNSS, régime obligatoire des accidents du
                                                               et de lutte contre la pauvreté et l’exclusion. C’est le
travail, CMR et RCAR, AMO. Le domaine de l’assis-
                                                               mécanisme essentiel du processus que l’on appelle
tance concerne les filets de sécurité : compensation
                                                               communément l’"ascenseur social", lorsqu’un
et subventions alimentaires, Entraide nationale,
                                                               système éducatif efficace en termes de volume et de
Promotion nationale, cantines scolaires, program-
                                                               qualité permet aux individus d’acquérir les qualifi-
me sécheresse, RAMED, etc.                                     cations nécessaires à une insertion sociale réussie
Lorsque la protection de certains groupes ou de                (emploi et revenu).
certaines catégories observe un caractère                      La politique de santé représente un autre volet
volontaire et facultatif, on n’utilise plus le terme           essentiel de lutte contre la pauvreté. Plus généra-
d’assurance sociale, mais celui de prévoyance                  lement, couplée avec l’éducation, elles constituent
sociale : c’est le cas des mutuelles ou des caisses            les deux politiques publiques majeures de redistri-
d’entreprise dont le statut demeure cependant                  bution. Les indicateurs de santé ruraux étant des
régi par la loi. C’est aussi le cas des caisses de             stigmates évidents de la pauvreté autant que l’illet-
retraite complémentaire et de produits à mi-                   trisme et l’analphabétisme, l’éducation et la santé
chemin entre l’assurance-vie et la prévoyance                  constituent donc deux axes prioritaires de lutte
sociale comme Damane El Hirafi, Damane El Bahri,               contre la pauvreté.
etc.
                                                               La politique de l’habitat contribue clairement au
Les besoins de sécurité et de protection ne se limi-           développement social et à la prévention de
tent pas aux risques sociaux, c’est la raison pour             l’exclusion. Parce que la qualité de l’habitat ou sa
laquelle l’Etat dans son rôle régalien assume une              localisation sont des indices de la situation sociale
fonction de protection contre la violence et les               de leurs occupants, la lutte contre l’habitat
troubles, assure la sécurité des personnes et des              insalubre, la résorption des bidonvilles, la réhabili-
biens, et intervient en cas de catastrophe naturelle,          tation des quartiers, les programmes de
industrielle ou écologique (sécheresse, inonda-                logements sociaux combinant le financement de
tions, séismes, incendies, etc.) en faisant jouer la           l’offre et de la demande afin de faciliter les
solidarité nationale en faveur des sinistrés.                  procédures de relogement, constituent des



                                                          14
actions efficaces de réinsertion sociale et de                   action multidomaines concertée. C’est aussi le cas du
préservation de la paix sociale. Couplées avec                   développement rural durable,de la politique de proxi-
l’urbanisme et l’aménagement du territoire, ces                  mité, de la réhabilitation sociale des quartiers, etc.
politiques visent le bien-être de la population
                                                                 Au terme de cette démarche de clarification des
(pauvres et non pauvres), contribuent à la
                                                                 politiques sociales, on serait tenté de dire que le
production du lien social et à l’objectif du "bien
                                                                 développement social englobe chacun des quatre
vivre ensemble" dans un cadre de vie apaisant les
                                                                 domaines précités, mais l’usage qui en est retenu
tensions urbaines qui règnent entre les centres
                                                                 par les praticiens se limite au quatrième et concer-
des villes et leurs périphéries.
                                                                 ne en général les interventions à caractère trans-
Les politiques de la jeunesse et des sports, des loisirs         versal. C’est cet usage qui sera retenu dans ce
et de la culture visent elles aussi l’épanouissement             document chaque fois que l’on emploiera par la
des individus et la reproduction du lien social.                 suite le terme de développement social.
La pratique de subventions dans les transports en                Quant à la solidarité, elle ne constitue pas une poli-
commun dans les villes ne vise pas spécifiquement                tique au sens propre du terme. La solidarité est une
les pauvres urbains mais ses objectifs sociaux et                valeur. Au même titre que l’équité et la justice
sociétaux sont assez évidents pour être adoptés                  sociale, souvent confondues entre elles, ces trois
dans la plupart des grandes villes du monde.                     valeurs fondent l’éthique collective d’une société.
Enfin, sans être à proprement parler sectorielle, la             Ainsi une société est dite plus ou moins solidaire
politique économique elle-même a une finalité                    selon les degrés de justice sociale, d’équité et de
sociale malgré la persistance du dilemme classique               protection sociale qui y règnent. A titre d’exemple,
entre "efficacité économique" et "équité sociale".               les régimes d’assurance sociale sont fondés à la fois
Quant à la politique de l’emploi, le SMIG n’a-t-il pas           sur une valeur (la solidarité) et sur une technique
en partie vocation à prévenir la pauvreté ouvrière ?             (l’assurance), mais la solidarité qu’ils peuvent
Tout comme la réglementation visant à réduire les                mettre en jeu peut être catégorielle, uniquement
formes précaires du travail ? Et la pension minimale             réservée à certains groupes sociaux, ou universelle
de vieillesse n’a-t-elle pas pour objectif de réduire            et étendue à toute la population.
la pauvreté liée à l’âge ?
                                                                 La solidarité est souvent confondue aussi avec
C’est dire comment se conjuguent toutes ces                      l’altruisme, la compassion, la générosité qui sont
politiques et tous leurs effets, même s’ils ne sont              d’autres valeurs morales. Ces dernières sont à
pas toujours spécifiquement recherchés, pour                     l’œuvre dans les interventions de la société civile
contribuer à la politique sociale et à la lutte contre           en direction des pauvres, des démunis, des exclus,
la pauvreté et l’exclusion ; c’est là que réside l’expli-        des enfants abandonnés, des handicapés, des
cation de l’émergence d’un quatrième domaine                     femmes seules ou victimes de violence, etc. L’Etat,
des politiques sociales.                                         qu’il intervienne directement en faveur de ces
D. Les politiques sociales transversales                         groupes fragiles et défavorisés, ou qu’il se contente
                                                                 de verser des subventions aux actions de la société
Elles traversent les trois domaines précédents. En               civile, fait lui aussi preuve de compassion,
raison de leur aspect intersectoriel ou multisec-                d’altruisme et de générosité sociale. La nuance
toriel, elles exigent une action concertée et                    réside dans le fait que l’action civile est souvent
coordonnée, dans l’espace et le temps, entre                     perçue comme de la bienfaisance et de l’huma-
partenaires appartenant à chacun des trois                       nitaire, alors que l’action publique est érigée en
domaines précédents.                                             solidarité et figure de ce fait comme une
C’est typiquement le cas de la politique de lutte contre         attribution d’un secrétariat d’Etat ou d’un
la pauvreté et l’exclusion qui, comme nous l’examine-            département ministériel. Il n’en demeure pas
rons au paragraphe suivant, nécessite forcément une              moins que l’Etat, qui est l’émanation collective



                                                            15
d’une communauté nationale, peut donner                          Traduit du concept anglo-saxon engineering, l’in-
l’exemple et l’émulation appropriée en matière de                génierie désigne l’étude de projets dont les
comportements solidaires de la société. Les                      aspects doivent être soigneusement analysés
exemples les plus charismatiques et les plus                     avant de passer à la réalisation. Appliquée au
emblématiques étant la Fondation Mohamed V                       domaine social, la définition la plus moderne de
pour la solidarité, la Fondation Mohamed VI pour                 l’ingénierie englobe l’ensemble des techniques et
les œuvres sociales et la Fondation Mohamed VI                   des savoir-faire qui permettent le diagnostic, la
pour la réinsertion des détenus.                                 mise en œuvre, la coordination et l’évaluation de
                                                                 projets sociaux.
On ne saurait clore ce paragraphe consacré à la
clarification des concepts sociaux sans dire un mot              L’ingénierie sociale inclut :
de ce que l’on entend en général par "action                     •   l’ingénierie de l’action sociale qui concerne la vie
sociale", "aide sociale", "travailleurs sociaux",                     sociale, l’animation et le travail social (ex.
"ingénierie sociale".                                                 animation sociale des quartiers) ;
Dans la pratique, on prend souvent les deux mots                 • l’ingénierie du développement social qui consiste
action sociale et aide sociale l’un pour l’autre, car                à concevoir les mesures, prévoir leurs consé-
on a tendance à les confondre ou à les fusionner.                    quences, simuler leur mise en œuvre, tester des
Pourtant la différence théorique est assez claire :                  variantes, prévoir les problèmes que posera leur
l’aide sociale, ayant un fondement légal (comme                      application à court ou à long terme et étudier les
l’Entraide nationale par exemple) est régie par des                  problèmes de fonctionnement des institutions
textes de loi qui en font un droit au bénéfice                       chargées de les appliquer.
duquel on est admis suite à une procédure tendant
à vérifier l’état de besoin allégué par le demandeur.            La préparation des mesures comporte des aspects
Sa confusion théorique et juridique avec l’assistan-             juridiques liés à l’environnement institutionnel. Elle
ce est donc légitime que l’Etat distribue directe-               s’appuie sur les données statistiques disponibles,
ment des prestations d’aide ou qu’il se contente de              des enquêtes éventuelles pour les compléter, des
verser des subventions.                                          projections et des simulations, des prévisions à
                                                                 court ou long terme, avec ou sans mesures nou-
L’action sociale se compose d’actions non obligatoires           velles, la conception d’instruments pour mesurer
menées par des organismes publics en direction de                les effets des mesures envisagées ou program-
groupes spécifiques ou de larges fractions de la                 mées. A défaut de ces approches méthodiques, on
population : par exemple, l’action sociale d’une caisse          risque de s’attaquer à des problèmes complexes
de sécurité sociale peut être une prérogative de son             avec des instruments inadéquats.
Conseil d’administration, de même que des mutuelles
ou des comités d’entreprise peuvent déployer une                 Les prévisions et les simulations peuvent revêtir un
action sociale à travers ce qu’ils appellent leurs               aspect général, macroscopique, dans le cadre d’un
"œuvres sociales".L’action sociale qualifie aussi les            ensemble de mesures. Elles peuvent à l’inverse se
interventions des associations et de la société civile           limiter à un groupe cible et à l’étude des effets
dans le domaine social ou culturel tout autant que               directs d’une mesure catégorielle.
celles des collectivités locales.                                L’ingénierie sociale comporte fondamentalement
Les travailleurs sociaux sont des personnes profes-              une démarche d’évaluation : la prévision étant en
sionnellement impliquées dans le domaine du                      quelque sorte une évaluation ex ante ou a priori
développement social, de l’assistance, de l’aide                 destinée à éclairer les choix et à préciser les effets
sociale et de l’action sociale. Ils appartiennent soit à         (voulus, induits, différés).
la fonction publique (administration des institu-                L’évaluation lui est symétrique et a pour but d’as-
tions sociales et collectivités locales), soit au secteur        surer une surveillance permanente de l’action,
privé au service des associations, fondations, etc.              d’éviter les déviations, de constater les lacunes,



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de préconiser les ajustements éventuels de tra-               3. REVUE CRITIQUE DES DÉFINITIONS
jectoire.                                                       ET DES TYPOLOGIES DE LA PAUVRETÉ
Un projet bien construit doit l’être de manière à             Cette section du document est consacrée elle aussi
rendre l’évaluation efficace et peu coûteuse. La              à un "toilettage conceptuel", mais cette fois-ci pour
démarche évaluative concerne à la fois la condition           tenter de mettre de l’ordre dans la signification des
de réalisation, les modalités de gestion par les ser-         différentes formes de pauvreté et d’exclusion
vices administratifs et les autres acteurs du projet          sociale. Auparavant on fera un bref rappel quanti-
ainsi que le degré de réalisation des objectifs.              tatif de la pauvreté au Maroc selon les définitions
L’ingénierie sociale doit être développée à tous les          et les chiffres officiels.
niveaux dans le cadre d’une formation appropriée
                                                              3.1. DONNÉES RÉCENTES
au service tant des acteurs sociaux locaux, des col-
                                                                   SUR LA PAUVRETÉ AU MAROC
lectivités locales, des ONG que des acteurs admi-
nistratifs locaux, intermédiaires et centraux. C’est          Au Maroc, le niveau de la pauvreté (encore appelé
l’une des recommandations essentielles formulées              taux de pauvreté) est mesuré au moyen de critères
dans le cadre de la nouvelle stratégie.                       basés sur le revenu, ou plus précisément, en
                                                              l’absence de méthodes fiables pour évaluer celui-
A l’issue de ces précisions, concernant le contexte           ci, sur le niveau de consommation des ménages.
du pays, ainsi que de la clarification des objectifs
des politiques sociales en général, on est mieux              Selon les seuils de consommation retenus en 1999
armé pour analyser et comprendre l’évolution de               (3922 DH en ville et 3037 DH en milieu rural), le
la politique sociale au Maroc à travers ses                   taux de pauvreté est estimé à 19% de la popula-
différentes étapes. Ces étapes étant elles-mêmes              tion. La pauvreté mesurée sur la base de ce critère
le reflet de l’évolution politique et culturelle et de        économique construit, censé refléter le niveau de
celle des enjeux économiques et sociaux. Tant il              revenu, obéit à une définition et une dimension
est vrai que si le choix des objectifs est largement          monétaire de la pauvreté.
politique, le choix des instruments est très                  Cette pauvreté est dite relative : elle se compose de
fortement influencé par les traditions, la religion           plusieurs sous-groupes allant d’une échelle de bas
(zaqat, waqf et habous par exemple), les habitudes            en haut dont chaque barreau est défini selon un
communautaires de la population et sa                         panier de biens de consommation de base,
psychologie, ainsi que par la structure socioéco-             pauvreté avec moins de 1 dollar par jour, pauvreté
nomique du pays (part relative des ruraux et des              alimentaire et pauvreté absolue.
citadins, rapport villes-campagnes, part relative             Plus précisément, le seuil de pauvreté relative est la
des salariés et des non salariés, structures                  somme de deux composantes :
sectorielles d’activité, etc.) qui déterminent les
données concrètes des problèmes. Il en résulte                •   La composante alimentaire est approchée par le
que les réponses aux préoccupations "sociales"                    coût d’un panier de biens et services alimentaires
évoluent dans le temps et qu’elles sont assez                     permettant le minimum requis en calories (2400
nettement différentes d’un pays à l’autre quel que                kilocalories par équivalent adulte), norme recom-
soit le niveau de développement ou de revenu par                  mandée par la FAO et l’OMS.
ailleurs. Concevoir une politique sociale intégrée            • L’estimation de la composante non alimentaire est
et une stratégie de développement social pour le                  réalisée conformément à l’approche d’allocation
Maroc à l’horizon 2010 implique de bien garder à                  des dépenses non alimentaires recommandée par
l’esprit les mécanismes et les causes qui animent                 la Banque mondiale.Elle consiste à majorer la com-
les objectifs poursuivis, les effets escomptés et les             posante alimentaire par le coût des acquisitions
effets observés, des politiques sociales qui ont été              non alimentaires réalisées par les ménages qui
menées dans le pays jusqu’à présent.                              atteignent effectivement le minimum requis.



