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S. Cadolle


Crise de l’autorité et démocratie


C’est surtout devant ce qui apparaît aujourd’hui comme la montée inquiétante de
l’incivilité, de la violence et de la délinquance juvénile que l’on évoque la démission des
parents et que l’on en appelle à une restauration de l’autorité. Mais on déplore aussi que
l’école ne soit plus l’institution respectée qui assure la transmission des savoirs et des
valeurs ainsi que l’ascension sociale des élèves méritants. Les représentants de l’Etat eux-
mêmes se voient contestés, les hommes politiques accusés d’être pourris et menteurs, les
fonctionnaires parasites, les juges et les policiers arbitraires. En Occident, le discours des
autorités religieuses a aujourd’hui peu de prise sur les comportements de la grande masse
des contemporains. Ceux qui étaient naguère des modèles respectés et obéis seraient
désormais non seulement critiqués, mais ridicules ou méprisés : c’est le thème de la crise de
l’autorité.
Récemment un ministre propose de sanctionner les injures aux professeurs par des peines
de prison ferme. Et la suppression des allocations familiales est censée ramener les parents
démissionnaires à un meilleur exercice de leur autorité parentale. Avant d’envisager de
débattre de la pertinence de mesures de ce genre, il faudrait analyser cette notion d’autorité
et la distinguer de notions voisines comme celle de pouvoir avec laquelle on la confond
souvent. Une restauration de l’autorité serait-elle souhaitable et possible ?

 N’oublions pas que ce thème du déclin de l’autorité n’est pas nouveau. On peut même dire
que la philosophie commence, par définition, avec une contestation de l’autorité. Socrate, la
figure fondatrice de la philosophie, met en question non seulement les dieux de la cité, mais
aussi le pouvoir des pères sur les jeunes gens, et c’est ce qui lui vaudra d’être condamné à
mort. Au XVIII° siècle, Kant avait défini le mouvement des Lumières par la critique de
l’autorité, nous invitant à activer notre propre entendement, à ne pas nous reposer sur les
conclusions d’autrui, à sortir de la condition de mineur conduit par ses tuteurs. Nous
examinerons d’abord ce qui caractérise l’autorité, ce qui la fonde, quels sont ses effets et à
quoi elle s’oppose. Puis nous verrons en quoi nous vivons une crise de l’autorité et
comment elle se manifeste particulièrement dans la transformation du statut des enfants. Et
nous poserons la question du sens d’une démarche qui chercherait à la restaurer sans
remettre en cause l’idéal démocratique selon lequel tous les hommes sont libres et égaux en
droits.

I Qu’est-ce que l’autorité ?




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Pour penser la notion d’autorité, il faut d’abord la distinguer de la violence et de la
force.
L’autorité est liée à une hiérarchie légitime. Certes, l’autorité exerce un pouvoir, mais ce
pouvoir est ressenti comme légitime, il n’est pas lié au rapport de force brut, ni à la menace
explicite, ce n’est pas la peur qui motive l’obéissance. Quand un policier dégaine son arme,
ce n’est pas son autorité qui arrête le délinquant. Quand un pays est occupé par des troupes
ennemies, ce n’est pas l’autorité qui fait que des habitants obéissent aux ordres placardés
sur les murs. En revanche, nous saisissons des exemples de ce qu’est l’autorité quand nous
voyons un grand gaillard écouter respectueusement un vieil homme, ou des foules saluer ou
obéir à un chef religieux dépourvu de moyens militaires ou financiers. Dans cette
obéissance à l’autorité, il y a consentement, celui qui obéit a le sentiment de conserver sa
liberté. L’autorité s’impose d’elle-même. Elle exclut l’usage de moyens extérieurs de
coercition. Le pouvoir règne par la peur, par la menace de la force, tandis que l’autorité
peut effacer les signes visibles de l’exercice de son pouvoir ou augmenter un pouvoir qui a
besoin de faire l’économie de la force sur laquelle il repose. Si le détenteur de l’autorité est
obligé de dégainer son arme, de recourir à la force, il signe l’échec de son autorité.
H.Arendt distingue nettement tyrannie et gouvernement autoritaire : « Derrière
l’inclinaison libérale à voir des tendances totalitaires dans toute limitation autoritaire de
la liberté, se trouve une confusion de l’autorité avec la tyrannie, et du pouvoir légitime
avec la violence. La différence entre la tyrannie et le gouvernement autoritaire a toujours
été que le tyran gouverne conformément à sa volonté et à son intérêt, tandis que même le
plus draconien des gouvernements autoritaires est lié par des lois. Ses actes sont liés par
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un code dont il n’est pas l’auteur. » L’autorité pure ne requiert aucune contrainte
matérielle, contrairement à la violence et au dressage obtenu par les punitions. L’autorité
implique la reconnaissance d’une hiérarchie admise, consentie, qui n’est pas ressentie
comme une oppression.


 La question est donc celle du fondement de la légitimité d’une hiérarchie.
1. Le premier fondement de l’autorité, c’est la transcendance divine. C’est la religion qui
fondait l’autorité du prêtre ou du chef, représentant de Dieu sur terre, sacré ou consacré.
Qui oserait bafouer l’autorité de celui qui est l’objet de l’élection divine et l’interprète de la
volonté des dieux ? Qui oserait braver sa malédiction ? Le pape disposait de l’arme toute
spirituelle de l’excommunication. Le sacre du roi de France ajoutait une légitimité
religieuse à son pouvoir que Napoléon a encore voulu s’approprier il y a deux siècles à
peine.
La tradition, les ancêtres, mais aussi les anciens qui sont les dépositaires de la tradition
fondaient l’autorité dans le passé qui « donnait au monde la permanence et le caractère


1
    Hannah Arendt, La Crise de la culture, Gallimard.



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durable dont les êtres humains ont besoin précisément parce qu’ils sont les mortels. » La
tradition enseigne qui doit commander et qui doit être obéi, quel est le statut de chacun, ses
droits et ses devoirs. La légitimité traditionnelle vient du fait que ce qui a toujours été ne
peut pas être néfaste et ne doit pas être remis en question : il est dangereux de passer outre
la volonté des ancêtres et de tourner le dos aux voies éprouvées.

2. Un autre fondement de la légitimité de l’autorité, c’est la confiance obtenue par la
reconnaissance par les autres de la supériorité de celui qui détient cette autorité.
 Quand la personne qui l’exerce la tient de son statut, de sa place, dans une institution qui
inspire le respect et est elle-même reconnue comme légitime, l’autorité ne semble pas
incompatible avec la démocratie : la démocratie a besoin d’institutions créées par la loi,
expression de la volonté générale. Ce statut peut amener quelqu’un à exercer une autorité
régulatrice, d’expert, d’arbitre, ou de chef d’orchestre dont les paroles et les actes feront
autorité puisqu’il est reconnu et intronisé par l’institution qui l’a nommé. Si les institutions
sont reconnues comme légitimes, l’autorité exercée par les représentants de cette institution
sera, comme le dit Durkheim « un aspect de l’autorité du devoir et de la raison ».
 Le statut que la justice donnait au magistrat, l’église à l’évêque ou au curé, l’institution
scolaire au professeur, leur donnait d’emblée un capital d’autorité qui dépassait largement
celui qu’ils auraient obtenu en faisant eux-mêmes la preuve de leurs qualités personnelles.

3. Enfin, en dehors des institutions, il s’est toujours trouvé des hommes qui ont exercé un
ascendant sur les autres : par la supériorité qu’ils manifestent, par leur détermination, leur
audace, et l’expérience de la réussite de ceux qui les suivent, ils inspirent confiance. Ils
semblent savoir où ils emmènent ceux qui les suivent. Cette supériorité peut être effective :
certains individus développent une intelligence et une énergie qui assurent le succès.
D’autres peuvent entraîner sous leur ascendant charismatique des individus ou des foules
vers la catastrophe. Néanmoins, on peut se demander s’il s’agit encore d’autorité lorsqu’il y
a séduction et que la volonté de celui qui est séduit est captive de son séducteur. Spinoza
note ainsi qu’ « il n’est pire tyran que celui qui se fait aimer.»
La séduction recherche de façon intéressée à influencer autrui et même à l’instrumentaliser.
Si elle vise à obtenir l’adhésion, c’est à partir de l’irrationnel, en mettant en scène sa propre
valeur aux yeux du sujet à séduire et en lui renvoyant une image « narcissisante » de lui-
même. Elle peut jouer sur la dépendance affective née de l’angoisse infantile d’abandon qui
perdure chez l’adulte. C’est cette proximité avec la séduction qui rend l’autorité suspecte
d’infantiliser ceux qui la subissent. Pour un auteur comme Gérard Mendel3, la force est la
raison dernière de l’autorité qui évoque toujours soit la figure archaïque de la Mère, soit,
dans le meilleur des cas, la figure du père oedipien.


2
    Hannah Arendt, id.
3
    Gérard Mendel, Une Histoire de l’autorité, La Découverte, 2002.



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4. L’autorité d’autre part est incompatible avec la persuasion qui présuppose l’égalité
et qui a recours à des arguments. L’égalité démocratique (un électeur, une voix) suppose
que chaque citoyen dispose de la raison commune et puisse être convaincu par un débat
rationnel. Là où il y a discussion pour convaincre et négociation, il n’y a pas recours à
l’autorité : « Dès qu’on argumente, on se place à égalité avec l’autre, dans un espace
démocratique qui abolit la différence de valeur, la reconnaissance de supériorité qui
correspond à l’autorité. Et donc, plus la logique de l’argumentation progresse,
parallèlement à la dynamique des sociétés démocratiques, plus l’espace de l’autorité est
fragilisé. »4 Dans une société démocratique qui prend pour principe que les êtres humains
sont des semblables, toute affirmation d’une inégalité est problématique.

II Une crise de l’autorité ?

