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Mémoire de master 2 " urbanisme et aménagement "
parcours Opérateurs Urbains (OU), spécialité Expertise Internationale
des Villes en DĂ©veloppement (EIVD)
Année 2010
Le projet de rĂ©novation de SĂŒleymaniye entre intervention urbaine et
politique : La mise aux normes d’un quartier au service d’enjeux
identitaires et internationaux
Lucie Renou
Encadrants : - A. Deboulet (IFU)
- M.-F. Gribet (IFU)
- Y. Morvan (IFEA)
- J.-F. PĂ©rouse (IFEA)
- N. Seni (IFEA)
Université de Paris Est Marne la Vallée
Institut Français d’Urbanisme
2
Remerciements
Au moment oĂč j’écris ces lignes, mon mĂ©moire se termine, et avec lui, mon cursus
universitaire s’achùve. J’adresse donc dans un premier temps, mes remerciements à toute
l’équipe enseignante de l’IFU pour m’avoir guidĂ© tout au long de ma formation en urba-
nisme (et particuliÚrement aux professeurs des options Opérateurs Urbains et Expertise
Internationale des Villes en DĂ©veloppement que j’ai suivies).
Dans un second temps, ce mémoire est le fruit de nombreuses interactions et ren-
contres. Les personnes Ă  remercier sont nombreuses. Je tiens ici Ă  remercier particuliĂšre-
ment :
– Les professeurs et chercheurs, qui ont encadrĂ© ce mĂ©moire, m’ont conseillĂ© et mo-
tivé tout au long de sa réalisation : AgnÚs Déboulet, Marie-Françoise Gribet, Yoann
Morvan, Jean-François Pérouse et Nora Seni.
– Plus gĂ©nĂ©ralement toute l’équipe de l’IFEA, les chercheurs, les doctorants ainsi
que les stagiaires pour l’ambiance de travail agrĂ©able, mais aussi pour toutes ces
discussions enrichissantes qui ont participĂ© Ă  l’orientation de ce mĂ©moire : EloĂŻse,
Brian, Clémence, Annabelle, Jonathan et tous les autres.
– Toutes les personnes Ă  Istanbul qui ont acceptĂ© de me recevoir, de partager leurs
connaissances avec moi et surtout Ali, Julia, Derya, HĂŒlya, Cihan et Murat GĂŒvenç
pour le temps que vous m’avez accordĂ©, votre patience et votre gĂ©nĂ©rositĂ©.
– Vanessa ! Pour m’avoir consacrĂ© quinze jours de tes vacances et sans qui mon en-
quĂȘte de terrain n’aurait pas Ă©tĂ© possible. En mĂȘme temps, je remercie tous les ha-
bitants et travailleurs de SĂŒleymaniye qui ont participĂ© Ă  cette petite enquĂȘte, merci
pour votre hospitalité.
– EnïŹn, je remercie trĂšs chaleureusement mes amis et ma famille qui m’ont soutenu
et m’ont menĂ© jusqu’ici, particuliĂšrement mes parents, Cam, Flo et Viv, et enïŹn
Adrien, sans l’aide de qui la mise en page de ce mĂ©moire n’aurait pas Ă©tĂ© la mĂȘme...
J’espĂšre que vous l’apprĂ©cierez.
REMERCIEMENTS
4
Table des matiĂšres
Remerciements 3
Table des matiĂšres i
Table des ïŹgures iii
Introduction 1
A Le projet de rĂ©novation de SĂŒleymaniye entre intervention urbaine et po-
litique : la mise aux normes d’un quartier au service d’enjeux identitaires
et internationaux . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1
B Istanbul, une mégapole en pleine croissance . . . . . . . . . . . . . . . . 6
C Le projet de rĂ©novation de SĂŒleymaniye, continuitĂ© ou rupture avec les
projets précédents ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 11
D MĂ©thodologie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 16
I Comprendre le projet de rĂ©novation de SĂŒleymaniye 19
A Injonction internationale Ă  la restructuration urbaine . . . . . . . . . . . . 19
B SĂŒleymaniye, un symbole pour le parti : la question identitaire. . . . . . . 24
C Diagnostic : SĂŒleymaniye, un quartier dĂ©gradĂ© et stigmatisĂ© . . . . . . . . 30
II Dimension politique du projet critiquée 49
A Le projet vu Ă  travers ses discours : quels objectifs . . . . . . . . . . . . . 49
B La loi 5366 comme outil puissant de la politique de Kentsel DönĂŒsĂŒm . . 59
C Critiques : les réactions de la société civile . . . . . . . . . . . . . . . . . 65
III Des modalitĂ©s d’application radicales au service d’enjeux privĂ©s et identi-
taires 71
A Façadisme et néo-ottomanisme : une vision singuliÚre du patrimoine . . . 71
TABLE DES MATIÈRES
B Enjeux Ă©conomiques : l’immobilier Ă  l’heure de la spĂ©culation. . . . . . . 84
C Enjeux sociaux : pour une moralisation de la péninsule. Un processus
d’expropriation violent . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 93
Conclusion 105
Bibliographie 109
ii
Table des ïŹgures
1 Carte de la croissance urbaine d’Istanbul. Source fond de carte (PĂ©-
rouse, 2001) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 10
I.1 SĂŒleymaniye, un quartier dominant. Source : photo prise en juin 2010 . 25
I.2 Fonctions du quartier de SĂŒleymaniye par zone. Source : d’aprĂšs un
relevé effectué les 11 et 12 juillet . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 30
I.3 Fonctions du quartier de SĂŒleymaniye par parcelle. Source : d’aprĂšs
un relevé effectué les 11 et 12 juillet . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 31
I.4 Etat du bĂąti. Source : d’aprĂšs un relevĂ© effectuĂ© les 11 et 12 juillet . . . . 33
I.5 les différentes catégories de bùti. (a) dégradé, (b) bon état ou passable,
(c) détruit, (d) réhabilité. Source : photos prises en juin 2010 . . . . . . 34
I.6 Niveau scolaire des habitants par sous-quartier. Source : Données four-
nies par Murat GĂŒvenç . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 36
I.7 Taille des ménages des habitants par sous-quartier. Source : Données
fournies par Murat GĂŒvenç . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 37
I.8 Répartition des activités professionnelles des habitants. Femmes à
gauche ; Hommes Ă  droite. Source : DonnĂ©es fournies par Murat GĂŒ-
venç . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 37
I.9 RĂ©partition des secteurs d’activitĂ©s des habitants. Hommes Ă  gauche ;
Femmes Ă  droite. Source : DonnĂ©es fournies par Murat GĂŒvenç . . . . . 38
I.10 Statut d’occupation par sous-quartier. Source : DonnĂ©es fournies par
Murat GĂŒvenç . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 39
I.11 Lieux de naissance des habitants. Source : Données fournies par Murat
GĂŒvenç . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 40
I.12 Le KĂŒĂ§ĂŒkpazar. Source : photo prise en juin 2010 . . . . . . . . . . . . 44
TABLE DES FIGURES
II.1 Kentsel yenileme alanı (secteur de rénovation urbaine). Source : KIP-
TAS, SĂŒleymaniye Sunum, 30.12.2009 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 50
II.2 Ancienne photo de SĂŒleymaniye. Source : KIPTAS, SĂŒleymaniye Su-
num, 30.12.2009 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 51
II.3 PĂ©rimĂštre du projet prioritaire. Source : KIPTAS, SĂŒleymaniye Sunum,
30.12.2009 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 52
II.4 Situation de l’ülot 565 dans le quartier. Source : KIPTAS, SĂŒleymaniye
Sunum, 30.12.2009 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 53
II.5 PrĂ©sentation de l’ülot 565 avant et aprĂšs projet. Source : KIPTAS, SĂŒ-
leymaniye Sunum, 30.12.2009 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 54
II.6 Situation hier, aujourd’hui, demain. Source : KIPTAS, SĂŒleymaniye
Sunum, 30.12.2009 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 55
II.7 Carte des projets de rénovation sur la rive européenne. Source : (AGFE,
2009) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 59
III.1 Exemple de façadisme. Source : photo prise en juin 2010 . . . . . . . . 72
III.2 Façade rénovée par KUDEB. Source : photo prise en juin 2010 . . . . . 73
III.3 RĂ©habilitation privĂ©e d’une rue par l’architecte Monsieur Y. Source :
photo prise en juin 2010 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 75
III.4 RĂ©habilitation d’une rue rĂ©alisĂ©e par KUDEB. Source : photo prise en
juin 2010 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 76
III.5 Maison réhabilitée disproportionnée. Source : photo prise en juin 2010 77
III.6 Exemples de logements construits de KIPTAS. Source : http ://www.kiptas.com.tr
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 87
III.7 Organigrammes du projet de Balat. Source : D’aprùs les entreriens avec
D. Aslan et H. Gargin . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 91
III.8 Organigrammes du projet de SĂŒleymaniye. Source : D’aprĂšs les entre-
riens avec D. Aslan et H. Gargin et Melle Z . . . . . . . . . . . . . . . . 92
III.9 Etat d’un ilĂŽt aprĂšs de multiples destructions illĂ©gales. Source : photo
prise en juin 2010 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 96
III.10Des enfants jouent dans les ruines d’un immeuble. Source : photo prise
en juin 2010 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 98
III.11Des enfants jouent dans les ruines d’un immeuble. Source : photo prise
en juin 2010 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 99
III.12Source : photo prise en juin 2010 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 103
iv
Introduction
A Le projet de rĂ©novation de SĂŒleymaniye entre inter-
vention urbaine et politique : la mise aux normes d’un
quartier au service d’enjeux identitaires et internatio-
naux
« RĂ©activer la culture ottomane », « retrouver le quartier de SĂŒleymaniye » ... tels
sont les slogans portĂ©s par les dĂ©fenseurs du projet de rĂ©novation de SĂŒleymaniye.
SĂŒleymaniye est un quartier de la pĂ©ninsule historique d’Istanbul. Il est reconnu pour
la richesse de son patrimoine architectural, aussi bien monumental (la mosquée de Soli-
man le MagniïŹque) que vernaculaire (les maisons en bois). Mais il est surtout le symbole
de la grandeur ottomane. Au XVIĂšme siĂšcle, SĂŒleymaniye est connu pour ĂȘtre le lieu
de résidence des vizirs et des grands juges. Cette caractéristique identitaire se perpétue
aujourd’hui par la prĂ©sence de fondations religieuses dans le quartier. Or, il est aussi un
quartier trĂšs dĂ©gradĂ© et stigmatisĂ©. DĂ©gradĂ©, car l’état du bĂąti, et a fortiori, des conditions
de vie, y est dĂ©plorable. StigmatisĂ©, car le nom du quartier est aujourd’hui associĂ© aux
chambres de célibataires qui le composent. Ces chambres sont louées à des jeunes tra-
vailleurs qui la partagent le temps d’accumuler de l’argent pour envoyer à leur famille,
dans l’est du pays, en Anatolie ou encore dans la rĂ©gion de la mer Noire. Le quartier de
KĂŒĂ§ĂŒkpazar Ă  SĂŒleymaniye, est un des plus emblĂ©matiques de cette population immigrĂ©e
(de l’intĂ©rieur). Ainsi, l’état physique et le proïŹl social du quartier en font depuis les
années 2000 un terrain de projet.
En 2006, la municipalitĂ© de l’arrondissement de Fatih dĂ©clare que SĂŒleymaniye est
dĂ©sormais classĂ© zone de renouvellement. Si la nĂ©cessitĂ© d’une intervention n’est pas re-
mise en question, les modalités de ce projet sont pour le moins à interroger. Le tissu
urbain de SĂŒleymaniye est classĂ© depuis 1985 au patrimoine de l’UNESCO. Pourquoi la
INTRODUCTION
municipalitĂ© prĂ©voit-elle un projet de rĂ©novation plutĂŽt qu’un projet de rĂ©habilitation ?
Cette question se pose d’autant plus que le projet prĂ©voit de reconstruire des maisons
ottomanes conformément à des photographies anciennes du quartier. Entre démolition et
patrimonialisation, quelles sont les motivations et les ambitions de la municipalité ? En
outre, pourquoi choisir le retour aux maisons ottomanes ? Quelle clientĂšle ce projet vise-
t-il ?
A.1 Un projet de rĂ©novation et d’expulsion
La démolition fait partie intégrante du processus du projet. Sur les parcelles vidées
du bĂąti antĂ©rieur, naĂźtront de nouvelles konaks, ou maisons ottomanes. Il s’agit dĂšs lors
de s’interroger sur le type de projet auquel on a affaire. Restauration ? RĂ©novation ? Des
références sont faites aux deux notions.
D’aprĂšs le dictionnaire de la gĂ©ographie et de l’espace des sociĂ©tĂ©s (LĂ©vy, Lussault,
2003), la restauration comme la rĂ©novation sont des « types d’intervention architecturale
ou urbanistique sur des espaces construits », en ce qui concerne le vocabulaire adminis-
tratif et opĂ©rationnel français bien sĂ»r. Dans le cas de la restauration, il s’agit essentielle-
ment d’ « un rapport admiratif au passĂ© qui vise Ă  la conservation et implique une action
de reconstruction Ă  l’identique »(LĂ©vy, Lussault, 2003, p 788). Le projet de SĂŒleymaniye
semble ĂȘtre dans cet esprit. Le fait qu’il ne prĂ©voit la construction uniquement de konaks
montre bien le rapport idéalisé au passé ottoman. Toutefois, si le projet vise bien la re-
construction à l’identique, par diverses photographies anciennes du quartier, on ne peut
que remarquer qu’il ne s’agit pas de conservation, ni de rĂ©habilitation, mais de destruction
dans un premier temps. NĂ©anmoins, la rĂ©fĂ©rence Ă  la restauration ne s’arrĂȘte pas Ă  un rap-
port admiratif -voire nostalgique- au passĂ©. D’une part, la restauration est une pratique
qui a des ïŹns ludiques et touristiques. Elle utilise et apprĂ©hende l’espace urbain comme
un dĂ©cor. Il s’agit bien, lĂ , du projet de SĂŒleymaniye dont un des premiers objectifs est de
promouvoir sur la scùne internationale l’image d’une ville moderne, promotion qui passe
Ă©galement par la touristiïŹcation de la ville. D’autre part, elle est « un levier de gentriïŹca-
tion » (ibid.), utilisée essentiellement dans les centres-ville dégradés et paupérisés par le
départ des propriétaires en périphérie et permet ainsi la réalisation de plus value immobi-
liĂšre. Ce qui est Ă©galement le cas Ă  SĂŒleymaniye oĂč nous sommes confrontĂ©s Ă  un quartier
dégradé du centre ancien, dont le potentiel foncier et immobilier est trÚs important.
En ce qui concerne l’action sur le bĂąti, la rĂ©fĂ©rence Ă  la rĂ©novation est aussi pertinente
puisque celle-ci fait « table rase pour Ă©diïŹer selon les normes en vigueur » (LĂ©vy, Lus-
2
.A Le projet de rĂ©novation de SĂŒleymaniye entre intervention urbaine et politique :
la mise aux normes d’un quartier au service d’enjeux identitaires et internationaux
sault, 2003, p789). AïŹn de justiïŹer cette opĂ©ration radicale, des rĂ©fĂ©rences sont faites dans
les discours à la dégradation du bùti et au risque sismique. Lussault souligne le fait que
« la rĂ©novation – alias destruction-reconstruction – se fait presque toujours au dĂ©triment
des populations en place et il en rĂ©sulte d’importants changements de statuts fonctionnels
et sociaux de l’espace » (ibid.). C’est pourquoi cette pratique a rapidement Ă©tĂ© critiquĂ©e
en France, notamment avec l’arrivĂ©e de la loi Malraux sur les secteurs sauvegardĂ©s qui
dĂ©nonce ces pratiques bulldozers. NĂ©anmoins, elle est toujours utilisĂ©e, mĂȘme s’il s’agit
souvent d’espace moins sacrĂ©, comme dans des reconversions industrielles ou des requa-
liïŹcations de grands ensembles...
Ainsi, le projet oscille entre deux pratiques radicales, qui sont souvent présentées
comme opposĂ©es, mais qui, dans le cadre du projet de SĂŒleymaniye, semblent para-
doxalement complĂ©mentaires. En effet, l’esprit et les objectifs du projet relĂšvent de la
restauration. Est-ce l’inïŹ‚uence des mĂ©thodes europĂ©ennes et leur souci d’un retour Ă 
l’authentique ? À ce propos, notons que cette idĂ©ologie n’est pas universelle. Les villes
asiatiques ont plus souvent opté pour un engagement dans des constructions modernes
qui soulignent une rupture avec le passé. Cette volonté, de la part des autorités turques,
de rappeler le passĂ© ottoman se rĂ©pand Ă  plusieurs niveaux. Certains parlent mĂȘme de
nĂ©o-ottomanisme ou d’ottomanisation. Ce qui pourrait ĂȘtre une particularitĂ© du projet.
Toutefois, il s’agit de noter que cette rĂ©fĂ©rence au patrimoine fait partie des pratiques
mondialisĂ©es et des atouts de ce que pourrait ĂȘtre une ville internationale. EnïŹn, il est in-
déniable que le projet emprunte les méthodes de la rénovation, qui passe par la destruction
et implique dÚs lors des conséquences sociales et fonctionnelles que nous analyserons.
Remarquons somme toute qu’aucune rĂ©fĂ©rence n’est faite Ă  la rĂ©habilitation dans le
projet de la municipalité. Elle est pourtant une pratique plus modérée qui vise « le réta-
blissement d’un Ă©diïŹce ou d’un ensemble d’immeubles dans ces capacitĂ©s Ă  abriter des
activitĂ©s et des habitants ». Elle sous-entend que « les principales caractĂ©ristiques de l’ob-
jet sont préservées et insérées dans un nouveau fonctionnement adapté au temps présent ».
Or, si la mairie ne s’y rĂ©fĂšre pas pour le projet prioritaire de SĂŒleymaniye (pĂ©rimĂštre KIP-
TAS 1), il s’agit de noter que des expĂ©riences de rĂ©habilitations ont nĂ©anmoins eu lieu par
divers acteurs comme l’agence mĂ©tropolitaine KUDEB 2 et les propriĂ©taires eux-mĂȘmes.
1. La situation gĂ©ographique du quartier de SĂŒleymaniye, ainsi que le pĂ©rimĂštre du projet sont prĂ©sentĂ©s
en annexe B, p 115
2. KUDEB est la direction de mise en oeuvre et de contrĂŽle de la conservation. Elle est une agence
municipale qui a comme mission de délivrer les permis de construire pour des travaux mineurs de réparation.
Elle est souvent invitĂ©e Ă  rĂ©aliser ces travaux, lorsqu’ils sont mineurs. Ils concernent souvent la façade du
bĂątiment. Pour plus d’informations sur cette agence, se reporter Ă  l’annexe C qui prĂ©sente les diffĂ©rents
3
INTRODUCTION
On note Ă©galement une rĂ©habilitation. Celle de la mosquĂ©e de Soliman le MagniïŹque
lancĂ©e par la grande municipalitĂ© d’Istanbul (IBB), Ă  l’occasion de l’évĂ©nement Istanbul,
Capitale EuropĂ©enne de la Culture 2010. Ceci montre un rapport diffĂ©rent Ă  l’architecture
monumentale et à l’architecture vernaculaire.
De fait, malgrĂ© les diffĂ©rents plans de sauvegarde, l’UNESCO menace de placer Is-
tanbul sur la liste du patrimoine en danger depuis 2004. Sont remises en cause les restau-
rations mal faites et les projets destructeurs qui se développent depuis les années 2000.
En cette annĂ©e 2010, alors qu’Istanbul est Capitale europĂ©enne de la Culture, l’UNESCO
a placĂ© Istanbul sur la liste du patrimoine en danger pour une durĂ©e limitĂ©e ïŹn juillet. Le
comitĂ© est revenu sur sa dĂ©cision depuis le mois d’aoĂ»t, mais il demande impĂ©rativement
que des changements soient faits pour février 2011 dans plusieurs projets urbains. Parmi
les quatre principaux reproches Ă©noncĂ©s par l’UNESCO se trouve la politique de rĂ©nova-
tion urbaine accélérée par la loi 5366, qui confÚre aux municipalités le droit et le pouvoir
d’exproprier Ă  l’intĂ©rieur de « zones de renouvellement ». Comment, Ă  travers ce projet,
les autoritĂ©s turques font-elles la promotion d’un patrimoine architectural reconstituĂ© au
détriment de la population locale et du patrimoine mémoriel, immatériel ?
A.2 Un projet politique et identitaire
Seules les illustrations de belles konaks 3 nous indiquent le type de public attendu.
En effet, ces demeures Ă©taient rĂ©servĂ©es Ă  l’aristocratie ottomane ou construites par de
riches particuliers. La volonté de « ré »-introduire ce genre de résidence dans le quartier
de SĂŒleymaniye montre bien l’ambition d’en changer le proïŹl social. Toutefois, rien n’est
mentionnĂ© quant Ă  la composition sociale du quartier. Aucun Ă©quipement n’est prĂ©vu.
Ce projet semble ĂȘtre uniquement architectural, mais dans le choix de l’architecture, les
konaks, le message semble clair : il s’agit de « rĂ©animer la culture ottomane » 4.
Ainsi, il semble d’emblĂ©e que ce projet soit un projet rĂ©sidentiel pour une catĂ©gorie
sociale bien spĂ©ciïŹque, aisĂ©e et en lien avec la culture ottomane. On note qu’une bour-
geoisie islamique émerge dans les années 1980. Elle est liée au pouvoir par un mode
de vie commun, une esthĂ©tique commune, une afïŹnitĂ© historique, et des intĂ©rĂȘts Ă©cono-
miques concrets. DĂšs lors la dimension politique du projet doublerait, ou du moins serait
acteurs intervenant dans le projet.
3. Les konak sont les palais, rĂ©sidences ou grandes maisons construites durant dans l’Empire ottoman
par de riches particuliers ou membres de l’aristocratie. Elles sont souvent rĂ©alisĂ©es en bois, et comprennent
une çikma (une avancĂ©e en encorbellement qui surplombe la rue et agrandit l’espace intĂ©rieur), et une entrĂ©e
surélevée par rapport au trottoir.
4. « Osmanli KĂŒltĂŒrĂŒnĂŒ yeniden Canlandirmak », l’express, Ayse Cavdar.
4
.A Le projet de rĂ©novation de SĂŒleymaniye entre intervention urbaine et politique :
la mise aux normes d’un quartier au service d’enjeux identitaires et internationaux
liĂ© Ă , son caractĂšre identitaire. Le parti au pouvoir depuis 2002 est l’AKP. Il est le parti
de la justice et du développement. Il naßt de la scission en 2001 du parti islamiste le Re-
fah, parti du bien-ĂȘtre, de N. Erbakan. Remarquons qu’en 2002, l’AKP obtient, avec prĂšs
de 35% des voix, la majorité absolue au Parlement turc. Il occupe dés lors 363 des 550
siĂšges Ă  la grande AssemblĂ©e nationale. « IdĂ©ologiquement, il n’est pas facile de quali-
ïŹer l’AKP. Parti islamique, parti d’islamistes, parti de l’Islam politique, Islam modĂ©rĂ©,
nĂ©o-islamisme, dĂ©mocratie musulmane... qui se dĂ©ïŹnit ofïŹciellement comme dĂ©mocrate
conservateur » (Chenal, 2005). Il s’agit de souligner que trĂšs rĂ©cemment, le 12 septembre
2010, la montĂ©e en puissance de l’AKP a Ă©tĂ© conïŹrmĂ©e. Le rĂ©fĂ©rendum proposant de rĂ©-
viser certaines dispositions de la Constitution de 1982 a été approuvé à 58% des voix.
Ce référendum proposait en particulier de « restructurer la hiérarchie judiciaire et de sou-
mettre un peu plus l’autoritĂ© militaire Ă  l’État de droit » (OVIPOT, Marcou, 2010). Cette
victoire aurait pour consĂ©quences d’affaiblir l’établissement militarojudiciaire, seule ins-
tance susceptible de gĂȘner les actions de l’AKP d’aprĂšs J. Marcou (ibid.).
« Le monde de l’AKP est un monde qui se pose en tant que bourgeoisie concurrente
de celle née aprÚs la 2nde Guerre mondiale. Leur position est concurrentielle. Ils ont
dĂ©cidĂ© de la vivre en y mettant une esthĂ©tique concurrente (foulards, architecture “nĂ©o-
ottomane”...). On peut parler d’un entre soi de cette bourgeoisie non kĂ©maliste 5, qui ne
se voit pas fondĂ©e sur les valeurs kĂ©malistes (de la rĂ©publique des annĂ©es 1920, jusqu’aux
années 1950). En termes de chiffres, cette bourgeoisie AKP ne représente encore que 10
% des 500 familles turques qui paient le plus d’impĂŽts » (D’aprĂšs un entretien avec Nora
Seni, juillet 2010). Mais, il semble qu’elle se dĂ©veloppe.
La question identitaire est trĂšs importante ici. En ce sens, le projet serait instrumenta-
lisĂ© par la politique de l’AKP. La rĂ©novation urbaine est ici l’instrument d’enjeu politique
Ă  court terme (Ă©lections), et d’une question identitaire Ă  plus long terme (imposer une
nouvelle esthĂ©tique, des symboles de reconnaissance, de nouvelles valeurs). L’AKP, par
ce projet, se lierait Ă  ses partisans en leur offrant un environnement symbolique.
Il s’agit dĂšs lors de prĂ©senter en introduction les enjeux urbains que connaĂźt la mĂ©ga-
pole stambouliote aujourd’hui, ainsi que les projets prĂ©cĂ©dents appliquĂ©s Ă  la pĂ©ninsule
historique aïŹn de mettre en perspective le projet. Se fait-il en continuitĂ© ou rupture avec
les plans précédents ?
Dans le corps de ce mémoire, nous essaierons dans un premier temps de comprendre
5. Les kĂ©malistes sont les partisans de la RĂ©publique introduite en 1923 par Mustafa Kemal AtatĂŒrk.
5
INTRODUCTION
les motivations du projet en partant d’une mise en contexte du quartier de SĂŒleymaniye
comme quartier dĂ©gradĂ© d’une ville internationale, symbole de l’Empire ottoman, mais
aussi lieu stigmatisĂ© par sa population. Dans un second temps, il s’agira d’analyser le
projet que propose la mairie, à travers ses différents discours et le cadre politique et ju-
ridique dans lequel il s’inscrit. EnïŹn, nous essaierons de comprendre les enjeux socio-
Ă©conomiques et symboliques du projet qui ressortent Ă  travers ses modalitĂ©s s’application.
B Istanbul, une mégapole en pleine croissance
Trois Ă©lĂ©ments majeurs doivent ĂȘtre pris en considĂ©ration pour comprendre la pression
fonciùre que connaüt la ville d’Istanbul aujourd’hui, et, a fortiori, pour comprendre les
enjeux des projets de renouvellement.
B.1 Croissance démographique élevée
D’aprĂšs les critĂšres de l’ONU, Istanbul est une mĂ©gapole Ă  l’échelle de la Turquie
et du bassin méditerranéen. En 2008, elle est une agglomération urbaine rassemblant
prùs de quinze millions d’habitants, soit plus que la population de l’Ile de France. En
termes dĂ©mographiques, on note bien une « mĂ©gapolisation » d’Istanbul : sa population
a presque triplĂ© depuis les annĂ©es 1980 6. En outre, la place d’Istanbul dans l’armature
urbaine turque va en s’afïŹrmant. Son aire urbaine a rattrapĂ© les dĂ©partements limitrophes,
elle s’étend sur plus de 140 km de part et d’autre du Bosphore, comme l’Ile de France qui
s’étale sur plus de 130 km d’est en ouest.
Depuis les annĂ©es 1980, « un spectaculaire changement de dimension s’est opĂ©rĂ© :
Istanbul est devenue une région urbanisée » (Pérouse, 2001, p 205). Sa croissance an-
nuelle varie autour de 4 % par an, de 250000 Ă  350000 habitants (Ă  titre de comparaison,
la ville de Nantes compte plus de 290000 habitants), croissance comprenant une part dé-
terminante de dynamique migratoire. « En 1997, 63 % des habitants du dĂ©partement n’y
étaient pas nés » (ibid.). Une des raisons qui explique cette croissance démographique
rĂ©side dans le fait qu’Istanbul est un pĂŽle migratoire majeur. Si depuis les annĂ©es 1980,
on note que les migrants sont globalement plus urbains que ruraux, on observe que les
ïŹ‚ux n’ont de cesse. Un ïŹ‚ux migratoire important en provenance des rĂ©gions kurdes Ă  l’est
du pays se fait ressentir en rĂ©action aux troubles qui sĂ©vissent dans ces rĂ©gions. D’autre
part, une proportion non nĂ©gligeable de migrants est composĂ©e d’étrangers en transit qui
6. On passe de 4,7 millions Ă  plus de 15 millions d’habitants dans le dĂ©partement aujourd’hui.
6
.B Istanbul, une mégapole en pleine croissance
tentent de gagner l’Europe (PĂ©rouse, 2002). Ces Ă©trangers de passage deviennent souvent
des Ă©trangers clandestins qui peuvent rester trĂšs longtemps dans la capitale aïŹn d’obtenir
les visas et faux papiers.
