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Lucie renou projet de rnovation de suleymaniye - ifu - 2010
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Lucie renou projet de rnovation de suleymaniye - ifu - 2010
1.
MĂ©moire de master
2 " urbanisme et amĂ©nagement " parcours OpĂ©rateurs Urbains (OU), spĂ©cialitĂ© Expertise Internationale des Villes en DĂ©veloppement (EIVD) AnnĂ©e 2010 Le projet de rĂ©novation de SĂŒleymaniye entre intervention urbaine et politique : La mise aux normes dâun quartier au service dâenjeux identitaires et internationaux Lucie Renou Encadrants : - A. Deboulet (IFU) - M.-F. Gribet (IFU) - Y. Morvan (IFEA) - J.-F. PĂ©rouse (IFEA) - N. Seni (IFEA) UniversitĂ© de Paris Est Marne la VallĂ©e Institut Français dâUrbanisme
2.
2
3.
Remerciements Au moment oĂč
jâĂ©cris ces lignes, mon mĂ©moire se termine, et avec lui, mon cursus universitaire sâachĂšve. Jâadresse donc dans un premier temps, mes remerciements Ă toute lâĂ©quipe enseignante de lâIFU pour mâavoir guidĂ© tout au long de ma formation en urba- nisme (et particuliĂšrement aux professeurs des options OpĂ©rateurs Urbains et Expertise Internationale des Villes en DĂ©veloppement que jâai suivies). Dans un second temps, ce mĂ©moire est le fruit de nombreuses interactions et ren- contres. Les personnes Ă remercier sont nombreuses. Je tiens ici Ă remercier particuliĂšre- ment : â Les professeurs et chercheurs, qui ont encadrĂ© ce mĂ©moire, mâont conseillĂ© et mo- tivĂ© tout au long de sa rĂ©alisation : AgnĂšs DĂ©boulet, Marie-Françoise Gribet, Yoann Morvan, Jean-François PĂ©rouse et Nora Seni. â Plus gĂ©nĂ©ralement toute lâĂ©quipe de lâIFEA, les chercheurs, les doctorants ainsi que les stagiaires pour lâambiance de travail agrĂ©able, mais aussi pour toutes ces discussions enrichissantes qui ont participĂ© Ă lâorientation de ce mĂ©moire : EloĂŻse, Brian, ClĂ©mence, Annabelle, Jonathan et tous les autres. â Toutes les personnes Ă Istanbul qui ont acceptĂ© de me recevoir, de partager leurs connaissances avec moi et surtout Ali, Julia, Derya, HĂŒlya, Cihan et Murat GĂŒvenç pour le temps que vous mâavez accordĂ©, votre patience et votre gĂ©nĂ©rositĂ©. â Vanessa ! Pour mâavoir consacrĂ© quinze jours de tes vacances et sans qui mon en- quĂȘte de terrain nâaurait pas Ă©tĂ© possible. En mĂȘme temps, je remercie tous les ha- bitants et travailleurs de SĂŒleymaniye qui ont participĂ© Ă cette petite enquĂȘte, merci pour votre hospitalitĂ©. â EnïŹn, je remercie trĂšs chaleureusement mes amis et ma famille qui mâont soutenu et mâont menĂ© jusquâici, particuliĂšrement mes parents, Cam, Flo et Viv, et enïŹn Adrien, sans lâaide de qui la mise en page de ce mĂ©moire nâaurait pas Ă©tĂ© la mĂȘme... JâespĂšre que vous lâapprĂ©cierez.
4.
REMERCIEMENTS 4
5.
Table des matiĂšres Remerciements
3 Table des matiĂšres i Table des ïŹgures iii Introduction 1 A Le projet de rĂ©novation de SĂŒleymaniye entre intervention urbaine et po- litique : la mise aux normes dâun quartier au service dâenjeux identitaires et internationaux . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1 B Istanbul, une mĂ©gapole en pleine croissance . . . . . . . . . . . . . . . . 6 C Le projet de rĂ©novation de SĂŒleymaniye, continuitĂ© ou rupture avec les projets prĂ©cĂ©dents ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 11 D MĂ©thodologie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 16 I Comprendre le projet de rĂ©novation de SĂŒleymaniye 19 A Injonction internationale Ă la restructuration urbaine . . . . . . . . . . . . 19 B SĂŒleymaniye, un symbole pour le parti : la question identitaire. . . . . . . 24 C Diagnostic : SĂŒleymaniye, un quartier dĂ©gradĂ© et stigmatisĂ© . . . . . . . . 30 II Dimension politique du projet critiquĂ©e 49 A Le projet vu Ă travers ses discours : quels objectifs . . . . . . . . . . . . . 49 B La loi 5366 comme outil puissant de la politique de Kentsel DönĂŒsĂŒm . . 59 C Critiques : les rĂ©actions de la sociĂ©tĂ© civile . . . . . . . . . . . . . . . . . 65 III Des modalitĂ©s dâapplication radicales au service dâenjeux privĂ©s et identi- taires 71 A Façadisme et nĂ©o-ottomanisme : une vision singuliĂšre du patrimoine . . . 71
6.
TABLE DES MATIĂRES B
Enjeux Ă©conomiques : lâimmobilier Ă lâheure de la spĂ©culation. . . . . . . 84 C Enjeux sociaux : pour une moralisation de la pĂ©ninsule. Un processus dâexpropriation violent . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 93 Conclusion 105 Bibliographie 109 ii
7.
Table des ïŹgures 1
Carte de la croissance urbaine dâIstanbul. Source fond de carte (PĂ©- rouse, 2001) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 10 I.1 SĂŒleymaniye, un quartier dominant. Source : photo prise en juin 2010 . 25 I.2 Fonctions du quartier de SĂŒleymaniye par zone. Source : dâaprĂšs un relevĂ© effectuĂ© les 11 et 12 juillet . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 30 I.3 Fonctions du quartier de SĂŒleymaniye par parcelle. Source : dâaprĂšs un relevĂ© effectuĂ© les 11 et 12 juillet . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 31 I.4 Etat du bĂąti. Source : dâaprĂšs un relevĂ© effectuĂ© les 11 et 12 juillet . . . . 33 I.5 les diffĂ©rentes catĂ©gories de bĂąti. (a) dĂ©gradĂ©, (b) bon Ă©tat ou passable, (c) dĂ©truit, (d) rĂ©habilitĂ©. Source : photos prises en juin 2010 . . . . . . 34 I.6 Niveau scolaire des habitants par sous-quartier. Source : DonnĂ©es four- nies par Murat GĂŒvenç . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 36 I.7 Taille des mĂ©nages des habitants par sous-quartier. Source : DonnĂ©es fournies par Murat GĂŒvenç . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 37 I.8 RĂ©partition des activitĂ©s professionnelles des habitants. Femmes Ă gauche ; Hommes Ă droite. Source : DonnĂ©es fournies par Murat GĂŒ- venç . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 37 I.9 RĂ©partition des secteurs dâactivitĂ©s des habitants. Hommes Ă gauche ; Femmes Ă droite. Source : DonnĂ©es fournies par Murat GĂŒvenç . . . . . 38 I.10 Statut dâoccupation par sous-quartier. Source : DonnĂ©es fournies par Murat GĂŒvenç . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 39 I.11 Lieux de naissance des habitants. Source : DonnĂ©es fournies par Murat GĂŒvenç . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 40 I.12 Le KĂŒĂ§ĂŒkpazar. Source : photo prise en juin 2010 . . . . . . . . . . . . 44
8.
TABLE DES FIGURES II.1
Kentsel yenileme alanı (secteur de rĂ©novation urbaine). Source : KIP- TAS, SĂŒleymaniye Sunum, 30.12.2009 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 50 II.2 Ancienne photo de SĂŒleymaniye. Source : KIPTAS, SĂŒleymaniye Su- num, 30.12.2009 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 51 II.3 PĂ©rimĂštre du projet prioritaire. Source : KIPTAS, SĂŒleymaniye Sunum, 30.12.2009 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 52 II.4 Situation de lâĂźlot 565 dans le quartier. Source : KIPTAS, SĂŒleymaniye Sunum, 30.12.2009 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 53 II.5 PrĂ©sentation de lâĂźlot 565 avant et aprĂšs projet. Source : KIPTAS, SĂŒ- leymaniye Sunum, 30.12.2009 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 54 II.6 Situation hier, aujourdâhui, demain. Source : KIPTAS, SĂŒleymaniye Sunum, 30.12.2009 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 55 II.7 Carte des projets de rĂ©novation sur la rive europĂ©enne. Source : (AGFE, 2009) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 59 III.1 Exemple de façadisme. Source : photo prise en juin 2010 . . . . . . . . 72 III.2 Façade rĂ©novĂ©e par KUDEB. Source : photo prise en juin 2010 . . . . . 73 III.3 RĂ©habilitation privĂ©e dâune rue par lâarchitecte Monsieur Y. Source : photo prise en juin 2010 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 75 III.4 RĂ©habilitation dâune rue rĂ©alisĂ©e par KUDEB. Source : photo prise en juin 2010 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 76 III.5 Maison rĂ©habilitĂ©e disproportionnĂ©e. Source : photo prise en juin 2010 77 III.6 Exemples de logements construits de KIPTAS. Source : http ://www.kiptas.com.tr . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 87 III.7 Organigrammes du projet de Balat. Source : DâaprĂšs les entreriens avec D. Aslan et H. Gargin . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 91 III.8 Organigrammes du projet de SĂŒleymaniye. Source : DâaprĂšs les entre- riens avec D. Aslan et H. Gargin et Melle Z . . . . . . . . . . . . . . . . 92 III.9 Etat dâun ilĂŽt aprĂšs de multiples destructions illĂ©gales. Source : photo prise en juin 2010 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 96 III.10Des enfants jouent dans les ruines dâun immeuble. Source : photo prise en juin 2010 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 98 III.11Des enfants jouent dans les ruines dâun immeuble. Source : photo prise en juin 2010 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 99 III.12Source : photo prise en juin 2010 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 103 iv
9.
Introduction A Le projet
de rĂ©novation de SĂŒleymaniye entre inter- vention urbaine et politique : la mise aux normes dâun quartier au service dâenjeux identitaires et internatio- naux « RĂ©activer la culture ottomane », « retrouver le quartier de SĂŒleymaniye » ... tels sont les slogans portĂ©s par les dĂ©fenseurs du projet de rĂ©novation de SĂŒleymaniye. SĂŒleymaniye est un quartier de la pĂ©ninsule historique dâIstanbul. Il est reconnu pour la richesse de son patrimoine architectural, aussi bien monumental (la mosquĂ©e de Soli- man le MagniïŹque) que vernaculaire (les maisons en bois). Mais il est surtout le symbole de la grandeur ottomane. Au XVIĂšme siĂšcle, SĂŒleymaniye est connu pour ĂȘtre le lieu de rĂ©sidence des vizirs et des grands juges. Cette caractĂ©ristique identitaire se perpĂ©tue aujourdâhui par la prĂ©sence de fondations religieuses dans le quartier. Or, il est aussi un quartier trĂšs dĂ©gradĂ© et stigmatisĂ©. DĂ©gradĂ©, car lâĂ©tat du bĂąti, et a fortiori, des conditions de vie, y est dĂ©plorable. StigmatisĂ©, car le nom du quartier est aujourdâhui associĂ© aux chambres de cĂ©libataires qui le composent. Ces chambres sont louĂ©es Ă des jeunes tra- vailleurs qui la partagent le temps dâaccumuler de lâargent pour envoyer Ă leur famille, dans lâest du pays, en Anatolie ou encore dans la rĂ©gion de la mer Noire. Le quartier de KĂŒĂ§ĂŒkpazar Ă SĂŒleymaniye, est un des plus emblĂ©matiques de cette population immigrĂ©e (de lâintĂ©rieur). Ainsi, lâĂ©tat physique et le proïŹl social du quartier en font depuis les annĂ©es 2000 un terrain de projet. En 2006, la municipalitĂ© de lâarrondissement de Fatih dĂ©clare que SĂŒleymaniye est dĂ©sormais classĂ© zone de renouvellement. Si la nĂ©cessitĂ© dâune intervention nâest pas re- mise en question, les modalitĂ©s de ce projet sont pour le moins Ă interroger. Le tissu urbain de SĂŒleymaniye est classĂ© depuis 1985 au patrimoine de lâUNESCO. Pourquoi la
10.
INTRODUCTION municipalité prévoit-elle un
projet de rĂ©novation plutĂŽt quâun projet de rĂ©habilitation ? Cette question se pose dâautant plus que le projet prĂ©voit de reconstruire des maisons ottomanes conformĂ©ment Ă des photographies anciennes du quartier. Entre dĂ©molition et patrimonialisation, quelles sont les motivations et les ambitions de la municipalitĂ© ? En outre, pourquoi choisir le retour aux maisons ottomanes ? Quelle clientĂšle ce projet vise- t-il ? A.1 Un projet de rĂ©novation et dâexpulsion La dĂ©molition fait partie intĂ©grante du processus du projet. Sur les parcelles vidĂ©es du bĂąti antĂ©rieur, naĂźtront de nouvelles konaks, ou maisons ottomanes. Il sâagit dĂšs lors de sâinterroger sur le type de projet auquel on a affaire. Restauration ? RĂ©novation ? Des rĂ©fĂ©rences sont faites aux deux notions. DâaprĂšs le dictionnaire de la gĂ©ographie et de lâespace des sociĂ©tĂ©s (LĂ©vy, Lussault, 2003), la restauration comme la rĂ©novation sont des « types dâintervention architecturale ou urbanistique sur des espaces construits », en ce qui concerne le vocabulaire adminis- tratif et opĂ©rationnel français bien sĂ»r. Dans le cas de la restauration, il sâagit essentielle- ment dâ « un rapport admiratif au passĂ© qui vise Ă la conservation et implique une action de reconstruction Ă lâidentique »(LĂ©vy, Lussault, 2003, p 788). Le projet de SĂŒleymaniye semble ĂȘtre dans cet esprit. Le fait quâil ne prĂ©voit la construction uniquement de konaks montre bien le rapport idĂ©alisĂ© au passĂ© ottoman. Toutefois, si le projet vise bien la re- construction Ă lâidentique, par diverses photographies anciennes du quartier, on ne peut que remarquer quâil ne sâagit pas de conservation, ni de rĂ©habilitation, mais de destruction dans un premier temps. NĂ©anmoins, la rĂ©fĂ©rence Ă la restauration ne sâarrĂȘte pas Ă un rap- port admiratif -voire nostalgique- au passĂ©. Dâune part, la restauration est une pratique qui a des ïŹns ludiques et touristiques. Elle utilise et apprĂ©hende lâespace urbain comme un dĂ©cor. Il sâagit bien, lĂ , du projet de SĂŒleymaniye dont un des premiers objectifs est de promouvoir sur la scĂšne internationale lâimage dâune ville moderne, promotion qui passe Ă©galement par la touristiïŹcation de la ville. Dâautre part, elle est « un levier de gentriïŹca- tion » (ibid.), utilisĂ©e essentiellement dans les centres-ville dĂ©gradĂ©s et paupĂ©risĂ©s par le dĂ©part des propriĂ©taires en pĂ©riphĂ©rie et permet ainsi la rĂ©alisation de plus value immobi- liĂšre. Ce qui est Ă©galement le cas Ă SĂŒleymaniye oĂč nous sommes confrontĂ©s Ă un quartier dĂ©gradĂ© du centre ancien, dont le potentiel foncier et immobilier est trĂšs important. En ce qui concerne lâaction sur le bĂąti, la rĂ©fĂ©rence Ă la rĂ©novation est aussi pertinente puisque celle-ci fait « table rase pour Ă©diïŹer selon les normes en vigueur » (LĂ©vy, Lus- 2
11.
