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SOCIÉTÉ
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Inauguration du
viaduc du carrefour
de l'aéroport
Par Joe A. Jn Baptiste
Pierre Louis Opont
se décharge
HAÏTI / LÉGISLATIVES / SÉCURITÉ
Les autorités globalement satisfaits
par Joe Antoine Jn-Baptiste
LUNDI 10 AOÛT 2015 NUMÉRO 57
WWW.LENATIONAL.HT
QUOTIDIEN • 25 gourdesRÉPUBLIQUE D’HAITI
ACTUALITÉ
HAÏTI / ÉLECTIONS LÉGISLATIVES
Le président du Conseil électoral provisoire, Pierre Louis Opont./ Ruben Chéry
Les autorités, tant gouvernementales qu’électorales, sont unanimes à admettre que le
premier tour des législatives s’est bien déroulé. Le président de la République Michel
Joseph Martelly, le Premier ministre Évans Paul et le président du Conseil électoral
provisoire, Pierre Louis Opont, se sont accordé un satisfecit malgré les nombreux cas
d’irrégularités et de fraudes enregistrés dans plusieurs centres et bureaux de vote du
pays.
L
e président de la République,
Michel Joseph Martelly, a
exprimé sa satisfaction quant
au déroulement des opérations
de vote. « Le processus se déroule
bien. Jusqu’à aujourd’hui, j’ai constaté
que la population manifeste un grand
intérêt à participer aux élections ». Le
chef de l’État a fait cette déclaration au
moment de laisser le lycée national de
Pétion Ville où il a voté.
Il a en outre ajouté qu’après cette
journée électorale tous les secteurs
et acteurs impliqués dans le
processus pourront mieux préparer
l’élection présidentielle. Il n’a pas
manqué d’inviter la population à
suivre son exemple qu’il qualifie de
démocratique. « Les législatives et
sénatoriales partielles ont eu lieu.
Dès 9 heures 30, 90 % des bureaux
de vote étaient installés et 92 % des
matériels disponibles. Globalement,
le Conseil électoral provisoire est
satisfait du déroulement de la
journée électorale ».
Des observateurs
qui n'observent rien
par Noclès Débréus
Des centres de vote
fractionnés
par Stephen Ralph Henri
2. 2 | N0
57 LUNDI 10 AOÛT 2015
TRIBUNE
L
a parité en politique – en tant
que revendication féministe
– est étroitement liée à
l’émergenceduféminismesous
sa forme organisée. Particulièrement
avec la création de la Ligue féminine
d’action sociale (LFAS) au début
du XXe siècle. Néanmoins, au XIXe
siècle, malgré l’exclusion des femmes
des sphères politiques formelles,
beaucoup ont influencé la vie
politique en s’appuyant sur leur rôle
social traditionnel (épouse de, sœur
de, copine de).
Rézia Vincent (sœur du président
Sténio Vincent) représente un
modèle positif. Dans les années
1930, elle entame une « vaste
politique du care » avec la
création de structures comme
l’Œuvre des enfants assistés ou
la Caisse d’assistance sociale
(qui existe aujourd’hui encore).
Rézia Vincent a aussi milité pour
l’éducation des filles des milieux
modestes, en appelant en Haïti
la congrégation religieuse des
Salésiens et Salésiennes . Si les
pratiques de care des femmes
de pouvoir représentent une
alternative face aux logiques
politiques majoritaires au XIXe
et début du XXe siècle, elles
n’ont pu réparer les injustices
sociales systémiques qui n’ont
fait que s’accentuer au cours du
développement historique global.
Ce qui n’est pas étonnant en tout
cas, puisque la lutte pour les
droits humains doit s’inscrire
dans la durée.
Il existe également des femmes
de pouvoir – plus controversées
– comme Joute Lachenais qui
réussit deux carrières de Première
dame qui totalisent trente-six
ans (1807-1843) . Elle épousa le
président Alexandre Pétion (1806-
1818) puis son successeur Jean-
Pierre Boyer (1818-1843).
Les historiens affirment que
Joute Lachenais a très habilement
poussé le président Pétion à
désigner Boyer comme son
successeur. Ce dernier était par
ailleurs son amant. Les historiens
(majoritairement des hommes) lui
ont collé une étiquette d’intrigante
et de femme de mœurs légères. Les
travaux féministes lui font peu de
place. Comme Rézia Vincent, elle
ne s’est pas servie de son pouvoir
pour améliorer durablement la vie
des plus pauvres.
Je n’ai pas de position tranchée
sur cette question. Avec du
recul et de l’expérience, je
ne cherche plus des modèles
féministes purs. Il faudrait sans
doute se démarquer d’un certain
angélisme idéologique et se placer
dans une position plus critique
(en tenant compte du contexte
sociohistorique) pour comprendre
que ce sont des femmes engagées
à corps perdu dans des logiques
qu’elles ont essayées de contrôler
avec les ressources matérielles et
les valeurs dont elles disposaient.
Ce qui n’exclut pas pour autant
la valorisation ou l’identification
à des figures féminines, plus en
accord avec les valeurs politiques
féministes.
La Ligue féminine d’action
sociale (LFAS) signe un tournant
important dans la mesure où
les femmes se donnent un outil
politique pour combattre les
discriminations qui les touchent
spécifiquement. Du même coup,
la participation des femmes
aux espaces de pouvoir devient
une revendication politique, et
désormais un enjeu des luttes
féministes. Créée en 1934, la
Ligue est à l’origine de nombreux
acquis en matière de droit des
femmes : l’autonomie des femmes
dans le mariage, le droit des filles
à l’éducation, le droit de vote et
l’accès des femmes aux postes de
décision. La bataille la plus longue
et la plus ardue de l’organisation
féministe concerne les droits
politiques des femmes. Après
deux échecs cuisants en 1938 et
1946, la LFAS déploie une vaste
mobilisation politique. S’alliant
à la fois le soutien des syndicats
féminins (les forces socialistes
sont alors en pleine émergence)
mais aussi de quelques hommes
politiques progressistes, dont
Dantès Bellegarde (président de
l’Assemblée nationale en 1950),
Étienne Charlier (président du
Parti socialiste), Édouard Tardieu
(directeur du journal L’Action
sociale), etc. Dans son combat
en faveur des droits politiques,
la Ligue a également bénéficié
du soutien des organisations
féministes internationales.
Principalement la Ligue
internationale des femmes pour
la paix. La stratégie politique
de la Ligue féminine se révélera
payante, puisque la Constitution
de 1950, qui institue le suffrage
universel, accorde à tout Haïtien
âgé de 21 ans accomplis, sans
distinction de sexe, les droits
politiques. Toutefois, selon les
prescrits de cette constitution,
les femmes ne pourront voter que
trois ans après leur participation
aux élections municipales. Cette
constitution induit donc l’idée
d’un accès graduel des femmes
aux droits politiques. Dans la
réalité pratique, les femmes votent
pour la première fois aux élections
de 1955, mais uniquement au
niveau municipal. Plusieurs
femmes se porteront candidates
aux postes municipaux. Deux
ont été élues maires et six autres
maires assesseurs . Les femmes
votent aux élections générales de
1957. Soulignons également la
nomination de Lydia Jeanty au
poste de sous-secrétaire d’État
au département du Travail sous
la présidence de Franck Sylvain
(7février 1957-2 avril 1957). Elle
ne reste en poste que cinquante-
six jours, c’est-à-dire le temps du
mandat de Franck Sylvain . Et peu
après, une dictature s’installe dans
le pays empêchant les femmes,
comme les hommes, d’exercer
leurs droits politiques.
Avec la dictature, le viol, la torture,
l’emprisonnement arbitraire, l’exil
des femmes... deviennent une
arme de terreur, donc une arme
politique. Yvonne Hakim Rimpel,
militante de la Ligue féminine,
et Ghislaine Charlier, du journal
l’Indépendance, comptent parmi
les premières victimes de la
dictature des Duvalier.
Toute mobilisation politique
étant réprimée de l’intérieur,
des femmes s’engagent dans la
résistance civile à l’étranger. Dans
la foulée, certains membres de la
Ligue féminine s’exilent. D’autres
intègrent l’administration
publique pour se consacrer à la
prise en charge des personnes
vulnérabilisées par des rapports
sociaux de plus en plus injustes.
Lydia Jeanty est appelée au
poste de ministre conseiller à
l’ambassade d’Haïti à Londres
au début du règne des Duvalier.
Selon Jasmine Claude Narcisse,
elle a quitté ses fonctions au
bout de sept mois. Et puis, ce
n’était qu’une goutte d’eau dans
un océan. L’appareil étatique
duvaliériste était largement
occupé par des hommes. Les
dictatures sont essentiellement
des pouvoirs virils. Ce qui n’exclut
pas la collaboration de certaines
femmes.
Avec la chute de la dictature, la vie
associative et syndicale connaît
un foisonnement particulier. Des
organisations de femmes sortent
de la clandestinité dans laquelle
elles fonctionnaient jusque-là. De
nouvelles organisations émergent
aussi . La parité en politique, en
tant que revendication, rejaillit
dans la foulée. Cette revendication
s’est clairement exprimée à
travers la marche du 3 avril qui
réunissait plus de 300 mille
femmes. Toujours dans la foulée
de la mobilisation féministe, la
Constitution de 1987 consacre le
principe de l’égalité des droits.
Mais notons que les revendications
féministes ne peuvent fleurir
que dans un cadre politique
démocratique et donc sensible
aux exclusions et discriminations
des minorités. Ainsi, ce qu’on a
appelé au lendemain de 1986
la difficile transition vers la
démocratie a constitué un
obstacle à la concrétisation
des revendications féministes.
Cependant, avec la création
du ministère à la Condition
féminine (1994), puis de Fanm
yo la (1999), la revendication en
faveur de la parité se pose avec
plus d’insistance.
Depuis 1986, la participation
politique des femmes évolue en
dents de scie. Concrètement. De
1991 à nos jours, Haïti a connu
deux Premières ministres. Elles
n’ont pas fait long feu, happées
par une culture politique fondée
sur le sexisme, la violence et la
manipulation… ClaudetteWerleigh
n’a passé que quatre mois en
poste.
Michelle Duvivier Pierre-Louis
passera environ un an. Donc, plus
de temps que Claudette Werleigh
mais pas assez pour impulser des
politiques visant l’autonomisation
des femmes.
La consécration du principe de
quota de 30 % de femmes dans les
espaces de pouvoir constitue un
pas important. En effet, l’article
17.1 de la Constitution amendée
fait injonction à toutes les entités
politiques, économiques et
financières d’avoir un quota d’au
moins 30 % de femmes tant au
niveau des espaces décisionnels
qu’au niveau médian. Cela a
permis d’accroître la présence des
femmes au sein de l’exécutif où l’on
compte actuellement environ 40
% de femmes. Au cours de l’année
2013, les organisations féministes
et le ministère à la Condition
féminine se sont mobilisés en
faveur de l’application du principe
constitutionnel dans la perspective
des prochaines élections. Elles ont
donc soumis des propositions aux
institutions compétentes, dont
le CEP, l’Exécutif, le Parlement,
les partis politiques, etc. Mais
leurs propositions n’ont été
retenues que partiellement. Et
le déroulement de la campagne,
les sondages d’opinion, bref la
conjoncture politique globale,
laissent supposer que la parité,
encore une fois, ne sera pas
respectée. Et comme la parité
ne se résume pas à une affaire
numérique, se pose d’emblée la
question des futures élues (voire
globalement les institutions
politiques existantes ou à venir) à
garantir la pleine reconnaissance
des droits sociaux, économiques
et culturels des femmes.
i Madeleine Sylvain Bouchereau, Haïti
et ses femmes : Une étude d’évolution
culture, Port-au-Prince, Éditions Les
presses libres, 1957.
ii Jasmine Claude Narcisse, Mémoire
de Femmes, Port-au-Prince, Unicef-
Haïti, 1997.
iii Madeleine Sylvain Bouchereau, Haïti
et ses femmes : Une étude d’évolution
culture, Port-au-Prince, Éditions Les
presses libres, 1957.
iv Jasmine Claude Narcisse, Mémoire
de Femmes, Port-au-Prince, Unicef-
Haïti, 1997.
v Suzy Castor, Les femmes haïtiennes
aux élections de 1990, Port-au-Prince,
Cresfed, 1990.