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Ainsi déterminé, le seuil de pauvreté relative en             rentes composantes de la politique de lutte contre
2001 est de 1701 DH par mois pour un ménage                   la pauvreté (ce ciblage étant naturellement plus
moyen urbain (5,6 membres) et de 1735 DH par                  difficile à effectuer dans les villes).
mois pour un ménage moyen rural (6,4 membres).
                                                              Ayant signalé ces progrès récents dans la connais-
En deçà de ce seuil, on est pauvre, au-delà on ne             sance et la compréhension de la pauvreté, qui ont le
l’est pas.                                                    mérite d’atténuer la pauvreté de l’information sur la
Au-delà de ce seuil, un ménage est dit vulnérable             pauvreté et son corollaire, l’indigence statistique,
lorsque sa dépense totale est inférieure à 1,5 fois le        peut-on dire que l’on sait tout et que l’on comprend
seuil de pauvreté, soit 2552 DH par mois en milieu            tout de la pauvreté au Maroc aujourd’hui ?
urbain et 2603 DH par mois en milieu rural.                   Loin s’en faut, d’autant qu’au-dessus de la tranche
On voit tout de suite les limites de cette approche           des 19% de pauvres, 25% de la population sont
strictement monétaire puisqu’à quelques dirhams               considérés comme vulnérables, c’est-à-dire
près on est pauvre ou vulnérable ou on ne l’est pas,          disposant de ressources à peine supérieures à 50%
d’où l’importance de la corrélation des indicateurs           de celles dont disposent les pauvres. Ces pauvres et
de pauvreté et de vulnérabilité monétaire avec les            ces vulnérables constituent près de la moitié de la
autres indicateurs socio-économiques, et notam-               société. Mais que sait-on au juste sur cet univers ?
ment les indicateurs d’accès effectif aux infrastruc-         S’agit-il d’un monde vraiment clos ? Ou, au
tures de base et aux services sociaux (éducation et           contraire, y entre-t-on et en sort-on en
santé).                                                       permanence ? La pauvreté et la vulnérabilité ont-
                                                              elles une existence conceptuelle claire et peuvent-
Au cours des trente dernières années, le taux de
                                                              elles revendiquer un statut théorique à part ?
pauvreté relative a évolué de la façon suivante :
42,4% en 1970-71, 21% en 1984-85, 13,1% 1990-91,              A côté des critères basés sur le revenu, la pauvreté
19% en 1998-99. Le processus de régression de la              se caractérise par un certain nombre de
pauvreté s’est donc nettement estompé dans les                déterminants sociologiques et de privations non
années 90 pour les raisons que l’on a déjà évo-               monétaires. Les pauvres sont-ils tous affligés de ces
quées plus haut, sécheresse et crise agricole, faible         désavantages, ou au contraire le degré de cumul de
croissance de l’économie durant la décennie.                  ces désavantages par les uns ou les autres
                                                              nécessite-t-il une connaissance plus fine ?
Cette pauvreté est essentiellement rurale : 1 rural
sur 4 est pauvre contre 1 urbain sur 10. Mais la pau-         Si l’on fait abstraction de la pauvreté rurale
vreté urbaine croît à un rythme très rapide et repré-         structurelle persistante, il n’y aurait pas plusieurs
sente aujourd’hui un tiers de la pauvreté totale.             types de pauvreté de nature différente, mais
                                                              seulement des stades différents correspondant à la
Des travaux récents (Haut Commissariat au Plan,
                                                              contagion progressive, par la pauvreté, de tous les
Banque mondiale) ont permis de préciser la distri-
                                                              domaines de l’existence. Bien des ménages
bution spatiale et d’identifier les poches majeures
                                                              vulnérables et même des ménages de la classe
de pauvreté au niveau le plus fin possible, celui de
                                                              moyenne peuvent connaître des situations d’impé-
la commune. Cette carte détaillée de la pauvreté au
                                                              cuniosité qui en font des pauvres transitoires. Ou
Maroc, corrélée avec des indicateurs socio-écono-
                                                              bien ils réussiront à échapper assez tôt à l’insuf-
miques et des indicateurs relatifs aux dépenses
                                                              fisance de leurs ressources propres, ou bien ils ne
publiques, met en évidence une distribution très
                                                              seront maintenus au-dessus d’un certain revenu
inégale du bien-être entre régions, provinces et
                                                              minimum que grâce aux réseaux de solidarité
communes et à l’intérieur de celles-ci.
                                                              traditionnels ou familiaux, ou bien, si la solidarité
Cet instrument, dont les données peuvent être en              financière traditionnelle joue insuffisamment en
permanence actualisées, constitue à n’en pas dou-             leur faveur, ils sombreront petit à petit dans la
ter un moyen puissant de ciblage pour les diffé-              pauvreté persistante, terme ultime de leur



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déchéance économique devenue désormais                           expliquent l’engrenage, correspond à la pauvreté
d’échéance sociale. Il ne s’agit pas de familles                 traditionnelle et rurale telle qu’on l’observe au
jugées initialement pauvres, mais de ménages                     Maroc et qui concerne 67% des pauvres. Elle est
normalement insérés dans la société qui se                       qualifiée de traditionnelle parce qu’elle semble
trouvent pris dans un processus d’exclusion                      bien connue. Mais connaît-on tout d’elle ? Quelles
progressive. C’est dire que les chiffres récents et les          sont les caractéristiques et les itinéraires des
progrès accomplis dans le recensement statistique                personnes qui restent enracinées dans cet
ne renseignent pas suffisamment sur les différentes              enfermement social ? Et qui sont les individus qui
formes et sur les différents stades de la pauvreté.              parviennent durablement à y échapper, malgré la
                                                                 lourdeur des déterminants sociaux, autrement
En réalité, aucune mesure ni aucune approche n’est
                                                                 que par l’exode.
parfaite, mais toutes les mesures et toutes les
approches sont perfectibles. Dans cette optique,                 A l’opposé de cette forme persistante de pauvreté
les deux paragraphes suivants seront consacrés à                 se trouve ce qu’on peut appeler la pauvreté
une clarification conceptuelle de la pauvreté, de la             occasionnelle : il s’agit de familles ou d’individus
vulnérabilité, de la précarité et des différentes                qu’un événement imprévu (maladie, accident,
formes d’inégalité sociale.                                      décès, perte d’emploi, etc.) plonge tout à coup
                                                                 dans une situation dramatique. En fait, la multipli-
3.2. DÉFINITIONS CLASSIQUES                                      cation de situations de ce type, et à défaut des
    DE LA PAUVRETÉ ET DE L’EXCLUSION SOCIALE                     moyens d’y remédier de façon satisfaisante, leur
On sait depuis longtemps que quels que soient les                permanence transforme la nature du problème et
seuils économiques nationaux retenus par les pays                interdit encore de parler à leur propos de pauvreté
(riches ou pauvres) pour définir la pauvreté, celle-ci           simplement occasionnelle. Elle traduit simplement
ne se limite pas à sa dimension monétaire.                       l’état de vulnérabilité sociale de beaucoup de
                                                                 ménages marocains.
En effet, par convention, on a coutume de désigner
sous le terme de pauvreté persistante la situation des           Les personnes vulnérables vivent dans une situation
personnes qui connaissent la misère de génération en             sociale précaire. Mais qu’entend-on au juste par le
génération. Ces personnes cumulent de nombreux                   terme de précarité ? On veut qualifier par là la
désavantages :analphabétisme,absence de formation                menace de pauvreté qui pèse sur beaucoup de non
ou de qualification professionnelle, logement                    pauvres. Ces catégories en situation précaire, bien
indécent, mauvaise santé, irrégularité ou incertitude            plus nombreuses que les pauvres, et largement
des revenus monétaires, dépendance par rapport à                 générées par l’extension du chômage, devraient
l’assistance, etc. Par conséquent, rares sont les pauvres        amener à reconsidérer les politiques traditionnelles,
persistants qui parviennent à échapper durablement               tant dans leurs fondements théoriques qu’au niveau
à cette forme de pauvreté qui constitue la dimension             des instruments d’action et au niveau des modes de
extrême des inégalités sociales. Au-delà de la simple            financement.
observation du phénomène de cumul, c’est-à-dire de               En effet, si le point de départ du glissement vers la
la concentration des désavantages sociaux sur                    pauvreté ne diffère pas nécessairement d’une
certaines familles et certains groupes de la population,         forme de pauvreté à l’autre, c’est la durée d’une
on a pu mettre en évidence des mécanismes par                    situation de pauvreté qui devient inquiétante.
lesquels s’instaure l’interdépendance entre ces                  Lorsque la pauvreté se prolonge, ce sont tous les
désavantages, gage de leur reproduction, cette                   aspects de la vie qui sont progressivement atteints
interdépendance jouant à l’intérieur d’une génération,           et tous les comportements qui risquent d’être
mais aussi d’une génération à l’autre.                           modifiés de façon irréversible.
Ce modèle de pauvreté persistante, ainsi défini par              Autrement dit, quelle que soit la diversité des délais
ses déterminants économiques et sociaux qui en                   et des formes que prend le passage du stade



                                                            19
essentiellement monétaire de la pauvreté aux                    professionnelle, santé précaire, tendance au désoeu-
stades multidimensionnels, il y a bel et bien des               vrement sociétal et à la violence par rupture du lien
facteurs macroéconomiques et sociaux à l’origine                social et par accumulation des frustrations.
d’un phénomène progressif d’exclusion sociale. Ce               A ces facteurs d’exclusion, il faut ajouter ceux qui
qui amène à définir ce qu’on entend généralement                affectent particulièrement certains groupes à
par le terme d’exclusion sociale.                               risque comme les enfants, les femmes et les
L’exclusion sociale est une forme d’inégalité sociale           personnes âgées ou en situation d’abandon ou
qui, tout en étant liée au revenu ne s’identifie pas à          d’isolement, et les handicapés.
lui. En outre, le terme "populations exclues" ne doit           Tant que les réseaux traditionnels reposant sur des
pas être considéré comme synonyme de pauvres.                   liens familiaux et communautaires fonctionnent,
La différence, en deux mots, est la suivante : les              ou tant qu’il existe des possibilités d’insertion dans
pauvres n’ont pas accès à des biens et des services             l’économie informelle, le risque d’exclusion est
en raison de ressources matérielles inégales ou en              moins grand, même lorsque l’Etat ne fournit pas les
raison de l’inexistence de ces biens et de ces                  prestations et les services adéquats. Mais lorsque,
services dans leur environnement de vie immédiat                comme c’est de plus en plus le cas aujourd’hui, ces
ou encore en raison des coûts d’usage de ces biens              réseaux s’épuisent ou se délitent sous l’influence
et de ces services. Alors que les exclus souffrent              des nouveaux modes de vie ou des nouvelles
d’une participation inappropriée ou inégale à la vie            structures familiales, la demande de protection
sociale ou de l’incapacité d’accéder à une place au             sociale publique augmente et la pression sur l’Etat
sein de la société de consommation, souvent liée                s’aggrave. Les interventions de la société civile,
au rôle social intégrateur de l’emploi ou du travail.           pour aussi légitimes, salutaires et admirables
Cette distinction est importante dans le sens où                qu’elles soient, ne pouvant être que complémen-
elle déplace le centre d’attention du lien entre                taires des interventions publiques en réponse aux
pauvreté et revenu vers le lien entre degré d’appar-            besoins et aux attentes sociales.
tenance sociale et revenu. Ainsi existerait-il une
pente sociale ascendante (l’ascenseur social) qui               Les situations qui viennent d’être décrites
produit l’intégration et l’insertion sociale et une             constituent en quelque sorte les nouvelles formes
pente descendante qui reflète les stades de                     de pauvreté à expression urbaine que connaît le
                                                                pays. Leur multiplication à travers les différentes
l’exclusion en présentant des durées et des degrés
                                                                villes du royaume semble indiquer que l’ascenseur
différents d’exposition aux conditions de privation.