Après d’autres auteurs, Marcel Gauchet et Alain Renaut s’accordent pour relier la crise de
l’autorité à l’apparition des sociétés modernes qui ont fait le choix de valeurs
démocratiques.
Les progrès de la démocratie ont amené la remise en cause des fondements des
hiérarchies.
La Révolution Française a guillotiné le roi, et avec lui, malgré les restaurations, toutes les
figures religieuses de l’autorité. Ce que l’on appelle « le désenchantement du monde »,
c’est-à-dire le processus selon lequel nos sociétés modernes sont sorties de la religion avec
la déchristianisation, a progressivement sapé le fondement religieux de l’autorité. Notre
société où les pouvoirs se légitiment à partir de leur fondement sur la volonté générale
exclut les formes traditionnelles d’autorité
La démocratie va créer de nouvelles institutions fondées sur le principe de l’égalité des
citoyens et sur la loi comme émanation de la volonté générale. Le pouvoir et l’ordre ne
tombent pas d’en haut, ils procèdent d’ici-bas, des individus, sujets de droits. L’Etat-nation
et les institutions qui en dépendent se développent, mais aussi des encadrements collectifs,
partis, syndicats, associations, proposent des solutions à la question des inégalités sociales
et continuent de représenter la transcendance des collectifs par rapport aux individus, alors
même que s’effritent les croyances religieuses. Ces grands collectifs ont été frappés de
plein fouet lors de la crise des années 1970 par l’évanouissement de ce qui subsistait de
religieux dans les rapports sociaux. Le sacrifice pour l’Avenir, la dette à l’égard de la
nation, le sens de l’Etat, la solidarité envers la classe ouvrière se sont délités et
dévalués. «Les vestiges de la vieille culture autoritaire faisant passer la socialisation par la
dette à l’égard du passé et la soumission consciente des parties envers le tout ont été peu à
peu balayés ; ça a été le triomphe de l’individu, libéré de ses obligations archaïques de
révérence envers les représentants de l’ensemble comme tel, du Père au Prince, et

4
 Alain Renaut, La Libération des enfants, contribution à une histoire de l’enfance, Bayard-Calmann-Lévy,
2002.



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5
définitivement confirmé dans son droit privé d’ignorer le lien de société. »
Le soupçon est porté sur toutes les institutions : sur la nation qui justifie les guerres
mondiales et coloniales. Sur la famille, ordonnée autour de la domination masculine. Sur
l’Ecole, qui reproduit la domination de ceux qui possèdent un héritage socio-culturel.
Pendant des décennies de critique sociale inspirée du marxisme et d’une certaine
psychanalyse, toute répression, toute autorité est apparue comme instrument de domination.
Et le discrédit frappe les représentants de ces institutions : en l’absence d’un affrontement
politique clair entre droite et gauche, l’homme politique est condamné, pour se faire élire, à
la démagogie même pour laquelle on le méprise. Incapables de réaliser l’idéal des droits de
l’homme, seul substitut actuel à une ambition collective dans l’impuissance du politique,
les représentants de nos institutions deviennent les boucs émissaires de la résistance du réel
à l’idéal. Même la science perd l’autorité que la modernité lui avait accordée : on n’en
attend plus de progrès décisif, sachant désormais que les effets des découvertes
scientifiques peuvent aussi être désastreux pour l’humanité.
Plus aucune hiérarchie ne nous semble naturelle ni incontestable, ni celle de la lignée, la
supériorité des aristocrates vis-à-vis des roturiers, ni celle de la race, celle des civilisés vis-
à-vis des sauvages, ni celle des hommes vis-à-vis des femmes. Les sociétés traditionnelles
sont établies sur le principe des places et des castes hiérarchisées. La famille était le lieu de
l’inégalité entre le mari et la femme, le père et les enfants, l’aîné et les cadets. En revanche,
aujourd’hui, « le plus grand problème de la société des individus consiste en ceci qu’elle
repose sur un principe abstrait établissant comme source de toute légitimité l’existence
d’êtres libres et égaux, mais qu’il lui faut, d’autre part, gérer des individualités concrètes
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qui sont, elles, sexuées, primitivement dépendantes, et accessoirement mortelles. »
D’autre part le droit de punir a été ébranlé. A l’époque moderne, l’homme est l’auteur
conscient et responsable de ses actes et de ses pensées. C’est ce qui permet de lui imputer
ses actes. Mais au 20 ° siècle, la notion d’un sujet humain autonome et transparent à lui-
même est dénoncé comme une illusion naïve par la découverte des inconscients psychique
et social. Pire, face au développement des nouvelles formes de domination, M. Foucault
dénonce la volonté d’ordre et de maîtrise de la modernité par de nouvelles procédures
d’assujettissement et de redressement : si l’acte incriminé est libre, il faut priver son auteur
de la liberté. L’humanisation des peines n’est qu’un redoublement de la domination. Les
actes ne sont que les effets des inconscients et la répression consolide l’ordre social. Le
fondement de la peine se dérobe.

L’évolution du statut de l’enfant : de l’enfant débiteur à l’enfant créancier
« La dynamique démocratique va très loin : la famille va devenir un espace de discussion,


5
  Marcel Gauchet, L’Ecole à l’école d’elle-même, in La démocratie contre elle-même, Gallimard, 2002, p.
113.
6
  id.



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7
l’école est en train de devenir un espace de discussion.»
La démocratie a transformé en profondeur le rapport adulte-enfant. Le père est le chef de
la famille comme le roi est le père du peuple, tenant son pouvoir de Dieu. Il transmet son
statut et son patrimoine. Au 18° siècle, les trois quarts des fils ont la profession de leurs
pères. On enseignait aux enfants leurs devoirs, dont le premier était le respect et la
reconnaissance qu’ils devaient manifester à leurs parents qui leur avaient donné la vie.
Si, avec le christianisme, le père avait perdu le droit de vie et de mort qui était celui du
pater familias romain sur sa progéniture, il a gardé jusqu’à la Révolution française le droit
de correction, le droit de déshériter et même de faire embastiller un fils rebelle. Sa
malédiction était redoutée. Le crime des crimes, c’était alors le parricide, à l’égal du
régicide. Les enfants qu’on avait en trop grand nombre et dont beaucoup mouraient en bas
âge, étaient, dans les villes, envoyés en nourrice à la campagne, parfois donnés ou
abandonnés (en 1861, près de 31000 enfants trouvés à Paris.) Ils étaient en général placés
dans une autre famille dès 8, 10 ans, comme domestiques ou en apprentissage, et cela
jusqu’après les lois Jules Ferry de 1882, qui n’ont été appliquées que progressivement. La
Révolution française a porté un coup considérable à la puissance paternelle : « En coupant
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la tête du roi, la République a coupé la tête à tous les pères de famille.» Le Code
napoléonien ne va que stopper provisoirement ce déclin.
La révolution industrielle, l’urbanisation puis la scolarisation changent le statut des
enfants. Dans une société d’exode rural où les villes doublent de population, la transmission
d’un métier et d’un héritage se dévalue. Le peuple prend conscience du besoin de
scolarisation. La montée du salariat formé par l’école rend possible l’ascension sociale
individuelle par le diplôme.
La montée du rôle des églises et de l’Etat dans l’éducation par cette scolarisation de masse
a contribué au déclin du pouvoir paternel : lois réglementant le travail des enfants en 1841,
sur la scolarisation obligatoire en 1882, sur la déchéance paternelle au profit de
l’Assistance publique en 1889 si le parent est reconnu indigne, sur l’interdiction des
mauvais traitements à enfants en 1898.
Mais la socialisation des enfants était assurée par une inculcation moralisatrice massive qui
a longtemps été la première finalité de la scolarisation. Les congrégations religieuses
voulaient avant tout former de bons chrétiens et, à partir de Jules Ferry, l’Ecole des
« hussards noirs de la République » a repris des méthodes analogues pour former de bons
français. Après la scolarisation primaire, le travail professionnel insérait les enfants dans le
monde adulte dès 12 ans. Seuls les enfants de la bourgeoisie et quelques bons élèves
repérés par leurs instituteurs poursuivaient des études, le plus souvent en internat. Or au
vingtième siècle, nous avons assisté à l’affaiblissement de toutes les institutions éducatives,
à la montée de l’exigence de qualification de la main d’œuvre et du chômage des non
diplômés.

7
    Alain Renaut, op.cit.
8
    Honoré de Balzac, Mémoire de deux jeunes mariés.



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Par ailleurs aujourd’hui, la contraception et les progrès de la médecine font que l’on n’a
plus que des enfants désirés et que l’on en a peu. Leur valeur s’accroît et ils accèdent au
statut de personne, de sujet à part entière. L’enfant est rare et précieux, les parents
s’investissent et investissent comme jamais dans son éducation, qui devient l’œuvre à
réussir pour combler le parent. La totalité de nos aspirations à la durée est désormais
projetée sur l’enfant.
D’autre part, la vulgarisation de la psychologie de l’enfant a complexifié la tâche des
parents, inquiets de mal faire. Depuis les années 1960, quelques auteurs, dont le plus
célèbre est F.Dolto, ont diffusé certaines notions de psychanalyse reprises et souvent
déformées par les médias. L’idée de l’importance décisive de la petite enfance et celle selon
laquelle les relations entre le petit enfant et sa famille déterminent la construction de la
personnalité et parfois les souffrances psychiques de toute une vie, ont déstabilisé
profondément les modalités éducatives traditionnelles. Ecouter la parole de l’enfant devient
une injonction récurrente. L’enfant est vu désormais comme le sanctuaire de la personnalité
adulte. Mais comme l’enjeu scolaire est considérable, que la concurrence est vive, et que la
responsabilité de l’échec scolaire est attribuée aux carences éducatives des familles et
culpabilise les parents, ceux-ci doivent aussi veiller à ce que l’enfant se plie aux efforts
nécessités par le travail scolaire.
Les parents se trouvent ainsi placés face à des injonctions assez contradictoires, contraindre
sans user les moyens traditionnels de contrainte désormais stigmatisés, les coups, les
menaces, les humiliations… Dans beaucoup de familles immigrées, le choc culturel avec la
« famille relationnelle » occidentale est ravageur et le père est fragilisé et disqualifié. Son
rôle traditionnel n’est pas de câliner, d’écouter ou d’expliquer la vie aux enfants, il est de
subvenir aux besoins matériels de sa famille et d’apprendre aux enfants leur place, en leur
faisant la morale, en les frappant, en leur faisant honte, en leur donnant les ordres. Quand
son autorité ne peut s’exercer et n’est plus soutenue par la famille élargie et l’ensemble du
fonctionnement social, le père, frappé d’impuissance, est tenté de renoncer.
Enfin, de plus en plus d’enfants (17 % des enfants mineurs) résident avec un seul de leurs
parents, le plus souvent leur mère, dans un foyer monoparental ou recomposé. Or, quand
les pères séparés maintiennent le contact avec leurs enfants, il leur est difficile d’exercer
une autorité par intermittence, malgré le principe de co-parentalité énoncé par la loi. Et
dans la famille recomposée, le père souvent est exclu ou s’exclut lui-même, et le beau-père
demeure généralement dans une prudente abstention, se contentant d’être le compagnon ou
                    9
le mari de la mère . Or, l’autorité des parents tient beaucoup à l’autorisation réciproque que
se donnent le père et la mère.
 Ainsi les bouleversements de la famille contemporaine renforcent la prédominance de la
mère qui est souvent seule à exercer une autorité affaiblie, alors que les enfants ne
ressentent plus guère la supériorité légitime des adultes vis-à-vis d’eux.
L’affirmation des droits-libertés dans la Convention internationale des Droits de l’Enfant

