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GROUPE SUP DE CO LA ROCHELLE
                           PROGRAMME ESC
                            Programme ESC
                              Promo 2010




                 LE STRESS AU TRAVAIL :
              OBSTACLE À UN MANAGEMENT
                            EFFICACE?
        Vers de nouveaux modèles de management,
              alternatifs à la souffrance au travail.




       Mémoire de fin d’études présenté et soutenu publiquement
                         le jeudi 17 juin 2010 par

                      Cécile BENCHETRIT
                                   ***



Membres du jury :

Directeur de mémoire :                                 Daniel BELET

Assesseur :                                            Patrick GIAT
« Traiter les gens comme s’ils étaient
ce qu’ils devaient être et vous les aiderez
ainsi à devenir ce qu’ils peuvent être »,


                     J.W.Goethe (1749-1832)




                                        Page | 2
REMERCIEMENTS




      Ma gratitude s’adresse tout d’abord à Daniel BELET, mon maître de
mémoire, pour la richesse de ses idées et de ses conseils mais aussi pour sa
disponibilité et le temps qu’il m’a consacré pendant la phase de préparation de
mon mémoire.




      Il me faut également exprimer ma reconnaissance envers les personnes
qui se sont impliquées dans mon travail de recherche en acceptant de témoigner
sur un sujet si délicat, ainsi qu’envers mon entourage pour m’avoir mis en
relation avec ces gens.




      Enfin, je tiens à remercier ma famille pour le soutien et les nombreux
conseils prodigués tout au long de ce mémoire.




                                                                        Page | 3
RÉSUMÉ




          De plus en plus d’individus font l’expérience de la souffrance au travail et ce, dans un
nombre croissant d’environnements professionnels. De nombreuses études et témoignages
attestent de cette réalité. Le stress, sous le faisceau des médias, est la première manifestation
de la souffrance au travail. Ses effets sont potentiellement négatifs tant sur la santé physique
et psychique des individus que sur la santé économique des organisations. La présente
recherche interroge les pratiques managériales modernes qui négligent les considérations
éthiques et les potentialités des ressources humaines en retenant uniquement la rentabilité
financière comme principe directeur. La situation n’est pas irréversible. Des théories qui
replacent l’homme au cœur de l’entreprise, existent. Et les entreprises françaises et étrangères
qui ont eu l’audace de s’en inspirer en bouleversant leurs pratiques managériales, sont ainsi
parvenues à créer un véritable avantage concurrentiel.
          Afin d’apporter un éclairage concret sur ce sujet, une étude qualitative a été réalisée.
Des salariés d’horizons divers se sont exprimés sur les raisons de leur souffrance au travail et
sur les sources de motivation et de bien-être. Cette enquête a permis de faire émerger
quelques éléments indispensables à l’ébauche de nouveaux modèles managériaux où les
considérations éthiques, humaines et financières se conjuguent avec efficacité.




MOTS CLÉS




Travail                                   Souffrance                         Organisation
Individu                                  Stress                             Entreprise
Management                                Risques psychosociaux




                                                                                            Page | 4
ABSTRACT




Currently, we notice a difficulty experienced rising amount of people at work and in an
increasing number of professional environments. Numerous studies broach this issue. The
Stress, frequently brought to mass media’s attention, is the first sign of work suffering. Its
effects weigh on are pernicious on people’s physical and psychic health as well as on the
economic health of organizations. This research therefore questions modern management that
neglects ethical considerations and human potentialities while exclusively concentrating on
financial profitability concerns. This situation is not irreversible. Some theories that set the
human potentiality back at the heart of their concerns have proved their sustainability. As a
matter of fact, some companies that have had the audacity resort to these theories by changing
deeply their management practices, have succeeded in creating a competitive advantage.


In order to cast empirical light on this subject, a qualitative study had been carried out.
Diverse kind of employees expressed their mind about the reasons of their suffering,
motivation and wellbeing sources at work. This survey then allows to infer founding elements
that are essential in the process of redefining a work organization where ethical and human
consideration are synchronized with financial concerns.




KEY WORDS




Work                                   Suffering                          Organization
Human being                            Stress                              Firm
Management                             Psychosocial risks




                                                                                        Page | 5
SOMMAIRE




INDEX DES SIGLES ______________________________________________________ 10


INTRODUCTION _________________________________________________________ 11


PREMIÈRE PARTIE : REVUE DE LITTÉRATURE ___________________________ 18
« Quand le travail rend malade … » ___________________________________________ 18
  CHAPITRE I - Etat des lieux de la souffrance au travail en France _________________ 18
    1.     La réalité de la souffrance au travail __________________________________ 18
         1.1.   Marie Pezé, psychologue spécialiste du stress au travail ________________ 19
         1.2.   « Ils ne mouraient pas tous mais tous étaient frappés » _________________ 20
    2.     Le stress, première manifestation de la souffrance au travail _____________ 22
         2.1.   Le stress au travail : faits et chiffres. ________________________________ 23
         2.2.   Les mécanismes du stress ________________________________________ 25
           2.2.1.   Hans Selye, le stress comme syndrome général d’adaptation _________ 25
           2.2.2.   Henri Laborit, le stress comme condition de survie ________________ 25
           2.2.3.   Richard Lazarus, le modèle de la double évaluation ________________ 26
           2.2.4.   Patrick Légeron, les relations entre stress et performance ___________ 26
         2.3.   Les « mille visages » du stress au travail ____________________________ 27
           2.3.1.   Le contenu du travail ________________________________________ 27
           2.3.2.   L’environnement professionnel à l’épreuve de la modernité _________ 28
           2.3.3.   Les rétributions matérielle et immatérielle _______________________ 29
           2.3.4.   Les difficultés relationnelles __________________________________ 30
    3.     Les impacts individuels et organisationnels de la souffrance au travail _____ 31
         3.1.   La mise en péril de la santé physique et psychique des individus _________ 31
           3.1.1.   Les troubles psychologiques __________________________________ 31
           3.1.2.   Les maladies somatiques _____________________________________ 32
         3.2.   Danger pour la santé économique des organisations ___________________ 33
           3.2.1.   Les effets néfastes de la souffrance sur les organisations ____________ 34


                                                                                      Page | 6
3.2.2.   Un coût inquiétant __________________________________________ 35

CHAPITRE II – A l’ origine de la souffrance au travail : les pratiques managériales en
question ________________________________________________________________ 36
  1.     Les schémas hérités du passé ________________________________________ 37
       1.1.   TAYLOR et l’organisation scientifique du travail (1911) _______________ 37
       1.2.   La méthode d’Henri FORD _______________________________________ 39
       1.3.   Henri FAYOL et les principes de commandement (1916) _______________ 40
       1.4.   Théories de la bureaucratie : Max WEBER et Henry MINTZBERG _______ 41
  2.     Les principes du management moderne et ses dérives ___________________ 43
       2.1.   La standardisation ______________________________________________ 43
         2.1.1.   La formalisation des comportements ___________________________ 43
         2.1.2.   La spécialisation des tâches___________________________________ 44
         2.1.3.   La gestion par objectifs ______________________________________ 44
       2.2.   Les organisations pyramidales et le contrôle excessif __________________ 45
         2.2.1.   La centralisation du pouvoir __________________________________ 46
         2.2.2.   La confiance calculée et les systèmes d’évaluation ________________ 46
       2.3.   Les récompenses financières ______________________________________ 48
         2.3.1.   La distinction forts – faibles __________________________________ 48
         2.3.2.   L’absence de récompense symbolique __________________________ 49

CHAPITRE III - Propositions pour accroître l’efficacité des pratiques managériales ___ 50
  1.     S’abreuver des théories des précurseurs _______________________________ 50
       1.1.   Marie Parker Follet, pionnière du management _______________________ 51
       1.2.   Le mouvement des " relations humaines " ___________________________ 53
         1.2.1.   MAYO, à l’origine du mouvement _____________________________ 53
         1.2.2.   La dynamique de cohésion dans les organisations _________________ 54
         1.2.3.   Les théories des besoins et des motivations ______________________ 55
  2.     S’inspirer des réussites d’innovations managériales _____________________ 57
       2.1.   S’appuyer sur des concepts clés ___________________________________ 58
         2.1.1.   La norme ISO 26000, vers un management plus responsable ________ 58
         2.1.2.   L’organisation apprenante ____________________________________ 59
         2.1.3.   Les SCOP, vers un management plus participatif __________________ 61
       2.2.   S’approprier les succès réalisés ____________________________________ 62


                                                                                  Page | 7
2.2.1.   GOOGLE et l’adaptabilité (Etats-Unis) _________________________ 63
          2.2.2.   OTICON et le " chaos organisé " (Danemark) ____________________ 64
          2.2.3.   PAPREC et la simplicité (France) ______________________________ 65


DEUXIÈME PARTIE : MÉTHODOLOGIE ___________________________________ 67
 CHAPITRE I - Hypothèses de travail _________________________________________ 67
   1.     Le management d’inspiration " néo taylorienne " et ses méfaits ___________ 67
   2.     Les facteurs de motivation au travail _________________________________ 68
   3.     L’exploitation du potentiel humain et ses bienfaits ______________________ 69

 CHAPITRE II - Outils de recherche __________________________________________ 70
   1.     L’entretien semi directif ____________________________________________ 70
        1.1.   La préparation : le guide d’entretien ________________________________ 70
        1.2.   Les outils _____________________________________________________ 72
        1.3.   Le déroulement ________________________________________________ 73
   2.     Les avantages et les limites de l’étude _________________________________ 74

 CHAPITRE III – Echantillon _______________________________________________ 75
   1.     La sélection de l’échantillon _________________________________________ 75
        1.1.   La constitution de l’échantillon ____________________________________ 75
        1.2.   La taille de l’échantillon _________________________________________ 76
   2.     La population rencontrée ___________________________________________ 77
        2.1.   Profils et secteurs professionnels variés _____________________________ 77
          2.1.1.   Secteurs orientés vers la valorisation de l’être humain au travail ______ 78
          2.1.2.   Pratiques managériales fondées sur la notion de rentabilité financière__ 79
        2.2.   Profils variés et entreprise commune _______________________________ 79

 CHAPITRE IV - Méthode d’analyse _________________________________________ 80


TROISIÈME PARTIE : RÉSULTATS ET ANALYSE __________________________ 81
 CHAPITRE I – Résultats __________________________________________________ 81
   1.     Première série d’interviews _________________________________________ 81
   2.     Second corpus d’entretiens __________________________________________ 86

 CHAPITRE II – Analyse de contenu __________________________________________ 89


                                                                                       Page | 8
1.     L’Analyse des résultats _____________________________________________ 89
        1.1.   Les représentations des structures organisationnelles ___________________ 89
          1.1.1.        La dimension verticale à sens unique vécue comme obstacle aux
          initiatives                    ___________________________________________ 89
          1.1.2.        La rupture des liens horizontaux vue comme un management par la
          délation                       ___________________________________________ 90
          1.1.3.        Un fonctionnement hiérarchique parfois intériorisé ________________ 91
        1.2.   Les représentations de la culpabilité dans l’expérience du stress __________ 92
        1.3.   Les facteurs de stress et de motivation identifiés par les enquêtés _________ 94
          1.3.1.        Le stress vécu par les enquêtés : causes et conséquences ____________ 95
          1.3.2.        Les facteurs de motivation au travail ___________________________ 99
   2.     Les préconisations ________________________________________________ 100
        2.1.   Préférer un management participatif _______________________________ 100
        2.2.   Développer des valeurs humaines et faire converger les intérêts _________ 103


CONCLUSION __________________________________________________________ 105


TABLE DES ANNEXES __________________________________________________ 110


BIBLIOGRAPHIE _______________________________________________________ 176




                                                                                        Page | 9
INDEX DES SIGLES



AESST: Agence Européenne pour la Santé et la Sécurité au Travail




ANACT: Association Nationale de l’Amélioration des Conditions de Travail




DARES : Direction de l’Animation de la Recherche, des Etudes et des Statistiques




IFAS : Institut Français d’Action sur le Stress




INRS : Institut National de Recherche et de Sécurité




SCOP : Société Coopérative et Participative




                                                                                   Page | 10
INTRODUCTION


La souffrance au travail, une réalité qui s’impose


           Un par jour, c'est le nombre de suicides liés au travail en France. On recense entre 300
et 400 décès par suicide par an en France, liés directement aux conditions de travail révèle
Christian Larose, vice-président du Conseil Économique et Social (CES). « Nous sommes face
à un phénomène important et de plus en plus préoccupant, lié à la dureté du monde du travail
et à sa précarité. Cela touche tous les milieux, mais en particulier les cadres », précise
Michel Debout, président de l'Union nationale de la prévention du suicide1.


           Les risques psychosociaux2 et la souffrance au travail sont au cœur des débats. Depuis
quelques années, l’avalanche de publications sur le mal être au travail est révélatrice de la
gravité de la situation dans laquelle se trouve l’organisation du travail. Les chiffres liés à la
souffrance au travail, fournis par le ministère du travail, sont alarmants. Chaque année, 760
000 salariés français sont victimes d’accidents du travail en France. Les maladies
professionnelles ne cessent d’augmenter, on en dénombrait plus de 45 000 en 2008. Environ
deux personnes par jour meurent d’un accident du travail – 569 décès en 2008 – ou suite à une
maladie professionnelle – 425 décès en 2008. Selon un rapport de l'OMS, l'Hexagone occupe
la troisième marche du podium mondial où les "dépressions liées au travail" sont les plus
nombreuses, devancé par l'Ukraine et les États-Unis. En 5 ans, en France, sur 1000 tentatives
de suicides sur le lieu de travail, 47% sont suivies de mort. Chaque année, 2 millions de
salariés subissent la maltraitance et le harcèlement moral et 500 000 sont victimes de
harcèlement sexuel3. Tous les indicateurs sont au rouge, la situation est inquiétante.


           « On a longtemps considéré que les maladies et risques professionnels étaient
inéluctables, comme s'ils étaient le prix à payer au progrès technique et économique. […]. [Il
faut] redonner au travail ses lettres de noblesse et faire en sorte qu'il soit un lieu où puissent

1
    « Suicide au travail », Mutualité.fr, 30 juillet 2009
2
    Définition du Ministère du travail des risques psychosociaux : « risques professionnels portant atteinte à
l'intégrité physique et à la santé mentale des salariés et qui impactent le fonctionnement des entreprises»
3
    BRUNEL Florence, « Souffrance au travail, la faute au management ? », L’Entreprise.com, 31 octobre 2007

                                                                                                        Page | 11
s'épanouir les talents de chacun d'entre nous », dit Xavier Darcos, ex ministre du travail4. En
effet, cette situation n’est pas irréversible. L’important est de prendre conscience des
désagréments que cause le travail et de réagir.


L’ébauche d’une prise de conscience


           L’intérêt d’aborder un sujet relatif à la souffrance au travail est de contribuer à une
prise de conscience sur le malaise régnant dans l’organisation du travail. Le but est de donner
un sens aux très nombreuses publications gouvernementales, syndicalistes ou encore
médicales et d’expliquer pourquoi cette souffrance au travail existe. Les entreprises focalisent
souvent sur les symptômes, les éléments factuels des évènements − le " comment " − mais
oublient de se recentrer sur les causes profondes des faits − le " pourquoi " −, ce qui
permettrait sans doute de résoudre plus aisément de nombreuses questions relatives à la
souffrance au travail.


           L’intérêt d’évoquer aujourd’hui ce type de sujet réside dans le fait que nous nous
trouvons à une période charnière car une prise de conscience collective et individuelle
s’amorce. La tendance n’est plus au déni, ce thème est de moins en moins tabou. Les risques
psychosociaux au travail sont dénoncés et la souffrance psychique qui en découle est
reconnue. Jusqu’à une époque récente, les risques et atteintes à la santé des travailleurs
n’étaient pas considérés comme une question de santé publique mais comme un problème
social à gérer entre les partenaires sociaux.


           Une prise de conscience est engagée, l’Etat français se mobilise. Le cadre juridique et
de nombreux rapports et études confirment l’importance des risques psychosociaux et
l’urgence de les réduire au maximum5. L’enquête Sumer de 2003 de la Direction de
l’Animation et de la Recherche des Etudes Statistiques (DARES) et l’étude épidémiologique
Samotrace en 2009 de l’Institut de Veille Sanitaire (InVS), sont deux grandes études sur la

4
    Discours de Xavier Darcos lors de la Réunion du Comité d'Orientation sur les Conditions de Travail (COCT) à
Paris le 9 octobre 2009 ( http://discours.vie-publique.fr/notices/093002844.html )
5
    HOLCBLAT Norbert, LANOUZIERE Hervé, « les risques psychosociaux », Dossier réalisé par le pôle travail
du CRDM (Centre de Ressources Documentaires du Ministère de l’emploi et de la solidarité), mise à jour le 15
mars 2010

                                                                                                    Page | 12
santé mentale au travail en France. Un sondage réalisé par l’Association Nationale pour
l’Amélioration des Conditions de Travail (ANACT) en 2009, « le stress au travail », apporte
des données chiffrées utiles à la compréhension de l’ampleur du phénomène. Face à ces
données alarmantes, le traitement du stress au travail est devenu une priorité pour l’Etat
français. Un site Internet, travailler-mieux.gouv.fr, sur la santé et la sécurité au travail a été
ouvert.
          De plus, le « Rapport sur la détermination, la mesure et le suivi des risques
psychosociaux au travail » de Philippe Nasse et Patrick Légeron a été remis au gouvernement
en 2008 et une étude a été réalisée par la DARES en 2009 : « Rapport sur les indicateurs
provisoires de facteurs de risques psychosociaux au travail ». Plus récemment, en 2010,
Lachmann, Larose, et Penicaud on rédigé le « Rapport sur le Bien-être et l’efficacité au
travail ».
          En octobre 2009, Xavier Darcos lance un plan d’action d’urgence au travail pour
mobiliser les entreprises sur la prévention des risques psychosociaux. Celui-ci a été établi
pour accélérer l’Accord National Interprofessionnel (ANI) sur le stress au travail, signé à
l’unanimité des syndicats d’employeurs et de salariés en juillet 2008 et rendu obligatoire pour
toutes les entreprises. Cet accord représente un élargissement de l’accord européen sur le
stress de 2004 et présente l’intérêt de proposer des pistes d’actions et de négociation pour la
prévention des risques psychosociaux au travail. Le but étant de conduire les entreprises à
passer du déni à l’action.


          Ces différents rapports et enquêtes s’accordent sur le fait qu’il devient indispensable
de réintroduire de l’humain au sein des organisations. Les meilleures stratégies sont orientées
vers l’individu, c’est-à-dire l’écoute mutuelle, le respect, le sens du travail et la prise en
compte des émotions. Mais la compétition mondiale est accrue et pour ne pas en être écarté, la
productivité et la rentabilité sont des éléments sur lesquels s’appuient majoritairement les
entreprises ; et cela se fait parfois au détriment des salariés.


Origine et évolution du management et de la souffrance au travail


          Définir le management n'est pas aisé car c’est un concept flou et globalisant. Ce terme
est très utilisé dans les entreprises et recouvre plusieurs significations. Le verbe " manager "
tirerait son origine de l'italien maneggiare : contrôler, manier, avoir en main et aurait été

                                                                                        Page | 13
influencé par le mot français manège : faire tourner un cheval dans un manège. A cela
s’ajoute la notion de " ménager " dont le sens au XVIe siècle était de gérer les affaires du
ménage, c’est-à-dire les ressources humaines et les moyens financiers. De surcroît, le
" ménagement " est un terme très proche de " management " phonétiquement et
sémantiquement : on ne peut bien manager les équipes et les ressources, que si l’on sait les
ménager. La notion de contrôle est l’idée principale du mot.


           Depuis une vingtaine d’années, il existe un effet de mode autour du mot
" management ". Le terme est très fréquemment associé aux substantifs utilisés dans les
entreprises : " management de la qualité ", « management des processus ", " management des
risques ",      " management de projet ",          " management des hommes ",          " management
stratégique " ou encore " management de l'environnement ". Cette recherche concerne le
management des hommes et des organisations. Son sens est vaste mais la définition semblant
la plus adaptée au sujet est celle de Peter Drucker, théoricien du management : « activité
visant à obtenir des hommes un résultat collectif en leur donnant un but commun, des valeurs
communes, une organisation convenable et la formation nécessaire pour qu'ils soient
performants et puissent s'adapter au changement »6. L’idée de cette définition, et qui
constitue le fil conducteur de ce travail, est la collaboration et la prise en compte de toutes les
parties prenantes dans une finalité économique.


           La définition communément admise du management est l’« ensemble des techniques
de direction, d'organisation et de gestion de l'entreprise »7. Jean-Pierre Le Goff8, écrivain et
sociologue français, réprouve ce type de définition car le management est assimilé à la
gestion. Gestion et management sont, certes, deux termes voisins mais leur connotation est
légèrement différente car le management s’intéresse aux ressources humaines et la gestion
concerne davantage l’aspect financier et matériel. L’homme est appréhendé comme une
" ressource " par l’entreprise, comme quelque chose que l’on peut employer et manier à loisir
et dont on attend le meilleur afin de réaliser le meilleur bénéfice à moindre coût, explique
Marie-Anne Dujarier, sociologue9.