Ce phĂ©nomĂšne migratoire important induit de nouveaux modes d’habiter plus ou
moins temporaires, dans la capitale. Ils traduisent des mobilités entre le département
d’origine et la mĂ©tropole, voire entre la mĂ©tropole et l’étranger. Une des particularitĂ©s
d’Istanbul est cette « population en mouvement » qui Ă©chappe au recensement (PĂ©rouse,
2001).
B.2 Croissance économique et culturelle : volonté de faire une ville
internationale de premier rang
Istanbul concentre et produit une grande part de la richesse turque si on prend en
compte le Grand Istanbul qui va jusqu’à Izmit. Cette donnĂ©e est toutefois Ă  nuancer par
le fait que le dĂ©partement d’Istanbul est classĂ© au sixiĂšme rang national en fonction du
revenu annuel par tĂȘte d’habitants. En 1998, le Grand Istanbul concentre deux tiers des
cinquante plus grands groupes industriels de la Turquie (Philsa, Arçelik...). Sur les 10
plus grands groupes, 9 ont leur siÚge et leur principale unité de production dans le Grand
Istanbul. Ces chiffres ofïŹciels peuvent ĂȘtre revus Ă  la hausse si on ajoute le secteur in-
formel qui est considérable à Istanbul. La moitié des secteurs industriels ou tertiaires ne
seraient pas déclarés (OCDE, 2008).
La prĂ©sence des grandes holdings turques donne forme Ă  une polarisation ïŹnanciĂšre Ă 
Istanbul. La prĂ©sence boursiĂšre est Ă©galement forte, l’une des plus attractives au Proche
et Moyen orient. Selon Morgan Stanley, la Turquie Ă©tait mĂȘme au 2e rang mondial des «
marchĂ©s ïŹnanciers Ă©mergents » en 1996. En outre, l’afïŹrmation d’ambitions internatio-
nales se fait ressentir, mĂȘme si l’opacitĂ© et le dysfonctionnement administratifs freinent
cet engouement.
Ces Ă©volutions se traduisent dans l’espace. Depuis 1985, on observe une verticalisa-
tion du bĂąti. Une multitude de tours dessine l’« Istanbul Manhatani » sur l’avenue BĂŒyĂŒk-
dere qui concentre la plupart des siĂšges sociaux des holdings. (Alarko, Banque Turc du
Travail...) Dans les annĂ©es 1980, l’architecture commerciale se diffuse. Les Turcs font
rĂ©fĂ©rence aux « centres commerciaux gĂ©ants » (cf. Akmerkez d’Etiler). Les nouvelles
autoroutes et voies express Ă©galement marquent et fracturent le paysage.
En outre, Istanbul maintient et accroĂźt son rĂŽle de centre culturel et attractif. 60 %
des foires et expositions turques ont lieu Ă  Istanbul en 1997. La ville dispose des infra-
7
INTRODUCTION
structures les plus importantes (PĂ©rouse, 2007). Dans ce contexte, le tourisme d’affaire,
et de congrùs explose. Le rîle touristique d’Istanbul est aussi probant pour la Turquie. On
compte 2 millions de touristes Ă©trangers en 2000 Ă  Istanbul sur les 9 millions accueillis
dans toute la Turquie. Les quartiers touristiques sont essentiellement concentrés dans le
centre ancien, dans les arrondissements de Fatih, EminönĂŒ, Beyoglu, Besiktas... Ce tou-
risme prend la forme de gros investissements, des hĂŽtels de standing, mĂȘme dans les sites
protĂ©gĂ©s et classĂ©s des rives du Bosphore, en mĂȘme temps que sont prĂŽnĂ©s des efforts
en matiÚre de qualité environnementale et de valorisation du patrimoine bùti. De 1980 à
2007, la capacitĂ© d’accueil des hĂŽtels cinq Ă©toiles passe de 2000 Ă  10199. De mĂȘme, les
centres commerciaux se multiplient (AGFE, 2009). Cette ville de 8000 ans d’histoire est
peu à peu transformée en ville globale.
En 2010, Istanbul est capitale européenne de la culture. PrÚs de 500 projets artis-
tiques sont prĂ©vus dans l’agglomĂ©ration. L’organisation d’un tel Ă©vĂ©nement est un grand
dĂ©ïŹ pour la Turquie entiĂšre, qui est candidate Ă  l’entrĂ©e dans l’Union EuropĂ©enne. C’est
l’occasion rĂȘvĂ©e pour les autoritĂ©s politiques de lancer des projets de « transformations
urbaines ». Il s’agit de valoriser le patrimoine, et de se montrer sur la scĂšne internationale
comme étant une métropole moderne, contemporaine, occidentale. Toutefois, on note que
le choix des monuments et des sites concernés par la restauration, fait souvent polémique.
Korhan GĂŒmĂŒs, qui Ă©tait directeur des projets urbains au sein du comitĂ© d’organisation
d’Istanbul 2010, met en garde contre une tendance dans laquelle « la culture a tendance Ă 
ĂȘtre relĂ©guĂ©e au rayon loisirs, ou utilisĂ©e pour servir une idĂ©ologie. Il y a deux risques :
essayer de vendre un passĂ© gloriïŹĂ©, et utiliser les fonds publics accordĂ©s Ă  la culture pour
développer le tourisme et les capacités économiques de la ville » (Perrier, le 17/01/2010,
Le Monde). En effet, on remarque dans cet événement que les dimensions marchande
et touristique prĂ©valent sur l’éthique historique ou urbaine. Or, cette ambition d’interna-
tionalisation de la ville semble déplacée au regard des préoccupations de la majorité des
habitants, qui ne bĂ©nĂ©ïŹcient pas de ces mutations.
D’autre part, les multiples projets ne s’inscrivent pas jusqu’à prĂ©sent dans une stratĂ©gie
urbaine Ă  l’échelle de l’agglomĂ©ration, mais se font plutĂŽt selon les opportunitĂ©s fonciĂšres,
à coup de délégations aux investisseurs privés.
8
.B Istanbul, une mégapole en pleine croissance
B.3 Privatisation, spéculation et étalement urbain : une croissance
urbaine non contrÎlée
Depuis les annĂ©es 2000, l’État turc adopte une posture de privatisation et vend peu Ă 
peu ses biens immobiliers et fonciers à des investisseurs privés. Cette dérégulation a pour
conséquences de multiplier les projets et la croissance urbaine au coup par coup, mais elle
provoque également une envolée des prix du foncier, due à la spéculation. On voit naßtre
des projets « spectaculaires » de tours de bureaux, de logements de standing ou encore
de centres commerciaux géants. Ces projets ne se font pas sans autorisations : ce sont les
mairies d’arrondissement qui dĂ©livrent les permis de construire. Toutefois, il faut noter
que ces mairies sont en concurrence les unes avec les autres pour accueillir les d’investis-
seurs, elles ne freinent pas cette dynamique (PĂ©rouse, 2006). Un des signes de la difïŹcultĂ©
à gérer la croissance urbaine est la multiplication des cités privées. La production de la
ville est aux mains d’opĂ©rateurs privĂ©s qui construisent des « ensembles rĂ©sidentiels com-
posĂ©s de villas et/ou d’immeubles, fermĂ©s par une enceinte protĂ©gĂ©e et dotĂ©s de services
et équipements le plus souvent réservés » (Pérouse, 2002, p27). Leur gestion échappe aux
pouvoirs publics. En 2001, on dénombre 270 cités privées, qui pourraient représenter prÚs
de 100000 logements. Les publics cibles de ces rĂ©sidences sont les « gens de la ïŹnance
et salariĂ©s des grands groupes internationaux » qui peuvent s’offrir des villas de 500000
à 2M de $ (ibid.). Dans ces cités, les habitants vivent entre eux, comme « préservés », ils
adoptent les mĂȘmes modes de vie, achĂštent les mĂȘmes voitures, mettent leurs enfants dans
les mĂȘmes Ă©coles. L’homogĂ©nĂ©itĂ© et le mimĂ©tisme marquent ces quartiers qu’on promeut
comme Ă©tant sĂ©curitaires, Ă  haute garantie de civilitĂ©, d’environnement agrĂ©able. Chaque
opĂ©ration est conçue dans l’ignorance totale de son environnement proche, ce qui produit
un paysage composite et hĂ©tĂ©roclite. Ces citĂ©s sont l’expression de l’éclatement socio-
spatial d’Istanbul. Elles sont trĂšs liĂ©es au dĂ©pĂ©rissement des arrondissements centraux
(PĂ©rouse, 2002).
La ïŹgure 1 montre l’évolution de l’urbanisation d’Istanbul, de la ville byzantine Ă 
la mĂ©gapole d’aujourd’hui. On remarque que la croissance urbaine explose Ă  partir du
XXĂšme siĂšcle. En effet, le schĂ©ma de l’évolution de la population interne Ă  Istanbul est
simple. On observe une certaine dépopulation du centre-ville et un développement trÚs
rapide des arrondissements pĂ©riphĂ©riques. Par exemple, le quartier central d’EminönĂŒ 7
perd 4,84 % de sa population entre 1990 et 1997 tandis que celui de BĂŒyĂŒkçekmece, en
7. Il faut noter que l’arrondissement d’EminönĂŒ n’existe plus depuis 2009, il a fusionnĂ© avec celui de
Fatih.
9
INTRODUCTION
FIGURE 1: Carte de la croissance urbaine d’Istanbul. Source fond de carte (PĂ©rouse,
2001)
périphérie sud-ouest en a gagné 14, 5 % (Pérouse, 2001).
Plusieurs logiques contribuent Ă  cela :
– La « citysation » de certains quartiers centraux convertis en activitĂ©s commerciales
ou de bureaux, à plus grosse valeur ajoutée, au détriment de quartiers résidentiels.
– La logique de musĂ©iïŹcation du centre-ville Ă  des ïŹns touristiques.
– Une fuite des riches vers la pĂ©riphĂ©rie pour jouir de quartiers de standing qui s’ac-
compagne d’une forte dĂ©gradation du bĂąti ancien. Dans l’hypercentre, un logement
sur quatre serait vacant dans le quartier de Beyoglu.
En 1990, dix arrondissements sont crĂ©Ă©s aux marges de l’aire urbaine. Leur morpho-
logie est en discontinuité avec les espaces centraux et ils sont reliés au centre par des au-
toroutes qui traversent de nombreux no man’s land. C’est ce qu’on appelle le phĂ©nomĂšne
de périurbanisation incontrÎlée 8, de mitage de plus en plus lointain impulsé par les pro-
moteurs qui cherchent les meilleures opportunités fonciÚres. Notons que ce phénomÚne
est source de surcoĂ»t en termes de rĂ©seaux et d’équipements de base ainsi que d’étalement
urbain. Il traduit un décalage entre la croissance démographique et la croissance urbaine,
cette derniÚre ayant explosé.
8. Il s’agit du phĂ©nomĂšne de mĂ©tropolisation, dans l’acceptation anglo-saxonne du terme.
10
.C Le projet de rĂ©novation de SĂŒleymaniye, continuitĂ© ou rupture avec les projets
précédents ?
En effet, depuis les années 2000, on note un paradoxe : alors que la croissance dé-
mographique ralentit, le parc de logement croĂźt trĂšs rapidement. Il pourrait accueillir prĂšs
de 25 millions de personnes, ce qui représente presque le double de la population re-
censĂ©e en 2008. Ce phĂ©nomĂšne s’explique en partie par l’arrivĂ©e de nouveaux modĂšles
familiaux et l’augmentation relative du niveau de vie des stambouliotes qui s’accompagne
d’un phĂ©nomĂšne de dĂ©cohabitation, de desserrement des mĂ©nages. Or, la plupart des nou-
velles opérations de promotion immobiliÚre sont luxueuses et ne correspondent pas à la
demande d’une grande partie de la population non solvable. On observe alors un hiatus
entre la production du bùti et la demande. La démission des pouvoirs publics en termes
de stratĂ©gie fonciĂšre n’a fait qu’accĂ©lĂ©rer le dĂ©veloppement de l’aire urbaine qui s’étale
de plus en plus (PĂ©rouse, 2006).
C Le projet de rĂ©novation de SĂŒleymaniye, continuitĂ© ou
rupture avec les projets précédents ?
C.1 La politique de transformation urbaine comme outil de gestion
de l’urbanisation depuis les annĂ©es 2000
Certains quartiers d’Istanbul se dĂ©gradent Ă  grande vitesse. En effet, la ville d’Istan-
bul s’est dĂ©veloppĂ©e trĂšs rapidement avec les diffĂ©rentes vagues d’immigration de 1950 et
de 1970. Cet afïŹ‚ux de population a engendrĂ© une urbanisation informelle, dans les quar-
tiers centraux pour la premiÚre vague surtout, dans les quartiers périphériques pour les
vagues d’immigration plus rĂ©centes. Or, comme vu prĂ©cĂ©demment, les quartiers centraux
perdent de la population. Ce sont notamment les populations les plus aisées qui partent
du centre pour vivre en périphérie, dans des quartiers de standing. Ainsi, on observe deux
phĂ©nomĂšnes. D’une part, une dĂ©gradation du bĂąti ancien est Ă  l’Ɠuvre dans ces quartiers
centraux comme Fatih. D’autre part, le bĂąti informel, souvent construit avec des matĂ©riaux
de récupération et de bois, est mal perçu par les autorités publiques. Cela va conduire la
puissance publique Ă  mener une politique de transformation urbaine, kentsel dönĂŒsĂŒm en
turc. Ce type de bñti populaire irait à l’encontre des ambitions d’internationalisation et de
modernitĂ© d’Istanbul d’aprĂšs les Ă©lites politiques.
Depuis son arrivée au pouvoir, le maire Kadir Topbas encourage les « grands projets
urbains ». Il tend à remodeler le tissu urbain pour lui conférer une image plus contempo-
raine. Les grands événements nationaux et internationaux sont dans ce contexte le prétexte
11
INTRODUCTION
pour « moderniser » la ville. C’est dans ce cadre qu’une loi est votĂ©e en 2005 sur la « rĂ©no-
vation pour la préservation et le réemploi des biens historiques et culturels immobiliers en
dĂ©labrement ». On l’appelle plus frĂ©quemment la loi 5366. Son objectif est de permettre Ă 
toutes les administrations de reconstruire et restaurer 9 -rénover en réalité- des biens his-
toriques et culturels immobiliers classés par le Conseil de protection des biens culturels
et naturels. Ces "zones de renouvellement" sont dĂ©signĂ©es par l’assemblĂ©e municipale, et
les projets sont réalisés par la municipalité concernée. Elle peut toutefois déléguer ce rÎle
à toute autre personne morale, comme le TOKI par exemple. Le TOKI est l’administra-
tion du logement collectif. Depuis le milieu des annĂ©es 1990, le TOKI s’intĂ©resse aussi
au parc de logements anciens dans les tissus historiques 10(electrOUI, 2006).
D’aprĂšs l’article 51 de cette loi sur la rĂ©novation, des conseils locaux devaient ĂȘtre
crĂ©Ă©s pour suivre les travaux localement, Ă  l’échelle du projet. L’évacuation, et la des-
truction du bĂąti doivent se faire d’un commun accord avec le propriĂ©taire. Toutefois, en
cas de dĂ©saccord, l’expropriation est tout Ă  fait possible et prĂ©vue. Ce projet de rĂ©nova-
tion urbaine s’inscrit dans une dĂ©marche de planiïŹcation stratĂ©gique de la municipalitĂ©
mĂ©tropolitaine, IBB 11, qui intervient dans les quartiers historiques prĂ©caires tels que SĂŒ-
leymaniye, Sulukule, Balat et bien d’autres... Pour le seul arrondissement de Fatih, une
dizaine de projets sont prévus, ce qui est considérable. Or, on remarque rapidement que
ces projets de rénovation ne tiennent pas compte des réalités historiques de la ville. Ils se
font surtout dans le souci de procurer une image européenne 12 à Istanbul.
Ces projets sont pour la plupart des projets de destruction, reconstruction et ne pré-
voient pas de procédure de relogement pour les habitants. « Expropriations et démolitions
demeurent en effet le lot commun de millions de résidents dans le monde (Un-Habitat,
2003). Il s’agit d’un phĂ©nomĂšne aussi massif que peu Ă©tudiĂ©, Ă  contre-courant du credo
de régularisation -des quartiers irréguliers- martelés dans les instances internationales.
On doit ajouter que ses effets sont aujourd’hui dĂ©cuplĂ©s par l’éviction du logement par
le secteur privé (Durand-Lasserve, 2006) dans les métropoles les plus tendues sur le plan
foncier et immobilier, oĂč s’opposent constamment Ă©viction et empiĂštement silencieux par
9. Le terme restaurer est employĂ© par la grande municipalitĂ© d’Istanbul (IBB) et les dĂ©fenseurs de cette
politique de transformation urbaine, mais il s’agit en rĂ©alitĂ© de rĂ©novation, puisque l’étape de la destruction
de l’existant est omniprĂ©sente.
10. Pour plus d’informations sur le TOKI, se reporter Ă  l’annexe C qui prĂ©sente les acteurs intervenant
dans le projet de rénovation
11. Istanbul BĂŒyĂŒksehir Belediyesi
12. L’expression image europĂ©enne est paradoxale. Elle est utilisĂ©e ici dans le sens oĂč les projets ont
pour objectif de donner une image moderne Ă  Istanbul, et in ïŹne montrer que la mĂ©gapole a sa place dans
l’Europe. Or, bien sĂ»r, le passĂ© historique revendiquĂ© est ottoman.
12
.C Le projet de rĂ©novation de SĂŒleymaniye, continuitĂ© ou rupture avec les projets
précédents ?
les populations privées de logement régulier (Bayat, 1997) » (Deboulet, 2009, p1).
Comment cela se concrĂ©tise-t-il Ă  Istanbul ? Comment l’espace urbain de ces quar-
tiers dĂ©crĂ©tĂ©s de rĂ©novation est-il en pleine reconïŹguration sociologique ? Les stratĂ©gies
d’action sont-elles les mĂȘmes dans ces quartiers ? Quels sont les diffĂ©rences ou points
communs de l’application des projets de rĂ©novation dans ces quartiers ? Une fois, les
principaux enjeux urbains stambouliotes posĂ©s, il s’agit de se centrer un peu plus sur le
quartier Ă  l’étude, et plus gĂ©nĂ©ralement sur la pĂ©ninsule historique.
C.2 Des plans de protection du patrimoine qui visent le développe-
ment touristique de la péninsule historique
En 1985, l’UNESCO classe la pĂ©ninsule historique au patrimoine mondial de l’Huma-
nitĂ©, d’abord par l’intermĂ©diaire de quatre quartiers : Sultanahmet, SĂŒleymaniye, Zeyrek
et les Murailles de Théodose II. Dix ans aprÚs, en 1995, toute la péninsule est classée. Ces
secteurs doivent alors ĂȘtre protĂ©gĂ©s, sauvegardĂ©s : c’est la condition. Ce n’est qu’aprĂšs ce
premier classement, par une instance internationale, que la péninsule historique est ins-
crite sur le registre des biens nationaux. Plusieurs plans de protection sont alors conçus
en 1990, 1998, 2003, et enïŹn, en 2004 la municipalitĂ© lance le projet « Istanbul-Ville
MusĂ©e » (Istanbul MĂŒze Kent Projesi, soit IMÜKEP). Ces plans ont comme objectif de
protĂ©ger le patrimoine. Toutefois, s’ils sont dits de « sauvegarde », ces plans n’opĂšrent pas
de choix clair en général. En ce qui concerne le plan de 2003 notamment, quatre scéna-
rios sont proposés, tous sont plus ou moins subordonnés à des objectifs touristiques, mais
reste construit selon des identitĂ©s diffĂ©rentes. L’accent est mis sur les zones de logement,
de commerces, d’équipement ou de tourisme. Comment mettre en avant une fonction de
la ville au détriment des autres ? Le fait que la municipalité ne choisisse pas un seul des
quatre scénarios rend le plan inapplicable dans la pratique, car ses schémas sont contra-
dictoires sur plusieurs aspects. On note une absence de proposition concrĂšte, ce qui remet
en question de la légitimité du plan. De plus, ces plans gardent une approche fonctionnelle
(et non territoriale). Ils ne prĂ©voient pas d’articulation avec le grand Istanbul, la pĂ©ninsule
historique y est considĂ©rĂ©e comme isolĂ©e de son contexte (Özel, 2004).
EnïŹn, en ce qui concerne le projet IMÜKEP, Erdogan, le premier ministre, dĂ©clare
dĂ©but 2004 qu’il faut « sauver et prĂ©server la pĂ©ninsule historique, la faire « regagner »
aux Stambouliotes, Ă  la Turquie et Ă  l’humanitĂ© » ; il dĂ©clare Ă©galement que les quartiers
de Beyoglu, SĂŒleymaniye, Zeyrek, Fener et Balat sont part importante des projets prĂ©vus.
Pour cela, les ateliers crĂ©ateurs de « pollution visuelle » seront transfĂ©rĂ©s. Les « Ă©diïŹces
13
INTRODUCTION
ayant perdu leur identitĂ© » seront rĂ©habilitĂ©s. La presse annonce que pour EminönĂŒ 4834
ateliers doivent fermer et dĂ©mĂ©nager (PĂ©rouse, 2007). Il s’agit de faire du centre-ville his-
torique, un lieu protégé et touristique avant tout. Comme zones pilotes sont choisis les
quartiers de Zeyrek et SĂŒleymaniye. Mais ce projet n’a jamais Ă©tĂ© mis en Ɠuvre concrĂšte-
ment. Les projets de rĂ©novation l’ont doublĂ©. En outre, on remarque que depuis l’arrivĂ©e
au pouvoir de l’AKP dans les annĂ©es 1990-2000, un seul aspect du patrimoine est reven-
diqué : celui de la période ottomane. « La chambre des architectes dénonce fermement
une conception sélective de la protection du patrimoine dans ce plan de sauvegarde. Une
conception nationaliste qui tend à protéger tout ce qui concerne la période ottomane et
rien d’autre » (Özel, 2004).
Ainsi, les projets prĂ©cĂ©dents sont essentiellement des projets Ă  des ïŹns de protection
du patrimoine et de dĂ©veloppement touristique. Le projet de rĂ©novation s’inscrit-il dans
cette politique ?
C.3 Un projet résidentiel qui semble inédit
AïŹn d’introduire le projet de SĂŒleymaniye, partons de la source principale et premiĂšre
du projet : son document de promotion. En effet, le projet en tant que tel n’est absolument
pas communiquĂ© par les instances municipales. Il s’agit de s’en tenir Ă  la promotion qui
en est faite sur le site internet de la mairie de l’arrondissement de Fatih, d’analyser cette
source publique, de la mettre en perspective, de la relativiser et d’en comprendre les li-
mites, sa dimension marketing. Quelle clientùle ce document vise-t-il ? À qui vend-on ce
projet ?
Tout d’abord, ce document est situĂ© sur le site internet de la municipalitĂ© de Fatih, et
non de la grande municipalitĂ© d’Istanbul. On peut alors en conclure que c’est la munici-
palitĂ© d’arrondissement qui est Ă  l’initiative du projet, qu’elle en est le maĂźtre d’ouvrage.
Ceci est possible depuis la loi 5366 de 2005 présentée en amont. On trouve ce document
dans la rubrique projeler, (projets), et dans le chapitre Yenileme projeleri (projets de réno-
vation). Le document présenté est daté du 28 octobre 2009, ce qui est trÚs tardif comparé
à la mise en Ɠuvre du projet qui commença dùs 2006. Cela souligne un manque de com-
munication remarquable de la part de la mairie. Le projet intervient dans le cadre d’une
politique de kentsel dönĂŒsĂŒm, qui signiïŹe « transformation urbaine » 13. Cette politique
est symptomatique de l’intervention urbaine par les instances publiques depuis les annĂ©es
2000. Elle est Ă  l’origine de tous les projets de rĂ©novation lancĂ©s depuis le vote de la loi
13. Nous détaillerons cette notion dans la partie 1
14
.C Le projet de rĂ©novation de SĂŒleymaniye, continuitĂ© ou rupture avec les projets
précédents ?
5366. « Le projet porte sur le patrimoine historique et culturel de SĂŒleymaniye, zone dĂ©-
clarée de renouvellement le 24/06/2006 (publié au JO 2006/10501), il a pour ambition de
renouveler l’utilisation du patrimoine immobilier » 14.
À la suite de ce prĂ©ambule, un paragraphe retrace briĂšvement l’histoire du quartier
aïŹn d’en montrer l’importance et le symbole. C’est un quartier nĂ© avec la construction de
la grande mosquĂ©e et du complexe de SĂŒleymaniye, tous deux commandĂ©s par Soliman
le MagniïŹque au XVIe siĂšcle. Le texte exprime clairement que ce quartier Ă©tait rĂ©servĂ©
Ă  une classe spĂ©ciïŹque et riche durant l’Empire ottoman, et que depuis le XXe siĂšcle, il
s’est paupĂ©risĂ© et a connu des dĂ©gradations, des incendies... Mais qu’aujourd’hui des «
priorités » touristiques ont gagné le quartier.
Les objectifs du projet sont de « crĂ©er un systĂšme ïŹable, un habitat vivable et du-
rable ; lutter contre les dangers et risques des dĂ©gradations de l’architecture ; et de proïŹter
de l’effet positif national et international de la nomination d’Istanbul comme capitale
européenne de la culture pour développer les valeurs historiques et culturelles de Fatih
(en développant les secteurs des services, commercial, touristique et culturel) ». Et ce,
en suivant trois rÚgles : « savoir gérer le changement, respecter les valeurs humaines et
historiques, et enïŹn, avoir une approche globale et participative » 15. VoilĂ  la dĂ©claration
d’intention de la mairie. Elle est illustrĂ©e de quelques plans, coupes et perspectives mon-
trant « hier », « aujourd’hui » et « demain ». Notons que rien n’est mentionnĂ© quant Ă 
l’amĂ©nageur, le maĂźtre d’Ɠuvre, les ïŹnancements, les temps et les modalitĂ©s du projet.
À ce stade, il apparaĂźt que le projet de rĂ©novation s’inscrit bien en continuitĂ© avec les
plans prĂ©cĂ©dents. Il s’agit avant tout d’embellir le quartier Ă  des ïŹns touristiques. Cepen-
dant, rien n’est mentionnĂ© sur le public visĂ©. Pour en savoir plus, il s’agit d’analyser la
programmation du projet.
D’aprùs un entretien avec une architecte de KIPTAS 16 il apparaüt que le projet soit
essentiellement résidentiel. A priori, quasiment aucun équipement touristique ne serait
prévu. Comme vu en amont, ce projet serait destiné à une catégorie sociale bien spéci-
ïŹque, aisĂ©e et en lien avec la culture ottomane 17. C’est cet enjeu identitaire du projet qui
semble crĂ©er une rupture avec les plans prĂ©cĂ©dents et mĂȘme avec les autre projets de rĂ©-
novation. Il s’agit dĂšs lors de s’interroger sur les fondements, les cadres et les modalitĂ©s
14. Traduction du site internet de la municipalité de Fatih consulté le 10 mai 2010.
15. Traduction du site internet de la municipalité de Fatih consulté le 10 mai 2010.
16. KIPTAS la sociĂ©tĂ© immobiliĂšre de construction d’Istanbul, elle appartient Ă  50% Ă  la grande munici-
palitĂ© d’Istanbul, (IBB). Pour plus de dĂ©tails, se reporter Ă  l’annexe C. Le chapitre III-C fait aussi l’analyse
de cet acteur.
17. L’analyse des discours et de la programmation du projet est plus dĂ©taillĂ©e dans le chapitre II-A, p49.
15
INTRODUCTION
d’application de ce projet.
D MĂ©thodologie
Ce mĂ©moire a Ă©tĂ© rĂ©digĂ© Ă  l’issue d’un stage de trois mois Ă  l’IFEA (Institut Français
d’Etudes Anatoliennes) à Istanbul, du 21 avril au 23 juillet. C’est grñce à ce stage que les
donnĂ©es concernant le projet de SĂŒleymaniye ont pu ĂȘtre rĂ©coltĂ©es et analysĂ©es.