9
    S.Cadolle, Etre parent, être beau-parent, la recomposition de la famille, O.Jacob, 2000.



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ratifiée par la France en 1989 risque d’entrer en conflit avec toute relation à l’enfant où
l’exercice de l’autorité se trouve justifié par la protection qu’on doit lui accorder.
Mettre l’accent sur l’épanouissement et les droits de l’enfant, comme s’il s’agissait que
l’enfant-sujet se réalise ou se révèle, l’éducation consistant seulement à en favoriser le
développement, refuse la tension inhérente à toute éducation. Le devoir des parents à
l’égard des enfants a toujours été une transmission intergénérationnelle où les anciens
enseignent le monde aux nouveaux-venus. Comme l’écrit Hannah Arendt, “ dans le cas
de l’éducation, la responsabilité du monde prend la forme de l’autorité. L’homme moderne
ne pouvait exprimer plus clairement son mécontentement envers le monde et son dégoût
pour les choses telles qu’elles sont qu’en refusant d’en assumer la responsabilité pour ses
enfants. C’est comme si chaque jour les parents disaient : En ce monde même nous ne
sommes pas en sécurité chez nous ; comment s’y mouvoir, que savoir, quel bagage
acquérir sont pour nous aussi des mystères. Vous devez essayer de faire de votre mieux
pour vous en tirer. ”i Pour H. Arendt, le défaut d’autorité des adultes s’explique par la
difficulté à assumer la responsabilité d’un monde dans lequel ils sont eux-mêmes perdus.

Les mêmes contradictions frappent l’Ecole. Le projet historique des démocraties est
toujours passé par l’éducation des citoyens. La société démocratique ne laisse pas à ses
nouveaux membres le droit à l’ignorance. Elle les force en quelque manière à incorporer les
moyens de la liberté. Or, du projet de la démocratie par l’école, on est passé au projet de la
démocratie dans l’école. « Mettre l’élève au centre de l’Ecole »10, cela est parfois compris
par certains comme ne plus imposer de savoirs, pousser à l’auto-développement d’un sujet
acteur de ses apprentissages, ce qui interdit la transmission comme telle, avec ce qu’elle
suppose d’antériorité et d’extériorité par rapport aux individualités. L’école, lieu de vie des
enfants, serait le lieu où l’on apprendrait la démocratie en la pratiquant. Il s’agirait de
promouvoir l’enfant sujet et acteur de la démocratie.
 Dans la mesure où la famille est désormais un groupe affectif, elle n’apprend plus aux
enfants à se considérer comme un parmi d’autres ni à se soumettre à des règles objectives.
La socialisation qu’elle dispense à ses enfants tient grand compte de leur individualité. Les
parents comptent sur l’école pour effectuer cette part de la socialisation qui implique de se
soumettre aux règles sociales alors que les enseignants attendent toujours que cette tâche
soit effectuée par les parents.


Consommation, médias, et immédiateté

Notre société place l’argent en tête de ses valeurs et ceux qui sont jeunes, riches et beaux
sont érigés en modèles. Vedettes du show-business ou présentateurs de télévision, ils sont
plutôt cigales que fourmis et ne doivent le plus souvent leur richesse ni à leur travail ni à
10
     Cf. La Loi d’Orientation du Système Educatif, 1989.



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l’épargne, mais à leur beauté, à leur culot et à leur heureuse utilisation des médias. Le
prestige et l’influence sont attachés à ceux qui font parler d’eux et qu’on voit à la
télévision. Les qualités personnelles et intellectuelles ne servent à rien si on n’y adjoint pas
la maîtrise des médias, qui prime largement sur elles. Le désenchantement du monde et le
délabrement des grands idéaux de la modernité n’ont laissé comme signification au centre
de la vie humaine que des objectifs d’expansion de la production et de la consommation.
D’où une crise des processus identificatoires : “ Où est le sens vécu comme impérissable
par les hommes et les femmes contemporains ? Mère et père transmettent ce qu’ils vivent,
ils transmettent ce qu’ils font. Ils transmettent : ayez le plus possible, jouissez le plus
possible, tout le reste est secondaire ou inexistant. Le modèle identificatoire, c’est celui de
l’individu qui gagne le plus possible et qui jouit le plus possible. ”ii C. Castoriadis cite une
observation à ce propos : il y a une trentaine d’années, les parents invitaient pour
l’anniversaire de leur enfant ses petits amis et chacun apportait son cadeau à l’enfant fêté.
Aujourd’hui, ses parents doivent prévoir des cadeaux pour chaque enfant, pour lui éviter
l’intolérable frustration de ne pas recevoir de cadeau. Et Castoriadis pose la question : être
un bon parent consiste-t-il à éviter toute frustration à son enfant ?
Si les seules valeurs d’une société sont dans la consommation, on comprend que les parents
ne se sentent légitimés à ne rien exiger ni interdire, sauf ce que leur semble requérir la
réussite scolaire, comprise comme ouvrant l’accès à une réussite sociale minimale. En
hésitant devant tout acte d’autorité par peur de perdre leur amour, nous enlevons peut-être à
nos enfants leur chance d’entreprendre quelque chose de neuf, un projet d’autonomie
critique pour refonder un monde commun où l’économie ne serait plus la fin ultime. Ce
n’est pas la démission des parents qui est à mettre en cause, ni telle ou telle forme familiale,
mais surtout l’impuissance de notre société dans son ensemble à croire en des valeurs et en
une culture à transmettre.
On peut d’ailleurs se poser la question avec C. Castoriadis : « La catégorie d’identification
est-elle encore opératoire dans le monde où nous nous trouvons ? » On évoque en effet
souvent la faiblesse des identifications que proposent les adultes en désignant souvent le
père comme coupable, absent, indifférent ou inconsistant… Mais pour qu’il y ait un sens à
s’identifier, il faut une situation sociale où des modèles culturels permettent d’entrer en
communication avec un idéal incarné dans des modèles. Aujourd’hui, il n’y a pas toujours
de sens à vouloir devenir comme son père, ou son professeur. Loin de chercher à adhérer à
une autorité, les personnes se construisent plutôt par répulsion et retrait, au prix de « la
                     11
fatigue d’être soi » et de la montée de l’insignifiance.
La mercantilisation de tous les rapports humains déstabilise toutes les formes d’autorité que
l’avancée de la démocratie avait épargnées : celle de l’Etat et de la nation menacée par
l’ultra-libéralisme économique et l’absence de projet collectif mobilisateur, celle de l’Ecole
où les enseignants sont impuissants à transmettre des valeurs qui n’ont plus cours, les
enfants étant fascinés par les modèles médiatiques et les plaisirs de la consommation. Nous

11
     Selon l’expression d’A.Ehrenberg pour désigner la dépression , « La fatigue d’être soi », O.Jacob,



                                                                                                          9
sommes encouragés à vivre à crédit, c’est-à-dire à dépenser aujourd’hui ce que nous
gagnerons demain. Rester jeune étant l’idéal des consommateurs adultes, il n’est guère
étonnant que ceux-ci aient peu d’autorité sur les enfants. Les médias, et en premier lieu la
                                                                           12
télévision et les jeux vidéos ont investi la vie familiale. Karl Popper parle à leur sujet
d’éducation clandestine : c’est une morale du chacun pour soi qui est délivrée, légitimant la
violence, le sexe mercantile, le mépris des femmes. L’enfant confronté à la circulation des
messages et à l’inflation des informations pense tout savoir, et l’adulte ne sait plus ce qu’il
a à lui enseigner. La famille n’est pas loin de devenir un groupe où cohabitent pour
satisfaire les besoins affectifs de la vie quotidienne des gens d’âge différents, mais de statut
équivalent. Les adultes n’ayant plus de certitudes ne s’érigent plus en modèles et ne savent
plus ce qui vaut la peine d’être transmis.
Ce que nous vivons est autant une crise de la transmission qu’une crise de l’autorité.


III Quelle place pour l’autorité ?

Pourtant, c’est toujours la société qui dispense les normes conscientes ou inconscientes et
pose les valeurs. C’est une instance sociale supérieure et extérieure aux individus, invisible,
qui invalide plus ou moins l’autorité du maître ou du professeur aux yeux de leurs élèves ou
celle des parents aux yeux de leurs enfants. N’est-il pas préférable pour les enfants que
leurs éducateurs fassent autorité pour eux plutôt qu’ils ne subissent sans le savoir ce
conditionnement inconscient, à condition toutefois que ces adultes soient conscients de
leurs obligations envers eux ?

Les obligations des adultes à l’égard des enfants

Il ne peut y avoir de démocratie entre enfants et adultes. Les enfants ne doivent pas être
confondus avec une minorité opprimée. Certes les enfants sont dans une situation de
faiblesse comme les groupes sociaux opprimés. Mais leur faiblesse est intrinsèque, et non
produite par l’oppression elle-même. Les adultes ne sont pas aux enfants ce que les
colonisateurs ont été aux colonisés, ni les hommes aux femmes. L’intérêt des enfants n’est
pas de renverser une oppression, mais de faire confiance aux adultes conscients de leurs
obligations à leur égard et aux institutions sociales démocratiques qui doivent les aider à
grandir et à devenir moins faibles.
 Dans la sphère de l’éducation des enfants, l’autorité est une nécessité requise par leur
dépendance naturelle, mais aussi par le fait que l’homme est un être culturel, immergé dans
le langage et qu’il est nécessaire de transmettre aux nouveaux-venus une civilisation
constituée, déjà-là. « Les éducateurs font figure de représentants d’un monde dont, bien
qu’ils ne l’aient pas eux-mêmes construits, ils doivent assumer la responsabilité, même si,

12
     Karl Popper, La télévision, un enjeu pour la démocratie, Anatolia, 1994.



                                                                                             10
secrètement ou ouvertement, ils le souhaitent différent de ce qu’il est. Qui refuse d’assumer
cette responsabilité du monde ne devrait, ni avoir d’enfant, ni avoir le droit de prendre part
à leur éducation. Dans le cas de l’éducation, la responsabilité du monde prend la forme de
l’autorité. Vis-à-vis de l’enfant, c’est un peu comme si l’éducateur était un représentant de
tous les adultes, qui lui signalerait les choses en lui disant : « voici notre monde ».
L’autorité a été abolie par les adultes et cela ne peut que signifier une chose : que les
adultes refusent d’assumer la responsabilité du monde dans lequel ils ont placé les
           13
enfants. » Ni famille ni l’école ne peuvent être de petites démocraties où les places
seraient interchangeables. N’oublions pas la vulnérabilité et l’irresponsabilité des enfants.
C’est parce qu’ils ont droit à cette irresponsabilité que les enfants ne peuvent être encore
citoyens, mais seulement se préparer à le devenir.
 La famille et l’école doivent retrouver des certitudes quant au statut de l’enfant et à
l’autorité qu’il convient d’assumer face à des êtres encore immatures et à la responsabilité
partielle. La société des adultes tout entière a un devoir d’éducation à l’égard des enfants.
Les enfants doivent être protégés des effets de la loi du profit. La responsabilité politique
de contrôler l’action de la publicité et des médias sur les enfants semble évidente.