6
    DRUCKER Peter, Devenez managers! : L’essentiel de Drucker, Village mondial, 2006
7
    Définition du Petit Larousse 2010
8
    LE GOFF, 2006, p. 15
9
    Intervention dans le film de VIALLET, 2009

                                                                                           Page | 14
Ensuite, selon la définition du Petit Larousse, le management est perçu comme une
« technique », comme un outil dont le maniement reviendrait à des spécialistes d’instituts de
formation ou de cabinets de conseil. Selon Jean Pierre Le Goff, ce formalisme est dépourvu
de toute référence à l’expérience humaine et a pour effet de creuser le fossé entre employeurs
et employés. « Les générations nouvelles sont formées pour agir efficacement, au plus vite et
sans états d’âmes » et « l’inflation des outils est en fait significative de la dissolution d’un
certain bon sens au profit d’une approche instrumentale de l’être humain qui, sous prétexte
d’efficacité, la dénature »10. Ces techniques sont manipulatrices et très éloignées de la réalité
du terrain et de la prise en compte de la dimension humaine. Celles-ci exercent une véritable
fascination chez les dirigeants qui les acceptent et les appliquent naïvement et ont pourtant
des effets déstabilisateurs voire destructeurs sur les individus et les groupes de travail. « Le
management n’est ni une science ni une technique […] Il est une autorité qui ne s’acquiert
que dans la capacité à affronter des situations inédites et dans l’équité des décisions »11.
Selon Jean-Pierre Le Goff, le management ne doit pas devenir une idéologie et doit reposer
sur l’expérience pour répondre davantage aux aspirations individuelles.


           Souffrance et travail sont deux thèmes continuellement associés depuis quelques
temps. Boris Cyrulnik, psychologue, et Xavier Darcos, ex-ministre du travail, ont abordé cette
problématique lors d’un débat radiophonique12.
           Ce débat est aussi vieux que la notion même de travail. D’une part, l’idée
d’association du travail à la liberté est avant tout religieuse car elle est présente dans les
fondements de toutes les grandes religions, notamment la religion chrétienne où le travail est
une sentence divine sanctionnant le péché originel. D’autre part, l’origine étymologique du
verbe " souffrir " (suffere : endurer, supporter) revêt une notion de pénibilité et de douleur. Le
terme " travail " vient du latin tripalium. C’était un instrument de torture à trois pieux utilisé
par les Romains dans l'Antiquité pour punir les esclaves rebelles mais aussi pour ferrer de
force les chevaux rétifs. La pénibilité, la contrainte et l'assujettissement sont donc les premiers
traits sémantiques du mot " travail ". Ces dimensions traversent d’ailleurs toute l’histoire de la
philosophie du travail.



10
     LE GOFF, 2006, p. 12
11
     LE GOFF, 2006, p. 20
12
     France culture, « La souffrance au travail est-elle légitime ? », Les controverses du progrès, décembre 2009

                                                                                                        Page | 15
La souffrance au travail n’est donc pas un phénomène nouveau et n’est pas près de
disparaître.


        Au XIXe siècle, avant la première Révolution Industrielle, la souffrance était liée de
manière intrinsèque au travail. Le travail des femmes consistait à mettre au monde les enfants
et à les élever. La souffrance générée par l’accouchement était normale : indolore paries (tu
engendreras dans la douleur). Les hommes souffraient physiquement au travail. Il était mal vu
de se plaindre, c’est pourquoi l’évocation de la souffrance n’infiltrait pas les discours, sauf
lorsqu’il s’agissait de propulser les personnes prêtes à souffrir au rang de héros voire de
divinité.


        Depuis l’avènement des droits de l’homme et des NTIC (Nouvelles Technologies de
l’Information et de la Communication), les conditions physiques du travail ont radicalement
changé. La nature de la souffrance ne provient plus du corps mais de l’esprit


        La mutation de la souffrance au travail réside dans le fait que l’on est passé d’une
économie essentiellement industrielle, où la souffrance était physique, à une société orientée
vers les services. Aujourd’hui, l’individu est dans une interrelation continuelle avec les
collègues, les supérieurs, les clients, les fournisseurs et paradoxalement, il n’a plus de contact
direct avec les dirigeants, les actionnaires et les clients finaux. Pourtant les exigences à
satisfaire proviennent de ces personnes totalement inconnues.


        Cette mutation s’explique aussi par le passage d’une civilisation des métiers à une
civilisation des fonctions. Dans l’exercice des métiers, il existait une expertise, un savoir faire
et une reconnaissance permettant une forte valorisation du travail. Les ouvriers étaient animés
d’une grande motivation pour leur travail car ils pouvaient produire les objets dans leur
intégralité et mettaient ainsi du cœur et de la minutie à l’ouvrage, explique Xavier Darcos. De
surcroît, avant l’avènement de l’âge industriel, le maître transmettait le savoir à son apprenti.
La souffrance apportait donc un bénéfice, celui de l’apprentissage du savoir. La période de
transmission du savoir a été effacée de l’organisation du travail française actuelle. « On
travaille peu dans sa vie mais beaucoup et cette singularité n’est pas de nature à rendre le
travail agréable », dit Xavier Darcos.



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Les nouvelles technologies ne cessent de se développer et les conditions de travail du
XXIe siècle sont meilleures. Celles-ci permettent l’allègement physique de la tâche et
l’amélioration de la communication entre les divers collaborateurs au sein des organisations.
En outre, le temps de travail a diminué. Malgré tout, tous les indicateurs concernant la
souffrance au travail sont au rouge, celle-ci atteint des sommets inégalés. Tous les salariés
sont concernés et sont égaux face à cette douleur et à cette angoisse constante.


       La question qui se pose alors est de savoir dans quelle mesure les pratiques
managériales actuelles et les exigences d’efficacité des entreprises sont responsables de cette
souffrance au travail.
       Si le travail est nécessaire à la vie humaine dans le monde moderne, et si la souffrance
est intrinsèque au travail − étymologiquement, religieusement et historiquement −, donc
inévitable, y aurait-il un contournement possible du problème ? Existe-t-il des solutions
alternatives au management moderne permettant de ménager les salariés et de réintroduire des
considérations éthiques, tout en se soumettant à des exigences de profit et d’efficacité
économique ?


       Nous répondrons à cette question à travers une analyse théorique puis une enquête de
terrain et enfin une analyse empirique.
       Dans une première partie, nous évoquerons la réalité de la souffrance au travail dans
nos sociétés contemporaines. Le lien entre ce mal être et les schémas managériaux hérités du
passé fondés sur la dictature du chiffre sera ensuite expliqué. Enfin, une réflexion sur des
solutions alternatives permettant de limiter les effets dévastateurs des logiques managériales
actuelles sera apportée.
       Dans une seconde partie, les hypothèses de travail et la méthodologie utilisée pour la
réalisation de l’enquête de terrain seront énoncées.
       Dans une troisième partie, les réponses obtenues à la suite de l’enquête de terrain
seront exposées et les résultats recueillis seront analysés et confrontés aux hypothèses.




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PREMIÈRE PARTIE : REVUE DE LITTÉRATURE
 « Quand le travail rend malade … »13



CHAPITRE I - Etat des lieux de la souffrance au travail en France



      Une vague de suicides fortement médiatisée a récemment mis en lumière le malaise des
Français au travail. La souffrance liée au travail est aujourd’hui dénoncée, la tendance n’est
plus au déni.
      Plusieurs spécialistes de la question rendent compte du désarroi que rencontrent de
nombreux individus dans les entreprises. La présente recherche s’appuie sur des témoignages
de personnes dont la diversité des origines professionnelles permet d’illustrer la réalité de
cette situation. Une étude a d’ailleurs été réalisée de janvier 2008 à juin 2009 par la caisse
nationale d’assurance maladie (CNAM). Celle-ci atteste de la diversité des publics concernés :
un tiers de dirigeants et de professions intellectuelles supérieures, un tiers d’employés de
bureau et de professions intermédiaires et enfin un tiers de salariés peu qualifiés. Ces résultats
surprenants démontrent bien que la souffrance au travail n’est pas l’apanage d’une seule et
unique catégorie socioprofessionnelle.
      Dans un premier temps, nous nous apercevrons que cette souffrance est réelle, les
témoignages abondent. Ensuite, nous verrons que le stress est la première manifestation de
souffrance au travail. Enfin, nous rendrons compte de l’impact de cette souffrance, tant sur les
individus que sur les organisations.


      1. La réalité de la souffrance au travail


      La souffrance au travail est une réalité qui s’impose. Nous verrons que la fonction
qu’occupe la psychologue Marie Pezé en est la preuve. Les témoignages se multiplient à ce
sujet.


13
     Titre emprunté à l’article de François Daniellou, « Quand le travail rend malade… », Sciences Humaines, la
santé un enjeu de société, mars-avril-mai 2005.



                                                                                                    Page | 18
1.1.     Marie Pezé, psychologue spécialiste du stress au travail


           Face à l’avènement de la souffrance au travail et des dégâts qu’elle produit, Marie
Pezé, psychologue spécialiste du stress au travail, crée en 1997 la première consultation en
France spécialisée sur la souffrance au travail, au Centre d’Accueil et de Soins Hospitaliers de
Nanterre (CASH). Depuis, le modèle s’est déployé, il en existe plus d’une vingtaine. Depuis
treize ans, la psychanalyste écoute les récits d’hommes et de femmes désorientés par leur
travail.


           Les neuf cents consultations qu’elle effectue par an l’ont affectée au point de perdre
l’usage d’un bras, du goût et même de l’odorat. Elle est aujourd’hui guérie de ce qu’elle
nomme « le trou noir de la décompensation », au prix d’une prise de médicaments très
régulière.


           En 2008, Marie Pezé décide de rendre publique la souffrance de ces patients à travers
un ouvrage dont le titre est emprunté à un vers de Jean de La Fontaine : Ils ne mouraient pas
tous mais tous étaient frappés. Á travers ce livre, elle fait part de la « cruauté des rapports
sociaux, de la dissolution des solidarités traditionnelles dans l’entreprise et de la nocivité de
certaines formes de management. […] Une orgie de violence sociale qui laisse [ses] patients
dans des états de détresse difficilement imaginables »14. Dans les premières lignes de son livre
elle apostrophe le lecteur : « Vous voulez en savoir plus sur la souffrance au travail ? Il
faudrait que vous entriez dans mon bureau, que vous preniez place sur cette chaise à côté de
la mienne. Il faudrait que vous assistiez à la consultation avec moi. Que vous écoutiez. Vous
pourriez ainsi entendre l’extraordinaire impact du travail sur le corps et le psychisme. Le
travail peut sauver. Il peut tuer aussi. […] Je dois vous prévenir, vous n’en sortirez pas
indemnes »15.




14
     Olivier Milot, « Le travail peut sauver, il peut tuer aussi », Télérama, n°3120, 28/10/09, pp. 31-40.
15
     PEZÉ, 2008, p.3

                                                                                                             Page | 19
1.2.     « Ils ne mouraient pas tous mais tous étaient frappés »


           Afin de rédiger son livre Marie Pezé s’est inspirée du documentaire éponyme, réalisé
par Marc-Antoine Roudil et Sophie Bruneau distribué en salles en 200616. Le film présente
quatre entretiens entre salariés et cliniciens enregistrés dans les consultations spécialisées du
centre d’accueil et de soins hospitaliers de Nanterre (CASH) de Nanterre, dont celle de Marie
Pezé. Ce film est né de la lecture de l’ouvrage Souffrance en France de Christophe Dejours17,
psychiatre et psychanalyste reconnu. Ses recherches envisagent le lien qui existe entre la
souffrance au travail et les nouvelles formes d’organisation. Dans la même perspective, les
réalisateurs ont souhaité explorer les tenants et les aboutissants de ce malaise au travail en
filmant des consultations psychiatriques.
           La force de ce documentaire est de troubler en montrant ce qui n’apparaît peut être pas
aussi choquant à la lecture. La réalité du monde professionnel apparaît alors sous un jour plus
cru et, en somme, plus véridique que dans les images généralement relayées par les médias.


           Une ouvrière fait part avec émotion de la pression qu’elle a pu subir sur son lieu de
travail. Elle explique que la direction demande aux agents de production d’accroître le
rendement avec un effectif humain constamment réduit. Autrement dit, elle augmente ses
exigences quant à la productivité mais supprime le nombre d’individus sur la chaîne de
production. Elle relate aussi la menace qui pèse sur eux : les responsables émettent des
exigences quantitatives, en brandissant le spectre du licenciement et sans prendre la mesure
du possible. Tous ces salariés, qui ont besoin de travailler pour vivre, finissent par accepter
des méthodes qu’ils réprouvent. Les collègues ne se soutiennent pas les uns les autres, ils se
désolidarisent et cherchent à satisfaire la direction à tout prix pour sécuriser leur poste. Une
fois rentrée chez elle, l’ouvrière ne parvient pas à s’apaiser, elle y rapporte sa souffrance.


           Un responsable d’agence commerciale raconte comment il est tombé en dépression. La
direction impose chaque année aux responsables d’augmenter leur chiffre d’affaires. Il leur est
demandé de respecter une mesure de temps pour chaque action commerciale, or cette durée
est constamment réduite. De plus, les responsables doivent établir un budget prévisionnel qui


16
     BRUNEAU Sophie, ROUDIL Marc-Antoine, Ils ne mouraient pas tous mais tous étaient frappés, 2006
17
     DEJOURS Christophe, Souffrance en France : la banalisation de l’injustice sociale, Paris, Seuil, 2006

                                                                                                       Page | 20
doit obligatoirement être augmenté tous les ans et qui est systématiquement vérifié et corrigé
par le N+1. L’autonomie qui est accordée aux cadres pour cette tâche est donc encadrée par
des limites très strictes. Le sentiment de pression résultant est intense car lorsque les résultats
ne correspondent pas au budget, la direction accuse les responsables d’agence de n’avoir pas
su coller aux prévisions établies par eux-mêmes. Ce cadre intermédiaire savait que ce qu’on
lui demandait n’était pas réalisable. Il était dans une impasse et comme de nombreux patients
de cette consultation, il est tombé en dépression. La première manifestation de ce mal être a
été une crise de larmes devant l’ensemble de son équipe. « J’épongeais la pression du chiffre
mais j’ai craqué », explique-t-il.


       Une femme témoigne de l’acharnement de la direction à son égard et de son incapacité
à retourner sur son lieu de travail. Elle était initialement employée en tant que femme de
ménage dans une maison de retraite. Mais ses responsables hiérarchiques lui ont demandé
d’abandonner ses tâches d’entretien pour s’occuper des malades malgré son absence de
qualification dans ce domaine. Son refus n’a pas été pris en compte. La situation s’est
aggravée le jour où elle est victime d’un accident du travail. A partir de ce moment, elle est
complètement déconsidérée par la direction et est poussée à retrouver son ancienne fonction,
l’entretien des locaux. De plus, on lui interdit d’approcher les malades et de leur parler. Les
humiliations et reproches deviennent incessants. « Je ramenais tout ça chez moi, je ne pouvais
pas faire la coupure, j’y pensais constamment », dit-elle. Sa vie de famille se retrouve
affectée. Le pire, pour elle, a été le silence de ses collègues.


       Une responsable de magasin explique combien il est difficile pour elle de supporter la
pression exercée par son employeur. Elle gérait un magasin dont les chiffres ne satisfaisaient
pas la direction qui a décidé de lui retirer toutes ses responsabilités et de lui attribuer une
tâche de manutentionnaire sans aucune explication. Elle était devenue gênante et a été
poussée à démissionner par les pires moyens par son employeur qui en est même venu à
l’insulter devant les clients. Submergée par ces humiliations, elle s’est mise en arrêt maladie.
Elle n’a pu supporter le fait qu’on la reclasse au bas de l’échelle hiérarchique et surtout sans
en expliquer la raison. Cet incident a développé en elle un sentiment de honte sociale. Elle a
souhaité changer totalement de métier pour oublier et paradoxalement elle angoissait à l’idée
de rompre le lien.



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Nous pouvons observer, à travers ces divers témoignages que ; d’une situation à
l’autre, les mêmes problématiques émergent : l’isolement, l’absence de solidarité, la
déconsidération des individus qu’ils soient hommes ou femmes, cadres ou employés. Il en
ressort une douleur incommensurable, une véritable souffrance mentale qui ronge l’être de
l’intérieur. Quel est ce mal étrange que ressentent tant de salariés aujourd’hui ?


           Le stress est la première manifestation de la souffrance au travail, il entraîne de
lourdes pathologies. Patrick Légeron, médecin spécialiste du stress en entreprise, décrit le
stress comme : « des petits riens quotidiens, des émotions inhibées, une ambiance étouffante,
une compétition féroce qui se cache derrière des semblants de camaraderie, un compliment
qu’on attend et qui ne vient pas … et on se réveille un matin mal, très mal. Le stress
d’aujourd’hui est psychologique et non plus, comme autrefois, physique »18. Le stress est
donc une réalité du monde du travail moderne et est devenu dangereux.


       2. Le stress, première manifestation de la souffrance au travail


           La définition du stress proposée par l’Agence Européenne pour la Sécurité et la Santé
au Travail (AESST) − agence dont la fonction principale est de recueillir et diffuser des
informations dans le domaine de la santé et de la sécurité au travail − reflète au mieux la
réalité actuelle de la tension croissante que ressentent les individus au travail.


           « Le stress survient lorsqu'il y a déséquilibre entre la perception qu'une personne a
           des contraintes que lui impose son environnement et la perception qu'elle a de ses
           propres ressources pour y faire face. Bien que le processus d'évaluation des
           contraintes et des ressources soit d'ordre psychologique, les effets du stress ne sont
           pas uniquement de nature psychologique. Il affecte également la santé physique, le
           bien-être et la productivité »19.


           Le stress est un risque psychosocial parmi d’autres mais il est le plus fréquent et le
plus dangereux.


18
     LEGERON, 2003, p. 11
19
     http://www.inrs.fr/htm/le_stress_au_travail.html

                                                                                        Page | 22
2.1.    Le stress au travail : faits et chiffres.


           Les études sont nombreuses au sujet du stress et toutes attestent de son omniprésence
dans les sociétés industrielles modernes et de ses effets pernicieux tant sur les individus que
sur les organisations. Tous sont égaux face au stress et à la souffrance au travail dans le sens
où personne n’est réellement épargné. Il faut cependant garder à l’esprit que personne ne le vit
de la même manière. Le stress n’est pas le même selon la catégorie socio professionnelle, le
sexe et l’âge. L’accord cadre européen d’octobre 200420 précise que « différents individus
peuvent réagir de manière différente à des situations similaires et un même individu peut, à
différents moments de sa vie, réagir différemment à des situations similaires ». L’approche
doit se faire de manière individuelle.


           Un rapport, établi en 2002 par l’AESST, estime que 22 % des travailleurs européens
sont affectés par le stress au travail, soit 41 millions de personnes. Le stress causé ou aggravé
par le travail serait le problème de santé le plus répandu dans le monde du travail et il devrait
s’amplifier dans les années à venir.


           Une enquête TNS SOFRES21 réalisée auprès des travailleurs français en avril 2006 a
révélé que 44% des français sont touchés par le stress au travail − 55% pour les femmes et
34% pour les hommes − et 18% sont à des niveaux dangereux pour leur santé − 26% pour les
femmes et 11% pour les hommes.


           Avec l’aide de l’Institut Français de l’Anxiété et du Stress (IFAS) institut apportant
aux entreprises une aide dans la prise en compte du facteur comportemental −, certaines
entreprises, notamment Renault, ont lancé une étude auprès de leurs équipes afin de mesurer
le phénomène. L’échantillon réunit 11 852 personnes, tous âges et niveaux de qualification




20
     www.stimulus-conseil.com/accord_europeen_stress_8oct04.doc
21
     « Le stress au travail, un mal si français », L’express.fr, 14 avril 2006

                                                                                        Page | 23
confondus. Il ressort de cette enquête22 que près d’un salarié sur quatre ressent un sur-stress,
niveau de stress excessif présentant un risque pour la santé23.
           Un rapport de la fondation européenne pour l’amélioration des conditions de vie et de
travail (EUROFOND)24 − organisme créé pour améliorer les conditions de travail dans la
zone euro − démontre que ce stress touche toutes les catégories socioprofessionnelles
confondues. Le stress augmenterait même avec le niveau de qualification25. Les professions
intellectuelles et supérieures sont davantage touchées. Les professions à responsabilités sont
sources de stress et donc de souffrance. Les ouvriers et employés non qualifiés arrivent en
dernière position avec 17%. Même pour eux le taux demeure élevé. La santé de tous est en
danger.


           Selon le sexe, le niveau de stress n’est pas le même non plus. Les femmes sont plus
touchées que les hommes. Elles réagissent moins bien face à une situation stressante en milieu
professionnel. En effet, les femmes sont davantage victimes des différents troubles :
dépression, anxiété et sur-stress. L’écart hommes - femmes est assez important et peut
probablement s’expliquer par le fait qu’elles décodent mieux les émotions. Une étude réalisée
par l’IFAS26 révèle que 20,2% des hommes interrogés souffrent de sur- stress pour 34,2% de
femmes. L’écart est assez élevé. Il l’est encore plus en ce qui concerne le sentiment
d’anxiété : 12,2% pour les hommes et 22,9% pour les femmes.


