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‘’Je vais gagner, tu verras !’’ Et elle partit en riant. Après quelques
secondes de réflexion, je réalisai qu’elle me défiait à une course. Je souris à
mon tour, et courus aussi vite que je pus derrière elle. Du haut de nos huit
ans, nous n’allions pas bien vite, mes jambes frêles et chétives me portaient
avec difficulté. ‘’Arrête Aline, je suis fatigué !’’ Elle aussi, d’ailleurs. Je voyais
qu’elle commençait à ralentir son rythme. Mais elle ne se laissa pas vaincre
et se retourna en me tirant la langue. Ce fut une montée d’adrénaline pour
moi, et je piquai un sprint, arrivant rapidement à sa hauteur. ‘’Ex aequo’’ me
dit-elle. Je regardai en arrière nous venions de traverser tout un champ de
blé, et nous nous étions arrêtés à l’entrée d’une clairière à l’ombre d’un
chêne massif, on s’allongea sur l’herbe verte fraiche de la saison cueillant
par ci par là des marguerites qui jonchaient la prairie. Je ne dis rien, l’instant
de récupérer un peu nos forces et retrouver une respiration stable. Aline
pantelait, et finit par se redresser. Je fis de même. Elle me proposa d’aller
jouer dans la rivière. J’hésitai. L’eau n’était pas profonde, surtout en été,
mais l’idée de nous aventurer dans les bois sans parents m’effrayait un peu.
Aline rit. Elle riait toujours. Ses petits yeux bleu clair brillant de malice se
plissaient, et ses lèvres fines laissaient échapper un son aigu. ‘’Fais pas le
bébé, David ’’ ! Ces simples mots suffirent pour me décider. J’acceptai. Peut-
être que nous allions faire une bêtise, ou pire, nous perdre dans la forêt.
Maman me racontait souvent des histoires sur les ogres et les monstres qui y
habitaient. Mais peu importe, je suis un homme maintenant non ? Papa était
toujours là pour me le répéter. Je la suivrais partout cette fille. Elle pouvait
me mener partout par le bout du nez, je ne dirais rien. Ses petits yeux bleu
ciel d’été et cette personnalité remplie d’énergie et de vie m’entrainaient
partout.
        Elle s’allongea dans l’herbe, m’invitant à l’imiter. Je ne fis rien. Je
l’observai fermer les yeux pour tomber doucement dans les bras de
Morphée, bercée par la brise sereine de la prairie. Au loin, j’entendais la
rivière qui coulait, le bruit de l’eau se faufilant entre les roches m’invitant à
contempler la merveilleuse symphonie de la nature. Quelques abeilles
passaient par là, et je les chassais rapidement afin que leurs
bourdonnements ne réveillent pas la jeune fille qui sommeillait à l’ombre
d’un soleil radieux. L’air était chaud mais pas lourd, et l’odeur des fleurs
dans les prés environnants et du blé s’élevait dans l’air, remplissant mes
narines de l’ambiance campagnarde. La brise se mit à souffler, soulevant par
moment des mèches de nos cheveux. Les siens étaient d’un blond qui se
confondait presque avec le champ de blé que nous venions de traverser. Ils
encadraient ses joues blanches et ses pommettes rosies par le bonheur et
l’air frais de la campagne. Et soudain, sans même savoir ce qui me prenait ni
ce qui m’arrivait, je me penchai sur son visage et déposai un léger baiser sur
ses lèvres. Je me redressai rapidement. Elle ouvrit les yeux. Je rougis et
détournai les miens. Je ne saurais dire si elle avait réalisé ce que j’avais fait.
Je sentis son regard sur ma nuque. Puis, une main sur mon bras. C’était la
sienne. Je me retournai. Elle sourit, puis se redressa, et me dit simplement :
‘’Viens, on va chasser des papillons’’. Elle se leva. Et contrairement aux
autres fois, elle m’attendit et me tendis la main. Je la pris, et nous repartîmes
en direction du champ. Je scrutai les épis à la recherche d’un papillon. Ce
n’était pas ce qu’il y avait de plus passionnant à faire, mais je préférais ça
que d’aller jouer dans la rivière. Et puis, si ça faisait plaisir à la petite
princesse…


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        Enfin, j’aperçus un papillon virevoltant autour d’une fleur un peu plus
loin. Il battait rapidement des ailes, laissant apercevoir des couleurs bleues,
vertes et jaunes. Doucement, je m’approchai de la fleur et tendis ma main
pour m’emparer de l’insecte. Il s’envola, je sautai brusquement pour
l’attraper. Ca y est, je le tenais. Il se débattait dans ma paume et je serrai les
doigts pour ne pas qu’il puisse s’échapper. ‘’Arrête !’’ C’était Aline qui se
précipitait vers moi, terrifiée. Elle ouvrit mes doigts et mit le papillon dans un
bocal qu’elle sortait de je ne sais où. ‘’Tu vas le tuer !’’ Je ne comprenais pas.
Elle mit un couvercle percé sur le bocal et me prit par le bras. ‘’La vie d’un
papillon est éphémère tu vois... Tu ne dois pas les prendre dans ta main
comme ça, tu ne connais pas ta force, tu peux le tuer… Il faut laisser vivre
cette jolie créature… ‘’ Et en disant ces mots, elle ouvrit le bocal et laissa le
papillon s’envoler. Puis elle rit encore, me prit la main et nous courûmes
finalement vers la rivière.
           Je me réveillai en sursaut. ‘’Je’’, avec trente ans de plus, une barbe
mal rasée et vêtu d’un pyjama rayé miteux. Dans un soupir, je me redressai
sur mes coudes qui peinaient à soulever cette carcasse qui me servait de
corps. Je ne me trouvais plus avec Aline, cette fille aux yeux bleus et au
sourire radieux qui cavalait dans les champs pendant nos vacances à la
campagne. Il n’y avait pas de soleil d’été. Il n’y avait pas de soleil du tout. Le
froid et l’humidité imprégnaient les draps du banc en bois moisi qui me
servait de lit. Il n’y avait que les hauts murs de ma cellule et un seau en fer
rouillé .Je savais que je ne pourrais plus me rendormir. Et pourtant c’était la
seule chose à faire. Dormir, fermer les yeux et rêver à une existence
meilleure pour dissimuler cette peine et cette honte qui empestaient les
lieux. Adossé contre le mur glacial, ma couverture qui tombait en miette,
j’observai le petit carré de ciel que m’offrait la minuscule ouverture au
plafond noirci de crasse. Je m’imaginais être un papillon pour pouvoir enfin
embrasser la liberté. Car elle était là, juste au-dessus de ma tête tellement
proche mais inaccessible. Je revécus alors dans mon esprit le rêve que je
venais de faire. Un rêve qui remuait les tendres souvenirs de ma jeunesse et
Aline … Avec ses cheveux d’or et son sourire resplendissant… Elle me
manquait. Mes doigts se crispèrent sur mes genoux à son souvenir. Je
repensais au papillon bleu que j’avais attrapé lors de ma jeunesse ainsi
qu’au geste généreux d’Aline qui lui avait rendu sa liberté.
Le ciel matinal, rosi par les premiers rayons de soleil, se mêlait aux
couleurs de l’océan. J’étais sur le pont à contempler l’immensité de la mer et
à savourer la douceur du vent caressant ma peau. L’air était délicieusement
frais et pur et je sentais une odeur salée me caresser les narines : Pour une
fois, la symphonie des vagues régnait seule. “ Plus que cinq jours avant
d’atteindre la côte d’Indochine” me dit Jean. Pourtant cela fait un mois que
nous naviguions sur ce tas de ferraille chaud et humide à travers le canal de
Suez, un mois et deux jours que le bruit assourdissant de la machinerie nous
tapait sur le système nerveux. Le navire avait déjà fait halte dans plusieurs
ports, mais jamais ils n’étaient notre destination. Ses paroles me
réconfortèrent. C’était à nous maintenant. Nous allions enfin descendre de
cette embarcation infernale !
       Nous n’avions pas eu les moyens d’acheter notre billet pour la
traversée, ainsi, nous travaillions dans la section B de la machinerie afin de
payer notre trajet. Le capitaine et le mécanicien en chef avaient longuement
réfléchi avant d’en venir à cet accord. Jean s’occupait des jauges de
pressions et moi de l’entretien des machines.
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       La chaleur y était épouvantable. Le charbon, le suif, la puanteur du
métal rouillé et la saleté de l’huile rendaient l’atmosphère encore plus
oppressante. La coque du navire, où nous nous trouvions, était sensible à
toutes manœuvres maladroites du capitaine. Ainsi, en temps de grosses
vagues et de tempête, les conditions de travail se faisaient plus difficiles. Le
seul endroit où nos poumons pouvaient se vidanger de l’odeur nauséabonde
du métal, amener une bouffée d’air pure et propre, allégeant ainsi
l’épuisement de nos corps chauffés à blanc était l’ouverture de la porte
supérieure. Celle-ci n’était ouverte que lors des contrôles du mécanicien en
chef, ou dans les pires cas, quand un accident arrivait. L’infirmerie se
trouvait à l’étage supérieur.
       Parfois, quand la mer était calme et que nous pouvions nous permettre
de quitter notre poste, nous allions voler quelques heures de sommeil dans
les hamacs suspendus dans la section d’à côté. L’atmosphère, si ce n’était
pour l’odeur, n’y était guère mieux. Notre déjeuner était pris dans les mêmes
conditions. Seulement alors, quand le chef était de bonne humeur, quand
nous n’avions guère trop de besogne ou que le navire accostait, nous
sortions sur le pont, ouvrions les hublots, évacuant les fumées et odeurs
pendant que nous savourions un instant de liberté à l’air libre. Cependant,
Jean et moi n’étions jamais descendus du bateau. En un mois, jamais nous
n’avions posé le pied à terre ferme.
       Nous étions deux jeunes gaillards âgés de vingt-trois ans chacun,
partis si loin de chez nous et tous deux ayant pour même but d’établir un
commerce de textile. Si nous n’étions pas trop absorbés par le travail, nous
parlions alors de nos projets futurs. ‘’J’aurais ma propre usine’’ me disait mon
compagnon ‘’et une petite propriété. Peut-être que je planterai quelque
chose dessus, peut-être’’. Et nous partions ainsi dans nos rêves et euphories.
Ou alors, quand nous étions las de nous répéter, chacun de nous se
consacrait à son activité. Jean passait la majeure partie de son temps libre à
fumer une cigarette et cirer sa paire de chaussures. “ Paraît que les filles là-
bas sont pas mal du tout” me lança-t-il en riant. Il n’était pas bien grand,
Jean, mais large d’épaules et robuste, il avait toujours une cigarette au bec
et sa vieille paire de chaussures en cuir dont il ne se séparait jamais. Je
l’écoutais en souriant, pensant moi aussi à mes fantasmes longtemps
refoulés par l’ardeur du travail, et à la vie de débauche que je mènerais
bientôt. ‘’L’argent coulera à flot’’, continuait-il, et l’alcool aussi. J’aurais plus
à troquer une clope pour une chemise, ou je ne sais quoi’’.
       Le jour de notre accostage au port de Saigon, le navire siffla cinq fois. Il
était midi. Le soleil était haut dans le ciel bleu où flottaient quelques nuages.