Mais la protection de l’enfance ne saurait interdire aux petits hommes toute possibilité de
faire l’expérience de la liberté à laquelle ils sont destinés et réduire l’éducation à un
quelconque dressage.

Les obligations des parents vis-à-vis des enfants

On peut déplorer que les parents n’osent pas entrer en conflit avec leurs enfants pour
s’opposer à leur désir tyrannique, à leurs demandes toujours renouvelées de marchandises,
que la famille soit devenue un espace où tout se négocie entre parents et enfants, on peut
regretter que les parents considèrent souvent leurs enfants comme des égaux, des
confidents, ou qu’ils aient un tel besoin vital d’être aimés par leurs enfants.
Pourtant, la famille ne peut être une petite démocratie, ni un groupe électif et précaire
d’individus interchangeables. La famille est l’institution qui prend en change le temps de la
vie, qui assure la sécurité de l’appartenance, qui prend en charge de façon inconditionnelle
la fragilité, la dépendance de l’enfance comme celle de la vieillesse. Le système de parenté
est un système symbolique qui définit des places. Les individus ne peuvent définir la leur
selon leur bon plaisir. Ces places sont liées à des droits, à des devoirs, à des interdits que
chaque société institue pour ses membres. Ces places ne sont pas symétriques, parents et
enfants ne se choisissent pas comme dans le fantasme d’une société où tous les liens
seraient des liens choisis et où s’abolirait la différence de générations parce que les enfants
seraient déjà raisonnables : il n’y a pas de contrat social possible entre enfants et parents.
C’est notre réalité d’humains, notre condition de mortels, qui fait que la reproduction

13
     Hannah Arendt, La crise de l’éducation in La crise de la culture, Gallimard Folio, 1972.



                                                                                                11
sexuée réclame une transmission culturelle.
Mais ce ne sont pas les parents qui en tant qu’individus sont carents, c’est le social qui ne
les soutient plus. Nous avons vu que les parents ont de moins en moins de possibilités
d’exercer une autorité sur leur enfant et que la diffusion de la psychologie qui les pousse à
écouter la parole de l’enfant ne les aide pas à poser une parole d’autorité « parce que c’est
moi qui te le dis », pour lui enseigner le monde tel qu’il était avant lui. « On peut bien sûr
imputer aux familles une déplorable défaillance en matière de transmission des normes et
des repères, et rejouer la scène du conflit entre les pères de famille et l’Etat, comme si
l’Ecole n’avait pas été inventée justement pour remplir un rôle que la famille ne pouvait
pas assurer. »
 Notre société a à se poser la question des institutions capables d’exercer cette autorité
démocratique (certains parleraient de fonction paternelle) dont les enfants ont besoin pour
grandir, pour accepter de faire effort, de faire passer le principe de réalité avant le principe
de plaisir, l’avenir avant l’instant présent, l’intérêt général avant leur intérêt particulier.

Les obligations des enseignants vis-à-vis des élèves

Les pédagogies nouvelles ont voulu aller vers le gouvernement des enfants par eux-mêmes.
On veut faire construire la loi par les élèves, oubliant d’une part que nous sommes déjà
dans un état de droit avec des lois démocratiques dont l’enseignant fonctionnaire est garant,
et d’autre part que l’autonomie implique que l’on soit capable de se soumettre soi-même à
la loi qu’on s’est prescrite, donc que l’on ait acquis la maîtrise de soi-même et de ses
pulsions. Ce n’est pas en éliminant l’autorité que l’on produit du même coup des individus
autonomes. C’est justement à doter l’enfant de la maîtrise de soi que l’autorité de
l’éducateur doit être employée. Une société où les enfants seraient livrés à eux-mêmes
serait impitoyable et la loi du plus fort y régnerait. La démocratie est une lente conquête
historique, encore fragile et menacée, dont nous avons à transmettre les principes aux
nouveaux-venus dans le monde. « La meilleure épreuve du bien-fondé des règles, ce n’est
ni leur énoncé assorti de rappels lancinants et d’affichages de toutes sortes, ni l’auto-
institutionnalisation de la discipline, mais la conscience de la sécurité qu’elles procurent
lorsque leur observance est effectivement garantie. »14 Faire construire les règles par les
élèves peut être intéressant dans la mesure où une autorité est démocratique lorsqu’elle
prend soin de s’expliquer et de se justifier, mais les élèves doivent savoir que les règles
qu’ils élaborent doivent s’inscrire dans les lois, arrêtés, et règlements en vigueur dans notre
république. Et cela apparaît totalement vain s’ils élaborent des règles dont rien n’assure le
respect. Il s’agit en priorité que les adultes assurent une présence vigilante dans les
établissements scolaires de façon à y réassurer la sécurité et le respect des conditions de
travail des élèves. La victimisation des auteurs de violence induit une attitude de
compassion de la part des personnels éducatifs qui paralyse la possibilité de sanctionner.

14
     Dominique Ottavi, Pour une philosophie politique de l’éducation, Bayard, 2002, p.228.



                                                                                             12
En outre, l’autorité adulte est minée dès lors que les divergences dans les valeurs ou les
façons de faire empêchent la construction d’un front uni normatif face aux élèves qui en
jouent pour négocier ou faire lever les sanctions et semer le doute quant à leur bien-fondé.
Pour que l’autorité à l’école soit démocratique et légitime, il faut que les adultes s’y
soumettent comme les enfants, que la règle soit la même avec tous les enseignants, et
qu’ils soient assez présents et concernés pour que les élèves se sentent en sécurité dans
l’espace scolaire.
La refondation du droit de punir
L’humanisation possible des peines dans le domaine judiciaire ne peut plus être considérée
comme un leurre, contrairement à ce qu’en dit Foucault : la peine doit permettre au
condamné de retrouver une place de sujet humain et pas de le faire expier. Mais à
déculpabiliser le délinquant on ne l’aide pas à se reconstruire une volonté responsable qui
lui a en partie fait défaut. On dépossède le sujet de ses actes.
Dans l’Education Nationale, les thèses de Foucault ont rencontré un très large écho ce qui a
entraîné les utopies pédagogiques à promouvoir l’idéal de fonctionner « sans obligation ni
sanction ». Il faut se demander à quelles conditions la peine peut être ordonnée à la dignité
du délinquant, un élément de la reconstruction de la responsabilité : organiser le face à face
permettant de reconnaître la souffrance endurée par la victime, constater la culpabilité et
contractualiser la peine.
La démocratisation d’une institution conduit à y repenser l’exercice du pouvoir, pour qu’il
soit compatible avec les valeurs de la liberté et de l’égalité.
L’autorité médiatrice de l’enseignant a à ménager aux enfants des accès et des transactions
pour leur permettre la maîtrise réfléchie de cette culture qui leur donnera pouvoir de mieux
comprendre le monde et liberté de jugement. Et cette autorité est désintéressée, car elle
s’exerce expressément en vue de la liberté de celui qui la subit. Elle vise à disparaître dans
cette égalité entre le maître et l’élève postulée par l’école de la démocratie. Il s’agit donc
d’un compromis entre l’autorité à exercer et la liberté à produire.
Vouloir introduire la démocratie dans l’école par le débat, la participation démocratique, la
vie associative, avec des conseils et des représentants élus, cela présente toute une série de
difficultés. Le débat en classe permet aux élèves de confronter leurs points de vue
argumentés. Mais pour quelles prises de décision ? Rien n’indique que les élèves
parviendront à la perception d’un bien commun, d’une position rationnelle. Les élèves
                                                                           15
risquent surtout d’acquérir « la grisante idée que toute vérité se discute », et qu’à chacun
sa vérité … Encourager la participation des élèves à des associations humanitaires ou
culturelles peut leur apprendre d’abord la pratique du lobbying ou du marketing plus que la
recherche de l’intérêt commun. Quant aux institutions de représentations des élèves,
n’ayant qu’un pouvoir consultatif, elles donnent parfois aux élèves le sentiment d’avoir été
manipulés et, au mieux, que la démocratie, c’est beaucoup de temps passé pour des effets
minimes.

15
     id.



                                                                                           13
C’est aussi en assurant à tous l’instruction nécessaire à une participation éclairée aux
décisions politiques que l’école contribue à créer les conditions d’un gouvernement
démocratique. Cela suppose que les enseignants soient reconnus dans cette mission, s’y
sentent autorisés, qu’ils aient éprouvé le sens de cette culture et l’intérêt pour les élèves
jusqu’à choisir ce métier de la leur transmettre.

Analyser les difficultés de l’éducation des enfants aujourd’hui ne doit pas amener à oublier
ce que la dynamique démocratique de nos sociétés a apporté de positif : « l’éducation s’en
est trouvée définitivement dégagée de toute confusion avec un quelconque dressage et les
enfants ont pu ainsi, peu à peu, échapper à des formes d’assujettissement
déshumanisantes. »16 Des générations d’enfants ont été victimes du droit que les adultes se
donnaient de disposer de leurs vies et de leurs morts. De ce point de vue, la modernité a
correspondu à une véritable libération des enfants.
Nous qui nous retrouvons dans l’idéal démocratique de l’égalité et dans le respect de la
personne de l’enfant, nous avons à affronter le paradoxe que constitue toute situation où
une autorité doit être provisoirement préservée : former des individus en est l’exemple,
puisqu’il faut éduquer l’enfant pour en faire un être libre. Il faut transmettre à l’enfant, pour
qu’il le renouvelle, l’héritage de notre culture dont fait partie la démocratie. L’adulte peut
alors susciter chez l’enfant cette confiance qui lui permet, s’il ne voit pas le sens de l’effort
qu’on lui propose, de s’en remettre à quelqu’un qui, lui, le connaît, et se porte garant de ce
qui fait grandir17. Mais il n’est plus évident de transmettre, parce qu’on ne renouera pas
                                                             18
avec l’incorporation d’une tradition prestigieuse et sacrée . Et l’on ne pourra pas rétablir la
dimension énigmatique de l’autorité des éducateurs, ce sur-pouvoir dévasté par la
déconstruction des années 70. Nous voulons que nos enfants soient non pas oublieux, mais
libres des déterminations de nos héritages. L’autorité qui s’exerce sur un alter ego,
l’autorité démocratique, est en crise par définition.




i
     Hannah Arendt, La Crise de la culture, Gallimard, p. 245.
ii
     Cornelius Castoriadis, La montée de l’insignifiance, Seuil, 1996.