           Enfin, selon l’âge, le niveau de stress varie également. L’IFAS, dans le cadre de la
même enquête, révèle que la quarantaine dépassée, les salariés sont davantage exposés à
l’anxiété, à la dépression et au sur-stress. L’âge accroît la fragilité27.




22
     « Stress,    les    entreprises     auscultées »,   Enjeux   Les   Echos,   n°198,   janvier   2004
(http://ifas.net/publications/Enjeux_les_Echos_Janv2004.pdf )
23
     Cf. Figure 1, Annexe 1 : le stress en chiffres
24
     www.eurofound.europa.eu/ewco/surveys/EWCS2005/index.htm
25
     Cf. Figure 2, Annexe 1 : le stress en chiffres
26
     Cf. Figure 3, Annexe 1 : le stress en chiffres
27
     Cf. Figure 4, Annexe 1 : le stress en chiffres

                                                                                               Page | 24
2.2.      Les mécanismes du stress


           Le stress est une composante de l’organisme humain. On ne peut pas vivre sans stress,
c’est même une condition indispensable à la survie des individus. Le stress est assimilé, par
les scientifiques, à une " réaction d’adaptation ". Celle-ci est sans cesse sollicitée, dans
n’importe quelle situation et est essentielle à notre bon fonctionnement. Il faut pouvoir
s’adapter aux contraintes et menaces auxquelles nous sommes confrontés au cours de notre
vie. Un monde sans stress est impossible. Considéré sous cet angle, le stress, loin d'être une
maladie, représenterait plutôt l'expression première de l'instinct de survie. Cependant, le stress
doit être limité car les effets d’un stress trop fort sont dangereux.


                  2.2.1.   Hans Selye, le stress comme syndrome général d’adaptation


           Hans Selye (1907-1982), fondateur et directeur de l'Institut de médecine et chirurgie
expérimentale de l'Université de Montréal et pionnier des études sur le stress, rend bien
compte du lien entre stress et adaptation. Il qualifie d’ailleurs le stress comme un « syndrome
général d’adaptation », une « réponse de l’organisme à toute demande qui lui est faite, dans
une finalité d’adaptation »28. Selon ce chercheur, l’organisme mobilise des forces de défense
face à une situation donnée en développant « réaction d’alarme ». Puis il s’adapte
complètement à l’agent stressant, l’énergie est entièrement mobilisée pour résister au stress :
« stade de résistance ». Enfin il arrive un moment où le sujet n’a plus les capacités de faire
face : « stade d’épuisement »29.


                  2.2.2. Henri Laborit, le stress comme condition de survie


           Henri Laborit, (1914-1995), médecin chirurgien et philosophe, définit lui aussi le
stress comme une réaction assurant la survie de l’organisme face à un danger. Il distingue
deux types de stress. D’une part, le stress physiologique est un état d'alarme de l'organisme
face à une agression physique de l'environnement. D’autre part, le stress psychosocial est une
réaction à un phénomène interactif. Il fait intervenir la mémoire, l'apprentissage, donc le


28
     NIEZBORALA, 2007
29
     Cf. Figure 5, Annexe 2 : les modèles de stress

                                                                                        Page | 25
cerveau affectif et limbique. C’est celui que l’on retrouve dans les situations de travail. Ces
conclusions ont été tirées d’expériences médicales.


                2.2.3. Richard Lazarus, le modèle de la double évaluation


           Dans les années 1980, Richard Lazarus a développé une approche nouvelle du stress :
l’approche interactionnelle. Elle a permis d’intégrer un certain nombre de dimensions qui
n’étaient pas prises en compte auparavant, notamment la dimension cognitive. Ce chercheur
réutilise la notion d’adaptation et l’associe au concept de menace. L’individu, face à une
menace, c’est-à-dire une situation stressante, procède à une double évaluation. En premier
lieu, il interprète la menace potentielle de l’élément stressant en fonction des variables
situationnelles. Par exemple, face à un important volume de travail, il perçoit le risque de ne
pas finir dans les temps. Puis, il émet une seconde évaluation en identifiant ses ressources
émotionnelles et comportementales afin de gérer la situation et d’élaborer une réponse. Il peut
conclure qu’il n’y arrivera pas, par exemple, ou qu’il n’a pas les moyens, ou, au contraire,
qu’il est capable de surmonter la situation, qu’il trouvera une solution adaptée30. Ces
évaluations vont donc déterminer le déclenchement ou non de la réaction de stress.


           Les schémas et explications précédents posent le stress comme un élément essentiel à
la survie de chacun d’entre nous. Néanmoins, il est important de garder à l’esprit que le stress
est certes nécessaire mais dans une certaine mesure. Patrick Légeron s’appuie sur des travaux
de psychologie pour distinguer le bon du mauvais stress.


                2.2.4. Patrick Légeron, les relations entre stress et performance


           Yerkes et Dodson, deux psychologues du début du XXe siècle, ont élaboré une courbe,
« relation entre stress et performance »31, qui fait apparaître la mesure dans laquelle le stress
rend performant et le point où celui-ci devient néfaste.




30
     Cf. Figure 6, Annexe 2 : les modèles de stress
31
     Cf. Figure 9, Annexe 3 : stress et performance

                                                                                       Page | 26
Le " bon stress " ou « stress optimal » est celui qui permet de s’adapter à une situation
menaçante. C’est une réaction naturelle de notre organisme face à une agression extérieure. Il
nous permet de mobiliser efficacement nos ressources pour faire face au mieux aux nombreux
stresseurs professionnels, cités ci-après (2.3 : les « mille visages » du stress »), sans mettre en
danger notre santé.
          En revanche, le " mauvais stress " est celui qui inhibe l’action. Si le stress est quasi
inexistant, l’individu n’est pas paré pour affronter les situations menaçantes quotidiennes, il
encourt un risque. Le stress à trop forte dose est également nocif. La réaction qui est
demandée à l’individu par son environnement dépasse les ressources personnelles et sociales
qu’il peut mobiliser. Ce stress est nocif et peut être nuisible physiquement et mentalement à
l’être humain.


          Le stress est fondamentalement utile à condition que les mécanismes biologiques et
psychologiques soient déclenchés à bon escient et dans des limites acceptables. Dans de trop
nombreuses situations de travail, le " mauvais stress " est présent.


          2.3.     Les « mille visages »32 du stress au travail


          Le stress peut se manifester dans des situations très différentes et d’un individu à
l’autre le stress ne sera pas vécu de la même manière face à une circonstance particulière. Le
stress a de multiples facettes. La liste suivante ne peut se prétendre exhaustive. L’ANACT
souligne, dans son rapport sur le stress et les risques psychosociaux au travail de 200733, que
« les facteurs de causes et d’effets se croisent à l’infini […] Pour une même cause on observe
des effets différents d’un individu à l’autre et différents pour un même individu selon les
périodes et les contextes de travail ».


                 2.3.1. Le contenu du travail


          Les Anglais parlent de Job strain (pression au travail) pour décrire les contraintes qui
pèsent sur l’individu dans le cadre de sa vie professionnelle. Actuellement, l’accroissement du


32
     LEGERON, 2003, p. 12
33
     SAHLER, 2007

                                                                                         Page | 27
stress lié à la charge travail est dû à une réduction des effectifs et à une diminution du temps
de travail – les trente cinq heures. Les salariés sont moins nombreux, ont moins de temps
qu’avant et davantage de travail leur est attribué. Une enquête Santé Itinéraires Professionnels
(SIP) a été réalisée en 2007 par la DARES auprès de l’ensemble de la population active34.
22,6% des personnes interrogées considèrent qu’on leur demande toujours ou souvent une
quantité de travail excessive. L’enquête SUMER de 2003, élaborée également par la DARES,
met en avant la pression temporelle à laquelle les salariés sont confrontés. 30,9% des
personnes interrogées estiment qu’elles ne disposent pas du temps nécessaire pour réaliser
correctement leur travail. Cette surcharge est une source importante de stress.
           A cela s’ajoute le culte de la performance et de l’excellence. Alain Ehrenberg,
sociologue français, dans son ouvrage Le Culte de la Performance35, écrit que pendant
longtemps la relation au travail était contractuelle. Bien travailler consistait à accomplir sa
tâche. Depuis les années 1980 et surtout 1990, la tendance a changé, une autre idéologie s’est
développée. Faire son travail ne suffit plus, il faut désormais se dépasser. Il compare ce
phénomène aux sportifs qui ont obligation de se surpasser en permanence. Ainsi le sentiment
du travail bien fait s’amenuise. Un stress permanent est généré face à cette pression et aux
frustrations de n’avoir jamais aucun encouragement ou compliment. Les dirigeants et
actionnaires recherchent la perfection absolue, le zéro défaut. De plus, ce travail parfait doit se
réaliser dans une urgence qui neutralise la distinction entre l’urgent et l’important. Selon une
étude réalisée par le ministère du travail, un salarié sur deux dit travailler dans l’urgence.


                2.3.2.    L’environnement professionnel à l’épreuve de la modernité


           L’Histoire du travail s’est déroulée avec une certaine régularité mais, depuis la
seconde guerre mondiale, les entreprises ont connu une accélération considérable dans les
changements. Certains sont discrets mais d’autres sont brutaux voire douloureux. La réaction
d’adaptation de l’individu face à ces situations génère un stress important. Une transformation
peut s’avérer positive pour l’entreprise mais négative pour l’individu. L’enquête Changements
Organisationnels et Informatisation (COI)36 réalisée auprès de l’ensemble de la population
active, indique que dans 54% des cas, le personnel de l’entreprise n’a pas été consulté au

34
     DARES, « Indicateurs provisoires de facteurs de risques psychosociaux au travail », octobre 2009
35
     EHRENBERG, 1999
36
     DARES, « Indicateurs provisoires de facteurs de risques psychosociaux au travail », octobre 2009

                                                                                                        Page | 28
moment de la mise en place des changements. Ces incertitudes à répétition et ces décisions
arbitraires sans consultation des salariés génèrent une angoisse grandissante chez l’être
humain qui a besoin de stabilité.


           Il y a un siècle, les conditions de travail étaient physiquement difficiles : bruit, froid,
jours de repos rares, etc. La pénibilité corporelle, la répétitivité et la monotonie des tâches,
telles qu’elles sont exposées dans le film Les Temps Modernes de Charlie Chaplin, n’ont pas
entièrement disparu. Elles se sont, toutefois, largement atténuées grâce à l’avènement des
technologies modernes et du droit du travail. Ces souffrances, sources de stress, ne se sont pas
effacées, elles sont différentes. Elles sont davantage liées à la relation et moins à l’effort
physique.


           Le chercheur américain, Robert Karasek, a réalisé une étude, en 1989 portant sur le
stress professionnel. Il part de deux axes fondamentaux : la charge de travail et la marge de
manœuvre de l’individu37. Plus le travail est vécu comme contraignant et plus l’individu est
stressé. C’est le cas, par exemple des ouvriers à la chaîne. En outre, à l’heure d’Internet, le
télétravail se développe de plus en plus. Il consiste à travailler chez soi. Le salarié est certes
plus libre de ses horaires et de ses faits et gestes mais cette formule provoque l’isolement et
fait disparaître l’étanchéité entre vie privée et professionnelle. Or la séparation entre les deux
est un facteur essentiel à l’équilibre de l’être humain.


                2.3.3. Les rétributions matérielle et immatérielle


           Les frustrations au travail sont nombreuses. Elles sont généralement liées à une attente
non satisfaite de rétribution en rapport avec la contribution que représente le travail effectué.
Ces compensations peuvent être d’ordre matériel (le salaire) ou psychologique (la
reconnaissance). Le modèle de Siegrist38 rend compte de ce tandem effort-récompense. Selon
cette étude, un individu ressent d’autant moins la charge de travail qu’il saura qu’une
récompense lui sera attribuée en retour. Le déséquilibre entre les efforts fournis dans le travail
et leurs rétributions sont facteurs de stress et de mal être. Il est demandé aux salariés de se


37
     Cf. Figure 8, Annexe 2 : les modèles de stress
38
     Cf. Figure 9, Annexe 2 : les modèles de stress

                                                                                            Page | 29
dévouer à leur entreprise, de s’investir affectivement. Patrick Légeron (2003) fait l’analogie
avec une maîtresse ou un amant. Ce dernier devient très exigeant, il demande à être aimé et à
recevoir des preuves d’amour. C’est ce que Nicole Aubert et Vincent de Gauléjac39 appellent
l’entreprise « managinaire ». Elle est faite d’injonctions paradoxales : « tu dois m’aimer
passionnément, mais toi, tu ne sauras jamais si je t’aime, et, d’ailleurs, je n’ai pas à
t’aimer ». De nombreux chercheurs considèrent que l’être humain se nourrit essentiellement
de reconnaissance sociale, il a besoin d’être aimé, apprécié et surtout valorisé et reconnu par
les autres. Or, il existe de nombreuses entreprises où avouer l’efficacité d’un salarié, le
complimenter et le remercier est mal perçu. C’est ce que Patrick Légeron appelle la « culture
du négatif »40 .


                2.3.4. Les difficultés relationnelles


       Le client est devenu un véritable « dictateur »41. Ses attentes sont toujours plus fortes et il
exprime de moins en moins sa satisfaction. Les entreprises sont, actuellement, toutes orientées
vers celui-ci. Elles acceptent ses exigences et les anticipent même. La situation est paradoxale
car ces clients sont souvent, eux-mêmes, des salariés confrontés à une clientèle exigeante.


       De surcroît, notre société développe des comportements individualistes qui ont un impact
sur l’ambiance au travail. Un sondage IFOP (Institut Français d’Opinion Publique) de janvier
200142 indique que pour 83% des salariés français la bonne ambiance au travail est un critère
très important dans le choix d’une entreprise, avant même l’intérêt pour la tâche à accomplir.
Or, les modes de management, la société et l’économie prônent la concurrence et génèrent des
rivalités entre les individus. L’enquête SUMER de 200343 révèle que 8,5% des individus
interrogés estiment que leur collègues ne sont pas du tout amicaux et 14,2% que les collègues
avec qui ils travaillent ne les aident pas à mener leur tâche à bien. Ce phénomène d’incivilité
dégénère parfois en agressivité voire en violence. La violence physique est la plus perceptible.


39
     AUBERT Nicole, De GAULEJAC Vincent, Le Coût de l’excellence, Paris, Seuil, 1991.op. cit. LEGERON,
2003
40
     LEGERON, 2003, p.35
41
     LEGERON, 2003, p. 37
42
     DARES, « Indicateurs provisoires de facteurs de risques psychosociaux au travail », octobre 2009
43
     DARES, « Indicateurs provisoires de facteurs de risques psychosociaux au travail », octobre 2009

                                                                                                        Page | 30
L’enquête sur les conditions de travail, réalisée en 2005 par la DARES44, révèle que 1,6% des
personnes interrogées reconnaissent être exposées à des agressions physiques au cours de leur
travail. La forme de violence la plus fréquente est morale et sa manifestation la plus grave et
la plus difficile à surmonter est le harcèlement moral. Cette démarche intentionnelle et
perverse a pour but d’humilier et de détruire l’individu.


       Ces différentes formes de violence entraînent une baisse de l’estime de soi, une
démotivation totale et un état de stress chronique. Autrement dit, elles provoquent une
destruction intérieure de l’être humain, une souffrance insoutenable, explique Patrick
Légeron.


       3. Les impacts individuels et organisationnels de la souffrance au travail


       Le management par le stress peut mettre gravement en péril la santé mentale et physique
des individus mais aussi entraîner des répercussions financières sur les organisations.


           3.1.      La mise en péril de la santé physique et psychique des individus


           « Bien qu’indispensable à la vie, le stress représente une menace pour notre bien être.
Car, de même qu’un médicament utile peut devenir nuisible au-delà d’une certaine dose, des
réactions de stress trop intenses, trop fréquentes, trop prolongées et mal gérées peuvent avoir
des effets négatifs sur notre santé »45, affirme Patrick Légeron. Les troubles peuvent être
d’ordre psychologique et/ou physiologique.


                  3.1.1. Les troubles psychologiques


           La France est le pays consommant le plus de psychothropes au monde. De plus, les
études épidémiologiques montrent qu’un individu sur cinq souffre, au cours de sa vie, d’un
trouble anxieux ou dépressif. Ces faits sont alarmants. Le stress peut être très destructeur.




44
     DARES, « Indicateurs provisoires de facteurs de risques psychosociaux au travail », octobre 2009
45
     LEGERON, 2003, p.183
                                                                                                        Page | 31
L’anxiété se caractérise par un vécu permanent d’inquiétude et d’appréhension. Elle
se manifeste de manière somatique, psychologique et comportementale. Ce sentiment
d’anxiété peut s’installer durablement et devenir handicapant. Il peut même mener à des
conduites addictives telles que l’alcoolisme ou la toxicomanie, mais aussi entraîner des
troubles dépressifs et des envies de suicide. A ce stade, l’individu se trouve dans la
« phase d’alarme » évoquée par le modèle de Hans Selye. Il prend conscience que le stresseur
représente un danger, se met en état d’alerte et mobilise ses ressources pour l’affronter.


       La dépression fait généralement suite à des troubles anxieux. Les troubles dépressifs
sont la manifestation la plus marquée du stress. Ils sont d’ailleurs devenus une préoccupation
de santé publique et sont reconnus comme maladie professionnelle par l’assurance maladie.
Cet état correspond au « stade d’épuisement » décrit par Hans Selye. L’individu baisse les
bras, il n’a plus la capacité de mobiliser ses ressources pour faire face à une situation
stressante. La dépression se caractérise par plusieurs types de symptômes : la tristesse ou
l’effondrement de l’humeur, la perte d’intérêt, la fatigue chronique, la perte d’appétit et les
troubles du sommeil. Elle est souvent cause de burnout ( brûlure de l’intérieur). Il s’agit d’un
état d’épuisement physique et moral se caractérisant par la présence des symptômes liés à la
dépression et par un désenchantement vis-à-vis de son métier.


       L’une des principales et plus graves complications de la dépression est le suicide.
L’individu se trouve dans une telle impasse que la seule issue qu’il rencontre est de se donner
la mort. Il arrive que les suicides surviennent sur le lieu de travail. Ce fut le cas récemment à
France Telecom : un salarié, en plein désespoir, s’est poignardé en pleine réunion. De même,
la directrice de la protection judiciaire de la jeunesse s’est défenestrée depuis son bureau situé
au troisième étage.


            3.1.2. Les maladies somatiques


       Les chiffres sont alarmants. On évalue à plus de 1,3 millions le nombre de personnes
mourant d’accidents ou de maladies liées au travail par an dans le monde, soit une moyenne




                                                                                        Page | 32
de 3100 décès par jour46. On estime à soixante millions par an l’apparition de nouveaux cas de
maladies liées au travail.


          Les Troubles Musculo-Squelettiques (TMS) sont reconnus comme la première
maladie professionnelle. Elle progresse de manière considérable dans les pays industrialisés
depuis les années 1980. Selon l’ANACT, leur nombre augmenterait de 20% tous les ans et
représenterait 70% des maladies professionnelles en France. Un salarié sur huit serait touché
par les TMS47.


          Ensuite, les maladies dites somatiques se manifestent par des maladies cardio
vasculaires et respiratoires. Les plus touchés sont ceux qui subissent une importante charge
de travail et une marge de manœuvre très limitée (Cf. modèle de Karasek, Annexe 2).


          Enfin, les maladies psychosomatiques sont très nombreuses : la perte des cheveux,
l’eczema, l’acnée, la prise de poids, l’asthme, les crises d’urticaire, les migraines, les troubles
digestifs etc. La liste est loin d’être exhaustive.


          Le stress peut être à l’origine de souffrances physiques et mentales considérables. Il
peut être très nocif à l’individu. La récente vague de suicides chez France Telecom n’est pas
un cas isolé, elle a juste été davantage médiatisée que certains autres cas. Mais, l’individu
n’est pas seul à subir ces désagréments, l’entreprise en subit les conséquences financières.


          3.2.    Danger pour la santé économique des organisations


          Le stress a des effets néfastes sur les organisations car il entraîne des absences à
répétition et une perte de la productivité. Ces conséquences sont difficilement quantifiables
mais elles sont néanmoins très coûteuses.




46
     Source OMS
47
     SAHLER Benjamin, 2007

                                                                                         Page | 33
3.2.1. Les effets néfastes de la souffrance sur les organisations


           L’absentéisme est un véritable fléau pour les organisations. De plus en plus de salariés
se mettent en arrêt maladie à cause de troubles dûs au stress. Selon la Caisse Nationale
d’Assurance Maladie48, 25 % des arrêts maladie de deux à trois mois sont imputables au
stress. En 2002, selon la Commission européenne, le stress au travail serait la cause de plus de
50 % de l'absentéisme. En 2005, la représentation syndicale des cadres, CFE-CGC, a fait une
enquête auprès de 1340 cadres français. Il en résulte que 23 % ont déclaré avoir eu des arrêts
maladie à cause du stress, dont 6 % de temps en temps et 16 % souvent49. Gérer le personnel
absent n’est pas aisé car il faut envisager des remplacements et des formations. Cela entraîne
une perte de productivité, de qualité et de compétences difficilement quantifiables. Selon une
enquête de l’Association Nationale des Directeurs et Cadres de la fonction Personnel
(ANDCP) de 2003, le principal problème de l’absentéisme serait le coût engendré50.