Parité en politique en Haïti : esquisse de la
concrétisation d'une revendication féministe
Par Natacha Clergé
3. LUNDI 10 AOÛT 2015 N0
57 | 3
ACTUALITÉ
La lutte continue !
LeprésidentduConseilélectoralprovisoire,PierreLouisOpont,s’estestiméglobalement
satisfaitdudéroulementdesopérationsélectorales.LeprésidentMartellyetlePremier
ministreÉvansPaul,deleurcôté,toutenaccomplissantleurdevoird’électeurs,ontdit
apprécierlabonnemarchedelamachineélectoraleetontrappeléleseffortsdéployés
parlegouvernementpourquelesconsultationssetiennentàcettedateprévue.
Au moment où nous écrivions ces lignes, nous n’avions pas encore connaissance de
déclarationsderesponsablesdelacommunautéinternationale.Ellesirontcertaine-
ment,avecquelquespetitesnuances,danslamêmedirection.
Nousquiavionssuivideprèscesditesélections,nousavonsétésidérésdeconstater
qu’en dépit de toutes les consultations électorales réalisées depuis 1987, nous ne
parvenonstoujoursqu’àoffrircespectaclelamentabled’électionsqueJustinLhérisson
n’aurait eu aucun mal à décrire tant les façons de faire n’ont pas évolué. Mauvaise
organisationcommeplanifiéed’avance,désordre,violences,fraudesévidentes,letout
surfonddemiseàl’écartd’unepopulationquin’oseplussemettreautraversdeshordes
des«baz»queseconstituentlescandidatsdisposantdemoyensofficielsounon!
MalgrélesdéclarationsrassurantesdelaPolicenationale,lescaciques,àlacapitaleet
surtoutenprovince,ontpudéployertousleurstalentsetleursconnaissancesdesfailles
del’Étathaïtienpourgagnerdesélectionslesplushaïtiennesquisoient.Iln’yapas
pireviolencequecelled’utiliserlaprécaritédanslaquellevitunpeuplepourl’entraîner
dansdetellesaventuresquinepeuventquecontinueràêtrepréjudiciablesàlanation.
Iln’yapaspiresituationquandl’extrêmerichessefaitcheminavecl’extrêmepauvreté.
Est-cequecesontdansdesconditionspareillesquenousallonsvraimentrenouveler
notrepersonnelpolitique?Ouest-cequecesconditionssontnécessairespourqu’on
puissereconstituerunpersonnelpolitiquedevantpermettrelacontinuitéd’unsystème
sijuteuxpouruneminorité?
Dans cette précarité dans laquelle s’embourbe notre société, on ne peut avoir une
électiondignedecenom.Onnepeutconstruireunegouvernanceperformantequand
ceuxquijouissentdecesystèmedéfaillantonttoutintérêtàfavoriser,decettemanière,
l’accèsaupouvoird’unpersonnelpolitiquemédiocreetvassal.
NousavionssouhaitéauNationaluneforteparticipationdescitoyensàcesélections.
Elleaétéfaible,insignifianteparendroits.Lesraisonsquil’expliquent,nousenavons
largement débattu au cours de nos précédents éditoriaux. Si le Parlement, principal
détenteurdelasouveraineténationale,estenpéril,ilneresteraqu’unesolutionpour
empêcherlenaufragefinal:sauverlesmairies,etsurtoutlaprésidence,enmettantles
raresénergiesqu’ilnousresteauprofitdequelqu’unayantprouvéqu’ilpouvaitrésister
auxchantsdessirènes,quelqu’undontlenationalismen’estpasmonnayable.
LaNational’habitudedeslongscombats.
Laluttecontinue.
Gary VICTOR
Édito
L
a journée de vote a été très
surchauffée dans les différents
centres de vote du pays.
Frustrations, altercations,
agitations, bagarres, disputes ont été
au rendez-vous. Les mandataires,
chargés de défendre le vote de leurs
candidats ou partis, ont imputé au
Conseil électoral provisoire (CEP) la
responsabilité de cet état de faits.
Au lycée de Cité-Soleil qui abritait
36 bureaux de vote, le constat a
été lamentable. Des mandataires
dénoncent la complicité du CEP
dans ce « simulacre d’élections
». Munis de leur carte, ils ont
indiqué n’avoir pas pu exercer leur
droit de vote comme cela avait été
le cas aux élections antérieures.
À Cité-Soleil, certains d’entre
eux étaient munis d’une carte les
habilitant à défendre leur candidat
à Pétion-Ville. Il s’agit, à leur avis,
d’un véritable paradoxe.
Ils ont, en ce sens, critiqué la
mauvaise planification du CEP
qui sait pertinemment qu’aucune
condition n’a été remplie dans le
cadre de cette parodie d’élections.
Au regard de la loi, indiquent-ils,
ils devraient assurer la surveillance
du vote de leur candidat dans leur
circonscription respective.
Très critiques envers le CEP, ils
ont indiqué que Cité-Soleil devrait
avoir deux centres de vote de plus
(l’un au Wharf Jérémie et l’autre
à Rapatrié). Malheureusement les
membres de l’organe électoral ont
choisi, à la surprise générale, de
les supprimer.
Selon ce qu’ont indiqué ces
citoyens, le CEP n’a pas délivré le
nombre de cartes nécessaires aux
mandataires. Pire, se plaignent-
ils, ils ont décerné des numéros
inappropriés aux mandataires
compte tenu de leur situation
géographique.
C’est le même cas à l’école Père
Arthur Volel. Un autre groupe,
furieux, s’en est pris avec
véhémence au président du
CEP qui, disent-ils, s’apprête à
reproduire les élections de 2010.
Ils ont toutefois indiqué que « cela
ne passera pas cette fois-ci ».
Des mandataires ne peuvent
pas voter ?
À travers les différents centres qu’a
visités Le National, les mandataires
se plaignent du fait que des
membres de certains bureaux de
vote et des superviseurs ne leur
ont pas permis d’accomplir leur
devoir civique. Ils ont brandi le
décret électoral qui stipule en son
article 156 : « Les mandataires des
partis, groupements politiques
reconnus et participant aux
élections, des cartels des candidats
indépendants, munis de leur carte
d’accréditation régulièrement
délivrée par le Conseil électoral
provisoire, exercent leur droit de
vote dans le bureau où ils sont
affectés. Procès-verbal en est
dressé. »
Face à de tels comportements,
ces mandataires s’en sont pris au
président du CEP, Pierre-Louis
Opont qui, disent-ils, est à l’origine
de ces « simulacres d’élections».
Requérant l’anonymat, ces
mandataires ont affirmé que
ce scrutin peut avoir toutes les
dénominations possibles, sauf
celle d’élections.
Des mandataires, source
d’irrégularités dans les élections
La défense du vote d’un candidat
constitue l’un des facteurs
explicatifs des irrégularités
enregistrées lors de la tenue des
élections.
Les mandataires se lancent corps
et âme dans cette dynamique.
Au centre de vote du Lycée Jean
Jacques Ier (Croix-des-Bouquets),
des mandataires ont essayé de
représenter plusieurs candidats
et de les défendre en même temps.
Au beau milieu du bureau de
vote, certains vont jusqu’à faire
la promotion de leur candidat en
dépit de la clôture de la campagne
officielle. Cela se fait sous les yeux
impuissants des superviseurs.
À l’école nationale Charlotin
Marcadieux qui regroupait quatre
bureaux de vote, des mandataires
sont parvenus à voter plusieurs
fois leurs candidats. Il convient
également de souligner que
dans certains bureaux de vote,
la plupart des mandataires ont
brillé par leur absence parce que,
rapportent certains d’entre eux, ils
auraient été l’objet d’intimidations
de toutes sortes.
Une très
mauvaise gestion
des mandataires
par Reynold Aris
HAÏTI/ÉLECTIONSLÉGISLATIVES
Comme annoncé, les élections législatives ont eu lieu
le dimanche 9 août 2015 sur tout le territoire national.
Mais déjà les dénonciations pleuvent. C’est le cas des
mandataires qui s’en prennent au Conseil électoral
provisoire (CEP) auquel ils reprochent de ne pas avoir
octroyé les mandats nécessaires pour leur permettre
de défendre leurs candidats.
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IMPRIMÉ EN HAÏTI PAR
LES ÉDITIONS DES ANTILLES S.A
4 | N0
57 LUNDI 10 AOÛT 2015
ACTUALITÉ
L
a question de l’observation
joue un rôle fondamental dans
le cadre du déroulement du
processus électoral. Les obser-
vateurs, venant pour la plupart des
organisations de la société civile, sont
appelés à garantir la crédibilité du
déroulement du processus ainsi que
les résultats qui en découlent. Dans
cette perspective, selon les disposi-
tions de l’article 222 du décret du 2
mars 2015, les observateurs nation-
aux et internationaux accrédités par
le Conseil électoral provisoire sont
habilités à s’informer auprès de toutes
les instances du Conseil électoral
provisoire du bon déroulement des
opérations électorales, à signaler les
irrégularités commises et demander
que procès-verbal en soit dressé.
Cependant certains observateurs
engagés dans le cadre du
déroulement de cette journée
électorale semblent être mal
imbus de leur mission. Dans
plusieurs centres de vote visités
dans plusieurs zones de la région
métropolitaine de Port-au-Prince,
la présence des observateurs
a été très peu remarquée alors
que les opérations de vote se
déroulaient sur fonds de graves
irrégularités. Pour ce qui concerne
les observateurs internationaux,
notamment ceux de l’Union
européenne, leur présence a été
surtout remarquée dans certaines
zones généralement réputées «
chaudes » comme Cité Soleil, Bel’
Air et autres.
Du côté des observateurs
nationaux, surtout ceux-là
travaillant pour des organisations
telles que Renop, RNDDH,
Ocid, CRO, ect. leur présence a
été aussi remarquée dans bien
de centres de vote basés dans
différentes circonscriptions de
la zone métropolitaine telles que
Carrefour, Croix des Bouquets,
Delmas, Pétion Ville, Port-au-
Prince et autres. Si certains
observateurs ont fait leur travail
normalement, d’autres ont affiché
des comportements indignes
frisant même l’indécence en se
faisant percevoir comme des «
observateurs-mandataires ».
Plusieurs cas de ce genre ont été
notés dans plusieurs zones de la
métropolitaine, selon le constat
de plusieurs confrères du Journal.
Dans la même veine, certains
observateurs se contentent de
se promener vaguement dans la
cour des centres de vote, faisant
ainsi peu de cas de leur travail
d’observation qui, pourtant,
demande vigilance et sérénité,
car les rapports qui seront fournis
par les institutions impliquées
dans l’observation du processus
prendront en compte les rapports
d’observation de ces témoins.
À l’école nationale République
de Guatemala, à Pétion-Ville,
plusieurs bureaux se retrouvent
sur la cour de l’école sous un
soleil de plomb où observateurs et
mandataires s’étaient mis à l’abri
pour fuir les rayons du soleil.
Dans d’autres centres visités,
certains se pavanaient sur la cour
des centres ou parfois dans les
parages, nonchalamment.Cette
journée électorale est entachée
de beaucoup d’irrégularités,
comme l’a reconnu le président
du Conseil électoral provisoire,
Pierre Louis Opont. Les
irrégularités sont constatées à
presque tous les niveaux. Si le cas
des mandataires est le plus criant,
celui de certains observateurs
n’est pas le moindre. Parfois
mandataires et observateurs
se confondent. S’il est vrai que
les institutions impliquées dans
l’observation électorale effectuent
ce travail dans le noble l’objectif
de donner plus de crédibilité au
processus électoral, elles doivent
toutefois faire preuve de plus
de circonspection quant aux
agents appelés à servir comme
observateurs.