En effet, les donnĂ©es qu’elles soient sur le quartier de SĂŒleymaniye ou sur le projet
lui-mĂȘme sont rares. Tandis que d’autres projets de rĂ©novation comme ceux de Balat ou de
Sulukule ont Ă©tĂ© beaucoup traitĂ©s, aucun article francophone ou anglophone n’a Ă©tĂ© Ă©crit
sur le projet de SĂŒleymaniye. Le contraste entre ce quartier et d’autres est remarquable.
On ressent une certaine concentration des recherches européennes sur quelques quartiers,
plus mĂ©diatisĂ©s, ou qui portent un intĂ©rĂȘt plus symbolique d’un point de vue europĂ©en.
Par exemple, Sulukule Ă©tait l’un des plus vieux quartiers d’implantation Rom. En outre,
les donnĂ©es socio-Ă©conomiques locales ofïŹcielles semblent inaccessibles Ă©tant donnĂ© les
problÚmes auxquels est confronté le quartier. La municipalité ne communique aucune
donnĂ©e comme les recensements, les enquĂȘtes, ni mĂȘme les projets de façon prĂ©cise. J’ai
ainsi appréhendé le projet grùce à des entretiens avec divers acteurs.
Deux moments d’enquĂȘte sont Ă  dissocier dans mon travail de terrain. D’une part, une
sĂ©rie d’entretiens a Ă©tĂ© menĂ©e auprĂšs d’acteurs en lien plus ou moins Ă©troit avec le projet.
Il s’agit d’acteurs municipaux, de professionnels de l’amĂ©nagement, de chercheurs ou
encore de mouvement en réaction à ce projet... etc 18. Ces entretiens ont le plus souvent
Ă©tĂ© rĂ©alisĂ©s en anglais et Ă  deux, avec Annabelle Lopez rĂ©alisant le mĂȘme travail sur
un autre quartier de la pĂ©ninsule historique. D’autre part, une courte enquĂȘte auprĂšs des
habitants a été menée sur place. Ce travail dans le quartier a été mené sur une période de
quinze jours. Sur cette pĂ©riode, cinq jours entiers ont Ă©tĂ© consacrĂ©s Ă  un travail d’enquĂȘte
auprÚs des habitants, commerçants et autres personnes fréquentant le quartier, soit les 3,
8, 9, 15 et 17 juin. Pour ce travail, une Ă©tudiante en sociologie, turque et francophone,
m’a accompagnĂ©e. Elle me traduisait rĂ©guliĂšrement le sujet de la conversation pour que je
puisse rĂ©agir le cas Ă©chĂ©ant, mais nous veillions Ă  ne pas casser l’entretien. Nous faisions
un point Ă  chaque ïŹn d’entretien pour prendre en notes tout ce qui avait Ă©tĂ© mentionnĂ©,
surtout quand l’entretien n’avait pas pu ĂȘtre enregistrĂ©. Notons Ă©galement que nous avons
choisi un point de repĂšre, une lokanta (restaurant populaire) oĂč nous allions Ă  chaque
18. Voir la liste des personnes interviewées en annexe.
16
.D MĂ©thodologie
fois. Nous avons ainsi pu interroger le tenant de cette lokanta, un client habitué... Ce
repĂšre nous a Ă©tĂ© prĂ©cieux pour un certain nombre d’informations et de contacts.
Ces entretiens ont Ă©tĂ© de rĂ©elles sources pour mon mĂ©moire, et revĂȘtent deux dimen-
sions : un aspect informationnel et un aspect qualitatif. L’aspect informationnel est surtout
valable pour la premiĂšre sĂ©rie d’entretiens qui m’a donnĂ© des informations sur le contexte
des projets de la péninsule historique et le cadre juridico-politique du projet. Toutefois, le
projet de SĂŒleymaniye reste trĂšs peu connu, mĂȘme Ă  l’échelle de ces acteurs. L’aspect qua-
litatif est surtout valable pour l’enquĂȘte de terrain dans laquelle quatre thĂšmes ressortent
du croisement des entretiens :
– les parcours personnels et rĂ©sidentiels des personnes interrogĂ©es
– leur rapport au quartier et l’histoire rĂ©cente - les Ă©volutions rĂ©centes – qu’ils en font
– leur apprĂ©hension du projet
– leur connaissance des dĂ©tails du projet
Il s’agit dĂ©sormais de souligner l’utilisation d’autres sources comme les sources biblio-
graphiques, la presse, les sites internet des municipalitĂ©s et de leurs entreprises, et enïŹn
les rapports ofïŹciels de certaines institutions comme l’UNESCO, l’OCDE, Un-habitat...
Elles ont Ă©galement Ă©tĂ© prises en compte et analysĂ©es. À cet Ă©gard, une monographie sur
Istanbul a Ă©tĂ© rĂ©digĂ©e avant de partir en stage, dans le cadre de l’option Expertise Interna-
tionale des Villes en DĂ©veloppement. Elle nous a permis de construire une bibliographie
prĂ©alable au stage. La base de donnĂ©es de l’IFEA, fut sur place, d’un grand soutien.
EnïŹn, d’autres sources moins formelles ont aussi inïŹ‚uencĂ© mon travail en m’aidant Ă 
m’imprĂ©gner du contexte stambouliote. Il s’agit d’échanges avec d’autres Ă©tudiants, sta-
giaires, doctorants, chercheurs, concernant de prĂšs ou de loin le sujet ; de la participation
Ă  des visites (excursions urbaines et expositions), des forums (comme le forum social eu-
ropĂ©en), des confĂ©rences, encadrĂ©es ou non par l’IFEA, des Ă©vĂšnements de solidaritĂ©...
A ce titre le personnel administratif, les stagiaires et surtout les chercheurs présents à
l’IFEA, ainsi que les professeurs qui encadrent ce mĂ©moire, m’ont Ă©tĂ© d’une grande aide.
Les conseils donnĂ©s, tant au niveau du travail de terrain qu’au niveau de l’organisation du
mĂ©moire, m’ont Ă©tĂ© prĂ©cieux. Ce mĂ©moire est donc le fruit d’une Ă©tude encadrĂ©e et menĂ©e
sur sept mois, dont trois mois sur place. Les recherches sur les projets de rénovation en
gĂ©nĂ©ral Ă  Istanbul ont commencĂ© dĂšs ïŹn janvier dans le cadre de l’option EIVD et se sont
perpĂ©tuĂ©es jusqu’à la ïŹn de la rĂ©daction du mĂ©moire en septembre 2010.
17
INTRODUCTION
18
Chapitre I
Comprendre le projet de rénovation de
SĂŒleymaniye
Dans ce chapitre nous essaierons de déterminer les principales causes ou motivations
du projet. Pourquoi SĂŒleymaniye, qui est terrain de projet de protection depuis de nom-
breuses annĂ©es, fait-il depuis 2006 l’objet d’un projet de rĂ©novation ? Il s’agit de montrer
dans un premier temps que le contexte de la mondialisation pousse, depuis les années
1990, Ă  des projets de restructuration dans les villes dites internationales. Toutefois, le
quartier de SĂŒleymaniye n’est pas ordinaire, ni pour Istanbul ni pour le pouvoir en place,
il est le symbole du passĂ© ottoman de la ville. Son projet sera donc d’autant plus sin-
gulier. EnïŹn, quel Ă©tat physique, fonctionnel et sociologique peut-on dresser du quartier
aujourd’hui ?
A Injonction internationale Ă  la restructuration urbaine
A.1 L’injonction au marketing urbain...
D’aprĂšs les auteurs de l’ouvrage villes internationales publiĂ© en 2007, un des effets
de la mondialisation est l’injonction au marketing urbain qui impose des restructurations
aussi bien urbaines qu’économiques, et donc des marchĂ©s de l’emploi, dans les villes dites
internationales. Une compĂ©tition internationale est Ă  l’Ɠuvre, notamment dans les villes
émergentes, pour donner une image moderne. « De nombreuses métropoles du Sud par-
ticipent pleinement Ă  des manifestations multiformes d’internationalisation qui dĂ©passent
les seuls échanges économiques » (Berry-Chikhaoui, Deboulet, Roulleau-Berger, 2007,
CHAPITRE I. COMPRENDRE LE PROJET DE RÉNOVATION DE
SÜLEYMANIYE
p8). Il s’agit de se situer dans le rĂ©seau archipel de grands pĂŽles Ă©conomiques aïŹn d’atti-
rer les ïŹ‚ux internationaux d’investissements (Veltz, 1996). Cette internationalisation passe
pour Istanbul par la reconquĂȘte du centre historique et des territoires indĂ»ment accaparĂ©s,
la reproduction d’archĂ©type architecturaux comme le nĂ©o-ottomanisme, l’établissement
de population aux revenus élevés pour qui sont destinés ces projets, la promotion de
l’atout culturel, conïŹrmĂ© par le fait qu’en 2006 Istanbul est Ă©lue capitale europĂ©enne de la
culture pour 2010... D’ailleurs, l’évĂ©nement Istanbul, Capitale EuropĂ©enne de la Culture
2010, montre bien un paradoxe. A la fois, en cette année 2010 on prÎne les valeurs mul-
ticulturelles d’Istanbul. A ce titre, un festival tzigane, le festival hidrillez, est reprit par
l’organisation Istanbul 2010. Et, en mĂȘme temps, on expulse des milliers de roms de leur
quartier avec le projet de Sulukule... Comme pour les autres métropoles en compétition
sur la scĂšne mondiale, on note Ă  Istanbul une certaine uniformisation des modĂšles urba-
nistiques et la croissance du rÎle des organismes transnationaux et des entreprises privées
dans l’application de ces politiques urbaines. D’aprĂšs JF PĂ©rouse, il s’agit d’une « mise
aux normes, mise en marque » qui se traduit par trois dĂ©clinaisons : l’inïŹ‚ation de projets
de transformation urbaine, le dĂ©ploiement d’une politique de tourisme international, d’af-
faires et de congrĂšs, et enïŹn le dĂ©veloppement de technopĂŽles comme outils de prestige.
Cette internationalisation dirigée par les autorités turques depuis les années 1990 vise à
pourvoir Istanbul d’un certain nombre d’ « atouts distinctifs sans lesquels elle ne pourrait
participer Ă  la grande compĂ©tition » (PĂ©rouse, 2007, p32). L’argument du risque sismique
est ici mis Ă  proïŹt pour justiïŹer cette politique qui touche aussi bien les centres histo-
riques dĂ©gradĂ©s que les quartiers spontanĂ©s, gecekondu, en pĂ©riphĂ©rie. En effet, d’aprĂšs
un document de promotion de la politique de kentsel dönĂŒsĂŒm 1 rĂ©alisĂ© par la mairie de
l’arrondissement de Fatih en 2007 :
« Les problĂšmes qui doivent ĂȘtre rĂ©solus en termes de construction et
d’urbanisme sont les suivants :
– L’urbanisation non planiïŹĂ©e
– Le fait que notre arrondissement possĂšde les caractĂ©ristiques physiques
et sociales négatives de zones gùchées à cause des vagues de migra-
tions depuis les annĂ©es 1950 et d’une mauvaise Ă©conomie.
– Le risque sismique.
/.../ Des solutions durables sont nécessaires pour créer des établissements
en sĂ©curitĂ© et protĂ©ger les bĂątiments historiques. À cet Ă©gard, les secteurs
1. Kentsel DönĂŒsĂŒm signiïŹe transformation urbaine, le dĂ©veloppement de cette notion depuis les annĂ©es
2000 est étudié dans le chapitre II-B.
20
I.A Injonction internationale Ă  la restructuration urbaine
ayant besoin d’une intervention urgente ont Ă©tĂ© dĂ©clarĂ©s zones de rĂ©novation
». (Mairie de Fatih, 2007).
Cette prĂ©sentation montre que trois caractĂšres pĂšsent sur l’image et l’ambition d’in-
ternationalisation de la part de mairie de Fatih : le risque sismique, les caractéristiques
physiques et sociales et enïŹn le caractĂšre non planiïŹĂ© de la ville. En ce qui concerne les
caractĂ©ristiques physico-sociales du quartier, il s’avĂšre que le proïŹl social semble poser
problĂšme et ĂȘtre responsable de l’état de dĂ©gradation du quartier. Le discours de la mairie
de Fatih est conservateur, il s’agit de :
– RĂ©duire l’insĂ©curitĂ©
– RĂ©duire le risque sismique
– RĂ©crĂ©er un environnement ottoman en protĂ©geant les monuments historiques.
– « Remoraliser » la pĂ©ninsule historique.
En ce qui concerne le fait que l’urbanisation soit non planiïŹĂ©e, deux plans de pla-
niïŹcation, un Ă©laborĂ© en 2006 et un en 2009, ont Ă©tĂ© prĂ©sentĂ©s. Or, ils n’ont jamais Ă©tĂ©
ratiïŹĂ©s, notamment Ă  cause des contestations des agences traditionnelles de planiïŹcations
et d’urbanisme, comme la chambre des architectes (IMMOB). Istanbul reste dans un vide
de planiïŹcation. C’est pourquoi des projets opportunistes comme celui du pont du futur
mĂ©tro sur la Corne d’Or peuvent se rĂ©aliser. Cet exemple montre comment la logique
de projet est utilisée pour produire la ville à Istanbul. Il prévoit de dresser deux cornes
dorĂ©es de plus de 100m de haut de part et d’autre du pont, sans prendre en compte son
environnement. Il a Ă©tĂ© fortement critiquĂ© par les professionnels de l’urbanisme qui lui
reprochent de faire ïŹ de la silhouette de la pĂ©ninsule historique. Ce projet se glisse dans
les failles du systĂšme. De mĂȘme, les projets de rĂ©novation sont prĂ©vus et menĂ©s Ă  l’échelle
de l’arrondissement au mieux, sans cohĂ©rence globale. L’ambition de la municipalitĂ© de
Fatih de pallier au manque de planiïŹcation est justiïŹĂ©e. En revanche, il semble qu’elle ne
se pose pas Ă  l’échelle de l’arrondissement, mais plutĂŽt du Grand Istanbul.
On retrouve Ă©galement cette injonction Ă  la restructuration dans le discours du Prof.
Dr. Ilber Ortayli, qui pointe en 2005 les dévastations de la péninsule historique, et déclare
qu’il faut absolument opĂ©rer « un nettoyage physique et de la population » (Demirci S.,
17.09.2009, Milliyet) dans le quartier de SĂŒleymaniye. Ainsi, il s’agit bien comme le
souligne JF PĂ©rouse d’une volontĂ© de nettoyer Istanbul qui passe par la restructuration
urbaine aïŹn de lui donner un caractĂšre plus international, plus moderne (PĂ©rouse, 2007).
Or, il s’avĂšre que ces restructurations suscitent « la mise en tension » d’une fraction
importante de la population (Berry-Chikhaoui, Deboulet, Roulleau-Berger, 2007). Elles
21
CHAPITRE I. COMPRENDRE LE PROJET DE RÉNOVATION DE
SÜLEYMANIYE
affecteraient le rapport des individus au marchĂ© du travail ainsi qu’au logement.
A.2 ... Au détriment des populations fragiles.
D’aprùs l’ouvrage villes internationales, trois types de politiques sont les cibles de ces
restructurations : la politique de l’emploi, la politique migratoire et la politique urbaine.
Ainsi, les espaces migratoires, la précarisation du travail et la mutation de la ville sont
autant de cadres instables qui participeraient Ă  la division socio-spatiale des villes inter-
nationales. Istanbul correspond bien ici Ă  la ïŹgure de la ville internationale. Comme vu
en introduction, elle est un pĂŽle migratoire important et s’est engagĂ©e depuis les annĂ©es
2000 dans une politique de rĂ©novation urbaine, kentsel dönĂŒsĂŒm en turc, qui touche en
particulier « les secteurs paupérisés, dégradés ou à reconquérir et sollicitent la mobilité
contrainte des riverains, des populations ïŹ‚ottantes ou migrantes, faiblement stabilisĂ©es »
(Berry-Chikhaoui, Deboulet, Roulleau-Berger, 2007). Une certaine « pression au chan-
gement » serait mise en Ɠuvre par ces projets ponctuels de restructuration et se traduit
notamment par l’augmentation des valeurs fonciùres et immobiliùres. Les villes seraient
en quelques sortes devenues otages d’une urgence esthĂ©tique et les habitants contraints
par « la conformitĂ© et l’adaptation coĂ»teuse Ă  ces logiques de restructuration » (ibid.).
Toutefois, face Ă  cette pression s’imposent de plus en plus de nouveaux rĂ©seaux inter-
nationaux pour défendre les droits des habitants, le droit à la ville. A Istanbul, les confron-
tation entre les activistes qui soutiennent les habitants et les autorités stambouliotes sont
de plus en plus ouvertes. JF PĂ©rouse relate quelques expĂ©riences qui ont permis d’arrĂȘ-
ter des opérations commerciales et immobiliÚres grùce à la mobilisation des habitants à
l’aide de chambres de professionnels, comme la chambre des architectes. Ces revendica-
tions ont majoritairement pour cible la loi 5366, qui permet l’application de ces projets
de rénovation depuis 2005 2. En effet, les habitants concernés par ces projets se sentent de
plus en plus sĂ©grĂ©guĂ©s, menacĂ©s d’éviction Ă  des ïŹns de revalorisation de l’image de la
mĂ©tropole. Ces populations sont « confrontĂ©es Ă  des expĂ©riences d’injustice urbaine [...
] et vivent des lĂ©sions identitaires au cours desquelles leur rapport positif Ă  elles-mĂȘmes
est mis en péril, [ce] qui les conduit dans certains cas à réagir, se mobiliser, lutter, dans
d’autres cas Ă  subir, souffrir » (Berry-Chikhaoui, Deboulet, Roulleau-Berger, 2007). A
Istanbul notamment, la politique de kentsel dönĂŒsĂŒm est teintĂ©e de discours stigmatisant
l’immigration anatolienne et faisant la promotion d’une identitĂ© stambouliote moderne.
Cette volontĂ© repose d’aprĂšs JF PĂ©rouse sur « une vision Ă©litiste et sĂ©lective de l’interna-
2. Les revendications ainsi que la loi seront présentés en partie II.
22
I.A Injonction internationale Ă  la restructuration urbaine
tionalité » (Pérouse, 2007).
Ainsi, le projet de rĂ©novation de SĂŒleymaniye, quartier dĂ©gradĂ© du centre historique,
est bien l’expression d’une certaine volontĂ© de moderniser, voire d’occidentaliser Istanbul,
dans le but que la métropole soit toujours plus compétitive sur la scÚne internationale.
Toutefois, le projet semble Ă©galement revĂȘtir d’autres origines.
23
CHAPITRE I. COMPRENDRE LE PROJET DE RÉNOVATION DE
SÜLEYMANIYE
B SĂŒleymaniye, un symbole pour le parti : la question
identitaire.
« SĂŒleymaniye, ce domaine de 1,5 kilomĂštres carrĂ©s
Est notre identité, notre passeport.
C’est le titre de propriĂ©tĂ© de notre patrie.
Notre comportement est imprudent ici,
- D’abandonner ce domaine pour le tumulte de la grande ville au loin,
Est un simple suicide.
Et il est nĂ©cessaire de dire que c’est un suicide
Et que nous devrions avoir honte pour les générations futures » 3
Surplombant la corne d’or et coiffĂ© par la mosquĂ©e de Soliman le magniïŹque, le quar-
tier de SĂŒleymaniye, jadis peuplĂ© de la haute sociĂ©tĂ© ottomane est aujourd’hui majori-
tairement habitĂ© par des immigrĂ©s. Comme le mentionne Ilber Ortayli 4, SĂŒleymaniye est
bien plus qu’un quartier, il serait la "carte d’identitĂ©" des Turcs. Une identitĂ© pourtant bien
mise de cĂŽtĂ© pendant le siĂšcle rĂ©publicain. SĂŒleymaniye, de par son histoire, et le sym-
bole qu’il reprĂ©sente pour l’Empire ottoman, est un quartier Ă  part. Le projet de rĂ©novation
qu’il connaüt est dùs lors d’autant plus singulier.
B.1 SĂŒleymaniye comme symbole de l’empire ottoman
Le quartier est construit sur une colline, connue pour ĂȘtre la plus haute des sept collines
initiales d’Istanbul. La mosquĂ©e de Soliman le MagniïŹque datant du XVIĂšme siĂšcle est
l’éponyme du quartier. Elle est le chef-d’Ɠuvre du cĂ©lĂšbre architecte Mimar Sinan. PrĂšs
d’un siĂšcle aprĂšs la conquĂȘte ottomane de la ville en 1453, la pĂ©ninsule historique Ă©tait
trÚs peuplée, à la fois de nouveaux habitants et de fondations religieuses. La construction
du complexe de SĂŒleymaniye vers 1550 nĂ©cessita des dĂ©localisations, ce qui augmenta la
valeur du quartier. De mĂȘme, il faut souligner que la construction du complexe engendra
une concentration d’institutions Ă©ducatives et religieuses de prestige, qui participa Ă  la
richesse du quartier. C’est sans doute une des raisons expliquant pourquoi le quartier
de SĂŒleymaniye avait la rĂ©putation d’ĂȘtre riche. SĂŒleymaniye aux XVIĂšme et XVIIĂšme
3. PoĂšme extrait de Osmanli’yi Yeniden Kesfetmek, Ă©crit par Ilber Ortayli, 2006, p. 25. Ce passage est
traduit du turc vers l’anglais par Julia Strutz,(Strutz, 2009).
4. Nous avons dĂ©jĂ  citĂ© Ilber Ortayli au dĂ©but du chapitre alors qu’il revendiquait le besoin de faire un
nettoyage physique et social de la péninsule historique.
24
I.B SĂŒleymaniye, un symbole pour le parti : la question identitaire.
FIGURE I.1: SĂŒleymaniye, un quartier dominant. Source : photo prise en juin 2010
siĂšcles est connu pour ĂȘtre « le lieu des vizirs et des plus grands juges » (Strutz, 2009,
p45). Toutefois, « la nature de cette richesse reste bien peu connue [mais] (...) il semble
qu’il existe un accord sur la richesse et l’intĂ©gritĂ© sociale du quartier tout au long de
quatre siĂšcles » (ibid. p47). Dans le discours actuel, SĂŒleymaniye est devenu un symbole,
un lieu de mémoire, au moins pour une certaine couche de la société turque - la civilisation
islamique. Comment l’espace urbain Ă©tait-il perçu et organisĂ© dans la sociĂ©tĂ© ottomane 5 ?
Qu’en reste-t-il aujourd’hui ?
La structure du mahalle, du quartier, est un bon exemple d’hĂ©ritage ottoman qui per-
dure aujourd’hui. Le mahalle Ă  l’époque ottomane est un quartier organisĂ© sur base com-
munautaire avec un Imam et un Muezzin. Ce sont ces mahalles qui font ofïŹce de sociĂ©tĂ©
civile durant l’empire. Ils se forment sur la base d’une identitĂ© religieuse et ethnique
exerce un contrîle social et familial remarquable. Leur image persiste encore aujourd’hui
quand on pense aux quartiers de SĂŒleymaniye, Fener, et Balat. En effet, ces quartiers
5. L’usage de l’espace urbain est rĂšglementĂ© par l’État ottoman jusqu’au XIXĂšme siĂšcle. En 1881 en
effet, paraĂźt encore une circulaire (un Ă©dit royal) rĂšglementant l’usage que font les femmes ainsi que les
minoritĂ©s ethnicoreligieuses de l’espace urbain. Il est interdit aux femmes « de paraĂźtre dans les lieux publics
(...) de se promener dans les quartiers de Beyazit, de Shehzadebasi et d’Aksaray, (...) de se rassembler en
groupe en public ». D’autre part, des normes vestimentaires rĂ©gissent leur accoutrement. Les minoritĂ©s
ethnicoreligieuses se voient attribuer « à chaque minorité (...) une couleur de turban, de manteau et de
bottines » (Seni, 1984).
25
CHAPITRE I. COMPRENDRE LE PROJET DE RÉNOVATION DE
SÜLEYMANIYE
ont des identitĂ©s fortes. SĂŒleymaniye est un symbole de la civilisation ottomane, tandis
que Balat est connu pour ĂȘtre un quartier juif... C’est pourquoi Istanbul est divisĂ©e en
sous agglomĂ©ration et en sous-quartier d’habitation jusqu’à la ïŹn XVIII. Le mahalle est
un voisinage qui partage le mĂȘme culte et communique par la mĂȘme langue. Dans ces
quartiers, se cÎtoient les maisons chics et les maisons nécessiteuses, les quartiers chics
n’apparaissent qu’au XIX. Cette structure communautaire est le relais du pouvoir central.
Il est important de souligner que le mahalle est un quartier résidentiel pour les familles.
Les cĂ©libataires n’y habitent pas, mais plutĂŽt dans des chambres ou immeubles de cĂ©liba-
taires (bekar odalari / hanlari), dans des centres commerciaux ou en périphérie urbaine
(Seni, 1984). Ce qui explique en partie la « honte », qu’exprime Ilber Ortayli, de voir
que le quartier fondateur de la culture ottomane, « titre de propriété de [leur] patrie » est
aujourd’hui connu pour ses chambres de cĂ©libataires. Il s’agit de noter que les mahalles
gardent une fonction importante aujourd’hui. En effet, le mahalle est une unitĂ© adminis-
trative encadrée par le muhtar, élu au suffrage universel direct pour cinq ans 6. Mais il
est considĂ©rĂ© en Turquie comme une rĂ©alitĂ© urbaine dĂ©ïŹnissant fortement la composition
et l’appropriation de l’espace par ses habitants. Ces « microstructures » constituent un
milieu urbain trĂšs important aux yeux des habitants. C’est Ă  cette Ă©chelle que l’on trouve
les commerces de proximité, les petites activités économiques, les centres culturels, les
cafés, les écoles, les associations de quartier... Les principales compétences de la mairie
de quartier sont les questions liĂ©es Ă  l’état civil. Ainsi, les huit mahalles qui composent le
quartier SĂŒleymaniye, sont des hĂ©ritages du passĂ© ottoman. La municipalitĂ© de Fatih, par
l’intermĂ©diaire du projet, revendique cette identitĂ© ottomane. Un autre hĂ©ritage de l’em-
pire marque Ă©galement le quartier de SĂŒleymaniye. Il s’agit des fondations religieuses.
B.2 L’implantation de fondations religieuses comme signe actuel du
rĂŽle symbolique de SĂŒleymaniye
Plusieurs fondations religieuses, reconnues comme telle ou non, sont implantées à
dans le quartier. Elles prÎnent la nécessité du projet, rendre à Istanbul son quartier fon-
dateur, retrouver un proïŹl de population plus moral. Il s’agit par exemple des fondations
KOCAV (KĂŒltĂŒr Ocagi VakïŹ, fondation de la culture) et BISAV (Bilim ve Sanat VakïŹ,
fondation des sciences et des arts).
La prĂ©sence de ces fondations Ă  SĂŒleymaniye est un signe du rĂŽle symbolique qui se
perpĂ©tue aujourd’hui dans le quartier. D’aprĂšs F. Bilici, « la rĂ©gression des idĂ©ologies,
6. Pour plus de dĂ©tails sur le systĂšme de gouvernance stambouliote, se reporter Ă  l’annexe C
26
I.B SĂŒleymaniye, un symbole pour le parti : la question identitaire.
la crise de lĂ©gitimitĂ© qui frappe les États et l’échec de l’importation des modĂšles occi-
dentaux incitent les sociétés musulmanes à instrumentaliser les références historiques,
imaginaires ou rĂ©elles, tout en essayant de leur trouver des justiïŹcations dans le rĂ©pertoire
des systÚmes occidentaux. (...) Avec le vakıf 7 turc, nous sommes précisément devant un
produit historique (traditionnel), cristallisant le montage d’un systùme social juridique et
particulier » (Bilici 1993). Le vakıf dans ce contexte tenterait de remplir un espace social
vacant dĂ» Ă  la lĂ©gitimitĂ© encore faible d’autres formes d’organisation sociale comme les
associations, les syndicats, les partis politiques, les clubs... etc.
L’institutionnalisation du vakıf, depuis les vingt derniĂšres annĂ©es, montre l’émergence
d’une classe d’entrepreneurs culturels et politiques turcs qui ont dĂ©passĂ© le stade d’imi-
tation à tout prix de toutes formes de mobilisation sociale occidentale. Cette période
d’imitation est datĂ©e d’aprĂšs F. Bilici de la ïŹn du XIXĂšme siĂšcle, jusqu’aux annĂ©es 1950.