           Le présentéisme est également problématique. Il s’agit des salariés présents sur leur
lieu de travail mais complètement désinvestis, ils ne travaillent pas au maximum de leurs
capacités. Ils sont ce que l’on appelle des « désengagés de l’intérieur »51. Ils se font très
discrets et souvent respectent peu les horaires et les exigences de qualité. Les problèmes de
discipline se font ressentir et ont un impact sur le climat social de l’entreprise. Les salariés,
totalement désinvestis, ne sont plus exigeants envers eux mêmes. Ils n’ont aucun intérêt dans
la tâche réalisée puisqu’ils ne sont ni impliqués ni responsabilisés. La conséquence directe est
une chute considérable de la productivité mais aussi l’augmentation des accidents du travail et
des rebuts et des malfaçons dans la production. Une étude réalisée en 2009 par la société de
conseil Hay Group52, révèle que seuls 52 % de salariés interrogés pensent que leur entreprise
leur donne envie de fournir un effort discrétionnaire contre 62 % ces dernières années. Leur
vraie vie est désormais ailleurs, ils ont compris qu’ils ne pourraient réaliser leurs aspirations
personnelles dans leur tâche. Le taux de rotation du personnel est, par conséquent, très élevé.

48
     http://www.risquesprofessionnels.ameli.fr/
49
     Cf. Figure 10, Annexe 4 : problèmes organisationnels liés au stress
50
     Cf. Figure 11, Annexe 4 : problèmes organisationnels liés au stress
51
      GHIULAMILA Juliette, « Des salariés désengagés de l’intérieur », Les grands dossiers des Sciences
humaines, n°12, septembre – octobre – novembre 2008
52
     LAVANANT, SADY, 2009

                                                                                             Page | 34
La situation étant devenue insupportable, l’individu en souffrance fait le choix de partir. La
même étude de Hay Group révèle que 59 % des personnes interrogées envisagent de partir,
recherchent activement un autre emploi ou bien ont déjà accepté un emploi ailleurs. Et pour
ceux qui ne pensent pas quitter leur société aujourd'hui, 92 % avouent qu’il est trop risqué de
démarrer un nouvel emploi dans le climat actuel, 87 % afirment que c’est lié au manque
d’offres d’emploi.


           Tous ces éléments portent inéluctablement atteinte à l’image de marque de
l’entreprise.
           Les différentes contreparties des pratiques provoquant un stress excessif, évoquées ci-
dessus, sont coûteuses pour l’entreprise mais aussi pour l’économie nationale.


                3.2.2. Un coût inquiétant


           Depuis environ dix ans, études, enquêtes et sondages sur le stress au travail se
multiplient. Tous se rejoignent sur un point : le stress touche de très nombreux salariés et les
fait profondément souffrir.


           Une étude réalisée en France en 2000 par l’Institut National de Recherche et de
Sécurité pour la prévention des accidents du travail et des maladies professionnelles (INRS)53
a estimé le coût direct et indirect du stress : entre 830 et 1 656 millions d’euros par an. Cette
somme équivaut à 10 à 20 % du budget de la Sécurité Sociale pour la partie maladies
professionnelles et accidents du travail. l’INRS a évalué ces coûts à partir des troubles les
                                                                                               54
plus fréquents dûs au stress et des conséquences les plus récurrentes                               . Dans cette
perspective, une première étape consisterait en une prise de conscience individuelle et
collective. Patrick Légeron, psychiatre, et Philippe Nasse, statisticien et économiste, ont
réalisé un rapport sur les risques psychosociaux au travail remis au gouvernement en mars
200855. Selon ce dossier, le stress coûterait entre 3 à 4% du PIB français, soit environ vingt
milliards d’euros dans l’Union Européenne. 50 à 60 % de l’ensemble des journées de travail

53
     TRONTIN Christian, « conséquences économiques du stress : les enjeux pour l’entreprise », inrs.fr
54
     Cf. Figure 12, Annexe 5 : coût du stress
55
     NASSE Philippe, LEGERON Patrick, « Rapport sur la détermination, la mesure et le suivi des risques
psychosociaux au travail », 12 mars 2008

                                                                                                         Page | 35
seraient perdues à cause du stress. Le stress sur le lieu de travail coûterait donc dix fois plus
cher que les conflits sociaux.
         Ces chiffres sont à prendre avec précaution car le calcul est complexe. Cependant, on
ne peut nier que le stress coûte cher tant en termes de souffrance humaine que de réduction
des performances économiques.


         En parallèle de l’évaluation de ces coûts, il serait intéressant de caculer les bénéfices
que pourraient générer les entreprises en favorisant le bien être des salariés, en les valorisant
et les responsabilisant. Ces données sont malheureusement intangibles et très difficilement
mesurables par les sytèmes comptables traditionnels. Pourtant l’économie réalisée pourrait
être considérable. Plusieurs études ont montré qu’il est " rentable " d’investir dans la
prévention du stress au travail. Les sommes débloquées sont rapidement amorties, sur
l’espace d’un exercice annuel. Henri Savall, avec l’aide d’une équipe de recherche rattachée à
l’université de Lyon III, est parvenu à évaluer ces montants grâce à une méthode tirée de la
« théorie des coûts cachés »56.


         Les individus, tout comme les organisations, souffrent d’un stress et d’une souffrance
croissants dont les conséquences peuvent être néfastes humainement et financièrement. Il
semble donc logique d’enclencher une démarche de gagnant-gagnant. Cela doit devenir le
grand défi à relever dans les années à venir par les gouvernements, les employeurs et les
syndicats. Encore faut-il parvenir à identifier les causes profondes de la souffrance au travail.




CHAPITRE II – A l’ origine de la souffrance au travail : les pratiques managériales en
question



        « Le travail est au cœur des enjeux essentiels de notre pays […] Or, il y a aujourd'hui
un vrai malaise dans beaucoup d'entreprises où le travail est trop souvent synonyme
d'angoisse ou de malheur », énonce Jean François Copé, président du groupe UMP à
l’Assemblée Nationale. En réaction à cette immense souffrance, le député a créé un groupe de
travail chargé de réfléchir et d’apporter des solutions sur la souffrance au travail. Il ajoute que,

56
     SAVALL, 2007

                                                                                          Page | 36
dans le contexte de la récente vague de suicides dans de grands groupes industriels français
certains ont voulu la démission des dirigeants mis en cause. Selon lui :


         « certains ont voulu la démission des dirigeants concernés. C'est un réflexe très
         français, dès qu'on est face à un problème, on rejoue 1793. Il faut trouver un bouc
         émissaire, sortir les piques et couper des têtes. Une fois les têtes tombées et la colère
         satisfaite, on oublie de s'interroger sur les causes du problème. C'est tout l'inverse qu'il
         faut faire, ne pas stigmatiser une personne mais proposer des solutions structurelles. Le
         mode de management de beaucoup de nos entreprises doit évoluer de fond en
         comble »57.


         Les pratiques managériales sont les premières à être coupables de ce malaise au travail
car elles s’appuient sur des schémas hérités du passé devenus obsolètes. L’économie a évolué
mais les modes de management ont stagné.


         1. Les schémas hérités du passé


         L’organisation du travail actuelle s’appuie sur de vieux principes datant du début du
XXe siècle. Ils ont 100 ans mais les entreprises ont tendance à ne pas remettre pas en cause
ces modèles.


               1.1. TAYLOR et l’organisation scientifique du travail (1911)


           Jusqu’au XIXe siècle, le monde du travail s’organise autour de deux types d’acteurs.
D’une part, les ouvriers étaient détenteurs d’une véritable compétence technique et
travaillaient en toute autonomie. D’autre part, les contremaîtres disposaient d’une complète
autorité sur les premiers. Au cours de la seconde moitié du XIXe siècle, la Révolution
Industrielle a entraîné la mise en place d’un nouveau système technique et l’émergence des
ingénieurs. Ces deux facteurs ont joué un rôle déterminant dans la naissance du taylorisme.




57
     http://www.lasouffranceautravail.fr/Actualite.html

                                                                                           Page | 37
Frederic Winslow Taylor58 (1856-1915) est considéré comme l’un des pionniers du
management. Il réfléchit à la manière de répondre au mieux aux nouvelles exigences
économiques émergeant dans le cadre de la Révolution Industrielle. Il propose une nouvelle
organisation du travail permettant d’instaurer une paix sociale durable au sein des entreprises
à travers la convergence des intérêts de tous et de développer leur prospérité via une
rationalisation du travail. Cette démarche implique une révolution complète de l’état d’esprit
des dirigeants d’entreprises et des ouvriers.


           Il crée l’Organisation Scientifique du Travail (OST). Il est, selon lui, possible
d’appliquer à l’activité humaine un raisonnement scientifique. Il s’agit d’observer, de classer
les faits, de les analyser et d’en tirer des lois de portée générale sur le savoir faire ouvrier.


           Taylor élabore plusieurs grands principes. Tout d’abord, il souhaite mettre fin à la
« flânerie systématique » des ouvriers. Pour cela, il s’appuie sur la théorie de l’économiste
anglais David Ricardo (1817) sur la spécialisation des tâches. Il la réutilise et la nomme:
division horizontale du travail. Il souhaite éradiquer tous les temps morts dans le travail des
ouvriers car ils représentent une perte de productivité énorme. Le travail des ouvriers se
retrouve segmenté en tâches simples, rapides et répétitives. Le but est d’augmenter la
productivité tout en réduisant les coûts. Pour cela, l’homme doit être isolé et individualisé
dans sa tâche.
           Taylor souhaite aussi diviser verticalement le travail59. Pour cela, il s’inspire
d’Adam Smith (1776). Cette logique consiste à séparer les " cols blancs " des " cols
bleus " (« the right man in the right place »), soit à centraliser le pouvoir. Les premiers, les
dirigeants, sont les penseurs. Les seconds, les ouvriers, exécutent les directives établies par les
ingénieurs.
           Selon Taylor, la seule motivation pour compenser le caractère abrutissant et aliénant
du travail ne peut être que l’argent. Il met alors en place un système de salaire au
rendement, autrement dit il a recours à des primes de productivité.




58
     PLANE, 2008, pp. 10-13
59
     Cf. Figure 13, Annexe 6 : Taylorisme et Fordisme

                                                                                            Page | 38
La surveillance est un autre moyen pour canaliser les ouvriers. Un système de
contrôle du travail est élaboré avec la création de postes de contremaîtres dont la fonction
essentielle est le contrôle et la surveillance.


          L’application des principes de Taylor ont eu pour mérite d’améliorer la gestion de la
production et l’accroissement de la productivité. Ce théoricien a pleinement contribué à la
transformation et la modernisation des entreprises industrielles.
          Henri Savall, économiste et professeur de sciences de gestion, reconnaît que
« Taylor eut l’idée judicieuse de s’attaquer au gaspillage de matière, de temps, de gestes […].
La principale conséquence à long terme a été que l’analyse du travail humain a facilité son
transfert en travail machine ». En effet, le poids de la hiérarchie, des règles et procédures et le
contrôle et la rationalisation excessive du travail ont apporté une vision appauvrie du potentiel
humain.


          Le taylorisme connaît une crise à la fin des années 1960. Les ouvriers se révoltent par
le biais de l’absentéisme et du turnover (taux de rotation du personnel). Chez Renault, par
exemple, l’absentéisme passe de 4% en 1961 à 8.5% en 1974. L’intensification des rythmes
de travail rend de plus en plus pénible la tâche des travailleurs. De plus, les hausses de salaires
ne compensent plus à leurs yeux la pénibilité et l’absurdité du travail.


             1.2. La méthode d’Henri FORD


          Henri Ford60 (1863-1947) était un célèbre homme d'affaire et industriel américain. Il
est le créateur de la Ford Motor Company. Il est considéré comme le continuateur de Taylor.


          Ses apports concernent la mécanisation du travail. Il met en place le convoyeur de
pièces. Il s’agit d’un tapis roulant où circulent automatiquement les pièces devant les
travailleurs. La production est à flux continu. Ainsi, la machine dicte à l’homme son rythme
de travail et de production et les temps opératoires élémentaires sont réduits. C’est le début du




60
     PLANE, 2008, pp.13-18

                                                                                         Page | 39
travail à la chaîne61. Le travail vivant est remplacé par du travail mort, la machine prolonge
la main de l’homme.
           Le second apport de Ford est la standardisation des biens de production. Il est à
l’origine de la production des grandes séries grâce à des pièces interchangeables et
standardisées. Des économies d’échelle peuvent ainsi être réalisées : en augmentant la
production, les coûts unitaires de production diminuent. Le développement de ce mode de
production fordiste suit l’esprit de la loi libérale élaborée par l’économiste français Jean
Baptiste Say (1803) selon laquelle l’offre crée sa propre demande : « plus les producteurs sont
nombreux et les productions multiples, plus les débouchés sont faciles, variés et vastes ».
           Ford associe production de masse et consommation de masse. Le 1e janvier 1914, il
décide de doubler les salaires par l’instauration de la rémunération journalière : « Five dollar
a day ». Le but de cette démarche est, dans un premier temps, de fidéliser les travailleurs par
un système de rémunération attractif et, dans un second temps, d’augmenter le pouvoir
d’achat afin que les salariés puissent acheter les voitures produites par la Ford Company.


           L’application de la méthode fordiste a permis la baisse des prix de vente, la hausse des
salaires et l’élévation des profits. Ford a eu le génie, avant Keynes, d’avoir perçu la nécessité
d’agir sur le pouvoir d’achat des salariés pour dynamiser l’économie nationale. Le modèle a,
néanmoins, des effets négatifs car il ne s’adapte pas aux nouvelles règles de l’environnement
concurrentiel et à la donne mondiale affectée par les chocs pétroliers de 1973 et de 1979. Les
coûts ont certes diminué mais les attentes des consommateurs ne sont pas prises en compte
(qualité, sécurité et variété).
           De plus, l’émergence du Toyotisme, dans la seconde partie du XXe siècle, affaiblit le
modèle fordiste. Cette méthode japonaise adopte des principes tels que la mobilisation des
compétences, la participation, l’autonomie, la responsabilité et les initiatives. Ce modèle offre
davantage de flexibilité et de réactivité permettant une meilleure compétitivité.


              1.3. Henri FAYOL et les principes de commandement (1916)


           La pensée d’Henri Fayol62(1841-1925), ingénieur français, a souvent été associée à
tort à celle de Taylor. Fayol ne prône pas autant de contrôle et d’autorité. Néanmoins, ces


61
     Cf. Figure 14, Annexe 6 : Taylorisme et Fordisme

                                                                                         Page | 40
deux auteurs se complètent car la théorie taylorienne concerne les ouvriers et celle de Fayol,
les dirigeants. Il écrit Administration industrielle et générale (1916) avec pour idée de faire
évoluer les fonctions de commandement dans les grandes entreprises et de développer leurs
qualités en matière de leadership. Pour ce faire, il s’est appuyé sur son expérience à la
direction d’une compagnie minière. A travers cet ouvrage, il définit les cinq fonctions du
management : prévoir et planifier, organiser, commander, coordonner et contrôler. Il reprend
les idées de ses prédécesseurs en ce qui concerne la division du travail et la centralisation du
pouvoir mais il apporte une touche de modernisme manifestant son opposition à l’excès de
spécialisation et d’organisation. De plus, il considère, contrairement à Taylor ou Ford, que la
motivation vient de l’initiative, de l’équité et de l’union du personnel et non du salaire. Ainsi,
il jette les bases d’un véritable management moderne.


             1.4. Théories de la bureaucratie : Max WEBER et Henry MINTZBERG


         Max WEBER,(1864-1920)63 sociologue allemand, met au point une théorie sur les
structures d’autorité afin de classer les organisations parmi lesquelles l’organisation
bureaucratique nous intéresse en particulier. Il a été le premier à utiliser le terme "
Bureaucratie " pour décrire une culture et une structure d’entreprise rigidement fixées.
C’est un système rationnel caractérisé par une exigence de conformité règlementaire, par la
prévisibilité et la précision technique. Autrement dit, elle se définit par la discipline, le
contrôle et la hiérarchie. La relation au travail est dépersonnalisée, elle empêche toute
forme d’innovation et de créativité. Sa théorie permet de donner un nom aux formes de
management pratiquées dans les entreprises depuis la Révolution Industrielle et
l’avènement du Taylorisme.


         Henri MINTZBERG (1939)64 est l’un des théoriciens des organisations les plus
importants. Il classifie les organisations. Les modèles façonnés par Taylor et Ford
correspondent à ce qu’il appelle la « bureaucratie mécaniste ». Celle-ci se caractérise par
des procédures formalisées, une division et une spécialisation du travail, une
standardisation des résultats, des procédures de travail et des qualifications et par une ligne

62
     PLANE, 2008, pp.18-22
63
     PLANE, 2008, pp. 22-27
64
     MINTZBERG, 2004, p.237

                                                                                        Page | 41
hiérarchique développée. Les organisations bureaucratiques suivent une logique de
planification et de programmation. Ce sont des organisations dont la structure est
extrêmement rigide et qui sont, par conséquent, peu propices à l’adaptabilité et
l’innovation.


           Les théories de Weber et Mintzberg se rejoignent : la Bureaucratie est un système
rationnel et sécurisant mais très rigide et inadapté à l’environnement instable actuel.


           Au système bureaucratique, s’oppose le modèle organique. La bureaucratie s’exerce
majoritairement dans les grandes structures alors que le réseau organique concerne davantage
les PME. Selon Christophe Assens, conseiller en management, le modèle organique se
caractérise ainsi :


           « Il n’existe pas de procédure de contrôle formel de hiérarchie. Chacun est
           responsable de soi, la décision est répartie sur l’ensemble des membres, il n’existe pas
           de pilote. La forme de la structure est dynamique, elle émerge des interactions entre
           les membres. […] Ce type de réseau présente l’avantage de préserver l’autonomie des
           membres et de leur conférer des capacités d’adaptation, de créativité et
           d’apprentissage »65.


           Tous ces éléments ne sont pas présents dans le modèle bureaucratique or la majorité
des entreprises l’adopte au détriment de l’aspect humain et donc de leur développement
économique. Les schémas, figures 15 et 16 Annexe 7, illustrent la différence entre modèle
bureaucratique et organique ou système conventionnel et composite ; et rendent bien compte
de la dimension d’interactions dans le second système.


           Tous ces principes ont beaucoup joué en faveur de la prospérité économique nationale.
Ils sont aujourd’hui insuffisants voire nocifs car la dimension humaine est exclue de leur
vision de l’entreprise. Or, la majorité des grandes entreprises françaises sont encore dans ces
logiques dites " néo tayloriennes ".


65
     ASSENS Christophe, « Du modèle bureaucratique au modèle organique : l’organisation en réseau », Flux, vol.
12, n° 23, 1996, pp. 38-42

                                                                                                    Page | 42
2. Les principes du management moderne et ses dérives


        La majorité des grandes entreprises s’inscrit dans la lignée directe de Taylor.
L’économie a évolué et les principes appliqués qui ont stagné entraînent des dérives car ils ne
sont plus adaptés.


             2.1. La standardisation


        La standardisation est un mécanisme de coordination et de formalisation. Elle permet de
réaliser des économies d’échelles et d’améliorer la productivité des entreprises. Elle a
également pour but de renforcer la fiabilité et la qualité de sa production. La fin ultime de
cette démarche est de se surpasser économiquement et de devancer les concurrents.


        2.1.1. La formalisation des comportements


        La standardisation des processus de travail vise à formaliser les comportements des
salariés. Tous doivent appliquer les règles et les procédures dictées par l’organisation.
L’entreprise moderne est fondée sur une logique de dévoration de ses personnels, tous
niveaux hiérarchiques confondus, explique Paul Ariès, politologue et écrivain français66.
Valeurs et culture d’entreprise leur sont imposées. L’intégration est forcée, les salariés sont
formatés car leur sont dictés les façons de travailler, de s’habiller, de sourire, de parler et
même de penser. Paul Ariès estime que l’organisation souhaite façonner « un modèle de
salarié universel et interchangeable ».
        Cette logique de dévoration consiste à exclure tout en intégrant. Un cadre est instauré
pour intégrer les employés au sein d’une communauté et dans le même temps, dans leur
travail quotidien tous sont privés d’autonomie et de responsabilités. Ce déséquilibre provoque
une profonde souffrance chez l’être humain.
        Cette logique se manifeste également par la multiplication de séminaires de motivation,
de meetings ou de soirées. Le but est de donner aux salariés la motivation pour poursuivre
leur mission. « On sait pertinemment que sans ce dopage psychologique, il est impossible de




66
     ARIES, 2002

                                                                                      Page | 43
donner la force aux salariés de continuer à travailler dans de telles conditions », dit Paul
Ariès67.
         Cette méthode se manifeste aussi par le marquage du salarié. Chez Nike, par exemple, il
est bien vu de se faire tatouer le logo de la marque sur la cheville. Le travail devient
accaparant, l’entreprise intrusive et leur intimité est violée. Ainsi, la frontière entre vie privée
et vie professionnelle ne peut que s’estomper.