Le décret électoral en son article
227 stipule clairement que toute
organisation et tout individu pris
en flagrant délit d’utilisation de
carte d’accréditation et autre
matériel d’observation électo-
rale de façon frauduleuse, seront
condamnés par le BCEN, siégeant
de façon célère, sans remise ni
tour de rôle, à payer une amende
de cent mille (100,000) à cinq
cent mille (500,000) gourdes,
sans préjudice des peines prévues
par le Code Pénal en la matière. Si
un candidat est reconnu coupable
comme auteur, co-auteur ou com-
plice, sa candidature sera aussi
annulée. De plus, le Parquet en
sera immédiatement saisi, à la
diligence du Conseil électoral pro-
visoire pour les suites de droit.
Des observateurs
qui n'observent rienpar Noclès Débréus
HAÏTI/ÉLECTIONSLÉGISLATIVES
Des observateurs nationaux sur la cour d’un centre de vote . / Photo : Noclès Débréus
Ils sont plus de 70 organisations et institutions nationales et internationales à
avoir formulé des demandes d’accréditation auprès du Conseil électoral provisoire
(CEP) pour observer le déroulement du scrutin sur toute l’étendue du territoire.
Pas moins de 30 mille observateurs nationaux et étrangers auraient dû participer
à ces joutes selon les prévisions de Lucien Hébert, responsable de l’observation au
Conseil provisoire. Au cours de cette journée électorale le National a pu observer le
comportement pour le moins questionnable de certains observateurs.
5. L
’accès limité des mandataires
aux bureaux de vote constitue
la cause principale de la ferme-
ture prématurée de nombreux
centres de vote. Un nombre restreint
de mandataires, soit trois au total,
sont autorisés à accéder au bureau de
vote, affirme un membre d’un bureau
de vote au lycée Daniel Fignolé, un
centre de vote contenant 36 bureaux.
Alors que, rien qu’au département de
l’Ouest, si tous les partis devaient se
faire représenter légitimement aux
centres de vote, le nombre se chiffre-
rait à 39 mandataires au minimum.
Même constat au building 2004,
un centre de vote doté d’une
capacité de 42 bureaux de vote.
De nombreux mandataires se
voient refuser l’accès aux bureaux
notamment parce qu’ils seraient
en possession de faux mandats
obtenus tardivement du CEP vers
une heure du matin.
Le président du CEP, M. Pierre
Louis Opont propose une expli-
cation à cette anomalie. Tout en
s’excusant, il estime que ce fait
est du à des raisons qui échap-
pent au contrôle de l’institution
qu’il dirige. À savoir qu’un chef
de service, Joseph Ébert Lucien,
affecté au dit conseil électoral
et aujourd’hui en cavale, aurait
délibérément ralenti le processus
consistant à remettre à temps les
cartes de supervision aux partis
politiques.
Entre autres irrégularités, notons
l’ouverture tardive des centres de
vote. À 8h 30 du matin, les portes
du lycée Daniel Fignolé sont fer-
mées. Alors que, selon le décret
électoral, les centres de vote
devraient être accessibles aux
citoyens à partir de 6h du matin
dans la journée du vote. Sous la
pression notamment de certains
mandataires, les responsables de
ce centre ont finalement permis
aux votants et mandataires d’y
accéder. Entre-temps, les mem-
bres de BV mettent les bouchées
doubles pour finaliser les travaux
qui permettraient aux électeurs
de voter. Une heure plus tard, les
premiers bulletins sont déposés
dans les urnes.
Dans cette galère, les électeurs
peinent. Nombreux sont ceux qui
restent figés devant la liste élec-
torale affichée sous leurs yeux et
dans laquelle leurs noms ne sont
pas inscrits. Dans certains cas,
les noms des électeurs figurent
sur la liste affichée sur la porte du
bureau, mais pas sur celle détenue
par les membres des BV. Véritable
inadéquation.
Les irrégularités, les unes plus fla-
grantes que les autres pleuvent.
Certains candidats apparaissent
à plusieurs reprises sur une liste
sous la bannière de partis dif-
férents. C’est le cas du candidat
au Sénat Jean Truchard Saint
Clore dans le département du Sud,
apparaissant sous deux partis : «
Renmen Ayiti » et « Rapwoche ».
Et les violences s’amorcent !
Il s’ensuit de ces interminables cas
d’irrégularités une ambiance de
violence. Tôt dans la matinée du
dimanche 9 août, des centres de
votes sont vandalisés. On pouvait
aisément observer des urnes rem-
plies, des bulletins déchirés train-
ant dans les rues. La démocratie
se ramasse une fois de plus à la
pelle.
Il est 10h :30 du matin. Une équipe
de journalistes de Le National se
rend à l’école nationale Argen-
tine Bellegarde, un centre de vote
contenant 19 bureaux, situé à la
ruelle Vaillant. Triste lieu rappe-
lant les élections sanglantes de
novembre 1987. Les opérations
électorales y ont déjà pris fin à
cette heure. Comme cause, des
mandataires n’ayant pas accès à
ce centre de vote, nous raconte
l’un d’eux, ont pénétré de force
l’enceinte du bâtiment, estimant
que les représentants des partis
proches du pouvoir tels « PHTK
», Bouclier et « VERITE » sont
favorisés à leurs dépens. Ce qui
occasionne l’affrontement entre
ces mandataires et des policiers
présents dans le centre de vote.
Cas de figure similaire à Christ-
Roi où l’école des sœurs Francis-
caine, un centre de vote abritant
137 bureaux de vote, a été sac-
cagée par des individus mécon-
tents, accusant le pouvoir en
place de vouloir faire mainmise
sur les législatives. Des urnes ont
été transportées puis les bulletins
déchirés, jetés dans les rues.
Un peu partout à travers tout le
territoire national, des cas simi-
laires ont été enregistrés. Le
CEP dit relever une vingtaine de
centres de vote paralysés. Cette
journée électorale aura, pour
nombre d’observateurs, rappeler
les élections contestées de 2010.
Mais pour Pierre Louis Opont, elle
serait globalement satisfaisante.
LUNDI 10 AOÛT 2015 N0
57 | 5
ACTUALITÉ
Les présages d'une journée électorale perturbée
par Jean Michel Cadet
LÉGISLATIVES/IRRÉGULARITÉS
Les opérations de vote ont pris fin prématurément dans de nombreux centres de vote dans le département
de l’Ouest. De graves irrégularités présageaient déjà un tel scenario. Ouverture tardive des centres de vote.
Mandataires refusés d’accès à certains bureaux de vote. Électeurs ne sachant où voter. Frustrés et en colère, ces
différents acteurs ont crié au scandale et le déroulement des opérations, dans plusieurs centres, s’en est trouvé
paralysé.
C
’est ce qu’a déclaré Pierre
Louis Opont lors de la
conférence de presse bilan
donnée en fin d’après-
midi. Il a informé que cinquante-
quatre bureaux de vote ont été
suspendus et annulés. « Ce qui
représente un taux de 4 % qui ne
peut affecter la journée électorale
», a laissé entendre le président
du CEP.
D’un côté, le secrétaire exécutif
du Réseau national de défense de
droits humains qui participait aux
élections à titre d’observateur a
dit constater dans certains centres
de vote que la Police nationale
d’Haïti était très complaisante
envers certains candidats.
Il y a plus de négativité que de
positivité enregistrée lors du
déroulement du processus. Les
retards enregistrés, les moyens
logistiques non disponibles à
temps auxquels s’ajoutent de
nombreux cas de fraudes et
d’irrégularités ont ponctué cette
journée. « Le gouvernement
n’était pas près pour la tenue des
élections. Il y a eu beaucoup de
violence. Les département du
Centre et de l’Ouest ont emporté
le premier prix », a-t-il expliqué.
Certains candidats ont également
dénoncé le comportement
des mandataires des partis et
plateformes politiques Bouclier,
VERITE et PHTK. Ils disent
constater que ces élections ne
reflètent pas le choix du peuple.
« PHTK a pris tous les centres de
vote en otage », ont-ils affirmé.
Aussi demandent-t-ils au CEP
d’annuler les élections surtout
dans la deuxième circonscription
de Port-au-Prince.
Notons que selon le calendrier
proposé par le conseil électoral
provisoire, les résultats partiels
seront connus dans environ six
jours et le second tour est envisagé
à la fin du mois d’octobre.
Les autorités globalement satisfaitspar Joe Antoine Jn-Baptiste
HAÏTI/ÉLECTIONSLÉGISLATIVES
» suite de la première page
De gauche à droite: le président du CEP, Pierre Louis Opont, le Premier ministre
Évans Paul, et le directeur général de la PNH, Gotson Orélus.
Un bureau de vote saccagé. / Photo :
J. J. Augustin.
6. 6 | N0
57 LUNDI 10 AOÛT 2015
ACTUALITÉ
» suite de la première page
Pierre Louis Opont se déchargepar Lionel Edouard
«
Le système de sécurité n’a
pas fonctionné ». C’est un fait.
Pierre Louis Opont l’a rappelé
dans sa conférence de presse,
à la fin de la journée électorale.
Malgré les annonces pompeuses
des autorités policières, le constat
est catastrophique. Le président du
CEP s’est déchargé. Il avait appelé
les forces de l’ordre, à la mi-journée,
à prendre leur responsabilité, malgré
les 54 interpellations annoncées
par Frantz Lerebours. M. Opont
rapporte que certaines gens avaient
ouvertement manifesté leur volonté
de saboter certains centres de vote.
Dans certains cas, ils ont réussi. Dans
d’autres, la Police, soutient-il, est
arrivée à temps.
Les provocations faites durant
cette journée aux forces de l’ordre,
auraient pu compromettre le
déroulement du scrutin, si la PNH
n’avait pas fait preuve de maîtrise,
temporise Pierre Louis Opont,
après avoir placé la Police devant
sa responsabilité. En effet, elle
avait pour mission la sécurisation
des centres de vote en l’absence
de la Minustah qui s’est retirée
de 6 départements. « Quand nous
avons tout mis en place pour
que les citoyens puissent voter
et que des individus sont venus
saccager le centre de vote, cet
aspect sécuritaire ne dépend pas
de nous ». Une sécurité confiée
pourtant à un effectif de plus de
neuf mille policiers.
Enfin de journée, la PNH a aussi
présenté son bilan. Mitigé! Le
chef de la Police Godson Orélus
critique le comportement passif
de certains policiers. Il promet
des enquêtes. Toutefois, il s’est
dit satisfait du plan de sécurité.
Un plan qui a permis de minimiser
les actes de violence. 53 centres
de vote sur 1508 ont été saccagés.
137 interpellations et 23 armes
à feu saisies. C’est en gros les
chiffres avancés par M. Orélus qui
justifie le “succès de la PNH.”
Neuf mille policiers, et...
La forte présence policière
annoncée laissait supposer un
climat sécuritaire favorable à
la tenue de bonnes élections. Il
n’en fut rien. Dans la capitale,
Port-au-Prince, la nouvelle du
saccage du centre de vote logé au
collège Isidor Boisrond à la rue
Lamarre, au Centre-ville, lançait
les hostilités. Jets de pierre et
de tessons de bouteille, sous les
yeux passifs des agents de police
qui ont déclaré être en infériorité
numérique, ont mis un terme
aux activités de vote pendant
longtemps dans cet espace.
Quelques minutes plus tard, ce fut
le tour du centre de vote logé au
Foyer culturel Jean Marie Vincent,
à Cité Soleil, de céder sous l’assaut
des brigands. Des tirs nourris, jets
de pierre et tessons de bouteille
une fois de plus, ont mis fin
prématurément aux activités de
vote. Plusieurs blessés, pour la
plupart à l’arme blanche. Les
agents de l’Unité départementale
de maintien d’ordre (Udmo) sont
intervenus après que le centre de
vote eut été vandalisé. Il abritait
41 bureaux de vote, tous détruits.