Elle correspond à la période républicaine et kémaliste. Le grand retour des vakıfs serait
donc le signe d’une rĂ©-ottomanisation. Leur prĂ©sence Ă  SĂŒleymaniye, Ă  cet Ă©gard, n’est
pas un hasard. « Le vakıf turc en gĂ©nĂ©ral participe non pas Ă  un retour, mais plutĂŽt d’une
rĂ©activation de la tradition sous forme moderne, montrant des capacitĂ©s d’adaptation de
sociétés musulmanes » (Bilici, 1993). Ces fondations seraient à mi-chemin entre la fon-
dation amĂ©ricaine et l’association française. Elles se concrĂ©tisent en une forme d’orga-
nisation et de structure juridique tirant sa légitimité du droit et des traditions islamiques,
acquis durant une longue pĂ©riode ottomane, et des codes civils occidentaux. D’aprĂšs l’au-
teur, ces vakıfs se montrent d’ « une vitalitĂ© exceptionnelle, tant sur le plan Ă©conomique
que sociologique » en Turquie, plus que dans d’autres pays musulmans. Elles sont super-
visées par la Direction Générale des Vakıfs dépendant du premier ministre et du ministÚre
des Finances. Leur développement exceptionnel depuis les années 1980 correspondrait
Ă  l’idĂ©ologie ultralibĂ©rale en vigueur accordant une grande libertĂ© d’action Ă  l’initiative
privĂ©e aïŹn qu’elle assume une partie des fonctions de l’État et se rĂ©pande dans la so-
ciété. Elles sont de plus en plus fondées par des musulmans pratiquants et ont trouvé un
appui ïŹnancier considĂ©rable auprĂšs de la bourgeoisie turque et des sociĂ©tĂ©s ïŹnanciĂšres
saoudiennes et koweitiennes introduites en Turquie dans les annĂ©es 1983. L’hypothĂšse
qu’émet l’article est que « ces vakıfs sont utilisĂ©es par diffĂ©rents courants islamistes turcs
7. « Le mot vakıf signiïŹe arrĂȘter, immobiliser. En termes juridiques, constituer un vakıf, c’est immobi-
liser un bien et affecter son produit Ă  une Ɠuvre pieuse ou charitable, dotĂ©e de la personnalitĂ© morale. Celui
qui constitue le vakıf est nommĂ© vĂąkif ; l’acte de fondation est appelĂ© vakïŹye. Dans le droit musulman
classique, le bien immobilisé est normalement et théoriquement « consacré à Dieu ». A ce titre, il devient
inaliĂ©nable, c’est-Ă -dire qu’il ne peut plus faire l’objet de vente, achat , expropriation, hypothĂšque, saisie. »
(Bilici, 1993)
27
CHAPITRE I. COMPRENDRE LE PROJET DE RÉNOVATION DE
SÜLEYMANIYE
comme base juridique, économique, sociale et politique pour une réislamisation par le bas
ou en profondeur de la société musulmane » (Bilici, 1993).
En effet, l’émancipation de ces fondations se cristallise, dans le cas turc, dans l’im-
plosion du systÚme politique kémaliste de la République, basé sur un contrÎle strict du
religieux. Elle tĂ©moignerait Ă©galement de la naissance d’une nouvelle Ă©lite islamiste. En
1970, on note effectivement la naissance du premier parti islamiste. Il a été dissout plu-
sieurs fois et s’est rĂ©organisĂ© ïŹnalement en 1983 sous le nom de parti de ProspĂ©ritĂ© : le
Refah. Il est re-dissout en 1998. De cette nouvelle scission naĂźtra deux partis actuels :
l’AKP, au pouvoir, parti pour la justice et le dĂ©veloppement, et le Saadet, parti de la fĂ©li-
citĂ©. Les vakıfs islamiques ont Ă©tĂ© largement aidĂ©es par l’arrivĂ©e des sociĂ©tĂ©s arabes et isla-
miques Ă  partir de 1983, comme Al-Braka turkish ïŹnance house, Saudi american bank...
Elles prennent alors la forme de fondations islamiques d’entraide, de solidaritĂ© et d’édu-
cation destinées aux jeunes de milieu populaire, ou encore de fondations de recherche,
d’études islamiques, donnant lieu Ă  des publications d’ouvrages savants, de revues... Les
deux fondations de SĂŒleymaniye appartiennent Ă  cette seconde catĂ©gorie. Elles se disent
fondations pour la culture, ou pour la science, mais elles publient et commercialisent des
ouvrages à tendance islamique, voire islamiste. Un Symposium est organisé en 2007 par
la fondation BISAV (Bilim ve Sanat VakïŹ, fondation des sciences et des arts) pour prĂŽner
la nĂ©cessitĂ© et les biens faits du projet de rĂ©novation de SĂŒleymaniye.
EnïŹn, d’aprĂšs F. Bilici, ces fondations seraient les « antichambres des partis politiques
(...) Elles fonctionnent par un systÚme de coopération, de clientélisme et de reproduction
». Nombreuses sont celles fondĂ©es par des hommes politiques, du parti de l’ANAP en
particulier. Le parti de l’ANAP est le parti de la mùre patrie. Il fusionne en 2007 avec le
parti de la juste voie pour former le parti dĂ©mocrate. L’auteur souligne que ces fondations
sont utilisĂ©es par les islamistes comme des instruments de lĂ©gitimation et d’action sociale.
Elles joueraient plus ou moins le rÎle de vecteur de sociabilité que ne jouent plus ni la
mosquée, ni les associations. Elles propageraient un Islam social par leurs multiples ac-
tivités et leur dynamisme (publication, réunion, conférence...) et grignoteraient ainsi peu
Ă  peu les fonctions de l’État. Ce qui est d’aprĂšs F. Bilici une caractĂ©ristique fondamen-
tale de la politique turque et particuliĂšrement des partis conservateurs. Notons Ă  cet Ă©gard
que le parti au pouvoir, l’AKP est un parti islamo-conservateur. Il ne cesse de monter en
puissance depuis 2002.
Ainsi, Ă  travers l’exemple des fondations religieuses, nous pouvons voir que SĂŒley-
maniye occupe toujours une place symbolique et idéologique aux yeux du parti et des
partisans de l’AKP. Rappelons dĂ©sormais rapidement l’assise qu’à ce parti en Turquie.
28
I.B SĂŒleymaniye, un symbole pour le parti : la question identitaire.
DĂšs 1950, le parti rĂ©publicain du peuple, kĂ©maliste, perd le pouvoir. C’est Ă  partir de lĂ 
que les mesures laïques sont assouplies. L’appel à la priùre et l’enseignement coranique
en arabe sont rĂ©tablis, l’éducation religieuse dans les Ă©coles publiques rĂ©introduite, la po-
lygamie et les usages vestimentaires traditionnels sont tolérés... « Force est de constater
qu’au cours du XXĂšme siĂšcle, la laĂŻcitĂ© en Turquie a le plus souvent Ă©tĂ© imposĂ©e ou rĂ©ta-
blie par la force et l’intervention rĂ©pĂ©tĂ©e de l’armĂ©e (1913, 1923-4, 1971, 1980), alors que
les avancées de la démocratie participative sont plutÎt traduites par un retour de la tradi-
tion religieuse (1950-1983) » (Marcou, Burdy, 1994). Le projet de SĂŒleymaniye serait ici
l’occasion pour les autoritĂ©s turques au pouvoir de mettre la main sur un quartier chargĂ©
symboliquement. Cette dimension identitaire est en partie à l’origine du projet. Or, qu’en
est-il de l’état du quartier ?
29
CHAPITRE I. COMPRENDRE LE PROJET DE RÉNOVATION DE
SÜLEYMANIYE
C Diagnostic : SĂŒleymaniye, un quartier dĂ©gradĂ© et stig-
matisé
AprÚs avoir présenté le contexte international et la dimension symbolique du projet, il
s’agit de s’interroger sur l’état local du quartier. Aux vues des caractĂ©ristiques physique,
fonctionnelle et sociale du quartier, une rénovation est-elle nécessaire ?
C.1 Approche statistique
C.1.1 Un quartier résidentiel et industriel
FIGURE I.2: Fonctions du quartier de SĂŒleymaniye par zone. Source : d’aprĂšs un
relevé effectué les 11 et 12 juillet
30
I.C Diagnostic : SĂŒleymaniye, un quartier dĂ©gradĂ© et stigmatisĂ©
FIGURE I.3: Fonctions du quartier de SĂŒleymaniye par parcelle. Source : d’aprĂšs un
relevé effectué les 11 et 12 juillet
On remarque avec les ïŹgures I.2 et I.3 que le quartier s’il est rĂ©sidentiel en son centre,
est entourĂ© de commerces et d’ateliers. Les bĂątiments IMC, notamment, Istanbul Manu-
fakturcilar Carsisi, sont les quatre gros blocs dans lesquels se fait le commerce de gros de
la ville. Ces bùtiments ont été conçus dans les années 1950 par Dogan Tekeli et Sami Sisa,
deux architectes rĂ©publicains. Ils bordent le quartier Ă  l’ouest et servent d’espace tampon
entre la zone rĂ©sidentielle du quartier et le boulevard AtatĂŒrk. Les ateliers, trĂšs nombreux,
sont pour la plupart informels. Les branches en prioritĂ©s concernĂ©es pour l’ancien arron-
dissement d’EminönĂŒ sont : « accessoires pour automobile, chimie, agroalimentaire et
31
CHAPITRE I. COMPRENDRE LE PROJET DE RÉNOVATION DE
SÜLEYMANIYE
commerce de gros alimentaire, quincaillerie en gros, production textile, meuble, papiers,
imprimerie, travail de l’or et de l’argent, plasturgie, mĂ©tallurgie et entrepĂŽt » (PĂ©rouse,
2007). Le quartier a donc une fonction commerciale et industrielle non négligeable, ce
qui est conïŹrmĂ© par le proïŹl social de la population. Le type de commerce est en gĂ©nĂ©ral
du commerce de gros lié aux ateliers voisins. On y confectionne des cuillÚres, des cein-
tures, des piÚces spéciales, des balances, des machines à coudre... qui sont vendues dans
le quartier. C’est là que viennent se fournir de nombreux artisan, restaurateur ou autres
vendeurs d’Istanbul. Dùs lors se pose la question de l’implantation de ces ateliers en
centre-ville. Sont-ils implantĂ©s dans ce quartier pour la main d’oeuvre, le prix du foncier
ou bien la proximitĂ© d’un marchĂ© ? Les ateliers implantĂ©s dans le centre d’une mĂ©gapole
comme Istanbul doivent avoir une grande raison d’ĂȘtre, une grande valeur ajoutĂ©e (comme
la haute couture par exemple).
Des dĂ©cisions de dĂ©centralisation Ă  propos des petites entreprises d’EminönĂŒ Ă©taient
prĂ©vues dans le plan de protection de 2003. Or, d’aprĂšs Alev Erkilet, sociologue Ă  l’agence
de planiïŹcation du grand Istanbul (IMP 8), l’arrondissement d’EminönĂŒ est sujet Ă  une
transformation duelle : les grosses entreprises voient la décentralisation comme une op-
portunitĂ© pour grossir et d’augmenter leur capacitĂ©, en revanche les petites entreprises
n’ont « nulle part oĂč aller », et « pas assez de capital » pour dĂ©mĂ©nager. La plupart n’ont
pas de vĂ©hicules et ont Ă  peine le capital sufïŹsant pour payer leurs charges. D’autre part,
les locaux commerciaux prévus pour accueillir les activités en périphéries sont trÚs grands
et inadaptés aux petits entrepreneurs locaux. Les loyers élevés, les faibles marges béné-
ïŹciaires possibles et les coĂ»ts de transport rendent impossible de quitter les magasins Ă 
bas prix du centre-ville pour les petits fabricants (Erkilet, 2009). La question du devenir
de ces ateliers se pose, leur conservation n’étant absolument pas prĂ©vue par le projet de
rĂ©novation. Au contraire, ce caractĂšre industrieux du quartier paraĂźt gĂȘner les autoritĂ©s
locales.
C.1.2 Un quartier dégradé et en partie détruit
La ïŹgure I.4 montre, sur un Ă©chantillon important du pĂ©rimĂštre du projet, la forte dĂ©-
gradation du bĂąti. Elle montre Ă©galement l’avancĂ©e des destructions effectuĂ©es par KIP-
TAS au mois de juillet en 2010. Nous remarquons bien ici le tracé du futur métro évoqué
en introduction. Il sera en partie souterrain mais ressortira, comme le tracé des destruc-
tions l’indique, au pied de la colline et se dirigera vers la Corne d’Or. Ce projet de mĂ©tro,
8. Pour plus de dĂ©tails sur l’IMP, se reporter Ă  l’annexe C
32
I.C Diagnostic : SĂŒleymaniye, un quartier dĂ©gradĂ© et stigmatisĂ©
FIGURE I.4: Etat du bĂąti. Source : d’aprĂšs un relevĂ© effectuĂ© les 11 et 12 juillet
ou plutĂŽt, le fait qu’il traverse la Corne d’Or sur un pont dĂ©mesurĂ©, est fortement critiquĂ©
par l’UNESCO comme par les professionnels de l’urbanisme. Nous pouvons Ă©galement
voir sur la carte, la seule rue qui a été réhabilitée (en bleu). Nous évoquerons ces réha-
bilitations ultĂ©rieurement. La ïŹgure I.5 montre des exemples d’état de bĂąti pour chaque
catĂ©gorie. Notons que les maisons en bois de SĂŒleymaniye, classĂ©es aux registres des
biens nationaux et au patrimoine mondial de l’UNESCO, reprĂ©sentent les 2/3 des mai-
sons en bois restantes à Istanbul. Elles sont malgré tout trÚs dégradées. La plupart seront
dĂ©truites comme le prĂ©voit le projet de rĂ©novation (un grand nombre l’a dĂ©jĂ  Ă©tĂ©).
33
CHAPITRE I. COMPRENDRE LE PROJET DE RÉNOVATION DE
SÜLEYMANIYE
(a) (b)
(c) (d)
FIGURE I.5: les différentes catégories de bùti. (a) dégradé, (b) bon état ou passable,
(c) détruit, (d) réhabilité. Source : photos prises en juin 2010
L’état de dĂ©gradation physique du quartier pourrait justiïŹer Ă  lui seul l’initiative d’un
projet d’amĂ©lioration du cadre bĂąti. L’opportunitĂ© de la rĂ©novation sera discuttĂ©e dans le
chapitre trois. Toutefois, il s’agit de noter que le quartier se dĂ©grade et se dĂ©truit d’autant
plus vite depuis le début du projet en 2006 qui marque le départ des propriétaires. En
outre, on peut s’interroger sur l’origine de ces dĂ©gradations. S’il n’y a pas eu d’action
menĂ©e sur le bĂąti avant le projet de rĂ©novation, c’est probablement parceque la dimension
physique n’est pas la plus importante aux yeux des autoritĂ©s.
34
I.C Diagnostic : SĂŒleymaniye, un quartier dĂ©gradĂ© et stigmatisĂ©
C.1.3 Un proïŹl social gĂȘnant
Les données statistiques sont rares, ou bien trÚs peu communiquées. Les résultats du
recensement ne sont pas publics et trĂšs difïŹcilement accessibles. AprĂšs plusieurs vaines
tentatives auprÚs de la mairie de Fatih pour se procurer des données démographiques
sur le quartier de SĂŒleymaniye, nous avons pris contact avec un professeur cartographe :
Murat GĂŒvenç. Ce dernier a dĂ©veloppĂ© toute une cartographie d’Istanbul en fonction de
données sociodémographiques. Son travail de fourmi se concrétise en un véritable at-
las de la ville d’Istanbul. Il est mis en scùne dans l’exposition Istanbul 1910-2010, qui
a lieu ce septembre 2010. Grùce à son aide, nous avons pu récolter quelques données
trĂšs prĂ©cises, mais difïŹcilement manipulables concernant le quartier de SĂŒleymaniye. Ces
donnĂ©es ont Ă©tĂ© recensĂ©es en 2000 par un type particulier de recensement qu’est le re-
censement de facto. Le recensement de facto comptabilise la population présente et non
la population légale comme le ferait un recensement de jure effectif en France ou autres
pays dĂ©veloppĂ©s, qui s’appuie sur une base de population enregistrĂ©e. Le recensement de
2000 est le dernier recensement de facto de Turquie. Les ïŹgures I.6 I.7 I.8 I.9 I.10 I.11 ont
Ă©tĂ© construite Ă  partir des donnĂ©es fournies par Murat GĂŒvenç. Il est important de noter
que ces ïŹgures font rĂ©fĂ©rence aux huit mahalles de SĂŒleymaniye, dont un est Ă©galement
nommĂ© SĂŒleymaniye.
35
CHAPITRE I. COMPRENDRE LE PROJET DE RÉNOVATION DE
SÜLEYMANIYENiveauscolaireAnalphabùtesNonNiveauNiveauNiveauNiveau
diplomésécoleprimairecollÚgelycéeuniversité
Demirtas8114858166777
HacıKadin13123877010414011
HocaGıyasettin420552165223829245
Kalenderhane31822916335024
MollaHusrev14120381613439989
SarıDemir22255121
SĂŒleymaniye991073806521733
YavuzSinan899769010414915
Totaux994(10%)1429(14%)5205(51%)779(8%)1636(16%)225(2%)
Totalpopulation:10268
FIGUREI.6:Niveauscolairedeshabitantsparsous-quartier.Source:DonnĂ©esfourniesparMuratGĂŒvenç
Surleniveaud’éducation(cf.ïŹgureI.6),notonsqueletauxd’analphabĂštesestd’environ10%(letauxd’alphabĂ©tisationen
2000enTurquieestde82,3%)etdenondiplÎmésde14%.CequirestedestauxélevéspourIstanbul.Lapopulationduquartiera
globalementunfaibleniveaud’éducation,leniveauĂ©coleprimaireestleplusrĂ©pandu,50%delapopulationontceniveau.
36
I.C Diagnostic : SĂŒleymaniye, un quartier dĂ©gradĂ© et stigmatisĂ©
Taille des ménages 1 à 3 pers 4 à 6 pers 7 à 9 pers 10 et plus Total ménages
Demirtas 38 44 10 5 97
Hacı Kadin 77 91 46 14 228
Hoca Gıyasettin 161 171 61 29 422
Kalenderhane 24 37 3 0 64
Molla Husrev 50 72 27 6 155
Sarı Demir 1 1 0 0 2
SĂŒleymaniye 39 38 17 2 96
Yavuz Sinan 41 32 12 11 96
Totaux 431 (37%) 486 (42%) 176 (15%) 67 (6%) 1160
Total habitants 5445
FIGURE I.7: Taille des ménages des habitants par sous-quartier. Source : Données
fournies par Murat GĂŒvenç
La répartition de la population dans les différents mahalles est assez inégale. On voit
que les quartiers concernés par le projet prioritaire sont les plus peuplés (Hacı Kadin,
Hoca Gıyasettin, Demirtas et Yavuz Sinan). Ils représentent à eux seuls 74% de la popu-
lation de SĂŒleymaniye. Le mahalle de Sarı Demir est trĂšs faiblement reprĂ©sentĂ©. En effet,
il borde la Corne d’Or et reste trĂšs peu urbanisĂ©. Comme le montre la ïŹgure I.7, la taille
moyenne de ménage est de 4 à 6 personnes.
FIGURE I.8: Répartition des activités professionnelles des habitants. Femmes à
gauche ; Hommes Ă  droite. Source : DonnĂ©es fournies par Murat GĂŒvenç
Les deux professions dominant le quartier sont les employés dans le commerce et la
vente ainsi que les ouvriers industriels, dans tous mahalles confondus. Ceci est conïŹrmĂ©
37
CHAPITRE I. COMPRENDRE LE PROJET DE RÉNOVATION DE
SÜLEYMANIYE
FIGURE I.9: RĂ©partition des secteurs d’activitĂ©s des habitants. Hommes Ă  gauche ;
Femmes Ă  droite. Source : DonnĂ©es fournies par Murat GĂŒvenç
par la domination des secteurs d’activitĂ©s du commerce, de la production et de l’industrie
que l’on peut voir dans la ïŹgure I.9 et Ă©galement par la prĂ©sence de nombreux ateliers et
de commerces de gros dans le quartier.
EnïŹn, en ce qui concerne le type de propriĂ©tĂ©, on note d’une part qu’une Ă©crasante ma-
jorité des habitants sont locataires. Or, nous avons vu dans les documents de promotion
du projet que la municipalitĂ© ne s’adressait qu’aux propriĂ©taires. D’autre part, Ă  Istanbul,
et ceci a Ă©tĂ© conïŹrmĂ© par les muhtars 9 Ă  SĂŒleymaniye, il y a beaucoup de « share pro-
perties », de propriĂ©tĂ©s partagĂ©es entre plusieurs actionnaires. C’est un systĂšme original
mais trĂšs frĂ©quent en Turquie. Un mĂȘme bien foncier ou immobilier a souvent plusieurs
propriĂ©taires. Cela peut arriver quand les propriĂ©taires d’une maison dĂ©cĂšdent et lĂšguent
la propriété à leurs enfants. Le processus de morcellement de la propriété commence là.
Les enfants sont ensuite libres de revendre leur part Ă  des particuliers... etc.
9. Les muhtars sont les maires de quartier. Leur unité administrative est le mahalle et leur compétence
concerne essentiellement l’état civil. Cf. Annexe C
38
I.C Diagnostic : SĂŒleymaniye, un quartier dĂ©gradĂ© et stigmatisĂ©
Statut d’occupation PropriĂ©taires Locataire Autres Non dĂ©ïŹni
Demirtas 14 75 8 0
Hacı Kadin 24 163 38 3
Hoca Gıyasettin 67 323 22 10
Kalenderhane 18 27 12 7
Molla Husrev 41 85 23 6
Sarı Demir 0 1 1 0
SĂŒleymaniye 21 63 11 1
Yavuz Sinan 4 79 12 1
Totaux 189 (16%) 816 (70%) 127 28
Total population : 1160
FIGURE I.10: Statut d’occupation par sous-quartier. Source : DonnĂ©es fournies par
Murat GĂŒvenç
39
CHAPITRE I. COMPRENDRE LE PROJET DE RÉNOVATION DE
SÜLEYMANIYELieudenaissanceIstanbulMalatyaAdiyamanDıyarbakirDıgerdevMardınNıgdeAutresÉtrangerNon
TurquiedĂ©ïŹni
Demirtas9316512875365811233265
HacıKadin345100139584981406154110
HocaGıyasettin4432833333963192399511742678
Kalenderhane12266702232466470343
MollaHusrev190178971187866419913451
SarıDemir102000003500
SĂŒleymaniye1411538941322316434120
YavuzSinan8326103617992120586112
Totaux14279739597716256054304637164149
(13%)(9%)(9%)(7%)(6%)(6%)(4%)(43%)(2%)(1%)
Populationtotale10740
PopulationétrangÚre3%
Populationimmigréeintérieure84%
Populationstambouliote13%
FIGUREI.11:Lieuxdenaissancedeshabitants.Source:DonnĂ©esfourniesparMuratGĂŒvenç
Onnoteiciunforttauxd’immigrationinterne(84%).Trùspeud’individussontoriginairesd’Istanbuldanscequartier.Celaest
liĂ©auxdiffĂ©rentesvaguesd’immigrationsprĂ©sentĂ©esenintroduction.Onremarquequ’ilyaunpotentielkurdeimportantpuisque
lesvillestellesqueMalatya,DiyarbakiretMardinsontsituéesdanslesudestdelaTurquie.
40
I.C Diagnostic : SĂŒleymaniye, un quartier dĂ©gradĂ© et stigmatisĂ©
Nous avons construit ces tableaux Ă  partir des rĂ©sultats du recensement que Murat GĂŒ-
venç nous a livrés. Or, on se rend vite compte que les données semblent soit erronées, soit
contradictoires. En effet, si l’on tente de comptabiliser la population totale du quartier, on
compte 10 270 personnes d’aprĂšs les tableaux sur le niveau d’éducation de la population,
5 378 d’aprĂšs celui sur la taille des mĂ©nages, 4 879 d’aprĂšs le tableau sur le type de pro-
fession ou de secteur d’activitĂ© et enïŹn 1 160 d’aprĂšs celui du type de propriĂ©tĂ©. Or, les
muhtars du quartier disent que la population de SĂŒleymaniye est comprise entre 3000 et
6000 habitants.
J’émets l’hypothĂšse que comme ces donnĂ©es ont Ă©tĂ© relevĂ©es lors d’un recensement
de facto, il est possible que les données acquises comprennent la population travaillant
dans le quartier, et non la seule population habitant le quartier. Ainsi, toute la population
travaillant et habitant le quartier aurait rĂ©pondu aux questions relatives au niveau d’édu-
cation et aux secteurs d’activitĂ©, totalisant environ 10 000 personnes, (environ 5 000 sans
comprendre les enfants ou personnes ne travaillant pas). Les questions relatives au do-
micile, comme celles sur le type de propriété et celles sur la taille du ménage révÚlent
une population habitante d’environ 5 000 personnes. En effet, si on multiplie le nombre
de propriétés (1 160), par la taille moyenne des ménages (5,5), on obtient une population
d’environ 5 500, ce qui conïŹrme le nombre d’habitants donnĂ© par le tableau sur la taille
des ménages de 5 378 personnes.
Toutefois, mĂȘme cette hypothĂšse s’avĂ©rait ĂȘtre juste, les chiffres datent de 2000. Le
projet ayant commencé en 2006, la situation a énormément changé depuis. Le nombre
d’électeurs du quartier le plus peuplĂ© (Hoca Giyasettin) « est passĂ© de 2300 Ă  800 de
2007 Ă  2009 » 10. NĂ©anmoins, le proïŹl social du quartier se dessine : une majoritĂ© de lo-
cataires, Ă  faible niveau d’éducation, travaillant dans la vente, la production ou l’industrie.
Il est nĂ©cessaire d’ajouter que la plupart sont Ă©galement immigrĂ©s, internes ou internatio-
naux.
L’enquĂȘte menĂ©e dans le quartier de SĂŒleymaniye durant la premiĂšre quinzaine de juin
a permis de recueillir les propos d’une dizaine de personnes sur le projet, mais Ă©galement
sur leur perception et leur rapport Ă  ce quartier et Ă  son histoire. Voyons si ces propos vont
ou non dans le sens des données statistiques.
1. L’origine des habitants
L’échantillon enquĂȘtĂ© indique en effet que la plupart des habitants de SĂŒleymaniye,
10. D’aprĂšs l’entretien passĂ© le 20 juillet 2010 avec la muhtar d’Hoca Giyasettin
41
Lucie renou   projet de rnovation de suleymaniye - ifu - 2010
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  • 1. MĂ©moire de master 2 " urbanisme et amĂ©nagement " parcours OpĂ©rateurs Urbains (OU), spĂ©cialitĂ© Expertise Internationale des Villes en DĂ©veloppement (EIVD) AnnĂ©e 2010 Le projet de rĂ©novation de SĂŒleymaniye entre intervention urbaine et politique : La mise aux normes d’un quartier au service d’enjeux identitaires et internationaux Lucie Renou Encadrants : - A. Deboulet (IFU) - M.-F. Gribet (IFU) - Y. Morvan (IFEA) - J.-F. PĂ©rouse (IFEA) - N. Seni (IFEA) UniversitĂ© de Paris Est Marne la VallĂ©e Institut Français d’Urbanisme
  • 2. 2
  • 3. Remerciements Au moment oĂč j’écris ces lignes, mon mĂ©moire se termine, et avec lui, mon cursus universitaire s’achĂšve. J’adresse donc dans un premier temps, mes remerciements Ă  toute l’équipe enseignante de l’IFU pour m’avoir guidĂ© tout au long de ma formation en urba- nisme (et particuliĂšrement aux professeurs des options OpĂ©rateurs Urbains et Expertise Internationale des Villes en DĂ©veloppement que j’ai suivies). Dans un second temps, ce mĂ©moire est le fruit de nombreuses interactions et ren- contres. Les personnes Ă  remercier sont nombreuses. Je tiens ici Ă  remercier particuliĂšre- ment : – Les professeurs et chercheurs, qui ont encadrĂ© ce mĂ©moire, m’ont conseillĂ© et mo- tivĂ© tout au long de sa rĂ©alisation : AgnĂšs DĂ©boulet, Marie-Françoise Gribet, Yoann Morvan, Jean-François PĂ©rouse et Nora Seni. – Plus gĂ©nĂ©ralement toute l’équipe de l’IFEA, les chercheurs, les doctorants ainsi que les stagiaires pour l’ambiance de travail agrĂ©able, mais aussi pour toutes ces discussions enrichissantes qui ont participĂ© Ă  l’orientation de ce mĂ©moire : EloĂŻse, Brian, ClĂ©mence, Annabelle, Jonathan et tous les autres. – Toutes les personnes Ă  Istanbul qui ont acceptĂ© de me recevoir, de partager leurs connaissances avec moi et surtout Ali, Julia, Derya, HĂŒlya, Cihan et Murat GĂŒvenç pour le temps que vous m’avez accordĂ©, votre patience et votre gĂ©nĂ©rositĂ©. – Vanessa ! Pour m’avoir consacrĂ© quinze jours de tes vacances et sans qui mon en- quĂȘte de terrain n’aurait pas Ă©tĂ© possible. En mĂȘme temps, je remercie tous les ha- bitants et travailleurs de SĂŒleymaniye qui ont participĂ© Ă  cette petite enquĂȘte, merci pour votre hospitalitĂ©. – EnïŹn, je remercie trĂšs chaleureusement mes amis et ma famille qui m’ont soutenu et m’ont menĂ© jusqu’ici, particuliĂšrement mes parents, Cam, Flo et Viv, et enïŹn Adrien, sans l’aide de qui la mise en page de ce mĂ©moire n’aurait pas Ă©tĂ© la mĂȘme... J’espĂšre que vous l’apprĂ©cierez.