.A Le projet
de rĂ©novation de SĂŒleymaniye entre intervention urbaine et politique : la mise aux normes dâun quartier au service dâenjeux identitaires et internationaux sault, 2003, p789). AïŹn de justiïŹer cette opĂ©ration radicale, des rĂ©fĂ©rences sont faites dans les discours Ă la dĂ©gradation du bĂąti et au risque sismique. Lussault souligne le fait que « la rĂ©novation â alias destruction-reconstruction â se fait presque toujours au dĂ©triment des populations en place et il en rĂ©sulte dâimportants changements de statuts fonctionnels et sociaux de lâespace » (ibid.). Câest pourquoi cette pratique a rapidement Ă©tĂ© critiquĂ©e en France, notamment avec lâarrivĂ©e de la loi Malraux sur les secteurs sauvegardĂ©s qui dĂ©nonce ces pratiques bulldozers. NĂ©anmoins, elle est toujours utilisĂ©e, mĂȘme sâil sâagit souvent dâespace moins sacrĂ©, comme dans des reconversions industrielles ou des requa- liïŹcations de grands ensembles... Ainsi, le projet oscille entre deux pratiques radicales, qui sont souvent prĂ©sentĂ©es comme opposĂ©es, mais qui, dans le cadre du projet de SĂŒleymaniye, semblent para- doxalement complĂ©mentaires. En effet, lâesprit et les objectifs du projet relĂšvent de la restauration. Est-ce lâinïŹuence des mĂ©thodes europĂ©ennes et leur souci dâun retour Ă lâauthentique ? Ă ce propos, notons que cette idĂ©ologie nâest pas universelle. Les villes asiatiques ont plus souvent optĂ© pour un engagement dans des constructions modernes qui soulignent une rupture avec le passĂ©. Cette volontĂ©, de la part des autoritĂ©s turques, de rappeler le passĂ© ottoman se rĂ©pand Ă plusieurs niveaux. Certains parlent mĂȘme de nĂ©o-ottomanisme ou dâottomanisation. Ce qui pourrait ĂȘtre une particularitĂ© du projet. Toutefois, il sâagit de noter que cette rĂ©fĂ©rence au patrimoine fait partie des pratiques mondialisĂ©es et des atouts de ce que pourrait ĂȘtre une ville internationale. EnïŹn, il est in- dĂ©niable que le projet emprunte les mĂ©thodes de la rĂ©novation, qui passe par la destruction et implique dĂšs lors des consĂ©quences sociales et fonctionnelles que nous analyserons. Remarquons somme toute quâaucune rĂ©fĂ©rence nâest faite Ă la rĂ©habilitation dans le projet de la municipalitĂ©. Elle est pourtant une pratique plus modĂ©rĂ©e qui vise « le rĂ©ta- blissement dâun Ă©diïŹce ou dâun ensemble dâimmeubles dans ces capacitĂ©s Ă abriter des activitĂ©s et des habitants ». Elle sous-entend que « les principales caractĂ©ristiques de lâob- jet sont prĂ©servĂ©es et insĂ©rĂ©es dans un nouveau fonctionnement adaptĂ© au temps prĂ©sent ». Or, si la mairie ne sây rĂ©fĂšre pas pour le projet prioritaire de SĂŒleymaniye (pĂ©rimĂštre KIP- TAS 1), il sâagit de noter que des expĂ©riences de rĂ©habilitations ont nĂ©anmoins eu lieu par divers acteurs comme lâagence mĂ©tropolitaine KUDEB 2 et les propriĂ©taires eux-mĂȘmes. 1. La situation gĂ©ographique du quartier de SĂŒleymaniye, ainsi que le pĂ©rimĂštre du projet sont prĂ©sentĂ©s en annexe B, p 115 2. KUDEB est la direction de mise en oeuvre et de contrĂŽle de la conservation. Elle est une agence municipale qui a comme mission de dĂ©livrer les permis de construire pour des travaux mineurs de rĂ©paration. Elle est souvent invitĂ©e Ă rĂ©aliser ces travaux, lorsquâils sont mineurs. Ils concernent souvent la façade du bĂątiment. Pour plus dâinformations sur cette agence, se reporter Ă lâannexe C qui prĂ©sente les diffĂ©rents 3
12.
INTRODUCTION On note Ă©galement
une rĂ©habilitation. Celle de la mosquĂ©e de Soliman le MagniïŹque lancĂ©e par la grande municipalitĂ© dâIstanbul (IBB), Ă lâoccasion de lâĂ©vĂ©nement Istanbul, Capitale EuropĂ©enne de la Culture 2010. Ceci montre un rapport diffĂ©rent Ă lâarchitecture monumentale et Ă lâarchitecture vernaculaire. De fait, malgrĂ© les diffĂ©rents plans de sauvegarde, lâUNESCO menace de placer Is- tanbul sur la liste du patrimoine en danger depuis 2004. Sont remises en cause les restau- rations mal faites et les projets destructeurs qui se dĂ©veloppent depuis les annĂ©es 2000. En cette annĂ©e 2010, alors quâIstanbul est Capitale europĂ©enne de la Culture, lâUNESCO a placĂ© Istanbul sur la liste du patrimoine en danger pour une durĂ©e limitĂ©e ïŹn juillet. Le comitĂ© est revenu sur sa dĂ©cision depuis le mois dâaoĂ»t, mais il demande impĂ©rativement que des changements soient faits pour fĂ©vrier 2011 dans plusieurs projets urbains. Parmi les quatre principaux reproches Ă©noncĂ©s par lâUNESCO se trouve la politique de rĂ©nova- tion urbaine accĂ©lĂ©rĂ©e par la loi 5366, qui confĂšre aux municipalitĂ©s le droit et le pouvoir dâexproprier Ă lâintĂ©rieur de « zones de renouvellement ». Comment, Ă travers ce projet, les autoritĂ©s turques font-elles la promotion dâun patrimoine architectural reconstituĂ© au dĂ©triment de la population locale et du patrimoine mĂ©moriel, immatĂ©riel ? A.2 Un projet politique et identitaire Seules les illustrations de belles konaks 3 nous indiquent le type de public attendu. En effet, ces demeures Ă©taient rĂ©servĂ©es Ă lâaristocratie ottomane ou construites par de riches particuliers. La volontĂ© de « rĂ© »-introduire ce genre de rĂ©sidence dans le quartier de SĂŒleymaniye montre bien lâambition dâen changer le proïŹl social. Toutefois, rien nâest mentionnĂ© quant Ă la composition sociale du quartier. Aucun Ă©quipement nâest prĂ©vu. Ce projet semble ĂȘtre uniquement architectural, mais dans le choix de lâarchitecture, les konaks, le message semble clair : il sâagit de « rĂ©animer la culture ottomane » 4. Ainsi, il semble dâemblĂ©e que ce projet soit un projet rĂ©sidentiel pour une catĂ©gorie sociale bien spĂ©ciïŹque, aisĂ©e et en lien avec la culture ottomane. On note quâune bour- geoisie islamique Ă©merge dans les annĂ©es 1980. Elle est liĂ©e au pouvoir par un mode de vie commun, une esthĂ©tique commune, une afïŹnitĂ© historique, et des intĂ©rĂȘts Ă©cono- miques concrets. DĂšs lors la dimension politique du projet doublerait, ou du moins serait acteurs intervenant dans le projet. 3. Les konak sont les palais, rĂ©sidences ou grandes maisons construites durant dans lâEmpire ottoman par de riches particuliers ou membres de lâaristocratie. Elles sont souvent rĂ©alisĂ©es en bois, et comprennent une çikma (une avancĂ©e en encorbellement qui surplombe la rue et agrandit lâespace intĂ©rieur), et une entrĂ©e surĂ©levĂ©e par rapport au trottoir. 4. « Osmanli KĂŒltĂŒrĂŒnĂŒ yeniden Canlandirmak », lâexpress, Ayse Cavdar. 4
13.
.A Le projet
de rĂ©novation de SĂŒleymaniye entre intervention urbaine et politique : la mise aux normes dâun quartier au service dâenjeux identitaires et internationaux liĂ© Ă , son caractĂšre identitaire. Le parti au pouvoir depuis 2002 est lâAKP. Il est le parti de la justice et du dĂ©veloppement. Il naĂźt de la scission en 2001 du parti islamiste le Re- fah, parti du bien-ĂȘtre, de N. Erbakan. Remarquons quâen 2002, lâAKP obtient, avec prĂšs de 35% des voix, la majoritĂ© absolue au Parlement turc. Il occupe dĂ©s lors 363 des 550 siĂšges Ă la grande AssemblĂ©e nationale. « IdĂ©ologiquement, il nâest pas facile de quali- ïŹer lâAKP. Parti islamique, parti dâislamistes, parti de lâIslam politique, Islam modĂ©rĂ©, nĂ©o-islamisme, dĂ©mocratie musulmane... qui se dĂ©ïŹnit ofïŹciellement comme dĂ©mocrate conservateur » (Chenal, 2005). Il sâagit de souligner que trĂšs rĂ©cemment, le 12 septembre 2010, la montĂ©e en puissance de lâAKP a Ă©tĂ© conïŹrmĂ©e. Le rĂ©fĂ©rendum proposant de rĂ©- viser certaines dispositions de la Constitution de 1982 a Ă©tĂ© approuvĂ© Ă 58% des voix. Ce rĂ©fĂ©rendum proposait en particulier de « restructurer la hiĂ©rarchie judiciaire et de sou- mettre un peu plus lâautoritĂ© militaire Ă lâĂtat de droit » (OVIPOT, Marcou, 2010). Cette victoire aurait pour consĂ©quences dâaffaiblir lâĂ©tablissement militarojudiciaire, seule ins- tance susceptible de gĂȘner les actions de lâAKP dâaprĂšs J. Marcou (ibid.). « Le monde de lâAKP est un monde qui se pose en tant que bourgeoisie concurrente de celle nĂ©e aprĂšs la 2nde Guerre mondiale. Leur position est concurrentielle. Ils ont dĂ©cidĂ© de la vivre en y mettant une esthĂ©tique concurrente (foulards, architecture ânĂ©o- ottomaneâ...). On peut parler dâun entre soi de cette bourgeoisie non kĂ©maliste 5, qui ne se voit pas fondĂ©e sur les valeurs kĂ©malistes (de la rĂ©publique des annĂ©es 1920, jusquâaux annĂ©es 1950). En termes de chiffres, cette bourgeoisie AKP ne reprĂ©sente encore que 10 % des 500 familles turques qui paient le plus dâimpĂŽts » (DâaprĂšs un entretien avec Nora Seni, juillet 2010). Mais, il semble quâelle se dĂ©veloppe. La question identitaire est trĂšs importante ici. En ce sens, le projet serait instrumenta- lisĂ© par la politique de lâAKP. La rĂ©novation urbaine est ici lâinstrument dâenjeu politique Ă court terme (Ă©lections), et dâune question identitaire Ă plus long terme (imposer une nouvelle esthĂ©tique, des symboles de reconnaissance, de nouvelles valeurs). LâAKP, par ce projet, se lierait Ă ses partisans en leur offrant un environnement symbolique. Il sâagit dĂšs lors de prĂ©senter en introduction les enjeux urbains que connaĂźt la mĂ©ga- pole stambouliote aujourdâhui, ainsi que les projets prĂ©cĂ©dents appliquĂ©s Ă la pĂ©ninsule historique aïŹn de mettre en perspective le projet. Se fait-il en continuitĂ© ou rupture avec les plans prĂ©cĂ©dents ? Dans le corps de ce mĂ©moire, nous essaierons dans un premier temps de comprendre 5. Les kĂ©malistes sont les partisans de la RĂ©publique introduite en 1923 par Mustafa Kemal AtatĂŒrk. 5
14.
INTRODUCTION les motivations du
projet en partant dâune mise en contexte du quartier de SĂŒleymaniye comme quartier dĂ©gradĂ© dâune ville internationale, symbole de lâEmpire ottoman, mais aussi lieu stigmatisĂ© par sa population. Dans un second temps, il sâagira dâanalyser le projet que propose la mairie, Ă travers ses diffĂ©rents discours et le cadre politique et ju- ridique dans lequel il sâinscrit. EnïŹn, nous essaierons de comprendre les enjeux socio- Ă©conomiques et symboliques du projet qui ressortent Ă travers ses modalitĂ©s sâapplication. B Istanbul, une mĂ©gapole en pleine croissance Trois Ă©lĂ©ments majeurs doivent ĂȘtre pris en considĂ©ration pour comprendre la pression fonciĂšre que connaĂźt la ville dâIstanbul aujourdâhui, et, a fortiori, pour comprendre les enjeux des projets de renouvellement. B.1 Croissance dĂ©mographique Ă©levĂ©e DâaprĂšs les critĂšres de lâONU, Istanbul est une mĂ©gapole Ă lâĂ©chelle de la Turquie et du bassin mĂ©diterranĂ©en. En 2008, elle est une agglomĂ©ration urbaine rassemblant prĂšs de quinze millions dâhabitants, soit plus que la population de lâIle de France. En termes dĂ©mographiques, on note bien une « mĂ©gapolisation » dâIstanbul : sa population a presque triplĂ© depuis les annĂ©es 1980 6. En outre, la place dâIstanbul dans lâarmature urbaine turque va en sâafïŹrmant. Son aire urbaine a rattrapĂ© les dĂ©partements limitrophes, elle sâĂ©tend sur plus de 140 km de part et dâautre du Bosphore, comme lâIle de France qui sâĂ©tale sur plus de 130 km dâest en ouest. Depuis les annĂ©es 1980, « un spectaculaire changement de dimension sâest opĂ©rĂ© : Istanbul est devenue une rĂ©gion urbanisĂ©e » (PĂ©rouse, 2001, p 205). Sa croissance an- nuelle varie autour de 4 % par an, de 250000 Ă 350000 habitants (Ă titre de comparaison, la ville de Nantes compte plus de 290000 habitants), croissance comprenant une part dĂ©- terminante de dynamique migratoire. « En 1997, 63 % des habitants du dĂ©partement nây Ă©taient pas nĂ©s » (ibid.). Une des raisons qui explique cette croissance dĂ©mographique rĂ©side dans le fait quâIstanbul est un pĂŽle migratoire majeur. Si depuis les annĂ©es 1980, on note que les migrants sont globalement plus urbains que ruraux, on observe que les ïŹux nâont de cesse. Un ïŹux migratoire important en provenance des rĂ©gions kurdes Ă lâest du pays se fait ressentir en rĂ©action aux troubles qui sĂ©vissent dans ces rĂ©gions. Dâautre part, une proportion non nĂ©gligeable de migrants est composĂ©e dâĂ©trangers en transit qui 6. On passe de 4,7 millions Ă plus de 15 millions dâhabitants dans le dĂ©partement aujourdâhui. 6
15.