C’était la même situation au lycée
Daniel Fignolé à Delmas 6, où les
agents de la Brigade d’opération
et d’intervention départementale
(BOID) sont accusés par le
candidat à la députation Charlot
Jacquelin Junior d’avoir pris
en otage tout le centre de vote,
depuis 1h dans l’après midi.
À Carrefour, la question sécuritaire
n’était pas différente. Des rafales
d’armes automatiques ont poussé
les électeurs à fuir les centres de
vote. C’était le cas au Centre sportif
de Carrefour, à l’École nationale
République Centre Africaine et à
l’École nationale des arts et des
métiers (ENAM) où des individus
non identifiés montés à bord
d’une Mitsubishi de couleur rouge
grenat (rouge violacé, sombre)
ont créé la panique après avoir
ouvert le feu devant les locaux de
ces centres de vote. Et encore, la
police n’était pas intervenue.
La province, pas mieux!
Catastrophique. Le constat fait
dans certaines villes de province.
À Saint Marc, Arcahaie, Desdunes
et Petit-Goâve, les élections ont été
interrompues dans de nombreux
centres de vote vandalisés par des
individus armés qui ont emporté
et/ou saccagé les urnes. Des faits
encore produits en présence
des policiers, curieusement et
incompréhensiblement passifs
durant cette journée de vote qui
doit offrir au pays, un nouveau
Parlement afin de redresser la
barre et de revenir sur la voie de
la démocratie.
Dans le Nord, à Dondon, un
homme aurait été lynché par des
individus non-identifiés. À Limbé,
la mairie a été incendiée, selon
les informations rapportées par la
presse locale. La maison du maire
a aussi été brûlée par des civils
armés qui ont tiré de longues
rafales d’armes automatiques.
Cinq pour cent de l’électorat
ont été affectés par ces actes de
violence, selon Pierre Louis Opont
qui fait remarquer que l’Ouest, le
Centre, l’Artibonite ont été les
départements les plus touchés.
Nombre de candidats crient au
scandale et annoncent déjà des
mobilisations pour pousser à une
reprise des scrutins. Le réveil
s’annonce douloureux pour la
population et aussi pour la PNH
après cette terrible journée du 9
août.
HAÏTI/LÉGISLATIVES/SÉCURITÉ
Désordre. Généralisé en plus. Voilà le refrain qui a rythmé cette journée électorale, un peu partout à Port-au-
Prince et dans la plupart des villes de province. À chaque minute, un nouveau dérapage. Le satisfecit précoce que
se sont donné le Premier ministre Évans Paul et le président du Conseil électoral provisoire, Pierre Louis Opont,
à la mi-journée, est anecdotique et parait, à croire les observateurs et les organismes de défense des droits
humains, très loin de la réalité.
Pierre Louis Opont, président du CEP
7. E
nviron une heure avant la
fermeture des bureaux de
vote, le dimanche 9 août
2015, dans le département
de l’Artibonite, l’envoyé spécial du
CEP, Ricardo Augustin, et le directeur
départemental de la police, Berson
Soljour, ont dressé un bilan de la
journée de vote dans la région.
Selon le conseiller électoral
Ricardo Augustin, plusieurs cas
d’irrégularités ont été répertoriés
dans le processus électoral au
niveau du département.
Au début de la journée, il y a eu,
entre autres, des irrégularités dans
laremisedesmandats,l’insuffisance
d’encre indélébile et des noms
manquants sur les listes électorales.
Dans la mi-journée, plusieurs
communes dans la région du bas
Artibonite ont connu des situations
de tension, a informé le conseiller
électoral. Ces perturbations ont
occasionné la suspension du
scrutin dans près de 22 centres
de vote. À L’Estère, il y a eu des
tentatives de bourrage d’urnes. À
Verettes, bas Artibonite, 4 des 12
centres de vote ont été suspendus.
À Grande-Saline, deux centres de
vote sur quatre ont été fermés. Les
votes ont été également suspendus
complètement à Desdunes, avons-
nous appris.
Selon les informations, l’opération
de vote s’est soldée par une dizaine
de blessés et un décès. Ces victimes
sont répertoriées notamment dans
des communes du bas Artibonite.
Berson Soljour, directeur départe-
mental de la police, a indiqué que
la police a interpellé environ une
vingtaine d’individus, notamment à
Jean Denis (1re Section de Petite-
Rivière de l’Artibonite) et à Grande-
Saline où des individus malinten-
tionnés ont perturbé sérieusement
le bon déroulement des élections. «
La police nationale a procédé à la
saisie de plus d’une dizaine d’armes
à feu et de sept véhicules », a déclaré
Berson Soljour. « Deux de ces véhi-
cules confisqués se dirigeaient vers
la commune de Gros-Morne avec
des grenades lacrymogènes, et un
autre à Grande-Saline avec plus-
ieurs armes à feu », a poursuivi le
chef départemental de la police.
En dépit des irrégularités
enregistrées, le trésorier du Conseil
électoral provisoire, Augustin
Ricardo, s’est félicité du bon
déroulement du processus dans le
département.
LUNDI 10 AOÛT 2015 N0
57 | 7
ACTUALITÉ
Une journée marquée par des incidents
et des irrégularitéspar Dieulivens Jules
HAÏTI/ARTIBONITE/ÉLECTIONSLÉGISLATIVES
Les opérations dans un bureau de vote aux Gonaïves. / Photo : Dieulivens Jules.
L
e Conseil électoral provisoire
(Cep) a appelé les citoyennes
et les citoyens à prendre la
voie des urnes pour élire les
nouveaux dirigeants haïtiens et en
particulier, les membres de la 50è
législature haïtienne, en ce qui à trait
aux élections législatives tenues ce
dimanche 9 août. Un appel ignoré
par la population haïtienne, vu sa
faible présence dans les centres de
vote. Dans les espaces visités par Le
National, les membres des bureaux de
votes attendent l’arrivée des électeurs.
Dans certains cas, ils causent avec
les mandataires des partis et groupe-
ments politiques.
L’un des superviseurs du centre
de vote du Collège Cotubanama,
de Carrefour, secteur Sud-ouest
de la capitale, souhaitant garder
l’anonymat, déclare : « les
mandataires sont plus que les
votants ». Ce centre a 20 bureaux de
vote, logés à l’intérieur de petites
salles de classes, dont la plupart
comporte, en la circonstance des
bancs empilés. Cette situation
d’amoncellement de bancs, est
répétée dans tous les espaces qui
sont habituellement des écoles,
ce qui réduit l’espace pour ceux
qui les fréquentent, notamment,
les mandataires des institutions
politiques, les observateurs, les
membres de bureaux de votes et
les votants, là où ils se sont rendus
aux urnes.
Mosler Georges, le directeur
du Conseil électoral provisoire
(Cep) reconnaît que les espaces
réservés aux bureaux de vote
ont été « petits », au moment de
fournir une explication sur le
fait que chaque parti n’a pas pu
avoir un mandataire dans chaque
bureau de vote, au cours de cette
journée électorale. Ce qui a été la
principale source de tension.
Ailleurs, les bureaux de votes sont
logés sous des tentes, en plein air
et sous le soleil. Une situation
d’inconfort, renforcée dans
certains centres où les mandataires
sont obligés de s’assoir à même le
sol, certains sur des cartons, pour
pallier au manque de chaises.
On peut citer : le centre placé à
l’école de l’Église de Saint-Charles
à Carrefour, certains bureaux
du centre installé dans l’école
communale de Carrefour Diquini,
l’église méthodiste de frère, où un
espace qui pourrait accueillir en
moyenne 3 bureaux de vote, en a
reçu 12 ; et le Centre des frères de
l’instruction chrétienne à Pétion-
Ville.
Au Centre sportif de Carrefour,
les isoloirs sont placés plus bas
que les hanches des votants à
environ 60 centimètres du sol.
Pour ceux qui sont placés plus
hauts, les espaces pour voter ne
présentent aucune intimité réelle.
Un véritable pêle-mêle, où tout est
sens dessus-dessous. Les isoloirs
sont mis à l’écart, les électeurs
sont soumis à la manipulation,
à l’influence et à la violence des
partisans de candidats.
La situation est de peu, différente,
à celle observée dans le centre
de vote placé à l’école nationale
de Merger, toujours sur la route
nationale no 2 conduisant aux
départements géographiques
méridionaux du pays. Les
superviseurs ont été obligés de
s’enfermer à l’intérieur des salles
comme derrière des barreaux pour
se protéger.
Dans une conférence-bilan, à la fin
de la journée de vote, le directeur
exécutif du Conseil électoral,
Mosler Georges, a promis que
l’institution électorale prendra
note de tous les manquements
de cette première journée, pour
améliorer ses prochaines sorties.
« Nous ne voulons pas commettre
une même erreur à deux reprises
(…) Nous allons (tout) corriger et
nous attendons les enquêtes pour
prendre des décisions».
Des centres de vote fractionnéspar Stephen Ralph Henri
HAÏTI/LÉGISLATIVES
Un des centres de vote fractionnés. / Photo : J. J. Augustin.
Aucune ligne, d’électrices et d’électeurs n’est remarquée dans les divers centres de vote de la Capitale haïtienne
et les autres villes du département de l’Ouest pour les élections législatives du dimanche 9 août. Dans les rares
centres de vote où les votants ont manifestement fait le déplacement, les bureaux ont été le théâtre visible de
l’inconfort quand ce n’était pas le cadre de la confusion.
8. 8 | N0
57 LUNDI 10 AOÛT 2015
ACTUALITÉ
Journée électorale du 9 août en photos
HAÏTI/ÉLECTIONSLÉGISLATIVES
Des électeurs à la recherhe de leur bureau de vote.
En toute quiétude après avoir saccagé un bureau de vote à Christ-Roi.
Bousculade des mandataires devant la barrière du lycée de Pétion-Ville.
Un bureau de vote éclairé à la lampe pendant les préparatifs.
Des bulletins éparpillés dans les rues de Christ-Roi.
Des bureaux de vote en plein air dans la cour de l’école Méthodiste à Frères.
Opération de vote.
9. LUNDI 10 AOÛT 2015 N0
57 | 9
ACTUALITÉ
(De gauche à droite) le président du CEP, Pierre Louis Opont, le Premier ministre Évans Paul et le directeur général de la PNH, Godson Orélus.
Arrêté à l’école nationale République de Colombie, Bourdon.
Le président du CEP au moment de voter.
Jacky Lumarque en train de voter.
Des centres de vote sous des tentes à Bulding 2004
De gauche à droite: le directeur exécutif du CEP, Mosler Georges, le président du CEP, Pierre Louis Opont,
et le ministre délégué auprès du Premier ministre chargé des Questions électorales, Jean Fritz Jean Louis.
Bureau saccagé et bulletins de vote déchirés.
10. M
es premiers contacts
directs avec Henri
remontent à l’année
2000. Il s’était agi à ce
moment là de relancer les activités de
l’AssociationHaïtienned’Economistes
(AHE), œuvre à laquelle il a consacré
toute son énergie. Par son charisme,
sa détermination et son savoir-
faire, et, aidé d’un petit groupe
d’économistes, il réussit à relancer
cette association. Il fut plébiscité à
deux reprises en 2001 et en 2003
comme Président de la nouvelle
association, poste qu’il a quitté à
sa nomination comme Ministre de
l’Economie et des Finances en 2004.
La renaissance et la stabilité actuelle
de l’association doivent beaucoup au
travail de cet homme.
J’ai eu le bonheur et l’heureux
privilège de le côtoyer
régulièrement pendant toutes ces
années et de travailler avec lui
parfois. Rude travailleur, honnête
et respectueux des valeurs des
autres dont il fait volontiers
la promotion, Henri ne laisse
personne indifférent. Il laisse le
sentiment d’un être authentique
dans le sens ontologique du terme:
ce qu’on voit est ce qu’il est et pas
autre chose.