16
   Alain Renaut, La libération des enfants, p.387. Bayard, 2002.
17
   id.p. 231
18
   Marcel Gauchet, L’Ecole à l’école d’elle-même, in La démocratie contre elle-même, Gallimard, 2002.



                                                                                                        14

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Autorite Cadolle

  • 1. S. Cadolle Crise de l’autorité et démocratie C’est surtout devant ce qui apparaît aujourd’hui comme la montée inquiétante de l’incivilité, de la violence et de la délinquance juvénile que l’on évoque la démission des parents et que l’on en appelle à une restauration de l’autorité. Mais on déplore aussi que l’école ne soit plus l’institution respectée qui assure la transmission des savoirs et des valeurs ainsi que l’ascension sociale des élèves méritants. Les représentants de l’Etat eux- mêmes se voient contestés, les hommes politiques accusés d’être pourris et menteurs, les fonctionnaires parasites, les juges et les policiers arbitraires. En Occident, le discours des autorités religieuses a aujourd’hui peu de prise sur les comportements de la grande masse des contemporains. Ceux qui étaient naguère des modèles respectés et obéis seraient désormais non seulement critiqués, mais ridicules ou méprisés : c’est le thème de la crise de l’autorité. Récemment un ministre propose de sanctionner les injures aux professeurs par des peines de prison ferme. Et la suppression des allocations familiales est censée ramener les parents démissionnaires à un meilleur exercice de leur autorité parentale. Avant d’envisager de débattre de la pertinence de mesures de ce genre, il faudrait analyser cette notion d’autorité et la distinguer de notions voisines comme celle de pouvoir avec laquelle on la confond souvent. Une restauration de l’autorité serait-elle souhaitable et possible ? N’oublions pas que ce thème du déclin de l’autorité n’est pas nouveau. On peut même dire que la philosophie commence, par définition, avec une contestation de l’autorité. Socrate, la figure fondatrice de la philosophie, met en question non seulement les dieux de la cité, mais aussi le pouvoir des pères sur les jeunes gens, et c’est ce qui lui vaudra d’être condamné à mort. Au XVIII° siècle, Kant avait défini le mouvement des Lumières par la critique de l’autorité, nous invitant à activer notre propre entendement, à ne pas nous reposer sur les conclusions d’autrui, à sortir de la condition de mineur conduit par ses tuteurs. Nous examinerons d’abord ce qui caractérise l’autorité, ce qui la fonde, quels sont ses effets et à quoi elle s’oppose. Puis nous verrons en quoi nous vivons une crise de l’autorité et comment elle se manifeste particulièrement dans la transformation du statut des enfants. Et nous poserons la question du sens d’une démarche qui chercherait à la restaurer sans remettre en cause l’idéal démocratique selon lequel tous les hommes sont libres et égaux en droits. I Qu’est-ce que l’autorité ? 1
  • 2. Pour penser la notion d’autorité, il faut d’abord la distinguer de la violence et de la force. L’autorité est liée à une hiérarchie légitime. Certes, l’autorité exerce un pouvoir, mais ce pouvoir est ressenti comme légitime, il n’est pas lié au rapport de force brut, ni à la menace explicite, ce n’est pas la peur qui motive l’obéissance. Quand un policier dégaine son arme, ce n’est pas son autorité qui arrête le délinquant. Quand un pays est occupé par des troupes ennemies, ce n’est pas l’autorité qui fait que des habitants obéissent aux ordres placardés sur les murs. En revanche, nous saisissons des exemples de ce qu’est l’autorité quand nous voyons un grand gaillard écouter respectueusement un vieil homme, ou des foules saluer ou obéir à un chef religieux dépourvu de moyens militaires ou financiers. Dans cette obéissance à l’autorité, il y a consentement, celui qui obéit a le sentiment de conserver sa liberté. L’autorité s’impose d’elle-même. Elle exclut l’usage de moyens extérieurs de coercition. Le pouvoir règne par la peur, par la menace de la force, tandis que l’autorité peut effacer les signes visibles de l’exercice de son pouvoir ou augmenter un pouvoir qui a besoin de faire l’économie de la force sur laquelle il repose. Si le détenteur de l’autorité est obligé de dégainer son arme, de recourir à la force, il signe l’échec de son autorité. H.Arendt distingue nettement tyrannie et gouvernement autoritaire : « Derrière l’inclinaison libérale à voir des tendances totalitaires dans toute limitation autoritaire de la liberté, se trouve une confusion de l’autorité avec la tyrannie, et du pouvoir légitime avec la violence. La différence entre la tyrannie et le gouvernement autoritaire a toujours été que le tyran gouverne conformément à sa volonté et à son intérêt, tandis que même le plus draconien des gouvernements autoritaires est lié par des lois. Ses actes sont liés par 1 un code dont il n’est pas l’auteur. » L’autorité pure ne requiert aucune contrainte matérielle, contrairement à la violence et au dressage obtenu par les punitions. L’autorité implique la reconnaissance d’une hiérarchie admise, consentie, qui n’est pas ressentie comme une oppression. La question est donc celle du fondement de la légitimité d’une hiérarchie. 1. Le premier fondement de l’autorité, c’est la transcendance divine. C’est la religion qui fondait l’autorité du prêtre ou du chef, représentant de Dieu sur terre, sacré ou consacré. Qui oserait bafouer l’autorité de celui qui est l’objet de l’élection divine et l’interprète de la volonté des dieux ? Qui oserait braver sa malédiction ? Le pape disposait de l’arme toute spirituelle de l’excommunication. Le sacre du roi de France ajoutait une légitimité religieuse à son pouvoir que Napoléon a encore voulu s’approprier il y a deux siècles à peine. La tradition, les ancêtres, mais aussi les anciens qui sont les dépositaires de la tradition fondaient l’autorité dans le passé qui « donnait au monde la permanence et le caractère 1 Hannah Arendt, La Crise de la culture, Gallimard. 2
  • 3. 2 durable dont les êtres humains ont besoin précisément parce qu’ils sont les mortels. » La tradition enseigne qui doit commander et qui doit être obéi, quel est le statut de chacun, ses droits et ses devoirs. La légitimité traditionnelle vient du fait que ce qui a toujours été ne peut pas être néfaste et ne doit pas être remis en question : il est dangereux de passer outre la volonté des ancêtres et de tourner le dos aux voies éprouvées. 2. Un autre fondement de la légitimité de l’autorité, c’est la confiance obtenue par la reconnaissance par les autres de la supériorité de celui qui détient cette autorité. Quand la personne qui l’exerce la tient de son statut, de sa place, dans une institution qui inspire le respect et est elle-même reconnue comme légitime, l’autorité ne semble pas incompatible avec la démocratie : la démocratie a besoin d’institutions créées par la loi, expression de la volonté générale. Ce statut peut amener quelqu’un à exercer une autorité régulatrice, d’expert, d’arbitre, ou de chef d’orchestre dont les paroles et les actes feront autorité puisqu’il est reconnu et intronisé par l’institution qui l’a nommé. Si les institutions sont reconnues comme légitimes, l’autorité exercée par les représentants de cette institution sera, comme le dit Durkheim « un aspect de l’autorité du devoir et de la raison ». Le statut que la justice donnait au magistrat, l’église à l’évêque ou au curé, l’institution scolaire au professeur, leur donnait d’emblée un capital d’autorité qui dépassait largement celui qu’ils auraient obtenu en faisant eux-mêmes la preuve de leurs qualités personnelles. 3. Enfin, en dehors des institutions, il s’est toujours trouvé des hommes qui ont exercé un ascendant sur les autres : par la supériorité qu’ils manifestent, par leur détermination, leur audace, et l’expérience de la réussite de ceux qui les suivent, ils inspirent confiance. Ils semblent savoir où ils emmènent ceux qui les suivent. Cette supériorité peut être effective : certains individus développent une intelligence et une énergie qui assurent le succès. D’autres peuvent entraîner sous leur ascendant charismatique des individus ou des foules vers la catastrophe. Néanmoins, on peut se demander s’il s’agit encore d’autorité lorsqu’il y a séduction et que la volonté de celui qui est séduit est captive de son séducteur. Spinoza note ainsi qu’ « il n’est pire tyran que celui qui se fait aimer.» La séduction recherche de façon intéressée à influencer autrui et même à l’instrumentaliser. Si elle vise à obtenir l’adhésion, c’est à partir de l’irrationnel, en mettant en scène sa propre valeur aux yeux du sujet à séduire et en lui renvoyant une image « narcissisante » de lui- même. Elle peut jouer sur la dépendance affective née de l’angoisse infantile d’abandon qui perdure chez l’adulte. C’est cette proximité avec la séduction qui rend l’autorité suspecte d’infantiliser ceux qui la subissent. Pour un auteur comme Gérard Mendel3, la force est la raison dernière de l’autorité qui évoque toujours soit la figure archaïque de la Mère, soit, dans le meilleur des cas, la figure du père oedipien. 2 Hannah Arendt, id. 3 Gérard Mendel, Une Histoire de l’autorité, La Découverte, 2002. 3
  • 4. 4. L’autorité d’autre part est incompatible avec la persuasion qui présuppose l’égalité et qui a recours à des arguments. L’égalité démocratique (un électeur, une voix) suppose que chaque citoyen dispose de la raison commune et puisse être convaincu par un débat rationnel. Là où il y a discussion pour convaincre et négociation, il n’y a pas recours à l’autorité : « Dès qu’on argumente, on se place à égalité avec l’autre, dans un espace démocratique qui abolit la différence de valeur, la reconnaissance de supériorité qui correspond à l’autorité. Et donc, plus la logique de l’argumentation progresse, parallèlement à la dynamique des sociétés démocratiques, plus l’espace de l’autorité est fragilisé. »4 Dans une société démocratique qui prend pour principe que les êtres humains sont des semblables, toute affirmation d’une inégalité est problématique. II Une crise de l’autorité ? Après d’autres auteurs, Marcel Gauchet et Alain Renaut s’accordent pour relier la crise de l’autorité à l’apparition des sociétés modernes qui ont fait le choix de valeurs démocratiques. Les progrès de la démocratie ont amené la remise en cause des fondements des hiérarchies. La Révolution Française a guillotiné le roi, et avec lui, malgré les restaurations, toutes les figures religieuses de l’autorité. Ce que l’on appelle « le désenchantement du monde », c’est-à-dire le processus selon lequel nos sociétés modernes sont sorties de la religion avec la déchristianisation, a progressivement sapé le fondement religieux de l’autorité. Notre société où les pouvoirs se légitiment à partir de leur fondement sur la volonté générale exclut les formes traditionnelles d’autorité La démocratie va créer de nouvelles institutions fondées sur le principe de l’égalité des citoyens et sur la loi comme émanation de la volonté générale. Le pouvoir et l’ordre ne tombent pas d’en haut, ils procèdent d’ici-bas, des individus, sujets de droits. L’Etat-nation et les institutions qui en dépendent se développent, mais aussi des encadrements collectifs, partis, syndicats, associations, proposent des solutions à la question des inégalités sociales et continuent de représenter la transcendance des collectifs par rapport aux individus, alors même que s’effritent les croyances religieuses. Ces grands collectifs ont été frappés de plein fouet lors de la crise des années 1970 par l’évanouissement de ce qui subsistait de religieux dans les rapports sociaux. Le sacrifice pour l’Avenir, la dette à l’égard de la nation, le sens de l’Etat, la solidarité envers la classe ouvrière se sont délités et dévalués. «Les vestiges de la vieille culture autoritaire faisant passer la socialisation par la dette à l’égard du passé et la soumission consciente des parties envers le tout ont été peu à peu balayés ; ça a été le triomphe de l’individu, libéré de ses obligations archaïques de révérence envers les représentants de l’ensemble comme tel, du Père au Prince, et 4 Alain Renaut, La Libération des enfants, contribution à une histoire de l’enfance, Bayard-Calmann-Lévy, 2002. 4