.B Istanbul, une
mĂ©gapole en pleine croissance tentent de gagner lâEurope (PĂ©rouse, 2002). Ces Ă©trangers de passage deviennent souvent des Ă©trangers clandestins qui peuvent rester trĂšs longtemps dans la capitale aïŹn dâobtenir les visas et faux papiers. Ce phĂ©nomĂšne migratoire important induit de nouveaux modes dâhabiter plus ou moins temporaires, dans la capitale. Ils traduisent des mobilitĂ©s entre le dĂ©partement dâorigine et la mĂ©tropole, voire entre la mĂ©tropole et lâĂ©tranger. Une des particularitĂ©s dâIstanbul est cette « population en mouvement » qui Ă©chappe au recensement (PĂ©rouse, 2001). B.2 Croissance Ă©conomique et culturelle : volontĂ© de faire une ville internationale de premier rang Istanbul concentre et produit une grande part de la richesse turque si on prend en compte le Grand Istanbul qui va jusquâĂ Izmit. Cette donnĂ©e est toutefois Ă nuancer par le fait que le dĂ©partement dâIstanbul est classĂ© au sixiĂšme rang national en fonction du revenu annuel par tĂȘte dâhabitants. En 1998, le Grand Istanbul concentre deux tiers des cinquante plus grands groupes industriels de la Turquie (Philsa, Arçelik...). Sur les 10 plus grands groupes, 9 ont leur siĂšge et leur principale unitĂ© de production dans le Grand Istanbul. Ces chiffres ofïŹciels peuvent ĂȘtre revus Ă la hausse si on ajoute le secteur in- formel qui est considĂ©rable Ă Istanbul. La moitiĂ© des secteurs industriels ou tertiaires ne seraient pas dĂ©clarĂ©s (OCDE, 2008). La prĂ©sence des grandes holdings turques donne forme Ă une polarisation ïŹnanciĂšre Ă Istanbul. La prĂ©sence boursiĂšre est Ă©galement forte, lâune des plus attractives au Proche et Moyen orient. Selon Morgan Stanley, la Turquie Ă©tait mĂȘme au 2e rang mondial des « marchĂ©s ïŹnanciers Ă©mergents » en 1996. En outre, lâafïŹrmation dâambitions internatio- nales se fait ressentir, mĂȘme si lâopacitĂ© et le dysfonctionnement administratifs freinent cet engouement. Ces Ă©volutions se traduisent dans lâespace. Depuis 1985, on observe une verticalisa- tion du bĂąti. Une multitude de tours dessine lâ« Istanbul Manhatani » sur lâavenue BĂŒyĂŒk- dere qui concentre la plupart des siĂšges sociaux des holdings. (Alarko, Banque Turc du Travail...) Dans les annĂ©es 1980, lâarchitecture commerciale se diffuse. Les Turcs font rĂ©fĂ©rence aux « centres commerciaux gĂ©ants » (cf. Akmerkez dâEtiler). Les nouvelles autoroutes et voies express Ă©galement marquent et fracturent le paysage. En outre, Istanbul maintient et accroĂźt son rĂŽle de centre culturel et attractif. 60 % des foires et expositions turques ont lieu Ă Istanbul en 1997. La ville dispose des infra- 7
16.
INTRODUCTION structures les plus
importantes (PĂ©rouse, 2007). Dans ce contexte, le tourisme dâaffaire, et de congrĂšs explose. Le rĂŽle touristique dâIstanbul est aussi probant pour la Turquie. On compte 2 millions de touristes Ă©trangers en 2000 Ă Istanbul sur les 9 millions accueillis dans toute la Turquie. Les quartiers touristiques sont essentiellement concentrĂ©s dans le centre ancien, dans les arrondissements de Fatih, EminönĂŒ, Beyoglu, Besiktas... Ce tou- risme prend la forme de gros investissements, des hĂŽtels de standing, mĂȘme dans les sites protĂ©gĂ©s et classĂ©s des rives du Bosphore, en mĂȘme temps que sont prĂŽnĂ©s des efforts en matiĂšre de qualitĂ© environnementale et de valorisation du patrimoine bĂąti. De 1980 Ă 2007, la capacitĂ© dâaccueil des hĂŽtels cinq Ă©toiles passe de 2000 Ă 10199. De mĂȘme, les centres commerciaux se multiplient (AGFE, 2009). Cette ville de 8000 ans dâhistoire est peu Ă peu transformĂ©e en ville globale. En 2010, Istanbul est capitale europĂ©enne de la culture. PrĂšs de 500 projets artis- tiques sont prĂ©vus dans lâagglomĂ©ration. Lâorganisation dâun tel Ă©vĂ©nement est un grand dĂ©ïŹ pour la Turquie entiĂšre, qui est candidate Ă lâentrĂ©e dans lâUnion EuropĂ©enne. Câest lâoccasion rĂȘvĂ©e pour les autoritĂ©s politiques de lancer des projets de « transformations urbaines ». Il sâagit de valoriser le patrimoine, et de se montrer sur la scĂšne internationale comme Ă©tant une mĂ©tropole moderne, contemporaine, occidentale. Toutefois, on note que le choix des monuments et des sites concernĂ©s par la restauration, fait souvent polĂ©mique. Korhan GĂŒmĂŒs, qui Ă©tait directeur des projets urbains au sein du comitĂ© dâorganisation dâIstanbul 2010, met en garde contre une tendance dans laquelle « la culture a tendance Ă ĂȘtre relĂ©guĂ©e au rayon loisirs, ou utilisĂ©e pour servir une idĂ©ologie. Il y a deux risques : essayer de vendre un passĂ© gloriïŹĂ©, et utiliser les fonds publics accordĂ©s Ă la culture pour dĂ©velopper le tourisme et les capacitĂ©s Ă©conomiques de la ville » (Perrier, le 17/01/2010, Le Monde). En effet, on remarque dans cet Ă©vĂ©nement que les dimensions marchande et touristique prĂ©valent sur lâĂ©thique historique ou urbaine. Or, cette ambition dâinterna- tionalisation de la ville semble dĂ©placĂ©e au regard des prĂ©occupations de la majoritĂ© des habitants, qui ne bĂ©nĂ©ïŹcient pas de ces mutations. Dâautre part, les multiples projets ne sâinscrivent pas jusquâĂ prĂ©sent dans une stratĂ©gie urbaine Ă lâĂ©chelle de lâagglomĂ©ration, mais se font plutĂŽt selon les opportunitĂ©s fonciĂšres, Ă coup de dĂ©lĂ©gations aux investisseurs privĂ©s. 8
17.
.B Istanbul, une
mĂ©gapole en pleine croissance B.3 Privatisation, spĂ©culation et Ă©talement urbain : une croissance urbaine non contrĂŽlĂ©e Depuis les annĂ©es 2000, lâĂtat turc adopte une posture de privatisation et vend peu Ă peu ses biens immobiliers et fonciers Ă des investisseurs privĂ©s. Cette dĂ©rĂ©gulation a pour consĂ©quences de multiplier les projets et la croissance urbaine au coup par coup, mais elle provoque Ă©galement une envolĂ©e des prix du foncier, due Ă la spĂ©culation. On voit naĂźtre des projets « spectaculaires » de tours de bureaux, de logements de standing ou encore de centres commerciaux gĂ©ants. Ces projets ne se font pas sans autorisations : ce sont les mairies dâarrondissement qui dĂ©livrent les permis de construire. Toutefois, il faut noter que ces mairies sont en concurrence les unes avec les autres pour accueillir les dâinvestis- seurs, elles ne freinent pas cette dynamique (PĂ©rouse, 2006). Un des signes de la difïŹcultĂ© Ă gĂ©rer la croissance urbaine est la multiplication des citĂ©s privĂ©es. La production de la ville est aux mains dâopĂ©rateurs privĂ©s qui construisent des « ensembles rĂ©sidentiels com- posĂ©s de villas et/ou dâimmeubles, fermĂ©s par une enceinte protĂ©gĂ©e et dotĂ©s de services et Ă©quipements le plus souvent rĂ©servĂ©s » (PĂ©rouse, 2002, p27). Leur gestion Ă©chappe aux pouvoirs publics. En 2001, on dĂ©nombre 270 citĂ©s privĂ©es, qui pourraient reprĂ©senter prĂšs de 100000 logements. Les publics cibles de ces rĂ©sidences sont les « gens de la ïŹnance et salariĂ©s des grands groupes internationaux » qui peuvent sâoffrir des villas de 500000 Ă 2M de $ (ibid.). Dans ces citĂ©s, les habitants vivent entre eux, comme « prĂ©servĂ©s », ils adoptent les mĂȘmes modes de vie, achĂštent les mĂȘmes voitures, mettent leurs enfants dans les mĂȘmes Ă©coles. LâhomogĂ©nĂ©itĂ© et le mimĂ©tisme marquent ces quartiers quâon promeut comme Ă©tant sĂ©curitaires, Ă haute garantie de civilitĂ©, dâenvironnement agrĂ©able. Chaque opĂ©ration est conçue dans lâignorance totale de son environnement proche, ce qui produit un paysage composite et hĂ©tĂ©roclite. Ces citĂ©s sont lâexpression de lâĂ©clatement socio- spatial dâIstanbul. Elles sont trĂšs liĂ©es au dĂ©pĂ©rissement des arrondissements centraux (PĂ©rouse, 2002). La ïŹgure 1 montre lâĂ©volution de lâurbanisation dâIstanbul, de la ville byzantine Ă la mĂ©gapole dâaujourdâhui. On remarque que la croissance urbaine explose Ă partir du XXĂšme siĂšcle. En effet, le schĂ©ma de lâĂ©volution de la population interne Ă Istanbul est simple. On observe une certaine dĂ©population du centre-ville et un dĂ©veloppement trĂšs rapide des arrondissements pĂ©riphĂ©riques. Par exemple, le quartier central dâEminönĂŒ 7 perd 4,84 % de sa population entre 1990 et 1997 tandis que celui de BĂŒyĂŒkçekmece, en 7. Il faut noter que lâarrondissement dâEminönĂŒ nâexiste plus depuis 2009, il a fusionnĂ© avec celui de Fatih. 9
18.
INTRODUCTION FIGURE 1: Carte
de la croissance urbaine dâIstanbul. Source fond de carte (PĂ©rouse, 2001) pĂ©riphĂ©rie sud-ouest en a gagnĂ© 14, 5 % (PĂ©rouse, 2001). Plusieurs logiques contribuent Ă cela : â La « citysation » de certains quartiers centraux convertis en activitĂ©s commerciales ou de bureaux, Ă plus grosse valeur ajoutĂ©e, au dĂ©triment de quartiers rĂ©sidentiels. â La logique de musĂ©iïŹcation du centre-ville Ă des ïŹns touristiques. â Une fuite des riches vers la pĂ©riphĂ©rie pour jouir de quartiers de standing qui sâac- compagne dâune forte dĂ©gradation du bĂąti ancien. Dans lâhypercentre, un logement sur quatre serait vacant dans le quartier de Beyoglu. En 1990, dix arrondissements sont crĂ©Ă©s aux marges de lâaire urbaine. Leur morpho- logie est en discontinuitĂ© avec les espaces centraux et ils sont reliĂ©s au centre par des au- toroutes qui traversent de nombreux no manâs land. Câest ce quâon appelle le phĂ©nomĂšne de pĂ©riurbanisation incontrĂŽlĂ©e 8, de mitage de plus en plus lointain impulsĂ© par les pro- moteurs qui cherchent les meilleures opportunitĂ©s fonciĂšres. Notons que ce phĂ©nomĂšne est source de surcoĂ»t en termes de rĂ©seaux et dâĂ©quipements de base ainsi que dâĂ©talement urbain. Il traduit un dĂ©calage entre la croissance dĂ©mographique et la croissance urbaine, cette derniĂšre ayant explosĂ©. 8. Il sâagit du phĂ©nomĂšne de mĂ©tropolisation, dans lâacceptation anglo-saxonne du terme. 10
19.
.C Le projet
de rĂ©novation de SĂŒleymaniye, continuitĂ© ou rupture avec les projets prĂ©cĂ©dents ? En effet, depuis les annĂ©es 2000, on note un paradoxe : alors que la croissance dĂ©- mographique ralentit, le parc de logement croĂźt trĂšs rapidement. Il pourrait accueillir prĂšs de 25 millions de personnes, ce qui reprĂ©sente presque le double de la population re- censĂ©e en 2008. Ce phĂ©nomĂšne sâexplique en partie par lâarrivĂ©e de nouveaux modĂšles familiaux et lâaugmentation relative du niveau de vie des stambouliotes qui sâaccompagne dâun phĂ©nomĂšne de dĂ©cohabitation, de desserrement des mĂ©nages. Or, la plupart des nou- velles opĂ©rations de promotion immobiliĂšre sont luxueuses et ne correspondent pas Ă la demande dâune grande partie de la population non solvable. On observe alors un hiatus entre la production du bĂąti et la demande. La dĂ©mission des pouvoirs publics en termes de stratĂ©gie fonciĂšre nâa fait quâaccĂ©lĂ©rer le dĂ©veloppement de lâaire urbaine qui sâĂ©tale de plus en plus (PĂ©rouse, 2006). C Le projet de rĂ©novation de SĂŒleymaniye, continuitĂ© ou rupture avec les projets prĂ©cĂ©dents ? C.1 La politique de transformation urbaine comme outil de gestion de lâurbanisation depuis les annĂ©es 2000 Certains quartiers dâIstanbul se dĂ©gradent Ă grande vitesse. En effet, la ville dâIstan- bul sâest dĂ©veloppĂ©e trĂšs rapidement avec les diffĂ©rentes vagues dâimmigration de 1950 et de 1970. Cet afïŹux de population a engendrĂ© une urbanisation informelle, dans les quar- tiers centraux pour la premiĂšre vague surtout, dans les quartiers pĂ©riphĂ©riques pour les vagues dâimmigration plus rĂ©centes. Or, comme vu prĂ©cĂ©demment, les quartiers centraux perdent de la population. Ce sont notamment les populations les plus aisĂ©es qui partent du centre pour vivre en pĂ©riphĂ©rie, dans des quartiers de standing. Ainsi, on observe deux phĂ©nomĂšnes. Dâune part, une dĂ©gradation du bĂąti ancien est Ă lâĆuvre dans ces quartiers centraux comme Fatih. Dâautre part, le bĂąti informel, souvent construit avec des matĂ©riaux de rĂ©cupĂ©ration et de bois, est mal perçu par les autoritĂ©s publiques. Cela va conduire la puissance publique Ă mener une politique de transformation urbaine, kentsel dönĂŒsĂŒm en turc. Ce type de bĂąti populaire irait Ă lâencontre des ambitions dâinternationalisation et de modernitĂ© dâIstanbul dâaprĂšs les Ă©lites politiques. Depuis son arrivĂ©e au pouvoir, le maire Kadir Topbas encourage les « grands projets urbains ». Il tend Ă remodeler le tissu urbain pour lui confĂ©rer une image plus contempo- raine. Les grands Ă©vĂ©nements nationaux et internationaux sont dans ce contexte le prĂ©texte 11
20.
