Il peut paraître aujourd’hui superfétatoire, voire insultant, d’associer l’idée d’esthétique à notre monde du travail, puisque les préoccupations de tous ceux qui se trouvent sous le joug de la productivité et de la rentabilité sont avant tout de retrouver des horaires compatibles avec leur vie personnelle et leur santé et un salaire en accord avec la qualité et la durée de leur formation professionnelle. Les conditions d’exercice déstructurées, les tâches univoques en travail posté, leur parcellisation au prétexte de l’efficience, l’absence de temps et d’espace pour des contacts de qualité avec les patients, les collègues et les personnels de direction, n’amènent-ils pas certains d’entre nous, les plus désespérés, à penser qu’ils font un « sale métier » ? Et, pour paraphraser Georges Darien, risquer de se trouver l’excuse de le faire « salement »… ? Et c’est bien là que tous les responsables des dérives de l’idéologie néolibérale devraient prendre conscience du caractère contre-productif des implications de pareilles conditions de travail.
Il n’est pas question ici de faire le panégyrique de la supposée « noblesse » d’un métier qui s’exercerait jusqu’à l’épuisement au nom du don de soi ; ou d’éluder les tâches pénibles d’annonce de mauvaises nouvelles, de contention de patients agités, de décisions d’arrêt de soins, de se coltiner les patients souillés ou malodorants, de pratiquer des gestes invasifs pénibles, voire d’accréditer des interventions dont le bien-fondé peut sembler discutable.
Il n’est pas question non plus d’accréditer, en se rengorgeant, l’admiration béate (ou flagorneuse) du béotien : Quel beau métier vous faites Docteur ! Quel dévouement mademoiselle l’infirmière, monsieur l’aide-soignant !
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http://www.snphare.com - Journal du Syndicat National des Praticiens Hospitaliers Anesthésistes-Réanimateurs Élargi - n° 69 - Septembre 2014
Il peut paraître aujourd’hui superfétatoire, voire insul-
tant, d’associer l’idée d’esthétique à notre monde du
travail, puisque les préoccupations de tous ceux qui se
trouvent sous le joug de la productivité et de la renta-
bilité sont avant tout de retrouver des horaires compa-
tibles avec leur vie personnelle et leur santé et un
salaire en accord avec la qualité et la durée de leur for-
mation professionnelle. Les conditions d’exercice dés-
tructurées, les tâches univoques en travail posté, leur
parcellisation au prétexte de l’efficience, l’absence de
temps et d’espace pour des contacts de qualité avec
les patients, les collègues et les personnels de direc-
tion, n’amènent-ils pas certains d’entre nous, les plus
désespérés, à penser qu’ils font un « sale métier » ? Et,
pour paraphraser Georges Darien, risquer de se trouver
l’excuse de le faire « salement »… ? Et c’est bien là que
tous les responsables des dérives de l’idéologie néo-
libérale devraient prendre conscience du caractère
contre-productif des implications de pareilles condi-
tions de travail.
Il n’est pas question ici de faire le panégyrique de la
supposée « noblesse » d’un métier qui s’exercerait jus-
qu’à l’épuisement au nom du don de soi ; ou d’éluder
les tâches pénibles d’annonce de mauvaises nouvelles,
de contention de patients agités, de décisions d’arrêt
de soins, de se coltiner les patients souillés ou malodo-
rants, de pratiquer des gestes invasifs pénibles, voire
d’accréditer des interventions dont le bien-fondé peut
sembler discutable.
Il n’est pas question non plus d’accréditer, en se ren-
gorgeant, l’admiration béate (ou flagorneuse) du béo-
tien : Quel beau métier vous faites Docteur ! Quel
dévouement mademoiselle l’infirmière, monsieur
l’aide-soignant !
Un « sale boulot » renverrait plutôt dans mon propos à
un défaut de reconnaissance sociale, un travail disqua-
lifié, certes indispensable, mais dans un périmètre
réduit de compétence technique, reproductible à l’infi-
ni selon un protocole immuable et effectué par des
agents interchangeables et anonymes.
Aux deux extrémités d’une échelle de l’esthétique au
travail, dont l’optimum se situerait au milieu, deux
positions sont symétriques : d’un côté, la dimension
« noble » (le care) de l’activité de soignant ne justifie
pas le don de soi désintéressé et la disponibilité sans
limite ; de l’autre, le cynisme le plus achevé d’un soi-
gnant ne se satisfait jamais complètement d’un boulot
« salement » fait, serait-ce en contre-partie d’un gros
paquet d’argent ou de congés à rallonge.
D’un côté, l’exploitation éhontée au nom de la
« noblesse » ; de l’autre, l’exposition à une image
dégradée de son identité, tant à ses propres yeux qu’à
ceux des patients et du personnel administratif.
Dans les deux cas, cette tension entre travail bien ou
mal fait, entre reconnaissance ou mépris, se traduit
inévitablement par une souffrance au travail forcément
préjudiciable à celui-ci.
La posture à adopter se situe au-delà des droits et des
obligations de chacun au sein d’un établissement, d’un
service ou d’une unité : c’est l’occupation consciente
du domaine des responsabilités dans les pratiques
professionnelles, et ce dans la vie de tous les jours. Il
n’y a pas de mètre-étalon pour mesurer au quotidien
ces responsabilités.
Ces responsabilités se doivent d’être assumées par le
soignant, sans échappatoire, et reconnues autour de
lui, sans dénégation. Ce domaine de responsabilité
dépasse les frontières strictes des référentiels métiers
et autres limites de compétence. Il dépasse les périmè-
tres mesurables, quantifiables et évaluables.
C’est à ce prix, inestimable, que le travail bien fait sem-
blera beau à chacun.
Contre-courant
Le billet de Richard Torrielli, Chargé de mission au Conseil d’Administration du SNPHAR-E
De l’esthétique au travail