  • 5. Table des matiĂšres Remerciements 3 Table des matiĂšres i Table des ïŹgures iii Introduction 1 A Le projet de rĂ©novation de SĂŒleymaniye entre intervention urbaine et po- litique : la mise aux normes d’un quartier au service d’enjeux identitaires et internationaux . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1 B Istanbul, une mĂ©gapole en pleine croissance . . . . . . . . . . . . . . . . 6 C Le projet de rĂ©novation de SĂŒleymaniye, continuitĂ© ou rupture avec les projets prĂ©cĂ©dents ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 11 D MĂ©thodologie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 16 I Comprendre le projet de rĂ©novation de SĂŒleymaniye 19 A Injonction internationale Ă  la restructuration urbaine . . . . . . . . . . . . 19 B SĂŒleymaniye, un symbole pour le parti : la question identitaire. . . . . . . 24 C Diagnostic : SĂŒleymaniye, un quartier dĂ©gradĂ© et stigmatisĂ© . . . . . . . . 30 II Dimension politique du projet critiquĂ©e 49 A Le projet vu Ă  travers ses discours : quels objectifs . . . . . . . . . . . . . 49 B La loi 5366 comme outil puissant de la politique de Kentsel DönĂŒsĂŒm . . 59 C Critiques : les rĂ©actions de la sociĂ©tĂ© civile . . . . . . . . . . . . . . . . . 65 III Des modalitĂ©s d’application radicales au service d’enjeux privĂ©s et identi- taires 71 A Façadisme et nĂ©o-ottomanisme : une vision singuliĂšre du patrimoine . . . 71
  • 6. TABLE DES MATIÈRES B Enjeux Ă©conomiques : l’immobilier Ă  l’heure de la spĂ©culation. . . . . . . 84 C Enjeux sociaux : pour une moralisation de la pĂ©ninsule. Un processus d’expropriation violent . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 93 Conclusion 105 Bibliographie 109 ii
  • 7. Table des ïŹgures 1 Carte de la croissance urbaine d’Istanbul. Source fond de carte (PĂ©- rouse, 2001) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 10 I.1 SĂŒleymaniye, un quartier dominant. Source : photo prise en juin 2010 . 25 I.2 Fonctions du quartier de SĂŒleymaniye par zone. Source : d’aprĂšs un relevĂ© effectuĂ© les 11 et 12 juillet . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 30 I.3 Fonctions du quartier de SĂŒleymaniye par parcelle. Source : d’aprĂšs un relevĂ© effectuĂ© les 11 et 12 juillet . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 31 I.4 Etat du bĂąti. Source : d’aprĂšs un relevĂ© effectuĂ© les 11 et 12 juillet . . . . 33 I.5 les diffĂ©rentes catĂ©gories de bĂąti. (a) dĂ©gradĂ©, (b) bon Ă©tat ou passable, (c) dĂ©truit, (d) rĂ©habilitĂ©. Source : photos prises en juin 2010 . . . . . . 34 I.6 Niveau scolaire des habitants par sous-quartier. Source : DonnĂ©es four- nies par Murat GĂŒvenç . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 36 I.7 Taille des mĂ©nages des habitants par sous-quartier. Source : DonnĂ©es fournies par Murat GĂŒvenç . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 37 I.8 RĂ©partition des activitĂ©s professionnelles des habitants. Femmes Ă  gauche ; Hommes Ă  droite. Source : DonnĂ©es fournies par Murat GĂŒ- venç . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 37 I.9 RĂ©partition des secteurs d’activitĂ©s des habitants. Hommes Ă  gauche ; Femmes Ă  droite. Source : DonnĂ©es fournies par Murat GĂŒvenç . . . . . 38 I.10 Statut d’occupation par sous-quartier. Source : DonnĂ©es fournies par Murat GĂŒvenç . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 39 I.11 Lieux de naissance des habitants. Source : DonnĂ©es fournies par Murat GĂŒvenç . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 40 I.12 Le KĂŒĂ§ĂŒkpazar. Source : photo prise en juin 2010 . . . . . . . . . . . . 44
  • 8. TABLE DES FIGURES II.1 Kentsel yenileme alanı (secteur de rĂ©novation urbaine). Source : KIP- TAS, SĂŒleymaniye Sunum, 30.12.2009 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 50 II.2 Ancienne photo de SĂŒleymaniye. Source : KIPTAS, SĂŒleymaniye Su- num, 30.12.2009 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 51 II.3 PĂ©rimĂštre du projet prioritaire. Source : KIPTAS, SĂŒleymaniye Sunum, 30.12.2009 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 52 II.4 Situation de l’ülot 565 dans le quartier. Source : KIPTAS, SĂŒleymaniye Sunum, 30.12.2009 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 53 II.5 PrĂ©sentation de l’ülot 565 avant et aprĂšs projet. Source : KIPTAS, SĂŒ- leymaniye Sunum, 30.12.2009 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 54 II.6 Situation hier, aujourd’hui, demain. Source : KIPTAS, SĂŒleymaniye Sunum, 30.12.2009 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 55 II.7 Carte des projets de rĂ©novation sur la rive europĂ©enne. Source : (AGFE, 2009) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 59 III.1 Exemple de façadisme. Source : photo prise en juin 2010 . . . . . . . . 72 III.2 Façade rĂ©novĂ©e par KUDEB. Source : photo prise en juin 2010 . . . . . 73 III.3 RĂ©habilitation privĂ©e d’une rue par l’architecte Monsieur Y. Source : photo prise en juin 2010 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 75 III.4 RĂ©habilitation d’une rue rĂ©alisĂ©e par KUDEB. Source : photo prise en juin 2010 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 76 III.5 Maison rĂ©habilitĂ©e disproportionnĂ©e. Source : photo prise en juin 2010 77 III.6 Exemples de logements construits de KIPTAS. Source : http ://www.kiptas.com.tr . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 87 III.7 Organigrammes du projet de Balat. Source : D’aprĂšs les entreriens avec D. Aslan et H. Gargin . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 91 III.8 Organigrammes du projet de SĂŒleymaniye. Source : D’aprĂšs les entre- riens avec D. Aslan et H. Gargin et Melle Z . . . . . . . . . . . . . . . . 92 III.9 Etat d’un ilĂŽt aprĂšs de multiples destructions illĂ©gales. Source : photo prise en juin 2010 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 96 III.10Des enfants jouent dans les ruines d’un immeuble. Source : photo prise en juin 2010 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 98 III.11Des enfants jouent dans les ruines d’un immeuble. Source : photo prise en juin 2010 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 99 III.12Source : photo prise en juin 2010 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 103 iv
  • 9. Introduction A Le projet de rĂ©novation de SĂŒleymaniye entre inter- vention urbaine et politique : la mise aux normes d’un quartier au service d’enjeux identitaires et internatio- naux « RĂ©activer la culture ottomane », « retrouver le quartier de SĂŒleymaniye » ... tels sont les slogans portĂ©s par les dĂ©fenseurs du projet de rĂ©novation de SĂŒleymaniye. SĂŒleymaniye est un quartier de la pĂ©ninsule historique d’Istanbul. Il est reconnu pour la richesse de son patrimoine architectural, aussi bien monumental (la mosquĂ©e de Soli- man le MagniïŹque) que vernaculaire (les maisons en bois). Mais il est surtout le symbole de la grandeur ottomane. Au XVIĂšme siĂšcle, SĂŒleymaniye est connu pour ĂȘtre le lieu de rĂ©sidence des vizirs et des grands juges. Cette caractĂ©ristique identitaire se perpĂ©tue aujourd’hui par la prĂ©sence de fondations religieuses dans le quartier. Or, il est aussi un quartier trĂšs dĂ©gradĂ© et stigmatisĂ©. DĂ©gradĂ©, car l’état du bĂąti, et a fortiori, des conditions de vie, y est dĂ©plorable. StigmatisĂ©, car le nom du quartier est aujourd’hui associĂ© aux chambres de cĂ©libataires qui le composent. Ces chambres sont louĂ©es Ă  des jeunes tra- vailleurs qui la partagent le temps d’accumuler de l’argent pour envoyer Ă  leur famille, dans l’est du pays, en Anatolie ou encore dans la rĂ©gion de la mer Noire. Le quartier de KĂŒĂ§ĂŒkpazar Ă  SĂŒleymaniye, est un des plus emblĂ©matiques de cette population immigrĂ©e (de l’intĂ©rieur). Ainsi, l’état physique et le proïŹl social du quartier en font depuis les annĂ©es 2000 un terrain de projet. En 2006, la municipalitĂ© de l’arrondissement de Fatih dĂ©clare que SĂŒleymaniye est dĂ©sormais classĂ© zone de renouvellement. Si la nĂ©cessitĂ© d’une intervention n’est pas re- mise en question, les modalitĂ©s de ce projet sont pour le moins Ă  interroger. Le tissu urbain de SĂŒleymaniye est classĂ© depuis 1985 au patrimoine de l’UNESCO. Pourquoi la
  • 10. INTRODUCTION municipalitĂ© prĂ©voit-elle un projet de rĂ©novation plutĂŽt qu’un projet de rĂ©habilitation ? Cette question se pose d’autant plus que le projet prĂ©voit de reconstruire des maisons ottomanes conformĂ©ment Ă  des photographies anciennes du quartier. Entre dĂ©molition et patrimonialisation, quelles sont les motivations et les ambitions de la municipalitĂ© ? En outre, pourquoi choisir le retour aux maisons ottomanes ? Quelle clientĂšle ce projet vise- t-il ? A.1 Un projet de rĂ©novation et d’expulsion La dĂ©molition fait partie intĂ©grante du processus du projet. Sur les parcelles vidĂ©es du bĂąti antĂ©rieur, naĂźtront de nouvelles konaks, ou maisons ottomanes. Il s’agit dĂšs lors de s’interroger sur le type de projet auquel on a affaire. Restauration ? RĂ©novation ? Des rĂ©fĂ©rences sont faites aux deux notions. D’aprĂšs le dictionnaire de la gĂ©ographie et de l’espace des sociĂ©tĂ©s (LĂ©vy, Lussault, 2003), la restauration comme la rĂ©novation sont des « types d’intervention architecturale ou urbanistique sur des espaces construits », en ce qui concerne le vocabulaire adminis- tratif et opĂ©rationnel français bien sĂ»r. Dans le cas de la restauration, il s’agit essentielle- ment d’ « un rapport admiratif au passĂ© qui vise Ă  la conservation et implique une action de reconstruction Ă  l’identique »(LĂ©vy, Lussault, 2003, p 788). Le projet de SĂŒleymaniye semble ĂȘtre dans cet esprit. Le fait qu’il ne prĂ©voit la construction uniquement de konaks montre bien le rapport idĂ©alisĂ© au passĂ© ottoman. Toutefois, si le projet vise bien la re- construction Ă  l’identique, par diverses photographies anciennes du quartier, on ne peut que remarquer qu’il ne s’agit pas de conservation, ni de rĂ©habilitation, mais de destruction dans un premier temps. NĂ©anmoins, la rĂ©fĂ©rence Ă  la restauration ne s’arrĂȘte pas Ă  un rap- port admiratif -voire nostalgique- au passĂ©. D’une part, la restauration est une pratique qui a des ïŹns ludiques et touristiques. Elle utilise et apprĂ©hende l’espace urbain comme un dĂ©cor. Il s’agit bien, lĂ , du projet de SĂŒleymaniye dont un des premiers objectifs est de promouvoir sur la scĂšne internationale l’image d’une ville moderne, promotion qui passe Ă©galement par la touristiïŹcation de la ville. D’autre part, elle est « un levier de gentriïŹca- tion » (ibid.), utilisĂ©e essentiellement dans les centres-ville dĂ©gradĂ©s et paupĂ©risĂ©s par le dĂ©part des propriĂ©taires en pĂ©riphĂ©rie et permet ainsi la rĂ©alisation de plus value immobi- liĂšre. Ce qui est Ă©galement le cas Ă  SĂŒleymaniye oĂč nous sommes confrontĂ©s Ă  un quartier dĂ©gradĂ© du centre ancien, dont le potentiel foncier et immobilier est trĂšs important. En ce qui concerne l’action sur le bĂąti, la rĂ©fĂ©rence Ă  la rĂ©novation est aussi pertinente puisque celle-ci fait « table rase pour Ă©diïŹer selon les normes en vigueur » (LĂ©vy, Lus- 2
  • 11. .A Le projet de rĂ©novation de SĂŒleymaniye entre intervention urbaine et politique : la mise aux normes d’un quartier au service d’enjeux identitaires et internationaux sault, 2003, p789). AïŹn de justiïŹer cette opĂ©ration radicale, des rĂ©fĂ©rences sont faites dans les discours Ă  la dĂ©gradation du bĂąti et au risque sismique. Lussault souligne le fait que « la rĂ©novation – alias destruction-reconstruction – se fait presque toujours au dĂ©triment des populations en place et il en rĂ©sulte d’importants changements de statuts fonctionnels et sociaux de l’espace » (ibid.). C’est pourquoi cette pratique a rapidement Ă©tĂ© critiquĂ©e en France, notamment avec l’arrivĂ©e de la loi Malraux sur les secteurs sauvegardĂ©s qui dĂ©nonce ces pratiques bulldozers. NĂ©anmoins, elle est toujours utilisĂ©e, mĂȘme s’il s’agit souvent d’espace moins sacrĂ©, comme dans des reconversions industrielles ou des requa- liïŹcations de grands ensembles... Ainsi, le projet oscille entre deux pratiques radicales, qui sont souvent prĂ©sentĂ©es comme opposĂ©es, mais qui, dans le cadre du projet de SĂŒleymaniye, semblent para- doxalement complĂ©mentaires. En effet, l’esprit et les objectifs du projet relĂšvent de la restauration. Est-ce l’inïŹ‚uence des mĂ©thodes europĂ©ennes et leur souci d’un retour Ă  l’authentique ? À ce propos, notons que cette idĂ©ologie n’est pas universelle. Les villes asiatiques ont plus souvent optĂ© pour un engagement dans des constructions modernes qui soulignent une rupture avec le passĂ©. Cette volontĂ©, de la part des autoritĂ©s turques, de rappeler le passĂ© ottoman se rĂ©pand Ă  plusieurs niveaux. Certains parlent mĂȘme de nĂ©o-ottomanisme ou d’ottomanisation. Ce qui pourrait ĂȘtre une particularitĂ© du projet. Toutefois, il s’agit de noter que cette rĂ©fĂ©rence au patrimoine fait partie des pratiques mondialisĂ©es et des atouts de ce que pourrait ĂȘtre une ville internationale. EnïŹn, il est in- dĂ©niable que le projet emprunte les mĂ©thodes de la rĂ©novation, qui passe par la destruction et implique dĂšs lors des consĂ©quences sociales et fonctionnelles que nous analyserons. Remarquons somme toute qu’aucune rĂ©fĂ©rence n’est faite Ă  la rĂ©habilitation dans le projet de la municipalitĂ©. Elle est pourtant une pratique plus modĂ©rĂ©e qui vise « le rĂ©ta- blissement d’un Ă©diïŹce ou d’un ensemble d’immeubles dans ces capacitĂ©s Ă  abriter des activitĂ©s et des habitants ». Elle sous-entend que « les principales caractĂ©ristiques de l’ob- jet sont prĂ©servĂ©es et insĂ©rĂ©es dans un nouveau fonctionnement adaptĂ© au temps prĂ©sent ». Or, si la mairie ne s’y rĂ©fĂšre pas pour le projet prioritaire de SĂŒleymaniye (pĂ©rimĂštre KIP- TAS 1), il s’agit de noter que des expĂ©riences de rĂ©habilitations ont nĂ©anmoins eu lieu par divers acteurs comme l’agence mĂ©tropolitaine KUDEB 2 et les propriĂ©taires eux-mĂȘmes. 1. La situation gĂ©ographique du quartier de SĂŒleymaniye, ainsi que le pĂ©rimĂštre du projet sont prĂ©sentĂ©s en annexe B, p 115 2. KUDEB est la direction de mise en oeuvre et de contrĂŽle de la conservation. Elle est une agence municipale qui a comme mission de dĂ©livrer les permis de construire pour des travaux mineurs de rĂ©paration. Elle est souvent invitĂ©e Ă  rĂ©aliser ces travaux, lorsqu’ils sont mineurs. Ils concernent souvent la façade du bĂątiment. Pour plus d’informations sur cette agence, se reporter Ă  l’annexe C qui prĂ©sente les diffĂ©rents 3
  • 12. INTRODUCTION On note Ă©galement une rĂ©habilitation. Celle de la mosquĂ©e de Soliman le MagniïŹque lancĂ©e par la grande municipalitĂ© d’Istanbul (IBB), Ă  l’occasion de l’évĂ©nement Istanbul, Capitale EuropĂ©enne de la Culture 2010. Ceci montre un rapport diffĂ©rent Ă  l’architecture monumentale et Ă  l’architecture vernaculaire. De fait, malgrĂ© les diffĂ©rents plans de sauvegarde, l’UNESCO menace de placer Is- tanbul sur la liste du patrimoine en danger depuis 2004. Sont remises en cause les restau- rations mal faites et les projets destructeurs qui se dĂ©veloppent depuis les annĂ©es 2000. En cette annĂ©e 2010, alors qu’Istanbul est Capitale europĂ©enne de la Culture, l’UNESCO a placĂ© Istanbul sur la liste du patrimoine en danger pour une durĂ©e limitĂ©e ïŹn juillet. Le comitĂ© est revenu sur sa dĂ©cision depuis le mois d’aoĂ»t, mais il demande impĂ©rativement que des changements soient faits pour fĂ©vrier 2011 dans plusieurs projets urbains. Parmi les quatre principaux reproches Ă©noncĂ©s par l’UNESCO se trouve la politique de rĂ©nova- tion urbaine accĂ©lĂ©rĂ©e par la loi 5366, qui confĂšre aux municipalitĂ©s le droit et le pouvoir d’exproprier Ă  l’intĂ©rieur de « zones de renouvellement ». Comment, Ă  travers ce projet, les autoritĂ©s turques font-elles la promotion d’un patrimoine architectural reconstituĂ© au dĂ©triment de la population locale et du patrimoine mĂ©moriel, immatĂ©riel ? A.2 Un projet politique et identitaire Seules les illustrations de belles konaks 3 nous indiquent le type de public attendu. En effet, ces demeures Ă©taient rĂ©servĂ©es Ă  l’aristocratie ottomane ou construites par de riches particuliers. La volontĂ© de « rĂ© »-introduire ce genre de rĂ©sidence dans le quartier de SĂŒleymaniye montre bien l’ambition d’en changer le proïŹl social. Toutefois, rien n’est mentionnĂ© quant Ă  la composition sociale du quartier. Aucun Ă©quipement n’est prĂ©vu. Ce projet semble ĂȘtre uniquement architectural, mais dans le choix de l’architecture, les konaks, le message semble clair : il s’agit de « rĂ©animer la culture ottomane » 4. Ainsi, il semble d’emblĂ©e que ce projet soit un projet rĂ©sidentiel pour une catĂ©gorie sociale bien spĂ©ciïŹque, aisĂ©e et en lien avec la culture ottomane. On note qu’une bour- geoisie islamique Ă©merge dans les annĂ©es 1980. Elle est liĂ©e au pouvoir par un mode de vie commun, une esthĂ©tique commune, une afïŹnitĂ© historique, et des intĂ©rĂȘts Ă©cono- miques concrets. DĂšs lors la dimension politique du projet doublerait, ou du moins serait acteurs intervenant dans le projet. 3. Les konak sont les palais, rĂ©sidences ou grandes maisons construites durant dans l’Empire ottoman par de riches particuliers ou membres de l’aristocratie. Elles sont souvent rĂ©alisĂ©es en bois, et comprennent une çikma (une avancĂ©e en encorbellement qui surplombe la rue et agrandit l’espace intĂ©rieur), et une entrĂ©e surĂ©levĂ©e par rapport au trottoir. 4. « Osmanli KĂŒltĂŒrĂŒnĂŒ yeniden Canlandirmak », l’express, Ayse Cavdar. 4
  • 13. .A Le projet de rĂ©novation de SĂŒleymaniye entre intervention urbaine et politique : la mise aux normes d’un quartier au service d’enjeux identitaires et internationaux liĂ© Ă , son caractĂšre identitaire. Le parti au pouvoir depuis 2002 est l’AKP. Il est le parti de la justice et du dĂ©veloppement. Il naĂźt de la scission en 2001 du parti islamiste le Re- fah, parti du bien-ĂȘtre, de N. Erbakan. Remarquons qu’en 2002, l’AKP obtient, avec prĂšs de 35% des voix, la majoritĂ© absolue au Parlement turc. Il occupe dĂ©s lors 363 des 550 siĂšges Ă  la grande AssemblĂ©e nationale. « IdĂ©ologiquement, il n’est pas facile de quali- ïŹer l’AKP. Parti islamique, parti d’islamistes, parti de l’Islam politique, Islam modĂ©rĂ©, nĂ©o-islamisme, dĂ©mocratie musulmane... qui se dĂ©ïŹnit ofïŹciellement comme dĂ©mocrate conservateur » (Chenal, 2005). Il s’agit de souligner que trĂšs rĂ©cemment, le 12 septembre 2010, la montĂ©e en puissance de l’AKP a Ă©tĂ© conïŹrmĂ©e. Le rĂ©fĂ©rendum proposant de rĂ©- viser certaines dispositions de la Constitution de 1982 a Ă©tĂ© approuvĂ© Ă  58% des voix. Ce rĂ©fĂ©rendum proposait en particulier de « restructurer la hiĂ©rarchie judiciaire et de sou- mettre un peu plus l’autoritĂ© militaire Ă  l’État de droit » (OVIPOT, Marcou, 2010). Cette victoire aurait pour consĂ©quences d’affaiblir l’établissement militarojudiciaire, seule ins- tance susceptible de gĂȘner les actions de l’AKP d’aprĂšs J. Marcou (ibid.). « Le monde de l’AKP est un monde qui se pose en tant que bourgeoisie concurrente de celle nĂ©e aprĂšs la 2nde Guerre mondiale. Leur position est concurrentielle. Ils ont dĂ©cidĂ© de la vivre en y mettant une esthĂ©tique concurrente (foulards, architecture “nĂ©o- ottomane”...). On peut parler d’un entre soi de cette bourgeoisie non kĂ©maliste 5, qui ne se voit pas fondĂ©e sur les valeurs kĂ©malistes (de la rĂ©publique des annĂ©es 1920, jusqu’aux annĂ©es 1950). En termes de chiffres, cette bourgeoisie AKP ne reprĂ©sente encore que 10 % des 500 familles turques qui paient le plus d’impĂŽts » (D’aprĂšs un entretien avec Nora Seni, juillet 2010). Mais, il semble qu’elle se dĂ©veloppe. La question identitaire est trĂšs importante ici. En ce sens, le projet serait instrumenta- lisĂ© par la politique de l’AKP. La rĂ©novation urbaine est ici l’instrument d’enjeu politique Ă  court terme (Ă©lections), et d’une question identitaire Ă  plus long terme (imposer une nouvelle esthĂ©tique, des symboles de reconnaissance, de nouvelles valeurs). L’AKP, par ce projet, se lierait Ă  ses partisans en leur offrant un environnement symbolique. Il s’agit dĂšs lors de prĂ©senter en introduction les enjeux urbains que connaĂźt la mĂ©ga- pole stambouliote aujourd’hui, ainsi que les projets prĂ©cĂ©dents appliquĂ©s Ă  la pĂ©ninsule historique aïŹn de mettre en perspective le projet. Se fait-il en continuitĂ© ou rupture avec les plans prĂ©cĂ©dents ? Dans le corps de ce mĂ©moire, nous essaierons dans un premier temps de comprendre 5. Les kĂ©malistes sont les partisans de la RĂ©publique introduite en 1923 par Mustafa Kemal AtatĂŒrk. 5
  • 14. INTRODUCTION les motivations du projet en partant d’une mise en contexte du quartier de SĂŒleymaniye comme quartier dĂ©gradĂ© d’une ville internationale, symbole de l’Empire ottoman, mais aussi lieu stigmatisĂ© par sa population. Dans un second temps, il s’agira d’analyser le projet que propose la mairie, Ă  travers ses diffĂ©rents discours et le cadre politique et ju- ridique dans lequel il s’inscrit. EnïŹn, nous essaierons de comprendre les enjeux socio- Ă©conomiques et symboliques du projet qui ressortent Ă  travers ses modalitĂ©s s’application. B Istanbul, une mĂ©gapole en pleine croissance Trois Ă©lĂ©ments majeurs doivent ĂȘtre pris en considĂ©ration pour comprendre la pression fonciĂšre que connaĂźt la ville d’Istanbul aujourd’hui, et, a fortiori, pour comprendre les enjeux des projets de renouvellement. B.1 Croissance dĂ©mographique Ă©levĂ©e D’aprĂšs les critĂšres de l’ONU, Istanbul est une mĂ©gapole Ă  l’échelle de la Turquie et du bassin mĂ©diterranĂ©en. En 2008, elle est une agglomĂ©ration urbaine rassemblant prĂšs de quinze millions d’habitants, soit plus que la population de l’Ile de France. En termes dĂ©mographiques, on note bien une « mĂ©gapolisation » d’Istanbul : sa population a presque triplĂ© depuis les annĂ©es 1980 6. En outre, la place d’Istanbul dans l’armature urbaine turque va en s’afïŹrmant. Son aire urbaine a rattrapĂ© les dĂ©partements limitrophes, elle s’étend sur plus de 140 km de part et d’autre du Bosphore, comme l’Ile de France qui s’étale sur plus de 130 km d’est en ouest. Depuis les annĂ©es 1980, « un spectaculaire changement de dimension s’est opĂ©rĂ© : Istanbul est devenue une rĂ©gion urbanisĂ©e » (PĂ©rouse, 2001, p 205). Sa croissance an- nuelle varie autour de 4 % par an, de 250000 Ă  350000 habitants (Ă  titre de comparaison, la ville de Nantes compte plus de 290000 habitants), croissance comprenant une part dĂ©- terminante de dynamique migratoire. « En 1997, 63 % des habitants du dĂ©partement n’y Ă©taient pas nĂ©s » (ibid.). Une des raisons qui explique cette croissance dĂ©mographique rĂ©side dans le fait qu’Istanbul est un pĂŽle migratoire majeur. Si depuis les annĂ©es 1980, on note que les migrants sont globalement plus urbains que ruraux, on observe que les ïŹ‚ux n’ont de cesse. Un ïŹ‚ux migratoire important en provenance des rĂ©gions kurdes Ă  l’est du pays se fait ressentir en rĂ©action aux troubles qui sĂ©vissent dans ces rĂ©gions. D’autre part, une proportion non nĂ©gligeable de migrants est composĂ©e d’étrangers en transit qui 6. On passe de 4,7 millions Ă  plus de 15 millions d’habitants dans le dĂ©partement aujourd’hui. 6