         2.1.2. La spécialisation des tâches


         La standardisation des qualifications, soit la spécialisation des tâches, consiste à
parcelliser et définir précisément les activités. Le but est de réduire la complexité et
d’accélerer l’apprentissage, dans un souci d’économie d’échelle. Cette logique marque la fin
des métiers et du savoir faire. Aujourd’hui les individus effectuent des fonctions et non plus
des métiers. Leurs compétences techniques ne sont plus mises à l’épreuve et la reconnaissance
de l’expertise n’existe plus.
         La standardisation des qualifications et les évolutions économiques freinent la créativité
et l’innovation, pire elles les détruisent et les font disparaître. Aujourd’hui, ce sont les
machines qui produisent les objets et les fonctions ont remplacé les métiers dans l’essentiel du
monde du travail. Ceci a entraîné la modification de l’individu dans son rapport au travail : il
n’a personne à imiter et n’a rien à transmettre. On lui explique d’ailleurs qu’il devra changer
de fonction tout au long de sa vie. Autrement dit, il ne sera jamais reconnu comme spécialiste
dans un domaine quelconque. France Telecom en est la preuve.


         2.1.3. La gestion par objectifs


           La standardisation des résultats se manifeste par le management par objectifs. Les
efforts individuels doivent être conformes aux objectifs quantitatifs fixés par la direction. mais
l’aspect qualitatif,soit la dimension humaine, est oublié.
           La financiarisation des entreprises avec à la tête, des actionnaires, accentue cette
omniprésence financière. De fait, les grandes entreprises, surtout celles cotées en Bourse, sont
bien plus touchées par cette logique de résultats que les PME. Néanmoins, cette tendance se


67
     Intervention dans : CARRE Jean Michel, J’ai (très) mal au travail, octobre 2007

                                                                                          Page | 44
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MéMoire le stress au travail