INTRODUCTION pour « moderniser
» la ville. Câest dans ce cadre quâune loi est votĂ©e en 2005 sur la « rĂ©no- vation pour la prĂ©servation et le rĂ©emploi des biens historiques et culturels immobiliers en dĂ©labrement ». On lâappelle plus frĂ©quemment la loi 5366. Son objectif est de permettre Ă toutes les administrations de reconstruire et restaurer 9 -rĂ©nover en rĂ©alitĂ©- des biens his- toriques et culturels immobiliers classĂ©s par le Conseil de protection des biens culturels et naturels. Ces "zones de renouvellement" sont dĂ©signĂ©es par lâassemblĂ©e municipale, et les projets sont rĂ©alisĂ©s par la municipalitĂ© concernĂ©e. Elle peut toutefois dĂ©lĂ©guer ce rĂŽle Ă toute autre personne morale, comme le TOKI par exemple. Le TOKI est lâadministra- tion du logement collectif. Depuis le milieu des annĂ©es 1990, le TOKI sâintĂ©resse aussi au parc de logements anciens dans les tissus historiques 10(electrOUI, 2006). DâaprĂšs lâarticle 51 de cette loi sur la rĂ©novation, des conseils locaux devaient ĂȘtre crĂ©Ă©s pour suivre les travaux localement, Ă lâĂ©chelle du projet. LâĂ©vacuation, et la des- truction du bĂąti doivent se faire dâun commun accord avec le propriĂ©taire. Toutefois, en cas de dĂ©saccord, lâexpropriation est tout Ă fait possible et prĂ©vue. Ce projet de rĂ©nova- tion urbaine sâinscrit dans une dĂ©marche de planiïŹcation stratĂ©gique de la municipalitĂ© mĂ©tropolitaine, IBB 11, qui intervient dans les quartiers historiques prĂ©caires tels que SĂŒ- leymaniye, Sulukule, Balat et bien dâautres... Pour le seul arrondissement de Fatih, une dizaine de projets sont prĂ©vus, ce qui est considĂ©rable. Or, on remarque rapidement que ces projets de rĂ©novation ne tiennent pas compte des rĂ©alitĂ©s historiques de la ville. Ils se font surtout dans le souci de procurer une image europĂ©enne 12 Ă Istanbul. Ces projets sont pour la plupart des projets de destruction, reconstruction et ne prĂ©- voient pas de procĂ©dure de relogement pour les habitants. « Expropriations et dĂ©molitions demeurent en effet le lot commun de millions de rĂ©sidents dans le monde (Un-Habitat, 2003). Il sâagit dâun phĂ©nomĂšne aussi massif que peu Ă©tudiĂ©, Ă contre-courant du credo de rĂ©gularisation -des quartiers irrĂ©guliers- martelĂ©s dans les instances internationales. On doit ajouter que ses effets sont aujourdâhui dĂ©cuplĂ©s par lâĂ©viction du logement par le secteur privĂ© (Durand-Lasserve, 2006) dans les mĂ©tropoles les plus tendues sur le plan foncier et immobilier, oĂč sâopposent constamment Ă©viction et empiĂštement silencieux par 9. Le terme restaurer est employĂ© par la grande municipalitĂ© dâIstanbul (IBB) et les dĂ©fenseurs de cette politique de transformation urbaine, mais il sâagit en rĂ©alitĂ© de rĂ©novation, puisque lâĂ©tape de la destruction de lâexistant est omniprĂ©sente. 10. Pour plus dâinformations sur le TOKI, se reporter Ă lâannexe C qui prĂ©sente les acteurs intervenant dans le projet de rĂ©novation 11. Istanbul BĂŒyĂŒksehir Belediyesi 12. Lâexpression image europĂ©enne est paradoxale. Elle est utilisĂ©e ici dans le sens oĂč les projets ont pour objectif de donner une image moderne Ă Istanbul, et in ïŹne montrer que la mĂ©gapole a sa place dans lâEurope. Or, bien sĂ»r, le passĂ© historique revendiquĂ© est ottoman. 12
21.
.C Le projet
de rĂ©novation de SĂŒleymaniye, continuitĂ© ou rupture avec les projets prĂ©cĂ©dents ? les populations privĂ©es de logement rĂ©gulier (Bayat, 1997) » (Deboulet, 2009, p1). Comment cela se concrĂ©tise-t-il Ă Istanbul ? Comment lâespace urbain de ces quar- tiers dĂ©crĂ©tĂ©s de rĂ©novation est-il en pleine reconïŹguration sociologique ? Les stratĂ©gies dâaction sont-elles les mĂȘmes dans ces quartiers ? Quels sont les diffĂ©rences ou points communs de lâapplication des projets de rĂ©novation dans ces quartiers ? Une fois, les principaux enjeux urbains stambouliotes posĂ©s, il sâagit de se centrer un peu plus sur le quartier Ă lâĂ©tude, et plus gĂ©nĂ©ralement sur la pĂ©ninsule historique. C.2 Des plans de protection du patrimoine qui visent le dĂ©veloppe- ment touristique de la pĂ©ninsule historique En 1985, lâUNESCO classe la pĂ©ninsule historique au patrimoine mondial de lâHuma- nitĂ©, dâabord par lâintermĂ©diaire de quatre quartiers : Sultanahmet, SĂŒleymaniye, Zeyrek et les Murailles de ThĂ©odose II. Dix ans aprĂšs, en 1995, toute la pĂ©ninsule est classĂ©e. Ces secteurs doivent alors ĂȘtre protĂ©gĂ©s, sauvegardĂ©s : câest la condition. Ce nâest quâaprĂšs ce premier classement, par une instance internationale, que la pĂ©ninsule historique est ins- crite sur le registre des biens nationaux. Plusieurs plans de protection sont alors conçus en 1990, 1998, 2003, et enïŹn, en 2004 la municipalitĂ© lance le projet « Istanbul-Ville MusĂ©e » (Istanbul MĂŒze Kent Projesi, soit IMĂKEP). Ces plans ont comme objectif de protĂ©ger le patrimoine. Toutefois, sâils sont dits de « sauvegarde », ces plans nâopĂšrent pas de choix clair en gĂ©nĂ©ral. En ce qui concerne le plan de 2003 notamment, quatre scĂ©na- rios sont proposĂ©s, tous sont plus ou moins subordonnĂ©s Ă des objectifs touristiques, mais reste construit selon des identitĂ©s diffĂ©rentes. Lâaccent est mis sur les zones de logement, de commerces, dâĂ©quipement ou de tourisme. Comment mettre en avant une fonction de la ville au dĂ©triment des autres ? Le fait que la municipalitĂ© ne choisisse pas un seul des quatre scĂ©narios rend le plan inapplicable dans la pratique, car ses schĂ©mas sont contra- dictoires sur plusieurs aspects. On note une absence de proposition concrĂšte, ce qui remet en question de la lĂ©gitimitĂ© du plan. De plus, ces plans gardent une approche fonctionnelle (et non territoriale). Ils ne prĂ©voient pas dâarticulation avec le grand Istanbul, la pĂ©ninsule historique y est considĂ©rĂ©e comme isolĂ©e de son contexte (Ăzel, 2004). EnïŹn, en ce qui concerne le projet IMĂKEP, Erdogan, le premier ministre, dĂ©clare dĂ©but 2004 quâil faut « sauver et prĂ©server la pĂ©ninsule historique, la faire « regagner » aux Stambouliotes, Ă la Turquie et Ă lâhumanitĂ© » ; il dĂ©clare Ă©galement que les quartiers de Beyoglu, SĂŒleymaniye, Zeyrek, Fener et Balat sont part importante des projets prĂ©vus. Pour cela, les ateliers crĂ©ateurs de « pollution visuelle » seront transfĂ©rĂ©s. Les « Ă©diïŹces 13
22.
INTRODUCTION ayant perdu leur
identitĂ© » seront rĂ©habilitĂ©s. La presse annonce que pour EminönĂŒ 4834 ateliers doivent fermer et dĂ©mĂ©nager (PĂ©rouse, 2007). Il sâagit de faire du centre-ville his- torique, un lieu protĂ©gĂ© et touristique avant tout. Comme zones pilotes sont choisis les quartiers de Zeyrek et SĂŒleymaniye. Mais ce projet nâa jamais Ă©tĂ© mis en Ćuvre concrĂšte- ment. Les projets de rĂ©novation lâont doublĂ©. En outre, on remarque que depuis lâarrivĂ©e au pouvoir de lâAKP dans les annĂ©es 1990-2000, un seul aspect du patrimoine est reven- diquĂ© : celui de la pĂ©riode ottomane. « La chambre des architectes dĂ©nonce fermement une conception sĂ©lective de la protection du patrimoine dans ce plan de sauvegarde. Une conception nationaliste qui tend Ă protĂ©ger tout ce qui concerne la pĂ©riode ottomane et rien dâautre » (Ăzel, 2004). Ainsi, les projets prĂ©cĂ©dents sont essentiellement des projets Ă des ïŹns de protection du patrimoine et de dĂ©veloppement touristique. Le projet de rĂ©novation sâinscrit-il dans cette politique ? C.3 Un projet rĂ©sidentiel qui semble inĂ©dit AïŹn dâintroduire le projet de SĂŒleymaniye, partons de la source principale et premiĂšre du projet : son document de promotion. En effet, le projet en tant que tel nâest absolument pas communiquĂ© par les instances municipales. Il sâagit de sâen tenir Ă la promotion qui en est faite sur le site internet de la mairie de lâarrondissement de Fatih, dâanalyser cette source publique, de la mettre en perspective, de la relativiser et dâen comprendre les li- mites, sa dimension marketing. Quelle clientĂšle ce document vise-t-il ? Ă qui vend-on ce projet ? Tout dâabord, ce document est situĂ© sur le site internet de la municipalitĂ© de Fatih, et non de la grande municipalitĂ© dâIstanbul. On peut alors en conclure que câest la munici- palitĂ© dâarrondissement qui est Ă lâinitiative du projet, quâelle en est le maĂźtre dâouvrage. Ceci est possible depuis la loi 5366 de 2005 prĂ©sentĂ©e en amont. On trouve ce document dans la rubrique projeler, (projets), et dans le chapitre Yenileme projeleri (projets de rĂ©no- vation). Le document prĂ©sentĂ© est datĂ© du 28 octobre 2009, ce qui est trĂšs tardif comparĂ© Ă la mise en Ćuvre du projet qui commença dĂšs 2006. Cela souligne un manque de com- munication remarquable de la part de la mairie. Le projet intervient dans le cadre dâune politique de kentsel dönĂŒsĂŒm, qui signiïŹe « transformation urbaine » 13. Cette politique est symptomatique de lâintervention urbaine par les instances publiques depuis les annĂ©es 2000. Elle est Ă lâorigine de tous les projets de rĂ©novation lancĂ©s depuis le vote de la loi 13. Nous dĂ©taillerons cette notion dans la partie 1 14
23.
.C Le projet
de rĂ©novation de SĂŒleymaniye, continuitĂ© ou rupture avec les projets prĂ©cĂ©dents ? 5366. « Le projet porte sur le patrimoine historique et culturel de SĂŒleymaniye, zone dĂ©- clarĂ©e de renouvellement le 24/06/2006 (publiĂ© au JO 2006/10501), il a pour ambition de renouveler lâutilisation du patrimoine immobilier » 14. Ă la suite de ce prĂ©ambule, un paragraphe retrace briĂšvement lâhistoire du quartier aïŹn dâen montrer lâimportance et le symbole. Câest un quartier nĂ© avec la construction de la grande mosquĂ©e et du complexe de SĂŒleymaniye, tous deux commandĂ©s par Soliman le MagniïŹque au XVIe siĂšcle. Le texte exprime clairement que ce quartier Ă©tait rĂ©servĂ© Ă une classe spĂ©ciïŹque et riche durant lâEmpire ottoman, et que depuis le XXe siĂšcle, il sâest paupĂ©risĂ© et a connu des dĂ©gradations, des incendies... Mais quâaujourdâhui des « prioritĂ©s » touristiques ont gagnĂ© le quartier. Les objectifs du projet sont de « crĂ©er un systĂšme ïŹable, un habitat vivable et du- rable ; lutter contre les dangers et risques des dĂ©gradations de lâarchitecture ; et de proïŹter de lâeffet positif national et international de la nomination dâIstanbul comme capitale europĂ©enne de la culture pour dĂ©velopper les valeurs historiques et culturelles de Fatih (en dĂ©veloppant les secteurs des services, commercial, touristique et culturel) ». Et ce, en suivant trois rĂšgles : « savoir gĂ©rer le changement, respecter les valeurs humaines et historiques, et enïŹn, avoir une approche globale et participative » 15. VoilĂ la dĂ©claration dâintention de la mairie. Elle est illustrĂ©e de quelques plans, coupes et perspectives mon- trant « hier », « aujourdâhui » et « demain ». Notons que rien nâest mentionnĂ© quant Ă lâamĂ©nageur, le maĂźtre dâĆuvre, les ïŹnancements, les temps et les modalitĂ©s du projet. Ă ce stade, il apparaĂźt que le projet de rĂ©novation sâinscrit bien en continuitĂ© avec les plans prĂ©cĂ©dents. Il sâagit avant tout dâembellir le quartier Ă des ïŹns touristiques. Cepen- dant, rien nâest mentionnĂ© sur le public visĂ©. Pour en savoir plus, il sâagit dâanalyser la programmation du projet. DâaprĂšs un entretien avec une architecte de KIPTAS 16 il apparaĂźt que le projet soit essentiellement rĂ©sidentiel. A priori, quasiment aucun Ă©quipement touristique ne serait prĂ©vu. Comme vu en amont, ce projet serait destinĂ© Ă une catĂ©gorie sociale bien spĂ©ci- ïŹque, aisĂ©e et en lien avec la culture ottomane 17. Câest cet enjeu identitaire du projet qui semble crĂ©er une rupture avec les plans prĂ©cĂ©dents et mĂȘme avec les autre projets de rĂ©- novation. Il sâagit dĂšs lors de sâinterroger sur les fondements, les cadres et les modalitĂ©s 14. Traduction du site internet de la municipalitĂ© de Fatih consultĂ© le 10 mai 2010. 15. Traduction du site internet de la municipalitĂ© de Fatih consultĂ© le 10 mai 2010. 16. KIPTAS la sociĂ©tĂ© immobiliĂšre de construction dâIstanbul, elle appartient Ă 50% Ă la grande munici- palitĂ© dâIstanbul, (IBB). Pour plus de dĂ©tails, se reporter Ă lâannexe C. Le chapitre III-C fait aussi lâanalyse de cet acteur. 17. Lâanalyse des discours et de la programmation du projet est plus dĂ©taillĂ©e dans le chapitre II-A, p49. 15
24.