L’air était chaud, lourd et humide, au point d’en avoir la migraine. Ma
chemise mouillée de sueur attirait les moustiques et les mouches qui
voltigeaient autour des poissons à l’odeur nauséabonde qui séchaient sur
des paillasses faites de tiges en bambou. Les gens circulaient en pagaille
dans la rue, tous piaillant dans une langue incompréhensible. Je ne me
sentais pas à ma place, perdu au milieu de cette ville inconnue. Pourtant,
j’étais heureux. La chance allait me sourire, je n’étais pas ici pour rien. Jean
arriva derrière moi et me tapa sur l’épaule. Je me retournai. Il avait retiré sa
chemise crasseuse, laissant voir sa musculature bien développée. Je fis de
même, et pour symboliser la fin de ce mois de lourd labeur, jetai cette
dernière au coin d’un muret. Je l’observai encore un instant, savourant
silencieusement le début de cette nouvelle vie.


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       Enfin, je me retournai vers Jean. Je remarquai des reflets colorés qui
brillaient sur sa tête. ‘’Eh, ta un truc dans tes cheveux’’ lui dis-je. Sans
attendre, il attrapa la chose et ferma sa main. Je m’approchai pour voir, et
distinguai un papillon. Alors, j’ouvris ces doigts et relâchai l’insecte. ‘’Laisse-
le vivre. Il est magnifique n’est-ce pas?’’ Soudain l’image d’Aline la fille aux
cheveux d’or me revint. Cette fille qui avait joué un rôle tellement important
dans ma vie, cette fille remplie d’énergie et de joie de vivre dont je n’ai plus
de nouvelle depuis bien longtemps. Je réalisai soudain qu’en quittant ma
patrie pour l’Indochine, je l’avais quittée en même temps. Repenser à elle
me procura un pincement au cœur. Déjà, je savais qu’elle allait me manquer,
qu’elle ne quitterait plus mon esprit. Je me réveillerais tous les jours avec
son image dans ma tête, et me coucherais en pensant à elle. Je ne lui avais
pas vraiment dit au revoir avant de partir, je n’en avais pas eu le courage. Je
me souvenais encore parfaitement de sa mine déçue quand je lui avais
annoncé mon projet de voyage. Ses yeux semblaient si malheureux que
j’avais envie de la serrer contre moi, lui dire que je resterais ou que je
l’emmènerais, et que jamais je ne la quitterais. Mais je n’en avais rien fait. Je
m’étais contenté de lui promettre de revenir bientôt. Je poussai un soupir,
puis me ressaisis. Je n’allais pas me laisser abattre, ni laisser le passé me
rattraper aussi vite.
       Je me concentrai sur ce que je voyais pour me changer les idées. Je fus
soudain frappé par les contrastes et la beauté de la ville. C’était une sorte de
miniature de la France, les bâtiments coloniaux ornant les boulevards. Et
pourtant, la ville était peuplée majoritairement d’asiatiques. J’observais les
vendeurs disposer toutes sortes de produits sur leurs étalages. Nous étions
sortis du port, et les poissons furent remplacés par toutes sortes de légumes
et fruits qui m’étaient inconnus. Qu’était-ce donc ce gros fruit vert avec des
piques ? Je fus étonné de voir les différentes variétés que proposait le
marché local. Je reconnus les mangues, vendues à un prix minable, alors que
dans mon pays, elles n’étaient accessibles qu’aux bourgeois. Je me
réjouissais d’avance aux régals exotiques que me réservait le pays surtout
dans les fruits et les épices. Chaque coin de ruelle était décoré de multitude
de fleurs exotiques aux odeurs exquises. Nous rentrâmes dans un petit bar
ou flottait un léger parfum d’encens.
       ’L’alcool de riz’’ me dit-il. C’était un homme du pays, et pourtant il n’y
avait pas le moindre accent dans sa prononciation. Vêtu d’un gilet gris pale
et d’un képi, il fumait la pipe et parlait couramment le français “ De quelle
région de France venez-vous ? “ me demanda-t-il. “ D’Aix en Provence”
répondis-je. Il constata que c’était loin, effectivement. Je lui posai quelques
question sur la ville, les traditions, les différents endroits, et également
comment trouver un travail. ‘’Ben, il y a le café qui prend pas mal en ce
moment. L’usine la plus proche est à dix minutes d’ici, vers la route Est en
dehors de la ville. Si j’étais vous, je me lèverais tôt’’. Je le remerciai. Il fallait
réaliser que l’Indochine était un coin où l’économie et le commerce
florissaient : Il ne serait pas facile pour Jean et moi de nous y implanter
directement. Nous devions d’abord trouver un poste pour garantir un revenu
et de quoi vivre avant d’envisager les grandes choses.
       Je n’avais toujours pas touché à mon verre d’alcool. Le barman le
poussa vers moi, m’encourageant à le boire. J’avais vaguement entendu
parler de ce fameux alcool de riz. En Occident, les médecins en vantaient les
vertus thérapeutiques à petites doses. Les bohémiens disaient en tirer leur
motivations et inspiration. Pour ma part, je me fiais peu aux préjugés. Je fixai
ce petit verre de deux pouces de haut, et commis l’erreur de le boire d’une
traite. L’effet fut immédiat.
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      Le feu me monta aux joues, l’alcool me brûlait les poumons et la
gorge. Jean s’esclaffait de rire, pleurant à moitié sur le comptoir. Je l’entendis
commander un verre d’eau pendant que je m’étouffais presque, recrachant à
moitié ce que je venais d’absorber. Mon ami m’aida à avaler quelques
gorgées d’eau, ce qui fit passer la morsure de l’alcool.
      ‘’Il y a une première fois, toujours !’’ Se moqua le barman. ‘’Allez, je
vous en offre un verre, dilué avec un peu de sucre. Buvez lentement,
appréciez’’. Je me sentais humilié, et bus une autre gorgée pour faire passer
l’amertume. Je repris le verre qu’on me servit, et trempai timidement les
lèvres à la surface de la boisson. Puis, je passai ma langue dessus, pour
réaliser qu’en fait, cela avait bon gout. C’était toujours fort, certes, mais
doux et agréable, presque rafraîchissant. Calmé, je repris mes esprits et me
délectai lentement de ce breuvage. Puis une musique se fit entendre. Je me
retournai. Au fond de la salle se trouvait une scène que je n’avais pas
remarquée en entrant. Elle venait d’être occupée par cinq jeunes filles,
toutes européennes, qui entamaient la danse du ‘’French Cancan’’. La
musique traditionnelle accompagnait le spectacle. Un autre spectacle suivit,
avec quelques chansons populaires françaises. Puis une autre danse. Un
pianiste enchaîna sur un air de jazz. Enfin, deux jeunes femmes de cabaret
du type ‘’Moulin Rouge’’ montèrent sur scène, emplissant la salle de leur
charme et sensualité, dansant sur une musique entraînante. Machinalement,
je me mis à battre du pied au rythme de la chanson, avalant du regard ces
jeunes femmes dont les robes voltigeaient autour d’elles, laissant voir leurs
jambes et leurs bas. Jean me donna un coup de coude. Je savais déjà
comment il prévoyait passer sa soirée. Pour ma part, je n’étais pas sûr.
Commencer une nouvelle page sur une apparence de luxure ne me plaisait
guère. Ainsi, je payais mon dû au teneur de bar, donnai un rendez-vous à
Jean et sortit de l’endroit.
       Le soleil avait depuis longtemps quitté son apogée et semblait à
présent flâner paresseusement au-dessus des toits des maisons. Le soir allait
bientôt tomber, je n’avais pas vu passer le temps. Je marchais sur le trottoir
de ce qui devait être la route principale. Je n’avais pas assez d’yeux pour
tout voir. Je m’arrêtai un moment pour observer un temple rouge, dont les
piliers de l’entrée étaient ornés de deux dragons jaunes. Un homme vêtu
d’un vêtement traditionnel accrochait des lampions aux formes curieuses sur
le haut du portail. Je continuai mon chemin au fur et à mesure que le soleil
tombait. Je passai devant un marché. Ce n’était plus des fruits et des
légumes que l’on vendait, mais des bricoles de tout genre. Des marchands
ambulants proposaient des amulettes, des statues de telle et telle idole. Un
homme proposa de me faire mon portrait, je refusai gentiment. Des odeurs
parvenaient à mes narines, je vis des marchands de soupes, de nouilles, ou
de tous autres mets locaux donc je ne connaissais ni le nom, ni le goût.
Certains me tentaient, d’autres moins. Là-bas, un gros homme tenait un
étalage de viande. Ici, une jeune femme proposait de la soie de Chine.
       D’un côté, on parlait français, je saluai donc le groupe d’individus. Il y
avait toutes sortes de musiques qui résonnaient à chaque coin des rues, le
tout mêlé à un brouhaha d’une langue étrangère dont je ne comprenais un
mot. L’ambiance me parut soudain animée, la ville devint vivante. Les gens
vêtus de toutes les couleurs marchaient et me croisaient. Deux jeunes
femmes locales se tenaient par le bras, vêtues de longues robes turquoise
assorties d’un bas blanc. Un couple d’Européens en costume du soir se hâtait
vers le cinéma qui se trouvait en bas de la rue.
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Je n’avais jamais vu pareille exaltation dans une ville. Les lampions
suspendus à des fils croisés à travers la rue éclairaient les passants de lueurs
colorées. J’observais les inscriptions qui s’y trouvaient, et remarquai d’autres
affiches et panneaux. Certaines étaient en français, d’autres affichaient des
dessins incompréhensibles. Je laissai donc l’émerveillement de l’inconnu et la
nouveauté me submerger. Je me sentis soudain comme un enfant en extase
devant une vitrine de jouets.
       La ville était illuminée de centaine de lanternes de soie rouge qui
dominaient le ciel étoilé, le tout accompagné de la fraîcheur exaltante de la
nuit, les bâtiments coloniaux et somptueux reflétaient toute la splendeur
d’une cité prospère qui ne connaissait pas la faim. L’opéra se dressait
majestueusement au centre de la ville où circulait une population remplie de
joie, tous réunis pour fêter le nouvel an qu’ils nomment le “Têt”.
             Je continuai de cette manière à flâner dans la ville, admirant tout
ce que je voyais. Soudain, un bruit assourdissant se fit entendre,
accompagné d’acclamations. Des ‘’Oh!’’ et des ‘’Ah!’’ s’élevaient de la foule.
Je suivis le regard de cette dernière vers le ciel. Des feux d’artifice avaient
été allumés en l’occasion de la fête. Un, puis deux, et un troisième et ce fut
toute une série de magnifiques jets de lumière qui éclaira la nuit pacifique. Je
souris.


              Un coup de coude de mon voisin me ramena à la réalité. ‘’Eh
mec, si tu manges pas, j’le veux bien’’. C’était mon voisin, un autre interne,
qui me demandait mon assiette de midi. Je regardai autours de moi. Je ne
me trouvais ailleurs que dans le réfectoire de ma prison, aux habituels murs
blancs. La peinture s’écaillait avec l’humidité et les moisissures. Ses fenêtres
étaient grillées de lourds barreaux en fer. ‘’Vas-y, j’ai pas faim’’. Je poussai
mon assiette vers lui et me levai. Normalement, après les repas, chaque
prisonnier avait le droit de sortir dans la cour profiter de l’air, faire quelques
exercices ou autre. Pour ma part, je remontai dans ma cellule froide. L’air
était filtré par un rayon de soleil qui pénétrait par la petite ouverture au
plafond. Je m’assis sur ma paillasse et pris sur mon bureau une craie
blanche. Sur le mur, je traçai un trait. Un jour de plus dans cette existence
de bagnard. ‘’Un jour de moins à vivre...’’ murmurai-je. La réalité me frappa
brutalement. Un jour de moins à vivre. Ces mots résonnaient dans ma tête,
laissant une trace morale amère et terrifiante. Je m’étais promis de ne pas
finir dans une crise hystérique de dépression quand le moment fatal
arriverait. Je voyais souvent ces jeunes à qui la vie avait réservé le même
sort funeste passer devant ma cellule avant leur dernier instant. Ils criaient,
appelaient désespérément leur mère, pleuraient les dernières larmes de vie,
priaient Dieu une dernière fois pour le pardon de la vie ténébreuse qu’ils
avaient menée. Pathétique, ce n’était pas ainsi qu’Il allait sauver le salut de
leur âme, et encore moins les garder en vie.