                                                                social est en panne et qu’il y a une certaine
La privation d’emploi est le stigmate le plus                   incapacité collective à créer et à maintenir un socle
évident de l’exclusion sociale, l’accès au travail              de classes moyennes suffisamment solide et
étant à l’inverse le mécanisme habituel de                      suffisamment large. Ce socle étant indispensable
l’inclusion et l’insertion sociale. Etant donné la              pour alimenter la demande intérieure en biens et
dimension du chômage urbain, l’exclusion sociale                services divers, pour construire un système solide
est un phénomène essentiellement urbain.                        de protection sociale et pour assurer la cohésion
L’exclusion sociale ne se limite pas à l’exclusion du           sociale.
marché du travail ou à la difficulté d’accès à l’emploi.        Or précisément, l’exclusion sociale est de plus en
Le marché et la société se révèlent incapables                  plus considérée dans tous les pays du monde
d’incorporer certains groupes sociaux qui cumulent              (riches ou pauvres) comme une menace pour la
sous une forme ou sous une autre les caractéris-                cohésion sociale. Cette prise de conscience élève le
tiques suivantes : lien faible ou inexistant avec le            niveau de sensibilisation des citoyens et favorise
marché du travail, faiblesse et incertitude du revenu,          l’émergence du partenariat Etat-société civile-
logement indécent ou insalubre, faible niveau                   entreprises privées qui s’exprime dans le concept
d’alphabétisation, de scolarisation ou de formation             de coresponsabilité sociale.



                                                           20
Ne pas prendre en compte la dimension de l’exclu-             4. LES NOUVEAUX PARADIGMES
sion dans l’étude de la pauvreté expose par consé-              EN MATIÈRE DE DÉVELOPPEMENT
quent à pérenniser une dimension manquante de                 Un paradigme constitue une sorte de révolution
la politique sociale.                                         dans les modes de pensée. A un moment donné, il
                                                              y a dans la communauté internationale ou dans les
3.3. L’APPROCHE MODERNE DE LA PAUVRETÉ
                                                              communautés scientifiques un paradigme qui
Suite aux travaux de l’économiste indien Armataya             domine et permet aux penseurs et aux décideurs
Sen (prix Nobel d’économie qui a développé la                 de travailler avec des méthodes communes et
théorie des "capacités"), à ceux de l’économiste              selon une conception relativement unifiée des
américain Joseph Stiglitz (lui aussi prix Nobel               recherches à mener selon un protocole de
d’économie qui a développé la théorie écono-                  réflexion précis. Le paradigme est donc un modèle
mique des blocages du marché et du blocage dans               qui permet à une communauté scientifique ou
les "trappes de pauvreté") et à ceux de Robert                politique de communiquer et d’apprécier la qualité
Putnam (qui a forgé le terme de "capital social") et          du travail de ses membres. Il y a révolution
aux concepts développés par le système des                    scientifique ou conceptuelle lorsque l’on change
Nations unies depuis une vingtaine d’années en                de paradigme.
matière de développement humain, l’approche                   En matière de politique de développement, le
moderne de la pauvreté en donne une définition                changement de paradigmes est à l’œuvre depuis
plus extensive.                                               environ deux décennies.
La vision simplement multidimensionnelle a été
                                                              4.1. LE PREMIER PARADIGME À CONSIDÉRER
remplacée par la perspective des “capacités” La   .
                                                                   EST D’ORDRE GÉOPOLITIQUE
pauvreté est dès lors conçue comme un déficit de
capacités qui empêche les personnes concernées                En 1989, la chute du mur de Berlin consacrait la fin
d’avoir accès à une égalité des "chances" (et non             d’un paradigme, celui de la guerre froide, qui
des situations) ; appliquée à l’analyse de la pauvreté        divisait l’espace politique et économique en trois
et de l’exclusion sociale, et des privations diverses         mondes dont deux, l’Est et l’Ouest, étaient engagés
qui leur sont souvent associées, cette perspective            dans une confrontation sans fin tandis qu’ils
des capacités permet de mieux comprendre leur                 cherchaient chacun à attirer le Tiers monde en lui
nature et leurs causes. Elle permet aussi de coupler          proposant un modèle de développement et
le combat contre la pauvreté à l’action de l’Etat             d’accession à la modernité.
pour garantir les libertés civiques et publiques, les         Un an après, en 1990, selon les chiffres de la Banque
droits humains fondamentaux et l’émancipation                 mondiale, 16% de la population de la planète, soit
politique inhérente au processus démocratique.                830 millions d’habitants sur 5,2 milliards, concentre
D’une vision plus extensive de la pauvreté doit               dans ses mains 75% du revenu mondial, soit 15.000
découler aussi une politique plus extensive de lutte          milliards de dollars sur 20.000 milliards. Ce constat
contre la pauvreté élargie à la levée des obstacles           majeur, jusque là masqué par la confrontation
socio institutionnels qui entravent l’accès des               entre les deux blocs, qui pourtant en avaient fait
pauvres au bien-être et à une participation pleine et         leur terrain d’affrontement principal, doit être
entière à l’économie et à la société.                         rapproché avec un second fait capital induit par la
Cette approche moderne de la pauvreté et partant              fin des blocs, à savoir que la planète est désormais
de la politique de réduction de la pauvreté et des            perçue comme un monde fini, un "village
inégalités sociales est parfaitement en phase avec            planétaire", dont tous les pays sont solidaires de
les nouveaux paradigmes et les nouveaux                       l’évolution et coresponsables de l’avenir.
concepts en matière de développement que la                   Cette phase historique est à l’origine d’un nouveau
communauté internationale partage.                            paradigme qui nous fait voir l’avenir à travers un



                                                         21
prisme où le monde apparaît en train de                                    rences et de sommets organisés sous l’égide des
s’acheminer de manière parfois chaotique mais                              Nations unies (notamment le Sommet de
quasiment irréversible vers une configuration                              Copenhague et le Sommet du Millénaire) sont
unifiée ou apaisée combinant les structures de                             désormais centrés sur la mise en place d’un cadre
l’économie de marché, celles de la démocratie                              sociétal propice à l’accomplissement, à l’épanouis-
représentative et des droits de l’homme et celles                          sement et au développement individuel et collec-
de la responsabilité écologique partagée.                                  tif. La création d’opportunités favorisant le bien-
                                                                           être global et durable des individus en est le socle.
Ce paradigme qui est celui de la mondialisation par
le “haut”est illustré par le schéma théorique du "vol                      Ce qui suppose l’intégration de l’élément humain
d’oies sauvages" (Akamaisu) dans lequel un pays                            non seulement comme moyen essentiel, mais aussi
en tire deux ou trois autres, qui à leur tour…, etc.                       comme finalité ultime de toute politique de déve-
Même s’il est contesté par des contre paradigmes                           loppement économique.
concurrents (altermondialisation, tentation d’un
                                                                           Ce qui suppose aussi une bonne gouvernance des
nouveau grand schisme Nord-Sud, choc des civili-
                                                                           affaires publiques et une meilleure intégration des
sations), ce modèle régit désormais les 6 facteurs
                                                                           initiatives de développement socio-économique
de transformation du monde : facteurs politiques
                                                                           opérées par les différents partenaires : Etat, collec-
institutionnels et sécuritaires, facteurs écono-
                                                                           tivités locales, secteur privé, société civile.
miques, facteurs écologiques et environnemen-
taux, facteurs démographiques, facteurs culturels,                         Ces orientations et ces objectifs ont permis de for-
facteurs spécifiques liés à la coopération interna-                        muler, selon les contextes nationaux et régionaux
tionale et à l’aide publique au développement                              correspondants, des stratégies de développement
(lutte contre la faim et la pauvreté dans le monde).                       social, de lutte contre la pauvreté et l’exclusion, de
Ce processus qui expérimente de nouveaux modes                             promotion de l’emploi et de satisfaction des
de régulation du monde comporte des possibilités                           besoins essentiels des populations.
et des perspectives de progrès extraordinaires                             Le concept de développement humain durable est
mais aussi des défis énormes pour les pays en                              devenu un élément-clé des politiques d’investis-
développement.                                                             sement dans le capital humain ; il est placé désormais
                                                                           au cœur des politiques macroéconomiques elles-
4.2. LE PARADIGME
                                                                           mêmes. La réduction de la pauvreté et des inégalités
     DU DÉVELOPPEMENT HUMAIN DURABLE (*)
                                                                           et le renforcement du capital social étant désormais
En parallèle avec l’évolution géopolitique décrite                         considérés comme le véritable moteur du dévelop-
ci-dessus et au cours de la même période un nou-                           pement et non plus seulement comme un accompa-
veau concept de développement s’est inscrit en                             gnement de la politique économique.
rupture par rapport aux oppositions parfois carica-
turales des théories classiques du développement                           4.3. LE PARADIGME
(capital physique versus capital humain). Fondé sur                             DE LA BONNE GOUVERNANCE
une approche humaniste et holistique, il intègre                           Le concept de gouvernance a d’abord été
des orientations, des objectifs, des politiques et des                     développé au niveau des entreprises pour mieux
mesures visant l’épanouissement global et durable                          maîtriser la coordination interne et le partenariat
de l’être humain.                                                          avec les acteurs de leur environnement. Il a été
Les objectifs du développement humain durable,                             étendu peu à peu aux institutions locales,
progressivement dégagés par un cycle de confé-                             nationales et internationales.

(*) Le vocable durable comporte implicitement l’équité intragénérationnelle mais aussi intergénérationnelle par la préservation de l’environne-
ment et des ressources naturelles.




                                                                      22
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  • 1.