  • 1. GROUPE SUP DE CO LA ROCHELLE PROGRAMME ESC Programme ESC Promo 2010 LE STRESS AU TRAVAIL : OBSTACLE À UN MANAGEMENT EFFICACE? Vers de nouveaux modèles de management, alternatifs à la souffrance au travail. Mémoire de fin d’études présenté et soutenu publiquement le jeudi 17 juin 2010 par Cécile BENCHETRIT *** Membres du jury : Directeur de mémoire : Daniel BELET Assesseur : Patrick GIAT
  • 2. « Traiter les gens comme s’ils étaient ce qu’ils devaient être et vous les aiderez ainsi à devenir ce qu’ils peuvent être », J.W.Goethe (1749-1832) Page | 2
  • 3. REMERCIEMENTS Ma gratitude s’adresse tout d’abord à Daniel BELET, mon maître de mémoire, pour la richesse de ses idées et de ses conseils mais aussi pour sa disponibilité et le temps qu’il m’a consacré pendant la phase de préparation de mon mémoire. Il me faut également exprimer ma reconnaissance envers les personnes qui se sont impliquées dans mon travail de recherche en acceptant de témoigner sur un sujet si délicat, ainsi qu’envers mon entourage pour m’avoir mis en relation avec ces gens. Enfin, je tiens à remercier ma famille pour le soutien et les nombreux conseils prodigués tout au long de ce mémoire. Page | 3
  • 4. RÉSUMÉ De plus en plus d’individus font l’expérience de la souffrance au travail et ce, dans un nombre croissant d’environnements professionnels. De nombreuses études et témoignages attestent de cette réalité. Le stress, sous le faisceau des médias, est la première manifestation de la souffrance au travail. Ses effets sont potentiellement négatifs tant sur la santé physique et psychique des individus que sur la santé économique des organisations. La présente recherche interroge les pratiques managériales modernes qui négligent les considérations éthiques et les potentialités des ressources humaines en retenant uniquement la rentabilité financière comme principe directeur. La situation n’est pas irréversible. Des théories qui replacent l’homme au cœur de l’entreprise, existent. Et les entreprises françaises et étrangères qui ont eu l’audace de s’en inspirer en bouleversant leurs pratiques managériales, sont ainsi parvenues à créer un véritable avantage concurrentiel. Afin d’apporter un éclairage concret sur ce sujet, une étude qualitative a été réalisée. Des salariés d’horizons divers se sont exprimés sur les raisons de leur souffrance au travail et sur les sources de motivation et de bien-être. Cette enquête a permis de faire émerger quelques éléments indispensables à l’ébauche de nouveaux modèles managériaux où les considérations éthiques, humaines et financières se conjuguent avec efficacité. MOTS CLÉS Travail Souffrance Organisation Individu Stress Entreprise Management Risques psychosociaux Page | 4
  • 5. ABSTRACT Currently, we notice a difficulty experienced rising amount of people at work and in an increasing number of professional environments. Numerous studies broach this issue. The Stress, frequently brought to mass media’s attention, is the first sign of work suffering. Its effects weigh on are pernicious on people’s physical and psychic health as well as on the economic health of organizations. This research therefore questions modern management that neglects ethical considerations and human potentialities while exclusively concentrating on financial profitability concerns. This situation is not irreversible. Some theories that set the human potentiality back at the heart of their concerns have proved their sustainability. As a matter of fact, some companies that have had the audacity resort to these theories by changing deeply their management practices, have succeeded in creating a competitive advantage. In order to cast empirical light on this subject, a qualitative study had been carried out. Diverse kind of employees expressed their mind about the reasons of their suffering, motivation and wellbeing sources at work. This survey then allows to infer founding elements that are essential in the process of redefining a work organization where ethical and human consideration are synchronized with financial concerns. KEY WORDS Work Suffering Organization Human being Stress Firm Management Psychosocial risks Page | 5
  • 6. SOMMAIRE INDEX DES SIGLES ______________________________________________________ 10 INTRODUCTION _________________________________________________________ 11 PREMIÈRE PARTIE : REVUE DE LITTÉRATURE ___________________________ 18 « Quand le travail rend malade … » ___________________________________________ 18 CHAPITRE I - Etat des lieux de la souffrance au travail en France _________________ 18 1. La réalité de la souffrance au travail __________________________________ 18 1.1. Marie Pezé, psychologue spécialiste du stress au travail ________________ 19 1.2. « Ils ne mouraient pas tous mais tous étaient frappés » _________________ 20 2. Le stress, première manifestation de la souffrance au travail _____________ 22 2.1. Le stress au travail : faits et chiffres. ________________________________ 23 2.2. Les mécanismes du stress ________________________________________ 25 2.2.1. Hans Selye, le stress comme syndrome général d’adaptation _________ 25 2.2.2. Henri Laborit, le stress comme condition de survie ________________ 25 2.2.3. Richard Lazarus, le modèle de la double évaluation ________________ 26 2.2.4. Patrick Légeron, les relations entre stress et performance ___________ 26 2.3. Les « mille visages » du stress au travail ____________________________ 27 2.3.1. Le contenu du travail ________________________________________ 27 2.3.2. L’environnement professionnel à l’épreuve de la modernité _________ 28 2.3.3. Les rétributions matérielle et immatérielle _______________________ 29 2.3.4. Les difficultés relationnelles __________________________________ 30 3. Les impacts individuels et organisationnels de la souffrance au travail _____ 31 3.1. La mise en péril de la santé physique et psychique des individus _________ 31 3.1.1. Les troubles psychologiques __________________________________ 31 3.1.2. Les maladies somatiques _____________________________________ 32 3.2. Danger pour la santé économique des organisations ___________________ 33 3.2.1. Les effets néfastes de la souffrance sur les organisations ____________ 34 Page | 6
  • 7. 3.2.2. Un coût inquiétant __________________________________________ 35 CHAPITRE II – A l’ origine de la souffrance au travail : les pratiques managériales en question ________________________________________________________________ 36 1. Les schémas hérités du passé ________________________________________ 37 1.1. TAYLOR et l’organisation scientifique du travail (1911) _______________ 37 1.2. La méthode d’Henri FORD _______________________________________ 39 1.3. Henri FAYOL et les principes de commandement (1916) _______________ 40 1.4. Théories de la bureaucratie : Max WEBER et Henry MINTZBERG _______ 41 2. Les principes du management moderne et ses dérives ___________________ 43 2.1. La standardisation ______________________________________________ 43 2.1.1. La formalisation des comportements ___________________________ 43 2.1.2. La spécialisation des tâches___________________________________ 44 2.1.3. La gestion par objectifs ______________________________________ 44 2.2. Les organisations pyramidales et le contrôle excessif __________________ 45 2.2.1. La centralisation du pouvoir __________________________________ 46 2.2.2. La confiance calculée et les systèmes d’évaluation ________________ 46 2.3. Les récompenses financières ______________________________________ 48 2.3.1. La distinction forts – faibles __________________________________ 48 2.3.2. L’absence de récompense symbolique __________________________ 49 CHAPITRE III - Propositions pour accroître l’efficacité des pratiques managériales ___ 50 1. S’abreuver des théories des précurseurs _______________________________ 50 1.1. Marie Parker Follet, pionnière du management _______________________ 51 1.2. Le mouvement des " relations humaines " ___________________________ 53 1.2.1. MAYO, à l’origine du mouvement _____________________________ 53 1.2.2. La dynamique de cohésion dans les organisations _________________ 54 1.2.3. Les théories des besoins et des motivations ______________________ 55 2. S’inspirer des réussites d’innovations managériales _____________________ 57 2.1. S’appuyer sur des concepts clés ___________________________________ 58 2.1.1. La norme ISO 26000, vers un management plus responsable ________ 58 2.1.2. L’organisation apprenante ____________________________________ 59 2.1.3. Les SCOP, vers un management plus participatif __________________ 61 2.2. S’approprier les succès réalisés ____________________________________ 62 Page | 7
  • 8. 2.2.1. GOOGLE et l’adaptabilité (Etats-Unis) _________________________ 63 2.2.2. OTICON et le " chaos organisé " (Danemark) ____________________ 64 2.2.3. PAPREC et la simplicité (France) ______________________________ 65 DEUXIÈME PARTIE : MÉTHODOLOGIE ___________________________________ 67 CHAPITRE I - Hypothèses de travail _________________________________________ 67 1. Le management d’inspiration " néo taylorienne " et ses méfaits ___________ 67 2. Les facteurs de motivation au travail _________________________________ 68 3. L’exploitation du potentiel humain et ses bienfaits ______________________ 69 CHAPITRE II - Outils de recherche __________________________________________ 70 1. L’entretien semi directif ____________________________________________ 70 1.1. La préparation : le guide d’entretien ________________________________ 70 1.2. Les outils _____________________________________________________ 72 1.3. Le déroulement ________________________________________________ 73 2. Les avantages et les limites de l’étude _________________________________ 74 CHAPITRE III – Echantillon _______________________________________________ 75 1. La sélection de l’échantillon _________________________________________ 75 1.1. La constitution de l’échantillon ____________________________________ 75 1.2. La taille de l’échantillon _________________________________________ 76 2. La population rencontrée ___________________________________________ 77 2.1. Profils et secteurs professionnels variés _____________________________ 77 2.1.1. Secteurs orientés vers la valorisation de l’être humain au travail ______ 78 2.1.2. Pratiques managériales fondées sur la notion de rentabilité financière__ 79 2.2. Profils variés et entreprise commune _______________________________ 79 CHAPITRE IV - Méthode d’analyse _________________________________________ 80 TROISIÈME PARTIE : RÉSULTATS ET ANALYSE __________________________ 81 CHAPITRE I – Résultats __________________________________________________ 81 1. Première série d’interviews _________________________________________ 81 2. Second corpus d’entretiens __________________________________________ 86 CHAPITRE II – Analyse de contenu __________________________________________ 89 Page | 8
  • 9. 1. L’Analyse des résultats _____________________________________________ 89 1.1. Les représentations des structures organisationnelles ___________________ 89 1.1.1. La dimension verticale à sens unique vécue comme obstacle aux initiatives ___________________________________________ 89 1.1.2. La rupture des liens horizontaux vue comme un management par la délation ___________________________________________ 90 1.1.3. Un fonctionnement hiérarchique parfois intériorisé ________________ 91 1.2. Les représentations de la culpabilité dans l’expérience du stress __________ 92 1.3. Les facteurs de stress et de motivation identifiés par les enquêtés _________ 94 1.3.1. Le stress vécu par les enquêtés : causes et conséquences ____________ 95 1.3.2. Les facteurs de motivation au travail ___________________________ 99 2. Les préconisations ________________________________________________ 100 2.1. Préférer un management participatif _______________________________ 100 2.2. Développer des valeurs humaines et faire converger les intérêts _________ 103 CONCLUSION __________________________________________________________ 105 TABLE DES ANNEXES __________________________________________________ 110 BIBLIOGRAPHIE _______________________________________________________ 176 Page | 9
  • 10. INDEX DES SIGLES AESST: Agence Européenne pour la Santé et la Sécurité au Travail ANACT: Association Nationale de l’Amélioration des Conditions de Travail DARES : Direction de l’Animation de la Recherche, des Etudes et des Statistiques IFAS : Institut Français d’Action sur le Stress INRS : Institut National de Recherche et de Sécurité SCOP : Société Coopérative et Participative Page | 10
  • 11. INTRODUCTION La souffrance au travail, une réalité qui s’impose Un par jour, c'est le nombre de suicides liés au travail en France. On recense entre 300 et 400 décès par suicide par an en France, liés directement aux conditions de travail révèle Christian Larose, vice-président du Conseil Économique et Social (CES). « Nous sommes face à un phénomène important et de plus en plus préoccupant, lié à la dureté du monde du travail et à sa précarité. Cela touche tous les milieux, mais en particulier les cadres », précise Michel Debout, président de l'Union nationale de la prévention du suicide1. Les risques psychosociaux2 et la souffrance au travail sont au cœur des débats. Depuis quelques années, l’avalanche de publications sur le mal être au travail est révélatrice de la gravité de la situation dans laquelle se trouve l’organisation du travail. Les chiffres liés à la souffrance au travail, fournis par le ministère du travail, sont alarmants. Chaque année, 760 000 salariés français sont victimes d’accidents du travail en France. Les maladies professionnelles ne cessent d’augmenter, on en dénombrait plus de 45 000 en 2008. Environ deux personnes par jour meurent d’un accident du travail – 569 décès en 2008 – ou suite à une maladie professionnelle – 425 décès en 2008. Selon un rapport de l'OMS, l'Hexagone occupe la troisième marche du podium mondial où les "dépressions liées au travail" sont les plus nombreuses, devancé par l'Ukraine et les États-Unis. En 5 ans, en France, sur 1000 tentatives de suicides sur le lieu de travail, 47% sont suivies de mort. Chaque année, 2 millions de salariés subissent la maltraitance et le harcèlement moral et 500 000 sont victimes de harcèlement sexuel3. Tous les indicateurs sont au rouge, la situation est inquiétante. « On a longtemps considéré que les maladies et risques professionnels étaient inéluctables, comme s'ils étaient le prix à payer au progrès technique et économique. […]. [Il faut] redonner au travail ses lettres de noblesse et faire en sorte qu'il soit un lieu où puissent 1 « Suicide au travail », Mutualité.fr, 30 juillet 2009 2 Définition du Ministère du travail des risques psychosociaux : « risques professionnels portant atteinte à l'intégrité physique et à la santé mentale des salariés et qui impactent le fonctionnement des entreprises» 3 BRUNEL Florence, « Souffrance au travail, la faute au management ? », L’Entreprise.com, 31 octobre 2007 Page | 11
  • 12. s'épanouir les talents de chacun d'entre nous », dit Xavier Darcos, ex ministre du travail4. En effet, cette situation n’est pas irréversible. L’important est de prendre conscience des désagréments que cause le travail et de réagir. L’ébauche d’une prise de conscience L’intérêt d’aborder un sujet relatif à la souffrance au travail est de contribuer à une prise de conscience sur le malaise régnant dans l’organisation du travail. Le but est de donner un sens aux très nombreuses publications gouvernementales, syndicalistes ou encore médicales et d’expliquer pourquoi cette souffrance au travail existe. Les entreprises focalisent souvent sur les symptômes, les éléments factuels des évènements − le " comment " − mais oublient de se recentrer sur les causes profondes des faits − le " pourquoi " −, ce qui permettrait sans doute de résoudre plus aisément de nombreuses questions relatives à la souffrance au travail. L’intérêt d’évoquer aujourd’hui ce type de sujet réside dans le fait que nous nous trouvons à une période charnière car une prise de conscience collective et individuelle s’amorce. La tendance n’est plus au déni, ce thème est de moins en moins tabou. Les risques psychosociaux au travail sont dénoncés et la souffrance psychique qui en découle est reconnue. Jusqu’à une époque récente, les risques et atteintes à la santé des travailleurs n’étaient pas considérés comme une question de santé publique mais comme un problème social à gérer entre les partenaires sociaux. Une prise de conscience est engagée, l’Etat français se mobilise. Le cadre juridique et de nombreux rapports et études confirment l’importance des risques psychosociaux et l’urgence de les réduire au maximum5. L’enquête Sumer de 2003 de la Direction de l’Animation et de la Recherche des Etudes Statistiques (DARES) et l’étude épidémiologique Samotrace en 2009 de l’Institut de Veille Sanitaire (InVS), sont deux grandes études sur la 4 Discours de Xavier Darcos lors de la Réunion du Comité d'Orientation sur les Conditions de Travail (COCT) à Paris le 9 octobre 2009 ( http://discours.vie-publique.fr/notices/093002844.html ) 5 HOLCBLAT Norbert, LANOUZIERE Hervé, « les risques psychosociaux », Dossier réalisé par le pôle travail du CRDM (Centre de Ressources Documentaires du Ministère de l’emploi et de la solidarité), mise à jour le 15 mars 2010 Page | 12
  • 13. santé mentale au travail en France. Un sondage réalisé par l’Association Nationale pour l’Amélioration des Conditions de Travail (ANACT) en 2009, « le stress au travail », apporte des données chiffrées utiles à la compréhension de l’ampleur du phénomène. Face à ces données alarmantes, le traitement du stress au travail est devenu une priorité pour l’Etat français. Un site Internet, travailler-mieux.gouv.fr, sur la santé et la sécurité au travail a été ouvert. De plus, le « Rapport sur la détermination, la mesure et le suivi des risques psychosociaux au travail » de Philippe Nasse et Patrick Légeron a été remis au gouvernement en 2008 et une étude a été réalisée par la DARES en 2009 : « Rapport sur les indicateurs provisoires de facteurs de risques psychosociaux au travail ». Plus récemment, en 2010, Lachmann, Larose, et Penicaud on rédigé le « Rapport sur le Bien-être et l’efficacité au travail ». En octobre 2009, Xavier Darcos lance un plan d’action d’urgence au travail pour mobiliser les entreprises sur la prévention des risques psychosociaux. Celui-ci a été établi pour accélérer l’Accord National Interprofessionnel (ANI) sur le stress au travail, signé à l’unanimité des syndicats d’employeurs et de salariés en juillet 2008 et rendu obligatoire pour toutes les entreprises. Cet accord représente un élargissement de l’accord européen sur le stress de 2004 et présente l’intérêt de proposer des pistes d’actions et de négociation pour la prévention des risques psychosociaux au travail. Le but étant de conduire les entreprises à passer du déni à l’action. Ces différents rapports et enquêtes s’accordent sur le fait qu’il devient indispensable de réintroduire de l’humain au sein des organisations. Les meilleures stratégies sont orientées vers l’individu, c’est-à-dire l’écoute mutuelle, le respect, le sens du travail et la prise en compte des émotions. Mais la compétition mondiale est accrue et pour ne pas en être écarté, la productivité et la rentabilité sont des éléments sur lesquels s’appuient majoritairement les entreprises ; et cela se fait parfois au détriment des salariés. Origine et évolution du management et de la souffrance au travail Définir le management n'est pas aisé car c’est un concept flou et globalisant. Ce terme est très utilisé dans les entreprises et recouvre plusieurs significations. Le verbe " manager " tirerait son origine de l'italien maneggiare : contrôler, manier, avoir en main et aurait été Page | 13
  • 14. influencé par le mot français manège : faire tourner un cheval dans un manège. A cela s’ajoute la notion de " ménager " dont le sens au XVIe siècle était de gérer les affaires du ménage, c’est-à-dire les ressources humaines et les moyens financiers. De surcroît, le " ménagement " est un terme très proche de " management " phonétiquement et sémantiquement : on ne peut bien manager les équipes et les ressources, que si l’on sait les ménager. La notion de contrôle est l’idée principale du mot. Depuis une vingtaine d’années, il existe un effet de mode autour du mot " management ". Le terme est très fréquemment associé aux substantifs utilisés dans les entreprises : " management de la qualité ", « management des processus ", " management des risques ", " management de projet ", " management des hommes ", " management stratégique " ou encore " management de l'environnement ". Cette recherche concerne le management des hommes et des organisations. Son sens est vaste mais la définition semblant la plus adaptée au sujet est celle de Peter Drucker, théoricien du management : « activité visant à obtenir des hommes un résultat collectif en leur donnant un but commun, des valeurs communes, une organisation convenable et la formation nécessaire pour qu'ils soient performants et puissent s'adapter au changement »6. L’idée de cette définition, et qui constitue le fil conducteur de ce travail, est la collaboration et la prise en compte de toutes les parties prenantes dans une finalité économique. La définition communément admise du management est l’« ensemble des techniques de direction, d'organisation et de gestion de l'entreprise »7. Jean-Pierre Le Goff8, écrivain et sociologue français, réprouve ce type de définition car le management est assimilé à la gestion. Gestion et management sont, certes, deux termes voisins mais leur connotation est légèrement différente car le management s’intéresse aux ressources humaines et la gestion concerne davantage l’aspect financier et matériel. L’homme est appréhendé comme une " ressource " par l’entreprise, comme quelque chose que l’on peut employer et manier à loisir et dont on attend le meilleur afin de réaliser le meilleur bénéfice à moindre coût, explique Marie-Anne Dujarier, sociologue9. 6 DRUCKER Peter, Devenez managers! : L’essentiel de Drucker, Village mondial, 2006 7 Définition du Petit Larousse 2010 8 LE GOFF, 2006, p. 15 9 Intervention dans le film de VIALLET, 2009 Page | 14
  • 15. Ensuite, selon la définition du Petit Larousse, le management est perçu comme une « technique », comme un outil dont le maniement reviendrait à des spécialistes d’instituts de formation ou de cabinets de conseil. Selon Jean Pierre Le Goff, ce formalisme est dépourvu de toute référence à l’expérience humaine et a pour effet de creuser le fossé entre employeurs et employés. « Les générations nouvelles sont formées pour agir efficacement, au plus vite et sans états d’âmes » et « l’inflation des outils est en fait significative de la dissolution d’un certain bon sens au profit d’une approche instrumentale de l’être humain qui, sous prétexte d’efficacité, la dénature »10. Ces techniques sont manipulatrices et très éloignées de la réalité du terrain et de la prise en compte de la dimension humaine. Celles-ci exercent une véritable fascination chez les dirigeants qui les acceptent et les appliquent naïvement et ont pourtant des effets déstabilisateurs voire destructeurs sur les individus et les groupes de travail. « Le management n’est ni une science ni une technique […] Il est une autorité qui ne s’acquiert que dans la capacité à affronter des situations inédites et dans l’équité des décisions »11. Selon Jean-Pierre Le Goff, le management ne doit pas devenir une idéologie et doit reposer sur l’expérience pour répondre davantage aux aspirations individuelles. Souffrance et travail sont deux thèmes continuellement associés depuis quelques temps. Boris Cyrulnik, psychologue, et Xavier Darcos, ex-ministre du travail, ont abordé cette problématique lors d’un débat radiophonique12. Ce débat est aussi vieux que la notion même de travail. D’une part, l’idée d’association du travail à la liberté est avant tout religieuse car elle est présente dans les fondements de toutes les grandes religions, notamment la religion chrétienne où le travail est une sentence divine sanctionnant le péché originel. D’autre part, l’origine étymologique du verbe " souffrir " (suffere : endurer, supporter) revêt une notion de pénibilité et de douleur. Le terme " travail " vient du latin tripalium. C’était un instrument de torture à trois pieux utilisé par les Romains dans l'Antiquité pour punir les esclaves rebelles mais aussi pour ferrer de force les chevaux rétifs. La pénibilité, la contrainte et l'assujettissement sont donc les premiers traits sémantiques du mot " travail ". Ces dimensions traversent d’ailleurs toute l’histoire de la philosophie du travail. 10 LE GOFF, 2006, p. 12 11 LE GOFF, 2006, p. 20 12 France culture, « La souffrance au travail est-elle légitime ? », Les controverses du progrès, décembre 2009 Page | 15
  • 16. La souffrance au travail n’est donc pas un phénomène nouveau et n’est pas près de disparaître. Au XIXe siècle, avant la première Révolution Industrielle, la souffrance était liée de manière intrinsèque au travail. Le travail des femmes consistait à mettre au monde les enfants et à les élever. La souffrance générée par l’accouchement était normale : indolore paries (tu engendreras dans la douleur). Les hommes souffraient physiquement au travail. Il était mal vu de se plaindre, c’est pourquoi l’évocation de la souffrance n’infiltrait pas les discours, sauf lorsqu’il s’agissait de propulser les personnes prêtes à souffrir au rang de héros voire de divinité. Depuis l’avènement des droits de l’homme et des NTIC (Nouvelles Technologies de l’Information et de la Communication), les conditions physiques du travail ont radicalement changé. La nature de la souffrance ne provient plus du corps mais de l’esprit La mutation de la souffrance au travail réside dans le fait que l’on est passé d’une économie essentiellement industrielle, où la souffrance était physique, à une société orientée vers les services. Aujourd’hui, l’individu est dans une interrelation continuelle avec les collègues, les supérieurs, les clients, les fournisseurs et paradoxalement, il n’a plus de contact direct avec les dirigeants, les actionnaires et les clients finaux. Pourtant les exigences à satisfaire proviennent de ces personnes totalement inconnues. Cette mutation s’explique aussi par le passage d’une civilisation des métiers à une civilisation des fonctions. Dans l’exercice des métiers, il existait une expertise, un savoir faire et une reconnaissance permettant une forte valorisation du travail. Les ouvriers étaient animés d’une grande motivation pour leur travail car ils pouvaient produire les objets dans leur intégralité et mettaient ainsi du cœur et de la minutie à l’ouvrage, explique Xavier Darcos. De surcroît, avant l’avènement de l’âge industriel, le maître transmettait le savoir à son apprenti. La souffrance apportait donc un bénéfice, celui de l’apprentissage du savoir. La période de transmission du savoir a été effacée de l’organisation du travail française actuelle. « On travaille peu dans sa vie mais beaucoup et cette singularité n’est pas de nature à rendre le travail agréable », dit Xavier Darcos. Page | 16
  • 17. Les nouvelles technologies ne cessent de se développer et les conditions de travail du XXIe siècle sont meilleures. Celles-ci permettent l’allègement physique de la tâche et l’amélioration de la communication entre les divers collaborateurs au sein des organisations. En outre, le temps de travail a diminué. Malgré tout, tous les indicateurs concernant la souffrance au travail sont au rouge, celle-ci atteint des sommets inégalés. Tous les salariés sont concernés et sont égaux face à cette douleur et à cette angoisse constante. La question qui se pose alors est de savoir dans quelle mesure les pratiques managériales actuelles et les exigences d’efficacité des entreprises sont responsables de cette souffrance au travail. Si le travail est nécessaire à la vie humaine dans le monde moderne, et si la souffrance est intrinsèque au travail − étymologiquement, religieusement et historiquement −, donc inévitable, y aurait-il un contournement possible du problème ? Existe-t-il des solutions alternatives au management moderne permettant de ménager les salariés et de réintroduire des considérations éthiques, tout en se soumettant à des exigences de profit et d’efficacité économique ? Nous répondrons à cette question à travers une analyse théorique puis une enquête de terrain et enfin une analyse empirique. Dans une première partie, nous évoquerons la réalité de la souffrance au travail dans nos sociétés contemporaines. Le lien entre ce mal être et les schémas managériaux hérités du passé fondés sur la dictature du chiffre sera ensuite expliqué. Enfin, une réflexion sur des solutions alternatives permettant de limiter les effets dévastateurs des logiques managériales actuelles sera apportée. Dans une seconde partie, les hypothèses de travail et la méthodologie utilisée pour la réalisation de l’enquête de terrain seront énoncées. Dans une troisième partie, les réponses obtenues à la suite de l’enquête de terrain seront exposées et les résultats recueillis seront analysés et confrontés aux hypothèses. Page | 17