Demain... Demain déjà. Demain dès l’aube, je ne serais plus. Mais
quelle importance si c’est pour vivre dans ce monde obscurci par l’injustice
et la haine ? Quand la sentence avait été prononcée le jour de mon
jugement, ces mots me semblaient insignifiants, frivoles, abstraits.
Aujourd’hui, ils prenaient soudainement beaucoup d’ampleur. Demain, je
mourrais.
      Je ne dormis pas de la nuit, envahi par mes remords et mes pensées.
Je ruminai mes souvenirs, les bons, les mauvais, et celui de sa mort.

                                                                                 6


            L’excitation montait en moi comme une lave dans le cratère d’un
volcan proche de son éruption. J’avais rendez-vous avec Aline, après
plusieurs années de séparation et de correspondance fougueuse. Je regardai
autour de moi, admirant Paris en fin d’après-midi. J’étais en avance au
rendez-vous. Ma foi, je ne tenais plus sur place dans mon appartement à
tourner en rond, attendant impatiemment l’heure des retrouvailles. Il fallait
que je sorte, prenne l’air pour libérer le stress qui grandissait en moi. J’avais
d’abord lorgné le bord de la Seine, respirant à plein poumons l’odeur de
cette ville exaltant le bonheur et de douces promesses. Puis, je m’arrêtai au
Grand Café Parisien, prenant une table pour deux sur la terrasse. De ce
point, nous pourrions avoir une vue imprenable sur la ville des lumières et la
tour Eiffel. Je m’assis sur un siège en liège en attendant mon amie. La
délicieuse odeur du café que j’avais commandé me chatouillait les narines.
J’en pris une gorgée. La serveuse passa, me demanda si ‘’Monsieur était
servi’’. Je lui commandai un panier de pain, et l’avertis que je resterais pour
diner. Elle sourit, nota le numéro de ma table et ma commande, et s’en alla.
Je posai mon regard sur la somptueuse et imposante tour en métal, et laissai
mon esprit vagabonder. Un vent léger soufflait, les nuages couvraient le
soleil qui s’apprêtait à finir sa course, l’air était frais. Tout semblait parfait.
       Puis, je sentis des mains se poser sur mes épaules, remonter vers mon
cou, glisser le long de mes bras. Une odeur de parfum suave envahit mon
sens olfactif. Une mèche de cheveux couleur blé doré tomba devant mes
yeux quand Aline se pencha pour déposer délicatement un baiser sur la joue.
Mon cœur manqua un battement. Elle était là ! Elle, ma meilleure amie, mon
amour d’enfance, ma confidente, ma sœur! Je me levai d’un coup, heureux
comme Ulysse, l’admirai, la dévorant du regard, réalisant qu’elle était réelle,
qu’elle n’était plus un souvenir que j’essayais de refouler. Son sourire
illuminait son visage, les bras légèrement écartés, heureuse, belle,
somptueuse. Sa robe blanche et son châle assorti lui allaient à merveille et la
lumière du soir tombant semblait placer une aura autour de son corps aux
courbes parfaites. Je crus, un instant, qu’elle était l’apparition d’Aphrodite
elle-même.
       Puis, je revins sur terre. Je m’approchai d’elle, pris délicatement ses
mains comme si elles eussent été en cristal, et les baisai doucement. Elle rit,
puis me fit la bise. Sa joue chaude et rouge contre les miennes me procura
une sensation de chaleur familière, comme un gouffre de manque qu’on
viendrait subitement de remplir. Je tirai sa chaise et l’aidai à s’installer. Nous
engageâmes d’abord la conversation comme deux amis qui ne s’étaient vus
depuis hier, puis la profondeur, l’émotion, la joie des retrouvailles prit le
dessus. ‘’Comment te portes-tu? Saigon, comment était-ce? J’ai entendu dire
que le pays est magnifique. Oh David, hâte toi donc, raconte-moi!’’. Je fus
un instant interloqué par ces manières hautaines de bourgeoise parisienne.
Décidément, l’étranger m’avait fait oublier les notions de grande politesse.
       Je fis de mon mieux pour ne pas paraître paysan aux yeux de cette
dame chic. ‘’Eh bien’’, commençai-je. Et je me mis à narrer mes aventures,
les anecdotes, mon arrivée, ma vie, la ville coloniale, les gens d’Asie,
j’oubliais des détails, aussitôt, je revenais en arrière, et elle riait bien de mes
maladresses. Ses lèvres s’étiraient jusqu’à ses oreilles, laissant paraître des
dents blanches et parfaitement alignées, entourées de lèvres fines et
naturellement roses. La servante apporta le panier de pain.
                                                                                  7

       Nous réclamâmes le menu, commandâmes du champagne,
mangeâmes ainsi au nom de nos retrouvailles. La soirée fut belle, éclairée
par les lumières de la ville et embellie par notre euphorie.
       Nous quittâmes le café/restaurant vers neuf heures et partîmes faire
un tour sur les pavés de la ville. Elle me prit le bras, je l’entrainai vers la
Seine, elle réclamait les boulevards, les ponts. Nous rîmes aux éclats,
dérangeant les maisonnées qui dormaient, traversâmes les arrondissements,
et quand nous fûmes fatigués, descendîmes dans un bistrot de son choix.
Elle me dit qu’elle venait souvent ici, son cousin en était le propriétaire. Nous
commandâmes une boisson alcoolisée rafraichissante. Mademoiselle prit un
Shirley Temple, pour ma part, je choisis un cidre doux.
       Puis l’ultime question féminine. ‘’Avais-tu quelqu’un d’autre?’’. La
réponse fut non. ‘’Tu mens’’, disait-elle en riant. Nous étions grisés, et tout
nous semblait hilarant. Je lui jurai que je disais vrai, que je n’avais eu aucune
amante, ni même une fille de joie, encore moins un baiser volé â une
quelconque jolie demoiselle facile. Elle me crut, et rougit. Nous bûmes
encore. Les effets de l’alcool nous paraissant trop faibles, nous prîmes des
boissons plus fortes. Ainsi, nous passâmes du cidre à la bière, puis du vin aux
liqueurs. Le rouge montait aux joues de madame, sa peau était brûlante au
contact de la mienne. Nos jambes se frôlaient, nos regards se firent furtifs,
embarrassés. Puis enfin, nous oubliâmes toute pudeur et nos lèvres se
joignirent. D’abord cela ressembla plus à effleurement, puis ce fut plus
passionnée, fougueux, elle en redemandait, je la satisfaisais. Nous avions
deux longues années d’absence à rattraper.
       Le bar fermait. Nous étions saouls, et sortîmes dans la rue. Je la
soutenais par la taille, savourant l’agréable pression de sa tête contre mon
épaule, ses doigts qui s’agrippaient à mon bras, m’enivrant encore de sa
voix qui me contait sa vie de jeune parisienne. Je lui parlai de Jean, elle
demanda à le voir et nous allâmes chez lui. L’heure tardive de notre visite ne
le dérangea pas le moins du monde, il fut même content de me revoir, ainsi
que celle dont je lui avais si longtemps parlé. ‘’C’est un plaisir Madame,
enfin! Croyez-moi. Mais s’il vous plaît, entrez, faites comme chez vous!’’ Et
nous nous assîmes autour de la cheminée, contant nos aventures au coin du
feu. La chaleureuse ambiance fut encore arrosée d’une bouteille entière de
scotch et de whiskey qu’avait gardé Jean pour l’occasion. Madame ne voulut
boire, déclamant que c’était trop fort. Nous parlâmes encore de notre
réussite, de nos investissements futurs. Nous discutâmes politique, et
Madame s’ennuyait, ainsi nous parlâmes de la vie, envisageâmes des
vacances. Jean vivait les prémices de l’amour avec une jeune institutrice,
aussi rêvait-il déjà d’une famille.
       Quand les douze coups de minuit sonnèrent, la princesse aux cheveux
d’or déclara être fatiguée. Nos appartement étant trop loin, et jugeant
imprudent de traverser Paris seuls à une heure si tardive, sans compter l’état
dans lequel nous nous trouvions, Jean proposa que nous passions la nuit chez
lui. Elle refusa. Elle réclamait sa chambre, prétendait qu’elle dormait mal
ailleurs. Je ne voulus la laisser repartir seule, lui promit qu’elle pourrait avoir
une chambre pour elle et son intimité.
       Elle se plaignit, tapa du pied. L’alcool influait son tempérament. Elle
semblait irraisonnable, enfantine, piqua une colère, cria, et me frappa. Puis,
ce fut à mon tour, emporté par la trop grande quantité d’alcool dans mon
sang, de m’énerver. Je pris son bras, le serrai, elle eut mal, je la laissai partir.
                                                                                   8

       La culpabilité me gagna tout d’un coup. Un papillon de nuit entra par la
fenêtre battant furtivement les ailes et vint se poser sur la robe d’Aline. Elle
s’arrêta un moment, fixa l’insecte, perplexe. Puis, d’un geste de rage, le
chassa. Je fus étonné, elle qui d’habitude était si douce avec les animaux.
Elle vociféra encore de toute sa force des propos malhonnêtes. Jean vint s’en
mêler, il prit Aline à part, l’assit sur un fauteuil et lui apporta un verre d’eau.
Bien qu’il soit aussi ivre que moi, il semblait plus en contrôle de lui.
Finalement, nous convînmes que nous allions tout de même rentrer. Mon
appartement étant le plus proche, nous décidâmes que nous y passerions la
nuit. Aline consentit, disant que de toute façon, nous étions tous pareils, et
que la femme resterait à jamais soumise aux hommes. Je voulus protester,
lui dire qu’elles étaient nos reines, puis jugeai plus sage de me taire.
       Le chemin du retour fut silencieux. Jean nous accompagnait. Elle
m’avait laissé et lui prenait le bras, à lui. Dans mon coin, marchant
légèrement en retraite, je réfléchissais à mes actes, à la soirée magnifique
qui sombrait dans une malheureuse dispute causée par l’alcool. Je me sentis
lâche, désespéré, je me battais contre moi-même, me maudissant d’avoir été
injuste. Je fus triste en pensant à mon geste violent envers Aline. Les regrets
et les remords me prirent, je voulus rejoindre mon amie et m’excuser, je ne
fis rien, tétanisé par la honte. Je la vis rire avec Jean, j’étais jaloux. Une
nouvelle bouffée de rage monta en moi, je fis un effort pour me contrôler, et
retombai dans mes songes.
       Je ne remarquai pas quand nous arrivâmes chez moi. Jean monta avec
nous. Je les laissai causer un peu, recommandant à Aline de ne pas se
coucher trop tard ou cela nuirait à sa santé. Elle m’ignora, je pris congé, lui
souhaitai bonne nuit et allai me coucher. Je m’endormis comme une masse.
       Puis le drame arriva.
       Le lendemain, je quittai mon lit de bonne heure, fis ma toilette, puis
sortit de ma chambre. Je n’avais aucun souvenir du soir précèdent. Aline
était venue chez moi... Nous nous étions disputés? Ou non, c’était l’inverse
peut-être. Bref, peu importe. J’avais l’intention d’aller m’excuser auprès de la
belle, essayer de me faire pardonner pour le mal que j’avais commis le soir
précédent et dont je ne gardais qu’un vague souvenir éphémère. J’avais, par
ailleurs, oublié que Jean se trouvait avec nous le soir.