  • 2. M A R O C " Ensemble pour un développement humain " Pour une Politique de Développement Social Intégré Mission d’appui du PNUD au Ministère du Développement Social de la Famille et de la Solidarité Travail réalisé par le Dr Abdeljalil GREFFT-ALAMI en collaboration avec Laârabi JAIDI et Driss BENALI Février 2005
  • 3. P R E F A C E Le royaume du Maroc s’est résolument engagé au cours des quelques dernières années dans un processus de renforcement et d’intégration de ses politiques sociales. La création, lors du remaniement ministériel de juin 2004, d’un nouveau Département regroupant les institutions oeuvrant dans le développement social – un pôle social en somme – est une éloquente illustration de cet engagement. Dés sa mise en place, le Ministère du développement social, de la famille et de la solidarité, en étroite concertation avec les autres départements et l’ensemble de ses partenaires sociaux, a procédé à une réflexion stratégique. C’est dans ce contexte que le PNUD fut sollicité pour apporter un appui, tout d’abord à l’organisation, en juillet 2004, d’un séminaire réunissant tous les acteurs impliqués dans le développement social et ensuite, à la réalisation, en guise de suivi, d’un travail d’analyse et de réflexion confié à des experts nationaux. Le rapport que nous avons le privilège de préfacer aujourd’hui constitue l’un des résultats d’une coopération à plus d’un égard exemplaire entre le Ministère du développement social et le PNUD. Ce travail représente un effort remarquable d’inventaire et d’évaluation des politiques publiques menées au Maroc dans le domaine du développement social et dans la valorisation des ressources humaines du pays. Il apporte aussi une clarification conceptuelle qui permet d’enrichir, par une analyse théorique, les constats de l’analyse empirique. Enfin, il met en relief l’importance cruciale de la bonne gouvernance, de la coordination et de l’inter-sectorialité dans la conduite des politiques publiques et des interventions publique et privée en matière de développement social ainsi que celle du partenariat de la coresponsa- bilité sociale, et de la coopération dans le domaine du développement. Abderrahim HAROUCHI Emmanuel Dierckx de Casterlé Ministre du développement Social, Représentant Résident de la famille et de la Solidarité PNUD Maroc 3
  • 4. S o m m a i r e INTRODUCTION .................................................................................................................................... 5 1. Rappel du contenu et des termes de référence de la mission ..................................... 5 2. La démarche et la méthode retenues ............................................................................ 5 CHAPITRE I Contexte et clarification des concepts .............................................................................................. 7 1. Le contexte politique économique et social ................................................................. 8 2. Clarification conceptuelle du champ des politiques sociales .................................... 12 3. Revue critique des définitions et des typologies de la pauvreté .............................. 16 4. Nouveaux paradigmes en matière de développement .............................................. 20 5. Conclusions de l’analyse préliminaire .......................................................................... 22 CHAPITRE II Etat des lieux et évluation ................................................................................................................ 25 1. Délimitation du champ de l’évaluation ....................................................................... 27 2. Stratégie de développement économique et cycles de croissance ......................... 28 3. Evaluation des politiques publiques ............................................................................ 37 4. Evaluation des programmes spécifiques de lutte contre la pauvreté et l’exclusion ................................................................... 49 5. Gouvernance actuelle du développement social ..................................................................... 91 6. Principaux constats de l’évaluation ............................................................................................ 95 CHAPITRE III La stratégie proposée ............................................................................................................................... 97 1. Les bases théoriques et opérationnelles de la nouvelle stratégie nationale de développement social ................................................. 98 2. Le programme national de lutte contre la pauvreté et l’exclusion ...................................... 116 3. Modalités de mise en œuvre de la stratégie et gouvernance ............................................... 125 4
  • 5. I N T R O D U C T I O N 1. RAPPEL DU CONTENU DE LA MISSION politiques sociales, sur les différents angles ET DE SES TERMES DE RÉFÉRENCE d’analyse de ces politiques et sur la méthode de travail à adopter pour les besoins de l’étude. A Un remaniement ministériel intervenu au mois de l’issue de ces réunions, un consensus a permis de juin 2004 s’est traduit, entre autres changements, préciser : par la création, au sein du gouvernement du Maroc, d’un nouveau département, le Ministère du • la base documentaire à réunir développement social, de la famille et de la • la liste des institutions et des acteurs gouverne- solidarité. Ses missions consistent à : mentaux et non gouvernementaux à rencontrer • promouvoir la politique de développement social • les visites sur le terrain à programmer et de lutte contre la pauvreté et l’exclusion sociale • le plan et la consistance générale du document de • répondre aux besoins des catégories sociales fra- fin de mission à produire giles ayant des besoins spécifiques en renforçant les programmes destinés à la famille, à l’enfance, • et, enfin, la répartition des tâches après qu’elles aux personnes âgées et aux handicapés ; aient été au préalable définies. • promouvoir la solidarité, la participation et le Ces réunions ont aussi permis aux experts de faire partenariat. le constat suivant : une très grande ambiguïté règne dans le domaine que l’on a l’habitude de Au mois d’août 2004, le PNUD a décidé d’appuyer qualifier par le terme de “social” En effet, des . l’action du Ministère en confiant aux experts, auteurs vocables tels que politique sociale, développement du présent document, la mission d’aider le nouveau social, secteurs sociaux, dépenses sociales, département à définir une politique intégrée et une dépenses de solidarité, aide sociale, action sociale, stratégie de développement social à l’horizon 2010. protection sociale, sécurité sociale, etc. sont cou- Les termes de référence assignés à cette mission ramment utilisés par les uns ou par les autres sans comportaient globalement l’inventaire et avoir le même sens pour tout le monde. l’évaluation des politiques, des programmes, des institutions, des acteurs et des coûts, actuellement Constatant cette ambiguïté, les experts ont pensé impliqués dans le champ du développement social. qu’elle était en partie à l’origine de la verticalité Pour parvenir, en fin de compte, à formuler et à excessive des politiques et des programmes et proposer les grands axes d’une stratégie comportant probablement la cause de leur non intégration. une meilleure intégration de tous ces éléments. Le Pour dire les choses autrement, le morcellement terme “grands axes” est utilisé à dessein sachant que des différentes politiques sociales procède d’une les délais impartis à la mission sont extrêmement vision morcelée des problèmes sociaux. courts (3 mois). L’ambiguïté règne aussi dans les définitions et les différentes typologies de la “pauvreté” de la , “vulnérabilité” et de la “précarité” ou même dans , 2. LA DÉMARCHE ET LA MÉTHODE RETENUES des termes aussi courants que les “inégalités Concevoir une politique sociale intégrée et une sociales” et l’”exclusion sociale” . stratégie de développement social à moyen terme Dans ces conditions, tenter de proposer une politique ne consiste heureusement pas à partir de zéro, sociale intégrée et une stratégie de développement mais à partir de ce qui existe ou plus précisément social n’aurait aucun sens si on ne se préoccupe pas de du bilan de ce qui existe. définir, au préalable, le contenu des politiques sociales L’ampleur de la mission a néanmoins nécessité la et,par rapport,à celles-ci,ce qu’est au juste le dévelop- tenue de plusieurs réunions préliminaires au siège pement social. Ce dernier constitue-t-il une politique du Ministère. Ces réunions ont été consacrées à spécifique centrée sur les pauvres ? Ou bien se une réflexion approfondie sur le champ des confond-il avec toutes les formes d’intervention 5
  • 6. fondées sur le principe de solidarité et sur l’objectif de politiques. Cette clarification s’avère d’autant plus cohésion sociale,pour finalement les englober toutes? nécessaire que : Dans le même ordre d’idées, vouloir proposer une • d’une part les inégalités sociales ne se réduisent stratégie de lutte contre la pauvreté et l’exclusion pas aux écarts de revenu entre les riches et les sociale implique de commencer par définir la pauvres. La structure inégalitaire de la société pauvreté et l’exclusion. Le bon sens consisterait marocaine et son déficit d’équité obéissent à alors à répondre à des questions telles que : qui d’autres facteurs tels que des facteurs culturels sont les pauvres, pourquoi sont-ils pauvres et où ou d’appartenance à des réseaux, etc. sont les pauvres ? Qui sont les exclus, de quoi sont- • d’autre part la politique et les programmes de ils exclus et où sont les exclus ? Autrement dit, une protection sociale non centrés sur les pauvres politique de réduction de la pauvreté et de sont aussi générateurs d’inégalités sociales lors- l’exclusion ne peut être efficace que si elle découle qu’ils laissent beaucoup trop de monde sur le d’une bonne connaissance et d’une meilleure bord du chemin. compréhension de ces problèmes sociaux. On peut donc s’attendre à ce que des politiques fondées sur C’est la raison pour laquelle le contexte et l’envi- une mécompréhension des causes de persistance ronnement politique, social, sociologique et de la pauvreté, ou sur une vision réductrice, culturel du pays dans lequel s’élaborent à un puissent être remises en cause aujourd’hui à la moment donné les principes et les moyens des lumière des concepts et des paradigmes récents politiques sociales, est déterminant pour qui tendent à en donner une définition plus comprendre les logiques en présence. Tout autant extensive et plus exhaustive. que l’environnement international et la manière et Par exemple, on peut remédier à certains aspects le rythme adoptés par le pays pour s’insérer dans le de la misère sans remédier à tous, c’est ce qui se processus de la mondialisation avec les contraintes produit lorsqu’on réduit la mortalité infantile par économiques et sociales qui en découlent pour lui. des campagnes de vaccination et de réhydratation Ces réflexions ont permis aux experts d’adopter la orale alors que le revenu des pauvres reste démarche intellectuelle et la méthode suivantes : inchangé ; ou encore lorsqu’on construit une école • examiner le contexte dans lequel les politiques, qui ne sera pas fréquentée en raison des coûts les programmes et les stratégies sont conçues d’opportunité trop lourds pour y accéder. • procéder à une clarification des concepts et faire L’objectif de réduction de la pauvreté et de une revue critique des différentes typologies de l’exclusion ne peut être atteint que par une stratégie intégrée dans le temps et dans l’espace ; car dans la la pauvreté et de l’exclusion plupart des cas, il faut agir en même temps sur les • analyser les nouveaux paradigmes en matière de trois fronts suivants : développement des développement et de gouvernance opportunités, création de dispositifs d’insertion • tirer les principales leçons de ces axes d’analyse politique, économique et sociale, assurance d’une sécurité matérielle susceptible d’atténuer la vulnéra- • faire l’état des lieux et l’évaluation des politiques et bilité (aux aléas climatiques, aux catastrophes des programmes en cours à la lumière de la clarifi- naturelles,aux chocs économiques,à la maladie,etc.). cation conceptuelle des nouveaux paradigmes et des formes concrètes que revêt l’action publique Faisant ce constat préliminaire,les experts ont estimé au Maroc dans les domaines du développement qu’il était nécessaire d’opérer une clarification social et de la lutte contre la pauvreté et l’exclusion conceptuelle avant tout travail d’inventaire et d’évaluation des politiques poursuivies dans le • proposer, à l’issue de cette évaluation, les grands domaine social, car elle peut être utile au débat axes d’une politique intégrée et d’une stratégie public et au processus même d’élaboration de ces de développement social à moyen terme. 6
  • 7. CHAPITRE I Contexte et clarification des concepts 7
