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comment le milieu numérique
affecte nos écritures ?
Luc Dall'Armellina
auteur de poésie numérique
MCF arts/design -université de Cergy-Pontoise / ESPE Versailles – laboratoire EMA
http://lucdall.free.fr
Journée d’étude Écritures et numérique Samedi 6 juin 2015
Collège Aimé Césaire 2, Esplanade Nathalie Sarraute 75018 Paris
écriture multimédia
Alma, une enfant de la violence, webdocumentaire, arte 2012 - http://alma.arte.tv/fr/webdoc/
écriture interactive
Textopoly,oeuvre hypertextuelle du collectif General Instin, 2012, http://textopoly.org
écriture collaborative
Reading Club, expérimentation collective, Annie Abrahams et Emmanuel Guez 2012, http://readingclub.fr
écriture contrainte
A thin line, Serge Najjar, pecha kucha 2015 - http://www.pechakucha.org/presentations/a-thin-line
comment ce “nouvel ordre scriptural” prend appui
sur l’histoire de la littérature ?
1
Cut-up de William Burroughs
Une hybridation des questions
littéraires et technologiques ?
2
comment l'hypertexte rencontre ou répond à
la complexité ?
3
"tout texte excède les limites du livre qui le
contient […] ce dernier n’est qu’un découpage
arbitraire dans le tissu de tous les textes auxquels
il est relié." Roland Barthes

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Comment le numérique affecte nos écritures ? Luc Dall'Armellina

Notes de l'éditeur

  1. Bonjour et merci beaucoup à Viviane Youx et à l'AFEF pour votre invitation à partager avec vous ces questions.      
  2. Avant de répondre aux 3 questions qui m'ont été posées pour aborder le thème de notre rencontre, je voudrais repartir de la typologie des écritures proposée par les chercheurs du COSTECH de l'UTC de Compiègne menés dans le projet PRECIP par Serge Bouchardon sur les enjeux de l'écriture numérique à l'école et lui donner pour chacun des types un exemple. Peu d'équipes de recherches, s'interrogent - comme le fait le COSTECH - sur le statut des écritures numériques, à partir de leurs modes d'existences. Il y a  dans cette idée qui vient de la philosophie des techniques, particulièrement chez des auteurs comme Gilbert Simondon (Du mode d'existence des objets techniques), et de l'anthropologie, de l'écriture notamment avec Jack Goudy (La raison graphique) ; une conception de l'écriture qui n'est pas séparable de son support et de son appareil de reproduction technique. Leur dessein est de penser et de nous inviter à penser la technique d'écriture et de son enregistrement comme un fait culturel ET technique, au même titre que l'art, et qu'il convient de les penser ensemble. Nous nous situons ici dans une réflexion sur l’écriture littéraire et poétique, c’est-à-dire entendue comme laboratoire d’expérimentation et d’invention de la langue.
  3. L'équipe PRECIP distingue donc 4 types d'écritures numériques : L'écriture multimédia mêle, combine, articule, dans le même environnement de lecture, le texte, le son, l'image fixe ou animée. C'est celle utilisée dans la réalisation d'une très riche décennie (1990-2000) de cd-rom interactifs, parmi lesquels on trouve quelques œuvres majeures que l'évolution des systèmes d'exploitations (MacOS et Windows) aura malheureusement empêché de traverser le temps jusqu'à nous.
  4. Aujourd'hui, ces multimédias se pratiquent sur le web - et maintenant sur tablettes - avec la forme du webdocumentaire, apparue dès que la vitesse réseau l’a permis…
  5. L'écriture interactive hypertextuelle est celle sur laquelle repose le web. La plate-forme comme le langage (HTML) faisant l'objet d'un consensus (W3C), toutes les œuvres
  6. y compris les plus anciennes, sont encore lisibles sur les machines actuelles pour peu qu'elles soient accessibles. Textopoly est une œuvre collective menée par le General Instin et qui expérimente les écritures hypertextuelles en réseau, il est produit par le centre d’arts La Panacée à Montpellier.
  7. L'écriture collaborative synchrone est une forme récente, apparue avec l'évolution du web (2.0) qui permet à plusieurs auteurs d'écrire ensemble sur le même texte. Des plates-formes comme FramaPad permettent à tous d’y accéder.