  • 5. 5 définitivement confirmé dans son droit privé d’ignorer le lien de société. » Le soupçon est porté sur toutes les institutions : sur la nation qui justifie les guerres mondiales et coloniales. Sur la famille, ordonnée autour de la domination masculine. Sur l’Ecole, qui reproduit la domination de ceux qui possèdent un héritage socio-culturel. Pendant des décennies de critique sociale inspirée du marxisme et d’une certaine psychanalyse, toute répression, toute autorité est apparue comme instrument de domination. Et le discrédit frappe les représentants de ces institutions : en l’absence d’un affrontement politique clair entre droite et gauche, l’homme politique est condamné, pour se faire élire, à la démagogie même pour laquelle on le méprise. Incapables de réaliser l’idéal des droits de l’homme, seul substitut actuel à une ambition collective dans l’impuissance du politique, les représentants de nos institutions deviennent les boucs émissaires de la résistance du réel à l’idéal. Même la science perd l’autorité que la modernité lui avait accordée : on n’en attend plus de progrès décisif, sachant désormais que les effets des découvertes scientifiques peuvent aussi être désastreux pour l’humanité. Plus aucune hiérarchie ne nous semble naturelle ni incontestable, ni celle de la lignée, la supériorité des aristocrates vis-à-vis des roturiers, ni celle de la race, celle des civilisés vis- à-vis des sauvages, ni celle des hommes vis-à-vis des femmes. Les sociétés traditionnelles sont établies sur le principe des places et des castes hiérarchisées. La famille était le lieu de l’inégalité entre le mari et la femme, le père et les enfants, l’aîné et les cadets. En revanche, aujourd’hui, « le plus grand problème de la société des individus consiste en ceci qu’elle repose sur un principe abstrait établissant comme source de toute légitimité l’existence d’êtres libres et égaux, mais qu’il lui faut, d’autre part, gérer des individualités concrètes 6 qui sont, elles, sexuées, primitivement dépendantes, et accessoirement mortelles. » D’autre part le droit de punir a été ébranlé. A l’époque moderne, l’homme est l’auteur conscient et responsable de ses actes et de ses pensées. C’est ce qui permet de lui imputer ses actes. Mais au 20 ° siècle, la notion d’un sujet humain autonome et transparent à lui- même est dénoncé comme une illusion naïve par la découverte des inconscients psychique et social. Pire, face au développement des nouvelles formes de domination, M. Foucault dénonce la volonté d’ordre et de maîtrise de la modernité par de nouvelles procédures d’assujettissement et de redressement : si l’acte incriminé est libre, il faut priver son auteur de la liberté. L’humanisation des peines n’est qu’un redoublement de la domination. Les actes ne sont que les effets des inconscients et la répression consolide l’ordre social. Le fondement de la peine se dérobe. L’évolution du statut de l’enfant : de l’enfant débiteur à l’enfant créancier « La dynamique démocratique va très loin : la famille va devenir un espace de discussion, 5 Marcel Gauchet, L’Ecole à l’école d’elle-même, in La démocratie contre elle-même, Gallimard, 2002, p. 113. 6 id. 5
  • 6. 7 l’école est en train de devenir un espace de discussion.» La démocratie a transformé en profondeur le rapport adulte-enfant. Le père est le chef de la famille comme le roi est le père du peuple, tenant son pouvoir de Dieu. Il transmet son statut et son patrimoine. Au 18° siècle, les trois quarts des fils ont la profession de leurs pères. On enseignait aux enfants leurs devoirs, dont le premier était le respect et la reconnaissance qu’ils devaient manifester à leurs parents qui leur avaient donné la vie. Si, avec le christianisme, le père avait perdu le droit de vie et de mort qui était celui du pater familias romain sur sa progéniture, il a gardé jusqu’à la Révolution française le droit de correction, le droit de déshériter et même de faire embastiller un fils rebelle. Sa malédiction était redoutée. Le crime des crimes, c’était alors le parricide, à l’égal du régicide. Les enfants qu’on avait en trop grand nombre et dont beaucoup mouraient en bas âge, étaient, dans les villes, envoyés en nourrice à la campagne, parfois donnés ou abandonnés (en 1861, près de 31000 enfants trouvés à Paris.) Ils étaient en général placés dans une autre famille dès 8, 10 ans, comme domestiques ou en apprentissage, et cela jusqu’après les lois Jules Ferry de 1882, qui n’ont été appliquées que progressivement. La Révolution française a porté un coup considérable à la puissance paternelle : « En coupant 8 la tête du roi, la République a coupé la tête à tous les pères de famille.» Le Code napoléonien ne va que stopper provisoirement ce déclin. La révolution industrielle, l’urbanisation puis la scolarisation changent le statut des enfants. Dans une société d’exode rural où les villes doublent de population, la transmission d’un métier et d’un héritage se dévalue. Le peuple prend conscience du besoin de scolarisation. La montée du salariat formé par l’école rend possible l’ascension sociale individuelle par le diplôme. La montée du rôle des églises et de l’Etat dans l’éducation par cette scolarisation de masse a contribué au déclin du pouvoir paternel : lois réglementant le travail des enfants en 1841, sur la scolarisation obligatoire en 1882, sur la déchéance paternelle au profit de l’Assistance publique en 1889 si le parent est reconnu indigne, sur l’interdiction des mauvais traitements à enfants en 1898. Mais la socialisation des enfants était assurée par une inculcation moralisatrice massive qui a longtemps été la première finalité de la scolarisation. Les congrégations religieuses voulaient avant tout former de bons chrétiens et, à partir de Jules Ferry, l’Ecole des « hussards noirs de la République » a repris des méthodes analogues pour former de bons français. Après la scolarisation primaire, le travail professionnel insérait les enfants dans le monde adulte dès 12 ans. Seuls les enfants de la bourgeoisie et quelques bons élèves repérés par leurs instituteurs poursuivaient des études, le plus souvent en internat. Or au vingtième siècle, nous avons assisté à l’affaiblissement de toutes les institutions éducatives, à la montée de l’exigence de qualification de la main d’œuvre et du chômage des non diplômés. 7 Alain Renaut, op.cit. 8 Honoré de Balzac, Mémoire de deux jeunes mariés. 6
  • 7. Par ailleurs aujourd’hui, la contraception et les progrès de la médecine font que l’on n’a plus que des enfants désirés et que l’on en a peu. Leur valeur s’accroît et ils accèdent au statut de personne, de sujet à part entière. L’enfant est rare et précieux, les parents s’investissent et investissent comme jamais dans son éducation, qui devient l’œuvre à réussir pour combler le parent. La totalité de nos aspirations à la durée est désormais projetée sur l’enfant. D’autre part, la vulgarisation de la psychologie de l’enfant a complexifié la tâche des parents, inquiets de mal faire. Depuis les années 1960, quelques auteurs, dont le plus célèbre est F.Dolto, ont diffusé certaines notions de psychanalyse reprises et souvent déformées par les médias. L’idée de l’importance décisive de la petite enfance et celle selon laquelle les relations entre le petit enfant et sa famille déterminent la construction de la personnalité et parfois les souffrances psychiques de toute une vie, ont déstabilisé profondément les modalités éducatives traditionnelles. Ecouter la parole de l’enfant devient une injonction récurrente. L’enfant est vu désormais comme le sanctuaire de la personnalité adulte. Mais comme l’enjeu scolaire est considérable, que la concurrence est vive, et que la responsabilité de l’échec scolaire est attribuée aux carences éducatives des familles et culpabilise les parents, ceux-ci doivent aussi veiller à ce que l’enfant se plie aux efforts nécessités par le travail scolaire. Les parents se trouvent ainsi placés face à des injonctions assez contradictoires, contraindre sans user les moyens traditionnels de contrainte désormais stigmatisés, les coups, les menaces, les humiliations… Dans beaucoup de familles immigrées, le choc culturel avec la « famille relationnelle » occidentale est ravageur et le père est fragilisé et disqualifié. Son rôle traditionnel n’est pas de câliner, d’écouter ou d’expliquer la vie aux enfants, il est de subvenir aux besoins matériels de sa famille et d’apprendre aux enfants leur place, en leur faisant la morale, en les frappant, en leur faisant honte, en leur donnant les ordres. Quand son autorité ne peut s’exercer et n’est plus soutenue par la famille élargie et l’ensemble du fonctionnement social, le père, frappé d’impuissance, est tenté de renoncer. Enfin, de plus en plus d’enfants (17 % des enfants mineurs) résident avec un seul de leurs parents, le plus souvent leur mère, dans un foyer monoparental ou recomposé. Or, quand les pères séparés maintiennent le contact avec leurs enfants, il leur est difficile d’exercer une autorité par intermittence, malgré le principe de co-parentalité énoncé par la loi. Et dans la famille recomposée, le père souvent est exclu ou s’exclut lui-même, et le beau-père demeure généralement dans une prudente abstention, se contentant d’être le compagnon ou 9 le mari de la mère . Or, l’autorité des parents tient beaucoup à l’autorisation réciproque que se donnent le père et la mère. Ainsi les bouleversements de la famille contemporaine renforcent la prédominance de la mère qui est souvent seule à exercer une autorité affaiblie, alors que les enfants ne ressentent plus guère la supériorité légitime des adultes vis-à-vis d’eux. L’affirmation des droits-libertés dans la Convention internationale des Droits de l’Enfant 9 S.Cadolle, Etre parent, être beau-parent, la recomposition de la famille, O.Jacob, 2000. 7