Je ne connais personne de son
entourage qui ne lui voue le plus
grand respect. Cet homme qui
cultive un grand sens de l’honneur
et de l’amour du pays, fait l’effet
d’un grand sage animé par une vie
intérieure intense et profonde. Il
y a comme un grain de sagesse
dans cet homme dont la voix
ferme au service d’une parole
posée et réfléchie manifeste d’une
grande autorité et d’une profonde
humilité.
Ma perception de lui, c’est celle
d’un homme au-dessus de la
mêlée, qui vit loin du sordide
et de l’indigne. Henri n’est pas
quelqu’un qui se cherche. C’est
quelqu’un qui s’est trouvé et qui
vit en harmonie avec lui-même.
Il donne le sentiment d’une
construction achevée.
C’est la mémoire de cet homme
que nous célébrons aujourd’hui
en tant qu’ancien Ministre de
l’Economie et des Finances. Grand
serviteur de l’Etat, Henri Bazin
avait l’insigne privilège de se
retrouver à la tête de ce Ministère
au sortir d’une crise économique
et sociale majeure où les finances
de la République ont été mises
à rude épreuve. Pendant son
passage, des réformes d’envergure
dans la gestion des finances
publiques ont été initiées. Au
nombre desquelles, on compte :
• La révision de la législation sur
les finances et la comptabilité
publiques ;
• La création des postes de
contrôleurs financiers et des
comptables publics dans les
administrations ;
• La création de la direction
générale de l’inspection Générale
des Finances (IGF) ;
• La création de l’Unité de lutte
contre la corruption (ULCC) ;
• La création du Conseil National
des marches Publics (CNMP) ;
• Entres autres…
Il est difficile, voire
presqu’impensable que l’évocation
des qualités d’un homme sus-
cite autant l’adhésion d’autant
de gens d’horizons si différents.
C’est cet homme que le Président
de la République, Son Excellence
Michel Joseph Martelly a voulu
présenter comme modèle à la jeu-
nesse dans son message de con-
doléances à la famille Bazin et à
ses proches.
Pour pérenniser sa mémoire, le
Ministère de l’Economie et des
Finances annonce la création
imminente d’une bourse
d’Excellence pour promouvoir
la recherche et récompenser la
meilleure publication annuelle sur
l’Economie Haïtienne.
Un projet d’arrêté instituant cette
bourse sera soumis incessamment
en Conseil des Ministres pour
validation. Une commission
composée des représentants
du Ministère de l’Economie et
des Finances et de l’Association
Haïtienne d’Economistes établira
les règlements et la Charte de
cette bourse dans les meilleurs
délais.
A Henri BAZIN, la Nation
Reconnaissante !
Que son âme repose en paix !
Que ses actions et son souvenir
continuent à nous inspirer !
Pour saluer le départ et
perpétuer la mémoire d'un
Grand Homme, Henri Bazin
TAUX DE RÉFÉRENCE (BRH)
>Taux moyen d’achat
52.3000 GDES
>Taux moyen de vente
53.1000 GDES
COURS DE
LA GOURDE
7 AOÛT 2015
Intervention du ministre de l’Économie et des Finances, Wilson Laleau, lors d’une
cérémonie d’hommage à Henri Bazin organisée, le vendredi 7 août 2015 au local du
ministère.
Le ministre de l’Économie et des Finances, Wilson Laleau. Photo (archives) : J. J.
Augustin
10 | N0
57 LUNDI 10 AOÛT 2015
ÉCONOMIE
12. Que faire face à la misère de la gourde ?Par Guy Laudé | (2e partie)
COLLABORATIONSPÉCIALE
J
usqu’en 1993, les clients des
banques n’avaient pas de compt-
es dollar. Les nouvelles banques,
qui vont créer une compétition
agressive dans le système, naissent ou
prennent extension pour la plupart
durant la période du coup d’État. Au
retour du président Jean-Bertrand
Aristide en 1994, avec plus de dix
mille hommes de troupe qui vont
créer une pression extraordinaire sur
le logement disponible et les services.
Les prix des loyers et autres vont
grimper d’une part et, d’autre part,
s’exprimer en dollar même dans
certaines villes de province. Les
nouvelles banques vont introduire
les prêts en dollar à des taux
nettement plus alléchants que
ceux en gourde. Et, lentement,
l’économie va se « dollariser » au
vu et à la barbe des autorités de
ce pays qui, elles aussi, ont tout
intérêt dans la cohabitation de
facto de ces deux monnaies dans
nos transactions. Si bien qu’au
fil du temps la composition des
portefeuilles des banques affiche
un ratio supérieur en dollar.
À la mi-juillet 2015, le total des
dépôts bancaires se chiffrait
à 181,8 milliards (les deux
monnaies confondues) avec une
composante de 60,3 % en dollars
et 39,97 % en gourde. Tandis que
le portefeuille prêt totalise dans
les deux monnaies 73,9 milliards,
avec une composante de 50,60 %
en dollar et 49,40 % en gourde.
L’ex-président Aristide avait
confessé un désordre qu’il avait
agréé afin de revenir terminer son
mandat. Pour ceux qui ont eu la
curiosité de suivre les périples
de la Grèce avec les institutions
financières et l’Union européenne,
ce désordre dont parlait l’ex-
président n’était autre que ces
plans infligés à Alexis Tsipras
comprenant notamment la vente
au secteur privé des « assets » du
pays, la mise en place de certaines
réformes et, du même coup,
satisfaire les exigences du FMI, à
savoir une monnaie flottante au
gré du marché. Les adeptes de «
Chicago boys » remportaient une
victoire éblouissante.
Aristide revenait au pouvoir avec
dans ses bagages un Lesly Delatour
qui allait appliquer strictement le
programme signé par le président
réhabilité. Pour mieux faire passer
ses idées, Delatour aimait répéter
« pa gen sekrè nan fè kola ». La
liquidation des entreprises de
l’État va être mise en œuvre ainsi
que toutes les autres réformes
imposées au système. Si les
transferts de la Hatrexco devaient
atterrir à la Banque centrale,
dorénavant, avec la libération
de ce marché de change, les
principaux intermédiaires
financiers captent à la source le
montant des transferts évalués à
près de deux milliards de dollars.
Cet argent reste sur leurs comptes
en banque aux USA ou ailleurs,
et le produit en grande partie
est remis aux bénéficiaires sous
forme d’aliments et autres biens
privant les ménages de la liberté
d’utiliser leur argent selon leur
désir et besoin réel. La portion
remisée en monnaie est négociée
à des taux nettement au détriment
des bénéficiaires en comparaison
aux taux effectivement appliqués.
Je me garderai de dénombrer
les pressions que toutes ces
transactions effectuées en dollar
créent sur la demande de cette
devise. Quant au passage à l’an
2000, la gourde menaçait de
franchir le cap des 20 gourdes
pour un dollar, le gouverneur
d’alors, Fritz Jean, argumentait
déjà dans les mêmes termes que
le présent gouverneur. Donc
rien de nouveau sous le soleil,
et voilà encore les mêmes outils
qui n’ont pu rien empêcher en
quinze années. Comment peut-
on poursuivre une stratégie qui
n’a donné aucun résultat en plus
de deux décennies et qui, au
contraire, n’empêche en rien la
détérioration de notre monnaie ?
Silaproductionétaitnaturellement
le seul paramètre pour fortifier
une monnaie, le yen chinois serait
la monnaie la plus forte au monde,
bien que les USA se plaignent que
la Chine dévalue volontairement
sa monnaie au détriment des
compétiteurs internationaux.
Avant de revenir avec
l’argumentation de la production
nationale, interrogeons d’abord
Bill Clinton et ses acolytes sur
leurs manœuvres souterraines.
Il y a déjà trop de bénéficiaires
intéressés à la dévaluation de la
gourde haïtienne pour revenir
au point de départ. Au début du
deuxième mandat du président
René Préval, la gourde s’est
fortifiée rapidement face au
dollar, paniquant les acteurs du
secteur de la sous-traitance qui
se réunirent en urgence au Palais
pour convaincre le Président,
en présence des autorités
monétaires et des banquiers, que
les exportateurs perdaient de
l’argent. Un banquier zélé avait
même innové pour renchérir que
les bénéficiaires de transferts
perdaient leur pouvoir d’achat.
La politique a dû intervenir
pour demander de freiner, à ma
connaissance, la seule histoire
d’appréciation naturelle de la
gourde face au dollar en trente
ans.
Les fossoyeurs de la parité de
notre gourde et défenseurs de son
flottement au gré du marché nous
ont menés là où nous sommes, et
des décennies après il est temps de
conclure qu’ils n’étaient pas bien
inspirés ; car les résultats qu’ils
ont anticipés par leur proposition
ne se sont jamais matérialisés
mais certains ont fait leur beurre,
et les détenteurs de cette manne
de spéculation ne se laisseront pas
faire.
J’aurais mieux aimé qu’Haïti
reste sur le même modèle qu’elle
partageait avec les Bahamas et la
Barbade, même si, pour cela, elle
devait ajuster son taux de parité et
que la Banque centrale reste seule
détentrice des devises et autorise
les transactions qui réellement
nécessitent un besoin en devises.
Une banque centrale forte, ayant
le monopole de la gestion de la
monnaie, peut aisément contenir
la valeur de la gourde, quand nous
considérons que les transferts
de la diaspora dépassent les
deux milliards de dollars, que
les exportations atteignent 900
millions de dollars et que les
réserves brute de change de la
Banque centrale avaient atteint
près 2,3 milliards de dollars en
2012, sans compter le montant
de l’aide internationale, à côté des
instruments de régulation qu’elle
détient pour éponger les gourdes
oisives du système.
La facture commerciale se chiffrant
autour de quatre milliards de
dollars annuellement, une BRH
forte a les moyens de remplir
avec satisfaction sa mission
constitutionnelle. Mais au fil des
années, suite aux lobbies des
plus « doués » et des institutions
internationales (n’oublions pas
la confession du président Bill
Clinton devant le Sénat américain
et son rôle dans la détérioration
de la production nationale de riz).
Lesly Delatour réussit à transférer
une fonction essentielle et
souveraine de la Banque centrale
sous la forme d’un marché
lucratif à des acteurs privés au
comportement de prédateurs et
de débridés qui, eux aussi, vont
négliger leur fonction essentielle
celle de faire de l’intermédiation
bancaire.
Voilà ce qui s’est passé en trente
années. La détérioration n’est pas
prête de s’arrêter et nous n’avons
pas les moyens et le courage
politique de revenir à ce que nous
faisions.
À part le dilemme de la production,
je n’ai pas considéré non plus
l’argumentation des déficits
budgétaires successifs pouvant
causer aussi la décote de la
gourde. Elle est très chère au FMI
qui prescrit la même médication
classique à tous ses « patients ».
En guise de conclusion, je
reconnais que le retour au point
de départ serait réellement très
pénible et risqué. Pour ce faire,
il faudrait une volonté politique
courageuse à nulle autre pareille.
Trop d’intérêts seraient remis en
question pour doter à nouveau la
Banque centrale de son pouvoir
souverain et sans faille pour la
monnaie.
1) Il faudrait affronter le FMI
avec toutes les conséquences de
représailles qui s’ensuivraient. Le
FMI ne croît qu’en ses propres «
guide lines » et schémas. Je ne
connais un interlocuteur haïtien
assez coriace pour les convaincre.
Le FMI pactise avec l’économiste
dont le son est accordé à son
diapason. Pas d’autre son, (pas de)
« son depaman » dans l’orchestre,
dit l’adage.
2) Les intérêts énormes des
institutions financières (banques,
bureaux de change, etc.) seraient
mis en jeux, car le plus fort de
leur revenu est projeté sur leurs
transactions de change. Ces
dernières seraient seulement et
dorénavant des intermédiaires de
la Banque centrale et gagneraient
quelques centimes par
transaction. Les supermarchés et
autres informels ne devraient plus
s’adonner aux transactions de
change, sauf des agents autorisés
et reconnus au service de la
Banque centrale.