       Je ne la trouvai pas dans la chambre d’ami. Alors pensant qu’elle
s’était endormie dans le salon, je m’y rendis, et ne trouvai rien. Son manteau
était pourtant posé sur mon fauteuil. Peut-être était-elle rentrée chez elle?
Ce serait compréhensible. La faim et la migraine me tenaillaient, et je sortis
Aline de mes pensées un moment, me dirigeant vers la cuisine.
       Elle était là.
       Par terre, baignant dans son sang, sa robe déchirée, uniquement vêtue
de ses bas et de son corset.
       Elle n’existait plus.
       Mon cœur parut défaillir, ma respiration se bloqua, je suffoquais.
       Que se passait-il? Je me retins à une commode pour ne pas tomber, et
m’assis à terre. Je remuais mes méninges, essayant de comprendre
pourquoi, en me levant, je trouvais ma bien aimée sans vie dans ma cuisine.
L’avais-je tuée? Moi? Impossible! Je chassai cette supposition de ma tête,
mais elle revint bien vite.
                                                                               9


      Je ne me souvenais pas de la soirée, donc peut-être que j’étais le
coupable! Peut-être, dans un élan de colère, poussé par l’alcool, j’avais
commis ce crime impardonnable! Et pire, sa robe, ses vêtements, son corps
presque nu, l’avais-je violée? L’avais-je souillée le dernier soir de sa vie? Je
pris ma tête dans mes mains, et pleurai avant de réfléchir plus loin.
      J’appelai la police. Elle me dit d’attendre, de ne pas toucher le corps.
Pourtant, je ne pus m’en empêcher, et soulevai la tête d’Aline, embrassai ses
paupières closes, ses lèvres fades, j’ouvris ses yeux, ils étaient vitreux. Son
corps pâle et inanimé me faisait peur. Je la serrai contre moi, criai son nom,
la priai de se relever, de me dire que ce n’était qu’une farce. Mais je ne
tenais contre mon cœur qu’une magnifique poupée raide et finie. Je caressai
ses cheveux, lui murmurant des mots doux, la berçant, espérant qu’elle allait
se réveiller. Je touchai sa peau, ôtai le reste de ses vêtements. Un instant,
j’admirai ce corps dont j’avais honteusement profité le soir précédant, mes
yeux suivirent les courbes parfaites et harmonieuses. Puis en remarquant les
ecchymoses sur la surface de sa peau, mes sanglots reprirent. Je me
lamentai, me traitant de tous les noms, maudissant Dieu, appelant Satan à
l’aide, je me comparai à un monstre, non, pire! Au diable. Puis je me calmai,
et posai ma tête contre son front. Un brin de chaleur coulait encore sous sa
peau; je ne l’avais donc pas tuée depuis longtemps.
       Et pourtant, c’était impossible! Je l’aimais trop, jamais, au grand jamais
je n’aurais pu faire une telle chose. La police ne tarda pas à arriver. Je leur
ouvris la porte, meurtri par la scène que je venais de voir. On me posa des
questions. Oui, nous étions seuls hier. Non, personne ne l’avait vue après que
je m’étais couché. Non, personne d’autre ne se trouvait dans l’appartement.
Je balbutiais, reprenais mes réponses, me trompais. J’avouai enfin que je ne
gardais qu’un faible souvenir, trop grisé par l’alcool. L’officier me dévisagea
d’un œil suspicieux. On me dit d’attendre, de ne pas quitter l’appartement.
On enveloppa le corps d’Aline et l’emporta. On ne nettoya pas le sang. Je
restai chez moi, enfermé dans ma chambre. Je n’en avais pas la force, et
deux officiers restèrent avec moi. Puis le soir vint. On venait m’arrêter.
Apparemment, tous les évidences et indices m’indiquaient comme coupable.
Je ne comprenais pas, mais je suivis docilement, portant en moi une douleur
trop grande pour me soucier de mon propre sort.
           Les premiers rayons de soleil vinrent réchauffer les pierres froides
de ma cellule, perçant l’humidité de l’air par le premier souffle de l’aube. Je
soupirai. C’était la dernière fois que je verrais le soleil se lever. Je crus un
instant que j’allais pleurer, mais je n’avais plus d’âme, ni de cœur pour
laisser place à la faiblesse. Je n’avais pas dormi de la nuit, mes souvenirs de
ma vie déjà antérieure me tourmentaient trop. Le geôlier devait venir me
chercher à neuf heures du matin. A la base, mon exécution devait avoir lieu
en début d’après-midi. J’avais refusé, ne voulant pas commencer une
journée sans jamais pouvoir l’achever. Il était très tôt encore, et je n’en avais
pas finis avec mes lamentations. On me voulait mort, pensant que cela était
une peine proportionnelle à mon crime. Ils avaient tort. Je portais le deuil et
la culpabilité de la mort d’Aline si profondément en moi que me laisser
vivant serait encore plus cruel. D’ailleurs, je préférais cela. Mourir lentement,
à petit feu, tuer par son propre remord. L’exécution ne ferait qu’abréger mes
souffrances. Je me tournais vers le mur sur lequel j’avais inscrit chaque jour
de ma pénitence. Je les comptais, un par un, prenant tout le temps qui me
restait.
                                                                              10



      Deux ans, à peu près, s’étaient écoulés. Deux ans dans la solitude, qui
m’avaient endurci et avaient retiré toute trace d’humanité dans mon
existence.
      Enfin, à 8 heures, on vint me chercher. Je ne comprenais pas cette
avance, avait-on hâte de me voir partir, servir de pâture aux bêtes du sol? Je
suivis néanmoins docilement le bourreau. ‘’Alea jacta est...’’ murmurai-je.
Les dés étaient lances, je ne pouvais revenir en arrière. Ce n’était plus
qu’une question de minutes. Dans moins d’une heure, il ne resterait plus que
mon nom et mon corps sans vie dans ce monde cruel et terrifiant. Je sortis
une dernière fois de ma cellule. J’eus presque un sourire en la regardant, à la
fois soulagé de la quitter, et appréhendant la suite.
       Soudain, tout me parut diffèrent. Les autres internes me fixaient du
regard à travers leur cellule. Certains, compatissants, me faisaient un signe
de tête. D’autres, moqueurs, me lançaient les dernières insultes. Je n’avais
pas besoin de leur peine, la mienne était déjà suffisamment lourde et je ne
voulais la partager. Le couloir qui traversait le bâtiment me parut
interminablement long. Je fixais le sol, là où je posais mes pieds, marchant
lourdement, savourant mes derniers pas de la vie vers la mort. Nous dûmes
traverser la cour. L’air était lourd aujourd’hui, le soleil s’était caché derrière
un nuage gris. Je levai les yeux vers le ciel. Il n’allait pas pleuvoir. Alors, sans
réfléchir, je demandai au gardien ‘’Eh, j’peux m’assoir deux secondes?’’ Il
hésita, réfléchit, puis, comprenant les dernières volontés d’un futur défunt,
accepta.
       Je m’assis alors à même le sol, et plongeai mes doigts dans la terre,
profitant un dernier instant de ce monde matériel. L’odeur du gazon monta
dans mes narines. Je baissai la tête, laissant le vent fouetter mes cheveux.
Puis je sentis quelque chose sur mon oreille. Doucement, je passai ma main.
La chose se mit alors sur mes doigts. C’était un papillon. Je fus surpris de le
voir, puis attendri. Tous les moments de ma vie filèrent alors devant mes
yeux. Je me levai, le papillon restait dans ma main. Le gardien me poussa en
avant. Il me fit traverser le terrain, et marcher à travers un autre couloir qui
me sembla encore plus long. Mes yeux étaient rivés sur l’insecte qui battait
faiblement des ailes, un léger sourire béat, absent, sur mon visage. Le
visage d’Aline apparut dans ma mémoire. Son sourire éblouissant.
J’imaginais ses lèvres. Ses yeux, qui semblaient voir au plus profond de mon
cœur, percer les secrets de mon âme. Ses doigts, leur contact sur ma peau.
Son odeur. Tout en me rappelant cela, je caressai l’insecte qui se faisait de
plus en plus fébrile.
       Je sentis qu’on me faisait entrer dans une salle. On me couvrit la tête
d’un drap blanc. Je ne vis plus rien. Le sourire idiot était toujours accroché à
mes lèvres. J’étais dans un état second. Je ne pensais plus à rien si ce n’était
à Aline. Le papillon se mourait dans ma main, étouffé par la force de mes
doigts, manquant d’air frais. Aline ne quittait pas mes pensées. Je la revoyais
encore porter une flûte de champagne à ses lèvres, rire aux éclats, laissant
échapper un son cristallin. Je souris encore. C’était bientôt fini. Le monde
extérieur n’existait plus pour moi. J’accueillais la mort comme si elle eût été
une ancienne amie. Enfin, l’insecte coloré que je tenais dans mes mains
mourut, en même temps que mon âme qui s’envolait comme le papillon que
j’étais.
11



      A midi, le facteur passa dans la prison. Il déposa une enveloppe devant
une cellule vide. Le geôlier, remarquant cette correspondance encombrante,
la ramassa et alla la remettre au directeur de la prison. ‘’Cette lettre est
adressée au détenu David Clontain, Monsieur.’’. L’homme déposa son gros
cigare, et, ennuyé, dit ‘’Eh bien, donnez-la lui !’’ ‘’Impossible monsieur,
répondit le jeune gardien. Il a été exécuté ce matin’’. Un silence s’installa. Le
directeur demanda la lettre, et sans plus attendre, l’ouvrit. Il lut le contenu à
haute voix.

       ‘’David mon ami, si j’ose encore t’appeler ainsi.
       Je sais que j’ai disparu de ta vie, peut-être t’es-tu demandé où ton bon
vieux Jean était passé. Eh bien, aujourd’hui, je redonne de mes nouvelles,
dont une que tu n’apprécieras sûrement pas. Vois-tu, depuis deux ans je vis
avec un remord, une peur, une crainte sur ma tête. Le remord d’avoir
trompé un ami, la peur de ce que j’ai commis, et la crainte que la vérité
surgisse à la surface du jour. Cependant, il le fallait. Je ne pouvais plus
garder cela pour moi. Non seulement cela pesait trop sur ma conscience,
mais je voulais que tu connaisses la vérité. Tu étais trop bon avec moi dans
le passé pour que tu endures cette culpabilité plus longtemps.
       Tu n’as pas tué Aline.
       C’était moi.
       Vois-tu, elle était si belle, si douce, et après que tu te sois couché, elle
me parlait de toi comme une bonne amoureuse. J’étais jaloux, je la voulais,
et l’alcool poussait mes instincts virils. Je l’ai couchée, contre son grès, la
faisant taire avec un couteau sur la gorge. Puis elle a crié, tu ne t’es pas
réveillé, elle a continué, je l’ai achevée.
       Je sens déjà la rage te monter alors que tu lis ses lignes, je vais donc
t’épargner les détails du plaisir que j’ai eu.
       Je sais que tu es en prison. Je sais également que tu peux montrer
cette lettre à un avocat et ainsi gagner ta liberté. Mais crois-moi mon ami, tu
n’arriveras pas à m’attraper. Reste en prison, il ne te reste plus rien. J’ai
repris ta compagnie, ta puissance économique et tes usines. Je suis à
présent un important homme d’affaire à New York, et la minable police
française ne pourra rien contre moi.
       Sur ce, je m’excuse, mon frère, pour tout le mal que j’ai pu te causer.