  • 8. ratifiée par la France en 1989 risque d’entrer en conflit avec toute relation à l’enfant où l’exercice de l’autorité se trouve justifié par la protection qu’on doit lui accorder. Mettre l’accent sur l’épanouissement et les droits de l’enfant, comme s’il s’agissait que l’enfant-sujet se réalise ou se révèle, l’éducation consistant seulement à en favoriser le développement, refuse la tension inhérente à toute éducation. Le devoir des parents à l’égard des enfants a toujours été une transmission intergénérationnelle où les anciens enseignent le monde aux nouveaux-venus. Comme l’écrit Hannah Arendt, “ dans le cas de l’éducation, la responsabilité du monde prend la forme de l’autorité. L’homme moderne ne pouvait exprimer plus clairement son mécontentement envers le monde et son dégoût pour les choses telles qu’elles sont qu’en refusant d’en assumer la responsabilité pour ses enfants. C’est comme si chaque jour les parents disaient : En ce monde même nous ne sommes pas en sécurité chez nous ; comment s’y mouvoir, que savoir, quel bagage acquérir sont pour nous aussi des mystères. Vous devez essayer de faire de votre mieux pour vous en tirer. ”i Pour H. Arendt, le défaut d’autorité des adultes s’explique par la difficulté à assumer la responsabilité d’un monde dans lequel ils sont eux-mêmes perdus. Les mêmes contradictions frappent l’Ecole. Le projet historique des démocraties est toujours passé par l’éducation des citoyens. La société démocratique ne laisse pas à ses nouveaux membres le droit à l’ignorance. Elle les force en quelque manière à incorporer les moyens de la liberté. Or, du projet de la démocratie par l’école, on est passé au projet de la démocratie dans l’école. « Mettre l’élève au centre de l’Ecole »10, cela est parfois compris par certains comme ne plus imposer de savoirs, pousser à l’auto-développement d’un sujet acteur de ses apprentissages, ce qui interdit la transmission comme telle, avec ce qu’elle suppose d’antériorité et d’extériorité par rapport aux individualités. L’école, lieu de vie des enfants, serait le lieu où l’on apprendrait la démocratie en la pratiquant. Il s’agirait de promouvoir l’enfant sujet et acteur de la démocratie. Dans la mesure où la famille est désormais un groupe affectif, elle n’apprend plus aux enfants à se considérer comme un parmi d’autres ni à se soumettre à des règles objectives. La socialisation qu’elle dispense à ses enfants tient grand compte de leur individualité. Les parents comptent sur l’école pour effectuer cette part de la socialisation qui implique de se soumettre aux règles sociales alors que les enseignants attendent toujours que cette tâche soit effectuée par les parents. Consommation, médias, et immédiateté Notre société place l’argent en tête de ses valeurs et ceux qui sont jeunes, riches et beaux sont érigés en modèles. Vedettes du show-business ou présentateurs de télévision, ils sont plutôt cigales que fourmis et ne doivent le plus souvent leur richesse ni à leur travail ni à 10 Cf. La Loi d’Orientation du Système Educatif, 1989. 8
  • 9. l’épargne, mais à leur beauté, à leur culot et à leur heureuse utilisation des médias. Le prestige et l’influence sont attachés à ceux qui font parler d’eux et qu’on voit à la télévision. Les qualités personnelles et intellectuelles ne servent à rien si on n’y adjoint pas la maîtrise des médias, qui prime largement sur elles. Le désenchantement du monde et le délabrement des grands idéaux de la modernité n’ont laissé comme signification au centre de la vie humaine que des objectifs d’expansion de la production et de la consommation. D’où une crise des processus identificatoires : “ Où est le sens vécu comme impérissable par les hommes et les femmes contemporains ? Mère et père transmettent ce qu’ils vivent, ils transmettent ce qu’ils font. Ils transmettent : ayez le plus possible, jouissez le plus possible, tout le reste est secondaire ou inexistant. Le modèle identificatoire, c’est celui de l’individu qui gagne le plus possible et qui jouit le plus possible. ”ii C. Castoriadis cite une observation à ce propos : il y a une trentaine d’années, les parents invitaient pour l’anniversaire de leur enfant ses petits amis et chacun apportait son cadeau à l’enfant fêté. Aujourd’hui, ses parents doivent prévoir des cadeaux pour chaque enfant, pour lui éviter l’intolérable frustration de ne pas recevoir de cadeau. Et Castoriadis pose la question : être un bon parent consiste-t-il à éviter toute frustration à son enfant ? Si les seules valeurs d’une société sont dans la consommation, on comprend que les parents ne se sentent légitimés à ne rien exiger ni interdire, sauf ce que leur semble requérir la réussite scolaire, comprise comme ouvrant l’accès à une réussite sociale minimale. En hésitant devant tout acte d’autorité par peur de perdre leur amour, nous enlevons peut-être à nos enfants leur chance d’entreprendre quelque chose de neuf, un projet d’autonomie critique pour refonder un monde commun où l’économie ne serait plus la fin ultime. Ce n’est pas la démission des parents qui est à mettre en cause, ni telle ou telle forme familiale, mais surtout l’impuissance de notre société dans son ensemble à croire en des valeurs et en une culture à transmettre. On peut d’ailleurs se poser la question avec C. Castoriadis : « La catégorie d’identification est-elle encore opératoire dans le monde où nous nous trouvons ? » On évoque en effet souvent la faiblesse des identifications que proposent les adultes en désignant souvent le père comme coupable, absent, indifférent ou inconsistant… Mais pour qu’il y ait un sens à s’identifier, il faut une situation sociale où des modèles culturels permettent d’entrer en communication avec un idéal incarné dans des modèles. Aujourd’hui, il n’y a pas toujours de sens à vouloir devenir comme son père, ou son professeur. Loin de chercher à adhérer à une autorité, les personnes se construisent plutôt par répulsion et retrait, au prix de « la 11 fatigue d’être soi » et de la montée de l’insignifiance. La mercantilisation de tous les rapports humains déstabilise toutes les formes d’autorité que l’avancée de la démocratie avait épargnées : celle de l’Etat et de la nation menacée par l’ultra-libéralisme économique et l’absence de projet collectif mobilisateur, celle de l’Ecole où les enseignants sont impuissants à transmettre des valeurs qui n’ont plus cours, les enfants étant fascinés par les modèles médiatiques et les plaisirs de la consommation. Nous 11 Selon l’expression d’A.Ehrenberg pour désigner la dépression , « La fatigue d’être soi », O.Jacob, 9
  • 10. sommes encouragés à vivre à crédit, c’est-à-dire à dépenser aujourd’hui ce que nous gagnerons demain. Rester jeune étant l’idéal des consommateurs adultes, il n’est guère étonnant que ceux-ci aient peu d’autorité sur les enfants. Les médias, et en premier lieu la 12 télévision et les jeux vidéos ont investi la vie familiale. Karl Popper parle à leur sujet d’éducation clandestine : c’est une morale du chacun pour soi qui est délivrée, légitimant la violence, le sexe mercantile, le mépris des femmes. L’enfant confronté à la circulation des messages et à l’inflation des informations pense tout savoir, et l’adulte ne sait plus ce qu’il a à lui enseigner. La famille n’est pas loin de devenir un groupe où cohabitent pour satisfaire les besoins affectifs de la vie quotidienne des gens d’âge différents, mais de statut équivalent. Les adultes n’ayant plus de certitudes ne s’érigent plus en modèles et ne savent plus ce qui vaut la peine d’être transmis. Ce que nous vivons est autant une crise de la transmission qu’une crise de l’autorité. III Quelle place pour l’autorité ? Pourtant, c’est toujours la société qui dispense les normes conscientes ou inconscientes et pose les valeurs. C’est une instance sociale supérieure et extérieure aux individus, invisible, qui invalide plus ou moins l’autorité du maître ou du professeur aux yeux de leurs élèves ou celle des parents aux yeux de leurs enfants. N’est-il pas préférable pour les enfants que leurs éducateurs fassent autorité pour eux plutôt qu’ils ne subissent sans le savoir ce conditionnement inconscient, à condition toutefois que ces adultes soient conscients de leurs obligations envers eux ? Les obligations des adultes à l’égard des enfants Il ne peut y avoir de démocratie entre enfants et adultes. Les enfants ne doivent pas être confondus avec une minorité opprimée. Certes les enfants sont dans une situation de faiblesse comme les groupes sociaux opprimés. Mais leur faiblesse est intrinsèque, et non produite par l’oppression elle-même. Les adultes ne sont pas aux enfants ce que les colonisateurs ont été aux colonisés, ni les hommes aux femmes. L’intérêt des enfants n’est pas de renverser une oppression, mais de faire confiance aux adultes conscients de leurs obligations à leur égard et aux institutions sociales démocratiques qui doivent les aider à grandir et à devenir moins faibles. Dans la sphère de l’éducation des enfants, l’autorité est une nécessité requise par leur dépendance naturelle, mais aussi par le fait que l’homme est un être culturel, immergé dans le langage et qu’il est nécessaire de transmettre aux nouveaux-venus une civilisation constituée, déjà-là. « Les éducateurs font figure de représentants d’un monde dont, bien qu’ils ne l’aient pas eux-mêmes construits, ils doivent assumer la responsabilité, même si, 12 Karl Popper, La télévision, un enjeu pour la démocratie, Anatolia, 1994. 10