INTRODUCTION dâapplication de ce
projet. D MĂ©thodologie Ce mĂ©moire a Ă©tĂ© rĂ©digĂ© Ă lâissue dâun stage de trois mois Ă lâIFEA (Institut Français dâEtudes Anatoliennes) Ă Istanbul, du 21 avril au 23 juillet. Câest grĂące Ă ce stage que les donnĂ©es concernant le projet de SĂŒleymaniye ont pu ĂȘtre rĂ©coltĂ©es et analysĂ©es. En effet, les donnĂ©es quâelles soient sur le quartier de SĂŒleymaniye ou sur le projet lui-mĂȘme sont rares. Tandis que dâautres projets de rĂ©novation comme ceux de Balat ou de Sulukule ont Ă©tĂ© beaucoup traitĂ©s, aucun article francophone ou anglophone nâa Ă©tĂ© Ă©crit sur le projet de SĂŒleymaniye. Le contraste entre ce quartier et dâautres est remarquable. On ressent une certaine concentration des recherches europĂ©ennes sur quelques quartiers, plus mĂ©diatisĂ©s, ou qui portent un intĂ©rĂȘt plus symbolique dâun point de vue europĂ©en. Par exemple, Sulukule Ă©tait lâun des plus vieux quartiers dâimplantation Rom. En outre, les donnĂ©es socio-Ă©conomiques locales ofïŹcielles semblent inaccessibles Ă©tant donnĂ© les problĂšmes auxquels est confrontĂ© le quartier. La municipalitĂ© ne communique aucune donnĂ©e comme les recensements, les enquĂȘtes, ni mĂȘme les projets de façon prĂ©cise. Jâai ainsi apprĂ©hendĂ© le projet grĂące Ă des entretiens avec divers acteurs. Deux moments dâenquĂȘte sont Ă dissocier dans mon travail de terrain. Dâune part, une sĂ©rie dâentretiens a Ă©tĂ© menĂ©e auprĂšs dâacteurs en lien plus ou moins Ă©troit avec le projet. Il sâagit dâacteurs municipaux, de professionnels de lâamĂ©nagement, de chercheurs ou encore de mouvement en rĂ©action Ă ce projet... etc 18. Ces entretiens ont le plus souvent Ă©tĂ© rĂ©alisĂ©s en anglais et Ă deux, avec Annabelle Lopez rĂ©alisant le mĂȘme travail sur un autre quartier de la pĂ©ninsule historique. Dâautre part, une courte enquĂȘte auprĂšs des habitants a Ă©tĂ© menĂ©e sur place. Ce travail dans le quartier a Ă©tĂ© menĂ© sur une pĂ©riode de quinze jours. Sur cette pĂ©riode, cinq jours entiers ont Ă©tĂ© consacrĂ©s Ă un travail dâenquĂȘte auprĂšs des habitants, commerçants et autres personnes frĂ©quentant le quartier, soit les 3, 8, 9, 15 et 17 juin. Pour ce travail, une Ă©tudiante en sociologie, turque et francophone, mâa accompagnĂ©e. Elle me traduisait rĂ©guliĂšrement le sujet de la conversation pour que je puisse rĂ©agir le cas Ă©chĂ©ant, mais nous veillions Ă ne pas casser lâentretien. Nous faisions un point Ă chaque ïŹn dâentretien pour prendre en notes tout ce qui avait Ă©tĂ© mentionnĂ©, surtout quand lâentretien nâavait pas pu ĂȘtre enregistrĂ©. Notons Ă©galement que nous avons choisi un point de repĂšre, une lokanta (restaurant populaire) oĂč nous allions Ă chaque 18. Voir la liste des personnes interviewĂ©es en annexe. 16
25.
.D MĂ©thodologie fois. Nous
avons ainsi pu interroger le tenant de cette lokanta, un client habituĂ©... Ce repĂšre nous a Ă©tĂ© prĂ©cieux pour un certain nombre dâinformations et de contacts. Ces entretiens ont Ă©tĂ© de rĂ©elles sources pour mon mĂ©moire, et revĂȘtent deux dimen- sions : un aspect informationnel et un aspect qualitatif. Lâaspect informationnel est surtout valable pour la premiĂšre sĂ©rie dâentretiens qui mâa donnĂ© des informations sur le contexte des projets de la pĂ©ninsule historique et le cadre juridico-politique du projet. Toutefois, le projet de SĂŒleymaniye reste trĂšs peu connu, mĂȘme Ă lâĂ©chelle de ces acteurs. Lâaspect qua- litatif est surtout valable pour lâenquĂȘte de terrain dans laquelle quatre thĂšmes ressortent du croisement des entretiens : â les parcours personnels et rĂ©sidentiels des personnes interrogĂ©es â leur rapport au quartier et lâhistoire rĂ©cente - les Ă©volutions rĂ©centes â quâils en font â leur apprĂ©hension du projet â leur connaissance des dĂ©tails du projet Il sâagit dĂ©sormais de souligner lâutilisation dâautres sources comme les sources biblio- graphiques, la presse, les sites internet des municipalitĂ©s et de leurs entreprises, et enïŹn les rapports ofïŹciels de certaines institutions comme lâUNESCO, lâOCDE, Un-habitat... Elles ont Ă©galement Ă©tĂ© prises en compte et analysĂ©es. Ă cet Ă©gard, une monographie sur Istanbul a Ă©tĂ© rĂ©digĂ©e avant de partir en stage, dans le cadre de lâoption Expertise Interna- tionale des Villes en DĂ©veloppement. Elle nous a permis de construire une bibliographie prĂ©alable au stage. La base de donnĂ©es de lâIFEA, fut sur place, dâun grand soutien. EnïŹn, dâautres sources moins formelles ont aussi inïŹuencĂ© mon travail en mâaidant Ă mâimprĂ©gner du contexte stambouliote. Il sâagit dâĂ©changes avec dâautres Ă©tudiants, sta- giaires, doctorants, chercheurs, concernant de prĂšs ou de loin le sujet ; de la participation Ă des visites (excursions urbaines et expositions), des forums (comme le forum social eu- ropĂ©en), des confĂ©rences, encadrĂ©es ou non par lâIFEA, des Ă©vĂšnements de solidaritĂ©... A ce titre le personnel administratif, les stagiaires et surtout les chercheurs prĂ©sents Ă lâIFEA, ainsi que les professeurs qui encadrent ce mĂ©moire, mâont Ă©tĂ© dâune grande aide. Les conseils donnĂ©s, tant au niveau du travail de terrain quâau niveau de lâorganisation du mĂ©moire, mâont Ă©tĂ© prĂ©cieux. Ce mĂ©moire est donc le fruit dâune Ă©tude encadrĂ©e et menĂ©e sur sept mois, dont trois mois sur place. Les recherches sur les projets de rĂ©novation en gĂ©nĂ©ral Ă Istanbul ont commencĂ© dĂšs ïŹn janvier dans le cadre de lâoption EIVD et se sont perpĂ©tuĂ©es jusquâĂ la ïŹn de la rĂ©daction du mĂ©moire en septembre 2010. 17
26.
INTRODUCTION 18
27.
Chapitre I Comprendre le
projet de rĂ©novation de SĂŒleymaniye Dans ce chapitre nous essaierons de dĂ©terminer les principales causes ou motivations du projet. Pourquoi SĂŒleymaniye, qui est terrain de projet de protection depuis de nom- breuses annĂ©es, fait-il depuis 2006 lâobjet dâun projet de rĂ©novation ? Il sâagit de montrer dans un premier temps que le contexte de la mondialisation pousse, depuis les annĂ©es 1990, Ă des projets de restructuration dans les villes dites internationales. Toutefois, le quartier de SĂŒleymaniye nâest pas ordinaire, ni pour Istanbul ni pour le pouvoir en place, il est le symbole du passĂ© ottoman de la ville. Son projet sera donc dâautant plus sin- gulier. EnïŹn, quel Ă©tat physique, fonctionnel et sociologique peut-on dresser du quartier aujourdâhui ? A Injonction internationale Ă la restructuration urbaine A.1 Lâinjonction au marketing urbain... DâaprĂšs les auteurs de lâouvrage villes internationales publiĂ© en 2007, un des effets de la mondialisation est lâinjonction au marketing urbain qui impose des restructurations aussi bien urbaines quâĂ©conomiques, et donc des marchĂ©s de lâemploi, dans les villes dites internationales. Une compĂ©tition internationale est Ă lâĆuvre, notamment dans les villes Ă©mergentes, pour donner une image moderne. « De nombreuses mĂ©tropoles du Sud par- ticipent pleinement Ă des manifestations multiformes dâinternationalisation qui dĂ©passent les seuls Ă©changes Ă©conomiques » (Berry-Chikhaoui, Deboulet, Roulleau-Berger, 2007,
28.
CHAPITRE I. COMPRENDRE
LE PROJET DE RĂNOVATION DE SĂLEYMANIYE p8). Il sâagit de se situer dans le rĂ©seau archipel de grands pĂŽles Ă©conomiques aïŹn dâatti- rer les ïŹux internationaux dâinvestissements (Veltz, 1996). Cette internationalisation passe pour Istanbul par la reconquĂȘte du centre historique et des territoires indĂ»ment accaparĂ©s, la reproduction dâarchĂ©type architecturaux comme le nĂ©o-ottomanisme, lâĂ©tablissement de population aux revenus Ă©levĂ©s pour qui sont destinĂ©s ces projets, la promotion de lâatout culturel, conïŹrmĂ© par le fait quâen 2006 Istanbul est Ă©lue capitale europĂ©enne de la culture pour 2010... Dâailleurs, lâĂ©vĂ©nement Istanbul, Capitale EuropĂ©enne de la Culture 2010, montre bien un paradoxe. A la fois, en cette annĂ©e 2010 on prĂŽne les valeurs mul- ticulturelles dâIstanbul. A ce titre, un festival tzigane, le festival hidrillez, est reprit par lâorganisation Istanbul 2010. Et, en mĂȘme temps, on expulse des milliers de roms de leur quartier avec le projet de Sulukule... Comme pour les autres mĂ©tropoles en compĂ©tition sur la scĂšne mondiale, on note Ă Istanbul une certaine uniformisation des modĂšles urba- nistiques et la croissance du rĂŽle des organismes transnationaux et des entreprises privĂ©es dans lâapplication de ces politiques urbaines. DâaprĂšs JF PĂ©rouse, il sâagit dâune « mise aux normes, mise en marque » qui se traduit par trois dĂ©clinaisons : lâinïŹation de projets de transformation urbaine, le dĂ©ploiement dâune politique de tourisme international, dâaf- faires et de congrĂšs, et enïŹn le dĂ©veloppement de technopĂŽles comme outils de prestige. Cette internationalisation dirigĂ©e par les autoritĂ©s turques depuis les annĂ©es 1990 vise Ă pourvoir Istanbul dâun certain nombre dâ « atouts distinctifs sans lesquels elle ne pourrait participer Ă la grande compĂ©tition » (PĂ©rouse, 2007, p32). Lâargument du risque sismique est ici mis Ă proïŹt pour justiïŹer cette politique qui touche aussi bien les centres histo- riques dĂ©gradĂ©s que les quartiers spontanĂ©s, gecekondu, en pĂ©riphĂ©rie. En effet, dâaprĂšs un document de promotion de la politique de kentsel dönĂŒsĂŒm 1 rĂ©alisĂ© par la mairie de lâarrondissement de Fatih en 2007 : « Les problĂšmes qui doivent ĂȘtre rĂ©solus en termes de construction et dâurbanisme sont les suivants : â Lâurbanisation non planiïŹĂ©e â Le fait que notre arrondissement possĂšde les caractĂ©ristiques physiques et sociales nĂ©gatives de zones gĂąchĂ©es Ă cause des vagues de migra- tions depuis les annĂ©es 1950 et dâune mauvaise Ă©conomie. â Le risque sismique. /.../ Des solutions durables sont nĂ©cessaires pour crĂ©er des Ă©tablissements en sĂ©curitĂ© et protĂ©ger les bĂątiments historiques. Ă cet Ă©gard, les secteurs 1. Kentsel DönĂŒsĂŒm signiïŹe transformation urbaine, le dĂ©veloppement de cette notion depuis les annĂ©es 2000 est Ă©tudiĂ© dans le chapitre II-B. 20
29.