Je dois t’avouer que je l’ai fait par égoïsme et orgueil, depuis le début. Je
savais que tu réussirais dans ta vie, ainsi je me suis mis avec toi, afin de
grandir également et de te voler par la suite. Pour cela, je devais t’éliminer.
       Cette lettre peut te paraître odieuse, elle l’est. Ne m’en veux pas, c’est
inutile.
       Sir Jean Pierre Emmanuel De Lafayette ’’
Le directeur releva la tête, le gardien avait la bouche bée. Puis, en
poussant un gros soupir, il sortit un papier et une plume, et écrivit une
missive à l’intention du commissaire de justice, signalant une erreur sur
l’affaire Aline Delmare.


                                                                          12

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Le papillon de 3 nuits par stan

  • 1. ‘’Je vais gagner, tu verras !’’ Et elle partit en riant. Après quelques secondes de réflexion, je réalisai qu’elle me défiait à une course. Je souris à mon tour, et courus aussi vite que je pus derrière elle. Du haut de nos huit ans, nous n’allions pas bien vite, mes jambes frêles et chétives me portaient avec difficulté. ‘’Arrête Aline, je suis fatigué !’’ Elle aussi, d’ailleurs. Je voyais qu’elle commençait à ralentir son rythme. Mais elle ne se laissa pas vaincre et se retourna en me tirant la langue. Ce fut une montée d’adrénaline pour moi, et je piquai un sprint, arrivant rapidement à sa hauteur. ‘’Ex aequo’’ me dit-elle. Je regardai en arrière nous venions de traverser tout un champ de blé, et nous nous étions arrêtés à l’entrée d’une clairière à l’ombre d’un chêne massif, on s’allongea sur l’herbe verte fraiche de la saison cueillant par ci par là des marguerites qui jonchaient la prairie. Je ne dis rien, l’instant de récupérer un peu nos forces et retrouver une respiration stable. Aline pantelait, et finit par se redresser. Je fis de même. Elle me proposa d’aller jouer dans la rivière. J’hésitai. L’eau n’était pas profonde, surtout en été, mais l’idée de nous aventurer dans les bois sans parents m’effrayait un peu. Aline rit. Elle riait toujours. Ses petits yeux bleu clair brillant de malice se plissaient, et ses lèvres fines laissaient échapper un son aigu. ‘’Fais pas le bébé, David ’’ ! Ces simples mots suffirent pour me décider. J’acceptai. Peut- être que nous allions faire une bêtise, ou pire, nous perdre dans la forêt. Maman me racontait souvent des histoires sur les ogres et les monstres qui y habitaient. Mais peu importe, je suis un homme maintenant non ? Papa était toujours là pour me le répéter. Je la suivrais partout cette fille. Elle pouvait me mener partout par le bout du nez, je ne dirais rien. Ses petits yeux bleu ciel d’été et cette personnalité remplie d’énergie et de vie m’entrainaient partout. Elle s’allongea dans l’herbe, m’invitant à l’imiter. Je ne fis rien. Je l’observai fermer les yeux pour tomber doucement dans les bras de Morphée, bercée par la brise sereine de la prairie. Au loin, j’entendais la rivière qui coulait, le bruit de l’eau se faufilant entre les roches m’invitant à contempler la merveilleuse symphonie de la nature. Quelques abeilles passaient par là, et je les chassais rapidement afin que leurs bourdonnements ne réveillent pas la jeune fille qui sommeillait à l’ombre d’un soleil radieux. L’air était chaud mais pas lourd, et l’odeur des fleurs dans les prés environnants et du blé s’élevait dans l’air, remplissant mes narines de l’ambiance campagnarde. La brise se mit à souffler, soulevant par moment des mèches de nos cheveux. Les siens étaient d’un blond qui se confondait presque avec le champ de blé que nous venions de traverser. Ils encadraient ses joues blanches et ses pommettes rosies par le bonheur et l’air frais de la campagne. Et soudain, sans même savoir ce qui me prenait ni ce qui m’arrivait, je me penchai sur son visage et déposai un léger baiser sur ses lèvres. Je me redressai rapidement. Elle ouvrit les yeux. Je rougis et détournai les miens. Je ne saurais dire si elle avait réalisé ce que j’avais fait. Je sentis son regard sur ma nuque. Puis, une main sur mon bras. C’était la
  • 2. sienne. Je me retournai. Elle sourit, puis se redressa, et me dit simplement : ‘’Viens, on va chasser des papillons’’. Elle se leva. Et contrairement aux autres fois, elle m’attendit et me tendis la main. Je la pris, et nous repartîmes en direction du champ. Je scrutai les épis à la recherche d’un papillon. Ce n’était pas ce qu’il y avait de plus passionnant à faire, mais je préférais ça que d’aller jouer dans la rivière. Et puis, si ça faisait plaisir à la petite princesse… 1 Enfin, j’aperçus un papillon virevoltant autour d’une fleur un peu plus loin. Il battait rapidement des ailes, laissant apercevoir des couleurs bleues, vertes et jaunes. Doucement, je m’approchai de la fleur et tendis ma main pour m’emparer de l’insecte. Il s’envola, je sautai brusquement pour l’attraper. Ca y est, je le tenais. Il se débattait dans ma paume et je serrai les doigts pour ne pas qu’il puisse s’échapper. ‘’Arrête !’’ C’était Aline qui se précipitait vers moi, terrifiée. Elle ouvrit mes doigts et mit le papillon dans un bocal qu’elle sortait de je ne sais où. ‘’Tu vas le tuer !’’ Je ne comprenais pas. Elle mit un couvercle percé sur le bocal et me prit par le bras. ‘’La vie d’un papillon est éphémère tu vois... Tu ne dois pas les prendre dans ta main comme ça, tu ne connais pas ta force, tu peux le tuer… Il faut laisser vivre cette jolie créature… ‘’ Et en disant ces mots, elle ouvrit le bocal et laissa le papillon s’envoler. Puis elle rit encore, me prit la main et nous courûmes finalement vers la rivière. Je me réveillai en sursaut. ‘’Je’’, avec trente ans de plus, une barbe mal rasée et vêtu d’un pyjama rayé miteux. Dans un soupir, je me redressai sur mes coudes qui peinaient à soulever cette carcasse qui me servait de corps. Je ne me trouvais plus avec Aline, cette fille aux yeux bleus et au sourire radieux qui cavalait dans les champs pendant nos vacances à la campagne. Il n’y avait pas de soleil d’été. Il n’y avait pas de soleil du tout. Le froid et l’humidité imprégnaient les draps du banc en bois moisi qui me servait de lit. Il n’y avait que les hauts murs de ma cellule et un seau en fer rouillé .Je savais que je ne pourrais plus me rendormir. Et pourtant c’était la seule chose à faire. Dormir, fermer les yeux et rêver à une existence meilleure pour dissimuler cette peine et cette honte qui empestaient les lieux. Adossé contre le mur glacial, ma couverture qui tombait en miette, j’observai le petit carré de ciel que m’offrait la minuscule ouverture au plafond noirci de crasse. Je m’imaginais être un papillon pour pouvoir enfin embrasser la liberté. Car elle était là, juste au-dessus de ma tête tellement proche mais inaccessible. Je revécus alors dans mon esprit le rêve que je venais de faire. Un rêve qui remuait les tendres souvenirs de ma jeunesse et Aline … Avec ses cheveux d’or et son sourire resplendissant… Elle me manquait. Mes doigts se crispèrent sur mes genoux à son souvenir. Je repensais au papillon bleu que j’avais attrapé lors de ma jeunesse ainsi qu’au geste généreux d’Aline qui lui avait rendu sa liberté.
  • 3. Le ciel matinal, rosi par les premiers rayons de soleil, se mêlait aux couleurs de l’océan. J’étais sur le pont à contempler l’immensité de la mer et à savourer la douceur du vent caressant ma peau. L’air était délicieusement frais et pur et je sentais une odeur salée me caresser les narines : Pour une fois, la symphonie des vagues régnait seule. “ Plus que cinq jours avant d’atteindre la côte d’Indochine” me dit Jean. Pourtant cela fait un mois que nous naviguions sur ce tas de ferraille chaud et humide à travers le canal de Suez, un mois et deux jours que le bruit assourdissant de la machinerie nous tapait sur le système nerveux. Le navire avait déjà fait halte dans plusieurs ports, mais jamais ils n’étaient notre destination. Ses paroles me réconfortèrent. C’était à nous maintenant. Nous allions enfin descendre de cette embarcation infernale ! Nous n’avions pas eu les moyens d’acheter notre billet pour la traversée, ainsi, nous travaillions dans la section B de la machinerie afin de payer notre trajet. Le capitaine et le mécanicien en chef avaient longuement réfléchi avant d’en venir à cet accord. Jean s’occupait des jauges de pressions et moi de l’entretien des machines. 2 La chaleur y était épouvantable. Le charbon, le suif, la puanteur du métal rouillé et la saleté de l’huile rendaient l’atmosphère encore plus oppressante. La coque du navire, où nous nous trouvions, était sensible à toutes manœuvres maladroites du capitaine. Ainsi, en temps de grosses vagues et de tempête, les conditions de travail se faisaient plus difficiles. Le seul endroit où nos poumons pouvaient se vidanger de l’odeur nauséabonde du métal, amener une bouffée d’air pure et propre, allégeant ainsi l’épuisement de nos corps chauffés à blanc était l’ouverture de la porte supérieure. Celle-ci n’était ouverte que lors des contrôles du mécanicien en chef, ou dans les pires cas, quand un accident arrivait. L’infirmerie se trouvait à l’étage supérieur. Parfois, quand la mer était calme et que nous pouvions nous permettre de quitter notre poste, nous allions voler quelques heures de sommeil dans les hamacs suspendus dans la section d’à côté. L’atmosphère, si ce n’était pour l’odeur, n’y était guère mieux. Notre déjeuner était pris dans les mêmes conditions. Seulement alors, quand le chef était de bonne humeur, quand nous n’avions guère trop de besogne ou que le navire accostait, nous sortions sur le pont, ouvrions les hublots, évacuant les fumées et odeurs pendant que nous savourions un instant de liberté à l’air libre. Cependant, Jean et moi n’étions jamais descendus du bateau. En un mois, jamais nous n’avions posé le pied à terre ferme. Nous étions deux jeunes gaillards âgés de vingt-trois ans chacun, partis si loin de chez nous et tous deux ayant pour même but d’établir un commerce de textile. Si nous n’étions pas trop absorbés par le travail, nous parlions alors de nos projets futurs. ‘’J’aurais ma propre usine’’ me disait mon compagnon ‘’et une petite propriété. Peut-être que je planterai quelque chose dessus, peut-être’’. Et nous partions ainsi dans nos rêves et euphories.