  • 8. 1. LE CONTEXTE POLITIQUE, transparence, le souci de modernisation et d’effi- ÉCONOMIQUE ET SOCIAL cacité, le respect des droits des citoyens, le souci de proximité et le nouveau concept d’autorité. Le Maroc est engagé, depuis quelques années, dans un processus de mutations rapides et de A cet égard, il faut noter quatre évolutions transformations profondes. Ce processus est d’une majeures qui caractérisent le pays : telle ampleur qu’on peut qualifier le Maroc - La remise en cause implicite et explicite du mono- aujourd’hui de pays de toutes les transitions : pole gouvernemental dans la gestion des affaires transition démocratique, transition économique, publiques a favorisé l’émergence et le dynamisme transition démographique, transition sociologique de la société civile dans un essor sans précédent et culturelle. dans le pays. La vitalité du tissu associatif, qu’il soit 1.1 SUR LE PLAN POLITIQUE ET INSTITUTIONNEL local, communautaire, régional et culturel, ou à caractère général ou national, donne au Maroc un L’évolution du pays vers la démocratie, l’Etat de rôle d’avant-garde dans les pays de la région. Les droit et la modernisation est un processus dont pouvoirs publics ont accompagné ce phénomène l’irréversibilité est garantie au plus haut niveau de en multipliant les dispositifs réglementaires ainsi l’Etat et dont la cadence s’accélère depuis la fin des que les conventions de partenariat, conventions années 90. qui intègrent aussi le secteur privé en général et La transition démocratique est attestée par des le monde de l’entreprise. réformes majeures visant à approfondir et à Ces dispositifs contractuels et conventionnels accélérer le processus démocratique, à affirmer la entre l’Etat, le secteur privé et la société civile, primauté du droit et la défense des droits de impulsant de nouvelles formes de régulation, de l’homme en général, et particulièrement les droits responsabilisation, de prise d’initiatives et de de la femme, de l’enfant et des catégories sociales décisions dans le processus de développement fragiles (handicapés, personnes âgées, personnes économique et dans le champ de la solidarité. pauvres ou exclues). Parmi ces réformes, trois d’entre elles méritent d’être signalées pour - La mise à niveau du processus de démocratie l’importance qu’elles ont dans le cadre de cette locale : la réforme de la charte communale par étude. Il s’agit : une nouvelle loi promulguée en octobre 2002 vise à renforcer les compétences des collectivités • du code des libertés publiques et de l’harmoni- locales et territoriales de manière à obtenir une sation de la législation interne avec les décentralisation mieux réussie que par le passé et dispositions des instruments internationaux une meilleure implication des élus locaux dans le relatifs aux droits de l’homme ratifiés par le Maroc processus de développement. Cette loi est venue • du code du travail et de l’harmonisation des rétablir aussi une gestion municipale unifiée pour législations et des réglementations régissant les les six plus grandes villes du pays. relations professionnelles et l’exercice des - L’élargissement des compétences des services libertés syndicales locaux de l’administration centrale et les nou- • du code de la famille réformant la Moudawana velles règles de gestion budgétaire, vise une dans le sens d’une égalisation des rapports de déconcentration mieux réussie que par le passé et genre (homme-femme) et visant l’intégration de une véritable politique de proximité. la femme dans la responsabilité politique et - Enfin la mise à niveau du champ politique est sociale et dans le processus de développement. l’objectif visé par le projet de loi sur les partis D’autres réformes ont concerné le secteur de la politiques. Cette mise à niveau a pour dessein de justice et celui de l’administration publique clarifier le champ politique, sortir de l’émiet- fondées globalement sur le souci d’équité et de tement actuel de la représentation nationale en 8
  • 9. favorisant l’émergence de pôles capables de celles de la libéralisation et de la déréglementation constituer un gouvernement homogène, de la plupart des secteurs de l’économie ainsi que apporter de la transparence aux règles de celles du rattrapage des déficits en matière d’infra- fonctionnement et de financement des partis structures physiques et des déficits sociaux. tout en renforçant leur démocratie interne, et L’ensemble des prix ont été libérés à l’exception enfin d’immuniser le pays contre les tentatives d’un petit nombre de denrées de première d’exploiter la religion à des fins politiques nécessité, faisant l’objet de subventions ou de extrémistes. compensations. Cette brève revue du contexte permet de constater Le désengagement de l’Etat des secteurs concur- que le pays est doté d’atouts institutionnels rentiels s’est traduit par des transferts importants importants pour améliorer la qualité du processus de de capitaux au secteur privé national et étranger. formulation et de conduite des politiques publiques et pour améliorer la qualité de la gouvernance. Des conditions favorables ont ainsi été aménagées pour faciliter la transition et le passage d’une Cependant, et en anticipant sur l’évaluation qui économie protégée à dominante étatique à une sera développée au chapitre II, il est utile de noter économie libérale de marché ouverte sur dès maintenant une certaine dichotomie entre la l’extérieur et en cours d’insertion progressive dans qualité des institutions et des lois et la qualité des l’économie mondiale. pratiques, tant que demeurent importantes des résistances et des inerties aux changements voulus Le partage des responsabilités entre l’Etat et le sur le plan politique. Cette dichotomie étant secteur privé évoqué au paragraphe précédent probablement la cause des pertes d’efficacité des sous l’angle politique est aussi à l’œuvre dans la politiques publiques. reconfiguration du rôle de l’Etat dans le domaine de l’économie : à l’Etat incombent désormais les 1.2. SUR LE PLAN ÉCONOMIQUE rôles d’arbitrage, de réglementation et de régulation et la garantie de l’équité par la redistri- La transition est marquée par l’ouverture de bution des revenus. Au secteur privé et au marché l’économie nationale et son intégration en général incombent les rôles de la création de progressive dans l’économie mondiale. Cette richesse et de la relance de l’activité économique dynamique d’ouverture a été jalonnée par des par l’investissement, y compris dans les étapes successives de libéralisation des échanges : infrastructures et les secteurs sociaux. accord OMC, accord d’association avec l’Union européenne, accord de libre échange avec les Les incitations à l’investissement privé national et Etats-Unis, la Turquie, et plus récemment avec la étranger sont très fortes et font l’objet d’une Tunisie, la Jordanie et l’Egypte (et d’autres accords dynamique de réformes positives (malgré en cours de négociation). quelques points faibles persistants comme la corruption et le manque de confiance dans la Cette phase d’intégration de l’économie dans la justice des affaires économiques). mondialisation des échanges a été préparée et rendue possible par des efforts importants La dynamique macroéconomique est globalement consentis par le pays pour mener des réformes bonne en dépit de la tendance récente à la reprise économiques et financières majeures afin de du déficit budgétaire et en dépit du déficit de la surmonter les contraintes et de lever les distorsions balance commerciale. Mais elle ne s’accompagne qui inhibaient son potentiel de croissance. Ces pas, pour autant, d’un niveau de croissance suffisant. efforts ont été constants au cours des deux La croissance réelle du PIB a été respectivement de dernières décennies : les années 80 étant celles de 4,1% au cours de la période 1986-1991, de 1,8% au l’ajustement, de la stabilisation macroéconomique cours de la période 1991-1999 et de 4% au cours de et des réformes structurelles, les années 90 étant la période 1999-2003. Sur l’ensemble de ces deux 9
  • 10. décennies, la structure du PIB a peu varié : le autres programmes de développement rural, ce secteur primaire représente 16%, le secteur qui pose manifestement les problèmes de l’effi- secondaire 35% et le secteur tertiaire 53%. cacité, du ciblage et de l’inertie des dépenses Le faible taux de croissance enregistré dans les publiques en matière sociale. Pour ne prendre années 90 s’explique en grande partie par la faible qu’un seul exemple et pour s’exprimer performance de l’agriculture qui a connu, au cours franchement, les résultats de la politique de santé de cette période, une moyenne annualisée de en milieu rural sont nettement décevants, les taux régression de -0,3%. La croissance globale dépend de mortalité infantile et maternelle qui y prévalent donc en grande partie de la croissance agricole. Sa étant indignes d’un pays du niveau de dévelop- variabilité et sa volatilité sont en rapport avec des pement du Maroc. On peut en dire autant de l’anal- fluctuations spectaculaires de la production phabétisme et des performances tant quanti- céréalière : 17 millions de quintaux en 1995 et 97 tatives que qualitatives de la politique d’éducation. millions de quintaux en 1996. En raison de la Plus fondamentalement, malgré la reprise de la sévérité de la sécheresse (3 années sèches sur 4), la croissance économique, le rythme de cette valeur ajoutée du secteur agricole a été stagnante croissance apparaît nettement insuffisant pour sur plus d’une décennie, ce qui explique l’aggra- résorber les déficits sociaux persistants, faire face à vation de la pauvreté rurale enregistrée sur la la montée en puissance des nouveaux besoins même période. L’agriculture n’est pas seule en sociaux et surtout affronter l’augmentation de la cause dans la faiblesse de la croissance, les années population active. 90 ayant aussi enregistré une perte de compéti- En effet, en ce début de millénaire, la question tivité du secteur manufacturier et une tendance au sociale au Maroc revêt deux aspects ralentissement de l’activité économique. fondamentaux : L’économie marocaine, malgré les efforts consentis • la situation de plus en plus préoccupante de et les réformes accomplies, demeure très l’emploi et la montée en puissance du chômage vulnérable aux chocs intérieurs (aléas climatiques), de masse ; et aux chocs extérieurs (prix des hydrocarbures et fluctuations monétaires). Beaucoup reste à faire • la persistance, voire la recrudescence de la face aux défis qui attendent le pays. pauvreté et des inégalités sociales malgré les efforts des pouvoirs publics pour les réduire, la 1.3. SUR LE PLAN SOCIAL répartition des revenus et des patrimoines au sein de la société marocaine demeurant très En 20 ans, des progrès notables ont été accomplis, inégalitaire. attestés par l’évolution positive de la plupart des indicateurs sociaux et socioéconomiques. Le taux de chômage national estimé à 12% masque mal les réalités suivantes : le chômage urbain est de Mais les progrès enregistrés sont constamment 19,5% et dépasse les 30% pour les diplômés de meilleurs en milieu urbain qu’en milieu rural où les l’enseignement supérieur. Le taux de chômage déficits sociaux persistent s’accompagnant d’une rural estimé à 4,5% est à un niveau relativement recrudescence de la pauvreté rurale observée dans bas en raison des critères retenus. Mais ce taux la décennie 90. Pourtant depuis le milieu de cette cache mal une réalité qui est tout autre : surplus de décennie, les dépenses publiques dans les secteurs main-d’œuvre, excédent de la force de travail et sociaux ont connu une forte progression, particu- sous-emploi très importants. Cette réalité étant le lièrement dans le milieu rural et les provinces véritable moteur de l’exode rural, les cycles de défavorisées. D’ambitieux programmes d’infra- sécheresse ne faisant que l’amplifier. structure à orientation rurale comme le PERG, le PAGER, le PNCRR sont venus compléter les Du reste, des causes cumulatives ont été à l’œuvre dépenses publiques sociales sectorielles et les dans la montée des tensions sur le marché de 10
  • 11. l’emploi. L’application des programmes de stabili- ans, c’est-à-dire des personnes d’âge actif et une sation et d’ajustement structurel, les faibles augmentation encore modérée des plus de 60 performances de la croissance et de l’investis- ans. Au cours de cette période, les charges qui sement, la relative stagnation du PIB industriel et pèsent sur les actifs vont être transférées progres- le cycle rapproché des années de sécheresse ont sivement du bas vers le haut de la pyramide, ou, aggravé la détérioration de la situation sociale. pour dire les choses en termes simples, les transferts vers les enfants vont diminuer alors que Face à ces besoins, les mesures et les programmes ceux en direction des personnes âgées vont relatifs à la politique de l’emploi ont donné des augmenter, le poids relatif des dépenses résultats peu probants, tant il est vrai que la d’éducation ayant tendance à s’alléger en volume réduction du chômage passe obligatoirement par alors que celui des dépenses de retraite aura un taux de croissance économique plus élevé, tendance à s’alourdir. Cet alourdissement supérieur à 5% et par des mesures actives plus deviendra considérable après 2025. favorables à la création d’emplois. Que retenir au juste, pour les besoins de cette Etant donné ces déterminants macroéconomiques étude, des évolutions démographiques ? Deux ou et macrosociaux ; l’incidence de la pauvreté sous trois choses : ses différentes formes reste élevée dans le pays ainsi que les inégalités de revenu. Au cours de la - En l’absence d’une croissance économique forte décennie 90, les 20% les plus aisés de la population et soutenue, le Maroc ne pourra pas exploiter ont amélioré leur part dans les dépenses totales de l’effet d’aubaine et la fenêtre démographique 1,5 point, celle des 20% les plus défavorisés ayant favorable des deux premières décennies du régressé de 1,7 point. Dans le milieu rural, une millénaire. En effet, l’augmentation considérable personne sur 4 est pauvre, alors qu’on ne compte de la population active induira une très forte qu’un pauvre sur 10 en ville. La campagne demande d’emploi qu’il faudra bien satisfaire. concentre 67% de la pauvreté totale, bien que la C’est le défi majeur pour le pays au cours des 15 pauvreté urbaine tend à augmenter rapidement, à prochaines années. Si la tendance de croissance un rythme supérieur à celui de l’exode rural, ce qui actuelle de l’économie se maintient, les tensions démontre l’impact social néfaste du chômage. sur le marché du travail risquent de devenir intolérables et de peser lourdement sur le climat 1.4. SUR LE PLAN DÉMOGRAPHIQUE social et la cohésion sociale en reproduisant la La transition démographique que connaît le pauvreté et en créant de nouvelles formes de Maroc va s’achever plus tôt que prévu. Le déclin pauvreté. progressif de la fécondité se poursuit et le Car il faut bien comprendre que la faiblesse de la vieillissement progressif de la population va croissance économique est doublement considérablement s’accélérer à partir de 2020, responsable de la persistance ou de l’extension date à laquelle les nombreuses cohortes du de la pauvreté : non seulement elle crée baby boom nées dans les années 60 vont directement de nouveaux pauvres, mais elle ôte franchir le cap des 60 ans. simultanément à la collectivité les moyens Pour résumer les choses, on peut dire que le financiers pour lutter contre la pauvreté. Maroc connaîtra dans les deux décennies 2000- - Le Maroc, comme d’autres pays en dévelop- 2020 une période d’aubaine démographique que pement, risque de devenir “vieux” avant d’être les spécialistes qualifient d’”âge d’or” démogra- “riche”alors que les pays industrialisés sont phique. Cet effet d’aubaine réside dans les devenus “riches” avant d’être “vieux” Cela est . caractéristique suivantes : une diminution du d’autant plus préoccupant que les gains pourcentage des moins de 15 ans, un élargis- d’espérance de vie ont été plus rapides dans les sement considérable du pourcentage des 15-59 pays en développement. C’est dire les besoins 11