I.A Injonction internationale
Ă la restructuration urbaine ayant besoin dâune intervention urgente ont Ă©tĂ© dĂ©clarĂ©s zones de rĂ©novation ». (Mairie de Fatih, 2007). Cette prĂ©sentation montre que trois caractĂšres pĂšsent sur lâimage et lâambition dâin- ternationalisation de la part de mairie de Fatih : le risque sismique, les caractĂ©ristiques physiques et sociales et enïŹn le caractĂšre non planiïŹĂ© de la ville. En ce qui concerne les caractĂ©ristiques physico-sociales du quartier, il sâavĂšre que le proïŹl social semble poser problĂšme et ĂȘtre responsable de lâĂ©tat de dĂ©gradation du quartier. Le discours de la mairie de Fatih est conservateur, il sâagit de : â RĂ©duire lâinsĂ©curitĂ© â RĂ©duire le risque sismique â RĂ©crĂ©er un environnement ottoman en protĂ©geant les monuments historiques. â « Remoraliser » la pĂ©ninsule historique. En ce qui concerne le fait que lâurbanisation soit non planiïŹĂ©e, deux plans de pla- niïŹcation, un Ă©laborĂ© en 2006 et un en 2009, ont Ă©tĂ© prĂ©sentĂ©s. Or, ils nâont jamais Ă©tĂ© ratiïŹĂ©s, notamment Ă cause des contestations des agences traditionnelles de planiïŹcations et dâurbanisme, comme la chambre des architectes (IMMOB). Istanbul reste dans un vide de planiïŹcation. Câest pourquoi des projets opportunistes comme celui du pont du futur mĂ©tro sur la Corne dâOr peuvent se rĂ©aliser. Cet exemple montre comment la logique de projet est utilisĂ©e pour produire la ville Ă Istanbul. Il prĂ©voit de dresser deux cornes dorĂ©es de plus de 100m de haut de part et dâautre du pont, sans prendre en compte son environnement. Il a Ă©tĂ© fortement critiquĂ© par les professionnels de lâurbanisme qui lui reprochent de faire ïŹ de la silhouette de la pĂ©ninsule historique. Ce projet se glisse dans les failles du systĂšme. De mĂȘme, les projets de rĂ©novation sont prĂ©vus et menĂ©s Ă lâĂ©chelle de lâarrondissement au mieux, sans cohĂ©rence globale. Lâambition de la municipalitĂ© de Fatih de pallier au manque de planiïŹcation est justiïŹĂ©e. En revanche, il semble quâelle ne se pose pas Ă lâĂ©chelle de lâarrondissement, mais plutĂŽt du Grand Istanbul. On retrouve Ă©galement cette injonction Ă la restructuration dans le discours du Prof. Dr. Ilber Ortayli, qui pointe en 2005 les dĂ©vastations de la pĂ©ninsule historique, et dĂ©clare quâil faut absolument opĂ©rer « un nettoyage physique et de la population » (Demirci S., 17.09.2009, Milliyet) dans le quartier de SĂŒleymaniye. Ainsi, il sâagit bien comme le souligne JF PĂ©rouse dâune volontĂ© de nettoyer Istanbul qui passe par la restructuration urbaine aïŹn de lui donner un caractĂšre plus international, plus moderne (PĂ©rouse, 2007). Or, il sâavĂšre que ces restructurations suscitent « la mise en tension » dâune fraction importante de la population (Berry-Chikhaoui, Deboulet, Roulleau-Berger, 2007). Elles 21
30.
CHAPITRE I. COMPRENDRE
LE PROJET DE RĂNOVATION DE SĂLEYMANIYE affecteraient le rapport des individus au marchĂ© du travail ainsi quâau logement. A.2 ... Au dĂ©triment des populations fragiles. DâaprĂšs lâouvrage villes internationales, trois types de politiques sont les cibles de ces restructurations : la politique de lâemploi, la politique migratoire et la politique urbaine. Ainsi, les espaces migratoires, la prĂ©carisation du travail et la mutation de la ville sont autant de cadres instables qui participeraient Ă la division socio-spatiale des villes inter- nationales. Istanbul correspond bien ici Ă la ïŹgure de la ville internationale. Comme vu en introduction, elle est un pĂŽle migratoire important et sâest engagĂ©e depuis les annĂ©es 2000 dans une politique de rĂ©novation urbaine, kentsel dönĂŒsĂŒm en turc, qui touche en particulier « les secteurs paupĂ©risĂ©s, dĂ©gradĂ©s ou Ă reconquĂ©rir et sollicitent la mobilitĂ© contrainte des riverains, des populations ïŹottantes ou migrantes, faiblement stabilisĂ©es » (Berry-Chikhaoui, Deboulet, Roulleau-Berger, 2007). Une certaine « pression au chan- gement » serait mise en Ćuvre par ces projets ponctuels de restructuration et se traduit notamment par lâaugmentation des valeurs fonciĂšres et immobiliĂšres. Les villes seraient en quelques sortes devenues otages dâune urgence esthĂ©tique et les habitants contraints par « la conformitĂ© et lâadaptation coĂ»teuse Ă ces logiques de restructuration » (ibid.). Toutefois, face Ă cette pression sâimposent de plus en plus de nouveaux rĂ©seaux inter- nationaux pour dĂ©fendre les droits des habitants, le droit Ă la ville. A Istanbul, les confron- tation entre les activistes qui soutiennent les habitants et les autoritĂ©s stambouliotes sont de plus en plus ouvertes. JF PĂ©rouse relate quelques expĂ©riences qui ont permis dâarrĂȘ- ter des opĂ©rations commerciales et immobiliĂšres grĂące Ă la mobilisation des habitants Ă lâaide de chambres de professionnels, comme la chambre des architectes. Ces revendica- tions ont majoritairement pour cible la loi 5366, qui permet lâapplication de ces projets de rĂ©novation depuis 2005 2. En effet, les habitants concernĂ©s par ces projets se sentent de plus en plus sĂ©grĂ©guĂ©s, menacĂ©s dâĂ©viction Ă des ïŹns de revalorisation de lâimage de la mĂ©tropole. Ces populations sont « confrontĂ©es Ă des expĂ©riences dâinjustice urbaine [... ] et vivent des lĂ©sions identitaires au cours desquelles leur rapport positif Ă elles-mĂȘmes est mis en pĂ©ril, [ce] qui les conduit dans certains cas Ă rĂ©agir, se mobiliser, lutter, dans dâautres cas Ă subir, souffrir » (Berry-Chikhaoui, Deboulet, Roulleau-Berger, 2007). A Istanbul notamment, la politique de kentsel dönĂŒsĂŒm est teintĂ©e de discours stigmatisant lâimmigration anatolienne et faisant la promotion dâune identitĂ© stambouliote moderne. Cette volontĂ© repose dâaprĂšs JF PĂ©rouse sur « une vision Ă©litiste et sĂ©lective de lâinterna- 2. Les revendications ainsi que la loi seront prĂ©sentĂ©s en partie II. 22
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I.A Injonction internationale
Ă la restructuration urbaine tionalitĂ© » (PĂ©rouse, 2007). Ainsi, le projet de rĂ©novation de SĂŒleymaniye, quartier dĂ©gradĂ© du centre historique, est bien lâexpression dâune certaine volontĂ© de moderniser, voire dâoccidentaliser Istanbul, dans le but que la mĂ©tropole soit toujours plus compĂ©titive sur la scĂšne internationale. Toutefois, le projet semble Ă©galement revĂȘtir dâautres origines. 23
32.
CHAPITRE I. COMPRENDRE
LE PROJET DE RĂNOVATION DE SĂLEYMANIYE B SĂŒleymaniye, un symbole pour le parti : la question identitaire. « SĂŒleymaniye, ce domaine de 1,5 kilomĂštres carrĂ©s Est notre identitĂ©, notre passeport. Câest le titre de propriĂ©tĂ© de notre patrie. Notre comportement est imprudent ici, - Dâabandonner ce domaine pour le tumulte de la grande ville au loin, Est un simple suicide. Et il est nĂ©cessaire de dire que câest un suicide Et que nous devrions avoir honte pour les gĂ©nĂ©rations futures » 3 Surplombant la corne dâor et coiffĂ© par la mosquĂ©e de Soliman le magniïŹque, le quar- tier de SĂŒleymaniye, jadis peuplĂ© de la haute sociĂ©tĂ© ottomane est aujourdâhui majori- tairement habitĂ© par des immigrĂ©s. Comme le mentionne Ilber Ortayli 4, SĂŒleymaniye est bien plus quâun quartier, il serait la "carte dâidentitĂ©" des Turcs. Une identitĂ© pourtant bien mise de cĂŽtĂ© pendant le siĂšcle rĂ©publicain. SĂŒleymaniye, de par son histoire, et le sym- bole quâil reprĂ©sente pour lâEmpire ottoman, est un quartier Ă part. Le projet de rĂ©novation quâil connaĂźt est dĂšs lors dâautant plus singulier. B.1 SĂŒleymaniye comme symbole de lâempire ottoman Le quartier est construit sur une colline, connue pour ĂȘtre la plus haute des sept collines initiales dâIstanbul. La mosquĂ©e de Soliman le MagniïŹque datant du XVIĂšme siĂšcle est lâĂ©ponyme du quartier. Elle est le chef-dâĆuvre du cĂ©lĂšbre architecte Mimar Sinan. PrĂšs dâun siĂšcle aprĂšs la conquĂȘte ottomane de la ville en 1453, la pĂ©ninsule historique Ă©tait trĂšs peuplĂ©e, Ă la fois de nouveaux habitants et de fondations religieuses. La construction du complexe de SĂŒleymaniye vers 1550 nĂ©cessita des dĂ©localisations, ce qui augmenta la valeur du quartier. De mĂȘme, il faut souligner que la construction du complexe engendra une concentration dâinstitutions Ă©ducatives et religieuses de prestige, qui participa Ă la richesse du quartier. Câest sans doute une des raisons expliquant pourquoi le quartier de SĂŒleymaniye avait la rĂ©putation dâĂȘtre riche. SĂŒleymaniye aux XVIĂšme et XVIIĂšme 3. PoĂšme extrait de Osmanliâyi Yeniden Kesfetmek, Ă©crit par Ilber Ortayli, 2006, p. 25. Ce passage est traduit du turc vers lâanglais par Julia Strutz,(Strutz, 2009). 4. Nous avons dĂ©jĂ citĂ© Ilber Ortayli au dĂ©but du chapitre alors quâil revendiquait le besoin de faire un nettoyage physique et social de la pĂ©ninsule historique. 24
33.
I.B SĂŒleymaniye, un
symbole pour le parti : la question identitaire. FIGURE I.1: SĂŒleymaniye, un quartier dominant. Source : photo prise en juin 2010 siĂšcles est connu pour ĂȘtre « le lieu des vizirs et des plus grands juges » (Strutz, 2009, p45). Toutefois, « la nature de cette richesse reste bien peu connue [mais] (...) il semble quâil existe un accord sur la richesse et lâintĂ©gritĂ© sociale du quartier tout au long de quatre siĂšcles » (ibid. p47). Dans le discours actuel, SĂŒleymaniye est devenu un symbole, un lieu de mĂ©moire, au moins pour une certaine couche de la sociĂ©tĂ© turque - la civilisation islamique. Comment lâespace urbain Ă©tait-il perçu et organisĂ© dans la sociĂ©tĂ© ottomane 5 ? Quâen reste-t-il aujourdâhui ? La structure du mahalle, du quartier, est un bon exemple dâhĂ©ritage ottoman qui per- dure aujourdâhui. Le mahalle Ă lâĂ©poque ottomane est un quartier organisĂ© sur base com- munautaire avec un Imam et un Muezzin. Ce sont ces mahalles qui font ofïŹce de sociĂ©tĂ© civile durant lâempire. Ils se forment sur la base dâune identitĂ© religieuse et ethnique exerce un contrĂŽle social et familial remarquable. Leur image persiste encore aujourdâhui quand on pense aux quartiers de SĂŒleymaniye, Fener, et Balat. En effet, ces quartiers 5. Lâusage de lâespace urbain est rĂšglementĂ© par lâĂtat ottoman jusquâau XIXĂšme siĂšcle. En 1881 en effet, paraĂźt encore une circulaire (un Ă©dit royal) rĂšglementant lâusage que font les femmes ainsi que les minoritĂ©s ethnicoreligieuses de lâespace urbain. Il est interdit aux femmes « de paraĂźtre dans les lieux publics (...) de se promener dans les quartiers de Beyazit, de Shehzadebasi et dâAksaray, (...) de se rassembler en groupe en public ». Dâautre part, des normes vestimentaires rĂ©gissent leur accoutrement. Les minoritĂ©s ethnicoreligieuses se voient attribuer « Ă chaque minoritĂ© (...) une couleur de turban, de manteau et de bottines » (Seni, 1984). 25
34.