  • 4. Ou alors, quand nous étions las de nous répéter, chacun de nous se consacrait à son activité. Jean passait la majeure partie de son temps libre à fumer une cigarette et cirer sa paire de chaussures. “ Paraît que les filles là- bas sont pas mal du tout” me lança-t-il en riant. Il n’était pas bien grand, Jean, mais large d’épaules et robuste, il avait toujours une cigarette au bec et sa vieille paire de chaussures en cuir dont il ne se séparait jamais. Je l’écoutais en souriant, pensant moi aussi à mes fantasmes longtemps refoulés par l’ardeur du travail, et à la vie de débauche que je mènerais bientôt. ‘’L’argent coulera à flot’’, continuait-il, et l’alcool aussi. J’aurais plus à troquer une clope pour une chemise, ou je ne sais quoi’’. Le jour de notre accostage au port de Saigon, le navire siffla cinq fois. Il était midi. Le soleil était haut dans le ciel bleu où flottaient quelques nuages. L’air était chaud, lourd et humide, au point d’en avoir la migraine. Ma chemise mouillée de sueur attirait les moustiques et les mouches qui voltigeaient autour des poissons à l’odeur nauséabonde qui séchaient sur des paillasses faites de tiges en bambou. Les gens circulaient en pagaille dans la rue, tous piaillant dans une langue incompréhensible. Je ne me sentais pas à ma place, perdu au milieu de cette ville inconnue. Pourtant, j’étais heureux. La chance allait me sourire, je n’étais pas ici pour rien. Jean arriva derrière moi et me tapa sur l’épaule. Je me retournai. Il avait retiré sa chemise crasseuse, laissant voir sa musculature bien développée. Je fis de même, et pour symboliser la fin de ce mois de lourd labeur, jetai cette dernière au coin d’un muret. Je l’observai encore un instant, savourant silencieusement le début de cette nouvelle vie. 3 Enfin, je me retournai vers Jean. Je remarquai des reflets colorés qui brillaient sur sa tête. ‘’Eh, ta un truc dans tes cheveux’’ lui dis-je. Sans attendre, il attrapa la chose et ferma sa main. Je m’approchai pour voir, et distinguai un papillon. Alors, j’ouvris ces doigts et relâchai l’insecte. ‘’Laisse- le vivre. Il est magnifique n’est-ce pas?’’ Soudain l’image d’Aline la fille aux cheveux d’or me revint. Cette fille qui avait joué un rôle tellement important dans ma vie, cette fille remplie d’énergie et de joie de vivre dont je n’ai plus de nouvelle depuis bien longtemps. Je réalisai soudain qu’en quittant ma patrie pour l’Indochine, je l’avais quittée en même temps. Repenser à elle me procura un pincement au cœur. Déjà, je savais qu’elle allait me manquer, qu’elle ne quitterait plus mon esprit. Je me réveillerais tous les jours avec son image dans ma tête, et me coucherais en pensant à elle. Je ne lui avais pas vraiment dit au revoir avant de partir, je n’en avais pas eu le courage. Je me souvenais encore parfaitement de sa mine déçue quand je lui avais annoncé mon projet de voyage. Ses yeux semblaient si malheureux que j’avais envie de la serrer contre moi, lui dire que je resterais ou que je l’emmènerais, et que jamais je ne la quitterais. Mais je n’en avais rien fait. Je m’étais contenté de lui promettre de revenir bientôt. Je poussai un soupir,
  • 5. puis me ressaisis. Je n’allais pas me laisser abattre, ni laisser le passé me rattraper aussi vite. Je me concentrai sur ce que je voyais pour me changer les idées. Je fus soudain frappé par les contrastes et la beauté de la ville. C’était une sorte de miniature de la France, les bâtiments coloniaux ornant les boulevards. Et pourtant, la ville était peuplée majoritairement d’asiatiques. J’observais les vendeurs disposer toutes sortes de produits sur leurs étalages. Nous étions sortis du port, et les poissons furent remplacés par toutes sortes de légumes et fruits qui m’étaient inconnus. Qu’était-ce donc ce gros fruit vert avec des piques ? Je fus étonné de voir les différentes variétés que proposait le marché local. Je reconnus les mangues, vendues à un prix minable, alors que dans mon pays, elles n’étaient accessibles qu’aux bourgeois. Je me réjouissais d’avance aux régals exotiques que me réservait le pays surtout dans les fruits et les épices. Chaque coin de ruelle était décoré de multitude de fleurs exotiques aux odeurs exquises. Nous rentrâmes dans un petit bar ou flottait un léger parfum d’encens. ’L’alcool de riz’’ me dit-il. C’était un homme du pays, et pourtant il n’y avait pas le moindre accent dans sa prononciation. Vêtu d’un gilet gris pale et d’un képi, il fumait la pipe et parlait couramment le français “ De quelle région de France venez-vous ? “ me demanda-t-il. “ D’Aix en Provence” répondis-je. Il constata que c’était loin, effectivement. Je lui posai quelques question sur la ville, les traditions, les différents endroits, et également comment trouver un travail. ‘’Ben, il y a le café qui prend pas mal en ce moment. L’usine la plus proche est à dix minutes d’ici, vers la route Est en dehors de la ville. Si j’étais vous, je me lèverais tôt’’. Je le remerciai. Il fallait réaliser que l’Indochine était un coin où l’économie et le commerce florissaient : Il ne serait pas facile pour Jean et moi de nous y implanter directement. Nous devions d’abord trouver un poste pour garantir un revenu et de quoi vivre avant d’envisager les grandes choses. Je n’avais toujours pas touché à mon verre d’alcool. Le barman le poussa vers moi, m’encourageant à le boire. J’avais vaguement entendu parler de ce fameux alcool de riz. En Occident, les médecins en vantaient les vertus thérapeutiques à petites doses. Les bohémiens disaient en tirer leur motivations et inspiration. Pour ma part, je me fiais peu aux préjugés. Je fixai ce petit verre de deux pouces de haut, et commis l’erreur de le boire d’une traite. L’effet fut immédiat. 4 Le feu me monta aux joues, l’alcool me brûlait les poumons et la gorge. Jean s’esclaffait de rire, pleurant à moitié sur le comptoir. Je l’entendis commander un verre d’eau pendant que je m’étouffais presque, recrachant à moitié ce que je venais d’absorber. Mon ami m’aida à avaler quelques gorgées d’eau, ce qui fit passer la morsure de l’alcool. ‘’Il y a une première fois, toujours !’’ Se moqua le barman. ‘’Allez, je vous en offre un verre, dilué avec un peu de sucre. Buvez lentement, appréciez’’. Je me sentais humilié, et bus une autre gorgée pour faire passer
  • 6. l’amertume. Je repris le verre qu’on me servit, et trempai timidement les lèvres à la surface de la boisson. Puis, je passai ma langue dessus, pour réaliser qu’en fait, cela avait bon gout. C’était toujours fort, certes, mais doux et agréable, presque rafraîchissant. Calmé, je repris mes esprits et me délectai lentement de ce breuvage. Puis une musique se fit entendre. Je me retournai. Au fond de la salle se trouvait une scène que je n’avais pas remarquée en entrant. Elle venait d’être occupée par cinq jeunes filles, toutes européennes, qui entamaient la danse du ‘’French Cancan’’. La musique traditionnelle accompagnait le spectacle. Un autre spectacle suivit, avec quelques chansons populaires françaises. Puis une autre danse. Un pianiste enchaîna sur un air de jazz. Enfin, deux jeunes femmes de cabaret du type ‘’Moulin Rouge’’ montèrent sur scène, emplissant la salle de leur charme et sensualité, dansant sur une musique entraînante. Machinalement, je me mis à battre du pied au rythme de la chanson, avalant du regard ces jeunes femmes dont les robes voltigeaient autour d’elles, laissant voir leurs jambes et leurs bas. Jean me donna un coup de coude. Je savais déjà comment il prévoyait passer sa soirée. Pour ma part, je n’étais pas sûr. Commencer une nouvelle page sur une apparence de luxure ne me plaisait guère. Ainsi, je payais mon dû au teneur de bar, donnai un rendez-vous à Jean et sortit de l’endroit. Le soleil avait depuis longtemps quitté son apogée et semblait à présent flâner paresseusement au-dessus des toits des maisons. Le soir allait bientôt tomber, je n’avais pas vu passer le temps. Je marchais sur le trottoir de ce qui devait être la route principale. Je n’avais pas assez d’yeux pour tout voir. Je m’arrêtai un moment pour observer un temple rouge, dont les piliers de l’entrée étaient ornés de deux dragons jaunes. Un homme vêtu d’un vêtement traditionnel accrochait des lampions aux formes curieuses sur le haut du portail. Je continuai mon chemin au fur et à mesure que le soleil tombait. Je passai devant un marché. Ce n’était plus des fruits et des légumes que l’on vendait, mais des bricoles de tout genre. Des marchands ambulants proposaient des amulettes, des statues de telle et telle idole. Un homme proposa de me faire mon portrait, je refusai gentiment. Des odeurs parvenaient à mes narines, je vis des marchands de soupes, de nouilles, ou de tous autres mets locaux donc je ne connaissais ni le nom, ni le goût. Certains me tentaient, d’autres moins. Là-bas, un gros homme tenait un étalage de viande. Ici, une jeune femme proposait de la soie de Chine. D’un côté, on parlait français, je saluai donc le groupe d’individus. Il y avait toutes sortes de musiques qui résonnaient à chaque coin des rues, le tout mêlé à un brouhaha d’une langue étrangère dont je ne comprenais un mot. L’ambiance me parut soudain animée, la ville devint vivante. Les gens vêtus de toutes les couleurs marchaient et me croisaient. Deux jeunes femmes locales se tenaient par le bras, vêtues de longues robes turquoise assorties d’un bas blanc. Un couple d’Européens en costume du soir se hâtait vers le cinéma qui se trouvait en bas de la rue. 5
  • 7. Je n’avais jamais vu pareille exaltation dans une ville. Les lampions suspendus à des fils croisés à travers la rue éclairaient les passants de lueurs colorées. J’observais les inscriptions qui s’y trouvaient, et remarquai d’autres affiches et panneaux. Certaines étaient en français, d’autres affichaient des dessins incompréhensibles. Je laissai donc l’émerveillement de l’inconnu et la nouveauté me submerger. Je me sentis soudain comme un enfant en extase devant une vitrine de jouets. La ville était illuminée de centaine de lanternes de soie rouge qui dominaient le ciel étoilé, le tout accompagné de la fraîcheur exaltante de la nuit, les bâtiments coloniaux et somptueux reflétaient toute la splendeur d’une cité prospère qui ne connaissait pas la faim. L’opéra se dressait majestueusement au centre de la ville où circulait une population remplie de joie, tous réunis pour fêter le nouvel an qu’ils nomment le “Têt”. Je continuai de cette manière à flâner dans la ville, admirant tout ce que je voyais. Soudain, un bruit assourdissant se fit entendre, accompagné d’acclamations. Des ‘’Oh!’’ et des ‘’Ah!’’ s’élevaient de la foule. Je suivis le regard de cette dernière vers le ciel. Des feux d’artifice avaient été allumés en l’occasion de la fête. Un, puis deux, et un troisième et ce fut toute une série de magnifiques jets de lumière qui éclaira la nuit pacifique. Je souris. Un coup de coude de mon voisin me ramena à la réalité. ‘’Eh mec, si tu manges pas, j’le veux bien’’. C’était mon voisin, un autre interne, qui me demandait mon assiette de midi. Je regardai autours de moi. Je ne me trouvais ailleurs que dans le réfectoire de ma prison, aux habituels murs blancs. La peinture s’écaillait avec l’humidité et les moisissures. Ses fenêtres étaient grillées de lourds barreaux en fer. ‘’Vas-y, j’ai pas faim’’. Je poussai mon assiette vers lui et me levai. Normalement, après les repas, chaque prisonnier avait le droit de sortir dans la cour profiter de l’air, faire quelques exercices ou autre. Pour ma part, je remontai dans ma cellule froide. L’air était filtré par un rayon de soleil qui pénétrait par la petite ouverture au plafond. Je m’assis sur ma paillasse et pris sur mon bureau une craie blanche. Sur le mur, je traçai un trait. Un jour de plus dans cette existence de bagnard. ‘’Un jour de moins à vivre...’’ murmurai-je. La réalité me frappa brutalement. Un jour de moins à vivre. Ces mots résonnaient dans ma tête, laissant une trace morale amère et terrifiante. Je m’étais promis de ne pas finir dans une crise hystérique de dépression quand le moment fatal arriverait. Je voyais souvent ces jeunes à qui la vie avait réservé le même sort funeste passer devant ma cellule avant leur dernier instant. Ils criaient, appelaient désespérément leur mère, pleuraient les dernières larmes de vie, priaient Dieu une dernière fois pour le pardon de la vie ténébreuse qu’ils avaient menée. Pathétique, ce n’était pas ainsi qu’Il allait sauver le salut de leur âme, et encore moins les garder en vie.