3) Les transactions (dépôts,
retraits, prêts, paiements) sur
toute l’étendue du territoire
seraient exprimées et effectuées
seulement en gourde, incluant les
loyers, les paiements par carte de
crédit et toute la kyrielle.
4) Les demandes de devises
étrangères seraient autorisées
exclusivement par la Banque
centrale qui en évaluerait
l’opportunité. Cette dernière
s’équiperait du personnel adéquat
pour fournir en temps réel un tel
service.
Un adepte suggérait dans ces
temps de lobby en faveur des
idées prônées par les « Chicago
boys » que l’on garde son pouvoir
d’achat et son épargne dans la
meilleure devise. Un souci et une
anticipation pareils ne seraient
pas de mise quand le citoyen a la
perception que sa banque centrale
est forte, est au contrôle et a les
moyens de sa politique.
Voici ce que je crois que mes plus
de trente années de service de
banque m’autorisent à proposer,
si nous voulons stopper cette
chute aux enfers de la valeur de
la gourde haïtienne qui n’est pas
prête de s’arrêter.
12 | N0
57 LUNDI 10 AOÛT 2015
ÉCONOMIE
13. LUNDI 10 AOÛT 2015 N0
57 | 13
SOCIÉTÉ
Inauguration du viaduc du carrefour
de l'aéroportPar Joe Antoine Jn Baptiste
Si chaque Haïtien pouvait devenir
un Elzéard BouffierPar Jackson Joseph
C
’est en présence du Premier
ministre Évans Paul, des
ministres des Travaux pub-
lics, Jacques Rousseau, de
l’Économie et des finances, Wilson
Laleau, et d’autres membres du gou-
vernement que le président de la
République a procédé à l’inauguration
du viaduc du carrefour de l’aéroport,
rebaptisé carrefour de la Renaissance.
C’était l’occasion pour le Président de
saluer les efforts de son administra-
tion qui, dit-il, a travaillé d’arrache-
pied pour doter le pays d’une infra-
structure routière de ce genre.
« La construction de ce viaduc
entraîne avec elle la renaissance
de la nation. Cela prouve que le
pays commence effectivement à
renaître de ses cendres. Les dif-
férents efforts que déploie mon
administration abondent en ce
sens. C’est un moyen de con-
tinuer à assister la population,
particulièrement la catégorie la
plus vulnérable de la société, cette
catégorie utilisée pour brûler les
caoutchoucs », a-t-il fait savoir.
Au cours de cette cérémonie inau-
gurale, le chef de l’État a, par ail-
leurs, pris le soin de vanter toutes
les actions qu’il a déjà entreprises
dans le pays. Il n’a pas manqué
de tirer à boulets rouges sur ses
différents opposants qui, dit-
il, empêchent l’avancement du
pays. Même les travailleurs de
la presse n’ont pas été épargnés.
« Ce viaduc, a-t-il déclaré, n’est
pas un destin qui doit échapper à
l’histoire du peuple haïtien. C’est
un signal qui montre que nous
avançons à grands pas. »
Pour sa part, le ministre des
Travaux publics, Jacques Rous-
seau, a apporté des précisions
relatives à cette construction qui,
a-t-il affirmé, répond à un effort
politique de l’actuel gouverne-
ment et à la ténacité du chef de
l’État. Au cours de cette céré-
monie, il a tenu à expliquer à la
population que ce projet s’étend
sur sept cents mètres. C’est une
route à quatre voies dont chacune
mesure 3, 5 mètres de largeur. La
partie droite de la chaussée accuse
une longueur de 400 mètres et
l’autre partie tient sur 350 mètres.
Le viaduc est d’une hauteur de 4,5
mètres.
« C’est un travail énorme qui
aurait dû se terminer il y a très
longtemps. Mais, en raison de
quelques problèmes, le processus
a été retardé. Aujourd’hui, les
Haïtiens peuvent dire qu’ils ont
un viaduc », a expliqué le ministre
des Travaux publics.
Entre-temps, quelques individus
rencontrés dans le périmètre
pensent que le viaduc n’est pas
celui que les maîtres d’ouvrage
avaient présenté à la population
au cours du lancement du projet.
Le chef de l’État, Michel Joseph Martelly, a inauguré le vendredi 7 août 2015 le viaduc au carrefour de l’aéroport
baptisé carrefour de la Renaissance.
Le président Michel Martelly (au milieu), le Premier ministre Évans Paul (à
gauche) coupant le ruban inaugural du Viaduc. / Photo : Joe Antoine Jn Baptiste
Ce texte, dont nous présentons les réflexions suivantes, s’intitule « l’homme qui plantait des arbres ». C’est une
nouvelle de Jean Giono, un grand écrivain français du XXe siècle (1895-1970).
C
e texte de Jean Giono, «
l’homme qui plantait des
arbres » nous permet de
comprendre que si nous
sommes les principaux responsables
de la dégradation de la Nature, nous
sommes en même temps les seuls
êtres à pouvoir réparer les dégâts
causés. Ce grand écrivain français,
qui a vécu entre 1895 et 1970, nous
donne un exemple frappant des
capacités de l’être humain lorsque
ce dernier fait preuve de volonté, de
courage et de détermination. Dans
cette nouvelle, Jean Giono nous
présente les exploits d’Elzéard Bouff-
ier qui a pu transformer un désert
des Alpes en un paradis sur terre.
Ces exploits d’Elzeard ont consisté
principalement en la régénération de
ce désert, où il vivait dans la solitude,
en un espace vivable qui fut devenu
ensuite le refuge de plus de dix mille
personnes.
En fait, Elzéard plantait des
arbres dans un désert sans vie ni
espoir de vie. Pourtant, comme
le rapporte Jean Giono, dans
cette région des Alpes, désolée,
dénudée, cet homme dépourvu de
grands moyens, avec seulement
de simples ressources physiques,
a fait surgir du désert un Canaan.
Jean Giono croit alors que, malgré
tout, la condition de l’homme est
admirable sur cette terre s’il sait
faire montre de constance, de
grandeur d’âme et d’acharnement.
Dans un trou perdu du monde, dif-
ficile d’accès, notre héros, Elzéard
Bouffier, s’est mis à planter des
arbres. Dans trois ans, il en avait
planté cent mille, dont seulement
dix mille avaient survécu. Il avait
cinquante-cinq ans en 1910, mais
il en a planté jusqu’à sa mort en
1947. Et ce village, « Vergons »,
était tout simplement devenu un
lieu paradisiaque.
Notre pays, Haïti, se désertifie
aujourd’hui avec moins de 1,5 %
de couverture forestière, la dégra-
dation s’intensifie et les moyens
mis en place pour pallier le prob-
lème sont loin de suffire. Haïti est
sérieusement menacée alors que
rien de concret n’est entrepris. Et
si chaque Haïtien pouvait devenir
un Elzéard Bouffier ? Notre pays
renaîtrait peut être de ses cendres
!
L’environnement haïtien se
dégrade toujours à un rythme
inquiétant. Les rares interventions
du gouvernement et de certaines
associations écologiques ne se sont
pas révélées très efficaces, tant le
problème est devenu complexe.
Il est nécessaire de reconsidérer
les approches sur les différents
problèmes liés à l’environnement,
comme la déforestation, le déboi-
sement par exemple, qui constitu-
ent les deux plus grandes menaces
de la dégradation de notre Haïti.
D’un autre côté, augmenter la
couverture végétale en Haïti
comporte un grand coût, compte
tenu de l’extrême dégradation de
l’environnement et l’accélération
du rythme de déboisement. Près de
30 millions d’arbres sont abattus
tous les ans, selon ce que rapporte
le Programme des Nations unies
pour l’environnement. Pourtant le
problème n’est toujours pas pris
au sérieux par les responsables. Il
n’existe aucune forêt modèle dans
le pays et les aires dites protégées
sont très peu protégées ou ne le
sont pas du tout. Pour la refores-
tation d’Haïti, il faudra du temps,
mais surtout des hommes qui
peuvent être des Elzéard Bouffier.
Notre pays peut changer, il peut
devenir le « Vergons » d’Elzéard,
si nous montrons de la volonté,
de la détermination et du courage.
Jean Giono. / Photo: luberon.fr
14. 14 | N0
57 LUNDI 10 AOÛT 2015
SOCIÉTÉ
L'hôpital Notre-Dame de
Petit-Goâve en situation d'urgencepar Ritzamarum ZÉTRENNE
AVIS
de Formation de Société en Nom Collectif
Avis de formation de la Société en Nom Collectif dénommée Tempo
PlanCom (TPC). Entre les soussignés, Mr Emmanuel Marino BRU-
NIF : 004-556-158-4 ; Mr Jean Moise SEJOUR, demeurant et do-
005-748-867-8, ont formé la Société en Nom Collectif, dénommée
Tempo PlanCom (TPC) ayant pour objet de fournir des consultations
social de la dite société est établi au # 22 bis, Avenue Poupelard,
entre les associés d’un montant de 50,000.00 gourdes. Enregistré
V
endredi 7 aout 2015. Il
était 3 h 30 de l’après-midi
quand un homme à la tête
trouée, enveloppée d’une
chemisette, entre à l’urgence de
l’hôpital Notre-Dame de Petit-Goâve.
Il pénètre dans l’espace sans même
savoir si c’est le bon endroit. Il saigne
tellement que la chemisette est dev-
enue tout rouge. Souffrant le mar-
tyre, l’homme s’appuie contre l’un
des lits pour ne pas tomber. Il n’y a
pourtant personne pour s’occuper de
lui. « Peut-être que ce n’est pas ici
qu’on reçoit les personnes blessées
», doute la dame qui accompagnait
cet homme.
Plus de trente minutes se sont été
écoulées. Personne n’est venu à
son chevet. Quand la dame, mère
de l’homme blessé, franchit la
porte de la chambre d’à côté elle
remarque d’autres blessés allongés
sur le sol, qui attendent des soins.
Mais il y avait à l’intérieur une
seule infirmière. « J’ai un blessé
en urgence ici. Faites quelque
chose. Il saigne beaucoup », dit la
dame à l’infirmière.
« Trouvez un rasoir pour lui raser
le crâne, le temps que je reviens
», ordonne l’infirmière. Cette
situation frappe presque toutes
les sections de l’hôpital général
de Petit-Goâve. Que ce soit à la
maternité, à la chirurgie ou à la
médecine interne, les services
sont difficiles à trouver à cause
surtout du manque de personnel
technique.
« Ah ! Les médecins passent ici
rarement. Quand l’un d’entre eux
passe enfin, tout le monde veut le
voir. Mais au final, il va servir très
peu de gens avant de repartir »,
raconte une jeune fille d’une ving-
taine d’années. Elle accompagne
un parent qui s’est fait opérer à la
jambe gauche.
Cette jeune fille a par ailleurs expli-
qué que la pharmacie de l’hôpital
n’existe que de nom. « Quand on
nous prescrit des médicaments,
les trouver à la pharmacie devient
un casse-tête. Fort souvent, nous
sommes obligés de nous orienter
ailleurs où ils coûtent les yeux de
la tête », se plaint la jeune fille.
Le laboratoire et d’autres sections
aménagées pour les consultations
au sein de l’Hôpital général de
Petit-Goâve ne sont presque plus
fréquentés.
Ce n’est plus un secret pour per-
sonne : l’hôpital Notre-Dame de
Petit-Goâve ne peut plus répondre
aux besoins de santé de la popula-
tion. Delmondo Charlemagne, un
journaliste réputé de la commune,
fait remarquer que sur dix cas
reçus à l’hôpital, sept sont trans-
férés à un autre centre hospitalier.
Comme beaucoup de Petit-Goâvi-
ens, le journaliste pense que la
politique serait à la base de cette
situation. Beaucoup de citoyens
de la commune pensent que « les
autorités locales font trop souvent
main mise sur l’hôpital, laissant
ainsi à la tête de l’institution des
gens qui n’ont aucune connais-
sance et compétence en la matière
».