CHAPITRE I. COMPRENDRE
LE PROJET DE RĂNOVATION DE SĂLEYMANIYE ont des identitĂ©s fortes. SĂŒleymaniye est un symbole de la civilisation ottomane, tandis que Balat est connu pour ĂȘtre un quartier juif... Câest pourquoi Istanbul est divisĂ©e en sous agglomĂ©ration et en sous-quartier dâhabitation jusquâĂ la ïŹn XVIII. Le mahalle est un voisinage qui partage le mĂȘme culte et communique par la mĂȘme langue. Dans ces quartiers, se cĂŽtoient les maisons chics et les maisons nĂ©cessiteuses, les quartiers chics nâapparaissent quâau XIX. Cette structure communautaire est le relais du pouvoir central. Il est important de souligner que le mahalle est un quartier rĂ©sidentiel pour les familles. Les cĂ©libataires nây habitent pas, mais plutĂŽt dans des chambres ou immeubles de cĂ©liba- taires (bekar odalari / hanlari), dans des centres commerciaux ou en pĂ©riphĂ©rie urbaine (Seni, 1984). Ce qui explique en partie la « honte », quâexprime Ilber Ortayli, de voir que le quartier fondateur de la culture ottomane, « titre de propriĂ©tĂ© de [leur] patrie » est aujourdâhui connu pour ses chambres de cĂ©libataires. Il sâagit de noter que les mahalles gardent une fonction importante aujourdâhui. En effet, le mahalle est une unitĂ© adminis- trative encadrĂ©e par le muhtar, Ă©lu au suffrage universel direct pour cinq ans 6. Mais il est considĂ©rĂ© en Turquie comme une rĂ©alitĂ© urbaine dĂ©ïŹnissant fortement la composition et lâappropriation de lâespace par ses habitants. Ces « microstructures » constituent un milieu urbain trĂšs important aux yeux des habitants. Câest Ă cette Ă©chelle que lâon trouve les commerces de proximitĂ©, les petites activitĂ©s Ă©conomiques, les centres culturels, les cafĂ©s, les Ă©coles, les associations de quartier... Les principales compĂ©tences de la mairie de quartier sont les questions liĂ©es Ă lâĂ©tat civil. Ainsi, les huit mahalles qui composent le quartier SĂŒleymaniye, sont des hĂ©ritages du passĂ© ottoman. La municipalitĂ© de Fatih, par lâintermĂ©diaire du projet, revendique cette identitĂ© ottomane. Un autre hĂ©ritage de lâem- pire marque Ă©galement le quartier de SĂŒleymaniye. Il sâagit des fondations religieuses. B.2 Lâimplantation de fondations religieuses comme signe actuel du rĂŽle symbolique de SĂŒleymaniye Plusieurs fondations religieuses, reconnues comme telle ou non, sont implantĂ©es Ă dans le quartier. Elles prĂŽnent la nĂ©cessitĂ© du projet, rendre Ă Istanbul son quartier fon- dateur, retrouver un proïŹl de population plus moral. Il sâagit par exemple des fondations KOCAV (KĂŒltĂŒr Ocagi VakïŹ, fondation de la culture) et BISAV (Bilim ve Sanat VakïŹ, fondation des sciences et des arts). La prĂ©sence de ces fondations Ă SĂŒleymaniye est un signe du rĂŽle symbolique qui se perpĂ©tue aujourdâhui dans le quartier. DâaprĂšs F. Bilici, « la rĂ©gression des idĂ©ologies, 6. Pour plus de dĂ©tails sur le systĂšme de gouvernance stambouliote, se reporter Ă lâannexe C 26
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I.B SĂŒleymaniye, un
symbole pour le parti : la question identitaire. la crise de lĂ©gitimitĂ© qui frappe les Ătats et lâĂ©chec de lâimportation des modĂšles occi- dentaux incitent les sociĂ©tĂ©s musulmanes Ă instrumentaliser les rĂ©fĂ©rences historiques, imaginaires ou rĂ©elles, tout en essayant de leur trouver des justiïŹcations dans le rĂ©pertoire des systĂšmes occidentaux. (...) Avec le vakıf 7 turc, nous sommes prĂ©cisĂ©ment devant un produit historique (traditionnel), cristallisant le montage dâun systĂšme social juridique et particulier » (Bilici 1993). Le vakıf dans ce contexte tenterait de remplir un espace social vacant dĂ» Ă la lĂ©gitimitĂ© encore faible dâautres formes dâorganisation sociale comme les associations, les syndicats, les partis politiques, les clubs... etc. Lâinstitutionnalisation du vakıf, depuis les vingt derniĂšres annĂ©es, montre lâĂ©mergence dâune classe dâentrepreneurs culturels et politiques turcs qui ont dĂ©passĂ© le stade dâimi- tation Ă tout prix de toutes formes de mobilisation sociale occidentale. Cette pĂ©riode dâimitation est datĂ©e dâaprĂšs F. Bilici de la ïŹn du XIXĂšme siĂšcle, jusquâaux annĂ©es 1950. Elle correspond Ă la pĂ©riode rĂ©publicaine et kĂ©maliste. Le grand retour des vakıfs serait donc le signe dâune rĂ©-ottomanisation. Leur prĂ©sence Ă SĂŒleymaniye, Ă cet Ă©gard, nâest pas un hasard. « Le vakıf turc en gĂ©nĂ©ral participe non pas Ă un retour, mais plutĂŽt dâune rĂ©activation de la tradition sous forme moderne, montrant des capacitĂ©s dâadaptation de sociĂ©tĂ©s musulmanes » (Bilici, 1993). Ces fondations seraient Ă mi-chemin entre la fon- dation amĂ©ricaine et lâassociation française. Elles se concrĂ©tisent en une forme dâorga- nisation et de structure juridique tirant sa lĂ©gitimitĂ© du droit et des traditions islamiques, acquis durant une longue pĂ©riode ottomane, et des codes civils occidentaux. DâaprĂšs lâau- teur, ces vakıfs se montrent dâ « une vitalitĂ© exceptionnelle, tant sur le plan Ă©conomique que sociologique » en Turquie, plus que dans dâautres pays musulmans. Elles sont super- visĂ©es par la Direction GĂ©nĂ©rale des Vakıfs dĂ©pendant du premier ministre et du ministĂšre des Finances. Leur dĂ©veloppement exceptionnel depuis les annĂ©es 1980 correspondrait Ă lâidĂ©ologie ultralibĂ©rale en vigueur accordant une grande libertĂ© dâaction Ă lâinitiative privĂ©e aïŹn quâelle assume une partie des fonctions de lâĂtat et se rĂ©pande dans la so- ciĂ©tĂ©. Elles sont de plus en plus fondĂ©es par des musulmans pratiquants et ont trouvĂ© un appui ïŹnancier considĂ©rable auprĂšs de la bourgeoisie turque et des sociĂ©tĂ©s ïŹnanciĂšres saoudiennes et koweitiennes introduites en Turquie dans les annĂ©es 1983. LâhypothĂšse quâĂ©met lâarticle est que « ces vakıfs sont utilisĂ©es par diffĂ©rents courants islamistes turcs 7. « Le mot vakıf signiïŹe arrĂȘter, immobiliser. En termes juridiques, constituer un vakıf, câest immobi- liser un bien et affecter son produit Ă une Ćuvre pieuse ou charitable, dotĂ©e de la personnalitĂ© morale. Celui qui constitue le vakıf est nommĂ© vĂąkif ; lâacte de fondation est appelĂ© vakïŹye. Dans le droit musulman classique, le bien immobilisĂ© est normalement et thĂ©oriquement « consacrĂ© Ă Dieu ». A ce titre, il devient inaliĂ©nable, câest-Ă -dire quâil ne peut plus faire lâobjet de vente, achat , expropriation, hypothĂšque, saisie. » (Bilici, 1993) 27
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CHAPITRE I. COMPRENDRE
LE PROJET DE RĂNOVATION DE SĂLEYMANIYE comme base juridique, Ă©conomique, sociale et politique pour une rĂ©islamisation par le bas ou en profondeur de la sociĂ©tĂ© musulmane » (Bilici, 1993). En effet, lâĂ©mancipation de ces fondations se cristallise, dans le cas turc, dans lâim- plosion du systĂšme politique kĂ©maliste de la RĂ©publique, basĂ© sur un contrĂŽle strict du religieux. Elle tĂ©moignerait Ă©galement de la naissance dâune nouvelle Ă©lite islamiste. En 1970, on note effectivement la naissance du premier parti islamiste. Il a Ă©tĂ© dissout plu- sieurs fois et sâest rĂ©organisĂ© ïŹnalement en 1983 sous le nom de parti de ProspĂ©ritĂ© : le Refah. Il est re-dissout en 1998. De cette nouvelle scission naĂźtra deux partis actuels : lâAKP, au pouvoir, parti pour la justice et le dĂ©veloppement, et le Saadet, parti de la fĂ©li- citĂ©. Les vakıfs islamiques ont Ă©tĂ© largement aidĂ©es par lâarrivĂ©e des sociĂ©tĂ©s arabes et isla- miques Ă partir de 1983, comme Al-Braka turkish ïŹnance house, Saudi american bank... Elles prennent alors la forme de fondations islamiques dâentraide, de solidaritĂ© et dâĂ©du- cation destinĂ©es aux jeunes de milieu populaire, ou encore de fondations de recherche, dâĂ©tudes islamiques, donnant lieu Ă des publications dâouvrages savants, de revues... Les deux fondations de SĂŒleymaniye appartiennent Ă cette seconde catĂ©gorie. Elles se disent fondations pour la culture, ou pour la science, mais elles publient et commercialisent des ouvrages Ă tendance islamique, voire islamiste. Un Symposium est organisĂ© en 2007 par la fondation BISAV (Bilim ve Sanat VakïŹ, fondation des sciences et des arts) pour prĂŽner la nĂ©cessitĂ© et les biens faits du projet de rĂ©novation de SĂŒleymaniye. EnïŹn, dâaprĂšs F. Bilici, ces fondations seraient les « antichambres des partis politiques (...) Elles fonctionnent par un systĂšme de coopĂ©ration, de clientĂ©lisme et de reproduction ». Nombreuses sont celles fondĂ©es par des hommes politiques, du parti de lâANAP en particulier. Le parti de lâANAP est le parti de la mĂšre patrie. Il fusionne en 2007 avec le parti de la juste voie pour former le parti dĂ©mocrate. Lâauteur souligne que ces fondations sont utilisĂ©es par les islamistes comme des instruments de lĂ©gitimation et dâaction sociale. Elles joueraient plus ou moins le rĂŽle de vecteur de sociabilitĂ© que ne jouent plus ni la mosquĂ©e, ni les associations. Elles propageraient un Islam social par leurs multiples ac- tivitĂ©s et leur dynamisme (publication, rĂ©union, confĂ©rence...) et grignoteraient ainsi peu Ă peu les fonctions de lâĂtat. Ce qui est dâaprĂšs F. Bilici une caractĂ©ristique fondamen- tale de la politique turque et particuliĂšrement des partis conservateurs. Notons Ă cet Ă©gard que le parti au pouvoir, lâAKP est un parti islamo-conservateur. Il ne cesse de monter en puissance depuis 2002. Ainsi, Ă travers lâexemple des fondations religieuses, nous pouvons voir que SĂŒley- maniye occupe toujours une place symbolique et idĂ©ologique aux yeux du parti et des partisans de lâAKP. Rappelons dĂ©sormais rapidement lâassise quâĂ ce parti en Turquie. 28
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I.B SĂŒleymaniye, un
symbole pour le parti : la question identitaire. DĂšs 1950, le parti rĂ©publicain du peuple, kĂ©maliste, perd le pouvoir. Câest Ă partir de lĂ que les mesures laĂŻques sont assouplies. Lâappel Ă la priĂšre et lâenseignement coranique en arabe sont rĂ©tablis, lâĂ©ducation religieuse dans les Ă©coles publiques rĂ©introduite, la po- lygamie et les usages vestimentaires traditionnels sont tolĂ©rĂ©s... « Force est de constater quâau cours du XXĂšme siĂšcle, la laĂŻcitĂ© en Turquie a le plus souvent Ă©tĂ© imposĂ©e ou rĂ©ta- blie par la force et lâintervention rĂ©pĂ©tĂ©e de lâarmĂ©e (1913, 1923-4, 1971, 1980), alors que les avancĂ©es de la dĂ©mocratie participative sont plutĂŽt traduites par un retour de la tradi- tion religieuse (1950-1983) » (Marcou, Burdy, 1994). Le projet de SĂŒleymaniye serait ici lâoccasion pour les autoritĂ©s turques au pouvoir de mettre la main sur un quartier chargĂ© symboliquement. Cette dimension identitaire est en partie Ă lâorigine du projet. Or, quâen est-il de lâĂ©tat du quartier ? 29
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CHAPITRE I. COMPRENDRE
LE PROJET DE RĂNOVATION DE SĂLEYMANIYE C Diagnostic : SĂŒleymaniye, un quartier dĂ©gradĂ© et stig- matisĂ© AprĂšs avoir prĂ©sentĂ© le contexte international et la dimension symbolique du projet, il sâagit de sâinterroger sur lâĂ©tat local du quartier. Aux vues des caractĂ©ristiques physique, fonctionnelle et sociale du quartier, une rĂ©novation est-elle nĂ©cessaire ? C.1 Approche statistique C.1.1 Un quartier rĂ©sidentiel et industriel FIGURE I.2: Fonctions du quartier de SĂŒleymaniye par zone. Source : dâaprĂšs un relevĂ© effectuĂ© les 11 et 12 juillet 30
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I.C Diagnostic :
SĂŒleymaniye, un quartier dĂ©gradĂ© et stigmatisĂ© FIGURE I.3: Fonctions du quartier de SĂŒleymaniye par parcelle. Source : dâaprĂšs un relevĂ© effectuĂ© les 11 et 12 juillet On remarque avec les ïŹgures I.2 et I.3 que le quartier sâil est rĂ©sidentiel en son centre, est entourĂ© de commerces et dâateliers. Les bĂątiments IMC, notamment, Istanbul Manu- fakturcilar Carsisi, sont les quatre gros blocs dans lesquels se fait le commerce de gros de la ville. Ces bĂątiments ont Ă©tĂ© conçus dans les annĂ©es 1950 par Dogan Tekeli et Sami Sisa, deux architectes rĂ©publicains. Ils bordent le quartier Ă lâouest et servent dâespace tampon entre la zone rĂ©sidentielle du quartier et le boulevard AtatĂŒrk. Les ateliers, trĂšs nombreux, sont pour la plupart informels. Les branches en prioritĂ©s concernĂ©es pour lâancien arron- dissement dâEminönĂŒ sont : « accessoires pour automobile, chimie, agroalimentaire et 31
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CHAPITRE I. COMPRENDRE
LE PROJET DE RĂNOVATION DE SĂLEYMANIYE commerce de gros alimentaire, quincaillerie en gros, production textile, meuble, papiers, imprimerie, travail de lâor et de lâargent, plasturgie, mĂ©tallurgie et entrepĂŽt » (PĂ©rouse, 2007). Le quartier a donc une fonction commerciale et industrielle non nĂ©gligeable, ce qui est conïŹrmĂ© par le proïŹl social de la population. Le type de commerce est en gĂ©nĂ©ral du commerce de gros liĂ© aux ateliers voisins. On y confectionne des cuillĂšres, des cein- tures, des piĂšces spĂ©ciales, des balances, des machines Ă coudre... qui sont vendues dans le quartier. Câest lĂ que viennent se fournir de nombreux artisan, restaurateur ou autres vendeurs dâIstanbul. DĂšs lors se pose la question de lâimplantation de ces ateliers en centre-ville. Sont-ils implantĂ©s dans ce quartier pour la main dâoeuvre, le prix du foncier ou bien la proximitĂ© dâun marchĂ© ? Les ateliers implantĂ©s dans le centre dâune mĂ©gapole comme Istanbul doivent avoir une grande raison dâĂȘtre, une grande valeur ajoutĂ©e (comme la haute couture par exemple). Des dĂ©cisions de dĂ©centralisation Ă propos des petites entreprises dâEminönĂŒ Ă©taient prĂ©vues dans le plan de protection de 2003. Or, dâaprĂšs Alev Erkilet, sociologue Ă lâagence de planiïŹcation du grand Istanbul (IMP 8), lâarrondissement dâEminönĂŒ est sujet Ă une transformation duelle : les grosses entreprises voient la dĂ©centralisation comme une op- portunitĂ© pour grossir et dâaugmenter leur capacitĂ©, en revanche les petites entreprises nâont « nulle part oĂč aller », et « pas assez de capital » pour dĂ©mĂ©nager. La plupart nâont pas de vĂ©hicules et ont Ă peine le capital sufïŹsant pour payer leurs charges. Dâautre part, les locaux commerciaux prĂ©vus pour accueillir les activitĂ©s en pĂ©riphĂ©ries sont trĂšs grands et inadaptĂ©s aux petits entrepreneurs locaux. Les loyers Ă©levĂ©s, les faibles marges bĂ©nĂ©- ïŹciaires possibles et les coĂ»ts de transport rendent impossible de quitter les magasins Ă bas prix du centre-ville pour les petits fabricants (Erkilet, 2009). La question du devenir de ces ateliers se pose, leur conservation nâĂ©tant absolument pas prĂ©vue par le projet de rĂ©novation. Au contraire, ce caractĂšre industrieux du quartier paraĂźt gĂȘner les autoritĂ©s locales. C.1.2 Un quartier dĂ©gradĂ© et en partie dĂ©truit La ïŹgure I.4 montre, sur un Ă©chantillon important du pĂ©rimĂštre du projet, la forte dĂ©- gradation du bĂąti. Elle montre Ă©galement lâavancĂ©e des destructions effectuĂ©es par KIP- TAS au mois de juillet en 2010. Nous remarquons bien ici le tracĂ© du futur mĂ©tro Ă©voquĂ© en introduction. Il sera en partie souterrain mais ressortira, comme le tracĂ© des destruc- tions lâindique, au pied de la colline et se dirigera vers la Corne dâOr. Ce projet de mĂ©tro, 8. Pour plus de dĂ©tails sur lâIMP, se reporter Ă lâannexe C 32
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I.C Diagnostic :
SĂŒleymaniye, un quartier dĂ©gradĂ© et stigmatisĂ© FIGURE I.4: Etat du bĂąti. Source : dâaprĂšs un relevĂ© effectuĂ© les 11 et 12 juillet ou plutĂŽt, le fait quâil traverse la Corne dâOr sur un pont dĂ©mesurĂ©, est fortement critiquĂ© par lâUNESCO comme par les professionnels de lâurbanisme. Nous pouvons Ă©galement voir sur la carte, la seule rue qui a Ă©tĂ© rĂ©habilitĂ©e (en bleu). Nous Ă©voquerons ces rĂ©ha- bilitations ultĂ©rieurement. La ïŹgure I.5 montre des exemples dâĂ©tat de bĂąti pour chaque catĂ©gorie. Notons que les maisons en bois de SĂŒleymaniye, classĂ©es aux registres des biens nationaux et au patrimoine mondial de lâUNESCO, reprĂ©sentent les 2/3 des mai- sons en bois restantes Ă Istanbul. Elles sont malgrĂ© tout trĂšs dĂ©gradĂ©es. La plupart seront dĂ©truites comme le prĂ©voit le projet de rĂ©novation (un grand nombre lâa dĂ©jĂ Ă©tĂ©). 33
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CHAPITRE I. COMPRENDRE
LE PROJET DE RĂNOVATION DE SĂLEYMANIYE (a) (b) (c) (d) FIGURE I.5: les diffĂ©rentes catĂ©gories de bĂąti. (a) dĂ©gradĂ©, (b) bon Ă©tat ou passable, (c) dĂ©truit, (d) rĂ©habilitĂ©. Source : photos prises en juin 2010 LâĂ©tat de dĂ©gradation physique du quartier pourrait justiïŹer Ă lui seul lâinitiative dâun projet dâamĂ©lioration du cadre bĂąti. LâopportunitĂ© de la rĂ©novation sera discuttĂ©e dans le chapitre trois. Toutefois, il sâagit de noter que le quartier se dĂ©grade et se dĂ©truit dâautant plus vite depuis le dĂ©but du projet en 2006 qui marque le dĂ©part des propriĂ©taires. En outre, on peut sâinterroger sur lâorigine de ces dĂ©gradations. Sâil nây a pas eu dâaction menĂ©e sur le bĂąti avant le projet de rĂ©novation, câest probablement parceque la dimension physique nâest pas la plus importante aux yeux des autoritĂ©s. 34
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I.C Diagnostic :
SĂŒleymaniye, un quartier dĂ©gradĂ© et stigmatisĂ© C.1.3 Un proïŹl social gĂȘnant Les donnĂ©es statistiques sont rares, ou bien trĂšs peu communiquĂ©es. Les rĂ©sultats du recensement ne sont pas publics et trĂšs difïŹcilement accessibles. AprĂšs plusieurs vaines tentatives auprĂšs de la mairie de Fatih pour se procurer des donnĂ©es dĂ©mographiques sur le quartier de SĂŒleymaniye, nous avons pris contact avec un professeur cartographe : Murat GĂŒvenç. Ce dernier a dĂ©veloppĂ© toute une cartographie dâIstanbul en fonction de donnĂ©es sociodĂ©mographiques. Son travail de fourmi se concrĂ©tise en un vĂ©ritable at- las de la ville dâIstanbul. Il est mis en scĂšne dans lâexposition Istanbul 1910-2010, qui a lieu ce septembre 2010. GrĂące Ă son aide, nous avons pu rĂ©colter quelques donnĂ©es trĂšs prĂ©cises, mais difïŹcilement manipulables concernant le quartier de SĂŒleymaniye. Ces donnĂ©es ont Ă©tĂ© recensĂ©es en 2000 par un type particulier de recensement quâest le re- censement de facto. Le recensement de facto comptabilise la population prĂ©sente et non la population lĂ©gale comme le ferait un recensement de jure effectif en France ou autres pays dĂ©veloppĂ©s, qui sâappuie sur une base de population enregistrĂ©e. Le recensement de 2000 est le dernier recensement de facto de Turquie. Les ïŹgures I.6 I.7 I.8 I.9 I.10 I.11 ont Ă©tĂ© construite Ă partir des donnĂ©es fournies par Murat GĂŒvenç. Il est important de noter que ces ïŹgures font rĂ©fĂ©rence aux huit mahalles de SĂŒleymaniye, dont un est Ă©galement nommĂ© SĂŒleymaniye. 35
44.