  8. Le collectif d'artistes Reading Club base ses interventions de performances en présence et à distance sur ce principe et sur la base d’une plate-forme FramaPad. Les participants présents et distants lisent, écrivent, commentent, font et défont un texte, «  dans un jeu intertextuel et à l'intérieur d'une arène interprétative  ». un jeu intertextuel et une arène interprétative un dispositif d’exploration de la lecture sur le web une fabrique de textes en mouvement la mise à l’épreuve (une nouvelle fois) du statut de l'auteur la voix du public
  9. L'écriture sous modèle est une écriture contrainte par l'usage d'un logiciel donné. Celui-ci peut-être utilisé selon une règle constitutive, c'est le cas de Twitter avec des messages de 140 caractères, ce peut-être aussi selon une règle précise comme c'est le cas avec le pecha kucha.
  10. Le Pecha Kucha est une présentation publique orale sous forme d'une lecture de 20 diapositives dont chacune n'apparaît que 20 secondes en utilisant un logiciel de présentation (de type PowerPoint ou OpenOffice). Chaque diapositive peut contenir une image sur laquelle le lecteur lit un court texte (20x20 = 6 min.). Lors des pecha kuchas, le logiciel est réglé de façon à ce que le changement de diapo soit automatique. Il s'agit d'une forme de présentation issue de l'architecture que de nombreux artistes, photographes et écrivains se sont appropriée.
  11. Le terme de nouvel ordre scriptural signifie plus simplement qu'avec le numérique et ses pratiques d'écriture, l'auteur, l'écrivant est face à un support inédit, par rapport à l'écrit imprimé : il peut saisir sur un clavier, des lettres qui formeront des mots,  ces mots s'affichent sur un écran qui ressemble à un tableau magique car ça n'est pas sur l'écran que les mots gardent une permanence mais dans une mémoire. L'écran, lui est sans mémoire aucune, parfaitement amnésique. il peut faire apparaître ou disparaître ces mots, les modifier dans leur forme et leur agencement après qu'il les a saisis il peut les partager avec d'autres, proches ou distants, à l'échelle du monde, instantanément ou presque il peut en programmer l'apparition, le mouvement, la connexion (liens) la disparition ou la génération (générateurs) grâce à l'écriture qui est sous l'écriture : la programmation
  12. L'histoire de la littérature contemporaine nous permet de voir que des auteurs, parmi les plus innovants, avaient en quelque sorte anticipé ces transformations de l'ordre scriptural, jusqu'à déconstruire le pacte du livre et celui fixé avec le lecteur : (3 exemples) - William Burroughs et Brion Gysin anticipent avec leurs cuts-ups (1960) : l'appropriation créative (par copie non sourcée), le fragment (qui est une constituante des écritures hypertextuelles), le collage (qui est aussi une technique plastique de la modernité) pratiques s'inscrivant dans une conception de l'écriture comme virus (Burroughs) - Marc Saporta avec "Composition n°1, écrit en 1962 aux éditions du Seuil, un roman de 150 feuillets volants, non paginés, et pour lequel il recommande de battre les feuillets comme on le ferait avec un jeu de cartes avant de commencer sa lecture., anticipant sur la lecture non linéaire en fragment du roman hypertextuel. - Julio Cortazar avec Marelle (Rayuela) chez Gallimard en 1966, propose un roman à plis, lui aussi pourvu d'une structure complexe en imbriquant deux romans dans un seul volume, et lui aussi proposant un curieux pacte (mode d'emploi) au lecteur : lire le premier roman "traditionnellement", lire le second dans un ordre donné : 73-1-2-116-3-84-4-71-5-81…
  13. Cette question de l'hybridation me semble essentielle, nous avons vu au travers des quelques exemples précédents comment des choix (qui n'étaient alors pas des choix de technologie) mais de forme et de structure, produisaient chez Saporta, Cortazar ou Burroughs, une poétique et une narrativité singulière, déconstruite, dans laquelle les composantes du récit tel qu'il s'est pratiqué se trouvaient altérées. Elles devenaient autres : en mettant l'accent sur l'ambiance, le climat, la description, l'exploration de scènes, de psychologies, souvent composées d'un écheveau de fragments.  Espen Aarseth a inventé le joli concept de littérature ergodique : qui a besoin d’un geste pour se réaliser, se révéler, se déployer, s’actualiser, se dévoiler, et se lire, avec les yeux autant qu’avec les doigts.