  • 15. .B Istanbul, une mĂ©gapole en pleine croissance tentent de gagner l’Europe (PĂ©rouse, 2002). Ces Ă©trangers de passage deviennent souvent des Ă©trangers clandestins qui peuvent rester trĂšs longtemps dans la capitale aïŹn d’obtenir les visas et faux papiers. Ce phĂ©nomĂšne migratoire important induit de nouveaux modes d’habiter plus ou moins temporaires, dans la capitale. Ils traduisent des mobilitĂ©s entre le dĂ©partement d’origine et la mĂ©tropole, voire entre la mĂ©tropole et l’étranger. Une des particularitĂ©s d’Istanbul est cette « population en mouvement » qui Ă©chappe au recensement (PĂ©rouse, 2001). B.2 Croissance Ă©conomique et culturelle : volontĂ© de faire une ville internationale de premier rang Istanbul concentre et produit une grande part de la richesse turque si on prend en compte le Grand Istanbul qui va jusqu’à Izmit. Cette donnĂ©e est toutefois Ă  nuancer par le fait que le dĂ©partement d’Istanbul est classĂ© au sixiĂšme rang national en fonction du revenu annuel par tĂȘte d’habitants. En 1998, le Grand Istanbul concentre deux tiers des cinquante plus grands groupes industriels de la Turquie (Philsa, Arçelik...). Sur les 10 plus grands groupes, 9 ont leur siĂšge et leur principale unitĂ© de production dans le Grand Istanbul. Ces chiffres ofïŹciels peuvent ĂȘtre revus Ă  la hausse si on ajoute le secteur in- formel qui est considĂ©rable Ă  Istanbul. La moitiĂ© des secteurs industriels ou tertiaires ne seraient pas dĂ©clarĂ©s (OCDE, 2008). La prĂ©sence des grandes holdings turques donne forme Ă  une polarisation ïŹnanciĂšre Ă  Istanbul. La prĂ©sence boursiĂšre est Ă©galement forte, l’une des plus attractives au Proche et Moyen orient. Selon Morgan Stanley, la Turquie Ă©tait mĂȘme au 2e rang mondial des « marchĂ©s ïŹnanciers Ă©mergents » en 1996. En outre, l’afïŹrmation d’ambitions internatio- nales se fait ressentir, mĂȘme si l’opacitĂ© et le dysfonctionnement administratifs freinent cet engouement. Ces Ă©volutions se traduisent dans l’espace. Depuis 1985, on observe une verticalisa- tion du bĂąti. Une multitude de tours dessine l’« Istanbul Manhatani » sur l’avenue BĂŒyĂŒk- dere qui concentre la plupart des siĂšges sociaux des holdings. (Alarko, Banque Turc du Travail...) Dans les annĂ©es 1980, l’architecture commerciale se diffuse. Les Turcs font rĂ©fĂ©rence aux « centres commerciaux gĂ©ants » (cf. Akmerkez d’Etiler). Les nouvelles autoroutes et voies express Ă©galement marquent et fracturent le paysage. En outre, Istanbul maintient et accroĂźt son rĂŽle de centre culturel et attractif. 60 % des foires et expositions turques ont lieu Ă  Istanbul en 1997. La ville dispose des infra- 7
  • 16. INTRODUCTION structures les plus importantes (PĂ©rouse, 2007). Dans ce contexte, le tourisme d’affaire, et de congrĂšs explose. Le rĂŽle touristique d’Istanbul est aussi probant pour la Turquie. On compte 2 millions de touristes Ă©trangers en 2000 Ă  Istanbul sur les 9 millions accueillis dans toute la Turquie. Les quartiers touristiques sont essentiellement concentrĂ©s dans le centre ancien, dans les arrondissements de Fatih, EminönĂŒ, Beyoglu, Besiktas... Ce tou- risme prend la forme de gros investissements, des hĂŽtels de standing, mĂȘme dans les sites protĂ©gĂ©s et classĂ©s des rives du Bosphore, en mĂȘme temps que sont prĂŽnĂ©s des efforts en matiĂšre de qualitĂ© environnementale et de valorisation du patrimoine bĂąti. De 1980 Ă  2007, la capacitĂ© d’accueil des hĂŽtels cinq Ă©toiles passe de 2000 Ă  10199. De mĂȘme, les centres commerciaux se multiplient (AGFE, 2009). Cette ville de 8000 ans d’histoire est peu Ă  peu transformĂ©e en ville globale. En 2010, Istanbul est capitale europĂ©enne de la culture. PrĂšs de 500 projets artis- tiques sont prĂ©vus dans l’agglomĂ©ration. L’organisation d’un tel Ă©vĂ©nement est un grand dĂ©ïŹ pour la Turquie entiĂšre, qui est candidate Ă  l’entrĂ©e dans l’Union EuropĂ©enne. C’est l’occasion rĂȘvĂ©e pour les autoritĂ©s politiques de lancer des projets de « transformations urbaines ». Il s’agit de valoriser le patrimoine, et de se montrer sur la scĂšne internationale comme Ă©tant une mĂ©tropole moderne, contemporaine, occidentale. Toutefois, on note que le choix des monuments et des sites concernĂ©s par la restauration, fait souvent polĂ©mique. Korhan GĂŒmĂŒs, qui Ă©tait directeur des projets urbains au sein du comitĂ© d’organisation d’Istanbul 2010, met en garde contre une tendance dans laquelle « la culture a tendance Ă  ĂȘtre relĂ©guĂ©e au rayon loisirs, ou utilisĂ©e pour servir une idĂ©ologie. Il y a deux risques : essayer de vendre un passĂ© gloriïŹĂ©, et utiliser les fonds publics accordĂ©s Ă  la culture pour dĂ©velopper le tourisme et les capacitĂ©s Ă©conomiques de la ville » (Perrier, le 17/01/2010, Le Monde). En effet, on remarque dans cet Ă©vĂ©nement que les dimensions marchande et touristique prĂ©valent sur l’éthique historique ou urbaine. Or, cette ambition d’interna- tionalisation de la ville semble dĂ©placĂ©e au regard des prĂ©occupations de la majoritĂ© des habitants, qui ne bĂ©nĂ©ïŹcient pas de ces mutations. D’autre part, les multiples projets ne s’inscrivent pas jusqu’à prĂ©sent dans une stratĂ©gie urbaine Ă  l’échelle de l’agglomĂ©ration, mais se font plutĂŽt selon les opportunitĂ©s fonciĂšres, Ă  coup de dĂ©lĂ©gations aux investisseurs privĂ©s. 8
  • 17. .B Istanbul, une mĂ©gapole en pleine croissance B.3 Privatisation, spĂ©culation et Ă©talement urbain : une croissance urbaine non contrĂŽlĂ©e Depuis les annĂ©es 2000, l’État turc adopte une posture de privatisation et vend peu Ă  peu ses biens immobiliers et fonciers Ă  des investisseurs privĂ©s. Cette dĂ©rĂ©gulation a pour consĂ©quences de multiplier les projets et la croissance urbaine au coup par coup, mais elle provoque Ă©galement une envolĂ©e des prix du foncier, due Ă  la spĂ©culation. On voit naĂźtre des projets « spectaculaires » de tours de bureaux, de logements de standing ou encore de centres commerciaux gĂ©ants. Ces projets ne se font pas sans autorisations : ce sont les mairies d’arrondissement qui dĂ©livrent les permis de construire. Toutefois, il faut noter que ces mairies sont en concurrence les unes avec les autres pour accueillir les d’investis- seurs, elles ne freinent pas cette dynamique (PĂ©rouse, 2006). Un des signes de la difïŹcultĂ© Ă  gĂ©rer la croissance urbaine est la multiplication des citĂ©s privĂ©es. La production de la ville est aux mains d’opĂ©rateurs privĂ©s qui construisent des « ensembles rĂ©sidentiels com- posĂ©s de villas et/ou d’immeubles, fermĂ©s par une enceinte protĂ©gĂ©e et dotĂ©s de services et Ă©quipements le plus souvent rĂ©servĂ©s » (PĂ©rouse, 2002, p27). Leur gestion Ă©chappe aux pouvoirs publics. En 2001, on dĂ©nombre 270 citĂ©s privĂ©es, qui pourraient reprĂ©senter prĂšs de 100000 logements. Les publics cibles de ces rĂ©sidences sont les « gens de la ïŹnance et salariĂ©s des grands groupes internationaux » qui peuvent s’offrir des villas de 500000 Ă  2M de $ (ibid.). Dans ces citĂ©s, les habitants vivent entre eux, comme « prĂ©servĂ©s », ils adoptent les mĂȘmes modes de vie, achĂštent les mĂȘmes voitures, mettent leurs enfants dans les mĂȘmes Ă©coles. L’homogĂ©nĂ©itĂ© et le mimĂ©tisme marquent ces quartiers qu’on promeut comme Ă©tant sĂ©curitaires, Ă  haute garantie de civilitĂ©, d’environnement agrĂ©able. Chaque opĂ©ration est conçue dans l’ignorance totale de son environnement proche, ce qui produit un paysage composite et hĂ©tĂ©roclite. Ces citĂ©s sont l’expression de l’éclatement socio- spatial d’Istanbul. Elles sont trĂšs liĂ©es au dĂ©pĂ©rissement des arrondissements centraux (PĂ©rouse, 2002). La ïŹgure 1 montre l’évolution de l’urbanisation d’Istanbul, de la ville byzantine Ă  la mĂ©gapole d’aujourd’hui. On remarque que la croissance urbaine explose Ă  partir du XXĂšme siĂšcle. En effet, le schĂ©ma de l’évolution de la population interne Ă  Istanbul est simple. On observe une certaine dĂ©population du centre-ville et un dĂ©veloppement trĂšs rapide des arrondissements pĂ©riphĂ©riques. Par exemple, le quartier central d’EminönĂŒ 7 perd 4,84 % de sa population entre 1990 et 1997 tandis que celui de BĂŒyĂŒkçekmece, en 7. Il faut noter que l’arrondissement d’EminönĂŒ n’existe plus depuis 2009, il a fusionnĂ© avec celui de Fatih. 9
  • 18. INTRODUCTION FIGURE 1: Carte de la croissance urbaine d’Istanbul. Source fond de carte (PĂ©rouse, 2001) pĂ©riphĂ©rie sud-ouest en a gagnĂ© 14, 5 % (PĂ©rouse, 2001). Plusieurs logiques contribuent Ă  cela : – La « citysation » de certains quartiers centraux convertis en activitĂ©s commerciales ou de bureaux, Ă  plus grosse valeur ajoutĂ©e, au dĂ©triment de quartiers rĂ©sidentiels. – La logique de musĂ©iïŹcation du centre-ville Ă  des ïŹns touristiques. – Une fuite des riches vers la pĂ©riphĂ©rie pour jouir de quartiers de standing qui s’ac- compagne d’une forte dĂ©gradation du bĂąti ancien. Dans l’hypercentre, un logement sur quatre serait vacant dans le quartier de Beyoglu. En 1990, dix arrondissements sont crĂ©Ă©s aux marges de l’aire urbaine. Leur morpho- logie est en discontinuitĂ© avec les espaces centraux et ils sont reliĂ©s au centre par des au- toroutes qui traversent de nombreux no man’s land. C’est ce qu’on appelle le phĂ©nomĂšne de pĂ©riurbanisation incontrĂŽlĂ©e 8, de mitage de plus en plus lointain impulsĂ© par les pro- moteurs qui cherchent les meilleures opportunitĂ©s fonciĂšres. Notons que ce phĂ©nomĂšne est source de surcoĂ»t en termes de rĂ©seaux et d’équipements de base ainsi que d’étalement urbain. Il traduit un dĂ©calage entre la croissance dĂ©mographique et la croissance urbaine, cette derniĂšre ayant explosĂ©. 8. Il s’agit du phĂ©nomĂšne de mĂ©tropolisation, dans l’acceptation anglo-saxonne du terme. 10
  • 19. .C Le projet de rĂ©novation de SĂŒleymaniye, continuitĂ© ou rupture avec les projets prĂ©cĂ©dents ? En effet, depuis les annĂ©es 2000, on note un paradoxe : alors que la croissance dĂ©- mographique ralentit, le parc de logement croĂźt trĂšs rapidement. Il pourrait accueillir prĂšs de 25 millions de personnes, ce qui reprĂ©sente presque le double de la population re- censĂ©e en 2008. Ce phĂ©nomĂšne s’explique en partie par l’arrivĂ©e de nouveaux modĂšles familiaux et l’augmentation relative du niveau de vie des stambouliotes qui s’accompagne d’un phĂ©nomĂšne de dĂ©cohabitation, de desserrement des mĂ©nages. Or, la plupart des nou- velles opĂ©rations de promotion immobiliĂšre sont luxueuses et ne correspondent pas Ă  la demande d’une grande partie de la population non solvable. On observe alors un hiatus entre la production du bĂąti et la demande. La dĂ©mission des pouvoirs publics en termes de stratĂ©gie fonciĂšre n’a fait qu’accĂ©lĂ©rer le dĂ©veloppement de l’aire urbaine qui s’étale de plus en plus (PĂ©rouse, 2006). C Le projet de rĂ©novation de SĂŒleymaniye, continuitĂ© ou rupture avec les projets prĂ©cĂ©dents ? C.1 La politique de transformation urbaine comme outil de gestion de l’urbanisation depuis les annĂ©es 2000 Certains quartiers d’Istanbul se dĂ©gradent Ă  grande vitesse. En effet, la ville d’Istan- bul s’est dĂ©veloppĂ©e trĂšs rapidement avec les diffĂ©rentes vagues d’immigration de 1950 et de 1970. Cet afïŹ‚ux de population a engendrĂ© une urbanisation informelle, dans les quar- tiers centraux pour la premiĂšre vague surtout, dans les quartiers pĂ©riphĂ©riques pour les vagues d’immigration plus rĂ©centes. Or, comme vu prĂ©cĂ©demment, les quartiers centraux perdent de la population. Ce sont notamment les populations les plus aisĂ©es qui partent du centre pour vivre en pĂ©riphĂ©rie, dans des quartiers de standing. Ainsi, on observe deux phĂ©nomĂšnes. D’une part, une dĂ©gradation du bĂąti ancien est Ă  l’Ɠuvre dans ces quartiers centraux comme Fatih. D’autre part, le bĂąti informel, souvent construit avec des matĂ©riaux de rĂ©cupĂ©ration et de bois, est mal perçu par les autoritĂ©s publiques. Cela va conduire la puissance publique Ă  mener une politique de transformation urbaine, kentsel dönĂŒsĂŒm en turc. Ce type de bĂąti populaire irait Ă  l’encontre des ambitions d’internationalisation et de modernitĂ© d’Istanbul d’aprĂšs les Ă©lites politiques. Depuis son arrivĂ©e au pouvoir, le maire Kadir Topbas encourage les « grands projets urbains ». Il tend Ă  remodeler le tissu urbain pour lui confĂ©rer une image plus contempo- raine. Les grands Ă©vĂ©nements nationaux et internationaux sont dans ce contexte le prĂ©texte 11
  • 20. INTRODUCTION pour « moderniser » la ville. C’est dans ce cadre qu’une loi est votĂ©e en 2005 sur la « rĂ©no- vation pour la prĂ©servation et le rĂ©emploi des biens historiques et culturels immobiliers en dĂ©labrement ». On l’appelle plus frĂ©quemment la loi 5366. Son objectif est de permettre Ă  toutes les administrations de reconstruire et restaurer 9 -rĂ©nover en rĂ©alitĂ©- des biens his- toriques et culturels immobiliers classĂ©s par le Conseil de protection des biens culturels et naturels. Ces "zones de renouvellement" sont dĂ©signĂ©es par l’assemblĂ©e municipale, et les projets sont rĂ©alisĂ©s par la municipalitĂ© concernĂ©e. Elle peut toutefois dĂ©lĂ©guer ce rĂŽle Ă  toute autre personne morale, comme le TOKI par exemple. Le TOKI est l’administra- tion du logement collectif. Depuis le milieu des annĂ©es 1990, le TOKI s’intĂ©resse aussi au parc de logements anciens dans les tissus historiques 10(electrOUI, 2006). D’aprĂšs l’article 51 de cette loi sur la rĂ©novation, des conseils locaux devaient ĂȘtre crĂ©Ă©s pour suivre les travaux localement, Ă  l’échelle du projet. L’évacuation, et la des- truction du bĂąti doivent se faire d’un commun accord avec le propriĂ©taire. Toutefois, en cas de dĂ©saccord, l’expropriation est tout Ă  fait possible et prĂ©vue. Ce projet de rĂ©nova- tion urbaine s’inscrit dans une dĂ©marche de planiïŹcation stratĂ©gique de la municipalitĂ© mĂ©tropolitaine, IBB 11, qui intervient dans les quartiers historiques prĂ©caires tels que SĂŒ- leymaniye, Sulukule, Balat et bien d’autres... Pour le seul arrondissement de Fatih, une dizaine de projets sont prĂ©vus, ce qui est considĂ©rable. Or, on remarque rapidement que ces projets de rĂ©novation ne tiennent pas compte des rĂ©alitĂ©s historiques de la ville. Ils se font surtout dans le souci de procurer une image europĂ©enne 12 Ă  Istanbul. Ces projets sont pour la plupart des projets de destruction, reconstruction et ne prĂ©- voient pas de procĂ©dure de relogement pour les habitants. « Expropriations et dĂ©molitions demeurent en effet le lot commun de millions de rĂ©sidents dans le monde (Un-Habitat, 2003). Il s’agit d’un phĂ©nomĂšne aussi massif que peu Ă©tudiĂ©, Ă  contre-courant du credo de rĂ©gularisation -des quartiers irrĂ©guliers- martelĂ©s dans les instances internationales. On doit ajouter que ses effets sont aujourd’hui dĂ©cuplĂ©s par l’éviction du logement par le secteur privĂ© (Durand-Lasserve, 2006) dans les mĂ©tropoles les plus tendues sur le plan foncier et immobilier, oĂč s’opposent constamment Ă©viction et empiĂštement silencieux par 9. Le terme restaurer est employĂ© par la grande municipalitĂ© d’Istanbul (IBB) et les dĂ©fenseurs de cette politique de transformation urbaine, mais il s’agit en rĂ©alitĂ© de rĂ©novation, puisque l’étape de la destruction de l’existant est omniprĂ©sente. 10. Pour plus d’informations sur le TOKI, se reporter Ă  l’annexe C qui prĂ©sente les acteurs intervenant dans le projet de rĂ©novation 11. Istanbul BĂŒyĂŒksehir Belediyesi 12. L’expression image europĂ©enne est paradoxale. Elle est utilisĂ©e ici dans le sens oĂč les projets ont pour objectif de donner une image moderne Ă  Istanbul, et in ïŹne montrer que la mĂ©gapole a sa place dans l’Europe. Or, bien sĂ»r, le passĂ© historique revendiquĂ© est ottoman. 12
  • 21. .C Le projet de rĂ©novation de SĂŒleymaniye, continuitĂ© ou rupture avec les projets prĂ©cĂ©dents ? les populations privĂ©es de logement rĂ©gulier (Bayat, 1997) » (Deboulet, 2009, p1). Comment cela se concrĂ©tise-t-il Ă  Istanbul ? Comment l’espace urbain de ces quar- tiers dĂ©crĂ©tĂ©s de rĂ©novation est-il en pleine reconïŹguration sociologique ? Les stratĂ©gies d’action sont-elles les mĂȘmes dans ces quartiers ? Quels sont les diffĂ©rences ou points communs de l’application des projets de rĂ©novation dans ces quartiers ? Une fois, les principaux enjeux urbains stambouliotes posĂ©s, il s’agit de se centrer un peu plus sur le quartier Ă  l’étude, et plus gĂ©nĂ©ralement sur la pĂ©ninsule historique. C.2 Des plans de protection du patrimoine qui visent le dĂ©veloppe- ment touristique de la pĂ©ninsule historique En 1985, l’UNESCO classe la pĂ©ninsule historique au patrimoine mondial de l’Huma- nitĂ©, d’abord par l’intermĂ©diaire de quatre quartiers : Sultanahmet, SĂŒleymaniye, Zeyrek et les Murailles de ThĂ©odose II. Dix ans aprĂšs, en 1995, toute la pĂ©ninsule est classĂ©e. Ces secteurs doivent alors ĂȘtre protĂ©gĂ©s, sauvegardĂ©s : c’est la condition. Ce n’est qu’aprĂšs ce premier classement, par une instance internationale, que la pĂ©ninsule historique est ins- crite sur le registre des biens nationaux. Plusieurs plans de protection sont alors conçus en 1990, 1998, 2003, et enïŹn, en 2004 la municipalitĂ© lance le projet « Istanbul-Ville MusĂ©e » (Istanbul MĂŒze Kent Projesi, soit IMÜKEP). Ces plans ont comme objectif de protĂ©ger le patrimoine. Toutefois, s’ils sont dits de « sauvegarde », ces plans n’opĂšrent pas de choix clair en gĂ©nĂ©ral. En ce qui concerne le plan de 2003 notamment, quatre scĂ©na- rios sont proposĂ©s, tous sont plus ou moins subordonnĂ©s Ă  des objectifs touristiques, mais reste construit selon des identitĂ©s diffĂ©rentes. L’accent est mis sur les zones de logement, de commerces, d’équipement ou de tourisme. Comment mettre en avant une fonction de la ville au dĂ©triment des autres ? Le fait que la municipalitĂ© ne choisisse pas un seul des quatre scĂ©narios rend le plan inapplicable dans la pratique, car ses schĂ©mas sont contra- dictoires sur plusieurs aspects. On note une absence de proposition concrĂšte, ce qui remet en question de la lĂ©gitimitĂ© du plan. De plus, ces plans gardent une approche fonctionnelle (et non territoriale). Ils ne prĂ©voient pas d’articulation avec le grand Istanbul, la pĂ©ninsule historique y est considĂ©rĂ©e comme isolĂ©e de son contexte (Özel, 2004). EnïŹn, en ce qui concerne le projet IMÜKEP, Erdogan, le premier ministre, dĂ©clare dĂ©but 2004 qu’il faut « sauver et prĂ©server la pĂ©ninsule historique, la faire « regagner » aux Stambouliotes, Ă  la Turquie et Ă  l’humanitĂ© » ; il dĂ©clare Ă©galement que les quartiers de Beyoglu, SĂŒleymaniye, Zeyrek, Fener et Balat sont part importante des projets prĂ©vus. Pour cela, les ateliers crĂ©ateurs de « pollution visuelle » seront transfĂ©rĂ©s. Les « Ă©diïŹces 13
  • 22. INTRODUCTION ayant perdu leur identitĂ© » seront rĂ©habilitĂ©s. La presse annonce que pour EminönĂŒ 4834 ateliers doivent fermer et dĂ©mĂ©nager (PĂ©rouse, 2007). Il s’agit de faire du centre-ville his- torique, un lieu protĂ©gĂ© et touristique avant tout. Comme zones pilotes sont choisis les quartiers de Zeyrek et SĂŒleymaniye. Mais ce projet n’a jamais Ă©tĂ© mis en Ɠuvre concrĂšte- ment. Les projets de rĂ©novation l’ont doublĂ©. En outre, on remarque que depuis l’arrivĂ©e au pouvoir de l’AKP dans les annĂ©es 1990-2000, un seul aspect du patrimoine est reven- diquĂ© : celui de la pĂ©riode ottomane. « La chambre des architectes dĂ©nonce fermement une conception sĂ©lective de la protection du patrimoine dans ce plan de sauvegarde. Une conception nationaliste qui tend Ă  protĂ©ger tout ce qui concerne la pĂ©riode ottomane et rien d’autre » (Özel, 2004). Ainsi, les projets prĂ©cĂ©dents sont essentiellement des projets Ă  des ïŹns de protection du patrimoine et de dĂ©veloppement touristique. Le projet de rĂ©novation s’inscrit-il dans cette politique ? C.3 Un projet rĂ©sidentiel qui semble inĂ©dit AïŹn d’introduire le projet de SĂŒleymaniye, partons de la source principale et premiĂšre du projet : son document de promotion. En effet, le projet en tant que tel n’est absolument pas communiquĂ© par les instances municipales. Il s’agit de s’en tenir Ă  la promotion qui en est faite sur le site internet de la mairie de l’arrondissement de Fatih, d’analyser cette source publique, de la mettre en perspective, de la relativiser et d’en comprendre les li- mites, sa dimension marketing. Quelle clientĂšle ce document vise-t-il ? À qui vend-on ce projet ? Tout d’abord, ce document est situĂ© sur le site internet de la municipalitĂ© de Fatih, et non de la grande municipalitĂ© d’Istanbul. On peut alors en conclure que c’est la munici- palitĂ© d’arrondissement qui est Ă  l’initiative du projet, qu’elle en est le maĂźtre d’ouvrage. Ceci est possible depuis la loi 5366 de 2005 prĂ©sentĂ©e en amont. On trouve ce document dans la rubrique projeler, (projets), et dans le chapitre Yenileme projeleri (projets de rĂ©no- vation). Le document prĂ©sentĂ© est datĂ© du 28 octobre 2009, ce qui est trĂšs tardif comparĂ© Ă  la mise en Ɠuvre du projet qui commença dĂšs 2006. Cela souligne un manque de com- munication remarquable de la part de la mairie. Le projet intervient dans le cadre d’une politique de kentsel dönĂŒsĂŒm, qui signiïŹe « transformation urbaine » 13. Cette politique est symptomatique de l’intervention urbaine par les instances publiques depuis les annĂ©es 2000. Elle est Ă  l’origine de tous les projets de rĂ©novation lancĂ©s depuis le vote de la loi 13. Nous dĂ©taillerons cette notion dans la partie 1 14
  • 23. .C Le projet de rĂ©novation de SĂŒleymaniye, continuitĂ© ou rupture avec les projets prĂ©cĂ©dents ? 5366. « Le projet porte sur le patrimoine historique et culturel de SĂŒleymaniye, zone dĂ©- clarĂ©e de renouvellement le 24/06/2006 (publiĂ© au JO 2006/10501), il a pour ambition de renouveler l’utilisation du patrimoine immobilier » 14. À la suite de ce prĂ©ambule, un paragraphe retrace briĂšvement l’histoire du quartier aïŹn d’en montrer l’importance et le symbole. C’est un quartier nĂ© avec la construction de la grande mosquĂ©e et du complexe de SĂŒleymaniye, tous deux commandĂ©s par Soliman le MagniïŹque au XVIe siĂšcle. Le texte exprime clairement que ce quartier Ă©tait rĂ©servĂ© Ă  une classe spĂ©ciïŹque et riche durant l’Empire ottoman, et que depuis le XXe siĂšcle, il s’est paupĂ©risĂ© et a connu des dĂ©gradations, des incendies... Mais qu’aujourd’hui des « prioritĂ©s » touristiques ont gagnĂ© le quartier. Les objectifs du projet sont de « crĂ©er un systĂšme ïŹable, un habitat vivable et du- rable ; lutter contre les dangers et risques des dĂ©gradations de l’architecture ; et de proïŹter de l’effet positif national et international de la nomination d’Istanbul comme capitale europĂ©enne de la culture pour dĂ©velopper les valeurs historiques et culturelles de Fatih (en dĂ©veloppant les secteurs des services, commercial, touristique et culturel) ». Et ce, en suivant trois rĂšgles : « savoir gĂ©rer le changement, respecter les valeurs humaines et historiques, et enïŹn, avoir une approche globale et participative » 15. VoilĂ  la dĂ©claration d’intention de la mairie. Elle est illustrĂ©e de quelques plans, coupes et perspectives mon- trant « hier », « aujourd’hui » et « demain ». Notons que rien n’est mentionnĂ© quant Ă  l’amĂ©nageur, le maĂźtre d’Ɠuvre, les ïŹnancements, les temps et les modalitĂ©s du projet. À ce stade, il apparaĂźt que le projet de rĂ©novation s’inscrit bien en continuitĂ© avec les plans prĂ©cĂ©dents. Il s’agit avant tout d’embellir le quartier Ă  des ïŹns touristiques. Cepen- dant, rien n’est mentionnĂ© sur le public visĂ©. Pour en savoir plus, il s’agit d’analyser la programmation du projet. D’aprĂšs un entretien avec une architecte de KIPTAS 16 il apparaĂźt que le projet soit essentiellement rĂ©sidentiel. A priori, quasiment aucun Ă©quipement touristique ne serait prĂ©vu. Comme vu en amont, ce projet serait destinĂ© Ă  une catĂ©gorie sociale bien spĂ©ci- ïŹque, aisĂ©e et en lien avec la culture ottomane 17. C’est cet enjeu identitaire du projet qui semble crĂ©er une rupture avec les plans prĂ©cĂ©dents et mĂȘme avec les autre projets de rĂ©- novation. Il s’agit dĂšs lors de s’interroger sur les fondements, les cadres et les modalitĂ©s 14. Traduction du site internet de la municipalitĂ© de Fatih consultĂ© le 10 mai 2010. 15. Traduction du site internet de la municipalitĂ© de Fatih consultĂ© le 10 mai 2010. 16. KIPTAS la sociĂ©tĂ© immobiliĂšre de construction d’Istanbul, elle appartient Ă  50% Ă  la grande munici- palitĂ© d’Istanbul, (IBB). Pour plus de dĂ©tails, se reporter Ă  l’annexe C. Le chapitre III-C fait aussi l’analyse de cet acteur. 17. L’analyse des discours et de la programmation du projet est plus dĂ©taillĂ©e dans le chapitre II-A, p49. 15