CHAPITRE I. COMPRENDRE
LE PROJET DE RĂNOVATION DE SĂLEYMANIYENiveauscolaireAnalphabĂštesNonNiveauNiveauNiveauNiveau diplomĂ©sĂ©coleprimairecollĂšgelycĂ©euniversitĂ© Demirtas8114858166777 HacıKadin13123877010414011 HocaGıyasettin420552165223829245 Kalenderhane31822916335024 MollaHusrev14120381613439989 SarıDemir22255121 SĂŒleymaniye991073806521733 YavuzSinan899769010414915 Totaux994(10%)1429(14%)5205(51%)779(8%)1636(16%)225(2%) Totalpopulation:10268 FIGUREI.6:Niveauscolairedeshabitantsparsous-quartier.Source:DonnĂ©esfourniesparMuratGĂŒvenç SurleniveaudâĂ©ducation(cf.ïŹgureI.6),notonsqueletauxdâanalphabĂštesestdâenviron10%(letauxdâalphabĂ©tisationen 2000enTurquieestde82,3%)etdenondiplĂŽmĂ©sde14%.CequirestedestauxĂ©levĂ©spourIstanbul.Lapopulationduquartiera globalementunfaibleniveaudâĂ©ducation,leniveauĂ©coleprimaireestleplusrĂ©pandu,50%delapopulationontceniveau. 36
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I.C Diagnostic :
SĂŒleymaniye, un quartier dĂ©gradĂ© et stigmatisĂ© Taille des mĂ©nages 1 Ă 3 pers 4 Ă 6 pers 7 Ă 9 pers 10 et plus Total mĂ©nages Demirtas 38 44 10 5 97 Hacı Kadin 77 91 46 14 228 Hoca Gıyasettin 161 171 61 29 422 Kalenderhane 24 37 3 0 64 Molla Husrev 50 72 27 6 155 Sarı Demir 1 1 0 0 2 SĂŒleymaniye 39 38 17 2 96 Yavuz Sinan 41 32 12 11 96 Totaux 431 (37%) 486 (42%) 176 (15%) 67 (6%) 1160 Total habitants 5445 FIGURE I.7: Taille des mĂ©nages des habitants par sous-quartier. Source : DonnĂ©es fournies par Murat GĂŒvenç La rĂ©partition de la population dans les diffĂ©rents mahalles est assez inĂ©gale. On voit que les quartiers concernĂ©s par le projet prioritaire sont les plus peuplĂ©s (Hacı Kadin, Hoca Gıyasettin, Demirtas et Yavuz Sinan). Ils reprĂ©sentent Ă eux seuls 74% de la popu- lation de SĂŒleymaniye. Le mahalle de Sarı Demir est trĂšs faiblement reprĂ©sentĂ©. En effet, il borde la Corne dâOr et reste trĂšs peu urbanisĂ©. Comme le montre la ïŹgure I.7, la taille moyenne de mĂ©nage est de 4 Ă 6 personnes. FIGURE I.8: RĂ©partition des activitĂ©s professionnelles des habitants. Femmes Ă gauche ; Hommes Ă droite. Source : DonnĂ©es fournies par Murat GĂŒvenç Les deux professions dominant le quartier sont les employĂ©s dans le commerce et la vente ainsi que les ouvriers industriels, dans tous mahalles confondus. Ceci est conïŹrmĂ© 37
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CHAPITRE I. COMPRENDRE
LE PROJET DE RĂNOVATION DE SĂLEYMANIYE FIGURE I.9: RĂ©partition des secteurs dâactivitĂ©s des habitants. Hommes Ă gauche ; Femmes Ă droite. Source : DonnĂ©es fournies par Murat GĂŒvenç par la domination des secteurs dâactivitĂ©s du commerce, de la production et de lâindustrie que lâon peut voir dans la ïŹgure I.9 et Ă©galement par la prĂ©sence de nombreux ateliers et de commerces de gros dans le quartier. EnïŹn, en ce qui concerne le type de propriĂ©tĂ©, on note dâune part quâune Ă©crasante ma- joritĂ© des habitants sont locataires. Or, nous avons vu dans les documents de promotion du projet que la municipalitĂ© ne sâadressait quâaux propriĂ©taires. Dâautre part, Ă Istanbul, et ceci a Ă©tĂ© conïŹrmĂ© par les muhtars 9 Ă SĂŒleymaniye, il y a beaucoup de « share pro- perties », de propriĂ©tĂ©s partagĂ©es entre plusieurs actionnaires. Câest un systĂšme original mais trĂšs frĂ©quent en Turquie. Un mĂȘme bien foncier ou immobilier a souvent plusieurs propriĂ©taires. Cela peut arriver quand les propriĂ©taires dâune maison dĂ©cĂšdent et lĂšguent la propriĂ©tĂ© Ă leurs enfants. Le processus de morcellement de la propriĂ©tĂ© commence lĂ . Les enfants sont ensuite libres de revendre leur part Ă des particuliers... etc. 9. Les muhtars sont les maires de quartier. Leur unitĂ© administrative est le mahalle et leur compĂ©tence concerne essentiellement lâĂ©tat civil. Cf. Annexe C 38
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I.C Diagnostic :
SĂŒleymaniye, un quartier dĂ©gradĂ© et stigmatisĂ© Statut dâoccupation PropriĂ©taires Locataire Autres Non dĂ©ïŹni Demirtas 14 75 8 0 Hacı Kadin 24 163 38 3 Hoca Gıyasettin 67 323 22 10 Kalenderhane 18 27 12 7 Molla Husrev 41 85 23 6 Sarı Demir 0 1 1 0 SĂŒleymaniye 21 63 11 1 Yavuz Sinan 4 79 12 1 Totaux 189 (16%) 816 (70%) 127 28 Total population : 1160 FIGURE I.10: Statut dâoccupation par sous-quartier. Source : DonnĂ©es fournies par Murat GĂŒvenç 39
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CHAPITRE I. COMPRENDRE
LE PROJET DE RĂNOVATION DE SĂLEYMANIYELieudenaissanceIstanbulMalatyaAdiyamanDıyarbakirDıgerdevMardınNıgdeAutresĂtrangerNon TurquiedĂ©ïŹni Demirtas9316512875365811233265 HacıKadin345100139584981406154110 HocaGıyasettin4432833333963192399511742678 Kalenderhane12266702232466470343 MollaHusrev190178971187866419913451 SarıDemir102000003500 SĂŒleymaniye1411538941322316434120 YavuzSinan8326103617992120586112 Totaux14279739597716256054304637164149 (13%)(9%)(9%)(7%)(6%)(6%)(4%)(43%)(2%)(1%) Populationtotale10740 PopulationĂ©trangĂšre3% PopulationimmigrĂ©eintĂ©rieure84% Populationstambouliote13% FIGUREI.11:Lieuxdenaissancedeshabitants.Source:DonnĂ©esfourniesparMuratGĂŒvenç Onnoteiciunforttauxdâimmigrationinterne(84%).TrĂšspeudâindividussontoriginairesdâIstanbuldanscequartier.Celaest liĂ©auxdiffĂ©rentesvaguesdâimmigrationsprĂ©sentĂ©esenintroduction.Onremarquequâilyaunpotentielkurdeimportantpuisque lesvillestellesqueMalatya,DiyarbakiretMardinsontsituĂ©esdanslesudestdelaTurquie. 40
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I.C Diagnostic :
SĂŒleymaniye, un quartier dĂ©gradĂ© et stigmatisĂ© Nous avons construit ces tableaux Ă partir des rĂ©sultats du recensement que Murat GĂŒ- venç nous a livrĂ©s. Or, on se rend vite compte que les donnĂ©es semblent soit erronĂ©es, soit contradictoires. En effet, si lâon tente de comptabiliser la population totale du quartier, on compte 10 270 personnes dâaprĂšs les tableaux sur le niveau dâĂ©ducation de la population, 5 378 dâaprĂšs celui sur la taille des mĂ©nages, 4 879 dâaprĂšs le tableau sur le type de pro- fession ou de secteur dâactivitĂ© et enïŹn 1 160 dâaprĂšs celui du type de propriĂ©tĂ©. Or, les muhtars du quartier disent que la population de SĂŒleymaniye est comprise entre 3000 et 6000 habitants. JâĂ©mets lâhypothĂšse que comme ces donnĂ©es ont Ă©tĂ© relevĂ©es lors dâun recensement de facto, il est possible que les donnĂ©es acquises comprennent la population travaillant dans le quartier, et non la seule population habitant le quartier. Ainsi, toute la population travaillant et habitant le quartier aurait rĂ©pondu aux questions relatives au niveau dâĂ©du- cation et aux secteurs dâactivitĂ©, totalisant environ 10 000 personnes, (environ 5 000 sans comprendre les enfants ou personnes ne travaillant pas). Les questions relatives au do- micile, comme celles sur le type de propriĂ©tĂ© et celles sur la taille du mĂ©nage rĂ©vĂšlent une population habitante dâenviron 5 000 personnes. En effet, si on multiplie le nombre de propriĂ©tĂ©s (1 160), par la taille moyenne des mĂ©nages (5,5), on obtient une population dâenviron 5 500, ce qui conïŹrme le nombre dâhabitants donnĂ© par le tableau sur la taille des mĂ©nages de 5 378 personnes. Toutefois, mĂȘme cette hypothĂšse sâavĂ©rait ĂȘtre juste, les chiffres datent de 2000. Le projet ayant commencĂ© en 2006, la situation a Ă©normĂ©ment changĂ© depuis. Le nombre dâĂ©lecteurs du quartier le plus peuplĂ© (Hoca Giyasettin) « est passĂ© de 2300 Ă 800 de 2007 Ă 2009 » 10. NĂ©anmoins, le proïŹl social du quartier se dessine : une majoritĂ© de lo- cataires, Ă faible niveau dâĂ©ducation, travaillant dans la vente, la production ou lâindustrie. Il est nĂ©cessaire dâajouter que la plupart sont Ă©galement immigrĂ©s, internes ou internatio- naux. LâenquĂȘte menĂ©e dans le quartier de SĂŒleymaniye durant la premiĂšre quinzaine de juin a permis de recueillir les propos dâune dizaine de personnes sur le projet, mais Ă©galement sur leur perception et leur rapport Ă ce quartier et Ă son histoire. Voyons si ces propos vont ou non dans le sens des donnĂ©es statistiques. 1. Lâorigine des habitants LâĂ©chantillon enquĂȘtĂ© indique en effet que la plupart des habitants de SĂŒleymaniye, 10. DâaprĂšs lâentretien passĂ© le 20 juillet 2010 avec la muhtar dâHoca Giyasettin 41
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