  14. Cette question nous nous la posons (et tentons de la résoudre) chaque fois que nous écrivons (et lisons) et expérimentons un hypertexte littéraire. Nous nous y sommes confrontés cette année avec mes étudiants de master écritures créatives, lettres modernes de l'université de Cergy en écrivant chacun-e un texte sur un thème et en suivant quelques directives communes. Après quelques séances de lectures collectives des textes produits, nous avons tissé des liens entre nos textes, au sens propre et au sens figuré car ce travail est devenu un hypertexte : http://lucdall.free.fr/villes/hasard.htm  Notre exigence littéraire s'est vue complexifiée par la connectivité de chacun de nos textes avec les autres, mais comme nous voulions éviter l'abrupt passage d'un texte l'autre, nous avons inventé la notion de texte "sas", qui à la manière d'un sas en plongée ou en vols habités, permet le passage d'un milieu à un autre. Ces transitions préparent le lecteur à changer, à bifurquer vers une autre aventure, un autre style, un autre lieu. C'est là le pari de ces écritures que de proposer des lectures sans entrées ni sorties.
  15. Jean Clément signale les rapports très étroits entre écriture hypertextuelle – qui fonde le web - et complexité. Jean Clément, Hypertexte et hypercomplexité, Etudes Françaises, 36,2 http://hypermedia.univ-paris8.fr/jean/articles/clement.pdf Je le cite : « … l’émergence de l’hypertexte, qui est contemporaine de celle de la notion épistémologique de complexité, apparaît à certains égards comme une réponse à la difficulté posée par l’irruption de la complexité dans le champ de la pensée et du discours. ». Cette proposition est importante pour notre réflexion car elle permet de comprendre que c'est en syntonie avec les technologies (et non indépendamment), que les écrivains ont pu penser les enjeux du numérique avant même son apparition, parce que les idées qui les fondaient leur étaient contemporaines.  Internet date du milieu des années 60, le web lui, qui apporte la notion d'hyperlien, d'hypertexte, est beaucoup plus tardif (1989), inventé au CERN à Genève (Centre Européen de Recherche Nucléaire par Tim Berners-Lee puis rejoint un an après par Robert Cailliau) avait un usage d'acquisition et traitement des données sur le site (très étendu).
  16. Le 3 novembre 1992, on compte 26 sites web dans le monde. En 1993, le CERN renonce aux droits d'auteurs sur les logiciels World Wide Web pour les placer dans le domaine public. On compte aujourd'hui 1 milliard de sites web dans le monde [ http://www.internetlivestats.com/watch/websites/ ]. Nous voici au cœur de la 3ème révolution des écritures, après la naissance des écritures (2500 avant JC entre le Tigre et l'Euphrate) et celle de l'imprimerie de Gutenberg (1450 à Mayence). Michel Serres raconte à merveille cette histoire dans sa conférence à l'INRIA donnée en 2007. On y mesure que la longue, très longue histoire de l'écriture, est inextricablement liée à ses supports successifs, qu'elle aura permis la naissance du droit, des villes, de la monnaie, du commerce, de la géométrie, des religions monothéistes. L’invention de l’imprimerie elle, a permis les échanges mondiaux, la monnaie imprimée, la science, la littérature et la démocratie modernes.  L'écriture (et la lecture) en devenant numérique est pour nous une invitation à l'expérimentation des utopies, les nôtres et celles de nos ainés. Quel beau programme !
  17. Que les esprits chagrins se consolent : nous vivons une époque formidable dans laquelle la littérature n'a jamais eu autant de (difficultés c'est vrai) mais aussi de supports : stables et « traditionnels » avec le livre imprimé, plus instables et expérimentaux avec l'édition numérique. On annonce sans cesse la mort du livre et on constate la misère des bibliothèques mais il en est une qui continue de croitre et qui approche du milliard de volumes. Ce n'est pas encore Babel vue par Borgès mais c'est un premier pas, elle n'a que 23 ans, c'est le web, et l'aventure d'y écrire est tellement stimulante… Merci beaucoup