Ce dysfonctionnement au sein
de l’hôpital Notre-Dame de Petit-
Goâve ne date pas d’hier. Déjà
en juin et juillet 2014, plusieurs
grèves ont été organisées par des
employés qui réclamaient entre
dix-huit à vingt mois d’arriérés
de salaire. Au mois de janvier de
l’année en cours, on a installé une
nouvelle commission composée
de quatre membres pour gérer
l’hôpital.
Cette commission, ayant à sa tête
le docteur Gustave Jean-François,
était chargée d’identifier, sur une
période de trois mois, les pro-
blèmes de l’hôpital et les solu-
tions possibles afin de faire des
recommandations au ministère de
la Santé publique et de la Popu-
lation. Le docteur Gustave avait
promis d’améliorer la situation
à partir du 14 février 2015. Les
Petit-Goâviens attendent encore.
Vue partielle de l’hôpital Notre-Dame de Petit-Goâve.
Depuis plusieurs mois, l’hôpital Notre-Dame de Petit-Goâve s’engouffre dans un dysfonctionnement périlleux.
Le plus grand centre hospitalier de la région des Palmes, aujourd’hui l’HNPG, n’est pas en mesure de desservir
la totalité des habitants de la cité soulouquoise. Cette situation suscite de l’inquiétude chez beaucoup de Petit-
Goâviens qui imputent toute la responsabilité aux dirigeants de la commune.
15. LUNDI 10 AOÛT 2015 N0
57 | 15
SOCIÉTÉ
Pourquoi certaines personnes appellent
leurs parents par leur prénom ?Par Ophélie Ostermann lefigaro.fr
I
ls ne peuvent pas - ou ne veulent
pas - dire « maman » et « papa
», et appellent leurs parents par
leur prénom, comme s’ils refu-
saient toute fusion familiale. Or
cette pratique n’est jamais anodine.
Témoignages et décryptage de la con-
seillère conjugale et familiale Violaine
Patricia Galbert (1) et de la psychogé-
néalogiste Évelyne Bissone Jeufroy.
Corentin a sept ans. Soudain
perdu dans la foule qui se presse
à la brocante, il hurle « Papa
! », « Maman ! ». En vain. Des
dizaines de personnes tournent
la tête. Il appelle alors ses parents
par leur prénom. Quand on se
sent vulnérable, le procédé est
libérateur. Depuis, dans son
téléphone, les numéros de son
père et de sa mère apparaissent
respectivement à Jean-René et à
Françoise. Quand il s’adresse à
eux, les termes « maman » et «
papa » ne lui viennent jamais à
l’esprit.
La décision vient d’un
changement dans la vie de
l’enfant
S’il raconte cet épisode comme
un souvenir d’enfance, sans y
voir une révolution, le moment
où l’on se met à appeler sa maman
par son prénom n’est jamais
anodin. Il reflète toujours une
prise de distance par rapport
aux figures tutélaires, expliquent
les psychanalystes. Appeler ses
proches par leur prénom revêt
une connotation négative. Comme
lorsqu’un couple, habitué aux
surnoms affecteux, retournent
au prénom lors d’une dispute,
comme pour mieux signifier le
mécontentement.
L’utilisation du prénom est
parfois le choix des parents. «
Notamment parmi les rarissimes
héritiers de l’esprit soixante-
huitard, pour lesquels il faut
être “copain” avec l’enfant. Ils
peuvent souhaiter être appelés
par leur prénom pour instaurer
des rapports d’égal à égal »,
indique la conseillère conjugale et
familiale Violaine Patricia Galbert.
Certains, pour se détacher de leur
histoire personnelle, préfèrent
un prénom plutôt qu’un terme
qui renvoie au parent auquel ils
ne veulent pas ressembler. Pour
d’autres, l’idée peut aussi traduire
une difficulté à endosser le rôle
parental : le prénom désacralise
le fait d’être père ou d’être mère.
La psychogénéalogiste Évelyne
Bissone Jeufroy explique : « Le
mot “maman” est tendre et induit
une relation unique et fusionnelle.
Certaines mères ne sont pas prêtes
à la vivre ou n’en n’ont simplement
pas envie. »
Jeannine, elle, a préféré être
appelée par son prénom parce
que cela lui évitait d’être rangée
dans la case « maman » avec tout
l’aspect sérieux que le terme peut
comporter. Après son divorce, à
34 ans, elle demande à ses trois
enfants, respectivement âgés de
14, 13 et 10 ans, d’adopter la
méthode. Elle explique : « J’étais
une femme très active, plutôt
indépendante pour l’époque et
désireuse de rester dynamique.
Le prénom me semblait davantage
correspondre aux rapports que
j’entretenais alors avec les enfants.
Quand ma fille a eu 18 ans, je
sortais même avec elle parfois. »
Maintenant qu’elle est retraitée et
a 71 ans, le « maman » lui paraît
plus légitime.
Mais la décision peut aussi
venir de l’enfant lui-même. «
Elle fait généralement suite à
un changement dans la vie de
l’enfant, parfois traumatique,
explique Violaine Patricia Galbert.
En utilisant le prénom, l’enfant
marque une rupture et prend de
la distance. » À l’adolescence, un
ado en conflit avec ses parents,
s’en servira pour atteindre en
plein cœur ceux qu’il défie. Il
finit par les appeler de la même
façon que n’importe qui pour
leur signifier qu’ils ne sont plus
ses parents. « Il banalise le rôle
parental et rejette l’autorité »,
ajoute la professionnelle.
Avec mon père, nous avons
maintenant des rapports
d’égal à égal
Corentin, lui, n’a pas souffert
de rapports conflictuels avec
ses deux parents quand il était
adolescent, mais le procédé lui a
semble-t-il permis de s’émanciper
: « Je les appelle par leur prénom
quotidiennement depuis que je
suis entré à l’université, à 18
ans. J’ai commencé à gagner en
indépendance. Financièrement,
avec un job étudiant, et
physiquement, puisque je dormais
souvent chez ma petite amie et
que je rentrais de moins en moins
chez mes parents qui habitaient
en banlieue. Les appeler par leur
prénom m’a semblé plus approprié
», décrit le jeune homme.
À l’âge adulte, c’est effectivement
en s’éloignant du terme « maman
», à la résonnance enfantine, que
certains s’affranchissent de la
tutelle parentale. Violaine Patricia
Galbert le confirme : « Avec le
parent, on utilise le prénom pour
signifier que l’on n’est plus un
bébé. Un adulte trouvera ridicule
de parler de ses parents à ses amis
en disant “maman” ou “papa”. »
Les parents n’apprécient pas
toujours ce qu’ils perçoivent
eux aussi comme une prise de
distance publique. Si sa famille
s’y est habituée, Corentin confie
tout de même que sa mère en a
souffert : « Elle est d’un naturel
assez protecteur, elle me couvait
beaucoup quand j’étais plus jeune.
Lorsque je l’appelle Françoise,
elle a parfois l’impression que
je m’éloigne, que je me détache
d’elle. »
Souvent, cette habitude d’appeler
ses parents par leurs prénoms peut
aussi refléter l’histoire familiale.
Depuis ses cinq ans, Émilie a
toujours appelé ses parents par
leur prénom, imitant simplement
son frère aîné. « Quand j’étais
plus jeune, mes parents étant très
pris par leur travail. Mon frère
s’occupait beaucoup de moi. Il
me ramenait à la maison après
l’école, me gardait, il m’apprenait
à faire mes lacets. Jusqu’à mes 8
ans, il était un peu un parent de
substitution », raconte-t-elle.
Mais avec une telle prise de
distance, quid des rapports
parents-enfant ? Sont-ils
plus amicaux ? Ou dénués de
sentiments et d’intimité ? Il
semblerait que si la décision ne
suit pas un bouleversement, de
bons rapports subsistent. « Avec
mon père, par exemple, nous
avons plus des rapports d’égal à
égal que de père à fils. Il discute
avec moi comme il parlerait avec
un ami. Mais je reste proche de
mes parents, ils sont les premiers
à savoir quand je vais mal et ils
connaissent ma vie », indique
Corentin.
Dans ces familles où les prénoms
ont remplacé les fonctions, les
rôles ne sont pas figés. Et souvent,
en vieillissant, le « maman » et
le « papa » peuvent revenir,
comme une tendresse qui se dit
enfin. Dernièrement, lors d’une
discussion autour d’un sujet
intime, Corentin avoue avoir
senti que le « maman » était
plus approprié. Quant à Émilie,
elle déclare les prononcer pour
manifester son amour profond.
« C’est rare, donc ça les touche
encore plus. »
Pourquoi certaines personnes appellent leurs parents par leur prénom ? / Photo : Getty images
16. 16 | N0
57 LUNDI 10 AOÛT 2015
SOCIÉTÉ
Ces bouillons qui tuent les africains (Jumbo, maggi, adja etc...)
Sources : gabonlibre.com
Dolli, Magi nokoss, Jumbo, Maggi, Joker, Adja, Jongué, Tak, Mami, Khadija, Dior, Tem Tem, autant de bouillons
utilisés par la cuisinière sénégalaise pour apporter la différence dans sa marmite. C’est une assiette de maladies
chroniques silencieuses qu’elle sert …
L
e plat sénégalais serait-il
devenu un vrai poison pour le
citoyen lambda ? La réponse
coule de source, face à la recru-
descence des maladies non transmis-
sibles. L’espérance de vie au Sénégal
en a pris aussi un sacré coup.
De nos jours, le repas traditionnel,
bien assaisonné, présenterait des goûts
culinaires souvent plus exquis que ceux
de nos mammys. Les Sénégalaises
férues de bonne saveur ont l’art de
mettre du piquant dans l’assiette.
Toutes sortes d’ingrédients passent
dans la marmite qui s’appauvrit de
plus en plus en valeurs nutritives et
s’enrichit en sel et calories. Quand les
exhausteurs du goût s’y mettent, il faut
simplement s’attendre à un cocktail….
explosif. Nombreux sont ceux qui
pointent l’index sur la cuisinière : le
poison est dans l’assiette.
Aux Sénégalaises, il est reproché de
mettre trop d’additifs culinaires dans
la marmite pour aiguiser l’appétit,
dénaturant le »thiébou dieune » qui
aurait été, à l’origine, un plat riche en
protéides. Tomate en poudre et plus
d’une dizaine de bouillons sont mises à
l’actif. »La recrudescence des maladies
telles le diabète et l’hypertension
artérielle sont causées par nos femmes
qui nous tuent à petit feu, avec leurs
substances toxiques. Nous sommes
tous malades à cause d’elles. Elles
ne cherchent qu’à écourter la vie des
hommes… », souligne, un brin ironique,
un vieux qui tient sur ses 70 berges,
rencontré au centre de diabétologie
Marc Sankalé.
Il demande aux autorités de ramener
à la raison les Sénégalaises, face
à leur utilisation abusive de cette
armada de bouillons présente sur
le marché sénégalais. Il n’est pas le
seul. Le 3éme âge se remémore, avec
nostalgie, les recettes toute nature et
sans artifice d’antan. »A notre époque,
on resplendissait de santé. On était
en pleine forme, car on mangeait
sainement. L’alimentation était
meilleure ». Du tout bio !
« Le bouillon règle un problème
économique. Ils donnent l’illusion du
goût »
Autre temps, autres réalités. La crise
économique a donné un coup de fouet
au panier de la ménagère. Aujourd’hui,
déplore Mme Salimata Wade, une
universitaire, par ailleurs responsable
de la »Compagnie du bien manger »,
qui réunit nutritionnistes, diététiciens
et spécialistes de la santé, le Sénégal est
l’otage d’une épidémie d’hypertension.
»Même les jeunes sénégalais sont
hypertendus », note t-elle. Et ce à
cause, d’une alimentation trop riche
en sels. Mme Salimata Wade craint
que cette situation ne s’aggrave, en
raison de la baisse du pouvoir d’achat
des Sénégalais. »C’est un problème de
société qui se pose. La structure du
budget n’est plus la même. Les repas
sont fractionnés, les charges énormes
et le coût de la vie très élevé ».