  • 8. Demain... Demain déjà. Demain dès l’aube, je ne serais plus. Mais quelle importance si c’est pour vivre dans ce monde obscurci par l’injustice et la haine ? Quand la sentence avait été prononcée le jour de mon jugement, ces mots me semblaient insignifiants, frivoles, abstraits. Aujourd’hui, ils prenaient soudainement beaucoup d’ampleur. Demain, je mourrais. Je ne dormis pas de la nuit, envahi par mes remords et mes pensées. Je ruminai mes souvenirs, les bons, les mauvais, et celui de sa mort. 6 L’excitation montait en moi comme une lave dans le cratère d’un volcan proche de son éruption. J’avais rendez-vous avec Aline, après plusieurs années de séparation et de correspondance fougueuse. Je regardai autour de moi, admirant Paris en fin d’après-midi. J’étais en avance au rendez-vous. Ma foi, je ne tenais plus sur place dans mon appartement à tourner en rond, attendant impatiemment l’heure des retrouvailles. Il fallait que je sorte, prenne l’air pour libérer le stress qui grandissait en moi. J’avais d’abord lorgné le bord de la Seine, respirant à plein poumons l’odeur de cette ville exaltant le bonheur et de douces promesses. Puis, je m’arrêtai au Grand Café Parisien, prenant une table pour deux sur la terrasse. De ce point, nous pourrions avoir une vue imprenable sur la ville des lumières et la tour Eiffel. Je m’assis sur un siège en liège en attendant mon amie. La délicieuse odeur du café que j’avais commandé me chatouillait les narines. J’en pris une gorgée. La serveuse passa, me demanda si ‘’Monsieur était servi’’. Je lui commandai un panier de pain, et l’avertis que je resterais pour diner. Elle sourit, nota le numéro de ma table et ma commande, et s’en alla. Je posai mon regard sur la somptueuse et imposante tour en métal, et laissai mon esprit vagabonder. Un vent léger soufflait, les nuages couvraient le soleil qui s’apprêtait à finir sa course, l’air était frais. Tout semblait parfait. Puis, je sentis des mains se poser sur mes épaules, remonter vers mon cou, glisser le long de mes bras. Une odeur de parfum suave envahit mon sens olfactif. Une mèche de cheveux couleur blé doré tomba devant mes yeux quand Aline se pencha pour déposer délicatement un baiser sur la joue. Mon cœur manqua un battement. Elle était là ! Elle, ma meilleure amie, mon amour d’enfance, ma confidente, ma sœur! Je me levai d’un coup, heureux comme Ulysse, l’admirai, la dévorant du regard, réalisant qu’elle était réelle, qu’elle n’était plus un souvenir que j’essayais de refouler. Son sourire illuminait son visage, les bras légèrement écartés, heureuse, belle, somptueuse. Sa robe blanche et son châle assorti lui allaient à merveille et la lumière du soir tombant semblait placer une aura autour de son corps aux courbes parfaites. Je crus, un instant, qu’elle était l’apparition d’Aphrodite elle-même. Puis, je revins sur terre. Je m’approchai d’elle, pris délicatement ses mains comme si elles eussent été en cristal, et les baisai doucement. Elle rit,
  • 9. puis me fit la bise. Sa joue chaude et rouge contre les miennes me procura une sensation de chaleur familière, comme un gouffre de manque qu’on viendrait subitement de remplir. Je tirai sa chaise et l’aidai à s’installer. Nous engageâmes d’abord la conversation comme deux amis qui ne s’étaient vus depuis hier, puis la profondeur, l’émotion, la joie des retrouvailles prit le dessus. ‘’Comment te portes-tu? Saigon, comment était-ce? J’ai entendu dire que le pays est magnifique. Oh David, hâte toi donc, raconte-moi!’’. Je fus un instant interloqué par ces manières hautaines de bourgeoise parisienne. Décidément, l’étranger m’avait fait oublier les notions de grande politesse. Je fis de mon mieux pour ne pas paraître paysan aux yeux de cette dame chic. ‘’Eh bien’’, commençai-je. Et je me mis à narrer mes aventures, les anecdotes, mon arrivée, ma vie, la ville coloniale, les gens d’Asie, j’oubliais des détails, aussitôt, je revenais en arrière, et elle riait bien de mes maladresses. Ses lèvres s’étiraient jusqu’à ses oreilles, laissant paraître des dents blanches et parfaitement alignées, entourées de lèvres fines et naturellement roses. La servante apporta le panier de pain. 7 Nous réclamâmes le menu, commandâmes du champagne, mangeâmes ainsi au nom de nos retrouvailles. La soirée fut belle, éclairée par les lumières de la ville et embellie par notre euphorie. Nous quittâmes le café/restaurant vers neuf heures et partîmes faire un tour sur les pavés de la ville. Elle me prit le bras, je l’entrainai vers la Seine, elle réclamait les boulevards, les ponts. Nous rîmes aux éclats, dérangeant les maisonnées qui dormaient, traversâmes les arrondissements, et quand nous fûmes fatigués, descendîmes dans un bistrot de son choix. Elle me dit qu’elle venait souvent ici, son cousin en était le propriétaire. Nous commandâmes une boisson alcoolisée rafraichissante. Mademoiselle prit un Shirley Temple, pour ma part, je choisis un cidre doux. Puis l’ultime question féminine. ‘’Avais-tu quelqu’un d’autre?’’. La réponse fut non. ‘’Tu mens’’, disait-elle en riant. Nous étions grisés, et tout nous semblait hilarant. Je lui jurai que je disais vrai, que je n’avais eu aucune amante, ni même une fille de joie, encore moins un baiser volé â une quelconque jolie demoiselle facile. Elle me crut, et rougit. Nous bûmes encore. Les effets de l’alcool nous paraissant trop faibles, nous prîmes des boissons plus fortes. Ainsi, nous passâmes du cidre à la bière, puis du vin aux liqueurs. Le rouge montait aux joues de madame, sa peau était brûlante au contact de la mienne. Nos jambes se frôlaient, nos regards se firent furtifs, embarrassés. Puis enfin, nous oubliâmes toute pudeur et nos lèvres se joignirent. D’abord cela ressembla plus à effleurement, puis ce fut plus passionnée, fougueux, elle en redemandait, je la satisfaisais. Nous avions deux longues années d’absence à rattraper. Le bar fermait. Nous étions saouls, et sortîmes dans la rue. Je la soutenais par la taille, savourant l’agréable pression de sa tête contre mon épaule, ses doigts qui s’agrippaient à mon bras, m’enivrant encore de sa voix qui me contait sa vie de jeune parisienne. Je lui parlai de Jean, elle
  • 10. demanda à le voir et nous allâmes chez lui. L’heure tardive de notre visite ne le dérangea pas le moins du monde, il fut même content de me revoir, ainsi que celle dont je lui avais si longtemps parlé. ‘’C’est un plaisir Madame, enfin! Croyez-moi. Mais s’il vous plaît, entrez, faites comme chez vous!’’ Et nous nous assîmes autour de la cheminée, contant nos aventures au coin du feu. La chaleureuse ambiance fut encore arrosée d’une bouteille entière de scotch et de whiskey qu’avait gardé Jean pour l’occasion. Madame ne voulut boire, déclamant que c’était trop fort. Nous parlâmes encore de notre réussite, de nos investissements futurs. Nous discutâmes politique, et Madame s’ennuyait, ainsi nous parlâmes de la vie, envisageâmes des vacances. Jean vivait les prémices de l’amour avec une jeune institutrice, aussi rêvait-il déjà d’une famille. Quand les douze coups de minuit sonnèrent, la princesse aux cheveux d’or déclara être fatiguée. Nos appartement étant trop loin, et jugeant imprudent de traverser Paris seuls à une heure si tardive, sans compter l’état dans lequel nous nous trouvions, Jean proposa que nous passions la nuit chez lui. Elle refusa. Elle réclamait sa chambre, prétendait qu’elle dormait mal ailleurs. Je ne voulus la laisser repartir seule, lui promit qu’elle pourrait avoir une chambre pour elle et son intimité. Elle se plaignit, tapa du pied. L’alcool influait son tempérament. Elle semblait irraisonnable, enfantine, piqua une colère, cria, et me frappa. Puis, ce fut à mon tour, emporté par la trop grande quantité d’alcool dans mon sang, de m’énerver. Je pris son bras, le serrai, elle eut mal, je la laissai partir. 8 La culpabilité me gagna tout d’un coup. Un papillon de nuit entra par la fenêtre battant furtivement les ailes et vint se poser sur la robe d’Aline. Elle s’arrêta un moment, fixa l’insecte, perplexe. Puis, d’un geste de rage, le chassa. Je fus étonné, elle qui d’habitude était si douce avec les animaux. Elle vociféra encore de toute sa force des propos malhonnêtes. Jean vint s’en mêler, il prit Aline à part, l’assit sur un fauteuil et lui apporta un verre d’eau. Bien qu’il soit aussi ivre que moi, il semblait plus en contrôle de lui. Finalement, nous convînmes que nous allions tout de même rentrer. Mon appartement étant le plus proche, nous décidâmes que nous y passerions la nuit. Aline consentit, disant que de toute façon, nous étions tous pareils, et que la femme resterait à jamais soumise aux hommes. Je voulus protester, lui dire qu’elles étaient nos reines, puis jugeai plus sage de me taire. Le chemin du retour fut silencieux. Jean nous accompagnait. Elle m’avait laissé et lui prenait le bras, à lui. Dans mon coin, marchant légèrement en retraite, je réfléchissais à mes actes, à la soirée magnifique qui sombrait dans une malheureuse dispute causée par l’alcool. Je me sentis lâche, désespéré, je me battais contre moi-même, me maudissant d’avoir été injuste. Je fus triste en pensant à mon geste violent envers Aline. Les regrets et les remords me prirent, je voulus rejoindre mon amie et m’excuser, je ne fis rien, tétanisé par la honte. Je la vis rire avec Jean, j’étais jaloux. Une