  • 12. énormes de financement de la protection sociale de mécanismes d’autorégulation sociale sous la en direction des personnes âgées. Compte tenu pression des difficultés économiques que connais- du fait que le système national de retraites mis en sent les ménages. Ainsi en va-t-il du phénomène de œuvre ne couvre qu’une fraction des actifs recohabitation ou de décohabitation différée que salariés (en raison de la taille du secteur informel l’on note chez nombre de jeunes : en cherchant et donc de l’importance de l’élusion et de auprès de leurs familles une protection contre les l’évasion sociofiscale) et qu’il exclut, pour le conséquences matérielles et psychologiques des moment, la fraction la plus importante de la difficultés d’embauche qu’ils rencontrent, ils font population active, c’est-à-dire les travailleurs jouer des solidarités privées qui complètent ou se indépendants (artisans, commerçants, exploitants substituent à un dispositif public qui leur est peu agricoles, professions libérales, etc.), il est à craindre favorable. Ce faisant, ils limitent l’extension de la que l’âge devienne demain un facteur supplé- pauvreté, du moins de celle que l’on pourrait cal- mentaire et prédominant de pauvreté, les “working culer par ménage, c’est-à-dire par cellule financiè- poors” devenant peu à peu des vieux pauvres. rement autonome. On pourrait en dire autant pour - La transition démographique se manifeste aussi l’hébergement familial des parents âgés, des filles dans l’espace comme l’évolution historique le divorcées ou des parents sans ressources. Mais ces prouve dans à peu près tous les pays ; en 2020, solidarités familiales et communautaires liées à la plus des deux tiers des Marocains seront citadins. tradition et aux valeurs socioculturelles propres au Cumulé avec le déclin de la fécondité, les gains pays ont elles-mêmes leurs limites. On peut même relativement rapides en matière d’espérance de dire que le délitement et l’épuisement de ces vie et le vieillissement progressif de la population, réseaux de solidarité traditionnels, la montée en ce processus d’urbanisation accélérée induit une charge des nouvelles formes de pauvreté et la transition épidémiologique qui alourdit la charge pression accrue sur l’Etat qu’exerce une demande de morbidité. Le Maroc n’a pas encore maîtrisé ses de protection sociale publique de plus en plus vive, maladies de pays pauvre alors qu’il connaît une ont un destin lié. Nous verrons au paragraphe 3 augmentation rapide des maladies dites des pays comment l’épuisement de ces réseaux et les trans- riches. Le système de santé doit améliorer nota- formations des modes de vie génèrent l’exclusion blement ses performances tant du point de vue sociale. de l’équité du financement de l’accès aux soins que du point de vue de la qualité de l’offre de soins. La lenteur des réformes dans ce domaine 2. CLARIFICATION CONCEPTUELLE laisse persister des inégalités criardes dans l’état DU CHAMP DES POLITIQUES SOCIALES de santé des Marocains en fonction de leur statut socioéconomique. Qu’en sera-t-il demain quand 2.1. LEVER L’AMBIGUÏTÉ QUI PÈSE les nouveaux besoins de santé exigeront des SUR LE TERME "SOCIAL" technologies et des moyens de plus en plus coû- Qu’est-ce que le social ? Si l’on pose une telle teux ? question au citoyen ordinaire, il ira probablement chercher la réponse dans les journaux qu’il lit 1.5. SUR LE PLAN SOCIOLOGIQUE ET CULTUREL d’habitude en essayant de se remémorer ce qu’ils Des transformations en profondeur traversent la mettent dans leur "rubrique sociale", ou bien dans société marocaine. Ces transformations dont cer- la composition du gouvernement en essayant de taines sont positives et d’autres le sont moins, sont se rappeler la liste des ministères dits "sociaux". La la rançon en quelque sorte de la modernité et de la réponse n’est pas si facile qu’il ne paraît et la plus modernisation des mœurs. Elles affectent les simple serait encore la plus exhaustive : le social modes de vie, les modes de consommation, les englobe tous les aspects des conditions structures familiales. Elles revêtent parfois la forme d’existence des individus. 12
  • 13. Ainsi entendue globalement, la politique sociale a tives : durée du travail, rémunération du travail, un champ beaucoup plus vaste que celui habituel- salaire minimum, contrats de travail, statuts, exerci- lement retenu par les praticiens et les hommes ce du droit syndical, contentieux du travail, etc. sont politiques. En toute rigueur et en toute logique, les éléments régis par ce domaine de la politique toute la politique économique d’un gouvernement sociale animé par le triptyque classique Etat et pourrait figurer comme un élément de la politique "partenaires sociaux" (syndicats de travailleurs et sociale : en effet, les efforts de relèvement de l’effi- organisations patronales). L’ensemble de ces dis- cacité et de la croissance économique, de plein positions ont été récemment harmonisées dans le emploi, de stabilité des prix, etc. n’ont de raison Code du travail dont les décrets d’application sont d’être ultime que d’améliorer les conditions de vie en cours d’adoption. de l’ensemble de la population. Il est toutefois La politique de l’emploi porte sur la nature et le classique de faire une distinction entre la politique volume des emplois et puise ses moyens dans la économique stricto sensu, dont les effets sont panoplie des instruments de la politique écono- globaux, et la politique sociale qui se préoccupe, mique. pour des individus ou des groupes d’individus, de la répartition des revenus entre ménages, de la Ces interventions, relations professionnelles et nature des biens et des services disponibles, de politique de l’emploi ont pour point de chute, en l’insertion de l’individu dans le système termes de comptabilité nationale, le revenu primai- économique, dans le système d’éducation, dans le re des ménages qu’ils tirent de leur contribution à système de santé, dans le système de protection l’activité de production. sociale et dans la société en général. Au Maroc, la conduite de cette politique est confiée au Ministère de l’Emploi et de la 2.2. DÉLIMITER PLUS NETTEMENT Formation professionnelle, qui assure aussi la LE DOMAINE DES POLITIQUES SOCIALES tutelle administrative sur la CNSS et la mutualité, En partant de cette définition extensive, on peut le Secrétariat d’Etat à la Famille, à l’Enfance et aux préciser le contenu du social en distinguant 4 Personnes handicapées, l’Entraide nationale, domaines : l’Agence de Développement social et la Direction de l’action sociale ayant été transférés au nou- A. les relations professionnelles et l’emploi veau Ministère. B. la protection sociale B. Le domaine de la protection sociale C. les politiques sociales sectorielles Appelé aussi domaine de la sécurité sociale, il peut D. les politiques sociales transversales être défini par la nature des risques contre lesquels on cherche à protéger les individus ; ces risques Les deux premiers domaines relèvent de la dits "sociaux" font référence aux droits fondamen- conception traditionnelle du social et mettent en taux : droit au travail, droit à la santé, droit à la sécu- exergue le rôle majeur du travail et de l’emploi dans rité matérielle. l’organisation économique et sociale. Les deux autres élargissent le champ des politiques sociales aux autres Face aux événements prévus ou non (la vieillesse, aspects des conditions d’existence des individus sans par exemple, n’est pas un risque) qui compro- référence au travail ou à l’emploi. mettent ces besoins sociaux (maladie, accidents, accidents de travail, invalidité, décès, charges A. Les relations professionnelles et l’emploi familiales, vieillesse, chômage), la réponse Les relations professionnelles font l’objet de poli- collective peut être celle de l’assurance sociale qui tiques dont les instruments essentiels résident protège ceux qui participent aux mécanismes de dans la législation du travail, la réglementation, la financement, ou celle de l’assistance qui, elle, exclut politique contractuelle et les conventions collec- tout lien, au niveau individuel, entre protection et 13
  • 14. financement préalable. Le financement de C. Les politiques sectorielles l’assurance sociale se fait par des cotisations Elles visent les conditions d’existence des sociales obligatoires ; celui de l’assistance a recours individus indépendamment d’une activité profes- à l’impôt et au budget de l’Etat (bien que de sionnelle et de la protection sociale à l’égard des nombreux systèmes d’assurance sociale et de risques collectifs. sécurité sociale distribuent des prestations dites "non contributives" telles que la pension minimum L’éducation, la formation professionnelle, la santé, par exemple). le logement, l’équipement et l’aménagement du territoire, les transports en commun, la jeunesse et Quels que soient les mécanismes retenus, la les sports, la culture : toutes ces politiques consis- protection est réalisée par la distribution de tent à fournir des services collectifs ou à agir sur la prestations sociales aux bénéficiaires qui production de biens et de services marchands. conduisent à la formation du revenu disponible des ménages et donc à la correction du revenu En fait, chacune de ces politiques sectorielles primaire. C’est pourquoi le domaine de la apporte une contribution à la politique sociale et à la lutte contre la pauvreté même si ce n’est pas leur protection sociale remplit une triple fonction : objectif unique ou explicitement affiché. solidarité, assurance et redistribution des revenus. La politique d’éducation, de formation et d’alphabé- Au Maroc, le domaine de l’assurance sociale tisation constitue à n’en pas douter le volet essentiel concerne les régimes obligatoires de sécurité d’une action à long terme de développement social sociale : CNSS, régime obligatoire des accidents du et de lutte contre la pauvreté et l’exclusion. C’est le travail, CMR et RCAR, AMO. Le domaine de l’assis- mécanisme essentiel du processus que l’on appelle tance concerne les filets de sécurité : compensation communément l’"ascenseur social", lorsqu’un et subventions alimentaires, Entraide nationale, système éducatif efficace en termes de volume et de Promotion nationale, cantines scolaires, program- qualité permet aux individus d’acquérir les qualifi- me sécheresse, RAMED, etc. cations nécessaires à une insertion sociale réussie Lorsque la protection de certains groupes ou de (emploi et revenu). certaines catégories observe un caractère La politique de santé représente un autre volet volontaire et facultatif, on n’utilise plus le terme essentiel de lutte contre la pauvreté. Plus généra- d’assurance sociale, mais celui de prévoyance lement, couplée avec l’éducation, elles constituent sociale : c’est le cas des mutuelles ou des caisses les deux politiques publiques majeures de redistri- d’entreprise dont le statut demeure cependant bution. Les indicateurs de santé ruraux étant des régi par la loi. C’est aussi le cas des caisses de stigmates évidents de la pauvreté autant que l’illet- retraite complémentaire et de produits à mi- trisme et l’analphabétisme, l’éducation et la santé chemin entre l’assurance-vie et la prévoyance constituent donc deux axes prioritaires de lutte sociale comme Damane El Hirafi, Damane El Bahri, contre la pauvreté. etc. La politique de l’habitat contribue clairement au Les besoins de sécurité et de protection ne se limi- développement social et à la prévention de tent pas aux risques sociaux, c’est la raison pour l’exclusion. Parce que la qualité de l’habitat ou sa laquelle l’Etat dans son rôle régalien assume une localisation sont des indices de la situation sociale fonction de protection contre la violence et les de leurs occupants, la lutte contre l’habitat troubles, assure la sécurité des personnes et des insalubre, la résorption des bidonvilles, la réhabili- biens, et intervient en cas de catastrophe naturelle, tation des quartiers, les programmes de industrielle ou écologique (sécheresse, inonda- logements sociaux combinant le financement de tions, séismes, incendies, etc.) en faisant jouer la l’offre et de la demande afin de faciliter les solidarité nationale en faveur des sinistrés. procédures de relogement, constituent des 14
  • 15. actions efficaces de réinsertion sociale et de action multidomaines concertée. C’est aussi le cas du préservation de la paix sociale. Couplées avec développement rural durable,de la politique de proxi- l’urbanisme et l’aménagement du territoire, ces mité, de la réhabilitation sociale des quartiers, etc. politiques visent le bien-être de la population Au terme de cette démarche de clarification des (pauvres et non pauvres), contribuent à la politiques sociales, on serait tenté de dire que le production du lien social et à l’objectif du "bien développement social englobe chacun des quatre vivre ensemble" dans un cadre de vie apaisant les domaines précités, mais l’usage qui en est retenu tensions urbaines qui règnent entre les centres par les praticiens se limite au quatrième et concer- des villes et leurs périphéries. ne en général les interventions à caractère trans- Les politiques de la jeunesse et des sports, des loisirs versal. C’est cet usage qui sera retenu dans ce et de la culture visent elles aussi l’épanouissement document chaque fois que l’on emploiera par la des individus et la reproduction du lien social. suite le terme de développement social. La pratique de subventions dans les transports en Quant à la solidarité, elle ne constitue pas une poli- commun dans les villes ne vise pas spécifiquement tique au sens propre du terme. La solidarité est une les pauvres urbains mais ses objectifs sociaux et valeur. Au même titre que l’équité et la justice sociétaux sont assez évidents pour être adoptés sociale, souvent confondues entre elles, ces trois dans la plupart des grandes villes du monde. valeurs fondent l’éthique collective d’une société. Enfin, sans être à proprement parler sectorielle, la Ainsi une société est dite plus ou moins solidaire politique économique elle-même a une finalité selon les degrés de justice sociale, d’équité et de sociale malgré la persistance du dilemme classique protection sociale qui y règnent. A titre d’exemple, entre "efficacité économique" et "équité sociale". les régimes d’assurance sociale sont fondés à la fois Quant à la politique de l’emploi, le SMIG n’a-t-il pas sur une valeur (la solidarité) et sur une technique en partie vocation à prévenir la pauvreté ouvrière ? (l’assurance), mais la solidarité qu’ils peuvent Tout comme la réglementation visant à réduire les mettre en jeu peut être catégorielle, uniquement formes précaires du travail ? Et la pension minimale réservée à certains groupes sociaux, ou universelle de vieillesse n’a-t-elle pas pour objectif de réduire et étendue à toute la population. la pauvreté liée à l’âge ? La solidarité est souvent confondue aussi avec C’est dire comment se conjuguent toutes ces l’altruisme, la compassion, la générosité qui sont politiques et tous leurs effets, même s’ils ne sont d’autres valeurs morales. Ces dernières sont à pas toujours spécifiquement recherchés, pour l’œuvre dans les interventions de la société civile contribuer à la politique sociale et à la lutte contre en direction des pauvres, des démunis, des exclus, la pauvreté et l’exclusion ; c’est là que réside l’expli- des enfants abandonnés, des handicapés, des cation de l’émergence d’un quatrième domaine femmes seules ou victimes de violence, etc. L’Etat, des politiques sociales. qu’il intervienne directement en faveur de ces D. Les politiques sociales transversales groupes fragiles et défavorisés, ou qu’il se contente de verser des subventions aux actions de la société Elles traversent les trois domaines précédents. En civile, fait lui aussi preuve de compassion, raison de leur aspect intersectoriel ou multisec- d’altruisme et de générosité sociale. La nuance toriel, elles exigent une action concertée et réside dans le fait que l’action civile est souvent coordonnée, dans l’espace et le temps, entre perçue comme de la bienfaisance et de l’huma- partenaires appartenant à chacun des trois nitaire, alors que l’action publique est érigée en domaines précédents. solidarité et figure de ce fait comme une C’est typiquement le cas de la politique de lutte contre attribution d’un secrétariat d’Etat ou d’un la pauvreté et l’exclusion qui, comme nous l’examine- département ministériel. Il n’en demeure pas rons au paragraphe suivant, nécessite forcément une moins que l’Etat, qui est l’émanation collective 15