Quand elle passe à la loupe les
habitudes alimentaires des Sénégalais,
c’est pour détecter que le mal est d’une
dimension économique. Mme Salimata
Wade de s’expliquer. »Jadis, dit-elle,
nos mamans mettaient assez de viande,
de tomates fraîches, de légumes frais et
d’ingrédients dans la marmite. Ce n’est
pas par effet de mode que, de nos jours,
les femmes recourent de plus en plus
aux additifs culinaires. Les bouillons
règlent une dimension économique. Ils
donnent l’illusion du goût. Du point de
vue gustatif, cela donne de l’appétit ».
»Rééduquer le sénégalais et lui
apprendre à manger sainement »
Pour étayer sa thèse, la chercheuse
de donner l’exemple de l’équation
intenable de la ménagère sénégalaise
qui dispose d’un maigre budget. »Ce
n’est pas facile avec une maigre somme
de préparer du riz pour plus de quinze
personnes avec un kg de viande ou peu
de poisson. Tout est cher au marché.
Des sardines qui se vendaient à 50f par
pièce s’échangent aujourd’hui à 500
f, le kg de kéthiah coûte 1200 F Cfa,
un kg de tomates fraîches est vendu à
600. Elles n’ont pas souvent le choix »,
explique t-elle.
Pour résoudre une difficile équation, la
ménagère n’y va par quatre chemins.
Elle se rabat sur les multiples bouillons
qui donnent le goût du poisson, de la
tomate, des épices, de la viande ou des
légumes. Il suffit juste de débourser
au maximum 200f pour s’offrir autant
de saveurs. Et le tour est joué même
si les conséquences sont désastreuses,
avec des maladies chroniques et
silencieuses. Il s’y ajoute, d’après la
chercheuse Salimata Wade, »qu »il y
a trop de sel dans notre alimentation.
On aime ce qui est saturé en gras et
en sel ».
Mais pour l’universitaire, crever
l’abcès exige de s’attaquer aux produits
synthétiques qui inondent le marché
sénégalais. Les bouillons ne sont pas,
à cet effet, des cas isolés. »On ne
boit plus, par exemple, du jus mais
que des arômes qui sont des produits
chimiques ». Avec le système des
journées continues, les sandwichs, très
prisés à midi, se font à forte teneur de
mayonnaise, de moutarde, de ketchup
qui sont tout aussi nuisibles à la santé.
Comme solution, Mme Salimata Wade
préconise le retour du repas commun
en famille. »On n’a pas d’alimentation
idéale à proposer, cela n’existe pas. On
doit partir de ce que les gens ont pour
changer leurs habitudes alimentaires,
en tenant compte des données
économiques. Il faut rééduquer le
sénégalais et leur apprendre à manger
sainement ».
17. LUNDI 10 AOÛT 2015 N0
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CULTURE
1) Vous œuvrez dans la littéra-
ture depuis plus d’une décennie,
votre trajet peut-il vous conduire à
l’écriture ? Quel était, au cours de
votre enfance, votre rapport avec
les livres ?
Je lisais beaucoup de livres de
conte qui m’ont ouverte au monde,
les contes russes, les contes de
la mer avant mes dix ans… Puis
j’ai appris à aimer la poésie en
découvrant les recueils d’Yvon
Le Men à l’âge de treize ans. Les
livres m’ont donné envie d’écrire.
La présence de la mer tout autour
de la presqu’île où j’ai grandi m’a
appris la musique. Et mon grand-
père peintre m’a ouvert les yeux —
il pouvait peindre l’univers dans
un coquillage. Les livres, les gens
et les paysages ont forgé ma sen-
sibilité littéraire.
2) La littérature, pourquoi faire ?
La littérature façonne des mondes
qui nous permettent de mieux
appréhender la complexité du
monde. La littérature peut chang-
er un regard. Elle nous fait vivre
d’autres vies que la nôtre et nous
permet d’accepter de ne pas rester
dans une identité figée. Elle nous
rend plus sensibles, plus obser-
vateurs.3) À en croire Marguerite
Duras, chaque livre a toujours un
trajet difficile. Parmi vos textes
publiés, quels sont ceux qui vous
ont le plus marquée ?
La route des vents. Ce livre s’est
écrit avec mon corps tout entier,
puisqu’il relate des voyages que
j’ai effectués en plein hiver dans
l’est et dans le nord du Québec.
J’ai écrit les premières pages du
récit en 1995, alors que j’étais
en mouvement. Après sept ans
de travail, il a été publié en 2002
aux éditions de La Part commune,
puis réédité dans une version aug-
mentée en 2015. C’est donc un
livre qui m’a accompagnée pen-
dant vingt ans, et rien ne dit que
je ne continuerai pas à l’enrichir...
J’aime l’idée d’un livre ouvert,
comme une route, comme les
vents…
4) Vous êtes surtout éditée chez
Mémoire d’encrier et vous êtes
venue plusieurs fois en Haïti. Vous
avez connu Davertige à un point tel
qu’il a tenté de vous embrasser sur
la bouche. Vous écrivez cela dans
le collectif Bonjour, voisine. Et
votre recueil, La terre, cet animal,
a pour couverture un tableau de
Mevs, un peintre haïtien. Qu’est-
ce qui reste de votre rapport avec
Haïti jusqu’à aujourd’hui ?
Ma fréquentation de l’univers lit-
téraire haïtien remonte à 2003,
l’année où j’ai commencé à pub-
lier dans la maison d’édition nais-
sante Mémoire d’encrier.
J’ai d’abord découvert Haïti par
ses livres et ses auteurs : Rodney
Saint-Éloi, Davertige, Magloire
Saint-Aude, Yanick Lahens,
Émelie Prophète, Gary Victor,
Dany Laferrière, James Noël,
Makenzy Orcel, Franz Benjamin,
Jacques-Stephen Alexis, Franké-
tienne, Yanick Jean, Jacques
Roumain, Carl Brouard, Georges
Castéra, Dominique Batraville…
Je ne faisais pas de différence
entre les écrivains vivants et les
autres. Haïti, pour moi, c’était
cette volée de papillons élégants
dont les écrits me dévoilaient un
monde nouveau. C’est ainsi que
l’île a commencé à faire partie de
moi sans que je m’en aperçoive.
Il m’a fallu attendre dix ans pour
enfin me rendre en chair et en
os en Haïti, à l’occasion des «
Rencontres québécoises » de mai
2013. Avant le départ, je me suis
empressée de consigner toutes
mes représentations de l’île. Je
ne voulais rien oublier des saveurs
que mes incursions imaginaires
m’avaient permis de connaître.
Cela a donné le texte paru dans
le collectif Bonjour, voisine : «
Je ne connais pas Haïti, Haïti me
connaît. » C’est comme si ces dix
années de sensations volées dans
les livres et les regards avaient
tracé des pas pour une histoire
à venir.
Au mois de novembre de la
même année, je suis retournée à
Petit-Goâve animer des ateliers
d’écriture. Les jeunes auteurs qui
m’avaient invitée m’ont fait part-
ager leur enfance. Ils m’ont fait le
plus beau cadeau dont on puisse
rêver : ils m’ont offert un arbre,
un acajou, dans leur « Jardin du
livre ».
Depuis, je me retrouve souvent en
haut d’une colline surplombant
la baie de Petit-Goâve à jouer
au football avec les enfants. Il
pleut averse et je cours dernière
le ballon dans l’équipe des filles.
Ma robe, un simple tissu noué,
est trempée. Tout est vert et doré
dans les mornes. J’ai 41 ans ce
jour-là, et j’ai l’impression d’en
avoir 14. Au retour vers le Jardin
du livre, on prend notre douche
près du bassin où les femmes
lavent leur linge. J’ai le goût d’un
bâton de canne à sucre. Cela me
revient comme un miel blanc. Une
joie pure.
Quand un jeune homme de Petit-
Goâve m’a confié que mon recueil
La terre, cet animal avait « bercé
son enfance », j’ai eu le sentiment
d’avoir vécu en secret dans l’île
d’Haïti toutes ces années sans le
savoir.
Je pense souvent à mon arbre
qui vit dans le « Jardin du livre
». Nous sommes reliés. Cet acajou
est encore jeune. Nous avons le
temps de grandir ensemble…
5) « Le port est un bateau » ; « La
montagne te donne à boire son
ombre » ; « Loin de la mer, je vois
la mer » : voilà des vers de votre
dernier recueil Orange sanguine.
Vous parlez souvent de la mer, sur-
tout dans La terre, cet animal.
Que représente la mer pour vous ?
J’ai grandi au bord de la mer, face
à son mouvement permanent, à
l’écoute de son souffle relié aux
planètes. Elle m’a appris à me
fondre dans le monde. La mer fait
partie de moi comme ma respi-
ration. Quand je suis loin d’elle,
j’écris pour entendre battre son
intime musique sous ma peau.
6) « La vie s’enroule au soleil » ;
« Ce n’est pas la neige qui tombe,
c’est nous qui descendons dans la
blancheur opaque » ; « Dix soleils
brûlent de froid ». Dans le dernier
vers cité, il y a comme un para-
doxe. Qu’est-ce qui vous amuse
dans ces deux climats opposés ?
Dans ce poème, je parlais des
oranges d’un arbuste oublié près
d’une fenêtre pendant l’hiver :
Un oranger
Contre la vitre
Encadrée par des briques
Des câbles noirs
Les voisins sont partis
Sans leur arbuste
Dix soleils brûlent de
froid.
Quand tout est blanc, enneigé,
glacé, l’œil cherche instinctive-
ment à s’accrocher aux couleurs
chaudes. Et comme le froid intense
donne vraiment une sensation de
brûlure, cette image presque bru-
tale de petits fruits m’est venue
naturellement. Elle parle aussi des
émotions, de l’abandon…
7) Les lecteurs peuvent s’attendre
à une nouvelle publication très
prochainement ?
Cet automne, « Le cercle du rivage
», une nouvelle que j’ai écrite à
partir de photographies de Chris
Friel, paraîtra sous forme de livre
numérique, avec les images qui
l’ont inspirée, aux éditions Publie.
net.
8) Quels sont vos mondes
d’influence ?
Ils sont nombreux et variés. Au
départ, les auteurs comme Julien
Gracq, Jean Giono, Charles
Baudelaire, la rencontre avec
le poète Yvon Le Men qui est
devenu mon guide, d’abord par
ses livres puis en personne, la
lecture des écrivains voyageurs
(Bashô, Bouvier, Cendrars) , les
écrivains naturalistes américains
(Thoreau, Dillard), ; ma décou-
verte de la poésie québécoise en
1993 (Hector de Saint-Denys-
Garneau, Louise Dupré, Isabelle
Miron, Catherine Fortin, Denise
Desautel, René Lapierre…), la
rencontre avec le peuple innu
en 1996 et cette immense poésie
qui se transmet en marchant, mes
amitiés avec des auteurs des Pre-
mières Nations comme Joséphine
Bacon et N. Scott Momaday, la
richesse de la littérature haïtienne
depuis ma rencontre avec Rodney
Saint-Éloi en 2003… La Bretagne
d’où je viens, le Québec où je vis,
le monde amérindien et Haïti qui
m’accompagnent, l’Afrique du
Nord d’où viennent mes grands-
parents paternels sont autant de
mondes qui nourrissent mon univ-
ers grand ouvert à de nouvelles
rencontres.
9) Michel Onfray a dit que la phi-
losophie lui a sauvé la vie, la lit-
térature peut-elle aussi sauver la
vie ?
Oui, je le crois, puisqu’elle est
« souffle ».
La littérature est « souffle »Par Carl henri Pierre
INTERVIEW
Comme la philosophie, Laure Moralie croit que la littérature peut sauver la vie. Elle s’est confiée dans un entretien
au journal Le National.