  • 11. nouvelle bouffée de rage monta en moi, je fis un effort pour me contrôler, et retombai dans mes songes. Je ne remarquai pas quand nous arrivâmes chez moi. Jean monta avec nous. Je les laissai causer un peu, recommandant à Aline de ne pas se coucher trop tard ou cela nuirait à sa santé. Elle m’ignora, je pris congé, lui souhaitai bonne nuit et allai me coucher. Je m’endormis comme une masse. Puis le drame arriva. Le lendemain, je quittai mon lit de bonne heure, fis ma toilette, puis sortit de ma chambre. Je n’avais aucun souvenir du soir précèdent. Aline était venue chez moi... Nous nous étions disputés? Ou non, c’était l’inverse peut-être. Bref, peu importe. J’avais l’intention d’aller m’excuser auprès de la belle, essayer de me faire pardonner pour le mal que j’avais commis le soir précédent et dont je ne gardais qu’un vague souvenir éphémère. J’avais, par ailleurs, oublié que Jean se trouvait avec nous le soir. Je ne la trouvai pas dans la chambre d’ami. Alors pensant qu’elle s’était endormie dans le salon, je m’y rendis, et ne trouvai rien. Son manteau était pourtant posé sur mon fauteuil. Peut-être était-elle rentrée chez elle? Ce serait compréhensible. La faim et la migraine me tenaillaient, et je sortis Aline de mes pensées un moment, me dirigeant vers la cuisine. Elle était là. Par terre, baignant dans son sang, sa robe déchirée, uniquement vêtue de ses bas et de son corset. Elle n’existait plus. Mon cœur parut défaillir, ma respiration se bloqua, je suffoquais. Que se passait-il? Je me retins à une commode pour ne pas tomber, et m’assis à terre. Je remuais mes méninges, essayant de comprendre pourquoi, en me levant, je trouvais ma bien aimée sans vie dans ma cuisine. L’avais-je tuée? Moi? Impossible! Je chassai cette supposition de ma tête, mais elle revint bien vite. 9 Je ne me souvenais pas de la soirée, donc peut-être que j’étais le coupable! Peut-être, dans un élan de colère, poussé par l’alcool, j’avais commis ce crime impardonnable! Et pire, sa robe, ses vêtements, son corps presque nu, l’avais-je violée? L’avais-je souillée le dernier soir de sa vie? Je pris ma tête dans mes mains, et pleurai avant de réfléchir plus loin. J’appelai la police. Elle me dit d’attendre, de ne pas toucher le corps. Pourtant, je ne pus m’en empêcher, et soulevai la tête d’Aline, embrassai ses paupières closes, ses lèvres fades, j’ouvris ses yeux, ils étaient vitreux. Son corps pâle et inanimé me faisait peur. Je la serrai contre moi, criai son nom, la priai de se relever, de me dire que ce n’était qu’une farce. Mais je ne tenais contre mon cœur qu’une magnifique poupée raide et finie. Je caressai ses cheveux, lui murmurant des mots doux, la berçant, espérant qu’elle allait se réveiller. Je touchai sa peau, ôtai le reste de ses vêtements. Un instant, j’admirai ce corps dont j’avais honteusement profité le soir précédant, mes
  • 12. yeux suivirent les courbes parfaites et harmonieuses. Puis en remarquant les ecchymoses sur la surface de sa peau, mes sanglots reprirent. Je me lamentai, me traitant de tous les noms, maudissant Dieu, appelant Satan à l’aide, je me comparai à un monstre, non, pire! Au diable. Puis je me calmai, et posai ma tête contre son front. Un brin de chaleur coulait encore sous sa peau; je ne l’avais donc pas tuée depuis longtemps. Et pourtant, c’était impossible! Je l’aimais trop, jamais, au grand jamais je n’aurais pu faire une telle chose. La police ne tarda pas à arriver. Je leur ouvris la porte, meurtri par la scène que je venais de voir. On me posa des questions. Oui, nous étions seuls hier. Non, personne ne l’avait vue après que je m’étais couché. Non, personne d’autre ne se trouvait dans l’appartement. Je balbutiais, reprenais mes réponses, me trompais. J’avouai enfin que je ne gardais qu’un faible souvenir, trop grisé par l’alcool. L’officier me dévisagea d’un œil suspicieux. On me dit d’attendre, de ne pas quitter l’appartement. On enveloppa le corps d’Aline et l’emporta. On ne nettoya pas le sang. Je restai chez moi, enfermé dans ma chambre. Je n’en avais pas la force, et deux officiers restèrent avec moi. Puis le soir vint. On venait m’arrêter. Apparemment, tous les évidences et indices m’indiquaient comme coupable. Je ne comprenais pas, mais je suivis docilement, portant en moi une douleur trop grande pour me soucier de mon propre sort. Les premiers rayons de soleil vinrent réchauffer les pierres froides de ma cellule, perçant l’humidité de l’air par le premier souffle de l’aube. Je soupirai. C’était la dernière fois que je verrais le soleil se lever. Je crus un instant que j’allais pleurer, mais je n’avais plus d’âme, ni de cœur pour laisser place à la faiblesse. Je n’avais pas dormi de la nuit, mes souvenirs de ma vie déjà antérieure me tourmentaient trop. Le geôlier devait venir me chercher à neuf heures du matin. A la base, mon exécution devait avoir lieu en début d’après-midi. J’avais refusé, ne voulant pas commencer une journée sans jamais pouvoir l’achever. Il était très tôt encore, et je n’en avais pas finis avec mes lamentations. On me voulait mort, pensant que cela était une peine proportionnelle à mon crime. Ils avaient tort. Je portais le deuil et la culpabilité de la mort d’Aline si profondément en moi que me laisser vivant serait encore plus cruel. D’ailleurs, je préférais cela. Mourir lentement, à petit feu, tuer par son propre remord. L’exécution ne ferait qu’abréger mes souffrances. Je me tournais vers le mur sur lequel j’avais inscrit chaque jour de ma pénitence. Je les comptais, un par un, prenant tout le temps qui me restait. 10 Deux ans, à peu près, s’étaient écoulés. Deux ans dans la solitude, qui m’avaient endurci et avaient retiré toute trace d’humanité dans mon existence. Enfin, à 8 heures, on vint me chercher. Je ne comprenais pas cette avance, avait-on hâte de me voir partir, servir de pâture aux bêtes du sol? Je
  • 13. suivis néanmoins docilement le bourreau. ‘’Alea jacta est...’’ murmurai-je. Les dés étaient lances, je ne pouvais revenir en arrière. Ce n’était plus qu’une question de minutes. Dans moins d’une heure, il ne resterait plus que mon nom et mon corps sans vie dans ce monde cruel et terrifiant. Je sortis une dernière fois de ma cellule. J’eus presque un sourire en la regardant, à la fois soulagé de la quitter, et appréhendant la suite. Soudain, tout me parut diffèrent. Les autres internes me fixaient du regard à travers leur cellule. Certains, compatissants, me faisaient un signe de tête. D’autres, moqueurs, me lançaient les dernières insultes. Je n’avais pas besoin de leur peine, la mienne était déjà suffisamment lourde et je ne voulais la partager. Le couloir qui traversait le bâtiment me parut interminablement long. Je fixais le sol, là où je posais mes pieds, marchant lourdement, savourant mes derniers pas de la vie vers la mort. Nous dûmes traverser la cour. L’air était lourd aujourd’hui, le soleil s’était caché derrière un nuage gris. Je levai les yeux vers le ciel. Il n’allait pas pleuvoir. Alors, sans réfléchir, je demandai au gardien ‘’Eh, j’peux m’assoir deux secondes?’’ Il hésita, réfléchit, puis, comprenant les dernières volontés d’un futur défunt, accepta. Je m’assis alors à même le sol, et plongeai mes doigts dans la terre, profitant un dernier instant de ce monde matériel. L’odeur du gazon monta dans mes narines. Je baissai la tête, laissant le vent fouetter mes cheveux. Puis je sentis quelque chose sur mon oreille. Doucement, je passai ma main. La chose se mit alors sur mes doigts. C’était un papillon. Je fus surpris de le voir, puis attendri. Tous les moments de ma vie filèrent alors devant mes yeux. Je me levai, le papillon restait dans ma main. Le gardien me poussa en avant. Il me fit traverser le terrain, et marcher à travers un autre couloir qui me sembla encore plus long. Mes yeux étaient rivés sur l’insecte qui battait faiblement des ailes, un léger sourire béat, absent, sur mon visage. Le visage d’Aline apparut dans ma mémoire. Son sourire éblouissant. J’imaginais ses lèvres. Ses yeux, qui semblaient voir au plus profond de mon cœur, percer les secrets de mon âme. Ses doigts, leur contact sur ma peau. Son odeur. Tout en me rappelant cela, je caressai l’insecte qui se faisait de plus en plus fébrile. Je sentis qu’on me faisait entrer dans une salle. On me couvrit la tête d’un drap blanc. Je ne vis plus rien. Le sourire idiot était toujours accroché à mes lèvres. J’étais dans un état second. Je ne pensais plus à rien si ce n’était à Aline. Le papillon se mourait dans ma main, étouffé par la force de mes doigts, manquant d’air frais. Aline ne quittait pas mes pensées. Je la revoyais encore porter une flûte de champagne à ses lèvres, rire aux éclats, laissant échapper un son cristallin. Je souris encore. C’était bientôt fini. Le monde extérieur n’existait plus pour moi. J’accueillais la mort comme si elle eût été une ancienne amie. Enfin, l’insecte coloré que je tenais dans mes mains mourut, en même temps que mon âme qui s’envolait comme le papillon que j’étais.
  • 14. 11 A midi, le facteur passa dans la prison. Il déposa une enveloppe devant une cellule vide. Le geôlier, remarquant cette correspondance encombrante, la ramassa et alla la remettre au directeur de la prison. ‘’Cette lettre est adressée au détenu David Clontain, Monsieur.’’. L’homme déposa son gros cigare, et, ennuyé, dit ‘’Eh bien, donnez-la lui !’’ ‘’Impossible monsieur, répondit le jeune gardien. Il a été exécuté ce matin’’. Un silence s’installa. Le directeur demanda la lettre, et sans plus attendre, l’ouvrit. Il lut le contenu à haute voix. ‘’David mon ami, si j’ose encore t’appeler ainsi. Je sais que j’ai disparu de ta vie, peut-être t’es-tu demandé où ton bon vieux Jean était passé. Eh bien, aujourd’hui, je redonne de mes nouvelles, dont une que tu n’apprécieras sûrement pas. Vois-tu, depuis deux ans je vis avec un remord, une peur, une crainte sur ma tête. Le remord d’avoir trompé un ami, la peur de ce que j’ai commis, et la crainte que la vérité surgisse à la surface du jour. Cependant, il le fallait. Je ne pouvais plus garder cela pour moi. Non seulement cela pesait trop sur ma conscience, mais je voulais que tu connaisses la vérité. Tu étais trop bon avec moi dans le passé pour que tu endures cette culpabilité plus longtemps. Tu n’as pas tué Aline. C’était moi. Vois-tu, elle était si belle, si douce, et après que tu te sois couché, elle me parlait de toi comme une bonne amoureuse. J’étais jaloux, je la voulais, et l’alcool poussait mes instincts virils. Je l’ai couchée, contre son grès, la faisant taire avec un couteau sur la gorge. Puis elle a crié, tu ne t’es pas réveillé, elle a continué, je l’ai achevée. Je sens déjà la rage te monter alors que tu lis ses lignes, je vais donc t’épargner les détails du plaisir que j’ai eu. Je sais que tu es en prison. Je sais également que tu peux montrer cette lettre à un avocat et ainsi gagner ta liberté. Mais crois-moi mon ami, tu n’arriveras pas à m’attraper. Reste en prison, il ne te reste plus rien. J’ai repris ta compagnie, ta puissance économique et tes usines. Je suis à présent un important homme d’affaire à New York, et la minable police française ne pourra rien contre moi. Sur ce, je m’excuse, mon frère, pour tout le mal que j’ai pu te causer. Je dois t’avouer que je l’ai fait par égoïsme et orgueil, depuis le début. Je savais que tu réussirais dans ta vie, ainsi je me suis mis avec toi, afin de grandir également et de te voler par la suite. Pour cela, je devais t’éliminer. Cette lettre peut te paraître odieuse, elle l’est. Ne m’en veux pas, c’est inutile. Sir Jean Pierre Emmanuel De Lafayette ’’
  • 15. Le directeur releva la tête, le gardien avait la bouche bée. Puis, en poussant un gros soupir, il sortit un papier et une plume, et écrivit une missive à l’intention du commissaire de justice, signalant une erreur sur l’affaire Aline Delmare. 12