  • 18. PREMIÈRE PARTIE : REVUE DE LITTÉRATURE « Quand le travail rend malade … »13 CHAPITRE I - Etat des lieux de la souffrance au travail en France Une vague de suicides fortement médiatisée a récemment mis en lumière le malaise des Français au travail. La souffrance liée au travail est aujourd’hui dénoncée, la tendance n’est plus au déni. Plusieurs spécialistes de la question rendent compte du désarroi que rencontrent de nombreux individus dans les entreprises. La présente recherche s’appuie sur des témoignages de personnes dont la diversité des origines professionnelles permet d’illustrer la réalité de cette situation. Une étude a d’ailleurs été réalisée de janvier 2008 à juin 2009 par la caisse nationale d’assurance maladie (CNAM). Celle-ci atteste de la diversité des publics concernés : un tiers de dirigeants et de professions intellectuelles supérieures, un tiers d’employés de bureau et de professions intermédiaires et enfin un tiers de salariés peu qualifiés. Ces résultats surprenants démontrent bien que la souffrance au travail n’est pas l’apanage d’une seule et unique catégorie socioprofessionnelle. Dans un premier temps, nous nous apercevrons que cette souffrance est réelle, les témoignages abondent. Ensuite, nous verrons que le stress est la première manifestation de souffrance au travail. Enfin, nous rendrons compte de l’impact de cette souffrance, tant sur les individus que sur les organisations. 1. La réalité de la souffrance au travail La souffrance au travail est une réalité qui s’impose. Nous verrons que la fonction qu’occupe la psychologue Marie Pezé en est la preuve. Les témoignages se multiplient à ce sujet. 13 Titre emprunté à l’article de François Daniellou, « Quand le travail rend malade… », Sciences Humaines, la santé un enjeu de société, mars-avril-mai 2005. Page | 18
  • 19. 1.1. Marie Pezé, psychologue spécialiste du stress au travail Face à l’avènement de la souffrance au travail et des dégâts qu’elle produit, Marie Pezé, psychologue spécialiste du stress au travail, crée en 1997 la première consultation en France spécialisée sur la souffrance au travail, au Centre d’Accueil et de Soins Hospitaliers de Nanterre (CASH). Depuis, le modèle s’est déployé, il en existe plus d’une vingtaine. Depuis treize ans, la psychanalyste écoute les récits d’hommes et de femmes désorientés par leur travail. Les neuf cents consultations qu’elle effectue par an l’ont affectée au point de perdre l’usage d’un bras, du goût et même de l’odorat. Elle est aujourd’hui guérie de ce qu’elle nomme « le trou noir de la décompensation », au prix d’une prise de médicaments très régulière. En 2008, Marie Pezé décide de rendre publique la souffrance de ces patients à travers un ouvrage dont le titre est emprunté à un vers de Jean de La Fontaine : Ils ne mouraient pas tous mais tous étaient frappés. Á travers ce livre, elle fait part de la « cruauté des rapports sociaux, de la dissolution des solidarités traditionnelles dans l’entreprise et de la nocivité de certaines formes de management. […] Une orgie de violence sociale qui laisse [ses] patients dans des états de détresse difficilement imaginables »14. Dans les premières lignes de son livre elle apostrophe le lecteur : « Vous voulez en savoir plus sur la souffrance au travail ? Il faudrait que vous entriez dans mon bureau, que vous preniez place sur cette chaise à côté de la mienne. Il faudrait que vous assistiez à la consultation avec moi. Que vous écoutiez. Vous pourriez ainsi entendre l’extraordinaire impact du travail sur le corps et le psychisme. Le travail peut sauver. Il peut tuer aussi. […] Je dois vous prévenir, vous n’en sortirez pas indemnes »15. 14 Olivier Milot, « Le travail peut sauver, il peut tuer aussi », Télérama, n°3120, 28/10/09, pp. 31-40. 15 PEZÉ, 2008, p.3 Page | 19
  • 20. 1.2. « Ils ne mouraient pas tous mais tous étaient frappés » Afin de rédiger son livre Marie Pezé s’est inspirée du documentaire éponyme, réalisé par Marc-Antoine Roudil et Sophie Bruneau distribué en salles en 200616. Le film présente quatre entretiens entre salariés et cliniciens enregistrés dans les consultations spécialisées du centre d’accueil et de soins hospitaliers de Nanterre (CASH) de Nanterre, dont celle de Marie Pezé. Ce film est né de la lecture de l’ouvrage Souffrance en France de Christophe Dejours17, psychiatre et psychanalyste reconnu. Ses recherches envisagent le lien qui existe entre la souffrance au travail et les nouvelles formes d’organisation. Dans la même perspective, les réalisateurs ont souhaité explorer les tenants et les aboutissants de ce malaise au travail en filmant des consultations psychiatriques. La force de ce documentaire est de troubler en montrant ce qui n’apparaît peut être pas aussi choquant à la lecture. La réalité du monde professionnel apparaît alors sous un jour plus cru et, en somme, plus véridique que dans les images généralement relayées par les médias. Une ouvrière fait part avec émotion de la pression qu’elle a pu subir sur son lieu de travail. Elle explique que la direction demande aux agents de production d’accroître le rendement avec un effectif humain constamment réduit. Autrement dit, elle augmente ses exigences quant à la productivité mais supprime le nombre d’individus sur la chaîne de production. Elle relate aussi la menace qui pèse sur eux : les responsables émettent des exigences quantitatives, en brandissant le spectre du licenciement et sans prendre la mesure du possible. Tous ces salariés, qui ont besoin de travailler pour vivre, finissent par accepter des méthodes qu’ils réprouvent. Les collègues ne se soutiennent pas les uns les autres, ils se désolidarisent et cherchent à satisfaire la direction à tout prix pour sécuriser leur poste. Une fois rentrée chez elle, l’ouvrière ne parvient pas à s’apaiser, elle y rapporte sa souffrance. Un responsable d’agence commerciale raconte comment il est tombé en dépression. La direction impose chaque année aux responsables d’augmenter leur chiffre d’affaires. Il leur est demandé de respecter une mesure de temps pour chaque action commerciale, or cette durée est constamment réduite. De plus, les responsables doivent établir un budget prévisionnel qui 16 BRUNEAU Sophie, ROUDIL Marc-Antoine, Ils ne mouraient pas tous mais tous étaient frappés, 2006 17 DEJOURS Christophe, Souffrance en France : la banalisation de l’injustice sociale, Paris, Seuil, 2006 Page | 20
  • 21. doit obligatoirement être augmenté tous les ans et qui est systématiquement vérifié et corrigé par le N+1. L’autonomie qui est accordée aux cadres pour cette tâche est donc encadrée par des limites très strictes. Le sentiment de pression résultant est intense car lorsque les résultats ne correspondent pas au budget, la direction accuse les responsables d’agence de n’avoir pas su coller aux prévisions établies par eux-mêmes. Ce cadre intermédiaire savait que ce qu’on lui demandait n’était pas réalisable. Il était dans une impasse et comme de nombreux patients de cette consultation, il est tombé en dépression. La première manifestation de ce mal être a été une crise de larmes devant l’ensemble de son équipe. « J’épongeais la pression du chiffre mais j’ai craqué », explique-t-il. Une femme témoigne de l’acharnement de la direction à son égard et de son incapacité à retourner sur son lieu de travail. Elle était initialement employée en tant que femme de ménage dans une maison de retraite. Mais ses responsables hiérarchiques lui ont demandé d’abandonner ses tâches d’entretien pour s’occuper des malades malgré son absence de qualification dans ce domaine. Son refus n’a pas été pris en compte. La situation s’est aggravée le jour où elle est victime d’un accident du travail. A partir de ce moment, elle est complètement déconsidérée par la direction et est poussée à retrouver son ancienne fonction, l’entretien des locaux. De plus, on lui interdit d’approcher les malades et de leur parler. Les humiliations et reproches deviennent incessants. « Je ramenais tout ça chez moi, je ne pouvais pas faire la coupure, j’y pensais constamment », dit-elle. Sa vie de famille se retrouve affectée. Le pire, pour elle, a été le silence de ses collègues. Une responsable de magasin explique combien il est difficile pour elle de supporter la pression exercée par son employeur. Elle gérait un magasin dont les chiffres ne satisfaisaient pas la direction qui a décidé de lui retirer toutes ses responsabilités et de lui attribuer une tâche de manutentionnaire sans aucune explication. Elle était devenue gênante et a été poussée à démissionner par les pires moyens par son employeur qui en est même venu à l’insulter devant les clients. Submergée par ces humiliations, elle s’est mise en arrêt maladie. Elle n’a pu supporter le fait qu’on la reclasse au bas de l’échelle hiérarchique et surtout sans en expliquer la raison. Cet incident a développé en elle un sentiment de honte sociale. Elle a souhaité changer totalement de métier pour oublier et paradoxalement elle angoissait à l’idée de rompre le lien. Page | 21
  • 22. Nous pouvons observer, à travers ces divers témoignages que ; d’une situation à l’autre, les mêmes problématiques émergent : l’isolement, l’absence de solidarité, la déconsidération des individus qu’ils soient hommes ou femmes, cadres ou employés. Il en ressort une douleur incommensurable, une véritable souffrance mentale qui ronge l’être de l’intérieur. Quel est ce mal étrange que ressentent tant de salariés aujourd’hui ? Le stress est la première manifestation de la souffrance au travail, il entraîne de lourdes pathologies. Patrick Légeron, médecin spécialiste du stress en entreprise, décrit le stress comme : « des petits riens quotidiens, des émotions inhibées, une ambiance étouffante, une compétition féroce qui se cache derrière des semblants de camaraderie, un compliment qu’on attend et qui ne vient pas … et on se réveille un matin mal, très mal. Le stress d’aujourd’hui est psychologique et non plus, comme autrefois, physique »18. Le stress est donc une réalité du monde du travail moderne et est devenu dangereux. 2. Le stress, première manifestation de la souffrance au travail La définition du stress proposée par l’Agence Européenne pour la Sécurité et la Santé au Travail (AESST) − agence dont la fonction principale est de recueillir et diffuser des informations dans le domaine de la santé et de la sécurité au travail − reflète au mieux la réalité actuelle de la tension croissante que ressentent les individus au travail. « Le stress survient lorsqu'il y a déséquilibre entre la perception qu'une personne a des contraintes que lui impose son environnement et la perception qu'elle a de ses propres ressources pour y faire face. Bien que le processus d'évaluation des contraintes et des ressources soit d'ordre psychologique, les effets du stress ne sont pas uniquement de nature psychologique. Il affecte également la santé physique, le bien-être et la productivité »19. Le stress est un risque psychosocial parmi d’autres mais il est le plus fréquent et le plus dangereux. 18 LEGERON, 2003, p. 11 19 http://www.inrs.fr/htm/le_stress_au_travail.html Page | 22
  • 23. 2.1. Le stress au travail : faits et chiffres. Les études sont nombreuses au sujet du stress et toutes attestent de son omniprésence dans les sociétés industrielles modernes et de ses effets pernicieux tant sur les individus que sur les organisations. Tous sont égaux face au stress et à la souffrance au travail dans le sens où personne n’est réellement épargné. Il faut cependant garder à l’esprit que personne ne le vit de la même manière. Le stress n’est pas le même selon la catégorie socio professionnelle, le sexe et l’âge. L’accord cadre européen d’octobre 200420 précise que « différents individus peuvent réagir de manière différente à des situations similaires et un même individu peut, à différents moments de sa vie, réagir différemment à des situations similaires ». L’approche doit se faire de manière individuelle. Un rapport, établi en 2002 par l’AESST, estime que 22 % des travailleurs européens sont affectés par le stress au travail, soit 41 millions de personnes. Le stress causé ou aggravé par le travail serait le problème de santé le plus répandu dans le monde du travail et il devrait s’amplifier dans les années à venir. Une enquête TNS SOFRES21 réalisée auprès des travailleurs français en avril 2006 a révélé que 44% des français sont touchés par le stress au travail − 55% pour les femmes et 34% pour les hommes − et 18% sont à des niveaux dangereux pour leur santé − 26% pour les femmes et 11% pour les hommes. Avec l’aide de l’Institut Français de l’Anxiété et du Stress (IFAS) institut apportant aux entreprises une aide dans la prise en compte du facteur comportemental −, certaines entreprises, notamment Renault, ont lancé une étude auprès de leurs équipes afin de mesurer le phénomène. L’échantillon réunit 11 852 personnes, tous âges et niveaux de qualification 20 www.stimulus-conseil.com/accord_europeen_stress_8oct04.doc 21 « Le stress au travail, un mal si français », L’express.fr, 14 avril 2006 Page | 23
  • 24. confondus. Il ressort de cette enquête22 que près d’un salarié sur quatre ressent un sur-stress, niveau de stress excessif présentant un risque pour la santé23. Un rapport de la fondation européenne pour l’amélioration des conditions de vie et de travail (EUROFOND)24 − organisme créé pour améliorer les conditions de travail dans la zone euro − démontre que ce stress touche toutes les catégories socioprofessionnelles confondues. Le stress augmenterait même avec le niveau de qualification25. Les professions intellectuelles et supérieures sont davantage touchées. Les professions à responsabilités sont sources de stress et donc de souffrance. Les ouvriers et employés non qualifiés arrivent en dernière position avec 17%. Même pour eux le taux demeure élevé. La santé de tous est en danger. Selon le sexe, le niveau de stress n’est pas le même non plus. Les femmes sont plus touchées que les hommes. Elles réagissent moins bien face à une situation stressante en milieu professionnel. En effet, les femmes sont davantage victimes des différents troubles : dépression, anxiété et sur-stress. L’écart hommes - femmes est assez important et peut probablement s’expliquer par le fait qu’elles décodent mieux les émotions. Une étude réalisée par l’IFAS26 révèle que 20,2% des hommes interrogés souffrent de sur- stress pour 34,2% de femmes. L’écart est assez élevé. Il l’est encore plus en ce qui concerne le sentiment d’anxiété : 12,2% pour les hommes et 22,9% pour les femmes. Enfin, selon l’âge, le niveau de stress varie également. L’IFAS, dans le cadre de la même enquête, révèle que la quarantaine dépassée, les salariés sont davantage exposés à l’anxiété, à la dépression et au sur-stress. L’âge accroît la fragilité27. 22 « Stress, les entreprises auscultées », Enjeux Les Echos, n°198, janvier 2004 (http://ifas.net/publications/Enjeux_les_Echos_Janv2004.pdf ) 23 Cf. Figure 1, Annexe 1 : le stress en chiffres 24 www.eurofound.europa.eu/ewco/surveys/EWCS2005/index.htm 25 Cf. Figure 2, Annexe 1 : le stress en chiffres 26 Cf. Figure 3, Annexe 1 : le stress en chiffres 27 Cf. Figure 4, Annexe 1 : le stress en chiffres Page | 24
  • 25. 2.2. Les mécanismes du stress Le stress est une composante de l’organisme humain. On ne peut pas vivre sans stress, c’est même une condition indispensable à la survie des individus. Le stress est assimilé, par les scientifiques, à une " réaction d’adaptation ". Celle-ci est sans cesse sollicitée, dans n’importe quelle situation et est essentielle à notre bon fonctionnement. Il faut pouvoir s’adapter aux contraintes et menaces auxquelles nous sommes confrontés au cours de notre vie. Un monde sans stress est impossible. Considéré sous cet angle, le stress, loin d'être une maladie, représenterait plutôt l'expression première de l'instinct de survie. Cependant, le stress doit être limité car les effets d’un stress trop fort sont dangereux. 2.2.1. Hans Selye, le stress comme syndrome général d’adaptation Hans Selye (1907-1982), fondateur et directeur de l'Institut de médecine et chirurgie expérimentale de l'Université de Montréal et pionnier des études sur le stress, rend bien compte du lien entre stress et adaptation. Il qualifie d’ailleurs le stress comme un « syndrome général d’adaptation », une « réponse de l’organisme à toute demande qui lui est faite, dans une finalité d’adaptation »28. Selon ce chercheur, l’organisme mobilise des forces de défense face à une situation donnée en développant « réaction d’alarme ». Puis il s’adapte complètement à l’agent stressant, l’énergie est entièrement mobilisée pour résister au stress : « stade de résistance ». Enfin il arrive un moment où le sujet n’a plus les capacités de faire face : « stade d’épuisement »29. 2.2.2. Henri Laborit, le stress comme condition de survie Henri Laborit, (1914-1995), médecin chirurgien et philosophe, définit lui aussi le stress comme une réaction assurant la survie de l’organisme face à un danger. Il distingue deux types de stress. D’une part, le stress physiologique est un état d'alarme de l'organisme face à une agression physique de l'environnement. D’autre part, le stress psychosocial est une réaction à un phénomène interactif. Il fait intervenir la mémoire, l'apprentissage, donc le 28 NIEZBORALA, 2007 29 Cf. Figure 5, Annexe 2 : les modèles de stress Page | 25
  • 26. cerveau affectif et limbique. C’est celui que l’on retrouve dans les situations de travail. Ces conclusions ont été tirées d’expériences médicales. 2.2.3. Richard Lazarus, le modèle de la double évaluation Dans les années 1980, Richard Lazarus a développé une approche nouvelle du stress : l’approche interactionnelle. Elle a permis d’intégrer un certain nombre de dimensions qui n’étaient pas prises en compte auparavant, notamment la dimension cognitive. Ce chercheur réutilise la notion d’adaptation et l’associe au concept de menace. L’individu, face à une menace, c’est-à-dire une situation stressante, procède à une double évaluation. En premier lieu, il interprète la menace potentielle de l’élément stressant en fonction des variables situationnelles. Par exemple, face à un important volume de travail, il perçoit le risque de ne pas finir dans les temps. Puis, il émet une seconde évaluation en identifiant ses ressources émotionnelles et comportementales afin de gérer la situation et d’élaborer une réponse. Il peut conclure qu’il n’y arrivera pas, par exemple, ou qu’il n’a pas les moyens, ou, au contraire, qu’il est capable de surmonter la situation, qu’il trouvera une solution adaptée30. Ces évaluations vont donc déterminer le déclenchement ou non de la réaction de stress. Les schémas et explications précédents posent le stress comme un élément essentiel à la survie de chacun d’entre nous. Néanmoins, il est important de garder à l’esprit que le stress est certes nécessaire mais dans une certaine mesure. Patrick Légeron s’appuie sur des travaux de psychologie pour distinguer le bon du mauvais stress. 2.2.4. Patrick Légeron, les relations entre stress et performance Yerkes et Dodson, deux psychologues du début du XXe siècle, ont élaboré une courbe, « relation entre stress et performance »31, qui fait apparaître la mesure dans laquelle le stress rend performant et le point où celui-ci devient néfaste. 30 Cf. Figure 6, Annexe 2 : les modèles de stress 31 Cf. Figure 9, Annexe 3 : stress et performance Page | 26
  • 27. Le " bon stress " ou « stress optimal » est celui qui permet de s’adapter à une situation menaçante. C’est une réaction naturelle de notre organisme face à une agression extérieure. Il nous permet de mobiliser efficacement nos ressources pour faire face au mieux aux nombreux stresseurs professionnels, cités ci-après (2.3 : les « mille visages » du stress »), sans mettre en danger notre santé. En revanche, le " mauvais stress " est celui qui inhibe l’action. Si le stress est quasi inexistant, l’individu n’est pas paré pour affronter les situations menaçantes quotidiennes, il encourt un risque. Le stress à trop forte dose est également nocif. La réaction qui est demandée à l’individu par son environnement dépasse les ressources personnelles et sociales qu’il peut mobiliser. Ce stress est nocif et peut être nuisible physiquement et mentalement à l’être humain. Le stress est fondamentalement utile à condition que les mécanismes biologiques et psychologiques soient déclenchés à bon escient et dans des limites acceptables. Dans de trop nombreuses situations de travail, le " mauvais stress " est présent. 2.3. Les « mille visages »32 du stress au travail Le stress peut se manifester dans des situations très différentes et d’un individu à l’autre le stress ne sera pas vécu de la même manière face à une circonstance particulière. Le stress a de multiples facettes. La liste suivante ne peut se prétendre exhaustive. L’ANACT souligne, dans son rapport sur le stress et les risques psychosociaux au travail de 200733, que « les facteurs de causes et d’effets se croisent à l’infini […] Pour une même cause on observe des effets différents d’un individu à l’autre et différents pour un même individu selon les périodes et les contextes de travail ». 2.3.1. Le contenu du travail Les Anglais parlent de Job strain (pression au travail) pour décrire les contraintes qui pèsent sur l’individu dans le cadre de sa vie professionnelle. Actuellement, l’accroissement du 32 LEGERON, 2003, p. 12 33 SAHLER, 2007 Page | 27
  • 28. stress lié à la charge travail est dû à une réduction des effectifs et à une diminution du temps de travail – les trente cinq heures. Les salariés sont moins nombreux, ont moins de temps qu’avant et davantage de travail leur est attribué. Une enquête Santé Itinéraires Professionnels (SIP) a été réalisée en 2007 par la DARES auprès de l’ensemble de la population active34. 22,6% des personnes interrogées considèrent qu’on leur demande toujours ou souvent une quantité de travail excessive. L’enquête SUMER de 2003, élaborée également par la DARES, met en avant la pression temporelle à laquelle les salariés sont confrontés. 30,9% des personnes interrogées estiment qu’elles ne disposent pas du temps nécessaire pour réaliser correctement leur travail. Cette surcharge est une source importante de stress. A cela s’ajoute le culte de la performance et de l’excellence. Alain Ehrenberg, sociologue français, dans son ouvrage Le Culte de la Performance35, écrit que pendant longtemps la relation au travail était contractuelle. Bien travailler consistait à accomplir sa tâche. Depuis les années 1980 et surtout 1990, la tendance a changé, une autre idéologie s’est développée. Faire son travail ne suffit plus, il faut désormais se dépasser. Il compare ce phénomène aux sportifs qui ont obligation de se surpasser en permanence. Ainsi le sentiment du travail bien fait s’amenuise. Un stress permanent est généré face à cette pression et aux frustrations de n’avoir jamais aucun encouragement ou compliment. Les dirigeants et actionnaires recherchent la perfection absolue, le zéro défaut. De plus, ce travail parfait doit se réaliser dans une urgence qui neutralise la distinction entre l’urgent et l’important. Selon une étude réalisée par le ministère du travail, un salarié sur deux dit travailler dans l’urgence. 2.3.2. L’environnement professionnel à l’épreuve de la modernité L’Histoire du travail s’est déroulée avec une certaine régularité mais, depuis la seconde guerre mondiale, les entreprises ont connu une accélération considérable dans les changements. Certains sont discrets mais d’autres sont brutaux voire douloureux. La réaction d’adaptation de l’individu face à ces situations génère un stress important. Une transformation peut s’avérer positive pour l’entreprise mais négative pour l’individu. L’enquête Changements Organisationnels et Informatisation (COI)36 réalisée auprès de l’ensemble de la population active, indique que dans 54% des cas, le personnel de l’entreprise n’a pas été consulté au 34 DARES, « Indicateurs provisoires de facteurs de risques psychosociaux au travail », octobre 2009 35 EHRENBERG, 1999 36 DARES, « Indicateurs provisoires de facteurs de risques psychosociaux au travail », octobre 2009 Page | 28
  • 29. moment de la mise en place des changements. Ces incertitudes à répétition et ces décisions arbitraires sans consultation des salariés génèrent une angoisse grandissante chez l’être humain qui a besoin de stabilité. Il y a un siècle, les conditions de travail étaient physiquement difficiles : bruit, froid, jours de repos rares, etc. La pénibilité corporelle, la répétitivité et la monotonie des tâches, telles qu’elles sont exposées dans le film Les Temps Modernes de Charlie Chaplin, n’ont pas entièrement disparu. Elles se sont, toutefois, largement atténuées grâce à l’avènement des technologies modernes et du droit du travail. Ces souffrances, sources de stress, ne se sont pas effacées, elles sont différentes. Elles sont davantage liées à la relation et moins à l’effort physique. Le chercheur américain, Robert Karasek, a réalisé une étude, en 1989 portant sur le stress professionnel. Il part de deux axes fondamentaux : la charge de travail et la marge de manœuvre de l’individu37. Plus le travail est vécu comme contraignant et plus l’individu est stressé. C’est le cas, par exemple des ouvriers à la chaîne. En outre, à l’heure d’Internet, le télétravail se développe de plus en plus. Il consiste à travailler chez soi. Le salarié est certes plus libre de ses horaires et de ses faits et gestes mais cette formule provoque l’isolement et fait disparaître l’étanchéité entre vie privée et professionnelle. Or la séparation entre les deux est un facteur essentiel à l’équilibre de l’être humain. 2.3.3. Les rétributions matérielle et immatérielle Les frustrations au travail sont nombreuses. Elles sont généralement liées à une attente non satisfaite de rétribution en rapport avec la contribution que représente le travail effectué. Ces compensations peuvent être d’ordre matériel (le salaire) ou psychologique (la reconnaissance). Le modèle de Siegrist38 rend compte de ce tandem effort-récompense. Selon cette étude, un individu ressent d’autant moins la charge de travail qu’il saura qu’une récompense lui sera attribuée en retour. Le déséquilibre entre les efforts fournis dans le travail et leurs rétributions sont facteurs de stress et de mal être. Il est demandé aux salariés de se 37 Cf. Figure 8, Annexe 2 : les modèles de stress 38 Cf. Figure 9, Annexe 2 : les modèles de stress Page | 29
  • 30. dévouer à leur entreprise, de s’investir affectivement. Patrick Légeron (2003) fait l’analogie avec une maîtresse ou un amant. Ce dernier devient très exigeant, il demande à être aimé et à recevoir des preuves d’amour. C’est ce que Nicole Aubert et Vincent de Gauléjac39 appellent l’entreprise « managinaire ». Elle est faite d’injonctions paradoxales : « tu dois m’aimer passionnément, mais toi, tu ne sauras jamais si je t’aime, et, d’ailleurs, je n’ai pas à t’aimer ». De nombreux chercheurs considèrent que l’être humain se nourrit essentiellement de reconnaissance sociale, il a besoin d’être aimé, apprécié et surtout valorisé et reconnu par les autres. Or, il existe de nombreuses entreprises où avouer l’efficacité d’un salarié, le complimenter et le remercier est mal perçu. C’est ce que Patrick Légeron appelle la « culture du négatif »40 . 2.3.4. Les difficultés relationnelles Le client est devenu un véritable « dictateur »41. Ses attentes sont toujours plus fortes et il exprime de moins en moins sa satisfaction. Les entreprises sont, actuellement, toutes orientées vers celui-ci. Elles acceptent ses exigences et les anticipent même. La situation est paradoxale car ces clients sont souvent, eux-mêmes, des salariés confrontés à une clientèle exigeante. De surcroît, notre société développe des comportements individualistes qui ont un impact sur l’ambiance au travail. Un sondage IFOP (Institut Français d’Opinion Publique) de janvier 200142 indique que pour 83% des salariés français la bonne ambiance au travail est un critère très important dans le choix d’une entreprise, avant même l’intérêt pour la tâche à accomplir. Or, les modes de management, la société et l’économie prônent la concurrence et génèrent des rivalités entre les individus. L’enquête SUMER de 200343 révèle que 8,5% des individus interrogés estiment que leur collègues ne sont pas du tout amicaux et 14,2% que les collègues avec qui ils travaillent ne les aident pas à mener leur tâche à bien. Ce phénomène d’incivilité dégénère parfois en agressivité voire en violence. La violence physique est la plus perceptible. 39 AUBERT Nicole, De GAULEJAC Vincent, Le Coût de l’excellence, Paris, Seuil, 1991.op. cit. LEGERON, 2003 40 LEGERON, 2003, p.35 41 LEGERON, 2003, p. 37 42 DARES, « Indicateurs provisoires de facteurs de risques psychosociaux au travail », octobre 2009 43 DARES, « Indicateurs provisoires de facteurs de risques psychosociaux au travail », octobre 2009 Page | 30