  • 11. secrètement ou ouvertement, ils le souhaitent différent de ce qu’il est. Qui refuse d’assumer cette responsabilité du monde ne devrait, ni avoir d’enfant, ni avoir le droit de prendre part à leur éducation. Dans le cas de l’éducation, la responsabilité du monde prend la forme de l’autorité. Vis-à-vis de l’enfant, c’est un peu comme si l’éducateur était un représentant de tous les adultes, qui lui signalerait les choses en lui disant : « voici notre monde ». L’autorité a été abolie par les adultes et cela ne peut que signifier une chose : que les adultes refusent d’assumer la responsabilité du monde dans lequel ils ont placé les 13 enfants. » Ni famille ni l’école ne peuvent être de petites démocraties où les places seraient interchangeables. N’oublions pas la vulnérabilité et l’irresponsabilité des enfants. C’est parce qu’ils ont droit à cette irresponsabilité que les enfants ne peuvent être encore citoyens, mais seulement se préparer à le devenir. La famille et l’école doivent retrouver des certitudes quant au statut de l’enfant et à l’autorité qu’il convient d’assumer face à des êtres encore immatures et à la responsabilité partielle. La société des adultes tout entière a un devoir d’éducation à l’égard des enfants. Les enfants doivent être protégés des effets de la loi du profit. La responsabilité politique de contrôler l’action de la publicité et des médias sur les enfants semble évidente. Mais la protection de l’enfance ne saurait interdire aux petits hommes toute possibilité de faire l’expérience de la liberté à laquelle ils sont destinés et réduire l’éducation à un quelconque dressage. Les obligations des parents vis-à-vis des enfants On peut déplorer que les parents n’osent pas entrer en conflit avec leurs enfants pour s’opposer à leur désir tyrannique, à leurs demandes toujours renouvelées de marchandises, que la famille soit devenue un espace où tout se négocie entre parents et enfants, on peut regretter que les parents considèrent souvent leurs enfants comme des égaux, des confidents, ou qu’ils aient un tel besoin vital d’être aimés par leurs enfants. Pourtant, la famille ne peut être une petite démocratie, ni un groupe électif et précaire d’individus interchangeables. La famille est l’institution qui prend en change le temps de la vie, qui assure la sécurité de l’appartenance, qui prend en charge de façon inconditionnelle la fragilité, la dépendance de l’enfance comme celle de la vieillesse. Le système de parenté est un système symbolique qui définit des places. Les individus ne peuvent définir la leur selon leur bon plaisir. Ces places sont liées à des droits, à des devoirs, à des interdits que chaque société institue pour ses membres. Ces places ne sont pas symétriques, parents et enfants ne se choisissent pas comme dans le fantasme d’une société où tous les liens seraient des liens choisis et où s’abolirait la différence de générations parce que les enfants seraient déjà raisonnables : il n’y a pas de contrat social possible entre enfants et parents. C’est notre réalité d’humains, notre condition de mortels, qui fait que la reproduction 13 Hannah Arendt, La crise de l’éducation in La crise de la culture, Gallimard Folio, 1972. 11
  • 12. sexuée réclame une transmission culturelle. Mais ce ne sont pas les parents qui en tant qu’individus sont carents, c’est le social qui ne les soutient plus. Nous avons vu que les parents ont de moins en moins de possibilités d’exercer une autorité sur leur enfant et que la diffusion de la psychologie qui les pousse à écouter la parole de l’enfant ne les aide pas à poser une parole d’autorité « parce que c’est moi qui te le dis », pour lui enseigner le monde tel qu’il était avant lui. « On peut bien sûr imputer aux familles une déplorable défaillance en matière de transmission des normes et des repères, et rejouer la scène du conflit entre les pères de famille et l’Etat, comme si l’Ecole n’avait pas été inventée justement pour remplir un rôle que la famille ne pouvait pas assurer. » Notre société a à se poser la question des institutions capables d’exercer cette autorité démocratique (certains parleraient de fonction paternelle) dont les enfants ont besoin pour grandir, pour accepter de faire effort, de faire passer le principe de réalité avant le principe de plaisir, l’avenir avant l’instant présent, l’intérêt général avant leur intérêt particulier. Les obligations des enseignants vis-à-vis des élèves Les pédagogies nouvelles ont voulu aller vers le gouvernement des enfants par eux-mêmes. On veut faire construire la loi par les élèves, oubliant d’une part que nous sommes déjà dans un état de droit avec des lois démocratiques dont l’enseignant fonctionnaire est garant, et d’autre part que l’autonomie implique que l’on soit capable de se soumettre soi-même à la loi qu’on s’est prescrite, donc que l’on ait acquis la maîtrise de soi-même et de ses pulsions. Ce n’est pas en éliminant l’autorité que l’on produit du même coup des individus autonomes. C’est justement à doter l’enfant de la maîtrise de soi que l’autorité de l’éducateur doit être employée. Une société où les enfants seraient livrés à eux-mêmes serait impitoyable et la loi du plus fort y régnerait. La démocratie est une lente conquête historique, encore fragile et menacée, dont nous avons à transmettre les principes aux nouveaux-venus dans le monde. « La meilleure épreuve du bien-fondé des règles, ce n’est ni leur énoncé assorti de rappels lancinants et d’affichages de toutes sortes, ni l’auto- institutionnalisation de la discipline, mais la conscience de la sécurité qu’elles procurent lorsque leur observance est effectivement garantie. »14 Faire construire les règles par les élèves peut être intéressant dans la mesure où une autorité est démocratique lorsqu’elle prend soin de s’expliquer et de se justifier, mais les élèves doivent savoir que les règles qu’ils élaborent doivent s’inscrire dans les lois, arrêtés, et règlements en vigueur dans notre république. Et cela apparaît totalement vain s’ils élaborent des règles dont rien n’assure le respect. Il s’agit en priorité que les adultes assurent une présence vigilante dans les établissements scolaires de façon à y réassurer la sécurité et le respect des conditions de travail des élèves. La victimisation des auteurs de violence induit une attitude de compassion de la part des personnels éducatifs qui paralyse la possibilité de sanctionner. 14 Dominique Ottavi, Pour une philosophie politique de l’éducation, Bayard, 2002, p.228. 12
  • 13. En outre, l’autorité adulte est minée dès lors que les divergences dans les valeurs ou les façons de faire empêchent la construction d’un front uni normatif face aux élèves qui en jouent pour négocier ou faire lever les sanctions et semer le doute quant à leur bien-fondé. Pour que l’autorité à l’école soit démocratique et légitime, il faut que les adultes s’y soumettent comme les enfants, que la règle soit la même avec tous les enseignants, et qu’ils soient assez présents et concernés pour que les élèves se sentent en sécurité dans l’espace scolaire. La refondation du droit de punir L’humanisation possible des peines dans le domaine judiciaire ne peut plus être considérée comme un leurre, contrairement à ce qu’en dit Foucault : la peine doit permettre au condamné de retrouver une place de sujet humain et pas de le faire expier. Mais à déculpabiliser le délinquant on ne l’aide pas à se reconstruire une volonté responsable qui lui a en partie fait défaut. On dépossède le sujet de ses actes. Dans l’Education Nationale, les thèses de Foucault ont rencontré un très large écho ce qui a entraîné les utopies pédagogiques à promouvoir l’idéal de fonctionner « sans obligation ni sanction ». Il faut se demander à quelles conditions la peine peut être ordonnée à la dignité du délinquant, un élément de la reconstruction de la responsabilité : organiser le face à face permettant de reconnaître la souffrance endurée par la victime, constater la culpabilité et contractualiser la peine. La démocratisation d’une institution conduit à y repenser l’exercice du pouvoir, pour qu’il soit compatible avec les valeurs de la liberté et de l’égalité. L’autorité médiatrice de l’enseignant a à ménager aux enfants des accès et des transactions pour leur permettre la maîtrise réfléchie de cette culture qui leur donnera pouvoir de mieux comprendre le monde et liberté de jugement. Et cette autorité est désintéressée, car elle s’exerce expressément en vue de la liberté de celui qui la subit. Elle vise à disparaître dans cette égalité entre le maître et l’élève postulée par l’école de la démocratie. Il s’agit donc d’un compromis entre l’autorité à exercer et la liberté à produire. Vouloir introduire la démocratie dans l’école par le débat, la participation démocratique, la vie associative, avec des conseils et des représentants élus, cela présente toute une série de difficultés. Le débat en classe permet aux élèves de confronter leurs points de vue argumentés. Mais pour quelles prises de décision ? Rien n’indique que les élèves parviendront à la perception d’un bien commun, d’une position rationnelle. Les élèves 15 risquent surtout d’acquérir « la grisante idée que toute vérité se discute », et qu’à chacun sa vérité … Encourager la participation des élèves à des associations humanitaires ou culturelles peut leur apprendre d’abord la pratique du lobbying ou du marketing plus que la recherche de l’intérêt commun. Quant aux institutions de représentations des élèves, n’ayant qu’un pouvoir consultatif, elles donnent parfois aux élèves le sentiment d’avoir été manipulés et, au mieux, que la démocratie, c’est beaucoup de temps passé pour des effets minimes. 15 id. 13
  • 14. C’est aussi en assurant à tous l’instruction nécessaire à une participation éclairée aux décisions politiques que l’école contribue à créer les conditions d’un gouvernement démocratique. Cela suppose que les enseignants soient reconnus dans cette mission, s’y sentent autorisés, qu’ils aient éprouvé le sens de cette culture et l’intérêt pour les élèves jusqu’à choisir ce métier de la leur transmettre. Analyser les difficultés de l’éducation des enfants aujourd’hui ne doit pas amener à oublier ce que la dynamique démocratique de nos sociétés a apporté de positif : « l’éducation s’en est trouvée définitivement dégagée de toute confusion avec un quelconque dressage et les enfants ont pu ainsi, peu à peu, échapper à des formes d’assujettissement déshumanisantes. »16 Des générations d’enfants ont été victimes du droit que les adultes se donnaient de disposer de leurs vies et de leurs morts. De ce point de vue, la modernité a correspondu à une véritable libération des enfants. Nous qui nous retrouvons dans l’idéal démocratique de l’égalité et dans le respect de la personne de l’enfant, nous avons à affronter le paradoxe que constitue toute situation où une autorité doit être provisoirement préservée : former des individus en est l’exemple, puisqu’il faut éduquer l’enfant pour en faire un être libre. Il faut transmettre à l’enfant, pour qu’il le renouvelle, l’héritage de notre culture dont fait partie la démocratie. L’adulte peut alors susciter chez l’enfant cette confiance qui lui permet, s’il ne voit pas le sens de l’effort qu’on lui propose, de s’en remettre à quelqu’un qui, lui, le connaît, et se porte garant de ce qui fait grandir17. Mais il n’est plus évident de transmettre, parce qu’on ne renouera pas 18 avec l’incorporation d’une tradition prestigieuse et sacrée . Et l’on ne pourra pas rétablir la dimension énigmatique de l’autorité des éducateurs, ce sur-pouvoir dévasté par la déconstruction des années 70. Nous voulons que nos enfants soient non pas oublieux, mais libres des déterminations de nos héritages. L’autorité qui s’exerce sur un alter ego, l’autorité démocratique, est en crise par définition. i Hannah Arendt, La Crise de la culture, Gallimard, p. 245. ii Cornelius Castoriadis, La montée de l’insignifiance, Seuil, 1996. 16 Alain Renaut, La libération des enfants, p.387. Bayard, 2002. 17 id.p. 231 18 Marcel Gauchet, L’Ecole à l’école d’elle-même, in La démocratie contre elle-même, Gallimard, 2002. 14