  • 24. INTRODUCTION d’application de ce projet. D MĂ©thodologie Ce mĂ©moire a Ă©tĂ© rĂ©digĂ© Ă  l’issue d’un stage de trois mois Ă  l’IFEA (Institut Français d’Etudes Anatoliennes) Ă  Istanbul, du 21 avril au 23 juillet. C’est grĂące Ă  ce stage que les donnĂ©es concernant le projet de SĂŒleymaniye ont pu ĂȘtre rĂ©coltĂ©es et analysĂ©es. En effet, les donnĂ©es qu’elles soient sur le quartier de SĂŒleymaniye ou sur le projet lui-mĂȘme sont rares. Tandis que d’autres projets de rĂ©novation comme ceux de Balat ou de Sulukule ont Ă©tĂ© beaucoup traitĂ©s, aucun article francophone ou anglophone n’a Ă©tĂ© Ă©crit sur le projet de SĂŒleymaniye. Le contraste entre ce quartier et d’autres est remarquable. On ressent une certaine concentration des recherches europĂ©ennes sur quelques quartiers, plus mĂ©diatisĂ©s, ou qui portent un intĂ©rĂȘt plus symbolique d’un point de vue europĂ©en. Par exemple, Sulukule Ă©tait l’un des plus vieux quartiers d’implantation Rom. En outre, les donnĂ©es socio-Ă©conomiques locales ofïŹcielles semblent inaccessibles Ă©tant donnĂ© les problĂšmes auxquels est confrontĂ© le quartier. La municipalitĂ© ne communique aucune donnĂ©e comme les recensements, les enquĂȘtes, ni mĂȘme les projets de façon prĂ©cise. J’ai ainsi apprĂ©hendĂ© le projet grĂące Ă  des entretiens avec divers acteurs. Deux moments d’enquĂȘte sont Ă  dissocier dans mon travail de terrain. D’une part, une sĂ©rie d’entretiens a Ă©tĂ© menĂ©e auprĂšs d’acteurs en lien plus ou moins Ă©troit avec le projet. Il s’agit d’acteurs municipaux, de professionnels de l’amĂ©nagement, de chercheurs ou encore de mouvement en rĂ©action Ă  ce projet... etc 18. Ces entretiens ont le plus souvent Ă©tĂ© rĂ©alisĂ©s en anglais et Ă  deux, avec Annabelle Lopez rĂ©alisant le mĂȘme travail sur un autre quartier de la pĂ©ninsule historique. D’autre part, une courte enquĂȘte auprĂšs des habitants a Ă©tĂ© menĂ©e sur place. Ce travail dans le quartier a Ă©tĂ© menĂ© sur une pĂ©riode de quinze jours. Sur cette pĂ©riode, cinq jours entiers ont Ă©tĂ© consacrĂ©s Ă  un travail d’enquĂȘte auprĂšs des habitants, commerçants et autres personnes frĂ©quentant le quartier, soit les 3, 8, 9, 15 et 17 juin. Pour ce travail, une Ă©tudiante en sociologie, turque et francophone, m’a accompagnĂ©e. Elle me traduisait rĂ©guliĂšrement le sujet de la conversation pour que je puisse rĂ©agir le cas Ă©chĂ©ant, mais nous veillions Ă  ne pas casser l’entretien. Nous faisions un point Ă  chaque ïŹn d’entretien pour prendre en notes tout ce qui avait Ă©tĂ© mentionnĂ©, surtout quand l’entretien n’avait pas pu ĂȘtre enregistrĂ©. Notons Ă©galement que nous avons choisi un point de repĂšre, une lokanta (restaurant populaire) oĂč nous allions Ă  chaque 18. Voir la liste des personnes interviewĂ©es en annexe. 16
  • 25. .D MĂ©thodologie fois. Nous avons ainsi pu interroger le tenant de cette lokanta, un client habituĂ©... Ce repĂšre nous a Ă©tĂ© prĂ©cieux pour un certain nombre d’informations et de contacts. Ces entretiens ont Ă©tĂ© de rĂ©elles sources pour mon mĂ©moire, et revĂȘtent deux dimen- sions : un aspect informationnel et un aspect qualitatif. L’aspect informationnel est surtout valable pour la premiĂšre sĂ©rie d’entretiens qui m’a donnĂ© des informations sur le contexte des projets de la pĂ©ninsule historique et le cadre juridico-politique du projet. Toutefois, le projet de SĂŒleymaniye reste trĂšs peu connu, mĂȘme Ă  l’échelle de ces acteurs. L’aspect qua- litatif est surtout valable pour l’enquĂȘte de terrain dans laquelle quatre thĂšmes ressortent du croisement des entretiens : – les parcours personnels et rĂ©sidentiels des personnes interrogĂ©es – leur rapport au quartier et l’histoire rĂ©cente - les Ă©volutions rĂ©centes – qu’ils en font – leur apprĂ©hension du projet – leur connaissance des dĂ©tails du projet Il s’agit dĂ©sormais de souligner l’utilisation d’autres sources comme les sources biblio- graphiques, la presse, les sites internet des municipalitĂ©s et de leurs entreprises, et enïŹn les rapports ofïŹciels de certaines institutions comme l’UNESCO, l’OCDE, Un-habitat... Elles ont Ă©galement Ă©tĂ© prises en compte et analysĂ©es. À cet Ă©gard, une monographie sur Istanbul a Ă©tĂ© rĂ©digĂ©e avant de partir en stage, dans le cadre de l’option Expertise Interna- tionale des Villes en DĂ©veloppement. Elle nous a permis de construire une bibliographie prĂ©alable au stage. La base de donnĂ©es de l’IFEA, fut sur place, d’un grand soutien. EnïŹn, d’autres sources moins formelles ont aussi inïŹ‚uencĂ© mon travail en m’aidant Ă  m’imprĂ©gner du contexte stambouliote. Il s’agit d’échanges avec d’autres Ă©tudiants, sta- giaires, doctorants, chercheurs, concernant de prĂšs ou de loin le sujet ; de la participation Ă  des visites (excursions urbaines et expositions), des forums (comme le forum social eu- ropĂ©en), des confĂ©rences, encadrĂ©es ou non par l’IFEA, des Ă©vĂšnements de solidaritĂ©... A ce titre le personnel administratif, les stagiaires et surtout les chercheurs prĂ©sents Ă  l’IFEA, ainsi que les professeurs qui encadrent ce mĂ©moire, m’ont Ă©tĂ© d’une grande aide. Les conseils donnĂ©s, tant au niveau du travail de terrain qu’au niveau de l’organisation du mĂ©moire, m’ont Ă©tĂ© prĂ©cieux. Ce mĂ©moire est donc le fruit d’une Ă©tude encadrĂ©e et menĂ©e sur sept mois, dont trois mois sur place. Les recherches sur les projets de rĂ©novation en gĂ©nĂ©ral Ă  Istanbul ont commencĂ© dĂšs ïŹn janvier dans le cadre de l’option EIVD et se sont perpĂ©tuĂ©es jusqu’à la ïŹn de la rĂ©daction du mĂ©moire en septembre 2010. 17
  • 27. Chapitre I Comprendre le projet de rĂ©novation de SĂŒleymaniye Dans ce chapitre nous essaierons de dĂ©terminer les principales causes ou motivations du projet. Pourquoi SĂŒleymaniye, qui est terrain de projet de protection depuis de nom- breuses annĂ©es, fait-il depuis 2006 l’objet d’un projet de rĂ©novation ? Il s’agit de montrer dans un premier temps que le contexte de la mondialisation pousse, depuis les annĂ©es 1990, Ă  des projets de restructuration dans les villes dites internationales. Toutefois, le quartier de SĂŒleymaniye n’est pas ordinaire, ni pour Istanbul ni pour le pouvoir en place, il est le symbole du passĂ© ottoman de la ville. Son projet sera donc d’autant plus sin- gulier. EnïŹn, quel Ă©tat physique, fonctionnel et sociologique peut-on dresser du quartier aujourd’hui ? A Injonction internationale Ă  la restructuration urbaine A.1 L’injonction au marketing urbain... D’aprĂšs les auteurs de l’ouvrage villes internationales publiĂ© en 2007, un des effets de la mondialisation est l’injonction au marketing urbain qui impose des restructurations aussi bien urbaines qu’économiques, et donc des marchĂ©s de l’emploi, dans les villes dites internationales. Une compĂ©tition internationale est Ă  l’Ɠuvre, notamment dans les villes Ă©mergentes, pour donner une image moderne. « De nombreuses mĂ©tropoles du Sud par- ticipent pleinement Ă  des manifestations multiformes d’internationalisation qui dĂ©passent les seuls Ă©changes Ă©conomiques » (Berry-Chikhaoui, Deboulet, Roulleau-Berger, 2007,
  • 28. CHAPITRE I. COMPRENDRE LE PROJET DE RÉNOVATION DE SÜLEYMANIYE p8). Il s’agit de se situer dans le rĂ©seau archipel de grands pĂŽles Ă©conomiques aïŹn d’atti- rer les ïŹ‚ux internationaux d’investissements (Veltz, 1996). Cette internationalisation passe pour Istanbul par la reconquĂȘte du centre historique et des territoires indĂ»ment accaparĂ©s, la reproduction d’archĂ©type architecturaux comme le nĂ©o-ottomanisme, l’établissement de population aux revenus Ă©levĂ©s pour qui sont destinĂ©s ces projets, la promotion de l’atout culturel, conïŹrmĂ© par le fait qu’en 2006 Istanbul est Ă©lue capitale europĂ©enne de la culture pour 2010... D’ailleurs, l’évĂ©nement Istanbul, Capitale EuropĂ©enne de la Culture 2010, montre bien un paradoxe. A la fois, en cette annĂ©e 2010 on prĂŽne les valeurs mul- ticulturelles d’Istanbul. A ce titre, un festival tzigane, le festival hidrillez, est reprit par l’organisation Istanbul 2010. Et, en mĂȘme temps, on expulse des milliers de roms de leur quartier avec le projet de Sulukule... Comme pour les autres mĂ©tropoles en compĂ©tition sur la scĂšne mondiale, on note Ă  Istanbul une certaine uniformisation des modĂšles urba- nistiques et la croissance du rĂŽle des organismes transnationaux et des entreprises privĂ©es dans l’application de ces politiques urbaines. D’aprĂšs JF PĂ©rouse, il s’agit d’une « mise aux normes, mise en marque » qui se traduit par trois dĂ©clinaisons : l’inïŹ‚ation de projets de transformation urbaine, le dĂ©ploiement d’une politique de tourisme international, d’af- faires et de congrĂšs, et enïŹn le dĂ©veloppement de technopĂŽles comme outils de prestige. Cette internationalisation dirigĂ©e par les autoritĂ©s turques depuis les annĂ©es 1990 vise Ă  pourvoir Istanbul d’un certain nombre d’ « atouts distinctifs sans lesquels elle ne pourrait participer Ă  la grande compĂ©tition » (PĂ©rouse, 2007, p32). L’argument du risque sismique est ici mis Ă  proïŹt pour justiïŹer cette politique qui touche aussi bien les centres histo- riques dĂ©gradĂ©s que les quartiers spontanĂ©s, gecekondu, en pĂ©riphĂ©rie. En effet, d’aprĂšs un document de promotion de la politique de kentsel dönĂŒsĂŒm 1 rĂ©alisĂ© par la mairie de l’arrondissement de Fatih en 2007 : « Les problĂšmes qui doivent ĂȘtre rĂ©solus en termes de construction et d’urbanisme sont les suivants : – L’urbanisation non planiïŹĂ©e – Le fait que notre arrondissement possĂšde les caractĂ©ristiques physiques et sociales nĂ©gatives de zones gĂąchĂ©es Ă  cause des vagues de migra- tions depuis les annĂ©es 1950 et d’une mauvaise Ă©conomie. – Le risque sismique. /.../ Des solutions durables sont nĂ©cessaires pour crĂ©er des Ă©tablissements en sĂ©curitĂ© et protĂ©ger les bĂątiments historiques. À cet Ă©gard, les secteurs 1. Kentsel DönĂŒsĂŒm signiïŹe transformation urbaine, le dĂ©veloppement de cette notion depuis les annĂ©es 2000 est Ă©tudiĂ© dans le chapitre II-B. 20
  • 29. I.A Injonction internationale Ă  la restructuration urbaine ayant besoin d’une intervention urgente ont Ă©tĂ© dĂ©clarĂ©s zones de rĂ©novation ». (Mairie de Fatih, 2007). Cette prĂ©sentation montre que trois caractĂšres pĂšsent sur l’image et l’ambition d’in- ternationalisation de la part de mairie de Fatih : le risque sismique, les caractĂ©ristiques physiques et sociales et enïŹn le caractĂšre non planiïŹĂ© de la ville. En ce qui concerne les caractĂ©ristiques physico-sociales du quartier, il s’avĂšre que le proïŹl social semble poser problĂšme et ĂȘtre responsable de l’état de dĂ©gradation du quartier. Le discours de la mairie de Fatih est conservateur, il s’agit de : – RĂ©duire l’insĂ©curitĂ© – RĂ©duire le risque sismique – RĂ©crĂ©er un environnement ottoman en protĂ©geant les monuments historiques. – « Remoraliser » la pĂ©ninsule historique. En ce qui concerne le fait que l’urbanisation soit non planiïŹĂ©e, deux plans de pla- niïŹcation, un Ă©laborĂ© en 2006 et un en 2009, ont Ă©tĂ© prĂ©sentĂ©s. Or, ils n’ont jamais Ă©tĂ© ratiïŹĂ©s, notamment Ă  cause des contestations des agences traditionnelles de planiïŹcations et d’urbanisme, comme la chambre des architectes (IMMOB). Istanbul reste dans un vide de planiïŹcation. C’est pourquoi des projets opportunistes comme celui du pont du futur mĂ©tro sur la Corne d’Or peuvent se rĂ©aliser. Cet exemple montre comment la logique de projet est utilisĂ©e pour produire la ville Ă  Istanbul. Il prĂ©voit de dresser deux cornes dorĂ©es de plus de 100m de haut de part et d’autre du pont, sans prendre en compte son environnement. Il a Ă©tĂ© fortement critiquĂ© par les professionnels de l’urbanisme qui lui reprochent de faire ïŹ de la silhouette de la pĂ©ninsule historique. Ce projet se glisse dans les failles du systĂšme. De mĂȘme, les projets de rĂ©novation sont prĂ©vus et menĂ©s Ă  l’échelle de l’arrondissement au mieux, sans cohĂ©rence globale. L’ambition de la municipalitĂ© de Fatih de pallier au manque de planiïŹcation est justiïŹĂ©e. En revanche, il semble qu’elle ne se pose pas Ă  l’échelle de l’arrondissement, mais plutĂŽt du Grand Istanbul. On retrouve Ă©galement cette injonction Ă  la restructuration dans le discours du Prof. Dr. Ilber Ortayli, qui pointe en 2005 les dĂ©vastations de la pĂ©ninsule historique, et dĂ©clare qu’il faut absolument opĂ©rer « un nettoyage physique et de la population » (Demirci S., 17.09.2009, Milliyet) dans le quartier de SĂŒleymaniye. Ainsi, il s’agit bien comme le souligne JF PĂ©rouse d’une volontĂ© de nettoyer Istanbul qui passe par la restructuration urbaine aïŹn de lui donner un caractĂšre plus international, plus moderne (PĂ©rouse, 2007). Or, il s’avĂšre que ces restructurations suscitent « la mise en tension » d’une fraction importante de la population (Berry-Chikhaoui, Deboulet, Roulleau-Berger, 2007). Elles 21
  • 30. CHAPITRE I. COMPRENDRE LE PROJET DE RÉNOVATION DE SÜLEYMANIYE affecteraient le rapport des individus au marchĂ© du travail ainsi qu’au logement. A.2 ... Au dĂ©triment des populations fragiles. D’aprĂšs l’ouvrage villes internationales, trois types de politiques sont les cibles de ces restructurations : la politique de l’emploi, la politique migratoire et la politique urbaine. Ainsi, les espaces migratoires, la prĂ©carisation du travail et la mutation de la ville sont autant de cadres instables qui participeraient Ă  la division socio-spatiale des villes inter- nationales. Istanbul correspond bien ici Ă  la ïŹgure de la ville internationale. Comme vu en introduction, elle est un pĂŽle migratoire important et s’est engagĂ©e depuis les annĂ©es 2000 dans une politique de rĂ©novation urbaine, kentsel dönĂŒsĂŒm en turc, qui touche en particulier « les secteurs paupĂ©risĂ©s, dĂ©gradĂ©s ou Ă  reconquĂ©rir et sollicitent la mobilitĂ© contrainte des riverains, des populations ïŹ‚ottantes ou migrantes, faiblement stabilisĂ©es » (Berry-Chikhaoui, Deboulet, Roulleau-Berger, 2007). Une certaine « pression au chan- gement » serait mise en Ɠuvre par ces projets ponctuels de restructuration et se traduit notamment par l’augmentation des valeurs fonciĂšres et immobiliĂšres. Les villes seraient en quelques sortes devenues otages d’une urgence esthĂ©tique et les habitants contraints par « la conformitĂ© et l’adaptation coĂ»teuse Ă  ces logiques de restructuration » (ibid.). Toutefois, face Ă  cette pression s’imposent de plus en plus de nouveaux rĂ©seaux inter- nationaux pour dĂ©fendre les droits des habitants, le droit Ă  la ville. A Istanbul, les confron- tation entre les activistes qui soutiennent les habitants et les autoritĂ©s stambouliotes sont de plus en plus ouvertes. JF PĂ©rouse relate quelques expĂ©riences qui ont permis d’arrĂȘ- ter des opĂ©rations commerciales et immobiliĂšres grĂące Ă  la mobilisation des habitants Ă  l’aide de chambres de professionnels, comme la chambre des architectes. Ces revendica- tions ont majoritairement pour cible la loi 5366, qui permet l’application de ces projets de rĂ©novation depuis 2005 2. En effet, les habitants concernĂ©s par ces projets se sentent de plus en plus sĂ©grĂ©guĂ©s, menacĂ©s d’éviction Ă  des ïŹns de revalorisation de l’image de la mĂ©tropole. Ces populations sont « confrontĂ©es Ă  des expĂ©riences d’injustice urbaine [... ] et vivent des lĂ©sions identitaires au cours desquelles leur rapport positif Ă  elles-mĂȘmes est mis en pĂ©ril, [ce] qui les conduit dans certains cas Ă  rĂ©agir, se mobiliser, lutter, dans d’autres cas Ă  subir, souffrir » (Berry-Chikhaoui, Deboulet, Roulleau-Berger, 2007). A Istanbul notamment, la politique de kentsel dönĂŒsĂŒm est teintĂ©e de discours stigmatisant l’immigration anatolienne et faisant la promotion d’une identitĂ© stambouliote moderne. Cette volontĂ© repose d’aprĂšs JF PĂ©rouse sur « une vision Ă©litiste et sĂ©lective de l’interna- 2. Les revendications ainsi que la loi seront prĂ©sentĂ©s en partie II. 22
  • 31. I.A Injonction internationale Ă  la restructuration urbaine tionalitĂ© » (PĂ©rouse, 2007). Ainsi, le projet de rĂ©novation de SĂŒleymaniye, quartier dĂ©gradĂ© du centre historique, est bien l’expression d’une certaine volontĂ© de moderniser, voire d’occidentaliser Istanbul, dans le but que la mĂ©tropole soit toujours plus compĂ©titive sur la scĂšne internationale. Toutefois, le projet semble Ă©galement revĂȘtir d’autres origines. 23
  • 32. CHAPITRE I. COMPRENDRE LE PROJET DE RÉNOVATION DE SÜLEYMANIYE B SĂŒleymaniye, un symbole pour le parti : la question identitaire. « SĂŒleymaniye, ce domaine de 1,5 kilomĂštres carrĂ©s Est notre identitĂ©, notre passeport. C’est le titre de propriĂ©tĂ© de notre patrie. Notre comportement est imprudent ici, - D’abandonner ce domaine pour le tumulte de la grande ville au loin, Est un simple suicide. Et il est nĂ©cessaire de dire que c’est un suicide Et que nous devrions avoir honte pour les gĂ©nĂ©rations futures » 3 Surplombant la corne d’or et coiffĂ© par la mosquĂ©e de Soliman le magniïŹque, le quar- tier de SĂŒleymaniye, jadis peuplĂ© de la haute sociĂ©tĂ© ottomane est aujourd’hui majori- tairement habitĂ© par des immigrĂ©s. Comme le mentionne Ilber Ortayli 4, SĂŒleymaniye est bien plus qu’un quartier, il serait la "carte d’identitĂ©" des Turcs. Une identitĂ© pourtant bien mise de cĂŽtĂ© pendant le siĂšcle rĂ©publicain. SĂŒleymaniye, de par son histoire, et le sym- bole qu’il reprĂ©sente pour l’Empire ottoman, est un quartier Ă  part. Le projet de rĂ©novation qu’il connaĂźt est dĂšs lors d’autant plus singulier. B.1 SĂŒleymaniye comme symbole de l’empire ottoman Le quartier est construit sur une colline, connue pour ĂȘtre la plus haute des sept collines initiales d’Istanbul. La mosquĂ©e de Soliman le MagniïŹque datant du XVIĂšme siĂšcle est l’éponyme du quartier. Elle est le chef-d’Ɠuvre du cĂ©lĂšbre architecte Mimar Sinan. PrĂšs d’un siĂšcle aprĂšs la conquĂȘte ottomane de la ville en 1453, la pĂ©ninsule historique Ă©tait trĂšs peuplĂ©e, Ă  la fois de nouveaux habitants et de fondations religieuses. La construction du complexe de SĂŒleymaniye vers 1550 nĂ©cessita des dĂ©localisations, ce qui augmenta la valeur du quartier. De mĂȘme, il faut souligner que la construction du complexe engendra une concentration d’institutions Ă©ducatives et religieuses de prestige, qui participa Ă  la richesse du quartier. C’est sans doute une des raisons expliquant pourquoi le quartier de SĂŒleymaniye avait la rĂ©putation d’ĂȘtre riche. SĂŒleymaniye aux XVIĂšme et XVIIĂšme 3. PoĂšme extrait de Osmanli’yi Yeniden Kesfetmek, Ă©crit par Ilber Ortayli, 2006, p. 25. Ce passage est traduit du turc vers l’anglais par Julia Strutz,(Strutz, 2009). 4. Nous avons dĂ©jĂ  citĂ© Ilber Ortayli au dĂ©but du chapitre alors qu’il revendiquait le besoin de faire un nettoyage physique et social de la pĂ©ninsule historique. 24
  • 33. I.B SĂŒleymaniye, un symbole pour le parti : la question identitaire. FIGURE I.1: SĂŒleymaniye, un quartier dominant. Source : photo prise en juin 2010 siĂšcles est connu pour ĂȘtre « le lieu des vizirs et des plus grands juges » (Strutz, 2009, p45). Toutefois, « la nature de cette richesse reste bien peu connue [mais] (...) il semble qu’il existe un accord sur la richesse et l’intĂ©gritĂ© sociale du quartier tout au long de quatre siĂšcles » (ibid. p47). Dans le discours actuel, SĂŒleymaniye est devenu un symbole, un lieu de mĂ©moire, au moins pour une certaine couche de la sociĂ©tĂ© turque - la civilisation islamique. Comment l’espace urbain Ă©tait-il perçu et organisĂ© dans la sociĂ©tĂ© ottomane 5 ? Qu’en reste-t-il aujourd’hui ? La structure du mahalle, du quartier, est un bon exemple d’hĂ©ritage ottoman qui per- dure aujourd’hui. Le mahalle Ă  l’époque ottomane est un quartier organisĂ© sur base com- munautaire avec un Imam et un Muezzin. Ce sont ces mahalles qui font ofïŹce de sociĂ©tĂ© civile durant l’empire. Ils se forment sur la base d’une identitĂ© religieuse et ethnique exerce un contrĂŽle social et familial remarquable. Leur image persiste encore aujourd’hui quand on pense aux quartiers de SĂŒleymaniye, Fener, et Balat. En effet, ces quartiers 5. L’usage de l’espace urbain est rĂšglementĂ© par l’État ottoman jusqu’au XIXĂšme siĂšcle. En 1881 en effet, paraĂźt encore une circulaire (un Ă©dit royal) rĂšglementant l’usage que font les femmes ainsi que les minoritĂ©s ethnicoreligieuses de l’espace urbain. Il est interdit aux femmes « de paraĂźtre dans les lieux publics (...) de se promener dans les quartiers de Beyazit, de Shehzadebasi et d’Aksaray, (...) de se rassembler en groupe en public ». D’autre part, des normes vestimentaires rĂ©gissent leur accoutrement. Les minoritĂ©s ethnicoreligieuses se voient attribuer « Ă  chaque minoritĂ© (...) une couleur de turban, de manteau et de bottines » (Seni, 1984). 25
  • 34. CHAPITRE I. COMPRENDRE LE PROJET DE RÉNOVATION DE SÜLEYMANIYE ont des identitĂ©s fortes. SĂŒleymaniye est un symbole de la civilisation ottomane, tandis que Balat est connu pour ĂȘtre un quartier juif... C’est pourquoi Istanbul est divisĂ©e en sous agglomĂ©ration et en sous-quartier d’habitation jusqu’à la ïŹn XVIII. Le mahalle est un voisinage qui partage le mĂȘme culte et communique par la mĂȘme langue. Dans ces quartiers, se cĂŽtoient les maisons chics et les maisons nĂ©cessiteuses, les quartiers chics n’apparaissent qu’au XIX. Cette structure communautaire est le relais du pouvoir central. Il est important de souligner que le mahalle est un quartier rĂ©sidentiel pour les familles. Les cĂ©libataires n’y habitent pas, mais plutĂŽt dans des chambres ou immeubles de cĂ©liba- taires (bekar odalari / hanlari), dans des centres commerciaux ou en pĂ©riphĂ©rie urbaine (Seni, 1984). Ce qui explique en partie la « honte », qu’exprime Ilber Ortayli, de voir que le quartier fondateur de la culture ottomane, « titre de propriĂ©tĂ© de [leur] patrie » est aujourd’hui connu pour ses chambres de cĂ©libataires. Il s’agit de noter que les mahalles gardent une fonction importante aujourd’hui. En effet, le mahalle est une unitĂ© adminis- trative encadrĂ©e par le muhtar, Ă©lu au suffrage universel direct pour cinq ans 6. Mais il est considĂ©rĂ© en Turquie comme une rĂ©alitĂ© urbaine dĂ©ïŹnissant fortement la composition et l’appropriation de l’espace par ses habitants. Ces « microstructures » constituent un milieu urbain trĂšs important aux yeux des habitants. C’est Ă  cette Ă©chelle que l’on trouve les commerces de proximitĂ©, les petites activitĂ©s Ă©conomiques, les centres culturels, les cafĂ©s, les Ă©coles, les associations de quartier... Les principales compĂ©tences de la mairie de quartier sont les questions liĂ©es Ă  l’état civil. Ainsi, les huit mahalles qui composent le quartier SĂŒleymaniye, sont des hĂ©ritages du passĂ© ottoman. La municipalitĂ© de Fatih, par l’intermĂ©diaire du projet, revendique cette identitĂ© ottomane. Un autre hĂ©ritage de l’em- pire marque Ă©galement le quartier de SĂŒleymaniye. Il s’agit des fondations religieuses. B.2 L’implantation de fondations religieuses comme signe actuel du rĂŽle symbolique de SĂŒleymaniye Plusieurs fondations religieuses, reconnues comme telle ou non, sont implantĂ©es Ă  dans le quartier. Elles prĂŽnent la nĂ©cessitĂ© du projet, rendre Ă  Istanbul son quartier fon- dateur, retrouver un proïŹl de population plus moral. Il s’agit par exemple des fondations KOCAV (KĂŒltĂŒr Ocagi VakïŹ, fondation de la culture) et BISAV (Bilim ve Sanat VakïŹ, fondation des sciences et des arts). La prĂ©sence de ces fondations Ă  SĂŒleymaniye est un signe du rĂŽle symbolique qui se perpĂ©tue aujourd’hui dans le quartier. D’aprĂšs F. Bilici, « la rĂ©gression des idĂ©ologies, 6. Pour plus de dĂ©tails sur le systĂšme de gouvernance stambouliote, se reporter Ă  l’annexe C 26