  • 31. L’enquête sur les conditions de travail, réalisée en 2005 par la DARES44, révèle que 1,6% des personnes interrogées reconnaissent être exposées à des agressions physiques au cours de leur travail. La forme de violence la plus fréquente est morale et sa manifestation la plus grave et la plus difficile à surmonter est le harcèlement moral. Cette démarche intentionnelle et perverse a pour but d’humilier et de détruire l’individu. Ces différentes formes de violence entraînent une baisse de l’estime de soi, une démotivation totale et un état de stress chronique. Autrement dit, elles provoquent une destruction intérieure de l’être humain, une souffrance insoutenable, explique Patrick Légeron. 3. Les impacts individuels et organisationnels de la souffrance au travail Le management par le stress peut mettre gravement en péril la santé mentale et physique des individus mais aussi entraîner des répercussions financières sur les organisations. 3.1. La mise en péril de la santé physique et psychique des individus « Bien qu’indispensable à la vie, le stress représente une menace pour notre bien être. Car, de même qu’un médicament utile peut devenir nuisible au-delà d’une certaine dose, des réactions de stress trop intenses, trop fréquentes, trop prolongées et mal gérées peuvent avoir des effets négatifs sur notre santé »45, affirme Patrick Légeron. Les troubles peuvent être d’ordre psychologique et/ou physiologique. 3.1.1. Les troubles psychologiques La France est le pays consommant le plus de psychothropes au monde. De plus, les études épidémiologiques montrent qu’un individu sur cinq souffre, au cours de sa vie, d’un trouble anxieux ou dépressif. Ces faits sont alarmants. Le stress peut être très destructeur. 44 DARES, « Indicateurs provisoires de facteurs de risques psychosociaux au travail », octobre 2009 45 LEGERON, 2003, p.183 Page | 31
  • 32. L’anxiété se caractérise par un vécu permanent d’inquiétude et d’appréhension. Elle se manifeste de manière somatique, psychologique et comportementale. Ce sentiment d’anxiété peut s’installer durablement et devenir handicapant. Il peut même mener à des conduites addictives telles que l’alcoolisme ou la toxicomanie, mais aussi entraîner des troubles dépressifs et des envies de suicide. A ce stade, l’individu se trouve dans la « phase d’alarme » évoquée par le modèle de Hans Selye. Il prend conscience que le stresseur représente un danger, se met en état d’alerte et mobilise ses ressources pour l’affronter. La dépression fait généralement suite à des troubles anxieux. Les troubles dépressifs sont la manifestation la plus marquée du stress. Ils sont d’ailleurs devenus une préoccupation de santé publique et sont reconnus comme maladie professionnelle par l’assurance maladie. Cet état correspond au « stade d’épuisement » décrit par Hans Selye. L’individu baisse les bras, il n’a plus la capacité de mobiliser ses ressources pour faire face à une situation stressante. La dépression se caractérise par plusieurs types de symptômes : la tristesse ou l’effondrement de l’humeur, la perte d’intérêt, la fatigue chronique, la perte d’appétit et les troubles du sommeil. Elle est souvent cause de burnout ( brûlure de l’intérieur). Il s’agit d’un état d’épuisement physique et moral se caractérisant par la présence des symptômes liés à la dépression et par un désenchantement vis-à-vis de son métier. L’une des principales et plus graves complications de la dépression est le suicide. L’individu se trouve dans une telle impasse que la seule issue qu’il rencontre est de se donner la mort. Il arrive que les suicides surviennent sur le lieu de travail. Ce fut le cas récemment à France Telecom : un salarié, en plein désespoir, s’est poignardé en pleine réunion. De même, la directrice de la protection judiciaire de la jeunesse s’est défenestrée depuis son bureau situé au troisième étage. 3.1.2. Les maladies somatiques Les chiffres sont alarmants. On évalue à plus de 1,3 millions le nombre de personnes mourant d’accidents ou de maladies liées au travail par an dans le monde, soit une moyenne Page | 32
  • 33. de 3100 décès par jour46. On estime à soixante millions par an l’apparition de nouveaux cas de maladies liées au travail. Les Troubles Musculo-Squelettiques (TMS) sont reconnus comme la première maladie professionnelle. Elle progresse de manière considérable dans les pays industrialisés depuis les années 1980. Selon l’ANACT, leur nombre augmenterait de 20% tous les ans et représenterait 70% des maladies professionnelles en France. Un salarié sur huit serait touché par les TMS47. Ensuite, les maladies dites somatiques se manifestent par des maladies cardio vasculaires et respiratoires. Les plus touchés sont ceux qui subissent une importante charge de travail et une marge de manœuvre très limitée (Cf. modèle de Karasek, Annexe 2). Enfin, les maladies psychosomatiques sont très nombreuses : la perte des cheveux, l’eczema, l’acnée, la prise de poids, l’asthme, les crises d’urticaire, les migraines, les troubles digestifs etc. La liste est loin d’être exhaustive. Le stress peut être à l’origine de souffrances physiques et mentales considérables. Il peut être très nocif à l’individu. La récente vague de suicides chez France Telecom n’est pas un cas isolé, elle a juste été davantage médiatisée que certains autres cas. Mais, l’individu n’est pas seul à subir ces désagréments, l’entreprise en subit les conséquences financières. 3.2. Danger pour la santé économique des organisations Le stress a des effets néfastes sur les organisations car il entraîne des absences à répétition et une perte de la productivité. Ces conséquences sont difficilement quantifiables mais elles sont néanmoins très coûteuses. 46 Source OMS 47 SAHLER Benjamin, 2007 Page | 33
  • 34. 3.2.1. Les effets néfastes de la souffrance sur les organisations L’absentéisme est un véritable fléau pour les organisations. De plus en plus de salariés se mettent en arrêt maladie à cause de troubles dûs au stress. Selon la Caisse Nationale d’Assurance Maladie48, 25 % des arrêts maladie de deux à trois mois sont imputables au stress. En 2002, selon la Commission européenne, le stress au travail serait la cause de plus de 50 % de l'absentéisme. En 2005, la représentation syndicale des cadres, CFE-CGC, a fait une enquête auprès de 1340 cadres français. Il en résulte que 23 % ont déclaré avoir eu des arrêts maladie à cause du stress, dont 6 % de temps en temps et 16 % souvent49. Gérer le personnel absent n’est pas aisé car il faut envisager des remplacements et des formations. Cela entraîne une perte de productivité, de qualité et de compétences difficilement quantifiables. Selon une enquête de l’Association Nationale des Directeurs et Cadres de la fonction Personnel (ANDCP) de 2003, le principal problème de l’absentéisme serait le coût engendré50. Le présentéisme est également problématique. Il s’agit des salariés présents sur leur lieu de travail mais complètement désinvestis, ils ne travaillent pas au maximum de leurs capacités. Ils sont ce que l’on appelle des « désengagés de l’intérieur »51. Ils se font très discrets et souvent respectent peu les horaires et les exigences de qualité. Les problèmes de discipline se font ressentir et ont un impact sur le climat social de l’entreprise. Les salariés, totalement désinvestis, ne sont plus exigeants envers eux mêmes. Ils n’ont aucun intérêt dans la tâche réalisée puisqu’ils ne sont ni impliqués ni responsabilisés. La conséquence directe est une chute considérable de la productivité mais aussi l’augmentation des accidents du travail et des rebuts et des malfaçons dans la production. Une étude réalisée en 2009 par la société de conseil Hay Group52, révèle que seuls 52 % de salariés interrogés pensent que leur entreprise leur donne envie de fournir un effort discrétionnaire contre 62 % ces dernières années. Leur vraie vie est désormais ailleurs, ils ont compris qu’ils ne pourraient réaliser leurs aspirations personnelles dans leur tâche. Le taux de rotation du personnel est, par conséquent, très élevé. 48 http://www.risquesprofessionnels.ameli.fr/ 49 Cf. Figure 10, Annexe 4 : problèmes organisationnels liés au stress 50 Cf. Figure 11, Annexe 4 : problèmes organisationnels liés au stress 51 GHIULAMILA Juliette, « Des salariés désengagés de l’intérieur », Les grands dossiers des Sciences humaines, n°12, septembre – octobre – novembre 2008 52 LAVANANT, SADY, 2009 Page | 34
  • 35. La situation étant devenue insupportable, l’individu en souffrance fait le choix de partir. La même étude de Hay Group révèle que 59 % des personnes interrogées envisagent de partir, recherchent activement un autre emploi ou bien ont déjà accepté un emploi ailleurs. Et pour ceux qui ne pensent pas quitter leur société aujourd'hui, 92 % avouent qu’il est trop risqué de démarrer un nouvel emploi dans le climat actuel, 87 % afirment que c’est lié au manque d’offres d’emploi. Tous ces éléments portent inéluctablement atteinte à l’image de marque de l’entreprise. Les différentes contreparties des pratiques provoquant un stress excessif, évoquées ci- dessus, sont coûteuses pour l’entreprise mais aussi pour l’économie nationale. 3.2.2. Un coût inquiétant Depuis environ dix ans, études, enquêtes et sondages sur le stress au travail se multiplient. Tous se rejoignent sur un point : le stress touche de très nombreux salariés et les fait profondément souffrir. Une étude réalisée en France en 2000 par l’Institut National de Recherche et de Sécurité pour la prévention des accidents du travail et des maladies professionnelles (INRS)53 a estimé le coût direct et indirect du stress : entre 830 et 1 656 millions d’euros par an. Cette somme équivaut à 10 à 20 % du budget de la Sécurité Sociale pour la partie maladies professionnelles et accidents du travail. l’INRS a évalué ces coûts à partir des troubles les 54 plus fréquents dûs au stress et des conséquences les plus récurrentes . Dans cette perspective, une première étape consisterait en une prise de conscience individuelle et collective. Patrick Légeron, psychiatre, et Philippe Nasse, statisticien et économiste, ont réalisé un rapport sur les risques psychosociaux au travail remis au gouvernement en mars 200855. Selon ce dossier, le stress coûterait entre 3 à 4% du PIB français, soit environ vingt milliards d’euros dans l’Union Européenne. 50 à 60 % de l’ensemble des journées de travail 53 TRONTIN Christian, « conséquences économiques du stress : les enjeux pour l’entreprise », inrs.fr 54 Cf. Figure 12, Annexe 5 : coût du stress 55 NASSE Philippe, LEGERON Patrick, « Rapport sur la détermination, la mesure et le suivi des risques psychosociaux au travail », 12 mars 2008 Page | 35
  • 36. seraient perdues à cause du stress. Le stress sur le lieu de travail coûterait donc dix fois plus cher que les conflits sociaux. Ces chiffres sont à prendre avec précaution car le calcul est complexe. Cependant, on ne peut nier que le stress coûte cher tant en termes de souffrance humaine que de réduction des performances économiques. En parallèle de l’évaluation de ces coûts, il serait intéressant de caculer les bénéfices que pourraient générer les entreprises en favorisant le bien être des salariés, en les valorisant et les responsabilisant. Ces données sont malheureusement intangibles et très difficilement mesurables par les sytèmes comptables traditionnels. Pourtant l’économie réalisée pourrait être considérable. Plusieurs études ont montré qu’il est " rentable " d’investir dans la prévention du stress au travail. Les sommes débloquées sont rapidement amorties, sur l’espace d’un exercice annuel. Henri Savall, avec l’aide d’une équipe de recherche rattachée à l’université de Lyon III, est parvenu à évaluer ces montants grâce à une méthode tirée de la « théorie des coûts cachés »56. Les individus, tout comme les organisations, souffrent d’un stress et d’une souffrance croissants dont les conséquences peuvent être néfastes humainement et financièrement. Il semble donc logique d’enclencher une démarche de gagnant-gagnant. Cela doit devenir le grand défi à relever dans les années à venir par les gouvernements, les employeurs et les syndicats. Encore faut-il parvenir à identifier les causes profondes de la souffrance au travail. CHAPITRE II – A l’ origine de la souffrance au travail : les pratiques managériales en question « Le travail est au cœur des enjeux essentiels de notre pays […] Or, il y a aujourd'hui un vrai malaise dans beaucoup d'entreprises où le travail est trop souvent synonyme d'angoisse ou de malheur », énonce Jean François Copé, président du groupe UMP à l’Assemblée Nationale. En réaction à cette immense souffrance, le député a créé un groupe de travail chargé de réfléchir et d’apporter des solutions sur la souffrance au travail. Il ajoute que, 56 SAVALL, 2007 Page | 36
  • 37. dans le contexte de la récente vague de suicides dans de grands groupes industriels français certains ont voulu la démission des dirigeants mis en cause. Selon lui : « certains ont voulu la démission des dirigeants concernés. C'est un réflexe très français, dès qu'on est face à un problème, on rejoue 1793. Il faut trouver un bouc émissaire, sortir les piques et couper des têtes. Une fois les têtes tombées et la colère satisfaite, on oublie de s'interroger sur les causes du problème. C'est tout l'inverse qu'il faut faire, ne pas stigmatiser une personne mais proposer des solutions structurelles. Le mode de management de beaucoup de nos entreprises doit évoluer de fond en comble »57. Les pratiques managériales sont les premières à être coupables de ce malaise au travail car elles s’appuient sur des schémas hérités du passé devenus obsolètes. L’économie a évolué mais les modes de management ont stagné. 1. Les schémas hérités du passé L’organisation du travail actuelle s’appuie sur de vieux principes datant du début du XXe siècle. Ils ont 100 ans mais les entreprises ont tendance à ne pas remettre pas en cause ces modèles. 1.1. TAYLOR et l’organisation scientifique du travail (1911) Jusqu’au XIXe siècle, le monde du travail s’organise autour de deux types d’acteurs. D’une part, les ouvriers étaient détenteurs d’une véritable compétence technique et travaillaient en toute autonomie. D’autre part, les contremaîtres disposaient d’une complète autorité sur les premiers. Au cours de la seconde moitié du XIXe siècle, la Révolution Industrielle a entraîné la mise en place d’un nouveau système technique et l’émergence des ingénieurs. Ces deux facteurs ont joué un rôle déterminant dans la naissance du taylorisme. 57 http://www.lasouffranceautravail.fr/Actualite.html Page | 37
  • 38. Frederic Winslow Taylor58 (1856-1915) est considéré comme l’un des pionniers du management. Il réfléchit à la manière de répondre au mieux aux nouvelles exigences économiques émergeant dans le cadre de la Révolution Industrielle. Il propose une nouvelle organisation du travail permettant d’instaurer une paix sociale durable au sein des entreprises à travers la convergence des intérêts de tous et de développer leur prospérité via une rationalisation du travail. Cette démarche implique une révolution complète de l’état d’esprit des dirigeants d’entreprises et des ouvriers. Il crée l’Organisation Scientifique du Travail (OST). Il est, selon lui, possible d’appliquer à l’activité humaine un raisonnement scientifique. Il s’agit d’observer, de classer les faits, de les analyser et d’en tirer des lois de portée générale sur le savoir faire ouvrier. Taylor élabore plusieurs grands principes. Tout d’abord, il souhaite mettre fin à la « flânerie systématique » des ouvriers. Pour cela, il s’appuie sur la théorie de l’économiste anglais David Ricardo (1817) sur la spécialisation des tâches. Il la réutilise et la nomme: division horizontale du travail. Il souhaite éradiquer tous les temps morts dans le travail des ouvriers car ils représentent une perte de productivité énorme. Le travail des ouvriers se retrouve segmenté en tâches simples, rapides et répétitives. Le but est d’augmenter la productivité tout en réduisant les coûts. Pour cela, l’homme doit être isolé et individualisé dans sa tâche. Taylor souhaite aussi diviser verticalement le travail59. Pour cela, il s’inspire d’Adam Smith (1776). Cette logique consiste à séparer les " cols blancs " des " cols bleus " (« the right man in the right place »), soit à centraliser le pouvoir. Les premiers, les dirigeants, sont les penseurs. Les seconds, les ouvriers, exécutent les directives établies par les ingénieurs. Selon Taylor, la seule motivation pour compenser le caractère abrutissant et aliénant du travail ne peut être que l’argent. Il met alors en place un système de salaire au rendement, autrement dit il a recours à des primes de productivité. 58 PLANE, 2008, pp. 10-13 59 Cf. Figure 13, Annexe 6 : Taylorisme et Fordisme Page | 38
  • 39. La surveillance est un autre moyen pour canaliser les ouvriers. Un système de contrôle du travail est élaboré avec la création de postes de contremaîtres dont la fonction essentielle est le contrôle et la surveillance. L’application des principes de Taylor ont eu pour mérite d’améliorer la gestion de la production et l’accroissement de la productivité. Ce théoricien a pleinement contribué à la transformation et la modernisation des entreprises industrielles. Henri Savall, économiste et professeur de sciences de gestion, reconnaît que « Taylor eut l’idée judicieuse de s’attaquer au gaspillage de matière, de temps, de gestes […]. La principale conséquence à long terme a été que l’analyse du travail humain a facilité son transfert en travail machine ». En effet, le poids de la hiérarchie, des règles et procédures et le contrôle et la rationalisation excessive du travail ont apporté une vision appauvrie du potentiel humain. Le taylorisme connaît une crise à la fin des années 1960. Les ouvriers se révoltent par le biais de l’absentéisme et du turnover (taux de rotation du personnel). Chez Renault, par exemple, l’absentéisme passe de 4% en 1961 à 8.5% en 1974. L’intensification des rythmes de travail rend de plus en plus pénible la tâche des travailleurs. De plus, les hausses de salaires ne compensent plus à leurs yeux la pénibilité et l’absurdité du travail. 1.2. La méthode d’Henri FORD Henri Ford60 (1863-1947) était un célèbre homme d'affaire et industriel américain. Il est le créateur de la Ford Motor Company. Il est considéré comme le continuateur de Taylor. Ses apports concernent la mécanisation du travail. Il met en place le convoyeur de pièces. Il s’agit d’un tapis roulant où circulent automatiquement les pièces devant les travailleurs. La production est à flux continu. Ainsi, la machine dicte à l’homme son rythme de travail et de production et les temps opératoires élémentaires sont réduits. C’est le début du 60 PLANE, 2008, pp.13-18 Page | 39
  • 40. travail à la chaîne61. Le travail vivant est remplacé par du travail mort, la machine prolonge la main de l’homme. Le second apport de Ford est la standardisation des biens de production. Il est à l’origine de la production des grandes séries grâce à des pièces interchangeables et standardisées. Des économies d’échelle peuvent ainsi être réalisées : en augmentant la production, les coûts unitaires de production diminuent. Le développement de ce mode de production fordiste suit l’esprit de la loi libérale élaborée par l’économiste français Jean Baptiste Say (1803) selon laquelle l’offre crée sa propre demande : « plus les producteurs sont nombreux et les productions multiples, plus les débouchés sont faciles, variés et vastes ». Ford associe production de masse et consommation de masse. Le 1e janvier 1914, il décide de doubler les salaires par l’instauration de la rémunération journalière : « Five dollar a day ». Le but de cette démarche est, dans un premier temps, de fidéliser les travailleurs par un système de rémunération attractif et, dans un second temps, d’augmenter le pouvoir d’achat afin que les salariés puissent acheter les voitures produites par la Ford Company. L’application de la méthode fordiste a permis la baisse des prix de vente, la hausse des salaires et l’élévation des profits. Ford a eu le génie, avant Keynes, d’avoir perçu la nécessité d’agir sur le pouvoir d’achat des salariés pour dynamiser l’économie nationale. Le modèle a, néanmoins, des effets négatifs car il ne s’adapte pas aux nouvelles règles de l’environnement concurrentiel et à la donne mondiale affectée par les chocs pétroliers de 1973 et de 1979. Les coûts ont certes diminué mais les attentes des consommateurs ne sont pas prises en compte (qualité, sécurité et variété). De plus, l’émergence du Toyotisme, dans la seconde partie du XXe siècle, affaiblit le modèle fordiste. Cette méthode japonaise adopte des principes tels que la mobilisation des compétences, la participation, l’autonomie, la responsabilité et les initiatives. Ce modèle offre davantage de flexibilité et de réactivité permettant une meilleure compétitivité. 1.3. Henri FAYOL et les principes de commandement (1916) La pensée d’Henri Fayol62(1841-1925), ingénieur français, a souvent été associée à tort à celle de Taylor. Fayol ne prône pas autant de contrôle et d’autorité. Néanmoins, ces 61 Cf. Figure 14, Annexe 6 : Taylorisme et Fordisme Page | 40
  • 41. deux auteurs se complètent car la théorie taylorienne concerne les ouvriers et celle de Fayol, les dirigeants. Il écrit Administration industrielle et générale (1916) avec pour idée de faire évoluer les fonctions de commandement dans les grandes entreprises et de développer leurs qualités en matière de leadership. Pour ce faire, il s’est appuyé sur son expérience à la direction d’une compagnie minière. A travers cet ouvrage, il définit les cinq fonctions du management : prévoir et planifier, organiser, commander, coordonner et contrôler. Il reprend les idées de ses prédécesseurs en ce qui concerne la division du travail et la centralisation du pouvoir mais il apporte une touche de modernisme manifestant son opposition à l’excès de spécialisation et d’organisation. De plus, il considère, contrairement à Taylor ou Ford, que la motivation vient de l’initiative, de l’équité et de l’union du personnel et non du salaire. Ainsi, il jette les bases d’un véritable management moderne. 1.4. Théories de la bureaucratie : Max WEBER et Henry MINTZBERG Max WEBER,(1864-1920)63 sociologue allemand, met au point une théorie sur les structures d’autorité afin de classer les organisations parmi lesquelles l’organisation bureaucratique nous intéresse en particulier. Il a été le premier à utiliser le terme " Bureaucratie " pour décrire une culture et une structure d’entreprise rigidement fixées. C’est un système rationnel caractérisé par une exigence de conformité règlementaire, par la prévisibilité et la précision technique. Autrement dit, elle se définit par la discipline, le contrôle et la hiérarchie. La relation au travail est dépersonnalisée, elle empêche toute forme d’innovation et de créativité. Sa théorie permet de donner un nom aux formes de management pratiquées dans les entreprises depuis la Révolution Industrielle et l’avènement du Taylorisme. Henri MINTZBERG (1939)64 est l’un des théoriciens des organisations les plus importants. Il classifie les organisations. Les modèles façonnés par Taylor et Ford correspondent à ce qu’il appelle la « bureaucratie mécaniste ». Celle-ci se caractérise par des procédures formalisées, une division et une spécialisation du travail, une standardisation des résultats, des procédures de travail et des qualifications et par une ligne 62 PLANE, 2008, pp.18-22 63 PLANE, 2008, pp. 22-27 64 MINTZBERG, 2004, p.237 Page | 41
  • 42. hiérarchique développée. Les organisations bureaucratiques suivent une logique de planification et de programmation. Ce sont des organisations dont la structure est extrêmement rigide et qui sont, par conséquent, peu propices à l’adaptabilité et l’innovation. Les théories de Weber et Mintzberg se rejoignent : la Bureaucratie est un système rationnel et sécurisant mais très rigide et inadapté à l’environnement instable actuel. Au système bureaucratique, s’oppose le modèle organique. La bureaucratie s’exerce majoritairement dans les grandes structures alors que le réseau organique concerne davantage les PME. Selon Christophe Assens, conseiller en management, le modèle organique se caractérise ainsi : « Il n’existe pas de procédure de contrôle formel de hiérarchie. Chacun est responsable de soi, la décision est répartie sur l’ensemble des membres, il n’existe pas de pilote. La forme de la structure est dynamique, elle émerge des interactions entre les membres. […] Ce type de réseau présente l’avantage de préserver l’autonomie des membres et de leur conférer des capacités d’adaptation, de créativité et d’apprentissage »65. Tous ces éléments ne sont pas présents dans le modèle bureaucratique or la majorité des entreprises l’adopte au détriment de l’aspect humain et donc de leur développement économique. Les schémas, figures 15 et 16 Annexe 7, illustrent la différence entre modèle bureaucratique et organique ou système conventionnel et composite ; et rendent bien compte de la dimension d’interactions dans le second système. Tous ces principes ont beaucoup joué en faveur de la prospérité économique nationale. Ils sont aujourd’hui insuffisants voire nocifs car la dimension humaine est exclue de leur vision de l’entreprise. Or, la majorité des grandes entreprises françaises sont encore dans ces logiques dites " néo tayloriennes ". 65 ASSENS Christophe, « Du modèle bureaucratique au modèle organique : l’organisation en réseau », Flux, vol. 12, n° 23, 1996, pp. 38-42 Page | 42
  • 43. 2. Les principes du management moderne et ses dérives La majorité des grandes entreprises s’inscrit dans la lignée directe de Taylor. L’économie a évolué et les principes appliqués qui ont stagné entraînent des dérives car ils ne sont plus adaptés. 2.1. La standardisation La standardisation est un mécanisme de coordination et de formalisation. Elle permet de réaliser des économies d’échelles et d’améliorer la productivité des entreprises. Elle a également pour but de renforcer la fiabilité et la qualité de sa production. La fin ultime de cette démarche est de se surpasser économiquement et de devancer les concurrents. 2.1.1. La formalisation des comportements La standardisation des processus de travail vise à formaliser les comportements des salariés. Tous doivent appliquer les règles et les procédures dictées par l’organisation. L’entreprise moderne est fondée sur une logique de dévoration de ses personnels, tous niveaux hiérarchiques confondus, explique Paul Ariès, politologue et écrivain français66. Valeurs et culture d’entreprise leur sont imposées. L’intégration est forcée, les salariés sont formatés car leur sont dictés les façons de travailler, de s’habiller, de sourire, de parler et même de penser. Paul Ariès estime que l’organisation souhaite façonner « un modèle de salarié universel et interchangeable ». Cette logique de dévoration consiste à exclure tout en intégrant. Un cadre est instauré pour intégrer les employés au sein d’une communauté et dans le même temps, dans leur travail quotidien tous sont privés d’autonomie et de responsabilités. Ce déséquilibre provoque une profonde souffrance chez l’être humain. Cette logique se manifeste également par la multiplication de séminaires de motivation, de meetings ou de soirées. Le but est de donner aux salariés la motivation pour poursuivre leur mission. « On sait pertinemment que sans ce dopage psychologique, il est impossible de 66 ARIES, 2002 Page | 43
  • 44. donner la force aux salariés de continuer à travailler dans de telles conditions », dit Paul Ariès67. Cette méthode se manifeste aussi par le marquage du salarié. Chez Nike, par exemple, il est bien vu de se faire tatouer le logo de la marque sur la cheville. Le travail devient accaparant, l’entreprise intrusive et leur intimité est violée. Ainsi, la frontière entre vie privée et vie professionnelle ne peut que s’estomper. 2.1.2. La spécialisation des tâches La standardisation des qualifications, soit la spécialisation des tâches, consiste à parcelliser et définir précisément les activités. Le but est de réduire la complexité et d’accélerer l’apprentissage, dans un souci d’économie d’échelle. Cette logique marque la fin des métiers et du savoir faire. Aujourd’hui les individus effectuent des fonctions et non plus des métiers. Leurs compétences techniques ne sont plus mises à l’épreuve et la reconnaissance de l’expertise n’existe plus. La standardisation des qualifications et les évolutions économiques freinent la créativité et l’innovation, pire elles les détruisent et les font disparaître. Aujourd’hui, ce sont les machines qui produisent les objets et les fonctions ont remplacé les métiers dans l’essentiel du monde du travail. Ceci a entraîné la modification de l’individu dans son rapport au travail : il n’a personne à imiter et n’a rien à transmettre. On lui explique d’ailleurs qu’il devra changer de fonction tout au long de sa vie. Autrement dit, il ne sera jamais reconnu comme spécialiste dans un domaine quelconque. France Telecom en est la preuve. 2.1.3. La gestion par objectifs La standardisation des résultats se manifeste par le management par objectifs. Les efforts individuels doivent être conformes aux objectifs quantitatifs fixés par la direction. mais l’aspect qualitatif,soit la dimension humaine, est oublié. La financiarisation des entreprises avec à la tête, des actionnaires, accentue cette omniprésence financière. De fait, les grandes entreprises, surtout celles cotées en Bourse, sont bien plus touchées par cette logique de résultats que les PME. Néanmoins, cette tendance se 67 Intervention dans : CARRE Jean Michel, J’ai (très) mal au travail, octobre 2007 Page | 44