  • 16. d’une communauté nationale, peut donner Traduit du concept anglo-saxon engineering, l’in- l’exemple et l’émulation appropriée en matière de génierie désigne l’étude de projets dont les comportements solidaires de la société. Les aspects doivent être soigneusement analysés exemples les plus charismatiques et les plus avant de passer à la réalisation. Appliquée au emblématiques étant la Fondation Mohamed V domaine social, la définition la plus moderne de pour la solidarité, la Fondation Mohamed VI pour l’ingénierie englobe l’ensemble des techniques et les œuvres sociales et la Fondation Mohamed VI des savoir-faire qui permettent le diagnostic, la pour la réinsertion des détenus. mise en œuvre, la coordination et l’évaluation de projets sociaux. On ne saurait clore ce paragraphe consacré à la clarification des concepts sociaux sans dire un mot L’ingénierie sociale inclut : de ce que l’on entend en général par "action • l’ingénierie de l’action sociale qui concerne la vie sociale", "aide sociale", "travailleurs sociaux", sociale, l’animation et le travail social (ex. "ingénierie sociale". animation sociale des quartiers) ; Dans la pratique, on prend souvent les deux mots • l’ingénierie du développement social qui consiste action sociale et aide sociale l’un pour l’autre, car à concevoir les mesures, prévoir leurs consé- on a tendance à les confondre ou à les fusionner. quences, simuler leur mise en œuvre, tester des Pourtant la différence théorique est assez claire : variantes, prévoir les problèmes que posera leur l’aide sociale, ayant un fondement légal (comme application à court ou à long terme et étudier les l’Entraide nationale par exemple) est régie par des problèmes de fonctionnement des institutions textes de loi qui en font un droit au bénéfice chargées de les appliquer. duquel on est admis suite à une procédure tendant à vérifier l’état de besoin allégué par le demandeur. La préparation des mesures comporte des aspects Sa confusion théorique et juridique avec l’assistan- juridiques liés à l’environnement institutionnel. Elle ce est donc légitime que l’Etat distribue directe- s’appuie sur les données statistiques disponibles, ment des prestations d’aide ou qu’il se contente de des enquêtes éventuelles pour les compléter, des verser des subventions. projections et des simulations, des prévisions à court ou long terme, avec ou sans mesures nou- L’action sociale se compose d’actions non obligatoires velles, la conception d’instruments pour mesurer menées par des organismes publics en direction de les effets des mesures envisagées ou program- groupes spécifiques ou de larges fractions de la mées. A défaut de ces approches méthodiques, on population : par exemple, l’action sociale d’une caisse risque de s’attaquer à des problèmes complexes de sécurité sociale peut être une prérogative de son avec des instruments inadéquats. Conseil d’administration, de même que des mutuelles ou des comités d’entreprise peuvent déployer une Les prévisions et les simulations peuvent revêtir un action sociale à travers ce qu’ils appellent leurs aspect général, macroscopique, dans le cadre d’un "œuvres sociales".L’action sociale qualifie aussi les ensemble de mesures. Elles peuvent à l’inverse se interventions des associations et de la société civile limiter à un groupe cible et à l’étude des effets dans le domaine social ou culturel tout autant que directs d’une mesure catégorielle. celles des collectivités locales. L’ingénierie sociale comporte fondamentalement Les travailleurs sociaux sont des personnes profes- une démarche d’évaluation : la prévision étant en sionnellement impliquées dans le domaine du quelque sorte une évaluation ex ante ou a priori développement social, de l’assistance, de l’aide destinée à éclairer les choix et à préciser les effets sociale et de l’action sociale. Ils appartiennent soit à (voulus, induits, différés). la fonction publique (administration des institu- L’évaluation lui est symétrique et a pour but d’as- tions sociales et collectivités locales), soit au secteur surer une surveillance permanente de l’action, privé au service des associations, fondations, etc. d’éviter les déviations, de constater les lacunes, 16
  • 17. de préconiser les ajustements éventuels de tra- 3. REVUE CRITIQUE DES DÉFINITIONS jectoire. ET DES TYPOLOGIES DE LA PAUVRETÉ Un projet bien construit doit l’être de manière à Cette section du document est consacrée elle aussi rendre l’évaluation efficace et peu coûteuse. La à un "toilettage conceptuel", mais cette fois-ci pour démarche évaluative concerne à la fois la condition tenter de mettre de l’ordre dans la signification des de réalisation, les modalités de gestion par les ser- différentes formes de pauvreté et d’exclusion vices administratifs et les autres acteurs du projet sociale. Auparavant on fera un bref rappel quanti- ainsi que le degré de réalisation des objectifs. tatif de la pauvreté au Maroc selon les définitions L’ingénierie sociale doit être développée à tous les et les chiffres officiels. niveaux dans le cadre d’une formation appropriée 3.1. DONNÉES RÉCENTES au service tant des acteurs sociaux locaux, des col- SUR LA PAUVRETÉ AU MAROC lectivités locales, des ONG que des acteurs admi- nistratifs locaux, intermédiaires et centraux. C’est Au Maroc, le niveau de la pauvreté (encore appelé l’une des recommandations essentielles formulées taux de pauvreté) est mesuré au moyen de critères dans le cadre de la nouvelle stratégie. basés sur le revenu, ou plus précisément, en l’absence de méthodes fiables pour évaluer celui- A l’issue de ces précisions, concernant le contexte ci, sur le niveau de consommation des ménages. du pays, ainsi que de la clarification des objectifs des politiques sociales en général, on est mieux Selon les seuils de consommation retenus en 1999 armé pour analyser et comprendre l’évolution de (3922 DH en ville et 3037 DH en milieu rural), le la politique sociale au Maroc à travers ses taux de pauvreté est estimé à 19% de la popula- différentes étapes. Ces étapes étant elles-mêmes tion. La pauvreté mesurée sur la base de ce critère le reflet de l’évolution politique et culturelle et de économique construit, censé refléter le niveau de celle des enjeux économiques et sociaux. Tant il revenu, obéit à une définition et une dimension est vrai que si le choix des objectifs est largement monétaire de la pauvreté. politique, le choix des instruments est très Cette pauvreté est dite relative : elle se compose de fortement influencé par les traditions, la religion plusieurs sous-groupes allant d’une échelle de bas (zaqat, waqf et habous par exemple), les habitudes en haut dont chaque barreau est défini selon un communautaires de la population et sa panier de biens de consommation de base, psychologie, ainsi que par la structure socioéco- pauvreté avec moins de 1 dollar par jour, pauvreté nomique du pays (part relative des ruraux et des alimentaire et pauvreté absolue. citadins, rapport villes-campagnes, part relative Plus précisément, le seuil de pauvreté relative est la des salariés et des non salariés, structures somme de deux composantes : sectorielles d’activité, etc.) qui déterminent les données concrètes des problèmes. Il en résulte • La composante alimentaire est approchée par le que les réponses aux préoccupations "sociales" coût d’un panier de biens et services alimentaires évoluent dans le temps et qu’elles sont assez permettant le minimum requis en calories (2400 nettement différentes d’un pays à l’autre quel que kilocalories par équivalent adulte), norme recom- soit le niveau de développement ou de revenu par mandée par la FAO et l’OMS. ailleurs. Concevoir une politique sociale intégrée • L’estimation de la composante non alimentaire est et une stratégie de développement social pour le réalisée conformément à l’approche d’allocation Maroc à l’horizon 2010 implique de bien garder à des dépenses non alimentaires recommandée par l’esprit les mécanismes et les causes qui animent la Banque mondiale.Elle consiste à majorer la com- les objectifs poursuivis, les effets escomptés et les posante alimentaire par le coût des acquisitions effets observés, des politiques sociales qui ont été non alimentaires réalisées par les ménages qui menées dans le pays jusqu’à présent. atteignent effectivement le minimum requis. 17
  • 18. Ainsi déterminé, le seuil de pauvreté relative en rentes composantes de la politique de lutte contre 2001 est de 1701 DH par mois pour un ménage la pauvreté (ce ciblage étant naturellement plus moyen urbain (5,6 membres) et de 1735 DH par difficile à effectuer dans les villes). mois pour un ménage moyen rural (6,4 membres). Ayant signalé ces progrès récents dans la connais- En deçà de ce seuil, on est pauvre, au-delà on ne sance et la compréhension de la pauvreté, qui ont le l’est pas. mérite d’atténuer la pauvreté de l’information sur la Au-delà de ce seuil, un ménage est dit vulnérable pauvreté et son corollaire, l’indigence statistique, lorsque sa dépense totale est inférieure à 1,5 fois le peut-on dire que l’on sait tout et que l’on comprend seuil de pauvreté, soit 2552 DH par mois en milieu tout de la pauvreté au Maroc aujourd’hui ? urbain et 2603 DH par mois en milieu rural. Loin s’en faut, d’autant qu’au-dessus de la tranche On voit tout de suite les limites de cette approche des 19% de pauvres, 25% de la population sont strictement monétaire puisqu’à quelques dirhams considérés comme vulnérables, c’est-à-dire près on est pauvre ou vulnérable ou on ne l’est pas, disposant de ressources à peine supérieures à 50% d’où l’importance de la corrélation des indicateurs de celles dont disposent les pauvres. Ces pauvres et de pauvreté et de vulnérabilité monétaire avec les ces vulnérables constituent près de la moitié de la autres indicateurs socio-économiques, et notam- société. Mais que sait-on au juste sur cet univers ? ment les indicateurs d’accès effectif aux infrastruc- S’agit-il d’un monde vraiment clos ? Ou, au tures de base et aux services sociaux (éducation et contraire, y entre-t-on et en sort-on en santé). permanence ? La pauvreté et la vulnérabilité ont- elles une existence conceptuelle claire et peuvent- Au cours des trente dernières années, le taux de elles revendiquer un statut théorique à part ? pauvreté relative a évolué de la façon suivante : 42,4% en 1970-71, 21% en 1984-85, 13,1% 1990-91, A côté des critères basés sur le revenu, la pauvreté 19% en 1998-99. Le processus de régression de la se caractérise par un certain nombre de pauvreté s’est donc nettement estompé dans les déterminants sociologiques et de privations non années 90 pour les raisons que l’on a déjà évo- monétaires. Les pauvres sont-ils tous affligés de ces quées plus haut, sécheresse et crise agricole, faible désavantages, ou au contraire le degré de cumul de croissance de l’économie durant la décennie. ces désavantages par les uns ou les autres nécessite-t-il une connaissance plus fine ? Cette pauvreté est essentiellement rurale : 1 rural sur 4 est pauvre contre 1 urbain sur 10. Mais la pau- Si l’on fait abstraction de la pauvreté rurale vreté urbaine croît à un rythme très rapide et repré- structurelle persistante, il n’y aurait pas plusieurs sente aujourd’hui un tiers de la pauvreté totale. types de pauvreté de nature différente, mais seulement des stades différents correspondant à la Des travaux récents (Haut Commissariat au Plan, contagion progressive, par la pauvreté, de tous les Banque mondiale) ont permis de préciser la distri- domaines de l’existence. Bien des ménages bution spatiale et d’identifier les poches majeures vulnérables et même des ménages de la classe de pauvreté au niveau le plus fin possible, celui de moyenne peuvent connaître des situations d’impé- la commune. Cette carte détaillée de la pauvreté au cuniosité qui en font des pauvres transitoires. Ou Maroc, corrélée avec des indicateurs socio-écono- bien ils réussiront à échapper assez tôt à l’insuf- miques et des indicateurs relatifs aux dépenses fisance de leurs ressources propres, ou bien ils ne publiques, met en évidence une distribution très seront maintenus au-dessus d’un certain revenu inégale du bien-être entre régions, provinces et minimum que grâce aux réseaux de solidarité communes et à l’intérieur de celles-ci. traditionnels ou familiaux, ou bien, si la solidarité Cet instrument, dont les données peuvent être en financière traditionnelle joue insuffisamment en permanence actualisées, constitue à n’en pas dou- leur faveur, ils sombreront petit à petit dans la ter un moyen puissant de ciblage pour les diffé- pauvreté persistante, terme ultime de leur 18