  • 35. I.B SĂŒleymaniye, un symbole pour le parti : la question identitaire. la crise de lĂ©gitimitĂ© qui frappe les États et l’échec de l’importation des modĂšles occi- dentaux incitent les sociĂ©tĂ©s musulmanes Ă  instrumentaliser les rĂ©fĂ©rences historiques, imaginaires ou rĂ©elles, tout en essayant de leur trouver des justiïŹcations dans le rĂ©pertoire des systĂšmes occidentaux. (...) Avec le vakıf 7 turc, nous sommes prĂ©cisĂ©ment devant un produit historique (traditionnel), cristallisant le montage d’un systĂšme social juridique et particulier » (Bilici 1993). Le vakıf dans ce contexte tenterait de remplir un espace social vacant dĂ» Ă  la lĂ©gitimitĂ© encore faible d’autres formes d’organisation sociale comme les associations, les syndicats, les partis politiques, les clubs... etc. L’institutionnalisation du vakıf, depuis les vingt derniĂšres annĂ©es, montre l’émergence d’une classe d’entrepreneurs culturels et politiques turcs qui ont dĂ©passĂ© le stade d’imi- tation Ă  tout prix de toutes formes de mobilisation sociale occidentale. Cette pĂ©riode d’imitation est datĂ©e d’aprĂšs F. Bilici de la ïŹn du XIXĂšme siĂšcle, jusqu’aux annĂ©es 1950. Elle correspond Ă  la pĂ©riode rĂ©publicaine et kĂ©maliste. Le grand retour des vakıfs serait donc le signe d’une rĂ©-ottomanisation. Leur prĂ©sence Ă  SĂŒleymaniye, Ă  cet Ă©gard, n’est pas un hasard. « Le vakıf turc en gĂ©nĂ©ral participe non pas Ă  un retour, mais plutĂŽt d’une rĂ©activation de la tradition sous forme moderne, montrant des capacitĂ©s d’adaptation de sociĂ©tĂ©s musulmanes » (Bilici, 1993). Ces fondations seraient Ă  mi-chemin entre la fon- dation amĂ©ricaine et l’association française. Elles se concrĂ©tisent en une forme d’orga- nisation et de structure juridique tirant sa lĂ©gitimitĂ© du droit et des traditions islamiques, acquis durant une longue pĂ©riode ottomane, et des codes civils occidentaux. D’aprĂšs l’au- teur, ces vakıfs se montrent d’ « une vitalitĂ© exceptionnelle, tant sur le plan Ă©conomique que sociologique » en Turquie, plus que dans d’autres pays musulmans. Elles sont super- visĂ©es par la Direction GĂ©nĂ©rale des Vakıfs dĂ©pendant du premier ministre et du ministĂšre des Finances. Leur dĂ©veloppement exceptionnel depuis les annĂ©es 1980 correspondrait Ă  l’idĂ©ologie ultralibĂ©rale en vigueur accordant une grande libertĂ© d’action Ă  l’initiative privĂ©e aïŹn qu’elle assume une partie des fonctions de l’État et se rĂ©pande dans la so- ciĂ©tĂ©. Elles sont de plus en plus fondĂ©es par des musulmans pratiquants et ont trouvĂ© un appui ïŹnancier considĂ©rable auprĂšs de la bourgeoisie turque et des sociĂ©tĂ©s ïŹnanciĂšres saoudiennes et koweitiennes introduites en Turquie dans les annĂ©es 1983. L’hypothĂšse qu’émet l’article est que « ces vakıfs sont utilisĂ©es par diffĂ©rents courants islamistes turcs 7. « Le mot vakıf signiïŹe arrĂȘter, immobiliser. En termes juridiques, constituer un vakıf, c’est immobi- liser un bien et affecter son produit Ă  une Ɠuvre pieuse ou charitable, dotĂ©e de la personnalitĂ© morale. Celui qui constitue le vakıf est nommĂ© vĂąkif ; l’acte de fondation est appelĂ© vakïŹye. Dans le droit musulman classique, le bien immobilisĂ© est normalement et thĂ©oriquement « consacrĂ© Ă  Dieu ». A ce titre, il devient inaliĂ©nable, c’est-Ă -dire qu’il ne peut plus faire l’objet de vente, achat , expropriation, hypothĂšque, saisie. » (Bilici, 1993) 27
  • 36. CHAPITRE I. COMPRENDRE LE PROJET DE RÉNOVATION DE SÜLEYMANIYE comme base juridique, Ă©conomique, sociale et politique pour une rĂ©islamisation par le bas ou en profondeur de la sociĂ©tĂ© musulmane » (Bilici, 1993). En effet, l’émancipation de ces fondations se cristallise, dans le cas turc, dans l’im- plosion du systĂšme politique kĂ©maliste de la RĂ©publique, basĂ© sur un contrĂŽle strict du religieux. Elle tĂ©moignerait Ă©galement de la naissance d’une nouvelle Ă©lite islamiste. En 1970, on note effectivement la naissance du premier parti islamiste. Il a Ă©tĂ© dissout plu- sieurs fois et s’est rĂ©organisĂ© ïŹnalement en 1983 sous le nom de parti de ProspĂ©ritĂ© : le Refah. Il est re-dissout en 1998. De cette nouvelle scission naĂźtra deux partis actuels : l’AKP, au pouvoir, parti pour la justice et le dĂ©veloppement, et le Saadet, parti de la fĂ©li- citĂ©. Les vakıfs islamiques ont Ă©tĂ© largement aidĂ©es par l’arrivĂ©e des sociĂ©tĂ©s arabes et isla- miques Ă  partir de 1983, comme Al-Braka turkish ïŹnance house, Saudi american bank... Elles prennent alors la forme de fondations islamiques d’entraide, de solidaritĂ© et d’édu- cation destinĂ©es aux jeunes de milieu populaire, ou encore de fondations de recherche, d’études islamiques, donnant lieu Ă  des publications d’ouvrages savants, de revues... Les deux fondations de SĂŒleymaniye appartiennent Ă  cette seconde catĂ©gorie. Elles se disent fondations pour la culture, ou pour la science, mais elles publient et commercialisent des ouvrages Ă  tendance islamique, voire islamiste. Un Symposium est organisĂ© en 2007 par la fondation BISAV (Bilim ve Sanat VakïŹ, fondation des sciences et des arts) pour prĂŽner la nĂ©cessitĂ© et les biens faits du projet de rĂ©novation de SĂŒleymaniye. EnïŹn, d’aprĂšs F. Bilici, ces fondations seraient les « antichambres des partis politiques (...) Elles fonctionnent par un systĂšme de coopĂ©ration, de clientĂ©lisme et de reproduction ». Nombreuses sont celles fondĂ©es par des hommes politiques, du parti de l’ANAP en particulier. Le parti de l’ANAP est le parti de la mĂšre patrie. Il fusionne en 2007 avec le parti de la juste voie pour former le parti dĂ©mocrate. L’auteur souligne que ces fondations sont utilisĂ©es par les islamistes comme des instruments de lĂ©gitimation et d’action sociale. Elles joueraient plus ou moins le rĂŽle de vecteur de sociabilitĂ© que ne jouent plus ni la mosquĂ©e, ni les associations. Elles propageraient un Islam social par leurs multiples ac- tivitĂ©s et leur dynamisme (publication, rĂ©union, confĂ©rence...) et grignoteraient ainsi peu Ă  peu les fonctions de l’État. Ce qui est d’aprĂšs F. Bilici une caractĂ©ristique fondamen- tale de la politique turque et particuliĂšrement des partis conservateurs. Notons Ă  cet Ă©gard que le parti au pouvoir, l’AKP est un parti islamo-conservateur. Il ne cesse de monter en puissance depuis 2002. Ainsi, Ă  travers l’exemple des fondations religieuses, nous pouvons voir que SĂŒley- maniye occupe toujours une place symbolique et idĂ©ologique aux yeux du parti et des partisans de l’AKP. Rappelons dĂ©sormais rapidement l’assise qu’à ce parti en Turquie. 28
  • 37. I.B SĂŒleymaniye, un symbole pour le parti : la question identitaire. DĂšs 1950, le parti rĂ©publicain du peuple, kĂ©maliste, perd le pouvoir. C’est Ă  partir de lĂ  que les mesures laĂŻques sont assouplies. L’appel Ă  la priĂšre et l’enseignement coranique en arabe sont rĂ©tablis, l’éducation religieuse dans les Ă©coles publiques rĂ©introduite, la po- lygamie et les usages vestimentaires traditionnels sont tolĂ©rĂ©s... « Force est de constater qu’au cours du XXĂšme siĂšcle, la laĂŻcitĂ© en Turquie a le plus souvent Ă©tĂ© imposĂ©e ou rĂ©ta- blie par la force et l’intervention rĂ©pĂ©tĂ©e de l’armĂ©e (1913, 1923-4, 1971, 1980), alors que les avancĂ©es de la dĂ©mocratie participative sont plutĂŽt traduites par un retour de la tradi- tion religieuse (1950-1983) » (Marcou, Burdy, 1994). Le projet de SĂŒleymaniye serait ici l’occasion pour les autoritĂ©s turques au pouvoir de mettre la main sur un quartier chargĂ© symboliquement. Cette dimension identitaire est en partie Ă  l’origine du projet. Or, qu’en est-il de l’état du quartier ? 29
  • 38. CHAPITRE I. COMPRENDRE LE PROJET DE RÉNOVATION DE SÜLEYMANIYE C Diagnostic : SĂŒleymaniye, un quartier dĂ©gradĂ© et stig- matisĂ© AprĂšs avoir prĂ©sentĂ© le contexte international et la dimension symbolique du projet, il s’agit de s’interroger sur l’état local du quartier. Aux vues des caractĂ©ristiques physique, fonctionnelle et sociale du quartier, une rĂ©novation est-elle nĂ©cessaire ? C.1 Approche statistique C.1.1 Un quartier rĂ©sidentiel et industriel FIGURE I.2: Fonctions du quartier de SĂŒleymaniye par zone. Source : d’aprĂšs un relevĂ© effectuĂ© les 11 et 12 juillet 30
  • 39. I.C Diagnostic : SĂŒleymaniye, un quartier dĂ©gradĂ© et stigmatisĂ© FIGURE I.3: Fonctions du quartier de SĂŒleymaniye par parcelle. Source : d’aprĂšs un relevĂ© effectuĂ© les 11 et 12 juillet On remarque avec les ïŹgures I.2 et I.3 que le quartier s’il est rĂ©sidentiel en son centre, est entourĂ© de commerces et d’ateliers. Les bĂątiments IMC, notamment, Istanbul Manu- fakturcilar Carsisi, sont les quatre gros blocs dans lesquels se fait le commerce de gros de la ville. Ces bĂątiments ont Ă©tĂ© conçus dans les annĂ©es 1950 par Dogan Tekeli et Sami Sisa, deux architectes rĂ©publicains. Ils bordent le quartier Ă  l’ouest et servent d’espace tampon entre la zone rĂ©sidentielle du quartier et le boulevard AtatĂŒrk. Les ateliers, trĂšs nombreux, sont pour la plupart informels. Les branches en prioritĂ©s concernĂ©es pour l’ancien arron- dissement d’EminönĂŒ sont : « accessoires pour automobile, chimie, agroalimentaire et 31
  • 40. CHAPITRE I. COMPRENDRE LE PROJET DE RÉNOVATION DE SÜLEYMANIYE commerce de gros alimentaire, quincaillerie en gros, production textile, meuble, papiers, imprimerie, travail de l’or et de l’argent, plasturgie, mĂ©tallurgie et entrepĂŽt » (PĂ©rouse, 2007). Le quartier a donc une fonction commerciale et industrielle non nĂ©gligeable, ce qui est conïŹrmĂ© par le proïŹl social de la population. Le type de commerce est en gĂ©nĂ©ral du commerce de gros liĂ© aux ateliers voisins. On y confectionne des cuillĂšres, des cein- tures, des piĂšces spĂ©ciales, des balances, des machines Ă  coudre... qui sont vendues dans le quartier. C’est lĂ  que viennent se fournir de nombreux artisan, restaurateur ou autres vendeurs d’Istanbul. DĂšs lors se pose la question de l’implantation de ces ateliers en centre-ville. Sont-ils implantĂ©s dans ce quartier pour la main d’oeuvre, le prix du foncier ou bien la proximitĂ© d’un marchĂ© ? Les ateliers implantĂ©s dans le centre d’une mĂ©gapole comme Istanbul doivent avoir une grande raison d’ĂȘtre, une grande valeur ajoutĂ©e (comme la haute couture par exemple). Des dĂ©cisions de dĂ©centralisation Ă  propos des petites entreprises d’EminönĂŒ Ă©taient prĂ©vues dans le plan de protection de 2003. Or, d’aprĂšs Alev Erkilet, sociologue Ă  l’agence de planiïŹcation du grand Istanbul (IMP 8), l’arrondissement d’EminönĂŒ est sujet Ă  une transformation duelle : les grosses entreprises voient la dĂ©centralisation comme une op- portunitĂ© pour grossir et d’augmenter leur capacitĂ©, en revanche les petites entreprises n’ont « nulle part oĂč aller », et « pas assez de capital » pour dĂ©mĂ©nager. La plupart n’ont pas de vĂ©hicules et ont Ă  peine le capital sufïŹsant pour payer leurs charges. D’autre part, les locaux commerciaux prĂ©vus pour accueillir les activitĂ©s en pĂ©riphĂ©ries sont trĂšs grands et inadaptĂ©s aux petits entrepreneurs locaux. Les loyers Ă©levĂ©s, les faibles marges bĂ©nĂ©- ïŹciaires possibles et les coĂ»ts de transport rendent impossible de quitter les magasins Ă  bas prix du centre-ville pour les petits fabricants (Erkilet, 2009). La question du devenir de ces ateliers se pose, leur conservation n’étant absolument pas prĂ©vue par le projet de rĂ©novation. Au contraire, ce caractĂšre industrieux du quartier paraĂźt gĂȘner les autoritĂ©s locales. C.1.2 Un quartier dĂ©gradĂ© et en partie dĂ©truit La ïŹgure I.4 montre, sur un Ă©chantillon important du pĂ©rimĂštre du projet, la forte dĂ©- gradation du bĂąti. Elle montre Ă©galement l’avancĂ©e des destructions effectuĂ©es par KIP- TAS au mois de juillet en 2010. Nous remarquons bien ici le tracĂ© du futur mĂ©tro Ă©voquĂ© en introduction. Il sera en partie souterrain mais ressortira, comme le tracĂ© des destruc- tions l’indique, au pied de la colline et se dirigera vers la Corne d’Or. Ce projet de mĂ©tro, 8. Pour plus de dĂ©tails sur l’IMP, se reporter Ă  l’annexe C 32
  • 41. I.C Diagnostic : SĂŒleymaniye, un quartier dĂ©gradĂ© et stigmatisĂ© FIGURE I.4: Etat du bĂąti. Source : d’aprĂšs un relevĂ© effectuĂ© les 11 et 12 juillet ou plutĂŽt, le fait qu’il traverse la Corne d’Or sur un pont dĂ©mesurĂ©, est fortement critiquĂ© par l’UNESCO comme par les professionnels de l’urbanisme. Nous pouvons Ă©galement voir sur la carte, la seule rue qui a Ă©tĂ© rĂ©habilitĂ©e (en bleu). Nous Ă©voquerons ces rĂ©ha- bilitations ultĂ©rieurement. La ïŹgure I.5 montre des exemples d’état de bĂąti pour chaque catĂ©gorie. Notons que les maisons en bois de SĂŒleymaniye, classĂ©es aux registres des biens nationaux et au patrimoine mondial de l’UNESCO, reprĂ©sentent les 2/3 des mai- sons en bois restantes Ă  Istanbul. Elles sont malgrĂ© tout trĂšs dĂ©gradĂ©es. La plupart seront dĂ©truites comme le prĂ©voit le projet de rĂ©novation (un grand nombre l’a dĂ©jĂ  Ă©tĂ©). 33
  • 42. CHAPITRE I. COMPRENDRE LE PROJET DE RÉNOVATION DE SÜLEYMANIYE (a) (b) (c) (d) FIGURE I.5: les diffĂ©rentes catĂ©gories de bĂąti. (a) dĂ©gradĂ©, (b) bon Ă©tat ou passable, (c) dĂ©truit, (d) rĂ©habilitĂ©. Source : photos prises en juin 2010 L’état de dĂ©gradation physique du quartier pourrait justiïŹer Ă  lui seul l’initiative d’un projet d’amĂ©lioration du cadre bĂąti. L’opportunitĂ© de la rĂ©novation sera discuttĂ©e dans le chapitre trois. Toutefois, il s’agit de noter que le quartier se dĂ©grade et se dĂ©truit d’autant plus vite depuis le dĂ©but du projet en 2006 qui marque le dĂ©part des propriĂ©taires. En outre, on peut s’interroger sur l’origine de ces dĂ©gradations. S’il n’y a pas eu d’action menĂ©e sur le bĂąti avant le projet de rĂ©novation, c’est probablement parceque la dimension physique n’est pas la plus importante aux yeux des autoritĂ©s. 34
  • 43. I.C Diagnostic : SĂŒleymaniye, un quartier dĂ©gradĂ© et stigmatisĂ© C.1.3 Un proïŹl social gĂȘnant Les donnĂ©es statistiques sont rares, ou bien trĂšs peu communiquĂ©es. Les rĂ©sultats du recensement ne sont pas publics et trĂšs difïŹcilement accessibles. AprĂšs plusieurs vaines tentatives auprĂšs de la mairie de Fatih pour se procurer des donnĂ©es dĂ©mographiques sur le quartier de SĂŒleymaniye, nous avons pris contact avec un professeur cartographe : Murat GĂŒvenç. Ce dernier a dĂ©veloppĂ© toute une cartographie d’Istanbul en fonction de donnĂ©es sociodĂ©mographiques. Son travail de fourmi se concrĂ©tise en un vĂ©ritable at- las de la ville d’Istanbul. Il est mis en scĂšne dans l’exposition Istanbul 1910-2010, qui a lieu ce septembre 2010. GrĂące Ă  son aide, nous avons pu rĂ©colter quelques donnĂ©es trĂšs prĂ©cises, mais difïŹcilement manipulables concernant le quartier de SĂŒleymaniye. Ces donnĂ©es ont Ă©tĂ© recensĂ©es en 2000 par un type particulier de recensement qu’est le re- censement de facto. Le recensement de facto comptabilise la population prĂ©sente et non la population lĂ©gale comme le ferait un recensement de jure effectif en France ou autres pays dĂ©veloppĂ©s, qui s’appuie sur une base de population enregistrĂ©e. Le recensement de 2000 est le dernier recensement de facto de Turquie. Les ïŹgures I.6 I.7 I.8 I.9 I.10 I.11 ont Ă©tĂ© construite Ă  partir des donnĂ©es fournies par Murat GĂŒvenç. Il est important de noter que ces ïŹgures font rĂ©fĂ©rence aux huit mahalles de SĂŒleymaniye, dont un est Ă©galement nommĂ© SĂŒleymaniye. 35
  • 44. CHAPITRE I. COMPRENDRE LE PROJET DE RÉNOVATION DE SÜLEYMANIYENiveauscolaireAnalphabĂštesNonNiveauNiveauNiveauNiveau diplomĂ©sĂ©coleprimairecollĂšgelycĂ©euniversitĂ© Demirtas8114858166777 HacıKadin13123877010414011 HocaGıyasettin420552165223829245 Kalenderhane31822916335024 MollaHusrev14120381613439989 SarıDemir22255121 SĂŒleymaniye991073806521733 YavuzSinan899769010414915 Totaux994(10%)1429(14%)5205(51%)779(8%)1636(16%)225(2%) Totalpopulation:10268 FIGUREI.6:Niveauscolairedeshabitantsparsous-quartier.Source:DonnĂ©esfourniesparMuratGĂŒvenç Surleniveaud’éducation(cf.ïŹgureI.6),notonsqueletauxd’analphabĂštesestd’environ10%(letauxd’alphabĂ©tisationen 2000enTurquieestde82,3%)etdenondiplĂŽmĂ©sde14%.CequirestedestauxĂ©levĂ©spourIstanbul.Lapopulationduquartiera globalementunfaibleniveaud’éducation,leniveauĂ©coleprimaireestleplusrĂ©pandu,50%delapopulationontceniveau. 36
  • 45. I.C Diagnostic : SĂŒleymaniye, un quartier dĂ©gradĂ© et stigmatisĂ© Taille des mĂ©nages 1 Ă  3 pers 4 Ă  6 pers 7 Ă  9 pers 10 et plus Total mĂ©nages Demirtas 38 44 10 5 97 Hacı Kadin 77 91 46 14 228 Hoca Gıyasettin 161 171 61 29 422 Kalenderhane 24 37 3 0 64 Molla Husrev 50 72 27 6 155 Sarı Demir 1 1 0 0 2 SĂŒleymaniye 39 38 17 2 96 Yavuz Sinan 41 32 12 11 96 Totaux 431 (37%) 486 (42%) 176 (15%) 67 (6%) 1160 Total habitants 5445 FIGURE I.7: Taille des mĂ©nages des habitants par sous-quartier. Source : DonnĂ©es fournies par Murat GĂŒvenç La rĂ©partition de la population dans les diffĂ©rents mahalles est assez inĂ©gale. On voit que les quartiers concernĂ©s par le projet prioritaire sont les plus peuplĂ©s (Hacı Kadin, Hoca Gıyasettin, Demirtas et Yavuz Sinan). Ils reprĂ©sentent Ă  eux seuls 74% de la popu- lation de SĂŒleymaniye. Le mahalle de Sarı Demir est trĂšs faiblement reprĂ©sentĂ©. En effet, il borde la Corne d’Or et reste trĂšs peu urbanisĂ©. Comme le montre la ïŹgure I.7, la taille moyenne de mĂ©nage est de 4 Ă  6 personnes. FIGURE I.8: RĂ©partition des activitĂ©s professionnelles des habitants. Femmes Ă  gauche ; Hommes Ă  droite. Source : DonnĂ©es fournies par Murat GĂŒvenç Les deux professions dominant le quartier sont les employĂ©s dans le commerce et la vente ainsi que les ouvriers industriels, dans tous mahalles confondus. Ceci est conïŹrmĂ© 37
  • 46. CHAPITRE I. COMPRENDRE LE PROJET DE RÉNOVATION DE SÜLEYMANIYE FIGURE I.9: RĂ©partition des secteurs d’activitĂ©s des habitants. Hommes Ă  gauche ; Femmes Ă  droite. Source : DonnĂ©es fournies par Murat GĂŒvenç par la domination des secteurs d’activitĂ©s du commerce, de la production et de l’industrie que l’on peut voir dans la ïŹgure I.9 et Ă©galement par la prĂ©sence de nombreux ateliers et de commerces de gros dans le quartier. EnïŹn, en ce qui concerne le type de propriĂ©tĂ©, on note d’une part qu’une Ă©crasante ma- joritĂ© des habitants sont locataires. Or, nous avons vu dans les documents de promotion du projet que la municipalitĂ© ne s’adressait qu’aux propriĂ©taires. D’autre part, Ă  Istanbul, et ceci a Ă©tĂ© conïŹrmĂ© par les muhtars 9 Ă  SĂŒleymaniye, il y a beaucoup de « share pro- perties », de propriĂ©tĂ©s partagĂ©es entre plusieurs actionnaires. C’est un systĂšme original mais trĂšs frĂ©quent en Turquie. Un mĂȘme bien foncier ou immobilier a souvent plusieurs propriĂ©taires. Cela peut arriver quand les propriĂ©taires d’une maison dĂ©cĂšdent et lĂšguent la propriĂ©tĂ© Ă  leurs enfants. Le processus de morcellement de la propriĂ©tĂ© commence lĂ . Les enfants sont ensuite libres de revendre leur part Ă  des particuliers... etc. 9. Les muhtars sont les maires de quartier. Leur unitĂ© administrative est le mahalle et leur compĂ©tence concerne essentiellement l’état civil. Cf. Annexe C 38
  • 47. I.C Diagnostic : SĂŒleymaniye, un quartier dĂ©gradĂ© et stigmatisĂ© Statut d’occupation PropriĂ©taires Locataire Autres Non dĂ©ïŹni Demirtas 14 75 8 0 Hacı Kadin 24 163 38 3 Hoca Gıyasettin 67 323 22 10 Kalenderhane 18 27 12 7 Molla Husrev 41 85 23 6 Sarı Demir 0 1 1 0 SĂŒleymaniye 21 63 11 1 Yavuz Sinan 4 79 12 1 Totaux 189 (16%) 816 (70%) 127 28 Total population : 1160 FIGURE I.10: Statut d’occupation par sous-quartier. Source : DonnĂ©es fournies par Murat GĂŒvenç 39
  • 48. CHAPITRE I. COMPRENDRE LE PROJET DE RÉNOVATION DE SÜLEYMANIYELieudenaissanceIstanbulMalatyaAdiyamanDıyarbakirDıgerdevMardınNıgdeAutresÉtrangerNon TurquiedĂ©ïŹni Demirtas9316512875365811233265 HacıKadin345100139584981406154110 HocaGıyasettin4432833333963192399511742678 Kalenderhane12266702232466470343 MollaHusrev190178971187866419913451 SarıDemir102000003500 SĂŒleymaniye1411538941322316434120 YavuzSinan8326103617992120586112 Totaux14279739597716256054304637164149 (13%)(9%)(9%)(7%)(6%)(6%)(4%)(43%)(2%)(1%) Populationtotale10740 PopulationĂ©trangĂšre3% PopulationimmigrĂ©eintĂ©rieure84% Populationstambouliote13% FIGUREI.11:Lieuxdenaissancedeshabitants.Source:DonnĂ©esfourniesparMuratGĂŒvenç Onnoteiciunforttauxd’immigrationinterne(84%).TrĂšspeud’individussontoriginairesd’Istanbuldanscequartier.Celaest liĂ©auxdiffĂ©rentesvaguesd’immigrationsprĂ©sentĂ©esenintroduction.Onremarquequ’ilyaunpotentielkurdeimportantpuisque lesvillestellesqueMalatya,DiyarbakiretMardinsontsituĂ©esdanslesudestdelaTurquie. 40
  • 49. I.C Diagnostic : SĂŒleymaniye, un quartier dĂ©gradĂ© et stigmatisĂ© Nous avons construit ces tableaux Ă  partir des rĂ©sultats du recensement que Murat GĂŒ- venç nous a livrĂ©s. Or, on se rend vite compte que les donnĂ©es semblent soit erronĂ©es, soit contradictoires. En effet, si l’on tente de comptabiliser la population totale du quartier, on compte 10 270 personnes d’aprĂšs les tableaux sur le niveau d’éducation de la population, 5 378 d’aprĂšs celui sur la taille des mĂ©nages, 4 879 d’aprĂšs le tableau sur le type de pro- fession ou de secteur d’activitĂ© et enïŹn 1 160 d’aprĂšs celui du type de propriĂ©tĂ©. Or, les muhtars du quartier disent que la population de SĂŒleymaniye est comprise entre 3000 et 6000 habitants. J’émets l’hypothĂšse que comme ces donnĂ©es ont Ă©tĂ© relevĂ©es lors d’un recensement de facto, il est possible que les donnĂ©es acquises comprennent la population travaillant dans le quartier, et non la seule population habitant le quartier. Ainsi, toute la population travaillant et habitant le quartier aurait rĂ©pondu aux questions relatives au niveau d’édu- cation et aux secteurs d’activitĂ©, totalisant environ 10 000 personnes, (environ 5 000 sans comprendre les enfants ou personnes ne travaillant pas). Les questions relatives au do- micile, comme celles sur le type de propriĂ©tĂ© et celles sur la taille du mĂ©nage rĂ©vĂšlent une population habitante d’environ 5 000 personnes. En effet, si on multiplie le nombre de propriĂ©tĂ©s (1 160), par la taille moyenne des mĂ©nages (5,5), on obtient une population d’environ 5 500, ce qui conïŹrme le nombre d’habitants donnĂ© par le tableau sur la taille des mĂ©nages de 5 378 personnes. Toutefois, mĂȘme cette hypothĂšse s’avĂ©rait ĂȘtre juste, les chiffres datent de 2000. Le projet ayant commencĂ© en 2006, la situation a Ă©normĂ©ment changĂ© depuis. Le nombre d’électeurs du quartier le plus peuplĂ© (Hoca Giyasettin) « est passĂ© de 2300 Ă  800 de 2007 Ă  2009 » 10. NĂ©anmoins, le proïŹl social du quartier se dessine : une majoritĂ© de lo- cataires, Ă  faible niveau d’éducation, travaillant dans la vente, la production ou l’industrie. Il est nĂ©cessaire d’ajouter que la plupart sont Ă©galement immigrĂ©s, internes ou internatio- naux. L’enquĂȘte menĂ©e dans le quartier de SĂŒleymaniye durant la premiĂšre quinzaine de juin a permis de recueillir les propos d’une dizaine de personnes sur le projet, mais Ă©galement sur leur perception et leur rapport Ă  ce quartier et Ă  son histoire. Voyons si ces propos vont ou non dans le sens des donnĂ©es statistiques. 1. L’origine des habitants L’échantillon enquĂȘtĂ© indique en effet que la plupart des habitants de SĂŒleymaniye, 10. D’aprĂšs l’entretien passĂ© le 20 juillet 2010 avec la muhtar d’Hoca Giyasettin 41