  • 19. déchéance économique devenue désormais expliquent l’engrenage, correspond à la pauvreté d’échéance sociale. Il ne s’agit pas de familles traditionnelle et rurale telle qu’on l’observe au jugées initialement pauvres, mais de ménages Maroc et qui concerne 67% des pauvres. Elle est normalement insérés dans la société qui se qualifiée de traditionnelle parce qu’elle semble trouvent pris dans un processus d’exclusion bien connue. Mais connaît-on tout d’elle ? Quelles progressive. C’est dire que les chiffres récents et les sont les caractéristiques et les itinéraires des progrès accomplis dans le recensement statistique personnes qui restent enracinées dans cet ne renseignent pas suffisamment sur les différentes enfermement social ? Et qui sont les individus qui formes et sur les différents stades de la pauvreté. parviennent durablement à y échapper, malgré la lourdeur des déterminants sociaux, autrement En réalité, aucune mesure ni aucune approche n’est que par l’exode. parfaite, mais toutes les mesures et toutes les approches sont perfectibles. Dans cette optique, A l’opposé de cette forme persistante de pauvreté les deux paragraphes suivants seront consacrés à se trouve ce qu’on peut appeler la pauvreté une clarification conceptuelle de la pauvreté, de la occasionnelle : il s’agit de familles ou d’individus vulnérabilité, de la précarité et des différentes qu’un événement imprévu (maladie, accident, formes d’inégalité sociale. décès, perte d’emploi, etc.) plonge tout à coup dans une situation dramatique. En fait, la multipli- 3.2. DÉFINITIONS CLASSIQUES cation de situations de ce type, et à défaut des DE LA PAUVRETÉ ET DE L’EXCLUSION SOCIALE moyens d’y remédier de façon satisfaisante, leur On sait depuis longtemps que quels que soient les permanence transforme la nature du problème et seuils économiques nationaux retenus par les pays interdit encore de parler à leur propos de pauvreté (riches ou pauvres) pour définir la pauvreté, celle-ci simplement occasionnelle. Elle traduit simplement ne se limite pas à sa dimension monétaire. l’état de vulnérabilité sociale de beaucoup de ménages marocains. En effet, par convention, on a coutume de désigner sous le terme de pauvreté persistante la situation des Les personnes vulnérables vivent dans une situation personnes qui connaissent la misère de génération en sociale précaire. Mais qu’entend-on au juste par le génération. Ces personnes cumulent de nombreux terme de précarité ? On veut qualifier par là la désavantages :analphabétisme,absence de formation menace de pauvreté qui pèse sur beaucoup de non ou de qualification professionnelle, logement pauvres. Ces catégories en situation précaire, bien indécent, mauvaise santé, irrégularité ou incertitude plus nombreuses que les pauvres, et largement des revenus monétaires, dépendance par rapport à générées par l’extension du chômage, devraient l’assistance, etc. Par conséquent, rares sont les pauvres amener à reconsidérer les politiques traditionnelles, persistants qui parviennent à échapper durablement tant dans leurs fondements théoriques qu’au niveau à cette forme de pauvreté qui constitue la dimension des instruments d’action et au niveau des modes de extrême des inégalités sociales. Au-delà de la simple financement. observation du phénomène de cumul, c’est-à-dire de En effet, si le point de départ du glissement vers la la concentration des désavantages sociaux sur pauvreté ne diffère pas nécessairement d’une certaines familles et certains groupes de la population, forme de pauvreté à l’autre, c’est la durée d’une on a pu mettre en évidence des mécanismes par situation de pauvreté qui devient inquiétante. lesquels s’instaure l’interdépendance entre ces Lorsque la pauvreté se prolonge, ce sont tous les désavantages, gage de leur reproduction, cette aspects de la vie qui sont progressivement atteints interdépendance jouant à l’intérieur d’une génération, et tous les comportements qui risquent d’être mais aussi d’une génération à l’autre. modifiés de façon irréversible. Ce modèle de pauvreté persistante, ainsi défini par Autrement dit, quelle que soit la diversité des délais ses déterminants économiques et sociaux qui en et des formes que prend le passage du stade 19
  • 20. essentiellement monétaire de la pauvreté aux professionnelle, santé précaire, tendance au désoeu- stades multidimensionnels, il y a bel et bien des vrement sociétal et à la violence par rupture du lien facteurs macroéconomiques et sociaux à l’origine social et par accumulation des frustrations. d’un phénomène progressif d’exclusion sociale. Ce A ces facteurs d’exclusion, il faut ajouter ceux qui qui amène à définir ce qu’on entend généralement affectent particulièrement certains groupes à par le terme d’exclusion sociale. risque comme les enfants, les femmes et les L’exclusion sociale est une forme d’inégalité sociale personnes âgées ou en situation d’abandon ou qui, tout en étant liée au revenu ne s’identifie pas à d’isolement, et les handicapés. lui. En outre, le terme "populations exclues" ne doit Tant que les réseaux traditionnels reposant sur des pas être considéré comme synonyme de pauvres. liens familiaux et communautaires fonctionnent, La différence, en deux mots, est la suivante : les ou tant qu’il existe des possibilités d’insertion dans pauvres n’ont pas accès à des biens et des services l’économie informelle, le risque d’exclusion est en raison de ressources matérielles inégales ou en moins grand, même lorsque l’Etat ne fournit pas les raison de l’inexistence de ces biens et de ces prestations et les services adéquats. Mais lorsque, services dans leur environnement de vie immédiat comme c’est de plus en plus le cas aujourd’hui, ces ou encore en raison des coûts d’usage de ces biens réseaux s’épuisent ou se délitent sous l’influence et de ces services. Alors que les exclus souffrent des nouveaux modes de vie ou des nouvelles d’une participation inappropriée ou inégale à la vie structures familiales, la demande de protection sociale ou de l’incapacité d’accéder à une place au sociale publique augmente et la pression sur l’Etat sein de la société de consommation, souvent liée s’aggrave. Les interventions de la société civile, au rôle social intégrateur de l’emploi ou du travail. pour aussi légitimes, salutaires et admirables Cette distinction est importante dans le sens où qu’elles soient, ne pouvant être que complémen- elle déplace le centre d’attention du lien entre taires des interventions publiques en réponse aux pauvreté et revenu vers le lien entre degré d’appar- besoins et aux attentes sociales. tenance sociale et revenu. Ainsi existerait-il une pente sociale ascendante (l’ascenseur social) qui Les situations qui viennent d’être décrites produit l’intégration et l’insertion sociale et une constituent en quelque sorte les nouvelles formes pente descendante qui reflète les stades de de pauvreté à expression urbaine que connaît le pays. Leur multiplication à travers les différentes l’exclusion en présentant des durées et des degrés villes du royaume semble indiquer que l’ascenseur différents d’exposition aux conditions de privation. social est en panne et qu’il y a une certaine La privation d’emploi est le stigmate le plus incapacité collective à créer et à maintenir un socle évident de l’exclusion sociale, l’accès au travail de classes moyennes suffisamment solide et étant à l’inverse le mécanisme habituel de suffisamment large. Ce socle étant indispensable l’inclusion et l’insertion sociale. Etant donné la pour alimenter la demande intérieure en biens et dimension du chômage urbain, l’exclusion sociale services divers, pour construire un système solide est un phénomène essentiellement urbain. de protection sociale et pour assurer la cohésion L’exclusion sociale ne se limite pas à l’exclusion du sociale. marché du travail ou à la difficulté d’accès à l’emploi. Or précisément, l’exclusion sociale est de plus en Le marché et la société se révèlent incapables plus considérée dans tous les pays du monde d’incorporer certains groupes sociaux qui cumulent (riches ou pauvres) comme une menace pour la sous une forme ou sous une autre les caractéris- cohésion sociale. Cette prise de conscience élève le tiques suivantes : lien faible ou inexistant avec le niveau de sensibilisation des citoyens et favorise marché du travail, faiblesse et incertitude du revenu, l’émergence du partenariat Etat-société civile- logement indécent ou insalubre, faible niveau entreprises privées qui s’exprime dans le concept d’alphabétisation, de scolarisation ou de formation de coresponsabilité sociale. 20
  • 21. Ne pas prendre en compte la dimension de l’exclu- 4. LES NOUVEAUX PARADIGMES sion dans l’étude de la pauvreté expose par consé- EN MATIÈRE DE DÉVELOPPEMENT quent à pérenniser une dimension manquante de Un paradigme constitue une sorte de révolution la politique sociale. dans les modes de pensée. A un moment donné, il y a dans la communauté internationale ou dans les 3.3. L’APPROCHE MODERNE DE LA PAUVRETÉ communautés scientifiques un paradigme qui Suite aux travaux de l’économiste indien Armataya domine et permet aux penseurs et aux décideurs Sen (prix Nobel d’économie qui a développé la de travailler avec des méthodes communes et théorie des "capacités"), à ceux de l’économiste selon une conception relativement unifiée des américain Joseph Stiglitz (lui aussi prix Nobel recherches à mener selon un protocole de d’économie qui a développé la théorie écono- réflexion précis. Le paradigme est donc un modèle mique des blocages du marché et du blocage dans qui permet à une communauté scientifique ou les "trappes de pauvreté") et à ceux de Robert politique de communiquer et d’apprécier la qualité Putnam (qui a forgé le terme de "capital social") et du travail de ses membres. Il y a révolution aux concepts développés par le système des scientifique ou conceptuelle lorsque l’on change Nations unies depuis une vingtaine d’années en de paradigme. matière de développement humain, l’approche En matière de politique de développement, le moderne de la pauvreté en donne une définition changement de paradigmes est à l’œuvre depuis plus extensive. environ deux décennies. La vision simplement multidimensionnelle a été 4.1. LE PREMIER PARADIGME À CONSIDÉRER remplacée par la perspective des “capacités” La . EST D’ORDRE GÉOPOLITIQUE pauvreté est dès lors conçue comme un déficit de capacités qui empêche les personnes concernées En 1989, la chute du mur de Berlin consacrait la fin d’avoir accès à une égalité des "chances" (et non d’un paradigme, celui de la guerre froide, qui des situations) ; appliquée à l’analyse de la pauvreté divisait l’espace politique et économique en trois et de l’exclusion sociale, et des privations diverses mondes dont deux, l’Est et l’Ouest, étaient engagés qui leur sont souvent associées, cette perspective dans une confrontation sans fin tandis qu’ils des capacités permet de mieux comprendre leur cherchaient chacun à attirer le Tiers monde en lui nature et leurs causes. Elle permet aussi de coupler proposant un modèle de développement et le combat contre la pauvreté à l’action de l’Etat d’accession à la modernité. pour garantir les libertés civiques et publiques, les Un an après, en 1990, selon les chiffres de la Banque droits humains fondamentaux et l’émancipation mondiale, 16% de la population de la planète, soit politique inhérente au processus démocratique. 830 millions d’habitants sur 5,2 milliards, concentre D’une vision plus extensive de la pauvreté doit dans ses mains 75% du revenu mondial, soit 15.000 découler aussi une politique plus extensive de lutte milliards de dollars sur 20.000 milliards. Ce constat contre la pauvreté élargie à la levée des obstacles majeur, jusque là masqué par la confrontation socio institutionnels qui entravent l’accès des entre les deux blocs, qui pourtant en avaient fait pauvres au bien-être et à une participation pleine et leur terrain d’affrontement principal, doit être entière à l’économie et à la société. rapproché avec un second fait capital induit par la Cette approche moderne de la pauvreté et partant fin des blocs, à savoir que la planète est désormais de la politique de réduction de la pauvreté et des perçue comme un monde fini, un "village inégalités sociales est parfaitement en phase avec planétaire", dont tous les pays sont solidaires de les nouveaux paradigmes et les nouveaux l’évolution et coresponsables de l’avenir. concepts en matière de développement que la Cette phase historique est à l’origine d’un nouveau communauté internationale partage. paradigme qui nous fait voir l’avenir à travers un 21
  • 22. prisme où le monde apparaît en train de rences et de sommets organisés sous l’égide des s’acheminer de manière parfois chaotique mais Nations unies (notamment le Sommet de quasiment irréversible vers une configuration Copenhague et le Sommet du Millénaire) sont unifiée ou apaisée combinant les structures de désormais centrés sur la mise en place d’un cadre l’économie de marché, celles de la démocratie sociétal propice à l’accomplissement, à l’épanouis- représentative et des droits de l’homme et celles sement et au développement individuel et collec- de la responsabilité écologique partagée. tif. La création d’opportunités favorisant le bien- être global et durable des individus en est le socle. Ce paradigme qui est celui de la mondialisation par le “haut”est illustré par le schéma théorique du "vol Ce qui suppose l’intégration de l’élément humain d’oies sauvages" (Akamaisu) dans lequel un pays non seulement comme moyen essentiel, mais aussi en tire deux ou trois autres, qui à leur tour…, etc. comme finalité ultime de toute politique de déve- Même s’il est contesté par des contre paradigmes loppement économique. concurrents (altermondialisation, tentation d’un Ce qui suppose aussi une bonne gouvernance des nouveau grand schisme Nord-Sud, choc des civili- affaires publiques et une meilleure intégration des sations), ce modèle régit désormais les 6 facteurs initiatives de développement socio-économique de transformation du monde : facteurs politiques opérées par les différents partenaires : Etat, collec- institutionnels et sécuritaires, facteurs écono- tivités locales, secteur privé, société civile. miques, facteurs écologiques et environnemen- taux, facteurs démographiques, facteurs culturels, Ces orientations et ces objectifs ont permis de for- facteurs spécifiques liés à la coopération interna- muler, selon les contextes nationaux et régionaux tionale et à l’aide publique au développement correspondants, des stratégies de développement (lutte contre la faim et la pauvreté dans le monde). social, de lutte contre la pauvreté et l’exclusion, de Ce processus qui expérimente de nouveaux modes promotion de l’emploi et de satisfaction des de régulation du monde comporte des possibilités besoins essentiels des populations. et des perspectives de progrès extraordinaires Le concept de développement humain durable est mais aussi des défis énormes pour les pays en devenu un élément-clé des politiques d’investis- développement. sement dans le capital humain ; il est placé désormais au cœur des politiques macroéconomiques elles- 4.2. LE PARADIGME mêmes. La réduction de la pauvreté et des inégalités DU DÉVELOPPEMENT HUMAIN DURABLE (*) et le renforcement du capital social étant désormais En parallèle avec l’évolution géopolitique décrite considérés comme le véritable moteur du dévelop- ci-dessus et au cours de la même période un nou- pement et non plus seulement comme un accompa- veau concept de développement s’est inscrit en gnement de la politique économique. rupture par rapport aux oppositions parfois carica- turales des théories classiques du développement 4.3. LE PARADIGME (capital physique versus capital humain). Fondé sur DE LA BONNE GOUVERNANCE une approche humaniste et holistique, il intègre Le concept de gouvernance a d’abord été des orientations, des objectifs, des politiques et des développé au niveau des entreprises pour mieux mesures visant l’épanouissement global et durable maîtriser la coordination interne et le partenariat de l’être humain. avec les acteurs de leur environnement. Il a été Les objectifs du développement humain durable, étendu peu à peu aux institutions locales, progressivement dégagés par un cycle de confé- nationales et internationales. (*) Le vocable durable comporte implicitement l’équité intragénérationnelle mais aussi intergénérationnelle par la préservation de l’environne- ment et des ressources naturelles. 22